• il y a 6 mois
Charles Pépin répond tous les samedis aux questions des auditeurs d'Inter. Aujourd'hui, Charles a choisi celle de Fanny : "Pourquoi est-ce que c’est si agréable d’admirer les autres ?"

La question philo par Charles Pépin dans le 6/9 de France Inter (8 Juin 2024)
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Transcription
00:00 Charles Pépin pour la question philo ! Et aujourd'hui, Charles, vous avez décidé de répondre à Fanny.
00:06 Bonjour Charles, je voulais vous demander pourquoi est-ce que c'est si agréable d'admirer les autres ?
00:13 Belle question et quelle belle voix !
00:15 Quel bonheur en effet qu'admirer ! Et vous savez pourquoi ? Car admirer l'autre, admirer quelqu'un d'autre, son talent, sa beauté, son courage,
00:22 c'est d'abord se désintéresser de soi, d'abord s'oublier un peu et ça fait du bien !
00:27 Ce que l'on entend d'ailleurs, Fanny, dans votre belle question, c'est que quand on admire, on cesse de se comparer.
00:31 On sort tout simplement de soi dans ce mouvement d'admiration qui est également un mouvement d'étonnement.
00:36 Ouah ! Quelle belle voix que celle de cette chanteuse ! Quel coup de bras puissant que celui de ce champion de tennis !
00:41 Quel courage politique que celui de cette candidate !
00:44 Ouah ! C'est pas vraiment un vocabulaire de philosophe Charles !
00:47 En fait, au cœur de l'admiration, il y a de l'étonnement.
00:50 Admirer, c'est réussir enfin à trouver quelqu'un d'autre plus intéressant que soi.
00:54 Pas évident ! Donc, admirer, c'est sortir de soi, mais est-ce que c'est simplement ça ?
00:59 Non, Ali, vous avez raison, c'est aussi revenir à soi, mais n'allons pas trop vite.
01:03 Pour le comprendre, il faut comprendre qu'on admire toujours une singularité.
01:06 On n'admire jamais la manière dont quelqu'un se soumet parfaitement à une consigne ou à une norme.
01:10 Si vous admirez une chanteuse pour sa voix, je sais pas, Barbara, Pomme, Zahoud Sagazan,
01:15 c'est que vous trouvez cette voix singulière, originale.
01:18 De même, si vous admirez l'explosivité du jeu de tennis d'Alkaraz,
01:21 ou le courage d'une femme politique, vous admirez quelque chose qui n'est qu'à lui, qu'à elle,
01:25 par lequel il ou elle ne ressemble pas aux autres.
01:28 Admirer quelqu'un, c'est admirer une manière de se détacher des autres.
01:32 On admire ainsi toujours un style, une manière d'être au monde, qui révèle une personnalité.
01:37 Et c'est ça qui fait tant de bien !
01:39 Ah ouais, pourquoi ? Pourquoi admirer un style absolument singulier nous ferait du bien ?
01:44 Et bien, parce qu'on crève de trop de normes, de trop de conventions, de trop de process en entreprise.
01:49 Freud l'a montré dans un de ses petits bijoux, « Le malaise à la civilisation ».
01:53 Ce malaise vient précisément de toutes ces normes auxquelles nous devons nous soumettre,
01:57 nous, individus, au prix de la négation de nos singularités, pour que plus vivre.
02:01 Pour qu'il puisse y avoir civilisation.
02:03 Exactement. Mais du coup, comment faire dans ce monde de normes, et de normes bien souvent légitimes,
02:07 pour continuer à croire en la possible expression de sa singularité libre ?
02:12 Vous avez la réponse.
02:13 Et bien oui, Fanny, c'est l'admiration justement la réponse.
02:16 Je m'explique. Quand j'admire quelqu'un, j'admire précisément quelqu'un qui a réussi,
02:20 alors qu'il a lui aussi grandi au milieu des normes et des conventions, à exprimer et à développer sa singularité.
02:26 Son simple exemple prouve tout simplement que c'est possible.
02:30 Et voilà pourquoi ça me fait tant de bien.
02:32 Si ça a été possible pour lui, c'est que c'est possible pour moi.
02:35 Telle est la vertu de l'exemplarité, elle nous donne des ailes.
02:39 On comprend mieux maintenant pourquoi tous les grands artistes ont été de grands admirateurs.
02:43 Ils se sont inspirés de la manière dont les autres se sont approchés de leur étoile,
02:48 pour se remplir de l'idée qu'ils pouvaient eux aussi se rapprocher de la leur.
02:53 Vous aviez donc raison, Ali, de demander si l'admiration, c'est simplement sortir de soi.
02:57 La réponse est non.
02:58 C'est aussi rentrer en soi et se nourrir de la possibilité de son propre talent, de sa propre originalité.
03:05 Il y a une citation de Nietzsche qui est très belle, qui est claire.
03:09 « La grandeur de l'homme, dit Nietzsche, c'est qu'il est un pont et non une fin.
03:13 Autrement dit, la grandeur de l'un est un pont vers le talent de l'autre. »
03:17 Eh bien, nous avons peur, très souvent, de ne pas réussir à exprimer notre talent singulier.
03:21 Mais l'admiration du talent de l'autre peut suffire à nous libérer de cette peur.
03:26 Tout simplement parce que la réalité du talent de l'autre nous souffle qu'il est possible
03:30 de n'être pas écrasé parce que la société nous demande de soumission, de docilité.
03:36 En conclusion, double mouvement que celui de l'admiration.
03:39 D'abord, je sors de moi pour t'admirer et m'étonner de ton talent.
03:43 Ensuite, je rentre en moi, je reviens à moi et à la possibilité de mon propre talent.
03:49 Plus je t'admire, plus je me remplis de la possibilité de devenir à mon tour admirable.
03:56 Difficile donc, quand je contemple ton talent, de ne pas sentir à moi une ambition nouvelle
04:04 pour mon propre talent.
04:06 Quel talent !
04:07 Merci Charles Pépin, à noter que votre roman philosophique « La Joie » est adapté au théâtre
04:12 et sera joué cet été dans le très prestigieux festival d'Avignon avant-première ce jeudi 12 juin.
04:18 Où ça ?
04:19 Au théâtre Artefil à Avignon et c'est Olivier Ruidave, comédien, chanteur et danseur,
04:23 qui a fait un seul en scène.

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