• il y a 9 mois
Charles Pépin répond tous les samedis matin aux auditeurs d'Inter. Aujourd'hui, il a choisi la question d'Odile : "comment aimer sans souffrir ?"
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Transcription
00:00 La question philo Charles Pépin, avalez votre café, vous allez avoir besoin de nous expliquer
00:06 et de répondre surtout à la question que vous pose Odile.
00:10 Bonjour Charles, merci beaucoup pour votre émission qui donne à réfléchir et à se distancier.
00:15 Je voudrais savoir comment aimer sans souffrir ? Merci à vous.
00:20 Merci à vous Charles de répondre avec Odile de la manière la plus sérieuse et convaincante.
00:25 Je crois, chère Odile, que l'amour véritable, l'amour des êtres comme plus généralement l'amour de la vie,
00:30 ne peut aller sans souffrance. Merci.
00:33 Oui, mais on va voir qu'il faut peut-être la doser.
00:35 D'abord, parce qu'aimer c'est dépendre, dépendre de l'autre et de sa présence pour goûter le bonheur de vivre,
00:40 dépendre d'un message de l'autre pour être rassuré, dépendre du regard de l'autre pour se sentir enfin exister pleinement.
00:46 Et c'est cette dépendance qui fait souffrir ?
00:48 Oui, évidemment, et cette souffrance est inséparable de la beauté du sentiment amoureux.
00:53 « L'être, c'est dépendre », écrivait le philosophe Alain.
00:56 Nous ne sommes donc ni les particules élémentaires dont parlait Welbeck, ni des monades dont parlait Leibniz,
01:01 mais bien des êtres reliés aux autres, dépendants les uns des autres.
01:04 Et l'amour est assurément la plus belle de ces dépendances.
01:07 Aimer, c'est ensuite avoir peur.
01:09 Donc être dépendant et avoir peur, mais peur de quoi ?
01:12 Eh bien écoutez, peur de tout. Peur que l'amour finisse, ou pire qu'il s'étiole, qu'il s'abîme et pourrisse.
01:18 Peur pour l'autre aussi, car aimer, c'est se soucier. Et aimer son enfant, par exemple, c'est avoir peur pour lui.
01:24 Peur pour soi, enfin. Peur de ne pas être à la hauteur, de décevoir ou de lasser.
01:28 Peur peut-être même de n'être plus soi.
01:30 Souvenez-vous de Phèdre, dans le trouble où je suis, je ne puis rien pour moi.
01:35 Peur d'être changé par l'amour au point de ne même plus se reconnaître.
01:39 Évidemment, c'est une belle peur. Tu m'as fait une belle peur, mais ça reste une peur.
01:43 Enfin, aimer, c'est évidemment être attaché, attaché à l'autre.
01:47 Et cet attachement ne fait pas que du bien. Il réveille souvent des blessures de l'enfance.
01:51 Il est ce lien qui fait résonner à nouveau les premiers liens qui nous ont attachés aux autres.
01:56 Parfois de manière confortable, sécurisante, mais parfois pas du tout.
01:59 Et c'est alors que la joie d'aimer peut faire revenir la douleur de l'enfance,
02:03 réveiller par exemple une peur d'abandon ou de trahison.
02:07 Ça, c'est ce qu'on appelle le syndrome d'abandon justement, dont souffrent beaucoup d'amoureux.
02:11 Et donc la joie et la souffrance sont inséparables en amour.
02:14 Tout à fait. Bon, résumé, Ali, je dirais même indémêlable.
02:17 Je suis triste d'en arriver à ce constat, Charles.
02:20 Mais nous allons voir qu'on peut faire quelque chose de ce mélange.
02:22 Mais qu'à l'inverse, vouloir aimer sans souffrance, ce serait probablement refuser l'amour même.
02:28 Mais plus nous consentirons à l'inévitable dose de souffrance qu'accompagne l'amour,
02:32 plus nous donnerons à la joie d'aimer la chance de l'emporter sur cette souffrance.
02:36 A l'inverse, plus nous fantasmerons un amour tranquille, équilibré, délivré de toute peur,
02:41 de toute angoisse, de toute souffrance, plus nous serons rattrapés par notre évitement
02:45 et moins nous pourrons goûter la joie d'aimer.
02:48 Aimer, c'est sortir de soi.
02:50 En quel sens ?
02:51 Aimer un autre, une autre, le monde, la vie, c'est être délivré des limites de son moi,
02:55 tout en ressentant, paradoxalement en même temps, l'existence de ce moi plus intensément.
03:00 Oui, parce qu'on sent exister quand on est amoureux.
03:02 Et voilà, dans toute intensité, il y a un peu de souffrance.
03:04 C'est ce que disait très bien Nietzsche, aimer vraiment la vie, c'est aimer tout de la vie,
03:09 lui dire ce grand oui dont parlait Zarathoustra, et vous avez compris, oui à tout,
03:13 et donc également à la souffrance.
03:15 Mais souvenez-vous, c'est une question de quantité.
03:18 On parle de quantitativisme nietzchéen.
03:21 Alors, vous pouvez préciser ?
03:22 Justement, vous savez, Nietzsche…
03:24 Le quantitativisme nietzchéen, en gros, c'est que…
03:26 C'est une question de quantité.
03:28 Il a écrit, nous le savons, par-delà le bien et le mal.
03:31 Ça veut dire que la souffrance dont on parle, et dont Odile voudrait qu'on parle,
03:35 elle n'est ni bonne ni mauvaise en soi.
03:37 Elle n'a pas pour qualité d'être bonne ou mauvaise, c'est une question de quantité.
03:42 Expliquons-nous ?
03:43 Il faut souffrir assez pour se sentir vivant et attaché à ce qui compte,
03:48 mais ne pas souffrir trop, car souffrir trop nous rend précisément incapables
03:52 de ce grand oui à la vie.
03:54 Voilà donc, chère Odile, je crois que vous pouvez suivre le précepte nietzchéen.
03:58 Ne pas chercher à aimer sans souffrir, mais chercher à avoir le bon rapport à la souffrance,
04:03 la bonne quantité de souffrance, celle qui donne tout son goût,
04:07 toute son sel, toute sa puissance, et je dirais toute sa vérité, à la joie d'aimer.
04:12 La joie d'aimer, plus donc les images catastrophiques par lesquelles vous avez commencé.
04:18 Merci en tout cas pour votre réponse à Odile.
04:21 Je rappelle votre dernier livre, Charles Pépin, « Vivre avec son passé ».
04:24 C'est aux éditions, à la Ré.

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