Avec Béatrice Brugère, magistrate, secrétaire générale du syndicat Unité-magistrat FO et auteure de "Justice, la colère qui monte" (Observatoire)
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00:008h23, il visite, visite, visite encore, il occupe le terrain médiatique, le ministre
00:10de la Justice Gérald Darmanin est allé à la rencontre de magistrats, greffiers et
00:14avocats du tribunal judiciaire de Paris, hier, dimanche, il y est resté plus de trois heures.
00:20Il rencontre ce matin la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, pour négocier
00:24son enveloppe budgétaire. Avec nous pour en parler, Béatrice Brugère, magistrate,
00:30secrétaire générale du syndicat Unité Magistrat FO et auteure de Justice, la colère qui monte.
00:35Bonjour Béatrice.
00:36Bonjour.
00:37Bon, une déclaration incontestablement à retenir de la part du ministre, on va isoler
00:45en prison les 100 plus grands narcotrafiquants. Pourquoi ce n'est déjà pas le cas ?
00:49Alors, c'est sans doute déjà peut-être le cas pour certains, je n'en sais rien. Ce
00:56qui est sûr, c'est qu'il faut bien comprendre que l'isolement, c'est-à-dire mettre comme
01:01ça des personnes dangereuses au quartier disciplinaire, ne peut être qu'une mesure
01:07provisoire. Donc, c'est intéressant de vouloir avoir une cartographie des personnes les plus
01:14dangereuses, mais ça ne peut pas être des solutions pérennes.
01:17Pourquoi, Béatrice Brugère, ça ne peut être que provisoire ? C'est la loi qui le dit, c'est ça ?
01:21Tout à fait. D'abord, il faut le motiver et ensuite, c'est en fait cantonné dans
01:28des délais. Donc, ces délais ne peuvent pas excéder un an et doivent être renouvelés.
01:35Donc, en fait, ce ne sont pas des mesures pérennes. Alors, ça peut être intéressant
01:38à court terme, mais ça ne peut pas être une politique d'incarcération à long terme
01:44efficace.
01:45Et ça, c'est très important, Béatrice Brugère, parce que ça veut dire finalement que si
01:49on veut aller dans le sens de ce qu'a annoncé Gérald Darmanin, il faut une loi pour changer
01:53ça. Il n'y a pas d'autre solution.
01:56Alors, il faut faire ce que feront depuis très longtemps les Espagnols ou les Italiens.
02:01Par exemple, les Italiens ont fait une révolution sur l'application des peines après que le
02:08juge Falcone ait été assassiné par la mafia. Je ne sais pas si vous vous en souvienez.
02:12Oui, tout à fait.
02:13Et en fait, quand ils se sont rendus compte qu'ils avaient face à eux quand même des
02:18gens extrêmement dangereux et qui étaient prêts à tout, et je vous rappelle quand
02:21même que nous, on a eu aussi le dossier AMRA, qui est un dossier absolument épouvantable,
02:26où ce détenu, en fait, a été évadé en tuant plusieurs personnels pénitentiaires
02:36récemment. Ils ont changé leur politique et ils ont compris qu'il fallait construire
02:42des établissements de haute sécurité. Les Espagnols ont fait exactement la même chose.
02:47Et donc, en fait, la solution pérenne devrait être de construire des établissements de
02:52haute sécurité prévus pour ces personnes-là, qui puissent mettre aussi en sécurité le
02:58personnel pénitentiaire, mais également toutes les personnes qui sont à côté de ces gens-là.
03:04C'est d'ailleurs, Béatrice Brugère, un élément qu'a mis en évidence le ministre.
03:11Intimidation, menaces, chantage. Darmanin veut protéger ceux qui sont menacés,
03:16évoquant notamment vous, les magistrats. C'est de plus en plus prégnant, ça, cette
03:24idée, à la fois des narcotrafiquants, puis peut-être, on imagine, des mouvements terroristes.
03:29Oui, mais si vous voulez, on ne peut pas se contenter, une fois qu'on a fait un constat
03:33qui est lucide, qui est réel, et qui va cesser d'augmenter, on est bien d'accord.
03:40On ne peut pas se contenter de demi-mesures qui ne sont pas du tout pérennes et pas du
03:44tout, j'allais dire, calibrées par rapport aux dangers. Donc, ça peut être bien dans
03:49un premier temps, à voir, mais de toute façon, ça ne pourra pas être une politique d'incarcération
03:54à long terme qui porte ses fruits. Ce qu'il faut, c'est profiter d'ailleurs du plan de
03:59construction actuel, car vous savez justement qu'on a un plan de construction de places
04:05de prison, profiter également de son poids politique pour obtenir le budget nécessaire
04:11et lancer en urgence un chantier pour construire des établissements de haute sécurité pour
04:18le haut du spectre.
04:19– Bon, Béatrice Brugère, je le rappelle, vous êtes secrétaire générale du syndicat
04:22Unité Magistrat FO, comment percevez-vous cette entrée en matière de Gérald Darmanin ?
04:29Il est très présent, c'est assez rare finalement, de la part d'un garde des Sceaux, de faire,
04:35alors pas d'être très présent, parce que M. Dupont-Moretti l'avait été, mais en tout
04:39cas de faire toutes ces annonces. Est-ce qu'il n'y a pas un choc de culture, vous qui êtes
04:44tant attachée à votre indépendance ?
04:47– Moi, écoutez, je n'ai pas à commenter le style ni le projet du ministre. Ce que
04:56je constate, c'est qu'on est dans une situation grave où on n'a plus beaucoup de temps à
05:01perdre et que le volontarisme est toujours le bienvenu. La vraie question, ce n'est
05:07pas la question des annonces, c'est la question des résultats.
05:10– La condition de la fermeté de la justice, c'est la rapidité, en substance, c'est ce
05:16que met en avant Gérald Darmanin. Alors, c'est quoi ? C'est la rapidité ou c'est la méthode,
05:22la condition de la fermeté de la justice ?
05:24– En fait, la rapidité, elle est extrêmement importante parce que la sanction, ou en tout
05:29cas les procédures, ont un temps limité pour leur efficacité. Si vous jugez trop
05:33tard ou si vous jugez ou si vous condamnez des années après, ça n'a pas beaucoup
05:38de sens. Donc, la rapidité, sans être trop rapide, est importante, mais toute cette
05:44politique qui est annoncée par le nouveau ministre et sur lequel je trouve que c'est
05:50très intéressant, devra nécessairement passer par un changement législatif. Il n'y
05:55aura aucun changement sans changement de loi.
05:58– Oui, et en même temps, c'est assez rassurant parce que ça veut dire qu'il
06:02n'y a pas forcément d'opposition frontale entre le monde de la justice et le monde politique
06:08s'il y a des lois claires. Et au moins, comme ça, on pourra avancer. Il veut simplifier
06:12l'action de la justice qui est parfois engluée dans des recommandations contradictoires.
06:17Ça veut dire quoi, ça ?
06:18– C'est le dossier qui est sur la table depuis maintenant plusieurs années, que d'ailleurs
06:24le président de la République, Emmanuel Macron, avait demandé à l'ancien garde
06:29des Sceaux, Éric Tupon-Moretti, de régler en lui présentant une feuille de route sur
06:34la simplification de la procédure pénale. Ça, c'était il y a trois ans. On attend
06:39toujours cette feuille de route. Donc, il y a une urgence à avoir une pensée stratégique
06:44pour simplifier la procédure pénale, ce qui est un obstacle aussi pour les forces
06:50de police judiciaire, dont je rappelle qu'elles sont en perte de vocation parce qu'aujourd'hui,
06:57tout le monde est un petit peu désespéré de voir les procédures aussi longues, aussi
07:02complexes et aussi insécures.
07:04– Bon, on a l'impression quand même que ça bouge. Merci de votre réaction à chaud
07:08comme ça en direct. Béatrice Brugère, je le rappelle, vous êtes magistrate, secrétaire
07:12générale du syndicat Unité Magistrat FO. Il est 8h30.