En tant que mère d’une adolescente, je suis aux avant-postes de certaines évolutions majeures. Et à ce titre, j’ai appris quelque chose qui depuis me fait réfléchir : plus personne ne danse de slow.
Retrouvez « En toute subjectivité » avec Anne Rosencher sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/anne-rosencher-en-toute-subjectivite
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00:00Il est 7h21, en toute subjectivité, Anne Rosancher, ce matin, Anne, vous nous alertez
00:07donc sur l'extinction d'un rituel social… Oui, en tant que mère d'une adolescente,
00:13je suis aux avant-postes de certaines évolutions majeures.
00:16À ce titre, j'ai appris quelque chose qui depuis me fait réfléchir, plus personne
00:21ne danse de slow.
00:22Voilà, plus personne.
00:23J'ai vérifié, interrogé, fait des recherches, je ne suis pas du genre à me contenter d'une
00:27seule source.
00:28Fût-elle de mon sang ? Et c'est vrai, le slow inventé à la fin des années 50,
00:33aux Etats-Unis, n'aura pas vécu un siècle.
00:35Alors, avant d'en tirer les leçons sociétales, parce qu'il y en a, je récapitule pour
00:39les plus jeunes qui peut-être ne savent même pas de quoi je parle.
00:42Dans les soirées dansantes, les boums chez les particuliers, en boîte de nuit, arrivait
00:46toujours le moment des slows.
00:48On lançait une balade, Scorpion, Guns N'Roses ou Brian Adams pour ma génération, et là,
00:54le rite le plus important de l'adolescence accomplissait sa magie.
00:58Depuis l'invitation, moment dangereux et palpitant, jusqu'à la fin de la chanson,
01:04le mouvement était simple, un pivot à deux, des petits pas sur place, l'essentiel de
01:09la concentration étant occupé à évaluer la bonne distance entre les corps, à savoir
01:14où poser les mains et quand croiser le regard.
01:17Pour certains, cela pouvait se terminer en baiser, mais la plupart du temps, juste avec
01:21le rouge aux joues et le cœur taquicarde.
01:25Nicolas Demorand – On sent que vous la déplorez, Anne, cette extinction du slow.
01:29Absolument Nicolas, il y avait là quelque chose d'un rapprochement ultra-codifié des
01:33corps, qui je crois relever de ce long processus de civilisation des mœurs qu'a décrit
01:39le sociologue Norbert Elias, et qui consiste depuis des siècles à canaliser par des codes
01:45sociaux nos pulsions et nos barbarises émotionnelles.
01:49« Un moine et un boucher se bagarrent à l'intérieur de chaque désir », écrivait
01:54Cioran.
01:55« Je ne peux m'empêcher de questionner le choix d'une société où le slow disparaît
02:00et où dans le même temps, l'exposition des jeunes à la pornographie se fait de plus
02:04en plus tôt.
02:05En 2023, selon l'IFOP, plus d'un garçon sur trois avait déjà surfé sur un site X
02:11avant l'âge de 12 ans, soit trois fois plus qu'en 2013 ». Il faudrait interroger
02:16des psychologues, des sociologues sur ce que peut entraîner ce mouvement simultané
02:21d'avènement du trash déréalisé d'une part et de disparition du frôlement des
02:26corps codifié de l'autre.
02:27A mon avis, ce n'est pas très bon.
02:29Alors bien sûr, peut-être que par effet balancier, nous inventerons d'autres façons
02:34de nous rapprocher et de nous appréhender.
02:37Il va y en avoir besoin, vu que les tensions entre les hommes et les femmes, y compris
02:40désormais dans leur vote, se font de plus en plus ressentir.
02:44En attendant, je vous laisse avec quelques secondes de la reine, que dis-je, de l'impératrice
02:50du slow.
02:51Vous en avez dansé combien là-dessus ? Pas mal, pas mal, là j'avoue que…
02:58Je vous inviterais bien à danser, Anne, mais j'ose pas, j'ose pas.
03:03Il faut réhabiliter le slow, Nicolas ! On a bien compris, merci beaucoup Anne Rosancher
03:09et à jeudi prochain.