Anne Fulda reçoit Jean-Claude Grumberg pour son livre «Quand la terre était plate» dans #HDLivres
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00:00Alors bienvenue à l'Heure des Livres, Jean-Claude Grimbert, on est ravis de vous recevoir.
00:06Vous êtes l'un des dramaturges français les plus connus dans le monde.
00:12Votre pièce L'Atelier est très connue, mais pas seulement celle-là.
00:17Vous avez été scénariste, vous êtes auteur également, vous avez écrit notamment Mon Père, Inventaire,
00:21La plus précieuse des marchandises, qui a été portée au cinéma il n'y a pas très longtemps,
00:25par Michel Azanavissius, Jacqueline Jacqueline.
00:28Et vous venez de publier Quand la terre était plate, un livre qui est paru au seuil.
00:32Un livre qui est plein d'humour, plein de tendresse,
00:36et qui entend faire le portrait de votre mère,
00:40qui tente de dresser le portrait de votre mère,
00:43parce que comme vous l'expliquez en vous adressant au lecteur d'ailleurs,
00:46ce n'est pas chose aisée, parce qu'il n'y a plus de témoins,
00:49et parce que vous ne lui avez pas posé beaucoup de questions.
00:52Alors pourquoi avez-vous décidé, alors que vous avez déjà écrit beaucoup de livres
00:55où vous parlez de votre histoire personnelle, de désormais parler de votre mère ?
01:00Je pense que je n'avais pas rendu justice.
01:04C'est comme si avant de partir, je rangeais,
01:09non pas ma bibliothèque, ce qui serait infaisable,
01:13mais au moins je parle de ma mère, je parle de mon frère,
01:19et je parle de la situation particulière des familles juives.
01:26C'est-à-dire qu'avec mon frère, on a découvert tardivement qu'on était des survivants.
01:34On a été emmenés au poste de police par des policiers,
01:41et c'est le commissaire de police du dixième qui nous a renvoyés.
01:47Donc mon frère a dit que c'était parce que les camions étaient pleins,
01:52et ma mère a dit que c'est parce qu'on était français.
01:55Oui, c'est ce que vous lui faites dire.
01:57Alors votre mère, elle s'appelait Suzanne,
02:01et vous écrivez que vous ne l'appeliez jamais Suzanne, ni même maman,
02:04n'ayant jamais à l'appeler réellement, puisqu'elle était toujours là pour moi, pour nous,
02:08c'est-à-dire votre frère.
02:10Quand on la retrouve, c'est-à-dire après guerre.
02:14Vous vous naissez en 1939, votre père est déporté et mourra en déportation,
02:20ce qu'on saura des années plus tard,
02:23et votre mère vous envoie en zone libre en 1942,
02:27et vous la retrouvez en 1945.
02:29Et vous racontez d'ailleurs dans une scène assez cocasse
02:31que vous vous retournez dans l'immeuble familial,
02:34que vous êtes la main dans la main avec votre frère,
02:36et vous ne la reconnaissez pas votre mère.
02:39Oui.
02:40Puisque vous étiez un petit bout de chou lorsque vous êtes partis en zone libre.
02:44Et surtout sa voix.
02:46Parce que dans le Midi, on avait eu des voix qui n'étaient pas les voix de Parigote,
02:53et elle parlait comme Arletty.
02:55Alors elle me faisait mourir de rire.
02:58Je me souviens même, au bout de deux mois de vacances,
03:00quand je rentrais, d'entendre sa voix, j'en pissais dans mes culottes.
03:07Elle était drôle, pour moi.
03:09Oui, elle avait l'air d'être un sacré personnage.
03:12Il y avait votre père qui n'était pas revenu de Caen, mais on ne le savait pas.
03:19Mais elle ne parlait pas vraiment après la guerre.
03:22Elle parlait de ça.
03:23On ne parlait pas de la déportation, de la Shoah, des Caens.
03:26Ça ne s'appelait pas la Shoah.
03:28Ça ne s'appelait pas la Shoah et elle disait ça.
03:30Ça n'avait pas de nom.
03:32Ça voulait dire ce qui s'était passé.
03:38Et peut-être que c'était un bout du plus jamais ça.
03:41C'est une femme qui a, comme beaucoup de familles juives,
03:48sa famille venait de l'Est, de l'Europe de l'Est.
03:50Elle a connu deux guerres mondiales,
03:52et la première guerre mondiale a eu beaucoup de conséquences pour elle.
03:56Et d'ailleurs, vous racontez, c'est ça qui est intéressant,
03:58que vous, vous avez vécu aussi,
04:00avec le souvenir de la première guerre mondiale très présent,
04:03avec des professeurs qui manquaient un bras, avec un voisin gueule cassé.
04:08On ne parlait pas de la seconde guerre mondiale,
04:10mais on voyait les effets dans nos vies,
04:14les survivants de la première.
04:17Le Dirlo, il avait un bras en moins.
04:19Le prof de maths, il avait une jambe en bois
04:24qui s'était fait transformer pour nous en jambes en caoutchouc.
04:28Donc on craignait qu'il nous donne des coups de pied et que ça rebondisse.
04:33Et on se posait vraiment la question,
04:40est-ce qu'il faut qu'on se fasse couper un bras pour devenir Guardian Squire ?
04:44Ce que vous racontez drôlement dans le livre.
04:49Et puis il y avait les gueules cassées.
04:51Et les gueules cassées, vous aviez un voisin gueule cassé.
04:54Et votre mère a subi les conséquences de cette guerre,
04:58puisqu'elle n'a pas pu apprendre à lire et à écrire.
05:00Ce que vous racontez, c'est assez touchant,
05:02puisque c'est un livre que c'était pour elle obligatoirement une honte,
05:05qu'elle a surmonté d'ailleurs après, puisqu'elle a appris à lire.
05:08Oui, mais ça a été un handicap terrible.
05:12Parce qu'ils étaient dans un camp, en fait.
05:19Ils étaient revenus dans un camp de la Première Guerre mondiale,
05:21et il y a toute l'histoire autour de l'existence de camps.
05:25Les originaires des pays ennemis se sont retrouvés dans des camps,
05:33comme avant la Seconde Guerre mondiale.
05:37Et puis après, sa mère, elle et ses deux frères,
05:43ont été renvoyés dans la ville natale de ses parents.
05:49Ils étaient brodés en Galicie.
05:53Vous racontez tout cela avec beaucoup de...
05:58Ce n'est pas un livre triste, en fait.
06:00Pourtant, ça vous a traversé des périodes ô combien difficiles.
06:05Mais d'ailleurs, vous dites juste à un moment,
06:07et on terminera là-dessus, que malgré tout,
06:09vous avez eu une enfance plutôt heureuse.
06:11Oui, et que j'en ai honte.
06:14Et en même temps, j'en suis fier.
06:16Et que vous en êtes fier en même temps.
06:18En tout cas, c'est un très joli livre. Je vous conseille de le lire.
06:21Ça s'appelle « Quand la terre était plate, c'est paru au seuil ».
06:23Merci, Jean-Claude Grimbert.
06:25Merci à vous.