Anne Fulda reçoit Bernard-Henri Lévy pour son livre «Nuit blanche» dans #HDLivres
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00:00Bienvenue à l'Heure des Livres, Bernard-Henri Lévy.
00:03On est très contents de vous recevoir dans cette émission.
00:06On n'a pas trop besoin de vous présenter.
00:08Depuis la barbarie à visage humain,
00:10on sait que vous êtes un homme concerné par beaucoup de sujets.
00:13Vous êtes devenu une figure du monde littéraire
00:17et intellectuel incontournable.
00:19Vous venez de publier La nuit blanche, chez Grasset.
00:22C'est un livre singulier qui aborde,
00:24avec humour et des pointes de mélancolie,
00:27un combat intime que vous menez depuis des années,
00:29un combat contre l'insomnie.
00:30L'occasion, à travers ce voyage qui anime vos nuits,
00:35de vous livrer, comme vous l'avez rarement fait,
00:37non seulement pour expliquer comment vous tentez,
00:40à l'aide de médicaments divers et variés,
00:43d'aller contre ce mal,
00:45mais aussi avec une forme de monologue.
00:48Pourquoi avez-vous décidé aujourd'hui d'être moins pudique que d'habitude,
00:52contrairement à ce que les gens pensent de vous ?
00:54Vous êtes quelqu'un de pudique, finalement.
00:56Oui, c'est vrai.
00:58Et c'est vrai que je n'ai jamais parlé de moi dans mes livres.
01:01C'est, je crois, mon 50e livre, et je n'ai jamais...
01:06Et puis là, j'en sais rien.
01:07Peut-être parce que j'arrive à un âge
01:09où il est recommandé de commencer de livrer sa part de vérité.
01:15Peut-être parce que j'avais envie aussi de parler d'autres que moi.
01:19Il y a des portraits dans ce livre.
01:22J'évoque ou je...
01:24J'esquisse le portrait de femmes et d'hommes
01:28qui ont beaucoup compté pour moi,
01:30parce que j'avais peut-être envie de parler de mes parents,
01:33de mon enfant, ce que sais-je.
01:34Ce que vous faites, alors...
01:36Je ne dirais pas que vos nuits sont plus belles que vos jours,
01:39pour faire référence à un livre bien connu.
01:41En tout cas, elles sont peuplées de personnes qui vous hantent.
01:44Alors, soit vous évoquez des personnes qui ont disparu.
01:47Est-ce que ça voudrait dire que le sommeil s'approche un peu
01:50de la mort, des ténèbres ?
01:51C'est pour ça que vous ne voulez pas y plonger ?
01:53Je crois, oui.
01:55Une forme d'angoisse.
01:56Je crois que la vraie angoisse de l'insomniac,
01:58la vraie raison...
01:59Il y a deux raisons pour lesquelles on est insomniac.
02:01Première raison, c'est qu'on est un maniaque du contrôle.
02:05On n'arrive pas à perdre le contrôle, à lâcher prise.
02:08Mais la deuxième raison, c'est la peur de la mort, évidemment.
02:11C'est...
02:15Il y a...
02:17Moi, quand j'étais enfant, je me souviens, j'étais déjà...
02:20J'étais déjà atteint par cette pathologie
02:23et j'avais cette hantise-là, l'idée que j'allais tomber
02:27dans la nuit et que je ne pourrais pas...
02:29Et que j'en reviendrai pas.
02:31Je me rappelle, j'avais une grand-mère,
02:33dont je me souviens...
02:37Je ne sais pas, elle est morte centenaire,
02:39donc très, très âgée.
02:40Elle parlait mal le français, elle parlait le ladino.
02:44Elle était belle, elle avait des très, très longs cheveux
02:47que je n'ai jamais vus que nouer et qu'elle n'avait sans doute
02:50jamais coupés, et elle avait une phrase,
02:52elle disait, je tombe de sommeil.
02:54Et cette phrase, et elle allait se coucher,
02:57me plongeait dans des abîmes d'angoisse.
03:00Parce que j'imaginais ma petite grand-mère,
03:03toute fragile, presque centenaire,
03:05enfin, à l'époque, elle avait 80 ans,
03:07mais tombant littéralement, une fois que sa porte serait fermée,
03:10dans le grand trou noir du sommeil,
03:13et je la voyais, et ça hantait mes nuits,
03:14je la voyais avec ses cheveux défaits,
03:16flottant dans l'abîme,
03:19et cette phrase-là me terrifiait.
03:21Alors, vous évoquez vos amis d'aujourd'hui,
03:24Jean-Paul Einthoven,
03:26Gilles Herzog, évidemment,
03:29mais aussi ceux d'hier, il y a P, qui est pour Paul Gilbert,
03:32il y a les trois F, les trois Françoises,
03:35Sagan, Duras, Giroud, Duras que...
03:37Et Verni.
03:38Oui, et Verni.
03:40Les deux Françoises de ma vie,
03:42c'est Françoise Giroud et Françoise Verni.
03:44Françoise Verni, qui était cette éditrice
03:47dont je raconte comment elle débrouillait les écrivains
03:52sans vraiment lire leur manuscrit,
03:54et Françoise Giroud,
03:57que j'ai vraiment aimée tendrement
04:00à l'époque de son mariage avec Alex Graal,
04:02qui était une femme magnifique,
04:04une grande féministe, une immense journaliste,
04:08et voilà, une grande amie.
04:10Donc, ces deux Françoises-là,
04:11elles sont très évoquées dans le livre, bien sûr.
04:15Vous évoquez aussi Marguerite Duras,
04:17papa de Françoise, évidemment, la pitié de la rue St-Menoua.
04:20Il y a aussi des visages inconnus que vous évoquez,
04:22ceux de la guerre, des visages qui vous hantent.
04:25Et puis, il y a une personne dont vous n'avez jamais parlé,
04:29c'est celle de votre père, ou très peu,
04:32dont vous parlez avec émotion.
04:36Il demeure un exemple.
04:38Ah oui.
04:39Je crois qu'il était vraiment exemplaire
04:41d'abord.
04:42Engagé en Espagne, dans les rangs républicains,
04:45à 18 ans.
04:46Brigade internationale, engagé volontaire en 39,
04:49puis armée d'Afrique,
04:51puis héros et décoré par le général Diego Brocé
04:56à la bataille de Monte Cassino.
04:58Et c'est cet homme-là, donc mon père, André Lévy,
05:00qui, dans les moments de doute
05:03ou les moments d'engagement aussi,
05:05qui m'inspire et qui, d'une certaine manière,
05:10je ne sais pas, m'appelle.
05:11Et en effet, c'est à la fin du livre,
05:14à la fin de cette nuit d'insomnie,
05:18il surgit, là, au pied de mon lit,
05:21et il vient s'adresser à moi,
05:23il vient me demander des nouvelles
05:25des uns et des autres,
05:27et il vient m'exhorter à être encore mieux,
05:31enfin, à être mieux que ce que j'essaie d'être.
05:35Il est très présent dans le livre.
05:37On n'a pas le temps de parler de tout,
05:38mais vous évoquez aussi A, A, c'est Ariel Dambal,
05:41vous évoquez aussi les personnalités
05:44qui ont pu compter politiquement, comme Béni Lévy.
05:47Vous évoquez l'extrême-gauche d'aujourd'hui,
05:50que vous vomissez, surtout sa figure...
05:54Il y a une telle différence de niveau.
05:56Béni Lévy, c'est surtout un grand intellectuel.
06:00Et c'était, en effet, l'un des inventeurs
06:03de l'extrême-gauche française.
06:05Et quand vous comparez ce qu'était Béni Lévy,
06:07cette immense aristocratie intellectuelle
06:11qu'il incarnait,
06:12avec ce qu'est devenu l'extrême-gauche,
06:14et qui est devenu si misérable,
06:18en effet, vous avez presque la nostalgie
06:21de cette extrême-gauche de jadis,
06:23qui, au moins, avait des principes
06:25qui ne transigeaient pas avec, par exemple, l'antisémitisme.
06:29Dernière question, rapidement.
06:32Finalement, lutter contre le sommeil, être en éveil,
06:35c'est votre manière, à vous, d'être woke, awake, réveillé ?
06:40Vous savez, c'est un autre philosophe,
06:42Emmanuel Lévinas, qui disait qu'il y avait
06:45un devoir d'insomnie,
06:47qu'au fond, l'éthique, la morale,
06:49c'était peut-être d'être le plus éveillé possible,
06:53et que l'insomniac était peut-être la figure absolue
06:58de celui qui reste ouvert à autrui,
07:02accueillant au visage d'autrui,
07:04et, par conséquent, vigilant.
07:07Oui, la vigilance est une vertu morale, je crois,
07:10mais la vraie vigilance, pas celle des woke,
07:12qui sont éveillés à rien du tout, qui sont des endormis,
07:15mais cette vigilance-là, celle dont parle Lévinas,
07:18telle que je l'évoque dans mon livre,
07:20en effet, je crois que c'est une vertu de l'âme.
07:22En tout cas, merci, Bernard-Henri Lévis.
07:25Vous conseillez ce livre,
07:26Nuit blanche, par Ruchet Grasset.
07:28C'est un très beau livre, très bien écrit,
07:30plus personnel que d'habitude,
07:31et non dénué d'humour et profondeur.
07:34Merci.
07:35Merci à vous.