Anne Fulda reçoit Olivier Babeau pour son livre «L’ère de la flemme» dans #HDLivres
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00:00Bienvenue à L'Heure des Livres, Olivier Babaud.
00:02Merci de votre invitation.
00:04Alors on est ravis de vous recevoir, vous êtes professeur d'université,
00:07vous êtes président fondateur de l'Institut Sapiens,
00:10qui est un laboratoire d'idées dédié à la place de l'être humain
00:13dans le monde technologique.
00:15D'ailleurs, votre précédent livre s'appelait La tyrannie du divertissement.
00:19Et là, vous venez de publier L'ère de la flemme,
00:21un livre qui est paru aux éditions Bucher-Chastel
00:24et un livre vraiment éclairant à lire pour tous,
00:27les petits et les grands, oserais-je dire.
00:29Votre constat est effectivement sans appel,
00:31notre société est frappée par un mal terrible, la flemme.
00:35On aurait fabriqué des générations de paresseux
00:39qui ne prospèrent pas uniquement dans le monde professionnel.
00:43Selon vous, ce mal marque une véritable rupture civilisationnelle.
00:49Pourquoi ?
00:50Oui, je n'ai pas le goût pour le déclin spécialement,
00:52ça ne m'excite pas spécialement de montrer que les choses se cassent
00:56et pourtant, il y a quand même un faisceau d'indices
00:58que j'essaie d'en montrer dans le livre,
01:00qui tend à montrer que les jeunes,
01:03mais aussi les plus anciens,
01:05mais c'est vrai que c'est beaucoup les jeunes,
01:07ont un rapport qui est brisé à l'effort.
01:09Or, ce rapport à l'effort, il était plurimillénaire.
01:13C'est-à-dire que l'humanité s'était construite dans l'effort.
01:16L'effort, c'est quoi ?
01:17C'est la mise à distance du plaisir immédiat.
01:19L'effort, c'est ce que ton moi de demain
01:21aurait envie que ton moi d'aujourd'hui fasse.
01:24Et ça, on a beaucoup plus de mal
01:26pour plein de raisons que je détaille dans le livre.
01:28Alors, ce que vous dites dans le livre notamment,
01:30c'est qu'on a perdu notamment la notion du temps long.
01:33On souhaite un plaisir, mais pas qu'un plaisir,
01:36des résultats immédiats.
01:38Et surtout, on a perdu ce sens de l'effort.
01:42Vous écrivez, l'effort n'intéresse plus,
01:43il n'est plus donné en exemple,
01:44ni inscrit au nombre des valeurs qui comptent.
01:47On lui préfère les vertus égalitaristes
01:48de l'humilité et de la passivité.
01:50On ne salue plus le héros, mais la victime.
01:52Comment aller contre ce courant
01:54qui n'est pas encore majoritaire,
01:56mais qui tend à l'être, à le devenir ?
01:58C'est un état d'esprit qui est assez terrifiant.
02:00C'est Madame Pietragala,
02:01qui est une ancienne grande danseuse étoile
02:04et qui raconte son incompréhension,
02:05sa difficulté face aux jeunes
02:07qui veulent tout tout de suite,
02:08qui pensent qu'ils vont pouvoir devenir tout tout de suite
02:10alors que, dit-elle,
02:11on met une vie à apprendre à danser.
02:13Et cette éthique de la vie de travail
02:16où on va sans cesse remettre sur le métier,
02:18progresser, ne jamais être satisfait,
02:21c'est comme si elle avait disparu dans une civilisation
02:23où sans doute à cause des technologies,
02:25on a des choses qui sont données tout de suite,
02:27au bout du doigt.
02:28Le plaisir immédiat est comme jamais à disposition.
02:32Et donc ça, ça change la façon dont notre cerveau fonctionne.
02:35Ce n'est pas une accusation des jeunes.
02:36Je dis que c'est très dur pour un jeune aujourd'hui
02:38parce que vous êtes dans un monde trop facile.
02:40Voilà, paradoxalement.
02:41Une forme de discipline.
02:42Voilà, nos grands-parents avaient d'autres contraintes.
02:44Ils avaient des vies difficiles, d'autres contraintes.
02:46Et ils devaient surmonter les contraintes.
02:47Et leur vie, c'était ça.
02:48Aujourd'hui, il faut surmonter la facilité.
02:50Et en fait, paradoxalement, c'est beaucoup plus difficile.
02:53Bien sûr.
02:54Vous écrivez notamment que la vidéo a remplacé la lecture.
02:56La livraison a remplacé la sortie.
02:59L'écran a remplacé les rencontres.
03:01Alors vous expliquez cette tendance de plusieurs façons,
03:05notamment par la désindustrialisation
03:09qui a touché surtout les pays occidentaux.
03:12Et vous écrivez à un moment,
03:15la logique industrielle du produit a effacé la logique artisanale de l'œuvre.
03:19Alors soit, mais on ne peut pas imposer cette logique artisanale partout.
03:23Alors comment faire ?
03:24C'est vrai que c'est difficile de redonner le goût du travail.
03:28D'ailleurs, ce n'est pas spécialement ce pour quoi je milite.
03:31Mais quand vous êtes dans des entreprises
03:33où se sont multipliées, comme a dit Grébert le sociologue,
03:37les bullshit jobs,
03:38donc des jobs où vous n'êtes pas en contact avec le client,
03:40vous n'êtes pas non plus en état décisionnaire et stratège,
03:43donc vous ne savez pas très bien à quoi vous servez,
03:45il est légitime que vous vous éloigniez du travail.
03:47Puis il y a plein d'autres choses qui participent.
03:49La fin des grandes morales du devoir,
03:50qui était la religion, la patrie,
03:52qui faisait que votre vie avait un sens.
03:54Son sens, c'était la fidélité à ce qu'on exigeait de vous,
03:59à la mission qu'on vous avait donnée.
04:00Dans un monde qui vous rend libre,
04:02la seule chose qui va maintenant justifier une existence,
04:05c'est l'hédonisme, le plaisir en grec,
04:07c'est-à-dire la somme des bons moments que vous allez passer
04:10et que vous allez en général, d'ailleurs, mettre sur Instagram.
04:13Et évidemment, ça peut créer, paradoxalement,
04:17des existences assez vides,
04:19parce que ces bons moments, ça peut être du plaisir à court terme,
04:22très peu intéressant.
04:23C'est Aldous Huxley qui explique qu'il y a quand même des plaisirs,
04:26celui des meilleurs des mondes, bien sûr,
04:28qui explique qu'il y a quand même,
04:29dans un petit essai qui s'appelle Pleasures,
04:31et il dit qu'il faut faire très attention
04:33parce qu'il y a des plaisirs haut de gamme
04:34et des plaisirs bas de gamme.
04:35Ça, c'est quelque chose qu'on a du mal à dire aujourd'hui
04:37par une forme de relativisme, là encore,
04:39démocratique, égalitariste.
04:41C'est quand même fou que le mot élitisme
04:42soit devenu péjoratif quand on y pense.
04:44Oui, et proportion par le mérite.
04:47Exactement, c'était l'idée des meilleurs,
04:49mais au sens antique.
04:50Aristoïe, c'est les meilleurs qui vont être promus
04:53par la reconnaissance de leur mérite.
04:54De leur travail aussi.
04:55Et en fait, pour plein de raisons, on ne veut plus voir ça
04:57parce qu'on ne veut ni voir qu'un piège bourgeois, n'est-ce pas ?
05:00Alors, la question, c'est comment sortir
05:04de cette spirale assez mortifère
05:05et qui touche quand même surtout les pays occidentaux.
05:08C'est ça qui est frappant.
05:09Avant tout, d'autres civilisations
05:10sont dans des moments complètement différents.
05:12Ils ne sont pas assez habitués au confort.
05:14Ils n'ont pas eu le temps d'en être complètement blasés.
05:17Nous, on l'est complètement dans une société de post-consommation
05:20où on ne veut pas renoncer à la consommation,
05:22mais où on prend son confort comme acquis pour toujours
05:25et comme normal, et on ne voit plus le rapport
05:27entre le travail qu'il y aurait à fournir,
05:29comme nos parents ou nos grands-parents
05:31durant les Trente Glorieuses, et le résultat.
05:34La première des choses, c'est sans doute prise de conscience.
05:37Et ensuite, moi, je suis très optimiste paradoxalement
05:40puisque les gens se rendent compte aujourd'hui
05:42de l'effet des technologies,
05:43parce que ça accélère beaucoup cet élément, sur nos vies.
05:46Et donc, ils sont capables, y compris chez les plus jeunes,
05:48de dire, finalement, les écrans,
05:50il faut peut-être que j'en ai une gestion différente.
05:52Et puis, même l'idée de défi.
05:54Il y a un grand YouTubeur qui s'est donné comme défi
05:56d'aller monter l'Everest.
05:57Il paraît que ça a donné à plein de gens l'idée,
05:59mais c'est vrai que la vie, c'est quand même beaucoup mieux,
06:01plutôt que d'être son canapé, de se fixer des défis.
06:03Les défis, ça peut être des défis familiaux,
06:05professionnels, artistiques, sportifs, évidemment.
06:08Et je crois quand même qu'il y a beaucoup de gens,
06:10mais malheureusement pas tous,
06:11qui se rendent compte que la vraie vie, c'est ça.
06:13En tout cas, vraiment, je vous conseille de lire ce livre
06:15qui est passionnant.
06:16Ça s'appelle L'ère de la flemme.
06:18Merci, Olivier Babou.
06:19C'est paru chez Buch et Chastel.
06:21Merci beaucoup.