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Anne Fulda reçoit François Sureau pour son livre «S’en aller» dans #HDLivres

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Transcription
00:00 Bienvenue à l'heure des livres, François Sureau.
00:03 Merci de me recevoir.
00:05 Nous sommes ravis de vous recevoir.
00:07 Difficile de vous présenter, vous êtes membre de l'Académie française,
00:10 mais ce n'est pas la seule chose qui vous définit.
00:12 Vous êtes écrivain, évidemment, avant tout, vous avez été avocat.
00:15 Vous êtes défenseur des libertés publiques, fan à Milly aussi.
00:19 On s'arrêtera là, personnage complexe.
00:21 Et vous venez de publier, il est intéressant, "Sans aller",
00:25 un livre qui est paru chez Gallimard, un livre comme une balade, érudite, très érudite.
00:32 On est même parfois étourdi par cette érudition.
00:36 Il ne faut pas se laisser arrêter.
00:39 C'est comme dans les romans du XIXe ou même, vous voyez, Ercman, Chatrion,
00:44 ou même parfois Alexandre Dumas ou Balzac,
00:47 où de temps en temps on bute sur la description d'un pied de chaise.
00:50 On n'est pas obligé d'aller jusqu'au bout de la description d'un pied de chaise.
00:52 On peut passer à la page suivante. L'essentiel, c'est de suivre le mouvement.
00:55 Et avec aussi des touches plus personnelles,
00:59 qu'on sent plus sincères et éclairantes.
01:05 Alors, vous nous entraînez dans le sillage d'aventuriers et d'explorateurs,
01:09 certains très connus, d'autres moins.
01:11 Vous écrivez "Ma vie, si pleine comme celle de tous les paresseux, si vaine aussi,
01:15 ne m'aurait pas été si favorable si je ne m'étais mis à l'école des voyageurs".
01:19 Au fond, pourquoi s'en aller, finalement ?
01:23 - En fait, ce que j'ai découvert en écrivant ce livre,
01:26 et en écrivant sur des auteurs qui m'avaient marqué,
01:28 certains très connus et d'autres pas connus du tout,
01:31 c'est qu'en fait, on s'en allait parce qu'on n'était déjà pas là.
01:33 On n'est déjà pas là au moment où on s'en va.
01:35 C'est le rimbaud, vous voyez, ma vraie vie est absente,
01:38 tout ce genre de choses.
01:39 Et la plupart des auteurs dont je parle, en tant qu'homme, avec moi, si je puis dire,
01:43 de ne pas avoir été là depuis le début de leur vie,
01:46 de ne pas avoir été totalement là.
01:48 D'avoir senti ou pressenti qu'il y avait une espèce d'au-delà des choses.
01:53 Et d'avoir été un pied dans ce monde, un pied dans l'autre.
01:58 Je crois que c'est aussi le sort commun.
01:59 Je crois qu'on est très très nombreux à être comme ça, en fait.
02:02 Mais que peu de gens donnent à ce sentiment une expression littéraire.
02:05 Pour les gens qui sont affligés de cette espèce de malédiction, au fond...
02:09 - Henri et Kel, des gens très respectables, puisque vous citez Hugo,
02:12 Breton, Nabokov, entre autres, Kessel.
02:15 - Mais même Hugo, Kessel, Nabokov, même des personnages historiques,
02:21 comme Gordon, même Laurence d'Arabie, les Philby, Périfis, les deux espions.
02:27 J'ai toujours soupçonné que même l'immense général de Gaulle était là sans être là.
02:31 Qu'il y avait chez lui un côté triste, un côté cyclotimique,
02:35 un côté dépressif, un côté...
02:37 Voilà, ce que tout le monde sait.
02:39 Les grands sont comme ça, Clémenceau était comme ça, Disraeli était comme ça.
02:41 Beaucoup d'écrivains sont comme ça.
02:43 Et en fait, pour ces gens-là, le voyage, prenons les écrivains par exemple,
02:48 le voyage, la décision de partir en voyage, ne consiste pas à penser
02:52 que quand on sera de l'autre côté du voyage, par exemple quand on sera arrivé,
02:56 on trouvera enfin ce qui nous avait manqué ici.
02:59 Pas du tout.
03:01 Parce qu'on n'est pas suffisamment bête pour croire que ça sera très différent
03:04 à Vladivostok de ce que c'est à Paris.
03:07 Mais en réalité, se mettre en voyage, se mettre en route,
03:11 c'est conformer une partie de sa destinée terrestre
03:14 à ce sentiment d'étrangeté qu'on sent lorsqu'on est là.
03:17 - Oui, c'est ce que j'allais vous dire.
03:19 Vous parlez effectivement de ce sentiment d'étrangeté.
03:21 Ce n'est pas du tout donc une fuite, une espèce de...
03:23 Vous n'êtes pas une espèce d'antimoderne qui fuirait l'époque qu'il déteste.
03:28 En fait, vous ne la détestez pas.
03:30 - Pas du tout, je ne la déteste pas, j'aime bien l'époque.
03:32 Je mourrais disciple d'Apollinaire,
03:36 un homme qui était à la fois féministe et cocardier,
03:40 patriote et moderne,
03:43 qui aimait à la fois Clémenceau et Picasso,
03:48 qui aimait tous les prestiges du monde moderne,
03:51 l'aviation, l'automobile,
03:54 et qui en même temps passait sa vie dans les légendes anciennes.
03:59 La plus belle description que je connaisse de la légende du Juif Férent
04:02 a été donnée par Apollinaire dans "Le Passant de Prague"
04:04 et c'est un véritable chef-d'œuvre.
04:06 Et c'est le même homme qui aimait l'aviation,
04:09 recréant en Suisse, comme ça, avec cet état d'esprit qui était le sien,
04:13 recréant ce personnage énigmatique que j'ai toujours beaucoup aimé
04:17 et qui m'a inspiré pour ce livre d'ailleurs,
04:19 qui est un personnage des contes d'Europe centrale
04:21 qui en Yiddish s'appelle le "Luftmensch", l'homme de l'air,
04:25 et qui a été décrit dans un très très beau tableau de Chagall
04:29 où on voit une espèce de personnage beaucoup plus grand
04:32 que les maisons traversées, les maisons de travers avec un sac sur l'épaule.
04:37 Les gens qui sont dans cette conformation d'esprit
04:42 ne pensent pas que c'était mieux avant,
04:44 ils ne pensent pas non plus que ça sera mieux demain,
04:46 ce ne sont ni des anti-modernes, ni des progressistes.
04:50 Ils essayent de s'arranger avec ce qui leur plaît, leur déplait,
04:53 dans le moment où ils sont en train de traverser la vie.
04:55 - Et vous qui avez toujours voulu être écrivain,
04:58 et pour qui la littérature est sacrée,
05:00 vous ne trouvez pas de quoi vous nourrir dans la littérature,
05:04 dans une forme d'exil intérieur en fait ?
05:06 - Ça c'est une vraie question, c'est-à-dire que, comment dire ça ?
05:11 Il y a... je vais essayer d'exprimer ça de manière précise.
05:17 La littérature n'est pas si importante pour moi.
05:20 Elle est tout, elle est absolument tout.
05:24 Mais elle n'est pas si importante pour moi,
05:26 c'est-à-dire que je ne pense pas que le monde soit fait pour parvenir à un beau livre.
05:29 Je vois la littérature, et c'est aussi le cas des écrivains dont je parle,
05:33 comme les copeaux que l'intelligence d'un homme ou d'une femme
05:41 qui ont décidé d'écrire ont provoqué en passant leur conscience sur le bois de la vie.
05:47 Il en tombe des livres, et c'est ces livres que j'aime.
05:50 - C'est joliment dit.
05:51 Alors dernière question, lors de votre discours de réception,
05:54 vous avez chanté, comme le rappelait Etienne de Montaity,
05:57 mais il a fallu, je ne le chante pas, il a fallu qu'il y aille,
06:00 mais il a voulu y aller, partir de l'Académie française,
06:03 ça ne vous a jamais effleuré ?
06:04 - Si, si, bien sûr, tous les jeudis.
06:06 - En tout cas, merci beaucoup.
06:09 Je vous conseille de lire "S'en aller", c'est un très beau livre.
06:13 Et les réunitions, et là, on en a besoin finalement.
06:17 C'est donc paru chez Gallimard.
06:18 Merci François Surault.
06:19 - Merci.
06:20 - Merci.
06:21 [Musique]
06:24 [SILENCE]

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