Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Europe Un Soir, 19h21, Stéphanie Demureux.
00:04Quatre heures de réunion au total, des pourparlers russos-américains ont été organisés aujourd'hui en Arabie Saoudite,
00:11les premiers à ce niveau depuis le début de l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022.
00:17Sans les Européens, sans Volodymyr Zelensky qui demande des pourparlers équitables,
00:21on va en parler dans quelques instants avec nos chroniqueurs de la première heure,
00:24Jules Torres, bonsoir.
00:26Bonsoir Stéphanie.
00:27Vincent Roy également, bonsoir Vincent.
00:29Bonsoir Stéphanie.
00:30On est aussi avec Pierre Lelouch, l'ancien secrétaire d'Etat aux affaires étrangères,
00:34auteur du livre « Engrenage, la guerre d'Ukraine et le basculement du monde » aux éditions Odile Jacob.
00:39Bonsoir Pierre Lelouch.
00:40Bonsoir à vous madame.
00:42Oui, avant de vous poser la première question, je vais vous faire écouter ce qu'on dit Sergei Lavrov,
00:48ministre russe des affaires étrangères et le secrétaire d'Etat américain Marco Rubio à l'issue de cette réunion de quatre heures.
00:55Pour éviter que l'établissement des relations entre la Russie et les Etats-Unis ne soit torpillé,
01:02il est nécessaire de les rétablir, ce que nous avons fait aujourd'hui est franchement non sans succès.
01:08La conversation a été je pense très utile, nous ne nous sommes pas contentés d'écouter, nous nous sommes entendus,
01:16et j'ai des raisons de croire que la partie américaine a mieux compris notre position.
01:22Je pense qu'en fin de compte la diplomatie est basée sur des actions, elle est basée sur des engagements qui sont tenus,
01:28je suis en partie aujourd'hui convaincu que la Russie est prête à s'engager dans un processus sérieux visant à déterminer comment,
01:35avec quelle rapidité et par quel mécanisme il est possible de mettre un terme à cette guerre.
01:39La possibilité de parvenir à ce résultat dépendra évidemment de la volonté de chaque parti d'accepter certaines choses.
01:47Pierre Lelouch, j'ai des raisons de penser que les Américains ont commencé à mieux comprendre nos positions,
01:51ça sonne comme un véritable camouflet à l'endroit des Européens ?
01:55Ça sonne comme un accord sur le dos des Européens et des Ukrainiens bien sûr.
02:02Quand Lavrov dit qu'il a eu le sentiment d'avoir été non seulement écouté mais entendu,
02:08ça veut dire que les relations américano-russes vont repartir sur une toute autre base que celle sous Biden.
02:19L'homme d'affaires qui contrôle le fonds de pension russe que Poutine a envoyé à Ryad,
02:30qui est un très proche, a dit que les Américains allaient pouvoir gagner 300 milliards d'euros en Russie.
02:40Les relations allaient pouvoir redémarrer, les compagnies pétrolières américaines sont les bienvenues,
02:45donc voilà, on est reparti pour un tour.
02:49Et les Européens qui avaient suivi aveuglément Biden dans cette guerre par procuration contre la Russie doivent se mordre les doigts
02:57parce que nous on a perdu des dizaines de milliards d'euros en Russie, on a fermé nos entreprises,
03:03on a renoncé aux gaz brusques pour acheter du gaz américain qu'elle soit plus cher.
03:08Les dindons d'affaires.
03:10Les dindons, oui, pour être poli, j'allais dire les coculs de l'opération.
03:14C'est ça qui se passe aujourd'hui et de façon très spectaculaire
03:18parce que je rappelle qu'on n'est même pas à un mois de l'investiture de Trump, le 20 janvier dernier,
03:23on n'est pas le 20 février, que Trump a parlé à Poutine le 12 février.
03:29Donc en six jours, on a eu droit à la réconciliation américaine aux Russes,
03:34au camouflet du vice-président américain qui a donné une leçon de démocratie aux Européens pendant le week-end
03:41et à l'arrivée des deux délégations à Riyad dès lundi pour un accord dès mardi, voilà.
03:47Et manifestement avec une levée des sanctions à la clé si on lit entre les lignes.
03:52Bien sûr, levée des sanctions, redémarrage des relations économiques,
03:56bref, le pire des scénarios qui est d'ailleurs dans mon livre, j'avais absolument prévu tout ça.
04:02Les dirigeants européens que j'appelle dans le livre les sommes d'ambules
04:09payent au prix fort aujourd'hui leurs erreurs successives.
04:14La première, ça a été de considérer que les Américains seraient là pour toujours
04:18alors que depuis 20 ans, depuis Obama, les Européens partent d'Europe un peu sur la pointe des pieds
04:29mais peu à peu ils pivotent vers l'Asie qui est leur problème principal.
04:34Ils ne s'en sont pas cachés mais nous on n'a pas voulu croire ça.
04:37Ils payent aussi le fait d'avoir suivi aveuglément Biden à partir du mois d'avril 2022
04:43dans ce conflit avec la Russie, guerre par procuration,
04:49dans laquelle on a mis plus de 150 milliards d'euros,
04:52en fermant encore une fois tous nos investissements en Russie.
04:56Tout ça en ignorant aussi autre erreur qu'à partir du mois de juin 2023
05:03après l'échec de l'offensive ukrainienne qu'il était devenu impossible
05:08pour les Ukrainiens de regagner militairement leur territoire
05:11qu'il fallait à un moment ou à un autre négocier.
05:14A aucun moment cette option n'a été retenue.
05:17Et au final on se retrouve avec la pire des situations possibles.
05:20A savoir que l'Ukraine qui était convaincue qu'elle allait rentrer dans l'OTAN
05:25ne rentre pas dans l'OTAN.
05:27Ni Biden ni Trump ne veulent de l'Ukraine dans l'OTAN.
05:30Éventuellement dans l'Union Européenne.
05:33L'Union Européenne ça s'était acté par les Russes dès le mois d'avril 2022
05:37puisqu'il y avait eu des négociations qui n'ont pas porté leurs fruits
05:42parce qu'on ne s'en est pas occupé à l'époque.
05:44Les Russes et les Américains vont laisser les Européens s'occuper
05:50de la reconstruction de ce malheureux pays.
05:52Il y en a pour au minimum 700 milliards d'euros qu'on n'a pas.
05:56Il va falloir gérer la question de la sécurité de ce pays.
06:01Les Américains ont prévenu qu'ils ne s'en occuperaient pas
06:04et que si les Européens veulent intervenir en Ukraine
06:07ce sera sans eux dans l'article 5.
06:10Vincent Roy veut vous poser une question.
06:12Oui bonsoir Pierre Lelouch.
06:14Bonsoir Vincent.
06:16Il y a quelque chose que je ne comprends pas bien
06:18puisque vous venez de l'expliquer très bien.
06:20Évidemment il y a ce qui s'est passé avec une possibilité de dialogue
06:26voire même le début du début du début d'un accord entre les Américains et les Russes
06:31et puis à Paris une grande réunion sur la sécurité organisée par Emmanuel Macron
06:36où là je les trouve tous relativement vates en guerre.
06:41On nous parle d'un 16ème train de sanctions contre la Russie.
06:44Les Anglais disent vouloir envoyer des hommes en Ukraine.
06:47Enfin c'est deux discours finalement extrêmement contradictoires.
06:50Deux salles, deux ambiances.
06:52La réunion de l'Elysée c'était une réunion de panique.
06:56Après ce week-end épouvantable où Vance a dit ce qu'il a dit
06:59et Trump a dit ce qu'il a dit et le ministre de la Défense américain aussi.
07:02Donc réunion de panique pour essayer de savoir comment on fait.
07:05Comment on fait pour d'abord obtenir ne serait-ce qu'un strapentin à la table d'une négociation
07:11parce que la paix en Ukraine c'est aussi la sécurité de toute l'Europe.
07:15Donc imaginez...
07:17Vont-ils avoir le choix quand même d'inclure les Européens ?
07:20D'ailleurs Marc Rubio a tendu une vague main, une demi-main je dirais aujourd'hui.
07:24Mais ce n'est pas le choix non ?
07:27Non, je crains que, comme ils disent, on soit consultés.
07:31Mais dans la négociation avec les Russes, ce sera une négociation bilatérale.
07:37D'ailleurs les Russes ont tout à fait l'intention de faire plus que l'Ukraine.
07:40Ce qu'ils cherchent c'est un nouvel ordre de sécurité en Europe
07:44où les Américains retirent un certain nombre d'armes et de forces antimissiles
07:50qui sont près des frontières russes.
07:52Ça doit être repoussé.
07:53C'est une exigence russe depuis des années et des années.
07:55Il semble que les Américains entendent ça maintenant d'une oreille trop plaisante.
07:59Donc on redéfine la sécurité en Europe.
08:02On règle la question ukrainienne sur la base de la ligne de force
08:06qui est aujourd'hui acquise sur le terrain.
08:09Et puis on reprend les relations économiques.
08:11Ça c'est la négociation américano-russe.
08:14Alors évidemment les Européens sont devant debout
08:19et essayent de trouver le moyen de s'imposer à la terme négociation.
08:23Mais ça va être très difficile parce qu'ils ne pèsent pas militairement.
08:27Ça fait 30 ans qu'on désarme en Europe.
08:29Et on ne pèse pas militairement sur la solution.
08:32Pierre Lelouch, je vous propose de rester, si vous avez encore un tout petit peu de temps,
08:35je vous propose de rester avec nous juste après la pub et le journal permanent de Maël Hassani.
08:39A tout de suite.
08:44On est toujours avec mes débatteurs de la première heure,
08:47Jules Torres et Vincent Roy.
08:49On est toujours aussi avec Pierre Lelouch, l'ancien secrétaire d'Etat aux affaires étrangères,
08:52auteur du livre Engrenage, la guerre d'Ukraine et le basculement du monde.
08:56Le basculement justement c'est peut-être en ce moment avec ces pourparlers russo-américains.
09:00Je voudrais, avant de vous faire réagir, vous faire écouter Thierry Breton ce matin sur Europe.
09:05C'est News, il nous parle de l'Europe, un petit peu prise de cours dans cette affaire.
09:09Pour l'instant il s'agit de discussions préliminaires, comme on dit.
09:13Mais oui, bien sûr, les Européens sont pris de vitesse et je le déplore.
09:16Parce que depuis quand même maintenant des mois, on a entendu ce que disait Donald Trump.
09:21Il le dit sans cesse, il veut être celui qui va régler ce conflit.
09:25Alors pourquoi cette sidération européenne ?
09:27Eh bien voilà, c'est une très bonne question.
09:28Il ne devrait pas y avoir de sidération européenne.
09:30Mieux vaut tard que jamais.
09:31Je trouve que la réunion d'hier était appropriée, elle était opportune.
09:34Et voyez-vous, il vaut mieux discuter sous les écrans radars, si je puis me permettre.
09:37Parce qu'à partir du moment où il y aurait un cessez-le-feu,
09:40il s'agit de définir évidemment quelles seraient les garanties de sécurité.
09:43Et celle-là, on sait que l'Europe devra y être impliquée parce que c'est notre continent.
09:47Mais il vaut mieux pas le mettre sur la place publique.
09:49Jules Torres, on sent que Thierry Breton n'est pas vraiment très à l'aise.
09:52Non, non, non, parce qu'il appelle, lui, depuis de nombreuses années,
09:56à un sursaut européen, mais un sursaut qui ne vient pas.
10:00Et vraiment, la question que je voulais poser à Pierre Lelouch, je ne sais pas s'il est encore là,
10:04c'est justement ce sursaut que les Européens appellent de leur vœu,
10:08que ce soit Thierry Breton, que ce soit Jean-Noël Barraud,
10:11que ce soit Emmanuel Macron,
10:13est-ce que non seulement c'est souhaitable, au vu du consentement des populations
10:18qui aiment quand même leur armée, une armée nationale,
10:21et deuxièmement, est-ce que s'il y avait une défense européenne,
10:24est-ce que ce serait au dépens ou justement à la faveur de la France,
10:29étant donné qu'on sait que l'industrie de défense française
10:32est le seul en Europe qui est autonome, indépendant et souverain ?
10:35Pierre Lelouch.
10:37Bien, il y a beaucoup de questions dans votre question.
10:39La première chose que je voudrais dire, c'est que M. Breton fait partie du problème.
10:45Il est un de ceux qui n'ont cessé de raconter aux petits peuples
10:51que l'Europe s'occupait de tout, que lui allait faire des régulations contre Elon Musk,
10:57que lui allait trouver un million d'obus de 155 qu'on n'a jamais fabriqués.
11:03Enfin bref, il fait partie de toute cette équipe européenne
11:07qui a amené la situation où nous sommes, c'est-à-dire beaucoup de palabres,
11:13beaucoup d'incantations, on va réarmer, on va faire l'Europe de la défense,
11:19on va faire une Europe souveraine, on va faire une autonomie stratégique.
11:23Tout ça, c'était des mots et derrière, rien.
11:26C'est ça le sujet, c'est que nous payons 30 années de désarmement budgétaire en Europe,
11:33y compris en France.
11:35Nous payons une situation où les Américains continuent à dépenser 70%
11:44de la totalité des dépenses de l'OTAN.
11:47Bref, nous payons le prix d'une servitude consentie depuis des années.
11:53Pierre Lelouch.
11:54C'est tout masqué derrière l'ambition européenne.
11:56Avant de vous laisser filer, ma dernière question,
11:59vous qui avez vu quand même les choses de manière assez juste jusqu'à présent,
12:03comment on s'en sort maintenant ? Que peut-il se passer ?
12:06Comment vous voyez les choses ?
12:08Eh bien, la priorité, c'est d'éviter de croire la pire des erreurs.
12:13Ce serait de croire que la solution est à Bruxelles.
12:15La solution, elle est d'abord chez nous, dans la capacité de notre pays de se ressaisir,
12:22de consentir l'effort nécessaire pour redevenir une puissance qui pèse sur les affaires de l'Europe.
12:27Il faut souhaiter que d'autres pays les plus importants fassent la même chose,
12:31et alors nous pouvons espérer repeser sur les affaires de notre continent.
12:37Mais espérer que c'est par des laïus et des promesses vides qu'on va s'en sortir,
12:42ce serait la pire des choses.
12:44Ma crainte, si vous voulez, c'est que les dirigeants européens
12:48n'aient pas compris ce à quoi ils nous ont amenés,
12:53et continuent à faire comme d'habitude, c'est-à-dire rien.
12:56C'est ça ma crainte.
12:57Et si c'est ça qui se passe, alors nous verrons un basculement de l'Europe dans tout à fait autre chose,
13:03c'est-à-dire que nous allons devenir un protectorat américain, d'un côté, avec une menace russe de l'autre.
13:10Nous vivons un moment de bascule dans l'histoire de l'Europe,
13:14qui est le produit, je vous le dis, de trois décennies de légèreté.
13:19Plus des erreurs accumulées pendant cette guerre d'Ukraine,
13:23dont je persiste à dire qu'elle aurait pu être évitée, qu'elle aurait pu être stoppée,
13:28au lieu d'aboutir à cette situation épouvantable où un million de personnes,
13:32un million de tués et blessés des deux côtés, et un pays complètement ravagé.
13:37Merci Pierre Lelouch, je rappelle le nom de votre livre,
13:41Grenage, la guerre d'Ukraine et le basculement du monde, aux éditions Odile Jacob.