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  • 19/02/2025
Aujourd’hui nous allons voyager à dos de dromadaire dans les sables brûlants du Moyen-Orient, en compagnie d’un personnage fascinant, complexe, un soldat hors normes, un aventurier, un meneur d’hommes, un stratège visionnaire qui dans cette tragédie collective que fut la Première Guerre mondiale conduisit son épopée individuelle. Il a conduit durant entre 1916 et 1918, pour le compte des Britanniques les révoltes arabes contre les Turcs menant une guérilla sans relâche. Cet homme c’est Thomas Edward Lawrence, plus connu sous le nom Lawrence d’Arabie. Récit avec Christian Destremau qui lui a consacré en 2014 une biographie.

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Éducation
Transcription
00:00Bonjour à tous, aujourd'hui nous allons voyager à dos de dromadaire dans les sables
00:26brûlants du Moyen-Orient, en compagnie d'un personnage fascinant, complexe, un soldat
00:31hors normes, un aventurier, un meneur d'hommes, un stratège visionnaire, qui dans cette tragédie
00:36collective que fut la Première Guerre Mondiale, conduisit son épopée individuelle.
00:41Cet homme, c'est Thomas-Edouard Lorenz, plus connu sous le nom de Lorenz d'Arabie,
00:46et mon invité est Christian Destremeau, qui lui a consacré, il y a quelques années,
00:50une formidable biographie.
00:52Christian Destremeau, bonjour.
00:54Bonjour.
00:55Il est historien, fin connaisseur de la culture britannique et du monde arabe, auteur de plusieurs
01:00ouvrages, dont le Moyen-Orient pendant la Seconde Guerre Mondiale, paru chez Perrin
01:05en 2011, Churchill et la France, paru en 2017, toujours chez Perrin, et Ian Fleming, le père
01:13de James Bond, en 2020.
01:15Et tout dernièrement, une biographie d'Ibn Saud, dont nous parlerons très prochainement.
01:21Vous êtes là aujourd'hui pour évoquer ce personnage fascinant, comme je le disais,
01:26qui est Thomas-Edouard Lorenz, plus connu depuis le film de David Lean, 1962, avec Peter
01:33O'Toole dans le rôle de titre, donc Lorenz d'Arabie.
01:36D'ailleurs, parlant du film, est-ce qu'on peut dire qu'il est fidèle à la réalité ?
01:40Il a été assez critiqué, mais en fait, je l'ai revu il n'y a pas très longtemps,
01:46et sur les points importants, il est très conforme à la réalité.
01:52Et d'ailleurs, il a été assez critiqué par certains puristes, parce qu'il a montré
01:57des aspects de Lorenz qui n'étaient pas forcément très glorieux, notamment des passages
02:04où l'on le voit très exalté, et puis on a critiqué le physique de Peter O'Toole,
02:12qui était très grand, alors que Lorenz, lui, était un petit bonhomme.
02:17Mais globalement, ça fonctionne très bien, alors en dehors de ces magnifiques images,
02:26et puis c'est une épopée formidable à voir et vraiment à revoir, mais sur un plan
02:30des faits historiques, c'est une interprétation qui tient vraiment la route.
02:35– C'est vrai qu'avant même ce film, il était une star, au regard de ses exploits,
02:41puis également de la publication de son livre, les 7 piliers de la sagesse,
02:46et cette notoriété est arrivée très rapidement, très d'ailleurs.
02:51– Il y a eu une période de grande notoriété, effectivement, après sa mort,
02:57la parution des 7 piliers, et puis évidemment, après, il y a eu la seconde guerre mondiale,
03:02il y a eu l'après-guerre mondiale, et tout cela a été un peu disparu.
03:05En fait, le film de David Lean a quand même relancé…
03:09– Remis sur le devant de la scène.
03:10– Voilà, a relancé l'épopée de manière absolument spectaculaire,
03:14avec la musique de Maurice Jarre formidable,
03:18mais ça a créé tout un nouvel intérêt, d'autant que le personnage,
03:25un peu le mythe de Lawrence avait été très attaqué dans les années 50,
03:29très écorné par plusieurs livres, où on avait dit que c'était un peu un faiseur,
03:35un mythomane, voilà, le mythe était sérieusement écorné,
03:39et le film l'a vraiment relancé de façon très spectaculaire.
03:43– Et votre livre aussi, nous l'espérons.
03:45Donc un petit retour en arrière, on va revenir à l'enfance du jeune Thomas Edward,
03:50qui naît en 1888 dans le pays de Galles,
03:53et le moins qu'on puisse dire, c'est que son enfance, déjà, n'est pas commune.
03:57– Alors, ce n'est pas du tout commun, effectivement,
03:59et je crois que c'est très important pour comprendre le personnage.
04:02Brièvement, son père est un petit baron, petit noble anglo-irlandais,
04:09qui s'appelle Thomas Chapman, et qui vit en Irlande,
04:12et son père va faire quelque chose qui me paraît assez extraordinaire pour l'époque,
04:17il se marie, il a quatre filles,
04:21mais il embauche pour s'occuper de ses filles une jeune gouvernante,
04:26toute jeune, toute menue,
04:29et il va tomber amoureux de la petite gouvernante.
04:32Alors, partir avec la gouvernante, ça arrive, ça peut arriver à tout un chacun,
04:38mais il va faire quelque chose d'assez extraordinaire
04:40pour une personne de bonne famille anglaise,
04:44c'est qu'il va prendre le nom de cette gouvernante,
04:45et il va s'appeler Lawrence.
04:47Chapman va devenir Lawrence.
04:48Alors, c'est encore plus compliqué,
04:49parce que le nom Lawrence de cette jeune gouvernante,
04:52on pense que c'est un nom aussi qui a été pris,
04:54parce qu'elle est de naissance également très obscure.
04:57Et ce personnage de Chapman,
05:00qui est un personnage tout à fait de petit noble,
05:05très classique, sans beaucoup de personnalité,
05:08il va faire quelque chose d'inouï pour l'époque,
05:10c'est de prendre le nom de l'épousée.
05:13Et donc, Lawrence, né au Pays de Galles,
05:15il va quitter l'Irlande, il va quitter son épouse.
05:19– Avec qui il avait cinq filles.
05:20– Avec qui il avait quatre filles.
05:21Et dont on ne sait pas trop ce qu'elles sont devenues d'ailleurs,
05:24ce sont les demi-sœurs quand même de notre héros.
05:27Et donc, il va faire cinq garçons avec cette petite gouvernante,
05:34qui est visiblement quelqu'un qui avait une très forte personnalité,
05:37qui a beaucoup marqué ses enfants,
05:39malgré sa naissance très modeste et obscure.
05:42Elle va être très sévère avec ses enfants,
05:46et en même temps, elle va leur inculquer toute une éducation extrêmement solide,
05:50notamment en termes religieux.
05:55Lawrence connaît extrêmement bien la Bible.
05:59Enfin, il peut citer par cœur des très très longs passages de la Bible.
06:03Donc, elle va donner un cadre à cette aventure familiale tout à fait surprenante.
06:09– Alors, à 18 ans, il part en France, c'est déjà…
06:12– Alors, il fait plusieurs séjours en France, effectivement.
06:15Il ne part pas définitivement en France.
06:16Il a fait plusieurs séjours avant même 18 ans,
06:20ce qui était assez courant à l'époque.
06:23En plus, c'était l'époque de l'entente cordiale.
06:25Donc, on passait ses vacances en France, notamment dans le nord de la France,
06:28à Dinard, à Dieppe,
06:30c'était des lieux où les Anglais se rendaient très régulièrement.
06:34Et il découvre la France.
06:35Et comme il est passionné par le Moyen-Âge et les châteaux forts,
06:37– Il entreprend des tours de France en vélo.
06:39– Il entreprend des tours de France tout à fait extraordinaires.
06:42C'est un peu un petit bonhomme.
06:43Il a des gros vélos très lourds,
06:46et il part avec simplement une brosse à dents,
06:48une petite chemisette de rechange.
06:51Et il fait des expéditions à travers la France qui paraissent inouïes aujourd'hui.
06:57Il va de Paris, de la Normandie, de Dinard à Aigues-Mortes en plusieurs jours, comme ça.
07:06C'est un peu une période de formation et ça explique aussi le grand aventurier.
07:11– Mais on sent pointer l'aventurier sous le jeune homme.
07:14– Exactement.
07:15– Alors, il enquille sur des études à Oxford.
07:19– Exactement, oui.
07:20Alors, il fait des très bonnes études à Oxford.
07:22– C'est un élève brillant.
07:23– C'est un élève brillant qui a une excellente mémoire,
07:28donc il a de bonnes lettres classiques, le latin, le grec, je disais, la Bible,
07:34et cette passion pour le Moyen-Âge, pour les châteaux forts,
07:38qui va devenir un peu sa spécialité, puisque ça sera sa thèse.
07:42Et surtout à Oxford, il est dans ce cadre,
07:44et j'insiste, c'est très important, dans ce cadre britannique très…
07:50C'est là où il apprend les codes de la société britannique,
07:53les codes importants, et ça va lui servir beaucoup par la suite,
07:57parce qu'en dépit de ses aventures, on revient toujours à cette éducation,
08:02notamment dans le cadre de Oxford ou, pour d'autres, de Cambridge.
08:07– Alors, il se destine à une carrière d'archéologue.
08:09– Exactement.
08:10– Et il va partir une première fois pour le Moyen-Orient,
08:13en Syrie et au Liban, pour étudier les châteaux des Croisés.
08:17Est-ce que ce premier voyage, est-ce que pour lui, c'est un choc culturel ?
08:22– Alors, je dirais un choc culturel, je ne sais pas,
08:25c'est toujours un peu… parce qu'il y a toujours cette retenue britannique,
08:30on est dans un cadre, c'est le Liban, enfin, ce n'est pas encore le Liban,
08:36mais ça fait partie de l'Empire Ottoman,
08:37donc on n'est pas au cœur de l'Empire britannique.
08:41Mais on a cette espèce de… ces aventuriers anglais,
08:46ces gens qui partent en expédition, ont cette sorte d'assurance
08:50que leur donne l'éducation et le cadre britannique,
08:53même s'ils ne sont pas chez des coloniaux.
08:57Et donc, dire un choc, non, je ne sais pas, il est très touché par l'esthétique,
09:05il a une connaissance, comme je le disais, très approfondie de la géographie des lieux,
09:09qui lui vient notamment de sa connaissance de la Bible,
09:12il connaît parfaitement les parcours.
09:16– Il va en Galilée, il sait exactement où le Christ est allé,
09:20et tout ça, il a des repères très précis.
09:24Et donc, finalement, il applique toute cette science qu'il a,
09:28là, il la met en pratique, en étant sur les lieux mêmes,
09:31mais je dirais qu'on sous-estime à quel point nos aïeux, nos grands-parents,
09:37avaient une connaissance assez intime quand même des lieux,
09:41par leur lecture, peut-être plus en Angleterre qu'en France,
09:45par leur lecture et leur connaissance de la Bible, de la religion, en fait.
09:49– Il faut dire qu'effectivement, la Bible est un véritable guide touristique.
09:53– C'est un guide touristique, oui.
09:54– Lorsque l'on se balade dans la région.
09:56Alors, lui, il fait déjà une forte impression auprès de ses collègues,
10:00il se démarque vraiment par sa tenue, par son comportement.
10:04– Oui, alors, d'abord, il a une allure qui dénote,
10:06parce qu'il a l'air, il aura toujours l'air savi d'un petit collégien,
10:12il n'a pas de barbe, il ne l'aura jamais.
10:17Je ne sais pas s'il ne s'est jamais vraiment rasé,
10:23s'il avait vraiment eu besoin de se raser, je ne sais pas,
10:25c'est un peu une petite énigme.
10:27– Il a les cheveux longs.
10:28– Il a les cheveux longs, toujours en bataille,
10:30il est en culotte courte, toujours en culotte courte.
10:35Et puis, il va très à l'aise dans des régions peu connues,
10:41un peu dangereuses, quelquefois.
10:43Il se promène notamment au sud du Liban,
10:46dans ces régions dont on parle beaucoup en ce moment.
10:49Il découvre une population,
10:52les populations qui étaient très déshéritées à l'époque,
10:54qui était la communauté chiite,
10:57dont on parlait très très peu, la communauté du chiite au sud du Liban.
11:01Et puis, il est un peu hors norme.
11:04Alors, il a derrière ça cette sécurité
11:06que lui donne son éducation et le cadre britannique.
11:11Mais enfin, il est accueilli comme un personnage original.
11:16Et puis, ce qu'il fera toute sa vie, c'est qu'il aime faire des blagues.
11:22Et il a, je crois, à cette époque, un contact,
11:26une sorte d'empathie avec les populations locales,
11:30qui lui permet de faire certaines choses.
11:33Il a beaucoup d'humour, il fait des blagues,
11:37il sait parler aux gens,
11:39alors que l'anglais ou le français vont garder toujours une certaine distance.
11:44Et ça lui servira beaucoup par la suite,
11:46cette connexion, cette intimité avec les populations locales.
11:51– Il rencontre également ses confrères allemands.
11:55Est-ce qu'on peut dire qu'il commence à jouer un petit peu les espions ?
11:57Est-ce que beaucoup d'archéologues faisaient ça ?
11:59– Oui, c'est surtout au moment…
12:01Il fait partie d'une équipe de fouilles au nord de la Syrie,
12:06dans un coin qui est aujourd'hui à la frontière avec la Turquie,
12:12qui s'appelle Karkeimisch.
12:13Et effectivement, il y a des équipes d'archéologues allemands.
12:19Il faut voir que dans ces années d'avant-guerre,
12:23l'Allemagne s'intéresse beaucoup au Moyen-Orient.
12:27L'empereur Guillaume a fait un séjour qui est resté très célèbre à Damas,
12:34en… je n'ai plus la date en tête, mais enfin la fin du Xe,
12:39qui a beaucoup surpris les Occidentaux,
12:40enfin les Occidentaux, les Français et les Anglais.
12:42Il est allé jusqu'à Damas, sur la tombe de Saladin même.
12:45Et donc les Allemands sont présents.
12:49Ils ont un projet de train, de ligne de chemin de fer entre Berlin et Bagdad,
12:55ce qu'on a appelé le Bagdad-Bahn, qui est resté inachevé.
12:59Mais enfin, il y a beaucoup d'inquiétudes.
13:01Et ils utilisent certains archéologues qui vont…
13:06parce qu'ils sont bien acceptés par les Turcs,
13:09les Turcs ça ne les dérange pas d'avoir des archéologues,
13:11mais ces archéologues sont souvent des couvertures pour un travail de renseignement,
13:17ce que font aussi les Anglais de leur côté.
13:19Et Lawrence apprend à ce moment-là peut-être un petit peu
13:22à faire un travail de renseignement, à interroger les gens,
13:25poser des questions et à les transmettre à ces professeurs en Angleterre
13:32qui eux-mêmes les transmettent aux Foreign Office.
13:35– Alors la guerre éclate en août 1914.
13:39Donc comme tout bon Anglais de bonne société, il s'engage.
13:45Et il commence sa carrière militaire comme officier Sud-Belterne.
13:50– Oui, en fait il reste à Londres.
13:53Alors, il faut se rappeler que l'armée anglaise n'est pas une armée de conscription,
13:57et que… enfin en tout cas à cette époque, en tout cas au début de la guerre,
14:01et qu'on s'attendait effectivement à ce que des gens de bonne famille,
14:06des Anglais de bonne famille s'engagent.
14:08Mais ça n'a pas été le cas de tous les Anglais entre guillemets de bonne famille.
14:12En tout cas, lui il s'engage, il fait de la cartographie à Londres,
14:15donc ça l'ennuie un peu, il est dans les bureaux,
14:16mais il est très vite transféré, muté au CAIR,
14:22parce que le sujet du Moyen-Orient, dont on parle peu en 1914,
14:27il y a d'autres préoccupations,
14:30progressivement, disons vers 1915, redevient important.
14:34Et surtout à partir du moment où il y a ce projet de débarquement dans les Dardanelles,
14:44donc les Dardanelles c'est le détroit qui mène jusqu'à Constantinople,
14:49et ce projet de débarquement qui se veut une opération de contournement,
14:56enfin une opération périphérique si vous voulez, après les échecs,
15:00notamment les échecs en France, notamment en Artois,
15:04qui sont absolument tragiques en 1915,
15:08apparaît l'idée d'ouvrir un nouveau front contre les Turcs
15:13qui se sont alliés avec l'Allemagne en 1914.
15:16– Donc là il est envoyé au CAIR, il continue à faire de la cartographie ?
15:21– Alors dans un premier temps il fait de la cartographie,
15:23et aussi disons du renseignement, il interroge des prisonniers
15:29pour essayer d'établir quel est le niveau des forces turques et allemandes dans la zone,
15:40il travaille beaucoup en interrogeant des prisonniers qui sont amenés au CAIR,
15:43mais c'est un travail de bureau en fait.
15:45– Et là encore une fois, il se fait remarquer par son comportement
15:49et sa tenue qu'il n'a rien d'un militaire britannique.
15:52– Il s'habille un peu n'importe comment, il se promène en moto au CAIR,
15:57et il ne salue personne, il a cette habitude,
16:00alors qu'il n'est que simple sous-lieutenant,
16:02d'entrer dans les bureaux des supérieurs sans prévenir,
16:06et il a des habitudes curieuses par exemple, il passe son temps à faire des blagues,
16:12par exemple il note les forces ennemies à la dizaine près,
16:20ce qui est totalement ridicule, il va dire,
16:22oui là il y a 757 soldats turcs, et c'est totalement irréaliste,
16:27alors ses supérieurs corrigent immédiatement en disant,
16:30non il faut mettre la centaine, mais en fait il s'amuse,
16:36dans tout ce qu'il fait, Lawrence cherche à…
16:39ça reste un collégien, il veut s'amuser dans la vie.
16:43– Alors en 1916, il est envoyé en Arabie dans la région du Hejaz,
16:48car là-bas les Arabes se sont révoltés contre les Turcs,
16:53alors il est envoyé pour quoi faire ?
16:55Parce qu'il parle un peu l'arabe, donc c'est un agent liaison…
16:58– Voilà, il parle l'arabe, il parle un arabe très…
17:03ce qu'on appelle dialectal, c'est-à-dire pas du tout un arabe classique,
17:06mais ça lui sert beaucoup parce que justement pour discuter
17:09avec les tribus, avec les Bédouins, il vaut mieux parler un arabe dialectal.
17:14Alors c'est un arabe de Syrie, donc il est différent,
17:16mais quand même, il connaît les blagues, il connaît les petites histoires,
17:22il connaît des tas de choses que les gens du Caire,
17:26si on est dans les bureaux, ne connaissent pas,
17:28ils ont une connaissance un peu universitaire,
17:31et lui a une connaissance beaucoup plus pratique de l'arabe.
17:35Donc il est envoyé, il n'est qu'un simple adjoint si vous voulez,
17:39il n'a pas pour l'instant, pour l'heure, de grands projets,
17:43il est là pour assister à l'envoyé britannique qui n'est qu'un simple subalterne,
17:49mais finalement il va sauter sur cette occasion et c'est là où il va,
17:55et c'est très amusant de voir à quel point cet officier tout à fait subalterne,
18:02qui commence à marquer, parce qu'il a, par son caractère, par ses blagues et tout,
18:06on commence à en entendre parler, mais plutôt en termes d'agacement d'ailleurs,
18:10parce qu'il y en a un, il y a le représentant britannique à Jeddah,
18:14donc dans les jazz, qui dit qu'il a besoin d'un certain nombre de coups de pied dans le derrière,
18:17et puis un jour quand même, une fois qu'il aura…
18:20– Il sera peut-être bon à quelque chose.
18:22Et qu'il est tout jeune, il a 28 ans.
18:23– Il est tout jeune, et il est surtout…
18:29et puis il faut dire que cette fameuse révolte dont vous parliez,
18:32bon, les britanniques sont très sceptiques quant à son intérêt et ses résultats,
18:38comme tous les militaires, ils ont peur de s'engager dans des aventures nouvelles,
18:42et cette révolte, bon, pour l'instant on observe ce qui se passe.
18:46– Pour nos téléspectateurs, le jazz c'est une région qui comprend la Mecque,
18:49Médine qui est à l'ouest de la péninsule arabique,
18:52c'est toute cette côte et cet intérieur des terres,
18:55cette grande bande qui se trouve à l'ouest de la péninsule,
18:59le long de la mer Rouge,
19:01et c'est là qu'effectivement se trouvent les lieux saints de la Mecque et Médine.
19:07– Alors il a fait une rencontre importante avec Faisal Hussein,
19:11qui est le chef de la révolte arabe.
19:15Alors comment se déroule cette première rencontre ?
19:17Quelles sont leurs impressions à l'un et à l'autre ?
19:19– Alors, il obtient l'autorisation d'aller…
19:22Alors le shérif de la Mecque qui est le père de Faisal, qui s'appelle Hussein,
19:27est très réticent dans un premier temps à envoyer des officiers britanniques à l'intérieur.
19:33Le problème de ces dirigeants arabes, c'est qu'ils ne veulent pas être…
19:36ils sont face à la Turquie, ils se révoltent contre la Turquie,
19:39qui représente quand même le cœur de la religion musulmane à cette époque.
19:46Et ils se révoltent, et donc c'est quand même un geste très audacieux.
19:49Et ils ne veulent pas qu'on puisse les accuser d'être les outils,
19:55les instruments des Britanniques.
19:57Mais Lawrence réussit finalement à obtenir l'autorisation d'aller vers l'intérieur.
20:02Et il va faire la rencontre, donc cette rencontre avec le fils,
20:05un des fils de Hussein de la Mecque, qui s'appelle Faisal.
20:08Et il va y avoir un moment d'une espèce de séduction réciproque qui va se faire.
20:16Et il va transmettre à ses supérieurs au Caire un certain nombre de rapports.
20:25Et il va à ce moment-là vraiment pousser Faisal.
20:29Il y a une anecdote que je trouve très amusante et très typique de Lawrence,
20:34parce que ses supérieurs sont des gens très cultivés,
20:38qui s'intéressent au monde arabe, mais qui ont une connaissance de la France.
20:42Et il va faire cette comparaison, enfin cette description de Faisal
20:47en disant qu'il ressemble, il me fait penser au gisant de Richard Cœur de Lyon
20:52à l'abbaye de Fontevrault.
20:55C'est quelque chose de magnifique.
20:56Et tout de suite on voit que cette comparaison poétique va faire son effet.
21:03Lawrence a le talent pour faire des rapports qui ne sont pas classiques,
21:07qui ne sont pas des rapports militaires, comme le ferait un officier lambda.
21:13Il y a beaucoup de poésie dans ce livre qu'on va retrouver dans les Sept Piliers.
21:18Mais en comparant ces rapports que j'ai lus et les Sept Piliers,
21:22j'ai vu que cette poésie se trouve dans ces rapports militaires.
21:26Et cette comparaison, cette description de Faisal comme une sorte de Richard Cœur de Lyon,
21:31et en parlant de l'abbaye de Fontevrault dans un rapport militaire,
21:34je pense qu'Aucaire, ça a séduit tout de suite un certain nombre de ses supérieurs.
21:39– Donc il voit Faisal déjà un chevalier.
21:41– Il voit en Faisal un pre-chevalier et ça a son effet.
21:45– Et donc il devient le conseiller militaire.
21:49Alors c'est un conseiller militaire officieux, c'est lui qui s'adresse au titre ?
21:52– Alors il y a plusieurs étapes, c'est-à-dire qu'il revient Aucaire
21:55et puis en fait il est renvoyé avec une mission beaucoup plus précise.
21:57Parce que là, il a joué son propre jeu,
22:00mais quand même il faut que ses supérieurs aillent plus loin
22:04et donc il donne une mission effectivement plus officielle de conseiller auprès de Faisal.
22:09– Alors conseiller militaire et il lance donc des premières opérations.
22:14En quoi consistent ces opérations militaires ?
22:17– Il y a une cible assez évidente pour une révolte,
22:22c'est cette ligne de chemin de fer qu'on a appelée la ligne de chemin de fer du Hejaz,
22:27qui va de Damas jusqu'à Médine.
22:29Il faut voir que Médine qui est cette ville au nord de la Mecque
22:32où le prophète Mahomet s'était réfugié ayant été expulsé de la Mecque,
22:37Médine est encore aux mains des Turcs.
22:40La révolte ne va pas réussir à conquérir Médine qui est bien fortifiée.
22:44Mais il y a ce chemin de fer et donc ils vont lancer avec Faisal et ses frères
22:50des opérations de minage de cette ligne de chemin de fer
22:54qui est une voie de communication très importante pour cette garnison.
22:56C'est comme ça qu'elle se ravitaille, c'est comme ça qu'elle peut recevoir des renforts.
23:01C'est ce qu'on voit dans le film et qui est très bien montré,
23:06ce sont ces opérations commando contre cette voie de chemin de fer
23:11avec plus ou moins de succès, mais ce sont des vraies opérations de guérilla.
23:18À cette occasion d'ailleurs, Laurence revêt la tenue locale
23:26et il ne savait pas très bien, il apprend comment poser des mines
23:31et puis il découvre aussi l'horreur de la guerre.
23:35On voit un peu ça dans ses films, c'est-à-dire le chemin de fer,
23:39le train qui explose, les corps en mille morceaux
23:47et il commence à faire son apprentissage.
23:50Il n'a pas fait la guerre jusque-là, il fait l'apprentissage de la guerre
23:55parce que cette guerre est atroce aussi, on est loin des tranchées,
23:59mais elle est aussi atroce.
24:01– Et donc il vit la vie également des guerriers arabes, des bédouins ?
24:05– Tout à fait, oui, il s'adapte, il veut absolument se conformer à cette vie,
24:09par sa tenue, par le fait qu'il, contrairement à certains
24:14de ces aventuriers britanniques qui se baladaient toujours
24:19avec leur whisky ou leur vin, il mange comme ses compagnons arabes,
24:24il se vêt comme eux.
24:26Une chose qu'il ne fait pas, c'est qu'il n'est jamais tenté par la religion,
24:34par l'islam, et c'est assez curieux parce qu'il y a eu ces personnalités
24:41qui ont été en contact avec l'islam, qui ont pu ressentir un moment
24:46une forme de séduction, même si on était catholique,
24:50la prière dans le désert c'est toujours quelque chose d'assez impressionnant,
24:53et non, il n'est jamais, et même dans les Sept Piliers,
24:55jamais il n'en parle en fait, et c'est quelque chose,
24:59alors un peu étonnant, mais voilà, là il ne va pas jusqu'à là.
25:05– Alors on va parler de sa, vous parliez d'opération commando,
25:09c'est quelque chose de très nouveau également pour une armée occidentale,
25:13est-ce que c'est à ce moment-là qu'il va commencer à théoriser
25:16les techniques de guérilla ?
25:17– Alors il ne théorise pas encore, ce sera plutôt après la guerre
25:21où il écrira des ouvrages un peu plus…
25:24non, d'ailleurs je fais erreur, le bureau arabe au Caire
25:28avait une publication qui s'appelait le bulletin arabe,
25:31et il y a déjà des textes de lui, plutôt vers 1917,
25:36plutôt l'année suivante, quand il revient,
25:38il fait des rapports qui commencent à théoriser cette guerre.
25:43Mais au fond, il mène une guerre de guérilla,
25:45et cette guerre de guérilla, elle a existé auparavant dans l'histoire,
25:52il y a eu les espagnols avec Napoléon,
25:54– Du guéclin, – Du guéclin, effectivement,
25:58il faudrait aller encore plus loin, la guerre de Bourg, plus près de…
26:01– C'est une guerre que les britanniques ont subie en Afrique du Sud.
26:04– Ils ont subi en Afrique du Sud contre les bourgs,
26:07mais c'est la première fois, je pense,
26:10qu'une armée moderne, constituée, classique finalement,
26:16accepte, utilise ce genre de méthode.
26:19Beaucoup d'officiers étaient très réticents,
26:21parce qu'il y avait cette idée que la guerre, il y a des normes,
26:26il y a des règles, et beaucoup d'officiers britanniques étaient réticents.
26:34Aller poser des mines sur un train de chemin de fer,
26:37dans lesquels il y avait aussi beaucoup de civils qui prenaient ces trains.
26:43Il y avait des épouses, des soldats, voilà.
26:46Et c'était, et a fortiori en tenue civile,
26:51était quelque chose dont ils voulaient surtout
26:54ne pas être trop impliqués dans ces affaires-là, voilà.
26:56Mais il va réussir à convaincre, d'autant plus que nous sommes au Moyen-Orient,
27:03donc c'est loin, on est loin de l'Europe, on est loin du théâtre européen,
27:07il va réussir à convaincre ses supérieurs qu'il y a quelque chose à faire.
27:12– C'est le seul, il est tout seul ou il y a des adjoints avec lui ?
27:16– Non, il y a plusieurs, alors il y a quelques autres,
27:18il y a 3 ou 4 autres officiers britanniques qui pratiquent la même chose,
27:24mais en règle générale, sauf erreur, ils restent tous en uniforme par exemple,
27:30en uniforme britannique, avec peut-être un couvre-chef local,
27:35à cause notamment du soleil, mais il reste, parce qu'il y a une crainte,
27:41c'est que si on est pris par les Turcs,
27:44ceux-ci auraient totalement le droit, selon les règles en vigueur,
27:50d'exécuter leur prisonnier, un prisonnier pris qui n'est pas en uniforme d'armée.
27:55– Une étape importante, c'est la prise d'Aqaba, qui est un port stratégique,
28:01alors est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur ce port Aqaba
28:03et la façon dont Lawrence conduit les opérations ?
28:07– Selon son récit, il aurait, dès le début, dès sa première rencontre avec Faisal,
28:13eu ce mot, Faisal parlait des opérations contre les lignes de chemin de fer,
28:16et Lawrence aurait dit, c'est très bien tout ça,
28:19mais c'est quand même très loin de Damas,
28:21et il aurait eu cet objectif, c'est Damas, qui est évidemment beaucoup plus au nord,
28:27et qui constitue pour les armées britanniques un objectif,
28:31alors là, pour le coup, stratégique, il s'agit, pour la révolte arabe,
28:35d'aller conquérir un espace qui est tout à fait sous le contrôle des Turcs.
28:42Alors, il y a une première étape qui est cette prise, effectivement,
28:46il faudrait voir sur une carte, mais de remonter vers le nord,
28:52donc en direction, dans la direction générale,
28:54de Damas, de la Palestine et de Jérusalem,
28:57et il va prendre ce port, ce petit port qui s'appelle Aqaba,
29:00qui est en face, à côté, on est au sud du Negev,
29:04c'est Eilat aujourd'hui en Israël, en face il y a Aqaba,
29:07et c'est quelque chose d'assez spectaculaire parce que c'est un port,
29:13donc ça intéresse beaucoup la marine britannique,
29:17c'est une prise qui, politiquement, est intéressante
29:21parce que la marine britannique s'intéresse beaucoup à ce genre de choses,
29:25et la marine britannique est très puissante, voilà.
29:27Et donc, il va lancer cette opération en effectuant un grand contournement,
29:33puisqu'il part, en apparence,
29:35c'est presque une manœuvre d'intoxication de l'ennemi,
29:39il part dans une tout autre direction,
29:41il revient et redescend vers Aqaba pour prendre ce petit port,
29:46on a encore les images, effectivement,
29:49on se souvient des images peut-être dans le film,
29:52que les canons, il y avait une histoire des canons
29:53étaient tournés vers l'extérieur, vers la mer,
29:57les turcs n'avaient pas du tout songé,
30:00ils ne s'attendaient pas à ce que l'ennemi arrive par l'intérieur, voilà.
30:04Donc c'est une belle opération qui restera effectivement comme un modèle,
30:09un par cet espèce de contournement,
30:12il s'éloigne, il semble s'éloigner totalement de l'objectif,
30:16et au passage il recrute des tribus,
30:19donc il y a tout un travail politique,
30:20parce qu'il faut convaincre toutes ces tribus de l'intérêt,
30:22et les tribus ne sont pas très convaincues par aller prendre un petit port,
30:26eux ce qui les intéresse c'est l'argent,
30:27donc il faut noter aussi qu'il a toujours beaucoup avec lui de l'argent,
30:31de l'or qui permet de convaincre les tribus,
30:33et il fait cet homme, et qui est une réussite quand même,
30:38dont il ne faut pas non plus exagérer l'intérêt sur le plan strictement militaire,
30:43mais qui du point de vue de la communication, si vous voulez, est très importante.
30:48– Et d'ailleurs pour sa communication personnelle également,
30:50parce que là on va commencer à parler de lui vraiment dans les états-unis.
30:52– Oui, alors c'est vraiment Akaba,
30:54c'est à partir de Akaba, de cette prise,
30:56qu'on va commencer à parler de lui,
30:59il faut dire que nous sommes en 1917,
31:02la presse, l'hôte, l'état-major ont besoin de victoire,
31:07la situation en Europe est très difficile,
31:10il y a eu des mutineries dans l'armée française,
31:12il y a eu en 1916 les grandes offensives, la Somme qui a été une catastrophe,
31:18et pour les britanniques, il y a une soif de victoire,
31:21quelle qu'elle soit,
31:23les autorités britanniques militaires ont considéré avec un peu de dédain
31:27cette affaire du Moyen-Orient,
31:28et là ils commencent à s'intéresser pas mal pour des raisons de communication
31:32et pour remonter un peu le moral des populations,
31:35et pour montrer qu'on pouvait quand même gagner des bataillons.
31:39– Alors, si on commence à parler de lui dans les états-majors britanniques,
31:43on parle aussi de lui dans les états-majors français,
31:45puisqu'il commence aussi à inquiéter les autorités françaises
31:48qui regardent la région avec intérêt.
31:50– Oui, alors effectivement, les Français deviennent un élément
31:56dans cette affaire très complexe,
31:57d'autant qu'ils ont signé les fameux accords Sykes-Picot,
32:02des noms des deux signataires, Mark Sykes et François-Georges Picot,
32:06qui ont établi une sorte de partage du Moyen-Orient, c'est en 1916,
32:13et ils voient un peu d'un mauvais œil les ambitions britanniques
32:18incarnées par Lawrence, qui semblent contredire ces accords.
32:25Et les Français veulent donc prendre position, entre guillemets,
32:32à partir du moment où cette révolte commence à prendre son envol,
32:35ils se disent qu'il faut intervenir et prendre position, la contrôler,
32:41ou en tout cas équilibrer l'influence exercée par Lawrence.
32:47– Alors, les opérations, elles, de Lawrence, qu'on continue,
32:53c'est toujours des petites opérations de guérilla, de harcèlement,
32:55des positions turques, on essaie de prendre des villes ?
33:00– Voilà, on essaie de prendre des villes, mais après Aqaba,
33:03très intelligemment, et c'est là où cet homme est un peu un génie,
33:08il va tenter de profiter de cette victoire d'Aqaba,
33:11spectaculaire, qui impressionne, pour aller convaincre
33:14l'état-major britannique au Caire, qui a reçu un nouveau chef prestigieux
33:19qui s'appelle le Général Allenby, de le convaincre que de cette opération
33:24finalement limitée qu'a été cette révolte arabe,
33:27on peut passer à quelque chose de beaucoup plus ambitieux,
33:29qui serait de monter vers le Nord, notamment Damas,
33:33et finalement de vaincre les Turcs, d'obtenir une victoire stratégique
33:36contre les Turcs, et il va convaincre Allenby.
33:39– Mais il est fait prisonnier, je ne vais pas noter la date,
33:43à Dera, dans la ville de Dera.
33:46– C'est juste avant, effectivement, il est fait prisonnier.
33:48– C'est un épisode assez trouble.
33:50– Oui, c'est un épisode assez trouble, il a donné différentes versions,
33:54il est fait prisonnier.
33:54– Sa tête a été mise à prix par les Turcs, vous pouvez l'oublier.
33:56– Sa tête a été mise à prix, il a été fait prisonnier, ça c'est certain.
34:01Alors le film le montre, cette séquence où il est torturé,
34:07battu en tout cas par les Turcs, voire violé, voilà.
34:12Et Lawrence, on peut le comprendre,
34:16va donner différentes récits de cet épisode.
34:23Alors, il y a un côté masochiste chez Lawrence,
34:27il y a un côté masochiste sur le plan physique,
34:32qui lui vient peut-être de la façon dont il était traité par sa mère,
34:35qui elle-même, qu'il adorait,
34:37mais qui était extrêmement rude avec ses garçons.
34:40Il y a un côté masochiste sur le plan physique,
34:42mais il y a aussi un masochisme, je dirais, moral,
34:46c'est-à-dire qu'il a cette tendance à,
34:49peut-être pour effacer ce masochisme,
34:52ce poids que représente cette forme de masochisme,
34:56il a tendance à s'accuser de certaines choses qu'il n'a pas commises.
34:59Et c'est une chose complexe, il y a eu des livres,
35:03je ne suis pas le premier à avoir analysé ça,
35:05des psychiatres, des psychanalystes même ont travaillé sur le cas Lawrence.
35:09Mais il a tendance à, quelquefois on pense,
35:13à exagérer un peu ce qu'il a subi
35:17ou à s'accuser de choses qu'il n'a pas faites,
35:21qu'il n'a pas commises.
35:23Et l'épisode de Dera,
35:26la version disons la plus simple,
35:28c'est qu'effectivement il a été violé et torturé,
35:31mais il y a un peu des difficultés à comprendre ce qui se passe après,
35:34comment il s'en sort, libéré, c'est quand même un peu étrange,
35:38parce que clairement, il a beau être en tenue arabe,
35:41il ne peut pas passer pour un arabe,
35:43voire même, comme il disait, un arabe du nord ou un circassien,
35:49il est évident qu'il est anglais.
35:52Il est tout de même libéré, il s'en sort…
35:55– Libéré ou évadé, on ne sait pas.
35:56– Évadé, on ne sait pas, on ne sait pas très bien.
35:59Et il fait un long parcours après,
36:01à dos de dromadaire pendant 24 heures,
36:07dans des conditions absolument extrêmement difficiles,
36:09puisqu'il aurait été torturé.
36:12Ça fait partie des énigmes.
36:14Laurence, il reste un livre ouvert
36:15dans lequel on peut continuer à chercher à imaginer les choses,
36:19et c'est ça qui est passionnant.
36:22– Alors justement, on parlait du côté noir,
36:28toute légende, c'est pas redombre,
36:31lors de son avancée vers Damas,
36:33on a parlé de massacres de prisonniers,
36:36même avant d'exécutions sommaires.
36:40Alors, quel type de soldat est-il ?
36:42Est-ce qu'il s'adapte à la cruauté du terrain
36:45et des gens avec lesquels il combat ?
36:48– À plusieurs reprises, en fait,
36:50la question dans ces opérations
36:53se pose la question des prisonniers turcs.
36:55Il faut dire qu'ils n'ont absolument pas les moyens,
36:59quand ils font ces opérations,
37:00il y a un certain nombre de soldats turcs qui se rendent,
37:03ils n'ont absolument pas les moyens de gérer.
37:06Ils ne peuvent pas faire de prisonniers,
37:07parce que ce sont des petites opérations de groupe,
37:09et quelquefois, les postes, ils ne peuvent pas les déplacer.
37:13Donc, il y avait eu, avant, à plusieurs reprises,
37:17des cas, limite, peut-être d'exécution,
37:19où en tout cas, ils laissent faire les Bédouins, les Arabes,
37:22qui, eux, n'hésitent pas à exécuter sur le champ
37:26et à dévêtir, à piller les soldats turcs,
37:30qui, eux, sont en uniforme
37:32et qui sont une armée relativement classique.
37:35– Oui, c'est une vraie armée.
37:36– C'est une vraie armée,
37:37ils ont été entraînés par les Allemands.
37:40Donc, il y a un ou deux épisodes, il y a surtout un épisode,
37:43et d'ailleurs, on le voit dans le film,
37:44mais j'en parle longuement dans mon livre,
37:46où des prisonniers, alors on n'est pas très loin de Damas,
37:49où une unité de prisonniers turcs se rendent,
37:53et là, est-ce que lui a donné l'ordre de les exécuter ?
37:56Est-ce que les Arabes les ont exécutés et qu'il a laissé faire ?
38:03J'ai l'impression que, effectivement, cette dernière hypothèse,
38:06c'est qu'il aurait tout à fait laissé faire,
38:08mais pour dédouaner un peu, d'ailleurs, dans son livre, les Arabes,
38:12parce qu'il s'agit de les présenter sous le meilleur image
38:15pour des raisons politiques,
38:17il va s'accuser lui-même d'avoir donné cet ordre.
38:20– Alors, en 1918, en octobre, près de la fin de la guerre,
38:25c'est la prise de Damas, son plan réussit.
38:28Alors, ce n'est pas lui qui prend Damas tout seul,
38:31je crois que les Australiens étaient les premiers.
38:35– Alors, la guerre se termine, la Turquie, l'Allemagne, bien sûr,
38:39mais la Turquie est vaincue également.
38:41Donc, quel rôle politique joue-t-il à ce moment-là ?
38:44Est-ce qu'il fait ça ?
38:45– Alors, dans un premier temps, Lawrence, comme d'habitude, disparaît.
38:48Enfin, c'est son habitude, il fait une action, puis il disparaît, il revient.
38:51C'est une sorte, encore une fois, de collégien qui aime surprendre,
38:57qui passe sa vie à surprendre.
38:58Et il dit, ma mission est accomplie, il s'en va.
39:00Il rentre en Angleterre, c'est la démobilisation.
39:03Mais, progressivement, alors, il y a un petit passage, c'est le retour,
39:09mais très rapidement, il y a la conférence de la paix à Paris, à Versailles,
39:14et il va revenir dans le jeu,
39:15puisqu'il accompagne Faisal au cours de cette conférence.
39:18Et là encore, alors là, il y a des scènes extraordinaires,
39:22devant les grands de ce monde, Wilson, Clemenceau,
39:25eh bien, nous avons le petit Lawrence qui n'est pas totalement en tenue arabe,
39:30qui a un keffier, un uniforme, mais qui se balade à Versailles,
39:35parmi les grands négociateurs, et qui donne à cette conférence,
39:39une sorte, les gens sont fascinés, et en fait,
39:42après cette guerre absolument atroce,
39:44c'est un moment, c'est un divertissement extraordinaire pour lui.
39:48Et il devient une véritable star.
39:51Alors, il est une star aux yeux des politiques.
39:53Les Français sont très agacés de leur côté,
39:55parce qu'il chaperonne Faisal,
40:00il veut pousser l'indépendance des pays arabes
40:02contre la volonté des Français, en tout cas pour une partie,
40:06en tout cas pour la Syrie.
40:07Mais, ils reconnaissent que, et Clemenceau est sensible à ça,
40:11parce que Clemenceau, d'abord, ne s'intéresse pas au Moyen-Orient,
40:14et deuxièmement, il est sensible à ce genre de personnages.
40:17Et donc, il y a des scènes assez extraordinaires,
40:20où il continue à faire ses blagues.
40:22Et puis, mais après, bon, la conférence de la paix,
40:26les choses reviennent dans l'ordre.
40:28Lui est en Angleterre et se pose, alors là,
40:33la question du partage du Moyen-Orient.
40:35Que va devenir le Moyen-Orient à partir du moment
40:41où il y a eu ces différents traités, ces négociations entre alliés ?
40:45Et c'est là où il revient dans le jeu,
40:47mais à partir de, d'abord par des articles de journaux,
40:51où il essaie d'influencer les positions des protagonistes.
40:57Et puis, surtout, il va revenir dans le jeu à partir de 1921,
41:00parce que Churchill est nommé, qui a été un peu marginalisé
41:05à cause de l'échec des Dardanelles.
41:07Eh bien, il revient dans le jeu comme ministre des colonies,
41:09et il va tout de suite convoquer Lawrence comme adjoint.
41:12– D'accord, pour le conseiller. – Pour le conseiller.
41:14– Et donc, Faisal, lui, va devenir…
41:16– Alors, Faisal devient prince émir de Syrie, de la Syrie,
41:22de cette Syrie nouvellement créée, avec des frontières nouvelles,
41:26au milieu du désert, tout ça est rédigé de manière très arbitraire,
41:31mais bon, il devient émir de Syrie.
41:32– Sous protectorat.
41:33– Sous protectorat français, conseillé par les Français,
41:35conseillé plutôt, conseillé par les Français.
41:38C'est une affaire complexe, on n'a peut-être pas le temps de revenir dedans.
41:42Mais, parce qu'il a des ambitions beaucoup plus nationalistes
41:48que ce qui plaît aux Français, ceux-ci vont le débarquer en 1920,
41:54et Faisal se retrouve en exil.
41:56Et c'est là où Lawrence, en revenant dans le jeu
41:59comme conseiller auprès de Churchill,
42:01au cours d'une grande conférence qui a lieu et qui se tient au Caire,
42:04il va lui-même réussir à imposer l'idée
42:10que Faisal devienne roi d'un État nouvellement créé qui est l'Irak.
42:15Donc, il considère finalement, contrairement à ce qu'on a souvent dit,
42:19il y a des textes où on dit, il a trahi, les promesses ont été trahies,
42:24mais en fait, après cette conférence, en 1921-1922,
42:30Lawrence est assez content de ce qui s'est passé.
42:31Il considère qu'il a accompli plus ou moins sa mission,
42:34que cette famille arabe, les hachimites,
42:37et ils sont en place en Jordanie, en Irak,
42:40et que finalement, son ambition initiale a été réalisée.
42:42– A été réalisée.
42:43Alors, il aurait pu continuer à jouer un rôle politique de premier plan,
42:47au moins auprès du roi Faisal,
42:48mais il préfère retourner dans l'anonymat après la guerre.
42:53Donc, vous le disiez, c'est fidèle à sa personnalité.
42:58On va reparler de lui quand même avec la publication
43:00des 7 piliers de la sagesse.
43:03– Oui, alors effectivement, comme vous le mentionnez,
43:07c'est un épisode toujours très intéressant de sa vie.
43:10Il est une star mondiale, il faut le voir à l'époque,
43:15mais il se rengage sous un pseudonyme,
43:19dans l'armée, comme simple soldat.
43:22Alors, là encore, on a écrit des textes,
43:25les psychanalystes se sont intéressés à ce cas,
43:28à ce qu'on appelait la nostalgie de la boue.
43:31Alors, il ne faut pas être trop sévère,
43:33parce qu'il faut s'imaginer ce qu'a été le retour à la paix
43:37pour nombre de soldats, toute une génération.
43:40Après la guerre, cette guerre a été absolument traumatisante,
43:45et il n'y avait pas du tout les structures,
43:50il n'y avait pas du tout, comme on dit aujourd'hui,
43:52les cellules psychologiques,
43:55mais il a fallu que tous ces gens qui avaient fait la guerre
43:57se débrouillent tout seuls, se réadaptent.
44:01Et Laurence l'a fait d'une manière tout à fait étonnante.
44:03Il a été une star, il s'est rengagé comme simple soldat,
44:07il veut être anonyme.
44:10Alors, il joue un peu un double jeu,
44:13parce que tout le monde sait que les gens qui comptent
44:17savent où il est, et il correspond régulièrement,
44:21notamment avec tout un milieu littéraire,
44:23c'est là où tout un milieu littéraire s'intéresse à lui.
44:27Georges Bernard Shaw, il a une très longue correspondance,
44:31les lettres de Laurence sont quelque chose d'absolument formidable.
44:33Il y en a des milliers et des milliers,
44:36et il correspond avec ces grands écrivains
44:38qui sont fascinés par ce personnage,
44:40qui eux-mêmes, peut-être, ont eu une guerre un peu tranquille,
44:42et qui ont trouvé en lui un héros,
44:44parce que le pays, l'Angleterre, comme la France d'ailleurs,
44:47manque cruellement de héros.
44:49On a les grands généraux, mais on a un peu...
44:51– Oui, ce que je disais au début, c'est une aventure collective,
44:53une tragédie collective.
44:54– Exactement, on a un peu les pilotes de chasse,
44:55mais on n'a pas de grands héros, et Laurence en est un.
44:58– Donc, on va terminer là-dessus, sur le livre,
45:01les 7 piliers de la sagesse.
45:03– Alors, brièvement, il rédige un premier jet en 1920,
45:08il va dire, encore une histoire à la Laurence,
45:10que ce manuscrit a été volé, bref.
45:13Il paraît, en 1927, vraiment,
45:17parce que les éditeurs tournent autour de lui,
45:18finalement, il accepte de faire une version abrégée,
45:21qui s'appelle La révolte dans le désert,
45:23qui est un énorme succès,
45:24mais la version dite longue,
45:27la vraie version des 7 piliers de la sagesse,
45:30va paraître en 1935, après sa mort,
45:33juste après sa mort, et ça va être un immense succès.
45:36– Donc, sa mort, il meurt dans un accident de moto ?
45:38– Un accident de moto.
45:38– Alors, on a beaucoup glosé sur cet accident,
45:41on a parlé de complot, etc.
45:42A vous, c'est un accident ?
45:43– Non, il a adoré les motos, il a fait de la moto toute sa vie,
45:47après, il a adoré la bicyclette,
45:49il a parcouru la France en bixièque,
45:50puis il est passé à la moto,
45:52il avait des motos, il n'était pas grand,
45:53il avait des motos énormes, et il a eu toute une série,
45:57d'ailleurs, il y avait un producteur, un fabricant de motos,
46:00qui l'utilisait un peu dans ses publicités.
46:03Et puis, les morts, alors évidemment, à l'époque,
46:07on ne mettait pas de casque, on n'était pas du tout protégés,
46:10et c'était des motos très très lourdes,
46:12et puis, je crois vraiment que la version de sa mort,
46:15est-ce qu'il a voulu, est-ce qu'il prenait des risques insensés ?
46:18C'est vrai, il prenait des risques, la moto,
46:20il adorait la vitesse, et il prenait beaucoup de risques.
46:23Est-ce qu'il y avait une volonté de mort là-dedans ?
46:26On ne peut pas totalement l'exclure,
46:28mais en tout cas, c'est un complot, certainement pas.
46:31– Il évite juste deux cyclistes sur une moto.
46:34– Voilà, c'est ça.
46:35– Quelle est aujourd'hui la postérité de Lawrence d'Arabie ?
46:41Aussi bien, alors, il est très connu en Occident avec le film,
46:44avec les différents livres, mais au Moyen-Orient…
46:47– Alors évidemment, au Moyen-Orient, il est moins connu,
46:49il fait partie de cette image un peu négative
46:54qu'on a au Moyen-Orient, de ce partage du Moyen-Orient dans les années 1920,
47:01dans lequel il aurait été complice,
47:03ou en tout cas il aurait trahi sa parole, ce qui n'est pas vraiment le cas,
47:07parce que, comme je vous disais,
47:08il a participé à la création de ce Moyen-Orient
47:11et à la mise en place, à l'instauration de ces monarchies hachimites,
47:17donc en Jordanie et puis en Irak.
47:19Et puis il y a ce deuxième aspect qui est le côté espion, intelligence service,
47:24qui fascine toujours les foules,
47:27alors que, finalement, il a été agent de renseignement, certes, pendant la guerre,
47:32mais il n'est pas à proprement parler un espion ou un agent de renseignement.
47:37Mais il subsiste, et encore aujourd'hui, je pense,
47:41cette idée qu'il y a des puissances, une force occulte qui tire les ficelles
47:47et qui s'appelle l'intelligence service.
47:48Et il fait partie de cette mythologie.
47:51– Christian Destrobeau, merci infiniment.
47:53Je recommande vraiment la lecture de votre ligne parue chez Perrin en 2014,
47:57c'est un livre qui a déjà plus de dix ans,
47:59qui se lit vraiment comme un roman,
48:02mais c'est inévitable puisque le personnage, lui, est vraiment un personnage de roman.
48:07Mais nous nous retrouvons la semaine prochaine, Christian Destrobeau,
48:10on va rester dans la même région puisque nous évoquerons Ibn Saud,
48:14lui, seigneur du désert et prince d'Arabie.
48:18Vous allez maintenant retrouver Christopher Lanne et La Petite Histoire,
48:21c'était Passez Présent, l'émission historique de TVL.
48:26Et en nous quittant, n'oubliez pas, bien sûr,
48:28de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
48:30et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
48:33Merci et à bientôt.
48:35Générique
48:56Dans cette guerre, chaque belligérant a sa bataille.
48:59Les Anglais, c'est plutôt en Flandre,
49:01les Allemands, c'est la bataille de la Somme
49:03et les Français, c'est Verdun.
49:05Pourquoi Verdun ? C'est un lieu symbolique.
49:08Tout d'abord, c'est l'Allemagne qui agresse.
49:10On se défend, on défend la France, on défend notre territoire.
49:13Et en plus, à Verdun, il n'y avait que des Français pour faire face aux Allemands.
49:19C'est ce que nous allons étudier tout de suite.
49:21Générique
49:41Le plus paradoxal dans cette histoire, avant de commencer,
49:44c'est que Verdun, avant la bataille de Verdun,
49:46c'était plutôt un secteur calme.
49:48C'est pour ça que les Allemands avaient décidé de frapper à cet endroit.
49:51Mais à cet endroit, il ne se passait pas grand-chose.
49:53Il n'y avait que trois divisions françaises en place.
49:56Le front était donc assez dégarni à cet endroit.
49:59Mais que voulaient les Allemands ?
50:01On a dit que les Allemands, et particulièrement Falconeau,
50:04voulaient saigner l'armée française à blanc.
50:06Mais ça, ça a été écrit après la guerre.
50:08Mais que voulaient les Allemands au moment des faits ?
50:11Ça, c'est plus compliqué à établir.
50:13Il y a encore beaucoup de discussions là-dessus.
50:15Mais l'objectif principal était évidemment de prendre Verdun,
50:19qui était aussi une ville symbole, même à l'époque,
50:21pour faire ensuite s'écrouler tout le front français.
50:24Les Boches, les Allemands, avaient donc mis en place dix divisions.
50:29Ils étaient censés faire une attaque massive et faire s'écrouler le front français.
50:33Ils s'attendaient à très peu de résistance et surtout,
50:36ils ont commencé en beauté, si on peut dire,
50:39avec une intense préparation d'artillerie.
50:41Dès le début de la bataille,
50:43quelques 1200 canons allemands déversent plus de 2 millions d'obus en seulement deux jours,
50:49soit trois obus par seconde.
50:51Nous sommes alors le 21 février 1916,
50:54et c'est un déluge de fer et de feu qui s'abat alors
50:57sur les trois pauvres unités françaises présentes ce jour-là.
51:00Et d'ailleurs, le nom de l'opération donnée par les Allemands à cette attaque
51:04ne laisse rien au hasard.
51:05Elle s'appelle l'opération Gericht, si je le prononce bien,
51:09qui veut dire tout simplement tribunal ou, plus familièrement,
51:13mise à mort, exécution.
51:15Pas arrivé avec les intentions les plus pacifiques.
51:17Et les premiers jours, effectivement, les Allemands gagnent des positions,
51:20gagnent des kilomètres, ils prennent le fort de Douaumont, le fort de Vaud.
51:24Pour eux, après cette intense préparation d'artillerie,
51:27cet assommage en règle,
51:29c'est censé être une promenade de santé,
51:31et à leur plus grande surprise,
51:33ça ne sera pas le cas.
51:34Ça ne sera pas le cas parce qu'alors qu'ils progressent dans un paysage
51:37qui est alors lunaire,
51:39il n'y a plus de forêts, plus d'arbres,
51:41il y a des trous partout, c'est une catastrophe, c'est apocalyptique.
51:45Alors qu'ils progressent dans ce paysage en ruine,
51:47eh bien, des Français ressortent de sous terre, comme de sous terre,
51:52et se mettent à résister à l'avancée allemande.
51:54Des centaines de Français sortent de nulle part,
51:57pour la plupart sans officier,
51:59les officiers sont morts, sans commandement,
52:01perdus, déboussolés,
52:03et pourtant, ils tiennent bon.
52:04Ça, c'était pas prévu par les Boches, les Allemands.
52:07C'est la surprise, Verdun tient bon.
52:09Évidemment, dans les jours qui suivent,
52:11Joffre va faire envoyer des renforts pour les aider à tenir bon
52:14et pour maintenir la ligne de front,
52:16et la défense de Verdun va ensuite être confiée à un illustre inconnu,
52:20le général Pétain.
52:21Si je dis un inconnu, c'est tout simplement parce que Pétain
52:24venait tout juste d'être général, comme beaucoup à l'époque.
52:27Il était auparavant colonel,
52:29et il a été propulsé général par la suite,
52:31parce qu'il fallait des hommes forts,
52:33et beaucoup ont bénéficié des mêmes privilèges, entre guillemets.
52:37Je fais mon émission, et MartialBuild m'envoie des messages.
52:41Voilà, voilà l'envers du décor.
52:43Bon, je reviens à Verdun et à Pétain.
52:45Pétain était un inconnu,
52:47mais il avait tout de même une réputation d'homme de défense,
52:50d'axer sa stratégie sur la défensive,
52:53et il s'est surtout ensuite accaparé la réputation non usurpée
52:58de vouloir préserver les hommes.
52:59Il s'occupait bien des soldats, de leur repos,
53:02il voulait les ménager à tout prix pour ne pas les faire craquer,
53:05et surtout pour conserver l'avantage dans la bataille.
53:08Pétain va également mettre en place ce que Maurice Barrès appellera
53:11la voie sacrée.
53:12Qu'est-ce que la voie sacrée ?
53:14La voie sacrée, c'est une seule route,
53:16une artère vitale qui emmène le matériel et les renforts à Verdun,
53:20sans jamais s'arrêter.
53:21Les camions s'enchaînent,
53:23ils se collent presque par choc contre par choc,
53:26et le flux ne s'arrête jamais.
53:28C'est intéressant d'ailleurs cette voie sacrée,
53:30puisque les Allemands avaient dans leur stratégie
53:32misé sur le fait que les Français ne pourraient pas
53:35alimenter Verdun en renforts et en matériel efficacement,
53:39alors que eux, les Boches, les Allemands,
53:41disposaient de tout un tas de voies ferrées et de routes pour le faire.
53:44Encore une fois, contre toute attente et contre toutes les prévisions des Allemands,
53:49Verdun tient bon, les renforts arrivent,
53:51et un seul mot d'ordre est donné,
53:53on ne passe pas.
53:54Il y en a d'autres de batailles terribles,
53:55mais cette bataille se démarque particulièrement par sa violence.
53:59Tout d'abord parce qu'il s'agit de la toute première bataille industrielle.
54:03En tout, 50 millions d'obus seront utilisés,
54:06et ceci est sans parler de tout un tas d'autres horreurs,
54:09la boue tout d'abord au quotidien, la pluie incessante,
54:13les obus à gaz, les lances-flammes,
54:15les cadavres partout et l'odeur qui s'en dégage.
54:18À ce moment-là, tout se joue à Verdun.
54:20Paul Valéry dira,
54:22c'est une guerre toute entière insérée dans la Grande Guerre,
54:25c'est un duel devant l'univers.
54:27Et comme au premier jour,
54:28malgré ce déluge de fer et de feu,
54:31malgré ces morts, malgré la boue,
54:33malgré tout,
54:34les Français feront face héroïquement.
54:36On en vient à se demander, nous pauvres modernes,
54:39comment ces hommes ont-ils fait pour supporter et pour endurer tout ça ?
54:43Écoutez ces deux témoignages très émouvants.
54:47N'oubliez pas que la guerre de 1914-1918
54:51a été faite, pour l'essentiel,
54:55par des paysans.
54:58Les paysans de l'époque, c'étaient des hommes durs à la besogne,
55:04habitués à faire face.
55:06Qu'est-ce que vous voulez que nous fassions ?
55:10Devant moi, il y avait les Allemands qui avaient envoyé des départements.
55:15Derrière moi, il y avait ma famille.
55:19Qu'est-ce qu'il fallait que je fasse ?
55:22Et dire que Black M a failli aller chanter là-bas.
55:25La bataille durera dix mois, l'une des plus meurtrières de l'histoire.
55:29Plus de 600 000 tués, blessés ou disparus.
55:32Le tout matériellement pour quelques mètres de gagné.
55:35Mais dans ces quelques mètres, il y avait bien plus que ça symboliquement,
55:39c'était pour l'honneur de tout un pays, sa capacité à résister.
55:43Les Français étaient seuls dans cette bataille,
55:45il n'y avait pas les Anglais, il n'y avait aucun autre allié.
55:47Les Allemands aussi étaient seuls.
55:49Et d'ailleurs, les Allemands se battaient sur deux fronts.
55:51Mais la population allemande, à l'époque, était plus nombreuse que la population française.
55:55Aussi, vu la violence et la surprise de l'attaque de départ,
55:59avec ce pilonnage d'artillerie, cette préparation d'artillerie,
56:02ces dix divisions qui font sur trois divisions,
56:05c'est tout à l'honneur des Français,
56:07parce qu'ils ont été héroïques dans cette bataille du début à la fin.
56:11Et ça, c'est pas un truc de couphard.
56:13Merci à tous d'avoir suivi cet épisode de La Petite Histoire.
56:16J'espère que ça vous a plu.
56:17Bon, c'était pas facile facile de faire de l'humour sur ce sujet.
56:22C'était un sujet vraiment très prenant,
56:24avec ces témoignages de poilus en plus qui donnent des frissons.
56:27Donc bon, je vous donne rendez-vous peut-être pour un sujet plus léger la prochaine fois,
56:31où on pourra un peu plus rigoler de manière un peu cynique, comme j'en ai l'habitude.
56:37Et je vous dis donc à bientôt, à mardi prochain,
56:39pour un nouvel épisode de La Petite Histoire,
56:41toujours comme d'habitude, sur TV Liberté.
56:44Pourquoi ? Je me sens attiré.
56:49Et tant que je vivrai, j'y retournerai.
56:54Attiré par Verdun ?
56:57Comment vous dire ? Oui, oui.
57:01C'est l'attirance des morts.
57:05Il y a tant de souvenirs là-bas.
57:07Et je parle surtout, voyez-vous,
57:11ceux qui sont morts.
57:14C'est Metteur Lille qui a dit ça, je crois.
57:17Les morts ne meurent pas quand ils descendent dans la tombe,
57:22mais bien quand ils descendent dans l'oubli.

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