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Transcription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
00:05 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoir.
00:09 - Notre rencontre quotidienne, c'est une conversation à 4 voix, ce midi,
00:13 avec nos invités.
00:15 Ils appartiennent tous les deux à la même famille,
00:18 une famille dont le nom est entré dans la légende de la gastronomie française
00:21 et qui conserve depuis plus de 50 ans 3 étoiles au Guide Michelin.
00:24 Leur nom résonne du département de la Loire jusqu'à l'autre bout du monde,
00:28 jusqu'au Japon, voire même jusqu'aux Etats-Unis.
00:31 Une histoire de cuisine, de transmission, d'héritage et de passion
00:35 que le cinéaste américain Frédéric Weisman vient d'immortaliser
00:38 dans un documentaire de 4 heures qui sort le 20 décembre prochain sur les écrans.
00:43 - Bonjour Michel et Léo Troigros. - Bonjour.
00:46 - Bienvenue dans les midis de culture. - Merci.
00:49 - Je fais les présentations.
00:52 Tout de même, Michel, vous êtes le père de Léo, ici présent,
00:55 et de César, le grand frère de Léo qui n'a pas pu se joindre à nous ce midi
00:59 mais qui est bien présent dans ce documentaire également.
01:02 C'est lui qui dirige aujourd'hui le restaurant Étoilé.
01:05 On va revenir bien sûr sur l'histoire familiale.
01:08 Mais d'abord, racontez-nous peut-être comment s'est faite cette rencontre
01:11 avec le documentariste Frédéric Weisman.
01:13 C'était au hasard d'un service, d'un déjeuner estival, c'est ça Michel Troigros ?
01:16 - Semble-t-il. On a un peu de mal à y croire
01:19 que c'était comme ça, pas téléphoné.
01:24 Frédéric Weisman, à la sortie du premier confinement,
01:27 est venu déjeuner avec Olivier Giel, un de ses amis.
01:30 César était là pour les accueillir, pour les régaler.
01:33 Et à la fin du déjeuner, il a manifesté son envie
01:37 de faire un film, son prochain film sur la maison.
01:41 Alors César s'est documenté, parce que son nom nous était inconnu,
01:45 mais immédiatement documenté, il est allé sur Wikipédia,
01:49 il a vu se dérouler sous ses yeux
01:53 l'immense travail de Frédéric Weisman,
01:56 il est revenu à la table, et là, je crois qu'il lui a dit
02:00 "Je vais en parler à mon papa, et on vous donnera suite."
02:05 Et puis les semaines et les mois, deux mois se sont écoulés,
02:09 et là, M. Weisman nous a écrit un magnifique courrier
02:13 de motivation, on pourrait dire, et d'intention
02:18 pour faire ce film.
02:20 On a pas mal réfléchi entre nous, parce qu'il s'agissait quand même
02:25 de lui ouvrir toutes les portes, il s'agissait de
02:29 se livrer, de se donner totalement pendant deux mois
02:33 à son oeil, voilà, et sans retenue.
02:38 Donc c'est pas rien quand même, on n'avait jamais fait ce type d'exercice avant.
02:42 - Léo, vous avez participé à la réflexion familiale, j'imagine, sur cette décision ?
02:46 - Bien sûr, j'ai été appelé dans un second temps.
02:49 Donc on était tous absents, sauf César ce jour-là.
02:52 César a consulté mon père, et ensuite, bien sûr, on a consulté toute la famille.
02:56 Et donc toute la famille, c'est ma mère, ma sœur, et ma père.
03:00 - Marion, Pierre, Elisa.
03:02 - Marion, Elisa. Donc ça fait du monde à consulter.
03:05 Mais je crois que tout le monde était ravi d'accueillir
03:09 un tel personnage pendant deux mois.
03:12 - Un peu d'appréhension quand même.
03:14 - Qu'est-ce qui vous a convaincu dans sa lettre de motivation ?
03:17 - Vous avez dit "une magnifique lettre de motivation".
03:20 - Il y a ça, mais il s'engageait à revenir pour nous en parler, bien entendu, présenter le projet.
03:25 Donc les mois se sont écoulés, parce qu'il y a eu le deuxième confinement.
03:28 Et on s'est dit "mais à 91 ans, c'est pas possible, il va lâcher prise".
03:34 "Si nous on fait preuve de réticence, il va pas continuer, il va arriver quelque chose".
03:40 Mais pas du tout, il est solide comme un roi.
03:42 - Ah mais vous aviez plus peur pour lui, en fait ?
03:45 - Oui, oui, oui. - Vous placez une crise cardiaque dans vos cuisines ?
03:48 - Non mais les deux, les deux.
03:50 Oui, on pensait vraiment qu'il allait lâcher prise.
03:52 Et puis non, deuxième confinement, donc sept mois plus tard,
03:55 il revient à la charge, il dit "voilà, j'arrive de Boston,
03:59 je fais un saut jusqu'à Rouen, je viens vous présenter mon projet".
04:02 Et il est venu, en effet.
04:04 Entre temps, il nous a envoyé une pile comme ça de DVD de son travail,
04:08 ce qui nous a permis de se familiariser déjà avec son travail,
04:11 qui n'est pas rien quand même, parce que c'est un travail très engagé,
04:14 mais en même temps très humble.
04:17 Il regarde les choses telles qu'elles viennent à lui.
04:20 Évidemment, il y a de la poésie, il y a de l'écriture, mais voilà.
04:23 Donc c'est au bout d'un certain temps,
04:27 qu'en effet, on a dit oui.
04:30 Mais après, souvenez-vous, sorti du confinement,
04:32 il y avait encore les masques à porter.
04:34 Donc lui était hors de question qu'il puisse tourner avec des masques,
04:38 en cuisine, etc.
04:39 Donc il a fallu encore, il y a eu un délai.
04:42 - Il y a aussi de la sincérité qui se dégage de son travail.
04:45 Et notre métier, c'est être sincère.
04:47 Donc on a trouvé un lien entre nos deux métiers qui est important.
04:51 - Alors Frédéric Weissman décrit son immersion dans vos cuisines
04:54 comme une plongée dans l'atelier de grands artistes.
04:57 On va découvrir la bande-annonce de ce film documentaire
05:00 "Menu, plaisir" au pluriel.
05:02 - Alors j'ai deux fils.
05:07 César, qui est chef de cuisine dans cette maison.
05:09 - Le plus bel membre du Maroc est ici.
05:11 - César est chef de cuisine à la Colline du Colombier.
05:13 - Je suis ressemblant à mon père.
05:15 - Et puis après on a notre fille Marion, qui elle travaille plutôt dans l'hôtellerie.
05:18 Et Marie-Pierre, bien entendu mon épouse, qui chapeaute tout ça.
05:22 Quant à des doutes, tu viens de plonger dans ces deux livres-là,
05:25 "L'escoffier" ou "L'encyclopédie de la rousse".
05:30 La feuille d'or, comme elle vient, tu as vu, il y a de l'air dans la cuisine.
05:39 Elle a bien volté, il faut qu'elle soit vivante.
05:42 - Mesdames, Messieurs, j'ai quatre couvertes qui passent avec quatre secondes en menu.
05:49 À table, on a une personne qui est sans plus tassée.
05:51 On fera trois extravises, un remplacement foie gras.
05:53 On aura trois St-Pierre, un lieu, un remplacement.
05:55 - Service.
06:01 - Félicitations. - Merci.
06:03 - Allez, six asperges, trois fois deux.
06:08 - Allez, on enchaîne la carte d'ailleurs, s'il vous plaît.
06:10 On la met là, ici.
06:12 - Allez, je vous souhaite bon appétit. Merci à vous.
06:17 - Menu plaisir de Frédéric Weissmann qui est en salle le 20 décembre prochain.
06:21 C'est un film en partenariat avec France Culture.
06:23 Michel Troigrot, est-ce que vous imaginiez, vous, qu'on allait voir tout ça, entendre tout ça,
06:29 être autant plongé dans votre ambiance qui est vous, votre quotidien depuis des dizaines d'années ?
06:34 Est-ce que vous imaginiez que ça passerait par le filtre de cette caméra ?
06:38 - Il y a vraiment... Les images ont plus de force que la réalité, presque.
06:44 Parce qu'elles sont focalisées sur des expressions, des gestes, des produits, des paysages, des savoir-faire, des hommes.
06:55 Non, en fait, j'imaginais rien du tout.
07:01 J'imaginais... Pour lui, c'était une première de s'attaquer à la beauté des choses.
07:08 Puisque jamais c'est un sujet auquel il s'est collé, la gastronomie.
07:14 Alors, il a bien fait avec l'opéra Garnier, la danse...
07:19 - La comédie française.
07:20 - La comédie française, mais bon, c'est un autre registré.
07:23 Non, j'imaginais rien, mais je trouve que vraiment, il donne de la puissance à notre univers.
07:32 Et les sons aussi donnent une puissance.
07:37 On s'entend. Et on s'entend bien.
07:41 Voilà, il a su saisir vraiment le cœur des sujets.
07:45 - Le cœur des sujets et la variété aussi de ce qui est votre métier de chef.
07:50 Puisque Léo Troigros, on vous voit au début du film avec votre frère.
07:54 Vous êtes sur les marchés en train de sélectionner les produits.
07:57 On assiste à l'élaboration des plats entre vous.
08:00 Ces discussions entre vous sont passionnantes.
08:03 On assiste à l'accueil des clients, au service, on est dans la cuisine.
08:09 On est vraiment dans tous les endroits.
08:11 Il a posé sa caméra partout, en fait.
08:14 C'est ça qui est si très impressionnant dans ce film.
08:17 On se rend compte de ce qu'est être un restaurant étoilé et de grands chefs comme votre famille.
08:23 - Oui, c'est notre quotidien, finalement.
08:26 Alors, en effet, on voit tout ce personnel qui marche au quotidien dans le même sens que nous.
08:32 La transmission qui est très importante dans notre famille.
08:35 On est quand même la quatrième génération.
08:37 Donc, voilà, il y a une forte transmission.
08:41 Et on aime ça, en plus.
08:43 J'aime apprendre le savoir de mon père.
08:46 Et j'espère un jour pouvoir le transmettre.
08:49 Oui, c'est vraiment quelque chose de magnifique.
08:55 - Michel Troigrot, est-ce qu'il y avait aussi dans l'idée d'accepter la caméra de Frédéric Weisman,
09:03 l'idée de changer le regard aussi sur ce qu'est un grand restaurant étoilé,
09:08 sur ce que sont ces cuisines qu'on imagine parfois de manière fausse ou vraie,
09:14 d'ailleurs, des endroits pas très agréables, où c'est très difficile, c'est un métier très dur, très exigeant.
09:19 - C'est bruyant.
09:20 - C'est bruyant. On se fait crier dessus.
09:22 Et en découvrant ce film de 4 heures, ce n'est pas du tout le cas.
09:26 Vous, vous cuisinez dans une forme de sérénité.
09:29 - Oui. Alors, là, moi, je tiens mon chapeau à César, mon fils, parce qu'il manage ça.
09:37 - C'est lui qui est calme, en fait.
09:39 - Oui, c'est lui qui est calme, peut-être pas intérieurement, mais en tout cas, il diffuse et il exige le calme autour de lui,
09:48 l'organisation, la propreté. Moi, je suis admiratif. Vraiment, ce n'est pas comme ça que j'ai managé de mon temps,
09:56 parce que c'est vraiment son équipe, c'est sa cuisine, c'est lui, aujourd'hui.
10:00 C'est peut-être la différence entre le film, ce que donne à voir le film et ce qui se passe aujourd'hui.
10:06 Il y a un décalage de un an et demi et les choses ont changé, mais elles étaient déjà dans les tuyaux, on va dire, il y a un an et demi.
10:12 Mais là, maintenant, c'est net, c'est sa cuisine, c'est un silence impressionnant en cuisine.
10:17 Et même au moment du coup de feu, c'est au doigt et à l'œil que ça se passe et non pas à la voix.
10:23 Et pourtant, celui qui était le chef de cuisine il y a encore 20 ans de mon temps, on l'appelait l'aboyeur.
10:28 C'est celui qui aboyait les ordres.
10:30 Et aujourd'hui, il ne s'agit plus d'aboyer, il s'agit en effet, à la manière d'un chef d'orchestre, de fixer des yeux, de faire des gestes, de chuchoter les choses.
10:40 C'est très impressionnant, vraiment, c'est très beau à voir.
10:44 Moi, j'en suis baba, je me dis, mais même je m'interroge, je me dis, mais comment ça marche, quoi ?
10:51 Mais il y a une telle symbiose, une telle synchro entre les hommes qui ont l'habitude de travailler ensemble, un peu comme une philharmonie, en fait.
11:02 C'est juste magnifique, c'est millimétré, c'est beau à voir.
11:06 Mais parce que vous, vous aboyez ?
11:08 J'ai ! Moins que la génération...
11:11 Aboyiez, je voulais dire à l'imparfait !
11:13 Je parlais à voix haute et on me répondait "oui, chef, je suis de cette école, moi, voilà".
11:20 Là, ce qui est décrit avec votre fils, c'est la nouvelle génération, mais est-ce que c'est partout encore comme ça ?
11:27 J'en suis pas sûr que ce soit partout comme ça.
11:30 Pour avoir eu des expériences récentes, non, une cuisine aussi calme, c'est rare.
11:36 C'est une spécificité chez vous, en fait, nouvelle.
11:38 Oui, en effet, c'est une spécificité, mais aussi, la cuisine a été créée de manière à ce que le silence fasse partie de la cuisine.
11:46 Son architecture.
11:47 Son architecture, on trouve, voilà, tous les cuisiniers sont organisés de manière à ce qu'il y ait du silence.
11:53 Et il y a des cuisines qui, vraiment, sont bruyantes.
11:57 Rien qu'en rentrant, même sans personne, il y a du bruit.
12:00 Et quand on rajoute les humains là-dedans, il y a encore plus de bruit, bien entendu.
12:04 Après, comment Frédéric Wiesmann s'est glissé là-dedans ?
12:07 Sans faire de bruit, non plus.
12:09 Et comment, en effet, il est arrivé à extraire la vérité de ces choses-là ?
12:15 On peut s'interroger aussi, parce qu'on fabrique des images, on transforme les personnes quand il y a une caméra et une perche.
12:23 Eh bien, parce que c'est le temps long.
12:25 Je crois que le temps long a joué pour lui, à la manière d'un documentariste animalier.
12:31 Il se pose et il attend.
12:34 Il s'est fait oublier ?
12:35 Oui, parce qu'il fait partie du paysage.
12:39 Même si c'est jamais un oubli total, le temps est tellement long avec nous, qu'on va dire qu'au troisième jour, on a autre chose à faire que de s'occuper de lui.
12:53 Donc c'est là que, réellement, c'est sur ce temps long, comme ça, 7 semaines de tournage, 150 heures de rush, pour finalement 4 heures de film.
13:02 C'est-à-dire 3%. Il ne garde que 3% de ses images.
13:06 Donc après, dans ces 150 heures, il a des choses qui viennent à lui, comme ça.
13:12 Il parle de hasard, souvent, il dit "le hasard me profite".
13:16 Mais en effet, il n'y a rien de prémédité.
13:18 Il ouvre son oeil et il capte forcément, il arrive à capter un instant, des instants.
13:26 Et des discussions, notamment, ça c'est quand même quelque chose qui est très présent et très fort dans ce documentaire.
13:31 Des discussions entre vous deux, avec César aussi, sur "est-ce qu'il faut mettre tel ingrédient, telle épice, telle sauce, est-ce qu'il ne faut pas retirer quelque chose ?"
13:39 On est vraiment devant la création de ces plats, c'est ce qu'on n'imagine pas.
13:44 On imagine le chef seul, je ne sais pas d'ailleurs ce qu'on imagine, mais votre façon de faire est très particulière aussi.
13:51 D'ailleurs, c'est les moments les plus durs pour nous à supporter quand on se regarde dans ce film.
13:55 C'est ces passages-là, il y a un passage sur un plat que je crée à la colline du Colombier, où j'en discute avec mon père, et un autre sur le rognon au fruit de la passion.
14:06 Qui est trop épicé d'ailleurs. Dans la sauce, c'est trop épicé, si je me souviens bien.
14:11 Je ne sais pas, parce que finalement, je mange tout et je me suis régalé après l'avoir discuté.
14:16 Oui mais j'insiste, je suis trop insistant. Je suis désolé parce qu'elle gêne Léo, elle gêne César, et elle me gêne aussi cette scène.
14:25 Au point, on en a longuement parlé avec Frédéric, il a dit "mais non, Michel, c'est la meilleure scène du film".
14:32 D'ailleurs Frédéric nous a confié qu'il attendait un conflit. Il n'y en a jamais eu des conflits.
14:39 Et ça reflète vraiment notre travail depuis des années. Ces discussions-là en effet, ça nous gêne, mais en même temps c'est vrai.
14:46 Ça a été les vendredis matin, on se réunit au Central, qui est le point de convergence des trois restaurants.
14:52 Et là on discute. Ça prend des heures en général, on arrive en retard d'ailleurs à la Maison Trois Gros et moi à la Colline du Colombier.
14:58 Parce que cette discussion s'enflamme, on va dire. Mais c'est là où on apprend le plus, et c'est là où on partage des moments en famille et au travail.
15:06 Oui, parce que c'est là que je viens les perturber en fait. Je vais les chercher, mes deux fils un peu.
15:12 C'est comme si j'allais fouiller un petit peu plus pour qu'ils s'interrogent encore plus sur leur travail.
15:19 Bon, 14, dis donc. T'as le vin blanc là ? Tout coupé ? Il faut en mettre moins.
15:29 Alors la cuisine pour moi c'est un métier, mais c'est surtout un métier qui est très attractif.
15:36 On travaille de la marchandise quand même, qui est de la marchandise vivante. C'est quelque chose de noble la marchandise.
15:43 Je sais pas, ça peut se comparer à du bois, vous savez, dans l'artisanal. Nous on est des artisans, mais on travaille de la marchandise.
15:50 Vous voyez, ce homard c'est quand même quelque chose que quelqu'un a été pêché, il faut manipuler avec soin, parce que ça représente un être vivant.
15:57 Et puis on fait plaisir à tellement de gens dans la vie, que c'est un métier que je voudrais pas changer.
16:02 Je l'ai pas choisi ce métier. Mon père me l'a imposé. Je l'ai pris pour une problème, comme ça pour moi à 14 ans, mon père a dit "tu seras cuisinier avec mon frère".
16:10 Bon, bon, on est cuisinier. Puis en partant de là, il nous a dit "tu sais, faut faire comme César, hein. Faut mieux être le premier dans son pays que le deuxième à Paris".
16:18 Pour moi la cuisine c'est ma mère, c'est ma jeunesse, c'est des odeurs, c'est une ambiance, c'est un goût de la nouveauté aussi.
16:32 Il faut qu'on soit toujours en permanence en recherche de nouveaux goûts, de nouveaux plats, pour remettre en question, comme dans beaucoup de métiers,
16:41 parce qu'on le considère un métier de l'art et comme dans tous les métiers de l'art, il faut inventer et remettre en question.
16:48 - Nous sommes en avril 1976, dans l'émission "La Grande Cocotte" avec Jean et Pierre Troigrof, vous les avez évidemment reconnus, Michel et Léo.
16:58 Vous avez ri au moment où, je sais pas si c'est Pierre ou si c'est Jean, qui dit qu'il n'a pas choisi ce métier qu'on lui a imposé.
17:05 - Ça me paraît incroyable, c'est vraiment le bon vieux temps, je sais pas s'il était bon le vieux temps, mais il était autrement en tout cas.
17:15 J'ai pas l'impression d'avoir agi de même avec César et Léo.
17:20 - Alors on va demander à Léo ?
17:22 - Je le confirme. Justement, c'est un sujet qui est très peu revenu sur la table quand on était enfant,
17:31 mais la passion, ils nous l'ont transmise comme ça, en venant de temps en temps au restaurant, en les voyant travailler avec plaisir.
17:39 C'est ça qui est important, c'est le plaisir que l'on retrouve chez les gens et qui nous donne envie de faire la même chose.
17:45 - Donc vous n'avez pas imaginé une autre vie en dehors d'une cuisine ? Pour vous c'était ça ?
17:50 - Alors on a tous... César dira autre chose parce qu'il a vraiment bifurqué au dernier moment.
17:56 Je crois que, passés 8-9 ans, j'ai toujours voulu être cuisinier. Par contre, j'ai voulu prendre mon temps.
18:02 J'ai vu que c'était un métier qui prenait beaucoup de temps et on va dire que j'ai voulu profiter de mon adolescence.
18:08 - Très longtemps !
18:10 - Contrairement à ses deux frères, l'aîné Marion, notre fille, qui elle a toujours juré ne jamais épouser le métier,
18:20 elle est partie dans les chevaux, elle était professionnelle dans les chevaux, et il y a 4-5 ans de ça,
18:26 ou peut-être même plus récent, il y a 2-3 ans de ça, elle a arrêté cette activité-là pour nous rejoindre.
18:32 Elle est avec nous maintenant. Alors elle est plus du côté hôtellerie, administration auprès de Marie-Pierre,
18:37 mais elle a suivi un parcours différent. Mais tous les deux, moi je dois dire, on est tombés des nues, Marie-Pierre et moi,
18:45 on est sortis à quelques semaines du bac, ils ont 6 ans d'écart, tous les deux, mais même scénario,
18:53 quelques semaines du bac, on voudrait rentrer dans une école de cuisine pour parfaire nos connaissances sur la cuisine.
19:02 On dit mais à l'un et à l'autre, mais tu es sûr ? Tu es sûr ? Tu ne dis pas ça pour nous faire plaisir.
19:09 Elle n'était vraiment pas du tout comme Jean et Pierre dans les années 60 ou 50 même, puisqu'à 14 ans, c'était juste à la sortie de la guerre.
19:19 - Il y a deux questions en réalité, il y a effectivement est-ce que je vais faire la même profession que mon père,
19:24 mais il y a aussi est-ce que je vais la faire avec mon père et au sein de la famille Troigros ?
19:30 Pour revenir un peu en arrière, le tout début de la famille Troigros, en tout cas à Rouen, dans cette belle région de la Loire, c'est 1930.
19:39 Votre grand-père, que je ne dise pas de bêtises, Pierre, donc, non, qu'est-ce que je suis en train de vous dire ?
19:47 J'ai pris mon petit organigramme et effectivement je l'ai perdu. Jean-Baptiste et Marie, ce sont eux qui installent à Rouen,
19:53 en face de la gare, le premier restaurant et ils reprennent un hôtel en fait, c'est ça ?
19:57 Ils reprennent un hôtel modeste, place de la gare et ils n'étaient pas propriétaires, ils étaient locataires,
20:02 d'ailleurs on l'était encore juste avant le déménagement à Ouche en 2017.
20:06 Oui, ils arrivent de Chalon-sur-Saône, c'est elle qui cuisine, c'est lui qui est le patron.
20:11 Comme il a beaucoup de copains vignerons, il amène avec lui toutes ses connaissances et une bonne petite cave
20:16 et la réputation arrive assez vite, localement, autour des vins et de la bonne cuisine de Marie.
20:22 Les deux fils, derrière, Jean et Pierre, on leur impose donc de faire la cuisine.
20:28 Ils partent tous les deux en apprentissage à droite à gauche, mais notamment chez Poin à Vienne
20:33 et puis Maxime, Lucas Carton, enfin des grandes maisons parce que leurs parents avaient l'ambition pour eux déjà,
20:39 l'ambition pour leur maison on va dire et quand ils reviennent au tout début des années 50, l'un après l'autre,
20:45 c'est là qu'ils reprennent les fourneaux à Marie, leur maman, et puis que très vite ils se font remarquer
20:51 par le guide Michelin, la première étoile arrive en 56, la deuxième en 63 et la troisième en 68.
20:59 Et là, après, dès lors, la consécration aux trois étoiles Michelin, leur a été ouverte les portes de la réputation, de la notoriété.
21:09 Et puis après, en même temps, il y a la nouvelle cuisine.
21:11 Alors justement, allons-y, cette nouvelle cuisine, qu'est-ce que c'est exactement ?
21:14 Eux, ils arrivent avec un plat signature qui arrive dans les années 50 sur les tables du restaurant à Rouen,
21:21 c'est le saumon à l'oseille. Qu'est-ce qu'il a de particulier ce saumon à l'oseille ?
21:25 Pourquoi il devient le symbole de cette nouvelle cuisine ?
21:28 - Je n'en sais rien. - Vous en mangez encore, vous, du saumon à l'oseille ?
21:31 - Rarement, mais on peut se faire des petits plaisirs familiaux, de temps en temps.
21:35 - Voilà, des petits souvenirs. - Et puis on peut l'offrir à quelques clients.
21:39 - Oui, de temps en temps. - Oui, curieux, nostalgique, ça nous ennuie un peu quand il y a de la nostalgie, j'avoue.
21:46 Mais plutôt pour donner à goûter et pour montrer en même temps à nos jeunes autour de nous, en cuisine, en salle, c'est quoi le saumon à l'oseille ?
21:58 Mais pourquoi ce plat-là plus qu'un autre ?
22:03 Peut-être parce qu'il est simple, parce que son identité, en effet, est très lisible.
22:09 C'est une escalope de saumon taillée fine, qui est sous-cuite, ce qui n'était pas habituel.
22:14 A l'époque, le saumon était toujours très cuit, donc cotonneux.
22:17 Vous voyez, un saumon très cuit, ce n'est pas bon.
22:19 Donc là, il a été sous-cuit, quelques secondes de cuisson sur chaque face.
22:24 Une sauce à la crème, réduction d'échalote, de vin blanc, de noix yprate, de fumée de poisson, crémée.
22:31 Une crème magnifique, au point d'ébullition, on retire.
22:36 Quelques gouttes de jus de citron, et puis la poignée d'oseille.
22:39 Donc, cette fraîcheur végétale de dernier instant dans la sauce, comme ça.
22:45 Et vraiment au dernier instant, au moment où l'escalope est posée dans la poêle et fait un aller-retour dans la poêle.
22:50 Et tac, on met sur l'assiette chaude, comme ça.
22:53 On pourrait dire très bleue, très rose à cœur.
22:56 L'assiette chaude prolonge la cuisson pendant son temps, on pourrait dire, de service au client.
23:03 Avec ça, il y a le principe du service à l'assiette, qui à l'époque n'était pas commun.
23:08 On servait les plats au guéridon, il y avait de la découpe, c'était long, etc.
23:12 Donc il y a aussi l'accélération du travail du cuisinier en direct avec le client.
23:19 - Et tout ça, c'est donc effectivement votre héritage.
23:22 Tout à l'heure, votre père et votre oncle parlaient des produits d'exception.
23:26 Alors il y aura aussi le homard à la sauce cancale, au beurre cancalé.
23:31 Il y aura d'autres choses.
23:33 Et vous Michel, quand vous reprenez les choses en main, on est dans les années 90,
23:36 vous décidez aussi de tirer un trait sur la tradition, d'inventer quelque chose de nouveau,
23:42 d'imaginer une nouvelle image, une nouvelle saveur peut-être de la famille Trois Gros.
23:48 Ça c'était important aussi de...
23:50 - Oui parce que le saumon à l'oseille, en effet, je le dégage parce qu'il était devenu trop systématique,
23:55 qui n'était pas la carte du premier au dernier jour de l'année.
23:58 C'était devenu après, franchement, un concept.
24:02 C'était devenu trop commerce.
24:04 - Mais c'est un risque de faire ça, de perdre comme ça quelque chose qui est la marque de fabrique ?
24:09 - Mon père ne l'a pas vu d'un bon oeil à ce moment-là, parce qu'il était réclamé par les clients.
24:13 Mais ça ne fait rien.
24:15 On s'est fait Marie-Pierre, j'ai été aidé par Marie-Pierre pour ça.
24:18 Elle était là derrière, elle voyait les choses avec modernité,
24:21 sans pour autant le bafouer, le dégager, parce qu'on ne l'a jamais oublié, on l'a juste mis de côté.
24:27 Mais en même temps, l'exemple du renouvellement a toujours été la règle à suivre, on va dire.
24:33 Ce n'est pas le saumon que j'ai pris, pas plus que le homard qu'en calais, comme règle à suivre,
24:38 mais bien le fait de faire des pas en avant, d'explorer.
24:43 C'est ça que j'ai suivi, c'est ça qu'aujourd'hui Léo et César ont à cœur,
24:50 et même c'est accéléré aujourd'hui par rapport à nous.
24:54 Aujourd'hui, ils sont dans un perpétuel questionnement, donc propositions nouvelles.
24:59 C'est ça la règle de la maison.
25:01 - Il y a la volonté de contredire le père aussi, je crois.
25:05 - Allez-y, dis-le nous.
25:06 - C'est ce qui se passe dans le film Menu Plaisir, ce qu'on ne sait pas, ce qui est derrière,
25:10 on parle de plats, et puis après on ne connaît pas la finalité de ces plats.
25:14 Je crois que l'asperge à l'amande, il m'avait dit de retirer la sauce.
25:20 Je ne l'ai jamais retiré.
25:22 C'est une volonté de contradiction et d'aller aussi...
25:26 - Mais vous l'avez mangé en entier aussi, non ?
25:30 - Ah non, tu ne l'as pas mangé, je crois, l'asperge.
25:32 - Je l'ai mangé beaucoup plus tard, mais c'était fait, mais c'était à un moment.
25:38 Je propose, mais je sais que ça sera suivi ou pas, mais j'ai été comme ça.
25:43 Ils sont comme j'ai été avec mon père.
25:45 - Léo et César, donc cette quatrième génération de la famille Trois Gros que l'on découvre
25:50 dans ce documentaire Menu Plaisir qui sortira, je le rappelle, en salle le 20 décembre prochain.
25:56 Ce qu'on voit surtout dans ce documentaire, c'est ce nouveau projet que vous avez mené
26:01 en 2017, Michel, pour vos enfants.
26:04 Pour que vos enfants restent aussi peut-être dans cette institution familiale qui est de
26:09 quitter la ville.
26:11 Rouen, c'est terminé.
26:13 Le bâtiment, le restaurant face à la gare, ce n'est plus là que ça se passe.
26:17 Vous quittez Rouen à quelques dizaines de kilomètres en direction de Houches où là,
26:23 véritablement, vous leur offrez le plus beau terrain de jeu.
26:27 - Ils sont associés à l'aventure.
26:29 Leur jeu d'ailleurs, c'est Michel et Marie-Pierre.
26:31 Peut-être que c'est même d'ailleurs Marie-Pierre et Michel qui prennent cette décision-là
26:35 qui n'est pas rien à l'époque parce que ça fait 86 ans qu'on est là.
26:38 C'est une institution qui est posée.
26:40 On nous a pris vraiment pour des dingues à l'époque.
26:42 Vraiment, on dit "mais qu'est-ce qu'ils sont en train de faire ?" Ils se tirent une balle
26:45 dans le pied.
26:46 Je croisais des collègues qui me disaient "mais vous êtes dingos, votre histoire est là,
26:51 vous, vraiment".
26:52 Je dis "bon, peut-être, mais on a décidé de le faire, on a trouvé un lieu, on a eu
26:57 un coup de cœur il y a longtemps".
26:59 L'émergence d'une réflexion qui n'est pas immédiate.
27:04 Ça faisait 10 ans avec Marie-Pierre qu'on réfléchissait, qu'on commençait à se renouveler.
27:08 Puis on n'était pas propriétaire, on était locataire.
27:10 On n'arriverait pas à être propriétaire après 86 ans, place de la gare.
27:14 On était contraints par l'espace, il n'y avait rien à faire, etc.
27:18 Là aussi, c'est une affaire de famille dirigée, entraînée par Marie-Pierre.
27:23 Marie-Pierre est la locomotive réellement de cette décision.
27:26 Réellement, je le dis souvent et je le pense profondément, seul, je ne prenais pas la décision.
27:32 Je n'y allais pas.
27:33 Je le confirme.
27:34 Non, je n'y allais pas.
27:35 Et puis après, on s'est engagé là-dedans, ça a été passionnant.
27:39 On avait Patrick Bouchin, l'architecte à nos côtés, qui nous a au départ suivi avec
27:45 réticence, parce que lui aussi était conscient des dangers qu'on prenait en déménageant.
27:52 Et puis après, il s'est engagé totalement, il nous a conseillé, il a transformé le
27:57 lieu qui est magnifique.
27:58 Vous dites, Michel Trebeu, quelque chose de très intéressant.
28:01 Vous dites, on était à Rouen comme dans une citadelle, refermée sur nous-mêmes.
28:05 Désormais à Oush, on est tourné vers la campagne et les produits.
28:09 Ça veut dire que c'est aussi une nouvelle façon de cuisiner.
28:12 Léo, peut-être, vous pourrez nous dire.
28:14 Oui, évidemment, parce que grâce à ce déménagement, on a aussi pu créer un jardin.
28:20 Et César s'épanouit grâce à ce jardin et travaille les produits de ce jardin.
28:26 Du coup, au lieu de se tourner vers les homards, le caviar, les produits de luxe qu'on trouve
28:31 dans les maisons aujourd'hui triplement étoilées, on se tourne vers les légumes.
28:36 Et plus ça va, plus je pense que la cuisine de César évolue dans ce sens-là.
28:41 Travailler les légumes qui sont à deux pattes chez nous.
28:45 Et la tienne aussi, parce que la colline du Colombier, la maison de Léo et Lisa,
28:52 c'est un avant-goût de Oush.
28:55 La colline du Colombier se fait en 2007.
28:59 Dix ans plus tard, on fait trois gros à Oush.
29:02 Donc on prend goût à la campagne avec la colline du Colombier qui est maintenant entre ses mains.
29:07 Et sans le savoir, on mettait déjà un pied et puis après on y a mis la totalité de nous.
29:14 Voilà, vers la campagne.
29:16 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
29:20 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
29:24 La cuisine, il faut la faire d'abord pour soi-même.
29:27 Parce que je ne pense pas que quand un peintre peint un tableau, il le peint pour lui.
29:31 Quand un musicien joue de la musique, je ne pense pas qu'il s'occupe pour qui il joue.
29:35 Donc nous, quand on fait la cuisine, on fait d'abord pour nous, pour ce qu'on aime nous.
29:39 Et finalement, on fait manger aux autres ce que le cuisinier aime.
29:42 Parce qu'un plat qu'on n'aime pas, on ne le fait pas.
29:45 J'essaye d'imposer mes goûts.
29:47 C'est-à-dire mon style, je pense que les peintres ont eu une époque bleue.
29:50 Nous, on a eu une époque de poisson, on peut avoir une époque de viande.
29:53 Un jour, on peut supprimer un plat sur la carte qui est très bon, mais on ne veut plus le voir parce qu'on en a assez.
29:57 Pour moi, il y a difficilement de nouveaux plats.
30:01 Finalement, tous les plats ont été faits, tous les plats ont été exécutés.
30:03 Mais enfin, il peut y avoir une nouvelle interprétation.
30:06 Et quand on met un plat en service, d'abord je dis que je suis le commandant de mon navire.
30:10 Et qu'avec moi, j'ai 48 matelots.
30:12 Dans ces 48 matelots, il y a 18 cuisiniers, il y a 18 dans la salle et puis tout le reste.
30:18 Donc, si vous voulez, c'est un grand navire.
30:20 Et avant, il faut mettre les gens en confiance, d'abord ceux qui le font.
30:23 D'abord, on le goûte, on le fait pour nous.
30:26 Et là, tout le monde critique, tout le monde pense que ça va, ça ne va pas.
30:29 Et après, on le met en service.
30:31 Et on le met en service et on regarde ce qui revient dans les assiettes.
30:34 Parce que ce qui est important, c'est ce qui revient dans les assiettes.
30:36 Donc, s'il ne revient rien dans les assiettes, c'est que le plat est bon.
30:39 Et ça, c'est le meilleur test. C'est les assiettes vides.
30:42 La voix de Paul Bocuse, le 25 mars 1976 sur France Culture.
30:46 Paul Bocuse qui était un ami de votre père Pierre, Michel.
30:50 Paul Bocuse qui a été aussi un modèle pour vous.
30:55 Léo, dans ce qu'il dit, est-ce que vous vous retrouvez dans ce qu'il vient de nous dire ?
30:59 Il y a des choses oui et d'autres où je suis un peu moins d'accord.
31:02 Sur le plat, par exemple. Sur tous les plats ont été faits ? Je vous ai vu réagir.
31:05 Voilà, c'est ça. Justement, ce que j'aime dans ce métier, c'est qu'il est sans cesse en évolution.
31:11 Et il n'y a pas de limite. J'ai l'impression que jusqu'à la fin de ma vie, je vais pouvoir créer des nouvelles choses.
31:16 Faire des nouvelles choses et m'épanouir tous les jours.
31:19 Aucune journée n'est la même. Bien sûr, il y a un petit quotidien qui s'installe.
31:23 Mais chaque journée est différente. Et c'est ce qui est très épanouissant dans ce travail.
31:28 De l'autre côté, je pense que dans ce qu'il a dit, il y a des choses quand même qui sont vraies.
31:35 Ce n'est pas évident non plus de se remettre en question tous les jours et de changer un plat.
31:40 Quand un plat est à la carte du restaurant et qu'il plaît aux clients, ce n'est pas facile de se dire
31:48 "Ah ben, je vais le retirer et je vais tenter autre chose". Mais il faut le faire.
31:52 Est-ce que vous êtes d'accord avec lui quand il dit "On le fait d'abord, on cuisine d'abord pour soi,
31:56 pour notre propre goût, pour notre propre plaisir, notre premier plaisir, c'est ça le but d'abord ?"
32:02 C'est comme ça qu'on crée son identité. C'est comme ça que je suis en train de créer la mienne d'ailleurs.
32:07 Ce n'est pas en cuisinant pour mon père, pour ma mère ou pour les autres.
32:10 C'est en goûtant, en se disant "Ah, j'aime ça, je vais proposer ça".
32:14 Donc en effet, quand je travaille sur mes plats et que je les goûte, c'est là qu'on cuisine pour soi.
32:19 Et après, on le sert au client et on se rend compte s'il plaît ou pas au client.
32:23 Mais ce qui est un peu différent de ce qu'on entendait quand vous avez raconté l'histoire de votre famille,
32:28 on avait quand même cette idée de cuisiner pour les autres.
32:31 C'était une structure qui était accueillante où on faisait de la cuisine familiale avec Marie au fourneau.
32:39 Là, vous êtes monté en grade. Vous parlez d'identité culinaire, il y a une dimension artistique.
32:44 C'est tout autre chose là, ce que vous décrivez comme processus, Léo.
32:49 Pour moi, l'aboutissement c'est de donner du plaisir.
32:53 D'ailleurs, c'est comme ça qu'on en récupère.
32:55 C'est quand on voit les clients partir et qu'ils sont heureux.
32:58 D'ailleurs, je suis cuisinier, mais mes parents avant tout sont restaurateurs, hôteliers-restaurateurs.
33:05 Et c'est ce que j'ai envie d'être. Aujourd'hui, je suis cuisinier.
33:07 Et demain, d'ailleurs, au début de la nouvelle année, je vais devenir hôtelier-restaurateur.
33:13 Et c'est ça que l'on est finalement. On n'est pas une famille de cuisiniers, on est une famille de restaurateurs.
33:18 Ça veut dire quoi comme changement de terrain ? Que c'est beaucoup plus accueillant ?
33:21 C'est quoi la différence entre les deux ?
33:23 On voit les choses de façon beaucoup plus large, je crois.
33:25 C'est-à-dire qu'on s'élève au-delà de la cuisine, tout en restant des cuisiniers dans l'âme, on va dire.
33:31 Et en ayant la cuisine comme cœur de notre activité.
33:36 Mais on s'élève, c'est-à-dire qu'il faut devenir un patron, un chef d'entreprise.
33:40 C'est-à-dire qu'il faut avoir le regard partout.
33:42 Et puis parce qu'on sait très bien, et on le voit très très bien dans le film,
33:45 qu'il y a une complicité très forte entre tous les services.
33:48 Et notamment le service de salle, la sommellerie, avec la cuisine.
33:52 D'abord parce qu'il y a des "pairings", il y a des associations.
33:55 Et puis parce que tout contribue à l'expérience gastronomique.
34:00 L'assiette est un des éléments principaux, soit de l'expérience, mais le lieu, la température, la lumière,
34:08 l'acoustique, la qualité des matériaux, le propos tenu, la présentation d'un mets,
34:14 comment on raconte une histoire, c'est une immersion dans un lieu.
34:18 Et c'est ça qui est embellé, on va dire, quand l'assiette arrive.
34:22 C'est pour ça qu'elle devient événement presque, l'assiette.
34:25 Et dans "Une famille aussi", parce que vous êtes tous les deux d'ailleurs dans le film,
34:29 très présents en salle auprès des clients pour échanger avec eux, discuter.
34:33 On reconnaît la voix de Michel dans la voix de Léo.
34:36 Il y a des choses qui sont très amusantes, mais il y a ce rapport au client qui est direct.
34:41 Vous n'êtes pas caché dans votre cuisine.
34:43 - Non, on est là, on est omniprésent, on est dans notre maison.
34:46 - C'est vrai que c'est là où vous vivez quand même.
34:49 - C'est l'endroit où on vit, on n'est pas aux quatre coins du monde,
34:51 ça ne nous empêche pas de voyager quand on peut.
34:53 Parce qu'en plus, comme on est en famille, si on a un qui est parti, l'autre, tac,
34:58 il prend immédiatement tout pour lui.
35:02 Donc non, je crois qu'on est vraiment des personnes amoureuses,
35:08 amoureuses de notre métier, amoureuses de notre maison et de nos clients.
35:11 - Et c'est là où on va prendre des forces.
35:13 Moi, je vais prendre des forces à la fin du service,
35:15 parce que c'est pour les clients qu'on fait à manger.
35:18 Leur retour, c'est un peu notre machine, l'huile qui fait tourner la machine.
35:24 - Michel, quand est-ce que vous allez lâcher la veste ?
35:27 Est-ce que c'est prévu ?
35:28 Est-ce que vous vous dites déjà comment je vais faire ?
35:31 Comment a fait mon père déjà ? Comment moi je vais faire ?
35:34 Ou est-ce que c'est impossible ?
35:36 - Écoutez, j'apprends à prendre du temps libre, du temps dehors.
35:40 J'organise les choses, c'est déjà enclenché.
35:43 Ça l'est pour la cuisine.
35:44 César et Léo à la colline du Colombier, ça y est,
35:49 tous les deux sont affranchis du père et s'expriment merveilleusement avec leur style.
35:57 Moi je suis en apprentissage, un nouveau métier, prendre du temps pour moi.
36:05 - Je crois que tu as fait évoluer ton métier aussi, c'est ça qui est important.
36:08 Tu n'es plus en cuisine, aujourd'hui tu t'occupes d'autre chose,
36:12 en périphérie de la cuisine, de temps en temps tu mets les pieds en cuisine,
36:15 mais c'est très rare et tu as su développer cet art.
36:20 - Merci beaucoup Léo et Michel Troigrot.
36:23 On s'approche de la fin de l'émission.
36:24 Je rappelle qu'on vous retrouve avec donc, et je cite toute la famille,
36:27 César, Marion, Marie-Pierre et Lisa, notamment dans ce documentaire
36:32 "Menus plaisir" au pluriel, réalisé par le cinéaste américain Frédéric Weissmann.
36:36 Il sort le 20 décembre prochain au cinéma et c'est en partenariat avec France Culture.
36:41 - Pour finir, nous avons choisi deux chansons, l'une sur la cuisine au beurre,
36:45 l'autre sur la cuisine à l'huile.
36:48 Laquelle vous voulez écouter ?
36:50 - C'est l'huile d'olive ?
36:52 - Vous êtes trop précis là !
36:54 - Allez, prenons la chanson au beurre, elle est française !
36:58 - Allez, prenons la chanson au beurre, elle est française !
37:01 - A du pain et du beurre, ah moi je n'aime que ça !
37:11 A du pain et du beurre, allez ça s'arrête là !
37:17 Tous les jours j'en mange, à tous les repas,
37:23 Ah car la vie que j'aime, ne sert à faire que ça !
37:29 A du pain et du beurre, ah moi je n'aime que ça !
37:35 A du pain et du beurre, allez ça s'arrête là !
37:40 Oh oh oh au début pour lui plaire, j'en mangeais de bon cœur,
37:46 En lui disant c'est délicieux, quand j'en avais horreur !
37:52 A du pain et du beurre, ah moi je n'aime que ça !
37:58 A du pain et du beurre, allez ça s'arrête là !
38:03 - C'est un peu sommaire ce que nous propose croque-françois du pain et du beurre,
38:06 mais c'est quand même de la cuisine au beurre.
38:08 Merci beaucoup Michel et Léo, trois gros d'être venus dans les Midi de Culture,
38:11 une émission préparée par Aïssa Tsoendoï, Anaïs Sisbert, Cyril Marchand, Manon Delassalle,
38:15 Laura Dutèche-Pérez et Zora Vignet.
38:17 L'émission est réalisée ce midi par Nicolas Berger et à la prise de son,
38:20 Raphaël Rousseau. A demain Géraldine.
38:22 A demain Nicolas.

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