BD : rencontre avec Martin Panchaud, récompensé au festival d'Angoulême

  • l’année dernière
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00:00 *Générique*
00:16 Bonjour à tous dans le BD Club. Aujourd'hui le lauréat du FAUVE D'OR au dernier festival d'Angoulême.
00:22 Le Suisse Martin Ponchot et son éditeur Serge Evensyk pour "La couleur des choses" publié chez Saëla.
00:28 Car à travers le talent de l'auteur, c'est aussi le travail de défrichage, de repérage et l'engagement
00:33 d'une maison d'édition indépendante qui a été récompensée.
00:36 À Angoulême, Alexandre Astier a dit qu'il était prêt à mettre son titre de président du jury en jeu pour le faire gagner.
00:43 Et ce ne fut pas nécessaire. Le roman graphique du jeune Suisse a fait l'unanimité.
00:48 Avec nous Martin Ponchot et Serge Evensyk jusqu'à midi et demi.
00:51 *Générique*
01:04 Une émission programmée par Henri Leblanc, préparée par Sacha Matéi, coordonnée par Laura Dutèche-Pérez
01:09 avec Félicie Fogère à la réalisation et Jean-Guylain Mej à la technique.
01:14 Simon est un jeune anglais. Il est mal dans sa peau. Il est harcelé par ses camarades de quartier.
01:18 Mais il va finalement toucher le gros lot, le jackpot, au quintet, en suivant les conseils d'une voyante.
01:23 16 millions de livres, le jackpot, après une combinaison gagnante.
01:26 Sauf que pour toucher l'argent, Simon, qui est mineur, doit obtenir la signature d'un de ses parents.
01:32 Or sa mère est dans le coma et son père s'est fait la belle.
01:35 Les problèmes commencent, mais l'aventure aussi.
01:39 Voilà pour le pitch, comme qui dirait de la couleur des choses, de Martin Ponchot.
01:43 Bonjour à vous Martin.
01:44 Bonjour.
01:44 Bonjour et bonjour à votre éditeur Serge Evensyk.
01:47 Bonjour.
01:47 Bravo à tous les deux déjà.
01:49 En fait, Martin, est-ce que vous diriez que c'est d'abord un roman d'aventure ?
01:53 Un roman à problème, mais aussi un roman d'aventure.
01:55 Oui, oui, oui.
01:57 C'est vrai que je l'ai pensé comme un voyage, un parcours.
02:02 Et aussi dans l'envie de raconter des émotions fortes, des aventures,
02:08 de partir d'une situation finalement assez banale pour arriver vers l'extraordinaire.
02:13 C'était ça vraiment, je dirais, l'intercelle de départ, le point de départ.
02:19 Et quel a été le vrai point de départ ?
02:21 C'est-à-dire comment est née l'idée ?
02:24 Alors l'idée, c'est assez empirique et ça a pris pas mal de temps.
02:29 D'abord, j'ai un peu par hasard découvert ce langage, ce style.
02:34 Puis après, je l'ai voulu le faire grandir,
02:37 le sortir de cette zone d'expérimentation pour le mettre dans le concret.
02:40 Et c'est là où j'ai eu cette idée de se dire, il me faut un roman, un vrai livre,
02:44 une histoire et des personnages forts, des péripéties.
02:50 Et c'est là où je me suis dit, OK, travaillons maintenant à l'écriture de ce livre.
02:55 Alors on va voir de quelle cuisse de Jupiter est née Simon tout à l'heure,
02:58 peut-être en tout cas de votre imagination.
03:00 Serge, de votre côté, est-ce que j'ai bien résumé l'histoire ?
03:03 Comment vous, l'éditeur, vous avez fait pour présenter ce livre aux libraires, aux lecteurs ?
03:10 - Ça a été un petit peu compliqué parce que ce qu'on n'a pas encore évoqué ici, c'est que...
03:14 - C'est le suspense, comme dans le livre.
03:16 - D'accord.
03:17 - Non, non, allez-y, allez-y.
03:18 - C'est qu'il y a une particularité dans l'approche du travail de Martin Penchot pour ce livre.
03:24 Notamment, c'est que tout est raconté vu de haut et tous les personnages sont représentés sous forme de cercle,
03:29 de couleurs et chaque personnage a sa propre couleur.
03:31 Donc, c'est un livre qui, de prime abord, est un peu improbable,
03:36 en tout cas, interpelle les gens quand ils le voient.
03:39 Et c'est vrai que c'était un peu un challenge, on va dire, d'arriver à convaincre tout le monde dans la chaîne du livre
03:45 que ce livre pouvait trouver son public.
03:49 - D'ailleurs, est-ce qu'on peut dire que vous n'avez pas tout de suite été convaincu ?
03:51 C'est peut-être pas vrai, mais...
03:52 - C'est tout à fait faux.
03:53 En fait, moi, j'ai, dès le départ, été entièrement conquis par le projet.
03:58 Enfin, j'étais déjà...
04:01 Quand j'ai vu la couverture et les deux premières pages, j'ai été complètement acquis à la cause, on va dire.
04:06 Ce type de représentation graphique m'intéresse énormément.
04:10 En revanche, je me suis dit, il ne va jamais réussir à tenir la route
04:13 et ça va se casser la figure au milieu du récit ou au premier tiers.
04:17 Et en fait, au fur et à mesure que j'avançais dans la lecture du livre, je me disais,
04:20 c'est génial, c'est hyper prenant, ce mécanisme de dessin improbable fonctionne très bien, il devient intuitif.
04:27 Et effectivement, jusqu'à la fin de l'histoire, c'est un véritable patch-turner.
04:32 On a du mal à s'arrêter de lire le livre et il y a une conclusion explosive.
04:36 Et on est complètement happé par l'histoire de ce jeune Simon.
04:40 Donc moi-même, j'étais effectivement convaincu.
04:43 Ceci dit, j'étais aussi convaincu de ne pas le publier.
04:47 Parce que, en fait, j'ai trouvé que c'était un livre génial.
04:50 Mais comme je ne publiais jusqu'ici pas de livres d'auteurs étrangers francophones,
04:56 j'ai dit à Martin d'écouter ton bouquin.
04:58 - Alors, il y a étranger et étranger.
04:59 La Suisse n'est pas assez étrangère pour vous.
05:01 - Exactement.
05:02 Les éditions Saïla, c'est une maison d'édition que j'ai créée il y a 18 ans, qui est consacrée
05:06 au domaine étranger.
05:07 On publie que des auteurs et autrices de pays étrangers.
05:08 On en a 33 pays différents.
05:09 Et jusqu'à l'année dernière, je publiais uniquement des auteurs et autrices de pays
05:13 étrangers non francophones.
05:15 Et c'est pour ça que j'avais dit à Martin, écoute, je trouve ton bouquin super, mais
05:19 je ne vais pas le publier.
05:20 En revanche, je te donne des coordonnées d'éditeurs et d'autres maisons d'édition
05:22 et tu vas pouvoir les trouver.
05:23 - Sauf qu'il est têtu.
05:24 - Sauf qu'il est têtu.
05:25 Il est revenu à la charge, il a eu bien raison.
05:28 Moi, entre temps, j'avais commencé à cogiter et c'est vrai que ça me turlupinait cette
05:33 histoire de bouquin génial que je n'allais pas pouvoir publier.
05:36 Et du coup, au bout d'un moment, je me suis dit, arrête, il faut ouvrir le champ.
05:42 Et effectivement, je me suis dit, on va commencer à publier des auteurs étrangers francophones.
05:47 J'étais déjà en contact avec une Marocaine et un Libanais qui m'avaient approché.
05:50 J'ai dit à Martin, on y va.
05:52 Il faut que ce livre existe en français.
05:55 On va le publier.
05:56 - Voilà, il aura été l'entorse à la règle et en même temps, celui par qui l'ouverture
06:01 a été possible.
06:02 Et c'est d'autant plus intéressant que ce roman graphique, cette BD, ouvre aussi le
06:06 champ des possibles en termes de nouvelles écritures, comme on le voit de plus en plus.
06:10 Il y a une créativité et vous l'incarnez avec cette BD, Martin Penchaud, une créativité
06:16 toute nouvelle en ce moment.
06:17 Ce qui est fascinant avec la BD, avec le 9e art, c'est qu'on a le sentiment que plein
06:20 de choses peuvent encore se passer.
06:22 - Oui, complètement.
06:25 Moi, je suis arrivé par la BD un peu par hasard, par accident.
06:30 C'est un art qui ne m'avait jamais vraiment...
06:34 Je ne me suis jamais dit étant enfant, un jour je serai auteur.
06:36 Et je suis arrivé dans une école où j'étais entouré de passionnés.
06:40 Et donc la BD est arrivée un peu en masse sur moi, avec des gens qui me présentaient
06:48 des styles, des manières de faire très variées, très différentes.
06:51 Et à travers tout ça, je suis tombé en amour de ce langage.
06:57 Et aussi vu le potentiel narratif de tout ce qu'on peut faire avec des images mises
07:03 en séquence et le pouvoir d'imaginer du lecteur.
07:07 Et c'est vrai que c'est un territoire qui est encore à défricher, à explorer.
07:14 Moi, j'ai trouvé cette petite île, ce territoire un peu fait de symboles que Serge décrivait.
07:21 Et que je reste encore à cartographier, à explorer.
07:24 - "Tombé en amour", c'est le Québécois Xavier Dolan qui nous disait ça l'autre jour.
07:28 On dit ça en Suisse aussi ? - Moi j'aime bien.
07:31 - Vous êtes entré dans l'image par le cinéma et la BD finalement.
07:37 Ça a été à l'école que vous l'avez réellement découverte ?
07:39 - Oui, alors il faut savoir que moi je suis un grand dyslexique.
07:42 Pendant des années, j'ai cherché à apprendre ce code qui est le code de l'écriture, de
07:47 la lecture, de l'orthographe et de la grammaire.
07:50 Codes que j'ai jamais réussi à déchiffrer.
07:53 Mais finalement, c'est plus tard en faisant mes études de graphisme où j'ai compris
07:58 que la lettre était un dessin, le mot était un dessin, la typographie, tout ça véhiculait
08:03 déjà quelque chose.
08:04 Et finalement, c'est une extension, la BD est une extension de ce code, de cette mise
08:09 en séquence, de ce langage.
08:11 Et c'est là en fait où finalement, parce qu'on pense que c'est très nouveau ce que
08:18 j'apporte, mais le lecteur en fait a tout en lui pour décrire, pour décrypter, pour
08:23 combler les vides en fait.
08:24 - Un converti sur le tard, avez-vous dit, Martin Panchot, sur le tard, soyons raisonnables,
08:30 c'était à 20 ans, sachant que vous en avez tout juste 40 aujourd'hui.
08:33 Chris Ware a été, vous l'avez dit, d'une grande influence pour vous.
08:36 Est-ce que vous l'avez rencontré ?
08:38 - Je l'ai vu de loin.
08:39 - De loin.
08:40 Et alors ? Il ressemble à un poing ?
08:43 - Non, non, non.
08:45 En fait, Chris Ware, il faut savoir que c'est une sorte de monument dans le paysage de la
08:50 BD.
08:51 Il a un engagement et puis un jusqu'au-boutisme qui est assez total.
08:55 C'est très admirable.
08:57 Mais j'ai des accointances, j'ai des amitiés artistiques avec lui, mais je pense qu'on
09:05 est quand même sur deux territoires assez différents.
09:07 Et oui, c'est vrai qu'on m'en parle très souvent.
09:11 - Mais vous en parlez aussi, par ailleurs.
09:14 - Oui, oui.
09:15 Je n'ai pas l'influence que ça a eue.
09:17 - Ça tombe bien parce qu'on va l'écouter.
09:18 Alors, ne salotez pas la suite.
09:19 - Ecoutons-le, écoutons-le.
09:20 - Voilà.
09:21 Nous, on l'a rencontré, en tout cas.
09:22 On l'a rencontré à Chicago, chez lui.
09:24 Vous disiez, c'est un monument.
09:25 Et il dessine d'ailleurs de manière très particulière les buildings, les rues aussi
09:29 de sa ville.
09:30 L'américain Chris Ware nous disait que c'est la BD qui l'a choisi.
09:34 - En fait, je pense que c'était la bande dessinée qui m'a choisi.
09:42 Mais la manière de se rappeler des choses, c'est en les réduisant à leur forme idéale.
09:49 Bien sûr, c'est le cas dans la langue.
09:51 Et nous avons un équivalent visuel dans nos esprits.
09:57 Nous catégorisons les objets selon les concepts.
10:02 Et cela affecte notre manière de percevoir la réalité, de se rappeler de la réalité.
10:08 Et d'une certaine manière, les bandes dessinées reflètent cette façon de structurer la réalité
10:15 dans l'esprit.
10:16 C'est également une façon de construire sur le papier les différents niveaux de conscience
10:22 que nous vivons dans chaque moment.
10:24 Non seulement ce que nous voyons, mais ce qui se passe dans nos esprits de manière
10:30 linguistique, mais aussi visuelle dans nos esprits.
10:34 Par exemple, si je vous dis qu'un chat bleu saute sur une clôture, quelque chose se passe
10:41 dans votre esprit, ou vous voyez ce qui se passe.
10:46 Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'est-ce que vous voyez vraiment ? Vous voyez quelque
10:50 chose dans votre mémoire alors que vous vivez quelque chose dans la vie réelle.
10:56 Vous avez ces différents niveaux, ces différentes couches.
10:59 Et je pense que les bandes dessinées peuvent être au plus près de ce phénomène que
11:05 tout autre médium.
11:06 Voilà, il nous dit que l'histoire a un reflet de la manière dont la réalité est
11:11 structurée dans notre esprit.
11:13 C'est un peu ça au fond aussi ce que vous traduisez.
11:16 Ce reflet, ce n'est pas la réalité elle-même, c'est ce reflet dans votre imagination, dans
11:20 votre esprit à vous.
11:21 Complètement.
11:22 Et en fait, c'est ça qui est formidable, c'est de montrer des images abstraites, juxtaposées,
11:28 et que le lecteur puisse en tirer du sens, en tirer un vécu.
11:31 Et ce pas en arrière que je fais en représentant les personnages sous forme de cercles de couleurs,
11:36 c'est ce pas en plus que doit faire le lecteur, c'est-à-dire d'y mettre du sien, d'aller
11:41 chercher dans son vécu, dans son expérience.
11:43 Et c'est quelque chose que j'aime à croire, que plus on fait travailler le lecteur, plus
11:48 le lecteur s'implique dans l'histoire et plus il vivra des choses intensément.
11:51 Et ce qui était intéressant avec ce projet, ce qui me passionne avec ce langage, c'est
11:57 la frontière entre où j'ai encore un lien avec ce lecteur, avec son rapport à l'imaginaire,
12:02 et où je le quitte complètement et il ne comprend plus rien.
12:06 Et c'est de trouver cette juste limite qui a été une grande partie de ce travail.
12:11 Très juste.
12:12 Et vous aviez conscience, on a le sentiment en tout cas avec ce parti pris, que cette
12:15 absence de figuration ne serait pas un problème.
12:19 Je ne sais pas comment vous l'avez perçu Serge Évanzik à la première lecture, finalement
12:23 l'imagination du lecteur fait le boulot, elle fait le reste.
12:26 Tout à fait.
12:27 En fait c'est un procédé qui paraît expérimental de prime abord, mais très rapidement on
12:32 se rend compte que c'est intuitif en fait, et que le cerveau fait son travail.
12:38 Et ce que je trouve vraiment très intéressant, c'est qu'au-delà de l'exploit qu'a
12:41 réussi Martin en utilisant cette technique pour faire un roman graphique et raconter
12:47 une histoire de 250 pages, c'est que ça nous amène à nous questionner sur ce que
12:52 c'est que la bande dessinée aussi.
12:53 C'est le regard qu'on peut avoir sur la bande dessinée.
12:55 Et à élargir un peu le spectre.
12:57 C'est-à-dire qu'effectivement on mentionne Chris Square, il y a des auteurs aussi comme
13:00 Richard Maguire qui font des choses très intéressantes dans ce registre-là.
13:06 Mais je vois, alors ce n'est pas pour faire polémique, mais c'est vrai que depuis que
13:10 Martin Hulfford dort au Festival Angoulême la semaine dernière, il y a quelques esprits
13:13 chagrins qui disent "mais ce n'est pas de la bande dessinée, c'est honteux, ce n'est
13:16 pas du dessin".
13:17 C'est quoi la bande dessinée alors ?
13:18 Qu'est-ce que c'est que la bande dessinée ? Et donc ça, moi je ne me suis pas du tout
13:22 posé la question.
13:23 Dès la première page, j'ai compris que c'était la bande dessinée, que Martin utilisait
13:26 la grammaire de la bande dessinée, sa part séquentielle.
13:29 Mais il se trouve que c'est une façon différente de faire la bande dessinée que de la bande
13:33 dessinée classique.
13:34 Mais néanmoins, si je vous la pose la question, parce qu'aujourd'hui vous y avez réfléchi,
13:38 qu'est-ce que vous répondez ?
13:39 Quelle est votre définition de la bande dessinée ?
13:41 Moi j'ai une définition très très large de ce qu'est la bande dessinée.
13:44 C'est-à-dire qu'on publie des auteurs et des autrices qui ont des approches graphiques
13:47 très différentes.
13:48 Des auteurs qui font de la BD sans parole, de la BD qui pourrait être qualifiée de
13:55 non-dessinée, enfin en tout cas pas dessinée de façon classique.
13:58 Pour moi, la bande dessinée, c'est raconter une histoire de façon séquentielle, mais
14:03 avec des choix graphiques qui peuvent être parfois extrêmes.
14:07 On peut même considérer, alors ça n'a pas été manquant, on n'en a pas publié,
14:11 qu'une simple séquence de dialogue sous forme de bulles, mais sans qu'il y ait de
14:16 personnages, pourrait être considérée comme une bande dessinée.
14:17 Parce qu'il y a une séquentialité.
14:18 Et le cerveau va faire un travail qui est effectivement plus important.
14:22 Le pas dont parle Martin sera un peu plus important parfois, mais moi je suis assez
14:31 flexible dans ma conception de ce qu'est la bande dessinée.
14:34 Chris Weir nous disait à l'instant, si je vous dis un chat bleu saute sur une clôture,
14:39 comment le formaliseriez-vous ? On peut reprendre l'exemple de Simon, votre jeune héros,
14:44 votre personnage Martin Panchot dans La couleur des choses.
14:47 Parce qu'il faut dire que vous ne laissez jamais le lecteur seul.
14:50 Le parcours est fléché, le lecteur est aidé dans ce travail d'interprétation.
14:54 Mais vous, comment vous le voyez votre Simon au fond ? Est-ce que vous pourriez, là à
14:58 grands traits, nous le dessiner, la manière dont vous le représentez ?
15:02 Alors en fait, je ne crois pas que j'ai un rapport fixe avec son aspect, si vous voulez.
15:11 Pour moi c'est un personnage qui évolue, qui évolue beaucoup.
15:14 J'ai pas fixé comme ça un caractère.
15:19 Certains me l'ont décrit, certains m'ont dit "moi je le vois comme ça, j'ai tout de
15:23 suite pensé à ce personnage-là, de ce film par exemple, ou pour moi il est roux, c'est
15:27 évident qu'il est roux".
15:28 Alors que j'ai aucune définition.
15:30 Mais vous donnez quand même des indices, il est très gourmand, il mange beaucoup aussi.
15:33 Alors c'est justement ce jeu des dialogues de à la fois faire avancer l'histoire, à
15:39 la fois raconter de qui est le personnage et d'écrire qui est le plus costaud, qui
15:45 est le leader de ce groupe, quel rôle a Simon dans ce groupe, le rapport à la famille,
15:51 le rapport aux autres.
15:52 C'est tout ce jeu de pistes, comme vous le dites, où c'est au lecteur, avec les petits
16:00 indices que je lui donne, de se construire cette image mentale.
16:02 Et vous Serge ? Pour moi ça a fonctionné tout de suite, je ne sais pas si vous avez
16:06 vu à peu près le même personnage, c'était un mélange entre les "Twiddles Boys" d'Alice
16:11 au Pays des Merveilles de Lewis Carroll et un peu le Augustus Gloup dans "Charlie et
16:16 la chocolaterie" qui était aussi présenté d'ailleurs, comme le garçon gourmand, celui
16:19 qui va se noyer dans un fleuve de chocolat, façon Quentin Blake pour le dessin, où évidemment
16:25 Tim Burton à l'écran, on le voit un peu comme ça, roux aussi, exactement, avec son
16:29 pull à rayure.
16:30 Mais c'est mon imagination qui a fait ce travail, il n'y a pas tellement plus d'indices.
16:34 Pour vous Serge ? Moi c'est marrant, c'est comme Martin, je ne projette rien sur les
16:40 personnages, mais ça ne m'empêche pas d'interpréter leurs émotions.
16:43 C'est ça qui est assez extraordinaire dans le livre, c'est qu'on vit les émotions
16:46 des personnages au moment où ils arrivent, qu'ils soient en colère, tristes, anxieux,
16:51 alors qu'il reste des ronds, les mêmes ronds, parfaits du début à la fin.
16:54 Et ça fait la force du travail de Martin.
16:58 Mais je crois que d'un lecteur à l'autre, ou d'une lectrice à l'autre, l'interprétation
17:03 ne va pas être la même.
17:04 Il y a des gens qui, comme moi ou Martin, restent au niveau du symbole.
17:09 C'est-à-dire qu'on reçoit et on ressent les émotions, on comprend et on interprète
17:15 ce qui se passe, sans pour autant avoir besoin de projeter des caractéristiques physiques
17:20 particulières sur les personnages.
17:22 Là je crois vraiment que c'est aussi le fait que nous on a une appétence, tous les
17:25 deux, on en a beaucoup parlé, sur tout ce qui est iconographie, schéma.
17:29 Martin, par exemple, il y a quelques années, il avait fait l'intégralité du premier
17:33 épisode de La Guerre des Étoiles avec ce type de représentation graphique et tous
17:37 les personnages représentés sous forme de cercle, et avec la totalité des dialogues.
17:40 Et ça fonctionne super bien, il n'y a jamais aucun gros plan sur les personnages.
17:44 Et on ne se dit pas "Dark Vador il est comme ça, Luke Skywalker il est comme ça", c'est
17:48 juste un point blanc, un point noir.
17:49 Et ça suffit.
17:50 Donc il y a des gens pour lesquels ça suffit en fait.
17:52 Après c'est vrai que Star Wars a déjà travaillé nos imaginaires depuis longtemps
17:55 aussi.
17:56 On n'a peut-être pas besoin de Martin pour imaginer Dark Vador ou Luke par ailleurs.
18:01 Mais c'est intéressant ce travail de re-représentation que vous avez pu réaliser et travailler,
18:07 notamment avec l'aide du numérique aujourd'hui.
18:09 On y vient.
18:10 Mais pour l'heure, on va repartir en musique et une actualité.
18:14 *Musique*
18:32 *Musique*
18:58 *Musique*
19:22 *Musique*
19:50 *Musique*
20:19 *Musique*
20:40 Les Français de M83 avec ce titre, Amnesia, extrait de leur dernier album paru.
20:46 Album Fantasy, voilà pour son titre.
20:49 Et on est ensemble avec nos deux invités, le Suisse auteur de bande dessinée de romans
20:55 graphiques, Martin Penchot et son éditeur Serge Evanzik, jusqu'à midi et demi à l'occasion
21:00 de la consécration, plus que de l'apparution d'ailleurs, d'une bande dessinée, La couleur
21:05 des choses, Faufdor au dernier festival d'Angoulême.
21:07 Bd qui frappe par son originalité dans la forme et dans son graphisme.
21:12 Une histoire, on vous le disait, vue d'en haut où les personnages sont représentés
21:15 par des points, les maisons, les immeubles, les routes, vue d'en haut où le lecteur
21:19 devient un drone.
21:21 *Musique*
21:29 L'avenir de la bande dessinée, Martin Penchot, est-ce qu'il passera par le numérique ?
21:33 On parlait de ces possibles infinis tout à coup qui étaient ouverts.
21:36 Vous, vous êtes très réticent, non pas pour l'outil numérique, mais il y a une trouille,
21:41 une peur par rapport à l'intelligence artificielle et ce qu'elle pourrait provoquer.
21:46 Alors pas grand… Non, moi je suis assez confiant.
21:50 Ça fait deux fois que vous me dites non là et là et toi.
21:52 Oui, mais en fait, c'est vrai que dans le milieu des artistes, avec les différents
21:58 programmes qu'on appelle l'intelligence artificielle, qui ne sont pas vraiment l'intelligence
22:02 artificielle, c'est plutôt du regroupement de données de masse, se sentent en danger
22:07 et c'est vrai qu'aujourd'hui, il y a des barrières à l'entrée qui sautent, c'est-à-dire
22:11 que celui qui ne sait pas dessiner, celui qui ne sait pas peindre, peut, en alignant
22:14 quelques mots, être tout d'un coup l'auteur d'une peinture, d'une image et se dire
22:18 "bah c'est moi qui ai choisi cette image, c'est moi qui l'ai fait, je suis désormais
22:21 artiste".
22:22 Et je pense que beaucoup d'artistes qui sont en place voient un danger à travers tout ça,
22:27 que ce soit l'image ou le texte d'ailleurs, parce qu'il y a très récemment un nouveau
22:31 programme ChargeGPT qui vient arriver, qui vient bouleverser un peu tout ce milieu-là.
22:36 Après, je pense que c'est un très bon logiciel, c'est très utile pour le passé, pour reprendre
22:42 du passé, pour le remettre en actualité, mais pour inventer l'avenir, il est très
22:45 mauvais en fait, il ne peut pas être très actuel.
22:47 Donc je pense que le rôle des artistes aujourd'hui, c'est aussi de travailler sur un regard d'actualité,
22:52 un regard de compréhension de notre société.
22:55 J'ai une vision assez noble et assez large du rôle d'auteur qui n'est pas simplement
23:00 quelqu'un qui est là pour divertir, mais qui est aussi là pour raconter d'où on
23:05 vient, ce qu'on fait, où on va, nos émotions et plein d'autres choses.
23:10 Et ça, l'intelligence artificielle, pour l'instant, ces nouveaux logiciels n'y ont
23:13 pas accès.
23:14 Pas simplement pour divertir, ni simplement pour reproduire, ni simplement pour répéter.
23:20 Serge Evanzy, comment vous voyez-vous l'avenir du secteur aujourd'hui ?
23:24 En termes de créativité, on peut revenir sur l'aspect financier juste après éventuellement,
23:30 parce que votre maison a failli couler, vous l'avez raconté.
23:33 Est-ce qu'elle est d'ailleurs sauvée aujourd'hui avec "La couleur des choses"
23:36 et d'autres titres à succès qui ont pu paraître ?
23:39 En tout cas pour les prochaines années.
23:40 C'est vrai qu'avoir un succès comme celui de "La couleur des choses", dont on est
23:45 déjà à la 6e édition, va nous laisser en sécurité pendant deux ans.
23:51 Mais je suis à peu près sûr que d'ici trois ans, on reviendra à la normale et
23:54 que l'activité sera à nouveau ce qu'elle a été depuis les 18 ans, à savoir très
23:59 irrégulière en Dansey et en montagne russe.
24:01 Mais c'est normal.
24:02 Pour moi c'est structurel quand on est éditeur indépendant et on fait avec.
24:06 Ce n'est pas un problème en soi, il faut juste l'intégrer dans notre raisonnement
24:10 et dans la façon dont on a d'accompagner les livres qu'on peut éditer.
24:14 Attendez, ce n'est pas sûr, parce que vous êtes parti pour peut-être un tiercé à
24:18 votre tour, sachant que l'an dernier c'était "Écoute, jolie, Marcia", la BD du brésilien
24:23 Marcelo Quintanilla, qui avait remporté le Fauve d'or à Angoulême, édité chez vous,
24:28 chez Saëla.
24:29 Cette année c'est Martin Penchot, ça fait deux Fauves d'or en deux ans pour une petite
24:33 maison d'édition ou une maison d'édition indépendante.
24:35 Ce n'est pas rien et ça ressemble un peu au ticket d'or pour le coup de la tablette
24:39 de chocolat de Wonka.
24:40 C'est vous qui l'avez trouvé ?
24:41 C'est complètement extraordinaire.
24:43 C'est magique et c'est vrai que ce qui nous arrive est assez fou.
24:46 D'ailleurs j'utilise le terme magique parce qu'Alexandre Rassi a qualifié le livre
24:53 de la couleur des choses de magique.
24:55 C'est vrai que c'est une histoire un peu folle pour une maison d'édition indépendante
24:59 de gagner une fois déjà le Fauve d'or à Angoulême.
25:02 Angoulême c'est le plus grand festival du monde de la mode dessinée, je baisse mes
25:06 mots.
25:07 Et c'est vrai que remporter un prix dans le cadre de ce festival c'est une récompense
25:12 extraordinaire pour une maison d'édition indépendante et évidemment les auteurs et
25:15 les autrices qui y sont consacrés.
25:17 Vous ne le dites pas mais ce n'est pas simplement magique.
25:19 Ça récompense aussi un travail, derrière un choix, ceux d'une équipe.
25:23 Ce n'est pas simplement un coup de chance, non ?
25:26 Merci.
25:27 Il faut avoir les bons livres c'est sûr.
25:31 Je pense qu'on publie beaucoup de bons livres mais ça ne suffit pas.
25:36 Il faut avoir beaucoup de chance.
25:39 Il faut avoir évidemment les bons livres mais il faut qu'ils soient au bon moment,
25:42 qu'ils tombent entre les bonnes mains, au bon endroit.
25:45 Et ça il y a tellement d'impondérables que c'est impossible à prévoir.
25:48 Et on a publié depuis 18 ans tellement de bons livres qui sont passés à côté de
25:52 leur public qu'on s'y fait.
25:55 Mais quand le miracle arrive et qu'un livre rencontre le succès critique et public,
26:01 c'est extraordinaire aussi et on peut en profiter.
26:04 Mais je sais que ça nous est arrivé une fois, deux fois maintenant,
26:08 c'est un hasard miraculeux et on en profite et on s'en réjouit.
26:12 La relation avec le lecteur, ça y est maintenant, elle est nouée.
26:15 Pour vous, Martin Penchot, avec "La couleur des choses", est-ce que Simon est un
26:19 personnage qu'on pourrait retrouver, puisqu'on parlait de Chris Ware tout à l'heure,
26:23 un peu le Jimmy Corrigan dans sa série "Akmeh, novelty, library" ?
26:27 Je ne pense pas. Trois fois non.
26:31 Trois fois non, ok, merci.
26:33 J'ai envie d'explorer d'autres paysages, d'autres choses.
26:38 Après, il ne faut jamais dire jamais et qui sait, peut-être dans dix ans je ferai
26:41 Simon, vingt ans après, je ne sais pas.
26:43 Mais là j'ai envie d'explorer d'autres territoires et puis vraiment de nouveaux
26:47 personnages, de nouvelles choses.
26:49 Donc non, je ne pense pas que je reviendrai sur Simon.
26:52 Merci beaucoup. Merci beaucoup à tous les deux.
26:55 On peut déjà profiter de lui.
26:57 Entre les pages et dans les pages de "La couleur des choses", Martin Penchot,
27:01 c'est le titre de cet album, de ce roman graphique que vous publiez chez Saïla
27:04 et qui vient de remporter le FAUVEDOR au dernier festival d'Angoulême.
27:07 Un grand merci à vous Serge Évanzig d'avoir accompagné votre auteur.
27:10 Et félicitations encore à tous les deux.
27:12 Encore à tous les deux.

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