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Art et designTranscription
00:00 *Générique*
00:19 C'est le Book Club du vendredi, soyez les bienvenus, votre club de lecture sur France Culture
00:23 avec un nouvel échange entre deux auteurs que l'on vous propose
00:26 Et je vous adresse déjà un grand merci à toutes celles et tous ceux qui ont déjà
00:30 rejoint notre communauté sur Instagram.
00:32 *Hashtag Book Club Culture*
00:34 Nous avons intitulé ce Book Club "Écrire la musique et composer le roman"
00:38 car nous recevons d'un côté un journaliste et écrivain qui s'est essayé à l'écriture
00:42 de paroles pour des chansons et de l'autre, un auteur, compositeur, interprète, conteur,
00:47 mélodiste qui s'est enfin, ô je dire, destiné à publier son premier roman.
00:52 Jusqu'à 13h30, nous plongeons dans leur univers avec Pierre Croce, bonjour Pierre !
00:56 Bonjour Nicolas, bonjour à tous !
00:57 De notre partenaire babelio.com qui m'accompagne tous les vendredis et accompagne aussi bien
01:02 sûr de nos lecteurs auditeurs.
01:04 Le journal intime écrit au pieu par un adolescent entre ses 12 et ses 18 ans.
01:09 Une purée de poire rend la visibilité nulle, Orphée ne verrait pas Eurydice.
01:15 Un grand bonheur de lecture.
01:16 *Générique*
01:21 Le bonheur de Yannick et Anthony, nos lecteurs du jour, qu'on entendra évidemment au cours
01:25 de l'émission.
01:26 Bonjour Thomas Fersen !
01:27 Bonjour !
01:28 Vous êtes donc conteur et mélodiste, nous dit votre éditeur, si on était dans une
01:33 émission musicale, je n'aurais même pas besoin de vous présenter.
01:36 En 2019, vous avez publié votre dernier album, C'est tout ce qu'il me reste, et
01:40 vient de paraître Dieu sur terre, votre tout premier roman à l'iconoclaste roman.
01:46 Comment vous décrivez cet objet littéraire vous-même ? Vous ne vous êtes pas dit un
01:50 matin "tiens je vais écrire un livre".
01:52 Non, je me suis dit plusieurs matins, aujourd'hui je vais écrire un livre depuis 30 ans sans
01:57 arriver à trouver la porte par laquelle entrer dans la littérature, même la petite en tout
02:04 cas.
02:05 Et j'ai fini par envers cette porte le jour où je me suis dit "mais tu as un style
02:11 d'écriture qui est identifié, que tu as travaillé pendant 30 ans, c'est le tien,
02:17 ne cherche pas un autre style, c'est peine perdue".
02:20 Peut-être que je me trompe, mais en tout cas c'est le parti pris qui a fait que je
02:24 suis rentré dans ce journal, puisqu'il s'agit d'un journal.
02:28 Un journal à un recueil aussi, on pourra le dire, et on rentrera évidemment dans votre
02:34 style et on verra comment il s'inscrit dans ces pages pour échanger et peut-être demander
02:40 à notre deuxième invité, Philippe Vassé, bonjour.
02:42 Bonjour.
02:43 Vous avez trouvé la porte vers la musique, vers le métier de parolier, vous êtes journaliste
02:49 écrivain et vous publiez "A cappella", ce nouveau livre chez Flammarion.
02:52 Vous disiez trouver la forme du roman, d'abord, dépasser.
02:58 Est-ce que vous avez trouvé votre forme pour ce nouveau livre ?
03:02 Je ne sais pas, c'est un peu au lecteur de le dire.
03:06 Ce qui est excitant, c'est de se lancer dans des entreprises qu'on ne sait pas faire
03:10 en fait.
03:11 C'est ce que disait Thomas Fersen, c'est-à-dire de se prendre une porte pendant très longtemps
03:15 et puis d'essayer quand même.
03:17 Là, c'est clairement le cas.
03:18 Et puis c'est de la forfenterie aussi.
03:22 Un matin, je me suis dit, voilà, je vais écrire des paroles de chanson.
03:24 Il s'en passe des choses les matins quand on est auteur et écrivain.
03:28 En tout cas, vous dites que dans les livres que vous avez publiés jusqu'à présent,
03:33 vous ne parlez ni de votre vie, ni de celle des autres.
03:36 J'ai l'impression qu'il y a quelque chose d'un peu scientifique, d'expérimental
03:39 dans votre façon d'écrire.
03:40 - Alors, scientifique, non.
03:44 C'est-à-dire que j'ai tendance à considérer, de ce point de vue-là, ce livre-là ne déroge
03:50 pas à la règle, que le livre, ce qui est intéressant dans le livre, c'est que c'est
03:54 l'espace clos d'une expérience qu'on peut faire nulle part ailleurs.
03:57 Et donc, du coup, j'ai tendance à envisager mes livres comme ça, à me dire, voilà, ce
04:03 livre-là, je vais faire, je ne sais pas, mon précédent livre, c'était une histoire
04:08 d'amour avec une poutre en béton, qui racontait l'histoire de cette rampe de ce projet
04:13 mornay qui s'appelle l'aérotrain.
04:15 Et voilà, en fait, à chaque fois, c'est des livres dont je me lance, dans des livres
04:21 dont j'ai du mal à imaginer la forme au début, que je ne suis pas sûr d'arriver
04:25 à faire du tout, donc qui sont traversés par l'échec, des demi-échecs.
04:29 À chaque fois, c'est des livres que je pense arrêter 25 fois.
04:33 Et puis, miraculeusement, à un moment, ils se terminent.
04:36 Alors, ils ne se terminent pas tous.
04:38 Vous ne voyez pas tous les projets mornay.
04:40 Celui-là, il est terminé et il est publié.
04:42 Et il a même été lu par Anthony de Chatereau, notre lecteur.
04:47 Et voici ce qu'il en pense.
04:48 A cappella est le premier livre post-confinement de Philippe Vassé.
04:53 Alors, je ne crois pas qu'il y ait une littérature du confinement, mais je me suis
04:57 demandé qu'a pu devenir un auteur aussi peu sédentaire durant cette période.
05:01 Alors, l'auteur du livre blanc, c'est un fervent pratiquant de ce qu'on appelle
05:05 la dérive urbaine, défini par Guy Debord et dont Vassé a modifié la liturgie avec
05:11 la conjuration.
05:12 Et le plus beau dans A cappella, c'est quand il fait des endroits les plus fréquentés
05:17 de Paris, de nouveaux espaces de flânerie hyper solitaire.
05:20 Oui, à ce moment du confinement, arpentait les grands boulevards, la Concorde vide, la
05:26 Gare de l'Est, Atlantis de la Vé de toute présence, était devenu aussi urbex qu'explorer
05:32 une base de l'OTAN abandonnée.
05:34 À croire que Paris n'existait pas, l'auteur, pour éprouver ce réel extraordinaire, avance
05:39 à l'oreille, à la voix, il note.
05:42 Sur les boulevards sans plus personne, les panneaux continuaient à dérouler leur publicité.
05:46 On entendait dans le silence tourner les petits moteurs qui réglaient les séquences.
05:51 Notation géniale.
05:53 Le chapitre est à l'avenant, un travelling en voix off, une comédie musicale.
05:57 La dernière scène, boulevard des Capucines, elle, est aveugle.
06:01 Une purée de poire rend la visibilité nulle.
06:05 Orphée ne verrait pas Eurydice, demeurent des échos de voix.
06:09 Une question pour Philippe Vassé.
06:11 Dans ses livres, souvent, l'œil fait preuve.
06:14 Là, il a fallu vivre ça à l'oreille.
06:16 Alors certes, il n'est pas parolier, mais est-ce qu'il est devenu musicien ?
06:20 Non, pas du tout.
06:26 Je parle sous le regard d'un véritable musicien.
06:30 Non, pas du tout.
06:32 C'est d'ailleurs précisément parce que je ne suis pas un musicien que j'ai envie
06:36 d'écrire des paroles.
06:37 Parce que c'est porter ce que je sais faire au point où ça s'effrite.
06:43 Pour expliquer aux auditeurs, vous rencontrez une femme qui ne dit pas son nom, une chanteuse.
06:50 On sait juste qu'elle est très connue.
06:51 Et vous avez l'envie de lui écrire des chansons, jusqu'à ce que vous vous rendiez
06:56 compte que ce n'est tout de même pas votre métier.
06:58 Exactement.
06:59 Qu'est-ce qui est difficile dans l'écriture de paroles ?
07:02 Tout.
07:05 Moi, ce que j'ai trouvé le plus difficile, c'est d'arriver à écrire quelque chose
07:20 qui puisse être véritablement incarnée par une voix que je ne connais pas et qui
07:27 n'est pas la mienne.
07:28 Oui, c'est exactement ce qu'il faut dire.
07:32 C'est le mot de l'incarnation.
07:33 C'est que quand on est dans l'oralité, on incarne la langue.
07:37 Et c'est ce qui est difficile à obtenir.
07:41 Et c'est ce qui est aussi difficile quand on est chanteur et qu'on veut rentrer dans
07:45 l'écrit.
07:46 On fait le chemin inverse et qui n'est pas commode.
07:48 Parce qu'on se confronte au problème de passer de l'oralité à l'écrit, ce qui
07:53 est un problème insoluble.
07:54 Vous dites toujours, Thomas Fersen, dans votre personnage, dans votre roman, il écrit toujours
07:58 les textes des chansons avant la musique.
08:01 On ne rentre pas dans la langue française au chausset-pied dans une musique préexistante.
08:09 La langue française est une langue musicale, contrairement à ce que prétendent certains.
08:13 Elle est faite de longs mots qui chantent.
08:16 Il y a certains grands artistes qui ont réussi à découper les mots pour les faire rentrer
08:25 sans heurts dans des rythmes différents.
08:29 Je pense par exemple à Gainsbourg, il l'a fait.
08:31 Mais en général, cette langue est tellement musicale qu'on n'arrive pas à la faire
08:36 rentrer dans une musique binaire, préexistante, sans l'abîmer.
08:40 Et voilà, donc j'ai dit ça, effectivement.
08:46 Je voulais dire autre chose, mais j'ai oublié.
08:47 - Ce n'est pas grave.
08:48 On a encore le temps de s'en souvenir et de dire plein de choses.
08:50 Ce qui est étonnant, c'est que je me suis rendu compte, en écrivant ce livre, en fréquentant
08:55 des musiciens, etc., que ça dépend des styles.
08:58 Par exemple, les rappeurs écrivent beaucoup après coup sur une musique existante.
09:04 - Si je peux me permettre, l'inversion.
09:08 L'inversion se pratique beaucoup.
09:10 Par exemple, dans ce cas-là, effectivement, c'est un exemple d'inversion.
09:18 Il y en a d'autres, comme celui d'être regardé-entendu.
09:22 Autrefois, le spectacle était entendu, et une conséquence d'être entendu était d'être
09:28 regardé.
09:29 Et puis, à un moment, il y a eu une inversion maligne.
09:32 On est regardé, donc on est entendu.
09:35 Et ça, c'est l'approche qu'on peut avoir de la chanson.
09:41 La mienne a été d'abord d'être entendu avant d'être regardé, ce qui fait que j'ai
09:45 jamais vraiment eu une image très nette.
09:49 Les gens connaissent mon nom, mais alors, par contre, peu mon visage.
09:55 Ma voix connaît ma voix, mais peu mon visage.
09:58 Je ne suis pas quelqu'un qui a un lien très fort avec la représentation, à part dans
10:03 le spectacle vivant.
10:04 Mais enfin, ça concerne toujours un petit nombre de gens, forcément, par rapport à
10:08 la télévision ou au réseau.
10:10 - Mais malgré tout, quand vous chantez, en fait, c'est ce que vous disiez, ce que j'ai
10:15 découvert.
10:16 C'est que l'écrit, en fait, c'est communiquer en soustrayant le corps.
10:22 Et donc, du coup, quand on écrit des paroles de chanson, il faut que le corps réintervienne
10:29 à un moment.
10:30 Et c'est là, en fait, où moi, j'étais complètement démuni, en fait.
10:32 Parce qu'en plus, il y a deux corps.
10:34 - Vous avez dit quelque chose de très juste aussi sur l'incarnation.
10:37 C'est que le moment de l'écriture des paroles est un moment où on sent l'incarnation qu'on
10:44 va pouvoir vivre après, au moment de l'interprétation.
10:49 La clé, elle est là.
10:51 C'est-à-dire que quand vous écrivez...
10:53 Alors moi, je ne peux pas répondre pour vous parce que je suis auteur, compositeur, interprète.
10:57 Donc, au moment où j'écris, je sens que je vais pouvoir incarner ce que je suis en
11:01 train d'écrire, ce qui est évidemment, à mon avis, la clé pour ce qui me concerne.
11:05 - Vous avez jamais écrit pour d'autres gens ?
11:06 - Mais non, ils ont pris mes chansons.
11:08 Et je n'ai jamais su écrire pour d'autres gens.
11:10 C'est un mystère pour moi.
11:12 Je ne sais pas faire.
11:13 Donc, il y a des gens qui ont pris mes chansons, qui ont chanté mes chansons.
11:16 Mais moi, je n'ai jamais su me mettre dans l'incarnation de l'autre.
11:23 - Et Philippe Bassé, vous dites que vous avez quand même réussi à trouver pourquoi
11:28 est-ce que c'est un fiasco.
11:29 Et vous dites quelque chose qui est très intéressant et que tous les lecteurs et lectrices,
11:33 je pense, qui nous écoutent, ressentent quand ils lisent un livre.
11:36 Écrire des livres, c'est choisir le mutisme, nouer ses cordes vocales.
11:39 Alors évidemment, la chanson, ça ne vient pas tout seul.
11:42 Mais si vous réfléchissez là, maintenant, lisant ces mots, vous m'entendez.
11:45 Pourtant, c'est votre voix qui prononce intérieurement mes phrases.
11:49 - Oui, c'est ce que j'essayais de dire.
11:54 C'est écrire, c'est se soustraire à l'échange.
11:57 Ce n'est pas se soustraire à l'échange, c'est soustraire son corps à l'échange.
12:01 C'est-à-dire qu'il n'y a aucune trace de vous physiquement, ne serait-ce que votre
12:04 voix, votre présence, etc.
12:06 Et en fait, en écrivant ce livre, je me suis rendu compte, il ne fallait pas être grand
12:11 clair, que moi, c'est ça qui me plaisait dans l'écriture.
12:15 C'était justement de soustraire mon corps à l'échange.
12:16 Et là, j'étais obligé de le réintroduire, non seulement le mien, mais celui de l'interprète.
12:23 Ça faisait beaucoup de corps.
12:24 Et il y avait un peu bousculade dans mes phrases.
12:27 - Il y a un bouteillage de corps.
12:29 Pierre Croze de Babelio.com.
12:31 - Oui, l'oralité, elle est évidemment présente dans les critiques sur votre livre.
12:34 Sur Babelio, par exemple, je peux vous en citer une.
12:36 Au fil des pages, s'égrène une réflexion à la fois sur l'écriture et ses différents
12:40 avatars, la chanson, le rap, mais aussi sur la voix, l'oralité.
12:44 On aime quand le narrateur ponctue son texte de morceaux qu'il écoute, qu'il aime ou
12:47 qu'il le frappe.
12:48 Au fil de ses pérégrinations, on aimera d'autant plus si on partage ses goûts musicaux,
12:51 de Dao à Christophe, en passant par Bertrand Burgala.
12:53 Il y a un côté d'Ikuzu dans le texte qui n'est pas sans charme, tenant de la rhapsodie
12:57 ou de l'impromptu, de l'association d'idées pas forcément préméditées.
13:02 - Vous l'avez écrit à voix haute aussi, ce livre ?
13:04 - Précisément pas, non.
13:07 L'essentiel du récit, non.
13:11 Mais par contre, il est intercalé dans le récit des tentatives de paroles de chansons.
13:16 Et celle-là, oui, je les ai écrites à voix haute.
13:18 - Alors votre livre, Thomas Fersen, on a presque envie de le lire à voix haute, évidemment
13:23 composé par ces octosyllabes qui donnent envie de fredonner.
13:26 On ne se refait pas après 30 ans de composition.
13:29 Donc on est obligé d'écrire avec ce même style qu'on a trouvé au fur et à mesure
13:33 des années.
13:34 - Encore une fois, c'était ce qui était compliqué parce que mes octosyllabes n'en
13:36 sont pas.
13:37 Ils sont octosyllabes dans l'oralité, mais pas quand on les couche sur un papier.
13:41 Et ça, je me le suis pris en pleine poire, moi.
13:44 En tout cas, quelques copains écrivains sont chargés de le faire.
13:49 Alors j'ai même écrit des justifications, toujours en octosyllabes, enfin ces verres
13:55 dévergondés comme je les appelle.
13:57 J'ai essayé de justifier cette démarche de ce garçon parce que le livre, j'ai commencé
14:03 par, au bout d'un an, j'ai voulu, suite à ses critiques, remettre les eux muets.
14:10 Je l'ai donc entièrement réécrit.
14:12 Et là, il m'apparaissait comme un chien qui sortait du toilettage.
14:15 Et ça ne fonctionnait pas.
14:18 Le personnage, épris de liberté, ne pouvait pas respecter la règle des eux muets.
14:22 Ce n'était pas possible.
14:24 Donc j'ai continué et j'ai eu l'idée à ce moment-là de coucher mes verres, de les
14:28 aligner les uns après les autres pour que les noyés dans la page.
14:32 Et là, je me suis dit qu'on ne pourra plus me reprocher cette histoire de muets, c'est fini.
14:37 Or, toujours mes mêmes copains, au bout d'un an et demi...
14:41 - Ils ne vous ménagent pas.
14:42 - Ils ne me ménagent pas.
14:43 J'ai leur dit à un moment donné "mais Thomas, tu ne trompes personne.
14:45 On voit bien que ce sont des verres".
14:47 J'étais reparti pour quelques nuits blanches.
14:50 Et finalement, j'ai pris le parti de fabriquer un objet qui est évidemment bourré de défauts,
14:56 mais qui a une singularité qui, je pense, est nécessaire quand on s'engage dans l'écriture
15:01 de quelque chose.
15:02 En tout cas, c'est toujours moi ce que j'ai aimé en tant que lecteur dans la littérature.
15:07 C'est des expérimentations, comme Philippe en parlait tout à l'heure.
15:12 Il faut essayer.
15:13 Il faut essayer toujours.
15:14 Pour donner des repères, étant mon biographe, commençons par mon père.
15:18 Mon père me donne des baffes.
15:20 Vous dites, Thomas Fersen, avoir prêté une partie de votre mémoire à votre héros
15:25 et d'avoir beaucoup trahi la vérité, d'avoir inventé.
15:28 On n'est évidemment pas sur une autobiographie.
15:29 - Non, parce qu'en fait, je défendrais vraiment cette idée qu'on ne peut pas construire de
15:35 l'imaginaire sur de l'imaginaire.
15:37 Il faut une base de réel pour avoir un point de repère, un socle sur lequel après l'imagination
15:42 s'en va.
15:43 Et la vérité, finalement, de l'auteur, elle est dans son imaginaire.
15:46 C'est là qu'il s'investit en toute honnêteté.
15:49 Ce n'est pas dans les faits qu'il a transformé ou que la mémoire s'est chargée de transformer
15:52 pour lui.
15:53 Journal intime, joyeux, drôle et qui a beaucoup plu à Yannick, libraire dans le 20ème à
15:58 Paris et au maire le moqueur.
16:00 Thomas Fersen, Dieu sur terre.
16:03 Où le journal intime, écrit au pieu par un adolescent entre ses 12 et ses 18 ans.
16:10 Un journal écrit à la manière d'une chanson, ou plutôt d'une succession de chansons, non
16:15 pas en vers libre mais en octosyllabes, je crois que Thomas Fersen y tient, et avec des
16:19 rimes plus que fantaisistes.
16:21 Un exemple, page 206, son père n'était pas très marrant, sa mère était grande
16:26 et rigide, pour l'avoir vue dans les journaux, elle ressemblait à André Gide.
16:30 A la lecture, il y a quelque chose de Zazie dans le métro, de la promesse de l'aube,
16:36 il y a aussi sans doute des références cinématographiques, à nous les petites anglaises par exemple.
16:41 Et le plaisir de retrouver le Paris populaire des années 70 et 80, les quartiers de Belleville,
16:48 de Pigalle, moins le Pigalle des sex-shop que celui des magasins de guitare.
16:52 La musique n'est jamais très loin.
16:54 Dieu sur terre, c'est le grand frère insupportable, mais le grand frère imaginaire qui accompagne
17:00 le narrateur.
17:01 Au final, un grand bonheur de lecture.
17:03 Thomas Fersen.
17:06 - Paris réussit, comme vous l'entendez Yannick ?
17:13 - S'il a trouvé du plaisir, c'était l'objectif, c'est que le lecteur trouve du plaisir, s'amuse
17:21 et éventuellement...
17:22 En fait, le lecteur est invité à rêver à son tour.
17:26 - Dieu sur terre, un mot sur ce titre, référence au frère de votre personnage, qui sait tout
17:35 sur tout, qui a tout le temps raison.
17:37 Ça signifie quoi ce titre pour vous ?
17:39 - C'est un dieu menaçant qu'on se crée quand on est enfant.
17:42 Parce que je pense que les enfants sont très religieux.
17:45 Ils inventent une religion à eux.
17:49 Celle du personnage est faite de petits objets qui sont censés lui porter chance, qui lui
17:56 tiennent compagnie.
17:57 Cette religion est créée par l'inquiétude.
18:02 Et ce personnage de Dieu sur terre, qui accompagne le héros, finalement, finit par disparaître
18:07 peu à peu au fur et à mesure que le héros grandit et passe à travers la grande catastrophe
18:12 de l'adolescence.
18:13 - Pierre Croce, on parle de quelque chose d'enfantin, de fantaisiste dans ce roman.
18:16 Et c'est un univers qui n'est pas inconnu à notre invité Thomas Fersen.
18:19 - Oui, on n'a pas encore de critique de votre ouvrage qui vient de sortir, qui vient de
18:23 paraître.
18:24 On en a beaucoup sur vos diverses publications antérieures, destinées plutôt à un jeune
18:28 public.
18:29 Par exemple, la Ma Valise, elle s'appelle Germaine, par exemple, avec Marianne Rattier
18:32 aux illustrations.
18:33 Je vous cite une critique.
18:34 Gros coup de cœur pour Ma Valise, elle s'appelle Germaine.
18:36 Ce titre fait à mon sens figure de merveilleux ovnis.
18:39 Vous parliez de singularité tout à l'heure dans votre oeuvre, de merveilleux ovnis dans
18:42 la littérature jeunesse.
18:43 Cet album est aussi doux que sa couverture ne le suggère.
18:46 C'est d'une infinie poésie, une fable un peu onirique, portée par des illustrations
18:49 sublimes et un texte qui l'est tout autant.
18:51 Est-ce que la jeunesse, la littérature jeunesse, c'est quelque chose qui vous inspire toujours ?
18:55 - J'ai toujours aimé la littérature jeunesse et je ne sais pas si ça en fait partie, mais
19:00 les romans d'apprentissage.
19:01 Dans les œuvres des écrivains, il y a toujours un faible pour le roman d'apprentissage,
19:05 celui où l'écrivain raconte son enfance, son adolescence et son arrivée finalement
19:10 dans la création.
19:11 - Dans A Cappella, Philippe Vassé, vous émettez une sorte d'inquiétude.
19:16 Vous dites qu'à notre époque, la chanson est hégémonique, au point de vous demander
19:20 si elle ne finirait pas par absorber la littérature.
19:23 Ça vient d'où cette critique ?
19:26 Alors il y a des signes parce qu'il y a quand même beaucoup d'auteurs qui se mettent à
19:30 monter sur scène, mais cette inquiétude, elle vous vient d'où ?
19:34 - Je crois que c'est un réflexe corporatiste pour préserver l'écrivain français.
19:41 Non.
19:42 En fait, c'est moins la chanson que la voix elle-même.
19:48 C'est-à-dire que les écrivains parlent de plus en plus leur texte et on a tendance
19:57 à écouter les livres beaucoup plus qu'à les lire.
19:59 Du coup, il y a une espèce de vocalisation générale de la littérature.
20:04 C'est aussi pour ça que je voulais me frotter à la voix parce que malgré tout, moi, ce
20:10 qui m'intéresse dans la littérature, c'est précisément que la voix manque et qu'il
20:14 y ait au cœur de cet exercice-là une absence totale, un espèce de timbre mat et qui est
20:23 un son qui m'intéresse.
20:24 - Alors moi, je voudrais juste dire un petit truc, c'est que j'ai toujours, en tant que
20:28 lecteur, entendu une voix intérieure à laquelle bien souvent j'attribuais un timbre de ma
20:35 fabrication et un visage ou quelques traits physiques.
20:39 J'en ai parlé avec des amis qui sont écrivains qui, eux, me disent "ah non, nous, on n'a
20:45 jamais entendu de voix.
20:46 Non, non, nous, on voit des signes qui donnent un sens mais on n'entend personne".
20:49 - Et est-ce que ce visage et cette voix, elles changent en fonction des livres ?
20:52 - Oui, absolument.
20:53 Donc, j'ai fini par me dire que pourquoi j'entendais une voix, c'est parce que je suis entré dans
20:59 la littérature par l'oralité.
21:00 C'est l'oralité qui m'a donné le goût du langage et ce goût du langage qui m'a
21:05 amené à lire.
21:06 Voilà.
21:07 Et donc, je vois quelqu'un, moi.
21:08 Donc, je vous ai vu, Philippe, en lisant.
21:10 - Ah bon ? Est-ce que je me ressens ?
21:12 - Mais oui, vous vous ressemblez.
21:13 Et je crois que vous avez tort de penser que vous n'avez pas de voix quand vous écrivez.
21:17 Vous avez une voix et vous n'avez peut-être pas conscience autant que l'autre qui vous
21:22 lit.
21:23 Mais moi, je vous dis que j'entends une voix quand vous lisez.
21:25 On me parle dans l'oreille.
21:27 - Alors, c'est un phénomène compliqué parce que je pense qu'en effet, il y a ça.
21:33 Mais j'ai toujours peur de glisser vers la métaphore.
21:36 C'est-à-dire avoir une voix, avoir un style, avoir une singularité.
21:41 Or là, moi, ce qui m'intéressait, c'était vraiment la matérialité, la corporealité
21:46 en fait.
21:47 Et ça, je pense que ça manque.
21:51 Et je pense que je ne suis pas loin de penser que dans beaucoup de cas, ce sont des univers
21:59 qui ne se rencontrent pas.
22:00 - Je fais un moment, j'élabore sur le fait que les écrivains ne lisent pas très bien
22:08 en général, en particulier leurs textes.
22:10 Et moi, je trouve ça normal et plutôt souhaitable en fait.
22:19 Moi, je suis toujours mal à l'aise devant quelqu'un qui lit trop bien ses textes.
22:22 Parce que je ne sais pas de quel côté il est en fait.
22:24 On crée toujours à partir d'un manque.
22:27 Et quelqu'un qui est à la fois à l'aise dans le silence de l'écriture, dans justement
22:34 cette espèce de timbre qui fuit sans cesse.
22:36 Et quelqu'un qui est parfaitement capable de rendre ses textes.
22:39 Il y a quelque chose qui ne va pas en fait, je trouve.
22:43 - Il y a une autrice qui excelle et vous en parlez dans votre livre.
22:47 Vous la pointez presque du doigt, c'est Marguerite Duras qui, vous dites, a imposé sa voix et
22:51 l'a indissociablement mêlée à ses livres.
22:54 Elle a même laissé une chanson, "Indian Song", sans jamais l'avoir chantée elle-même.
22:58 Et elle a fait bien mieux puisqu'elle a, je vous cite, "saturé d'elle-même une chanson
23:02 dont elle n'était ni l'autrice ni l'interprète".
23:05 * Extrait de "Indian Song" de Marguerite Duras *
23:33 - Allons-y.
23:34 Alors, puisque vous êtes en train d'expliquer à Thomas Fersen ce que vous appelez le rapte
23:38 de Villars par Duras, évidemment qu'a pris le tube des années 50 d'Hervé Villars.
23:42 Qu'est-ce que c'est ce rapte selon vous ?
23:44 - En fait, Marguerite Duras a adoré cette chanson.
23:49 Elle l'écoutait tout le temps, elle avait un 45 tours.
23:52 Et au bout d'un moment, cette chanson a commencé à jouer un rôle dans plusieurs de ses livres,
23:56 surtout à la fin de sa vie.
23:57 Elle en parle plusieurs fois.
24:00 Il y a une dispute célèbre, je pense que c'est dans "Yann-Andréa Steiner", où elle
24:04 se dispute avec Yann-Andréa, il se jette ce 45 tours par la fenêtre, etc.
24:10 Et en fait, quand on prend "Caprice est finie", qu'on note la musique, qu'on note Hervé
24:15 Villars, qu'on ne prend que les paroles, qu'on le lit de manière un peu lente, "Nous n'irons
24:21 plus jamais où tu m'as dit je t'aime, nous n'irons plus jamais comme les autres années,
24:29 nous n'irons plus jamais, cette fois, c'est plus la peine, nous n'irons plus jamais, plus
24:35 jamais, plus jamais", c'est du Duras en fait.
24:37 "Caprice est finie, et dire que c'était la ville de mon premier amour, Caprice est
24:48 finie, je ne crois pas que j'y retournerai un jour, Caprice est finie, et dire que c'était
24:57 la ville de mon premier amour, Caprice est finie, je ne crois pas que j'y retournerai
25:05 un jour".
25:07 - Je ne sais pas ce que vous en pensez Thomas Fersen, mais il a quand même une voix quand
25:14 il déclame ses paroles.
25:17 - Il les a très très bien dites.
25:18 Et c'est passionnant en fait.
25:22 C'est là où justement mon sentiment est que l'on entend quand même une musicalité
25:32 quand on écrit.
25:33 Je ne peux pas m'enlever ça de l'esprit, qu'on cherche à reproduire une musique interne.
25:38 Je ne suis pas le premier, j'enfonce une porte ouverte en disant que la littérature
25:46 est une musique.
25:47 - Ce qui est drôle, c'est les larmes.
25:51 Au début de votre livre, vous dites, je vais mal citer, que c'est quand c'est écrit en
26:01 verre que ça fait venir les larmes aux yeux.
26:03 Et moi dans mon livre, il y a tout un passage sur les larmes et elles viennent par les chansons.
26:08 Et donc je me suis dit qu'il y avait comme une espèce de rosace inversée.
26:12 - J'ai envie de me filer des tartes au lieu d'avoir les larmes aux yeux.
26:16 Je le dis quand j'écris dans un style différent.
26:20 Le personnage se justifie effectivement, moi à travers lui.
26:26 C'est mes choix.
26:28 - Philippe Bassé, on vous imagine évidemment avec votre voix, chantant dans ces rues de
26:32 Paris vides durant le confinement.
26:35 Vous chantiez dans ce que vous écrivez comme un bon pays sanitaire qui était devenu Paris,
26:40 dites-vous.
26:41 Et A Cappella s'ouvre avec des vers de Dante sur une douce musique en sa compagnie.
26:46 Comment sont ces paroles ? Dante, c'est ce grand poète du Moyen-Âge, une période qui
26:50 évoque chez Thomas Fersen plutôt les caïds de Ménilmontant.
26:54 Vous écrivez dans Dieu sur Terre que la rue de Ménilmontant à votre adolescence dans
27:00 les années 70 s'était restée comme au Moyen-Âge.
27:03 - Oui, c'est la féodalité entre les garçons puisque j'ai grandi dans un monde de garçons,
27:08 que ce soit à l'école ou dans la rue, dans la cour.
27:11 Et évidemment j'ai tout à fait compris les codes de cette féodalité sans pouvoir poser
27:18 le nom dessus.
27:19 Je l'ai compris plus tard à la lecture de Jean Genet, quand j'ai lu Le Miracle de la
27:22 Rose.
27:24 Non pas que j'avais des rapports qui tendaient à l'homosexualité avec les garçons, mais
27:32 ce fonctionnement entre garçons de la féodalité, ça je l'ai vraiment bien connu.
27:36 - Alors il y a beaucoup de livres sur la musique.
27:39 Pierre Croce, vous avez cherché sur babelio.com.
27:42 Ceux qui ont le plus de résonance si on peut dire.
27:45 - Oui, tout à fait.
27:46 J'ai regardé quel était le roman le plus populaire autour du thème de la musique.
27:48 Ce n'est pas vraiment une surprise.
27:50 Il s'agit de Vernon Subutexte de Virginie Despentes.
27:52 Un roman publié en 2015, devenu un classique.
27:55 On y suit Vernon Subutexte, un ancien disquaire à la rue.
27:58 L'écriture très musicale de l'autrice n'est peut-être pas pour rien dans le succès du
28:02 livre.
28:03 Je vous cite une critique.
28:04 "C'est une danse endiablée, rythmée.
28:05 Les personnages se croisent, se touchent, se repoussent, se toisent, se délivrent, se
28:08 retiennent.
28:09 C'est fort, violent parfois, mais d'une beauté saisissante.
28:12 Ça vous prend au trip, ça vous parle de la vie et ça vous marque pour toujours."
28:15 Et alors j'aimerais revenir peut-être sur une tendance actuelle.
28:18 La façon dont les musiques contemporaines, comme le rock ou le rap, sont devenues des
28:21 sujets de prédilection, notamment des auteurs de bandes dessinées.
28:24 J'ai regardé aussi quelle était la BD la plus populaire autour de la thématique
28:28 de la musique sur Babelio.
28:29 Et c'est California Dreaming de Penélope Bagieu qui est la première place, qui a la
28:33 première place sur le site.
28:34 Il s'agit d'une biographie dessinée de Hélène Naomi Cohen alias Cass Elliot, chanteuse
28:39 du groupe The Mamas and the Papas, décédée à l'âge de 32 ans.
28:42 Et autour du rap et du hip-hop, on peut citer peut-être la série de comics Hip-Hop Family
28:47 de Louis de Ed Piscore qui retrace l'épopée du hip-hop des années 70 à nos jours.
28:52 Une bande dessinée qui accumule les détails et anecdotes croustillantes dans un style
28:56 assez tonitruant, inhérent au mouvement.
28:58 Résultat, la dimension humaine du mouvement hip-hop est parfaitement retranscrite et entre
29:02 flow, battle, arme à feu, punchline et problème de femme, cette BD réserve un excellent moment
29:07 de lecture.
29:08 Peut-être que le rap, Philippe Vassesse, a été aussi une influence pour vous ?
29:11 C'était un défi surtout parce que l'écrit, les paroles, ils prennent une place particulière.
29:21 Et puis, je crois que je dis dans le livre, il suffit de me regarder pour voir que ce
29:26 n'est pas exactement mon univers.
29:27 Du coup, j'avais évidemment envie d'y aller et de voir ce qui s'est passé.
29:31 Vous n'êtes pas tant de Philippe Vassesse avec le chanteur, le personnage du chanteur.
29:35 Vous dites que c'est un personnage que l'on consomme pour lui-même, pour la mythologie
29:38 qu'il perpétue et non pour ce qu'il interprète.
29:41 On n'a plus besoin de monter sur scène pour rencontrer le succès.
29:43 Ce n'est pas facile, ce n'est pas difficile.
29:45 Alors, ce n'est pas exactement ce que je dis.
29:49 Ce que je dis, c'est qu'aujourd'hui, on a l'impression en effet que c'est un
29:55 petit peu solidifié, un personnage de chanteur qui fait un peu comme une silhouette dans
30:00 les foires où vous avez juste besoin de rajouter votre tête.
30:03 Et qu'il y a une mythologisation excessive, mais c'était le cas des écrivains dans
30:08 les années 50 par exemple.
30:10 Il y avait dans les années 50 un personnage d'écrivain, tout le monde savait ce que
30:13 c'était.
30:14 - Vous Thomas Fersen, monter sur scène, c'est essentiel, c'est là que s'exprime
30:18 votre poésie et votre style.
30:19 - Il lui manquait quatre phalanges, ça lui donnait pas l'air d'un ange.
30:39 Avec son oeil sous un bandeau et sa gueule en l'homme de couteau.
30:45 Sous son vêtement, joue Jésus, tout son corps est recousu.
30:52 Et quand il remontait ses manches, les femmes de bonne est toutes blanches.
30:59 Il menait une vie de cigale, il jouait de la scie musicale.
31:05 Il trouvait qu'en fermant les yeux, son instrument sonnait mieux, le balafré.
31:13 - Thomas Fersen, le balafré.
31:21 On s'interrogeait tout à l'heure si vos écrits étaient écrits, des chansons mises
31:27 bout à bout.
31:28 En tout cas, vous allez monter sur scène avec ce roman en verre.
31:31 Ce sera à l'Athénée Théâtre Louis, joué du 23 février prochain au 4 mars et
31:35 puis en tournée jusqu'en mai 2024 à Bourg-en-Bresse, Sérignan, Brillwood, à Cancale, à Caluire.
31:42 Vous avez toute la liste de votre tournée sur le site de franceculture.fr.
31:46 Comment vous vivez cette sorte de boucle qui se re-boucle ?
31:50 Il y a des textes qui sont venus sur scène, qui vous sont venus sur scène et ils vont y retourner.
31:55 - Pourquoi je suis venu aussi écrire ce roman, c'est que depuis plusieurs années, j'écris
32:00 des monologues en verre qui ne sont pas chantés, que je mets entre mes chansons, au point que
32:05 c'est devenu deux spectacles que je faisais tout seul au piano, à moitié parlé, à
32:11 moitié chanté.
32:12 A l'origine de ce livre, j'ai voulu collecter mes textes parce qu'on me demandait parfois
32:18 s'ils allaient être édités et puis je me suis rendu compte qu'ils étaient trop hétéroclites
32:21 et j'ai essayé de créer un liant pour les intégrer dans le journal du personnage,
32:26 lui qui est comme aux textes et aux chansons.
32:28 Et puis j'ai finalement abandonné les anciens textes pour me concentrer sur ce journal.
32:33 Donc il y a très peu de mes anciens textes, de mes anciens monologues qui sont dedans.
32:36 Alors effectivement, je retourne sur scène avec tout ce qui concerne le frère.
32:41 Ce n'est pas une autobiographie musicale, ce n'est pas non plus un tour de chant, c'est
32:46 une sorte d'invitation à le suivre dans sa quête de liberté et sur le chemin de laquelle
32:51 on va trouver comme sous une pierre une parole ou une chanson de mon répertoire parce qu'elles
32:57 sont issues du même monde imaginaire que le roman.
33:00 Les musiques de mes chansons vont accompagner certains textes, donc je les incarnerai sur
33:09 ces musiques-là qui ont en grande partie été arrangées par Joseph Racaille au cours
33:13 de ma carrière.
33:14 C'est aussi une façon de refaire un petit récapitulatif de toutes ces choses qui ont
33:21 été faites autour de mes chansons.
33:23 - Pour boucler la boucle de cette émission aussi, j'ai une dernière question concernant
33:27 la voix, puisqu'on a beaucoup parlé de la voix, qu'on lit aussi dans votre roman acappella
33:32 Philippe Vassé, que vous enregistrez dans le bus les gens qui parlent à voix haute.
33:38 Thomas Fersen, est-ce que vous écoutez vos propres musiques ?
33:41 Est-ce que vous supportez le son de votre voix ?
33:43 - J'ai appris, j'ai même appris.
33:46 Si vous voulez, au début c'est un mécanisme étrange de mettre sa voix en conserve, évidemment.
33:53 C'est insupportable de s'entendre dans un haut-parleur.
33:57 Mais on apprend à le faire avec le temps et surtout, à partir du moment où on est
34:01 derrière un micro, à placer sa voix autrement, c'est automatique au bout d'un moment.
34:07 - Vous n'allez pas vous réécouter, Philippe Vassé ?
34:09 - Jamais.
34:10 - Jamais ?
34:11 - Jamais.
34:12 - Vous allez voir que dans la fin de l'émission, vous allez être un tout petit peu obligé.
34:16 Vous pourrez vous boucher les oreilles.
34:17 En tout cas, merci beaucoup d'être venu échanger sur vos deux livres.
34:21 Philippe Vassé, je rappelle, le titre de A Cappella, ça sort chez Flammarion.
34:25 Et merci également à vous Thomas Fersen.
34:27 Dieu sur Terre vient de paraître votre premier roman aux éditions L'Iconoclaste Roman.
34:31 Et on retrouve toutes les dates de votre réécout.
34:33 - Je vais vous dire un petit quelque chose.
34:34 Moi j'ai eu beaucoup de plaisir à lire le livre de Philippe.
34:36 Je trouvais que vous aviez mis le doigt exactement à l'endroit qui nous réunit.
34:42 C'est le passage de la réalité, enfin la question de la réalité.
34:45 - Et bien voilà.
34:46 Merci à tous les deux.
34:47 Et merci à Pierre Croce qui nous accompagne toutes les semaines.
34:49 * Extrait de « La Coupe du monde » de Mathias Hénard *
34:53 - Et l'épilogue du Book Club c'est dans un instant d'abord.
34:55 Et Mathias Hénard, ses inquipites.
34:57 - La Coupe du monde au Qatar et les récents développements géostratégiques
35:02 ont mis la péninsule arabique sur le devant de la scène.
35:05 Certes footballistique et même ballistique, mais assez peu littéraristique.
35:09 C'est le moins qu'on puisse dire.
35:10 Or la péninsule arabique en général et l'Arabie Saoudite en particulier
35:14 sont aussi une terre de littérature.
35:16 L'immense auteur Abdulrahman Mounif en est la preuve s'il en fallait une.
35:20 Né en 1933 d'un père saoudien et d'une mère irakienne,
35:24 Mounif est l'un des auteurs arabes les plus importants du XXe siècle.
35:28 Il est décédé en 2004, laissant derrière lui une œuvre immense,
35:32 comme on a coutume de dire, malheureusement en grande partie inédite en français.
35:36 Son chef-d'œuvre est peut-être le quintet romanesque des « Villes de Sel »,
35:40 roman en cinq volumes de près de 2500 pages en arabe,
35:43 consacré à la transformation d'un oasis du désert saoudien
35:47 après la découverte du pétrole, Wadi l-Aryoun.
35:50 Le premier volume, intitulé « L'Errance », s'ouvre ainsi.
35:54 Wadi l-Aryoun.
35:55 Soudain, au cœur d'un désert hostile, impitoyable, surgit cette tâche verte,
36:01 comme jaillie du ventre de la terre ou tombée du ciel,
36:04 en contraste parfait avec ce qui l'entoure,
36:06 ou pour être exact, sans aucun lien avec l'environnement.
36:10 Incrédule et émerveillé, on se demande alors comment l'eau et la végétation
36:14 ont pu naître en un tel endroit.
36:16 Puis un mystérieux sentiment de respect succède à l'effet de surprise.
36:20 Ainsi s'exprime parfois le génie et l'opiniâtreté de la nature,
36:24 et ces rares manifestations demeurent rétives à toute explication.
36:28 Traduit de l'arabe par France Meyer,
36:31 « L'Errance », premier volume des « Cités de Sel », a été publié par les éditions Simbad.
36:36 L'oasis de Wadi el-Haryoun va être dévastée par le pétrole et ses conséquences.
36:41 Le mouvement à l'œuvre dans les villes de Sel, c'est celui de la destruction de l'oasis,
36:45 cette tâche verte jaillie du ventre de la terre.
36:48 « Les palmiers qui se pressent dans le lit de l'Oued », écrit Mounif,
36:52 « les sources qui jaillissent ici et là de l'hiver au début du printemps
36:55 sont familiers aux habitants de l'oasis,
36:57 qui savent qu'une puissance bienfaitrice les protège et les fait vivre ».
37:01 Non seulement la découverte du pétrole et son exploitation
37:04 vont physiquement modifier les paysages,
37:06 mais les modes de vie vont se voir complètement transformés
37:09 par l'arrivée des Américains et le développement d'un port, Arran,
37:12 à quelques heures de Chameau de Wadi el-Haryoun.
37:15 Le récit de Mounif devient celui de toute la péninsule face au pétrole.
37:19 De quelle façon, dans les années 30, le début de l'exploitation de l'or noir
37:22 va amener petit à petit la corruption, l'urbanisation rapide,
37:25 et avoir pour conséquence non seulement la perte des liens sociaux traditionnels,
37:29 mais aussi du rapport à la nature.
37:32 « Le pétrole est une vague qui emporte tout sur son passage.
37:36 Les villes de sel sont des cités fragiles que la mer peut faire fondre.
37:41 Villes inhumaines, malheureusement trop réelles,
37:44 qui ne savent plus aujourd'hui à quel passé ni à quel avenir appartenir ».
37:47 La voix de Mathias Senar, à retrouver sur France Culture.fr et sur l'appli Radio France.
37:51 Un grand merci à toute l'équipe du Book Club.
37:54 Oriane Delacroix, Zora Vignier, Jeanne Agrappard, Didier Pinault et Alexandre Alaïbégovitch.
37:58 Thomas Beaud est à la réalisation ce midi et à la prise de son.
38:01 Jean-Guylain Mej.
38:03 « Ce qui est excitant, c'est de se lancer dans des entreprises qu'on ne sait pas faire.
38:07 Une histoire d'amour avec une poutre en béton.
38:10 Sans arriver à trouver la porte. Et ça, je me suis pris en pleine poire.
38:13 C'est un phénomène compliqué parce que je pense qu'en effet, il y a ça.
38:17 Mais j'ai toujours peur de glisser vers la métaphore. Non. »