• l’année dernière
Frédéric Taddeï et ses invités débattent des grandes questions du XXIe siècle dans les #VisiteursDuSoir

Category

🗞
News
Transcription
00:00:00 Au salon de l'agriculture, la visite marathon du chef de l'État a pris fin.
00:00:05 Emmanuel Macron a été interpellé sur l'épineux sujet des retraites.
00:00:09 Il a assuré souhaiter que le Sénat puisse enrichir le texte avec ce qui lui paraît utile.
00:00:14 Pour rappel, la réforme des retraites sera examinée dès la semaine prochaine par les sénateurs.
00:00:19 Le mari de la femme retrouvée est démembré dans le parc des Buttes-Chaumont
00:00:24 et mis en examen pour meurtre sur conjoint.
00:00:26 Il a été placé en détention au provisoire.
00:00:29 Hier, l'homme a reconnu avoir tué son épouse, Asia, âgée de 46 ans,
00:00:34 mais il conteste avoir voulu sa mort.
00:00:36 Les parties du corps de la victime avaient été découvertes les 13 et 14 février.
00:00:42 Et puis dans l'actualité internationale, échec du G20 finance en Inde.
00:00:46 Les ministres ont achevé leur réunion sans parvenir à un communiqué commun
00:00:51 en raison de divergences sur la guerre en Ukraine.
00:00:53 La Russie a accusé les Occidentaux d'avoir déstabilisé le sommet
00:00:57 en tentant de faire adopter par chantage un passage sur l'Ukraine.
00:01:01 Seule la Chine et la Russie n'ont pas approuvé de paragraphes sur le sujet.
00:01:05 - Bonsoir, mon nom est Frédéric Taddeï et me voilà de retour en direct à la télévision sur CNews.
00:01:16 Et j'en suis ravi.
00:01:17 Vous connaissez cette expression "les visiteurs du soir"
00:01:20 pour désigner ces conseillers de l'ombre qui viennent chuchoter le soir à l'oreille du président de la République.
00:01:27 Il en a dans tous les domaines.
00:01:28 Il n'est pas obligé d'être d'accord avec eux,
00:01:31 mais il se dit plus exactement qu'ils savent de quoi ils parlent
00:01:38 et que c'est bien utile de les écouter avant de prendre une décision.
00:01:41 Bon, on a tous rêvé d'avoir nous aussi nos visiteurs du soir
00:01:45 qui nous aident à nous forger notre propre opinion.
00:01:50 Eh bien voilà, ça y est, générique.
00:01:53 (Générique)
00:02:06 Alors ce soir, je vais pas mal bredouiller, c'est la première.
00:02:10 Ça va être comme ça tout le temps.
00:02:13 Ce soir, nos visiteurs sont Jean Jouzel,
00:02:16 qui a été le vice-président du GIEC à l'époque des batailles les plus décisives.
00:02:20 Cette semaine, le gouvernement a reconnu implicitement
00:02:23 que la France se réchauffait plus vite que la moyenne des autres pays
00:02:28 et que ce n'est pas contre une augmentation de 1,8 degré d'ici la fin du siècle
00:02:33 qu'il va falloir se prémunir,
00:02:34 mais vraisemblablement contre une augmentation de 4 degrés,
00:02:37 comme l'avait prévu le GIEC.
00:02:39 Vous allez nous dire ce que ça signifie.
00:02:41 Sylvie Brunel, qui est géographe,
00:02:43 le Salon de l'agriculture a ouvert ses portes aujourd'hui.
00:02:47 Vous venez de publier un manifeste en faveur du monde agricole.
00:02:51 On n'a jamais eu autant besoin des paysans, dites-vous,
00:02:54 et on ne les a jamais autant maltraités.
00:02:57 Olivier Babaud, vous voulez attirer notre attention
00:03:00 sur un angle mort de la civilisation des loisirs.
00:03:03 On n'a jamais eu autant de temps libre.
00:03:05 Vous trouvez ça très bien, mais on le gaspille dans le divertissement.
00:03:09 Et ça, ça creuse encore plus les inégalités.
00:03:13 Vous allez nous expliquer pourquoi.
00:03:16 Aurélien Fouillé, vous vous dites que dans une société
00:03:19 qui valorise le travail, en fait, c'est un leurre.
00:03:22 En réalité, le jeu a tout envahi et le jeu est tellement omniprésent
00:03:26 que ça change le monde.
00:03:28 Ça aussi, vous allez nous l'expliquer.
00:03:29 Enfin, Sabine Procoris, vous êtes psychanalyste et philosophe
00:03:33 et vous publiez les abîmeufs du féminisme.
00:03:37 Le féminisme a changé, dites-vous.
00:03:40 Alors, qu'est-ce qu'il y a de différent avec le féminisme
00:03:44 de nos grand-mères, on va dire, qui réclamait l'égalité politique,
00:03:48 le féminisme de nos mères qui réclamait l'égalité sexuelle ?
00:03:53 Le féminisme d'aujourd'hui, il réclame quoi ?
00:03:56 Eh bien, il réclame, je dirais, le pouvoir, essentiellement.
00:04:00 Il y a un livre de Guillaume Leblanc et Fabienne Brugère
00:04:03 qui s'appelle "Le peuple des femmes".
00:04:05 Rien que déjà, ce titre pose question et qui dit très explicitement
00:04:10 que le combat du féminisme aujourd'hui, ça n'est plus vraiment
00:04:14 celui pour l'égalité, mais c'est celui pour le pouvoir,
00:04:17 la prise du pouvoir ou plus exactement, le retournement de la domination,
00:04:21 on va dire, enfin, de ce qui est supposé être un système de domination.
00:04:26 Donc, en quoi ce féminisme a de si nouveau...
00:04:30 Je dirais, enfin, ce n'est pas pour rien que j'ai donné ce titre,
00:04:33 "Les abîmeufs du féminisme", en souvenir d'un conte
00:04:36 qui avait énormément fait réfléchir mon enfance.
00:04:41 - Je croyais que c'était en référence aux abîmeufs du président Mao de Simon Lès.
00:04:44 - Non, non, non, c'est les abîmes...
00:04:46 Je termine sur la citation du conte de Grimm.
00:04:49 Vous vous souvenez du conte ?
00:04:52 Il y a deux escrocs qui arrivent et qui promettent à l'empereur
00:04:57 un abîme absolument magnifique, un abîme qui lui demande beaucoup d'argent,
00:05:00 du fil d'or, des perles, des pierres précieuses,
00:05:02 enfin, toutes sortes de choses extraordinaires pour lui faire un abîme
00:05:05 qu'il n'aura jamais vu aussi beau.
00:05:08 Et donc, il travaille, il travaille, il vient faire les essayages,
00:05:11 le président, pas le président, l'empereur, et...
00:05:16 Il ne voit rien.
00:05:17 Et c'est un petit peu ennuyeux parce que ce qu'on lui a dit,
00:05:20 ce que les escrocs lui ont dit, c'est que ceux qui ne voient pas le vêtement,
00:05:23 ça veut dire qu'ils sont bêtes.
00:05:26 Donc, le jour venu, alors toute la cour, évidemment, de peur d'avoir l'air stupide,
00:05:30 s'émerveille de l'abîme, mais il n'y a pas d'abîme,
00:05:33 ils empochent l'argent, les fils d'or et tout, puis ils ne font rien, en fait.
00:05:36 Ils mènent le type en bateau et un jour, il y a une magnifique procession
00:05:39 où l'empereur s'en va en ville par un temps un peu frais,
00:05:43 avant le réchauffement climatique,
00:05:46 montrer son bel habit.
00:05:48 Il est un peu froid, mais il ne dit rien parce que si moi, je ne vois pas le vêtement,
00:05:52 j'aurais l'air encore plus bête que...
00:05:54 Je serais vraiment trop, trop bête, je ne pourrais pas gouverner tout ce joli monde.
00:05:58 Et puis, il y a un gamin qui dit "Ah, mais il est tout nu".
00:06:01 Et à ce moment-là, l'empereur comprend que c'est normal qu'il ait froid,
00:06:03 il continue bravement son chemin et en fait, il n'y a rien.
00:06:07 Donc, en fait, le titre de mon livre, c'est l'idée que le féminisme contemporain,
00:06:13 qui est tout à fait sincère dans son militantisme,
00:06:19 en fait, il est fait de la même étoffe, c'est-à-dire quelque chose qui est rien,
00:06:23 c'est-à-dire il est déréalisé.
00:06:25 Je donne un certain nombre d'exemples sur lesquels on reviendra.
00:06:28 - Attends, je vous interromps Sabine pour qu'on comprenne bien ce que vous dites.
00:06:29 Au fond, la domination masculine universelle aurait été le moteur
00:06:35 d'une violence ininterrompue des hommes contre les femmes.
00:06:38 C'est ce que postule ce féminisme de nouvelle génération.
00:06:41 - Oui, alors, il faut le dire d'une façon peut-être...
00:06:42 J'essaie de comprendre pourquoi il y a cette idée.
00:06:45 La notion, l'idée de patriarcat, de domination masculine, etc.,
00:06:49 de valence différentielle des sexes, François Zéritier en avait parlé,
00:06:52 bien entendu, c'est quelque chose qui historiquement et sociologiquement
00:06:56 peut se constater, peut s'étudier.
00:06:58 Il y a notamment un petit livre, évidemment Simone de Beauvoir,
00:07:01 quand même, dans le deuxième sexe, qui étudie ça très, très bien
00:07:04 avec l'histoire, enfin...
00:07:06 - Mais qui est contesté aussi par les nouvelles féministes.
00:07:07 - Oui, alors, pour différentes raisons, on verra peut-être pourquoi.
00:07:11 Mais Erwin Goffman, que les féministes ne lisent pas du tout,
00:07:14 a écrit un petit livre formidable, très court,
00:07:17 qui s'appelle "L'arrangement entre les sexes", où il étudie très, très bien
00:07:21 les dispositifs sociaux, si vous voulez, qui font que,
00:07:26 il y a effectivement, dans un certain nombre de sociétés,
00:07:29 la nôtre, historiquement aussi, les femmes sont assujetties aux hommes.
00:07:36 C'est de moins en moins vrai dans les démocraties modernes,
00:07:39 si vous voulez, c'est vrai dans un certain nombre de régions du monde,
00:07:42 où, en effet, institutionnellement, les femmes valent moins qu'un homme,
00:07:47 sont soumises, etc.
00:07:49 Mais l'idée, si vous voulez, erronée pour moi, du féminisme,
00:07:54 ce que j'appelle le "Me Too féminisme", parce que ça s'est extrêmement développé
00:07:58 avec le mouvement Me Too, on essaiera de comprendre peut-être pourquoi.
00:08:02 J'avais écrit un livre là-dessus, qui est paru il y a un an.
00:08:05 L'idée, c'est que la domination, elle n'est pas simplement historique,
00:08:08 elle est systémique.
00:08:10 Et à partir du moment où on substitue au terme d'historique,
00:08:14 avec l'idée que dans l'histoire, il y a des transformations
00:08:16 liées à des luttes, liées à des circonstances,
00:08:19 par exemple, la Première Guerre mondiale,
00:08:21 c'est un événement qui a énormément joué dans l'émancipation des femmes.
00:08:27 Tout simplement, pourquoi ?
00:08:29 Parce que les femmes se sont trouvées, de fait, aux manettes de l'économie,
00:08:34 des usines, elles s'occupaient des champs,
00:08:36 alors que les hommes étaient tous dans les tranchées,
00:08:38 en train de se faire couper.
00:08:39 - Il y a d'ailleurs une première révolution sexuelle dans les années 1920.
00:08:41 - Exactement, dans les années 1920, les années folles, comme on a dit.
00:08:44 Donc, si vous voulez, l'idée que c'est systémique,
00:08:46 c'est l'idée que c'est un système qui produit par lui-même
00:08:51 nécessairement de la domination.
00:08:52 C'est pour ça que...
00:08:54 C'est comme si, si vous voulez, puisque vous vous occupez de l'agriculture,
00:08:57 c'est comme si les agriculteurs aujourd'hui disaient,
00:09:00 leur revendication était fondée sur le cervage systémique.
00:09:04 Le cervage, ça fait belle durée que c'est terminé, quand même.
00:09:07 Il y a eu l'histoire, il y a eu plein de choses qui se sont passées.
00:09:09 Donc, en effet, il y a des traces, des résidus.
00:09:13 Oui, Virginia Woolf disait très bien que l'esprit humain
00:09:15 était un si profond réservoir de temps humain,
00:09:18 donc il y a des traces, mais c'est en mouvement.
00:09:20 Et donc, il y a eu, entre mon enfance, quand j'étais petite fille,
00:09:24 ma mère qui était une femme indépendante, journaliste,
00:09:26 qui avait eu six mois de beauvoir comme professeure au lycée.
00:09:30 Mais quand même, en 1965, moi, j'étais petite,
00:09:34 elle n'avait pas le droit, sans l'autorisation de son mari, de travailler,
00:09:37 d'avoir un compte en banque, de signer un chèque, etc.
00:09:40 Entre mon enfance et aujourd'hui, il y a eu quand même des pas,
00:09:44 je ne parle même pas de ce qui s'est passé avant,
00:09:46 mais des pas considérables qui ont été accomplis.
00:09:48 Les femmes aujourd'hui, je ne partage pas toutes les analyses
00:09:52 d'Emmanuel Todd sur beaucoup de sujets,
00:09:54 mais sur ce sujet, il n'a pas tort.
00:09:56 C'est-à-dire, aujourd'hui, les femmes sont, par exemple, la magistrature,
00:10:01 qui est quand même un lieu de pouvoir symbolique très important,
00:10:05 majorité de femmes.
00:10:06 L'enseignement, la médecine se féminisent aussi beaucoup.
00:10:09 C'est-à-dire, il y a un certain nombre de professions symboliquement chargées
00:10:14 qui sont de plus en plus...
00:10:16 - Vous pouvez ajouter au niveau européen,
00:10:19 puisque la Banque centrale européenne est dirigée par une femme,
00:10:22 la Commission est dirigée par une femme.
00:10:24 - Il y a toujours des questions importantes.
00:10:26 Le féminisme ne s'est jamais accompli.
00:10:28 N'empêche que, quand on parle de domination systémique,
00:10:32 on se trompe.
00:10:33 Et un des symptômes les plus extraordinaires de ça,
00:10:36 c'est le rapport que, je ne sais pas si vous avez regardé,
00:10:38 du HCE, le Haut conseil à l'égalité,
00:10:42 qui vous présente la situation des femmes en France.
00:10:45 Mais on a l'impression qu'on nous parle de l'Afghanistan.
00:10:48 Et Mme Borne, dès lors, Premier ministre quand même,
00:10:51 je sais qu'il faut dire Premier ministre,
00:10:52 Mme Borne, qui n'est pas quand même quelqu'un dont le parcours
00:10:56 soit un parcours vraiment de pauvre petite chose
00:11:00 qui n'a pas pu faire sa place dans ce monde.
00:11:03 Bon, je sais, la polytechnique, c'est relativement récent
00:11:06 que ce soit ouvert aux femmes, mais c'est ouvert aux femmes.
00:11:08 Eh bien, elle explique quand même dans elle,
00:11:10 dès qu'elle est nommée ministre, Premier ministre,
00:11:13 que les hommes ont intérêt à ce que la moitié de l'humanité
00:11:18 soit exclue de la sphère publique.
00:11:21 Mais enfin, je me demandais si elle parlait de la France
00:11:23 ou de l'Afghanistan. Ce n'est pas sérieux.
00:11:25 Donc, quand on lit ces 40 pages du HCE, on se pince.
00:11:28 On se dit mais qu'est-ce que...
00:11:30 On a l'impression que la France est un enfer sexiste.
00:11:34 Oui, on attend ça.
00:11:34 Il y a quelque chose qui n'est pas en prise avec l'analyse de la réalité.
00:11:38 Vous citiez Emmanuel Todd, qui a écrit un livre sur ce sujet
00:11:41 qui s'appelle "Où en sont-elles ?" et qui disait,
00:11:43 on a tendance à penser, enfin, le nouveau féminisme
00:11:46 a tendance à penser que Paris, c'était, il y a quelques siècles,
00:11:51 comme Kaboul. Et ils disent non, anthropologiquement,
00:11:54 c'est impossible, on n'a jamais été comme Kaboul.
00:11:56 Donc, c'est une fausse analyse.
00:11:58 Néanmoins, vous le dites vous-même, c'est pas incohérent.
00:12:02 On ne peut pas balayer non plus ça.
00:12:04 Il faut que j'arrête de taper sur mon micro, il ne m'a rien fait.
00:12:06 On ne peut pas balayer ça d'un revers de main.
00:12:08 Balayer quoi ?
00:12:09 Balayer le fait qu'il y a eu une domination masculine,
00:12:13 même si elle ne s'est pas exercée ici aussi durement qu'ailleurs.
00:12:16 Bien entendu.
00:12:17 Il y a eu une domination masculine.
00:12:18 Bien entendu. Pourquoi y a-t-il eu des combats féministes
00:12:21 depuis l'homme de gouge, même avant ?
00:12:23 Je veux dire, il y a quand même des combats féministes tout à fait clairs.
00:12:26 Ce que cherchaient les femmes, en fait, c'était quoi ?
00:12:28 Et c'est le fond, je dirais, de la pensée de Simone de Beauvoir,
00:12:31 qui pour moi est une référence tout à fait importante.
00:12:34 C'est-à-dire que, nonobstant la réalité matérielle
00:12:38 de la sexuation, si vous voulez, anatomico-physiologique,
00:12:42 c'est-à-dire le fait du sexe tout simplement.
00:12:45 Erwin Goffman dit une chose intéressante concernant le sexe.
00:12:48 Il dit qu'on devrait considérer le sexe,
00:12:50 non pas comme une catégorie d'organisme,
00:12:53 mais comme une propriété des organismes.
00:12:55 Et à partir du moment où on le considère de cette façon,
00:12:58 la perspective change.
00:12:59 Elle est pertinente, cette propriété des organismes,
00:13:03 pour penser à un certain nombre d'éléments de l'organisation sociale,
00:13:06 mais pas pour tous, par exemple le corps électoral.
00:13:08 Il n'est pas défini à partir de ça.
00:13:11 Il est défini à partir d'un autre critère,
00:13:13 qui est l'âge et la citoyenneté.
00:13:15 Donc si vous voulez, l'idée du féminisme,
00:13:17 c'est que, ce que dit très bien Beauvoir,
00:13:19 le fait que les femmes aient des ovaires ne les condamne pas
00:13:22 à un destin de soumission aux hommes.
00:13:25 D'accord ?
00:13:26 Or, si vous voulez,
00:13:29 un certain nombre, historiquement,
00:13:31 les femmes ont été assujetties aux hommes
00:13:33 parce qu'elles étaient considérées comme exclusivement
00:13:37 totamulière in utero, si vous voulez.
00:13:39 Et donc, d'ailleurs c'est intéressant ce truc de totamulière in utero,
00:13:43 parce qu'on peut comprendre que pendant des siècles,
00:13:47 ce dogme, disons de l'Église,
00:13:50 ou même bien plus ancien,
00:13:51 on a ça chez Aristote aussi, enfin chez les anciens,
00:13:54 ce dogme de l'Église,
00:13:56 soit facilement une sorte de conviction spontanée,
00:14:03 un peu comme on a l'impression que le soleil se lève,
00:14:05 tout simplement parce que,
00:14:06 jusqu'à l'allongement de l'espérance de vie
00:14:09 et la maîtrise de la contraception,
00:14:11 la vie d'une femme adulte,
00:14:13 mais même très tôt, à partir de...
00:14:15 puisque l'âge nubile était 12 ans à l'époque,
00:14:17 la vie d'une femme adulte,
00:14:19 c'était quasiment être enceinte tout le temps,
00:14:21 sauf si elle était bonne sœur.
00:14:22 On voit ça chez les reines de France, notamment.
00:14:24 Voilà, enceinte tout le temps.
00:14:25 Pardon de vous interrompre, Sabine Procoris,
00:14:27 mais on sait bien que toute cause,
00:14:30 qu'elle soit légitime ou pas,
00:14:32 engendre des abus.
00:14:34 Combattre les abus,
00:14:36 ce que vous avez l'air de faire,
00:14:37 n'est pas combattre la cause.
00:14:39 J'ai l'impression qu'il y a, dans ce nouveau féminisme,
00:14:42 il n'y a pas seulement l'idée que les hommes
00:14:44 ont toujours exercé une domination violente
00:14:47 à l'égard des femmes, et ça,
00:14:49 sous tous, dans tous les pays de la planète,
00:14:51 quelles que soient les régions, etc.
00:14:53 Il y a aussi le fait qu'à la différence
00:14:55 de leur mère ou de leur grand-mère, féministes,
00:14:57 elles s'interrogent sur ce qu'est un homme et une femme.
00:15:01 Il y a une question d'identité qui est posée.
00:15:04 Ce n'est pas seulement les hommes
00:15:05 ont toujours été des oppresseurs,
00:15:07 c'est le système a toujours produit
00:15:11 la place masculine comme oppressive
00:15:13 et la place féminine comme soumise.
00:15:15 En oubliant quand même,
00:15:16 puisque je parlais de la guerre de 1914 tout à l'heure,
00:15:18 qu'en 1914, entre 1914 et 1918,
00:15:21 et même aujourd'hui en Ukraine,
00:15:23 vaut mieux être une femme qu'être un homme.
00:15:25 Oui, parce qu'on ne va pas faire la guerre.
00:15:27 Ça dépend, en Russie, on fait la guerre.
00:15:28 Oui, non, mais je veux dire, si on lit...
00:15:29 Oui, je sais, j'ai lu le livre sur...
00:15:32 "Il n'y en a pas un visage de femme",
00:15:34 sur les femmes de l'armée rouge.
00:15:37 C'est assez impressionnant, ce livre.
00:15:38 Mais disons, d'une manière générale,
00:15:39 on l'a même vu, la conscription,
00:15:41 ça s'adressait aux hommes.
00:15:42 Non, non, il y avait des devoirs.
00:15:43 Il y a des devoirs qui sont...
00:15:44 Vous vous faites aussi dégouper en rondelles
00:15:46 si vous êtes un homme.
00:15:47 Vous lisez Johnny Gottisgern, vous voyez le film.
00:15:49 Bon, après, bien entendu que...
00:15:52 Alors, ce que...
00:15:55 Comment dire ?
00:15:55 La cause...
00:15:58 Le féminisme est une cause fondamentale, bien entendu.
00:16:00 Je suis féministe.
00:16:03 Bien évidemment.
00:16:04 Mais non, mais je veux dire, c'est en tant que féministe
00:16:07 que je critique ce néo-féminisme.
00:16:10 Mais bien sûr, parce que...
00:16:11 D'ailleurs, je voulais juste...
00:16:13 Sylvie Brunel, vous lui trouvez...
00:16:15 Quelles caractéristiques a ce nouveau féminisme-là ?
00:16:18 Moi, je pense que les combats doivent toujours être menés.
00:16:22 Je le vois au moment de la réforme des retraites.
00:16:25 Je pense que la question de la maternité
00:16:27 pose une question entière, parce qu'aujourd'hui,
00:16:29 on voit bien qu'au niveau des retraites,
00:16:30 les femmes vont être pénalisées,
00:16:32 qu'elles ont en moyenne des petites retraites
00:16:34 parce qu'elles ont passé du temps à élever leurs enfants.
00:16:36 Seulement, vous savez que quand on est député
00:16:38 et qu'on est enceinte, on ne peut plus voter.
00:16:40 Exactement.
00:16:40 On n'a jamais pensé que...
00:16:41 Oui, on n'a jamais pensé qu'une députée pouvait être enceinte.
00:16:44 Et puis, il y a 30% de différence.
00:16:45 Oui, quand vous rentrez chez vous, vous n'êtes plus, quoi.
00:16:47 Et puis, je pense, Frédéric, à ces deux femmes
00:16:50 qui m'ont beaucoup marquée,
00:16:51 Jacinda Ardern, Première ministre de Nouvelle-Zélande,
00:16:55 et Nicola Storjon, Première ministre d'Ecosse,
00:16:59 qui renoncent, qui disent "mais je n'y arrive pas,
00:17:01 je ne peux pas concilier ma vie personnelle et ma vie".
00:17:04 Pas seulement, elles reconnaissent que ça les épuise.
00:17:06 Mais oui, mais pourquoi ?
00:17:07 Parce qu'aucun homme ne reconnaîtra jamais.
00:17:09 Mais non, mais attendez, parce qu'aucun homme n'a la charge
00:17:12 pour les femmes de gérer, de s'occuper, de porter les enfants.
00:17:17 Et je pense que cela, ça reste quand même profondément
00:17:19 peu reconnu par la société.
00:17:22 Et je pense qu'il faut des combats excessifs
00:17:24 pour arriver à de petites victoires.
00:17:26 - Jean-Jusquel Jouzel, avez-vous un commentaire ?
00:17:28 - Non, je n'ai pas lu le rapport du Haut Conseil pour l'égalité,
00:17:31 mais je pense quand même qu'il y a du chemin à faire encore
00:17:34 quand on regarde, par exemple, l'égalité des salaires,
00:17:39 on en est loin quand même,
00:17:40 ou bien il y a toujours ce plafond de verre
00:17:41 dans certaines grandes entreprises.
00:17:42 Donc ça, c'est quand même une réalité qu'il faut...
00:17:45 - Mais ça, ce n'est pas ce nouveau féminisme-là qui le réclame.
00:17:48 - Oui, mais il y a quand même beaucoup de chemin à faire.
00:17:50 - Juste une, Sabine, dans votre livre,
00:17:52 vous vous élevez contre le concept de féminicide.
00:17:55 Vous dites que ça n'a plus...
00:17:56 Vous pouvez nous expliquer très vite pourquoi.
00:17:58 - Non, mais je n'ai pas répondu à votre question
00:18:00 sur l'identité, là.
00:18:01 - Vous l'éteignez très vite.
00:18:02 - Oui, c'est-à-dire, il me semble qu'on ne peut pas
00:18:04 postuler les choses en termes d'identité.
00:18:06 Ça n'a pas de sens.
00:18:07 C'est plutôt en termes de place, d'emplacement,
00:18:09 parce que l'identité masculine ou l'identité féminine,
00:18:12 c'est effectivement historique.
00:18:15 C'est un mix de réalité matérielle,
00:18:18 mais aussi de la manière dont la société et soi-même
00:18:21 réinterprètent cette réalité matérielle.
00:18:23 Maintenant...
00:18:26 - Le féminicide ?
00:18:26 - Le féminicide, oui, pourquoi ?
00:18:28 Parce que c'est abstrait.
00:18:28 C'est-à-dire, c'est l'idée de crime de genre.
00:18:31 - Oui, oui, c'est aussi une femme assassine un homme,
00:18:34 ça s'appelle un assassinat, c'est un homme assassine une femme,
00:18:37 ça s'appelle un féminicide.
00:18:38 - Mais surtout, ce qui me dérange, c'est l'idée de crime.
00:18:40 C'est théorisé par notamment Brugère et Leblanc.
00:18:43 Si c'est un crime de genre, c'est l'idée que le patriarcat
00:18:47 assassine quelqu'un du genre pour son genre.
00:18:51 - Parce que c'est une femme.
00:18:52 - Ça a peu arrivé dans certains cas.
00:18:55 Par exemple, vous vous rappelez ce crime au Canada,
00:18:58 il y a quelques années, dans une université à Montréal.
00:19:02 - Le terroriste avait sélectionné les femmes.
00:19:04 - Une femme, mais en fait, les féministes.
00:19:06 C'est-à-dire, c'est parce qu'elles étaient féministes.
00:19:08 - Mais parce qu'il prétendait que toutes les femmes étaient féministes.
00:19:11 - Peu importe, mais en tout cas, c'était les femmes qui étaient visées
00:19:14 parce qu'elles étaient des femmes.
00:19:15 Quand quelqu'un tue sa conjointe ou son ancienne compagne, etc.,
00:19:21 il y a une corrélation entre le fait que ce soit,
00:19:25 c'est genré au sens où il y a une corrélation avec le genre,
00:19:28 mais ce n'est pas une causalité.
00:19:29 Et là, moi, j'ai l'impression que quand on parle de féminicide,
00:19:33 eh bien, on parle de crime de genre et on nommait la réalité particulière,
00:19:38 on déréalise le crime dans sa singularité, dans son atrocité, etc.,
00:19:43 l'histoire singulière, qui est ce qu'il est.
00:19:46 Vous voyez ?
00:19:46 Donc moi, je suis toujours extrêmement méfiante et rétive
00:19:50 par rapport aux grandes idées abstraites.
00:19:52 Après, je suis entièrement de votre avis qu'il y a des combats concrets
00:19:56 qu'il s'agit de mener, mais les combats concrets,
00:19:59 c'est par exemple quand Brett Kavanaugh devait être nommé à la Cour suprême.
00:20:03 Qu'est-ce qu'elles auraient dû faire, les féministes, à l'époque ?
00:20:06 Et moi, ça m'a super, énormément étonnée que ce ne soit pas le cas.
00:20:09 Moi, je n'ai pas vu un hashtag.
00:20:11 Nous voudrons disposer librement de notre droit à interrompre une grossesse.
00:20:15 Par contre, on a reproché à Kavanaugh une phrase sexuelle alléguée
00:20:18 d'il y a 40 ans, quand il avait 17 ans.
00:20:20 Est-ce que c'est ça, l'urgence féminine concrète ?
00:20:23 Je ne trouve pas.
00:20:23 - Je vous interromps.
00:20:25 On va faire juste une pause et on se retrouve après.
00:20:29 On va aborder la tyrannie du divertissement.
00:20:31 Les visiteurs du soir, c'est jusqu'à minuit.
00:20:38 Ce soir, il y a justement Olivier Babaud.
00:20:42 On est samedi.
00:20:43 C'est le soir du temps libre, du temps pour soi.
00:20:47 Et à part les gens comme moi qui travaillent,
00:20:49 les autres peuvent véritablement faire ce dont ils ont envie.
00:20:54 Vous attirez notre attention dans votre nouveau livre,
00:20:57 "La tyrannie du divertissement",
00:21:00 sur le fait que notre époque est malade du temps libre.
00:21:03 Alors, ce n'est pas pour dire qu'on en a trop.
00:21:05 - Certainement pas.
00:21:05 - Au contraire, je me réjouis de cette fuite du travail,
00:21:09 ce fait que le travail est sorti de nos vies d'une certaine façon.
00:21:12 Alors, c'est vrai qu'on n'a pas tellement l'impression...
00:21:13 - Vous ne l'exagérez pas non plus.
00:21:14 - Quand on travaille, on est dans la vie active.
00:21:16 On se dit, bon, quand même, il y a beaucoup de travail.
00:21:18 Mais si on regarde avec un petit peu de recul,
00:21:19 le recul, c'est d'abord celui du temps.
00:21:21 Au 19e siècle, on travaillait 4000 heures par an
00:21:23 et on avait une vie qui était assez courte.
00:21:25 Ce qui fait que si vous regardez sur une vie éveillée,
00:21:28 en temps éveillé, c'est 70% de votre vie que vous travaillez.
00:21:31 Vous ne vous jamais oubliez que quand on a fait la retraite à 65 ans,
00:21:33 en 1945, l'âge, l'espérance de vie moyenne des ouvriers
00:21:36 était plutôt autour de 60.
00:21:38 Malheureusement, on était en général plutôt morts.
00:21:40 C'est extraordinaire, le temps de travail,
00:21:42 il n'a fait que refluer tout au long du 20e siècle.
00:21:45 En 1950, on était autour de 1900 heures.
00:21:47 Et puis aujourd'hui, on est entre 1400, 1600.
00:21:49 On a gagné, depuis 1950, on a gagné l'équivalent de deux mois de vie éveillée.
00:21:53 Si vous voulez, aujourd'hui, vous vivez 80-85 ans,
00:21:56 c'est-à-dire l'espérance de vie moyenne.
00:21:58 Vous faites une carrière aux 35 heures.
00:21:59 Ce n'est pas notre cas à tous, on travaille un peu plus sans doute.
00:22:02 Vous faites une carrière aux 35 heures,
00:22:03 votre vie éveillée, travaillée, c'est 12% de votre vie.
00:22:06 Alors, on peut parler des chiffres,
00:22:08 mais l'intérêt, c'est de se dire autrefois, votre vie, c'était du travail,
00:22:12 où vous alliez insérer un peu de loisir, tant bien que mal, de temps en temps.
00:22:15 Le 19e siècle avait quasiment disparu,
00:22:16 vous n'aviez quasiment plus de dimanche,
00:22:18 la condition ouvrière, on le sait, a été terrible.
00:22:20 Et puis, il y a eu un lent regain,
00:22:22 où on va avoir regagné à nouveau du temps libre.
00:22:25 Et aujourd'hui, c'est extraordinaire, notre vie,
00:22:27 c'est, qu'on le veuille ou non, parce qu'on vit de plus en plus longtemps.
00:22:29 Et c'est super, des loisirs dans lesquels on va insérer du travail.
00:22:33 Voilà. Et le problème, dites-vous, c'est que l'usage que l'on fait de ces loisirs
00:22:39 accentue les inégalités.
00:22:41 En fait, on a le choix et on a même énormément le choix.
00:22:44 On n'a jamais eu autant le choix, mais c'est ça qui devient périlleux.
00:22:48 Exactement. Alors, c'est un peu contre-intuitif de dire
00:22:50 ne laissez pas les loisirs gâcher votre vie,
00:22:52 puisque notre vie, elle est faite pour les loisirs.
00:22:54 C'est en vue de ça qu'on travaille, n'est-ce pas, qu'on gagne notre croûte,
00:22:57 qu'on va tous les jours au bureau quand on a la chance d'avoir,
00:23:00 évidemment, un emploi, quand on va travailler.
00:23:01 Et puis, on a enfin ce temps libre dont on va pouvoir faire ce qu'on veut,
00:23:04 où on pourra être nous-mêmes, pouvoir faire ce pourquoi on est fait.
00:23:08 Alors, en quoi on peut gâcher notre vie avec ces loisirs ?
00:23:11 Parce qu'il y a plusieurs sortes de loisirs.
00:23:13 Il y a plusieurs façons de les occuper, des façons qui vont être plus riches
00:23:17 que d'autres, qui vont nous enrichir, qui vont nous amener vers les autres,
00:23:21 ou au contraire, des façons qui vont être un peu plus appauvrissantes.
00:23:26 Alors, il y a un article du Wall Street Journal il y a quelques mois qui disait
00:23:29 7 millions de jeunes entre 25 et 54 ans sont sortis du marché du travail
00:23:33 aux États-Unis à la faveur du Covid.
00:23:35 Qu'est-ce qu'ils font ? Ils jouent à Call of Duty sous drogue.
00:23:39 Et ils jouent en moyenne 2000 heures par an,
00:23:41 c'est-à-dire l'équivalent du nombre d'heures de travail qu'ils faisaient avant,
00:23:44 c'est-à-dire qu'en fait, ils ont arrêté de bosser
00:23:45 et ils se sont mis à jouer à Call of Duty sous drogue.
00:23:48 Il y a plein de jeux vidéo super bien,
00:23:49 mais enfin, il y en a qui sont peut-être un peu moins intéressants,
00:23:51 surtout quand on en fait un petit peu trop.
00:23:52 Parce que ce que je dis, c'est que bien sûr, le problème,
00:23:54 ce n'est pas le divertissement, ce n'est pas le fait de se délasser,
00:23:58 de rien faire, ça arrive à tout le monde et il faut le faire.
00:24:00 Et c'est naturel. Le problème, c'est l'excès,
00:24:02 c'est-à-dire que la partie divertissement de notre loisir a phagocyté
00:24:06 les parties plus riches, celles que j'appelle la scolette,
00:24:08 c'est-à-dire le loisir studieux, celui où on va s'enrichir,
00:24:11 le cas du livre, bien sûr, qu'on va lire ou du sport qu'on va faire.
00:24:15 Et puis, ce que j'appelle le loisir aristocratique,
00:24:16 c'est-à-dire le loisir où on va vers les autres, le loisir familial,
00:24:19 le loisir amical, le loisir d'agrégation sociale.
00:24:22 - Ce que vous nous dites, en fait, c'est que la réussite,
00:24:24 aujourd'hui, c'est devenu un jeu d'accumulation cognitive
00:24:29 que l'on valorise ensuite en capitale sociale.
00:24:32 Et effectivement, cette accumulation cognitive,
00:24:35 elle se fait essentiellement pendant l'enfance ou après,
00:24:38 pendant nos temps de loisir.
00:24:39 C'est là où, comme vous dites, on s'enrichit.
00:24:42 Alors, le problème, c'est la définition de s'enrichir,
00:24:44 parce que vous comprenez bien que quand vous dites lire un livre,
00:24:47 ça dépend du livre, voir un film, ça dépend du film.
00:24:51 Et les jeux vidéo, ça dépend des jeux vidéo.
00:24:53 Donc, tout ça est quand même assez subtil et assez compliqué.
00:24:56 On est constamment à la croisée des chemins.
00:24:58 - Le problème, c'est que le médium ne dit pas toujours tout de la qualité.
00:25:02 Il y a des livres complètement nuls, il y a des livres formidables.
00:25:04 Il y a des jeux vidéo extra, il y a des jeux vidéo complètement stupides.
00:25:07 Donc, on peut dire de la même façon, on ne peut pas condamner les écrans en bloc.
00:25:10 C'est plus facile.
00:25:11 - Surtout, ça dépend aussi des gens.
00:25:12 Le même livre sera inintéressant pour l'un et très enrichissant pour l'autre.
00:25:16 - Comme on sait, le livre est avant tout un miroir constant à nous-mêmes.
00:25:19 Et donc, c'est d'abord nous-mêmes que nous lisons entre les livres.
00:25:21 Donc, on ne pourra pas y voir forcément la même chose.
00:25:22 Mais par exemple, les écrans, ça peut être une chose extraordinaire
00:25:26 pour apprendre des choses authentiquement.
00:25:27 C'est une fenêtre sur le monde à coût marginal zéro,
00:25:30 qui est absolument extraordinaire.
00:25:32 Et on ne devrait pas, il ne faudrait pas s'en passer.
00:25:35 Mais ça peut aussi être un outil de visualisation stroboscopique d'images.
00:25:39 - Je vous arrête. Ça va être le moment du journal.
00:25:43 On revient tout de suite après et on va essayer de faire le tri.
00:25:45 Parce que c'est ça, quand même, qui est intéressant.
00:25:47 Face à l'hyper choix, comment on trie en pensant qu'on peut peut-être s'enrichir ?
00:25:52 - Au Salon de l'agriculture, la traditionnelle visite du président de la République
00:25:59 a été ponctuée de tensions.
00:26:01 Emmanuel Macron a notamment été interpellé par des militants écologistes
00:26:05 du collectif Dernière Rénovation.
00:26:07 L'un d'entre eux a dû être maîtrisé par la protection rapprochée du président.
00:26:11 Le chef de l'État a dénoncé la démonstration d'une forme de violence civique.
00:26:16 L'enquête visant Pierre Palmate pour détention d'images à caractère pédopornographique
00:26:21 se poursuit.
00:26:22 Un individu est placé sous contrôle judiciaire.
00:26:25 Il a été mis en examen pour diffusion et détention d'images à caractère pédopornographique.
00:26:31 Un deuxième homme, lui, a été remis en liberté.
00:26:33 Une information judiciaire est ouverte depuis samedi dernier.
00:26:37 À Saint-Brévin, en Loire-Atlantique, un futur centre d'accueil de demandeurs d'asile
00:26:42 continue de diviser.
00:26:44 De nouvelles manifestations de partisans et d'opposants ont eu lieu aujourd'hui,
00:26:48 rassemblant respectivement 900 et 380 personnes.
00:26:52 Les opposants au projet déplorent notamment la proximité entre le futur centre et une école.
00:26:58 Des protestations s'étaient déjà tenues le 11 décembre.
00:27:01 Nous avons de plus en plus de temps libre, mais nous nous laissons absorber par le divertissement.
00:27:10 Alors le divertissement, comment faire le tri entre ce qui peut effectivement accumuler
00:27:17 de la, comment on appelle ça, de l'accumulation cognitive, pardonnez-moi ce...
00:27:22 - Du capital culturel.
00:27:23 - Voilà.
00:27:24 Et comment s'enrichir, on va dire, intérieurement.
00:27:26 Et comment au contraire gaspiller son temps libre.
00:27:30 Est-ce que vous êtes arrivé à faire le tri, Olivier Babaud ?
00:27:33 - En tout cas, c'est une question que je me pose tous les jours.
00:27:35 Il y a un reproche qu'on peut faire, à ma théorie, c'est d'instrumentaliser le loisir.
00:27:39 Ce que probablement, d'ailleurs, parce que sûrement, Anna Arendt reprochait dans la crise de la culture,
00:27:45 où elle dit justement que le loisir a été une utilisation de l'art, une sorte de déformation,
00:27:50 pour l'instrumentaliser à des fins, soit de rentabilité, soit de rentabilité sociale.
00:27:54 Je constate qu'en effet, la bourgeoisie a toujours été très forte pour réutiliser,
00:27:58 pour utiliser ça comme levier de distinction, n'est-ce pas ?
00:28:01 Et Bourdieu a écrit plein de pages magnifiques sur le sujet.
00:28:03 Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas, en effet, de l'enrichissement à travers, par exemple, de l'activité artistique.
00:28:08 Alors, comment distinguer ?
00:28:09 C'est très, très simple pour moi.
00:28:11 Évidemment, je ne fais pas les anciens contre les modernes.
00:28:13 Je ne fais pas la musique classique contre le rap.
00:28:15 Absolument pas.
00:28:15 - Pas la culture savante contre la subculture ?
00:28:16 - Non, non, absolument pas.
00:28:17 C'est vraiment pas l'idée.
00:28:18 À toutes les époques, il y a la culture formidable.
00:28:20 Il y a des productions artistiques fabuleuses.
00:28:21 Il y a des génies.
00:28:23 Peut-être qu'il y en a un petit peu moins aujourd'hui parce que l'une de mes idées, c'est que pour être génial,
00:28:26 il faut non seulement avoir les capacités, mais avoir du temps.
00:28:29 Et ce temps, il nous est volé.
00:28:31 Et je pense que le temps qu'on avait extraordinairement avant, parce qu'on n'avait pas de choses pour...
00:28:35 On n'avait rien d'autre à faire, en fait, en gros.
00:28:36 - En fait, on s'ennuyait.
00:28:37 - On s'ennuyait extraordinairement.
00:28:39 Et dans votre vie, même si vous aviez une vie assez courte, vous pouviez être comme Mozart,
00:28:43 mourir à trente et quelques...
00:28:44 Trente-six, trente-cinq, je ne sais plus, quelque chose comme ça.
00:28:46 Et avoir une oeuvre extraordinaire de densité et d'importance.
00:28:50 Pourquoi ? Parce que vous ne faisiez que ça, en grande partie.
00:28:52 Et notre époque, probablement, voit moins de génie parce qu'il y a une partie de ce temps qui est prise.
00:28:57 - C'est un autre débat.
00:28:58 - C'est un autre débat.
00:28:59 Alors, il y a le temps où vous êtes actif, c'est-à-dire celui où vous allez choisir ce que vous faites,
00:29:04 où vous allez être dans une démarche de construction.
00:29:07 Ça peut être, encore une fois, comme les Grecs ne faisaient pas de différence entre le travail physique et le travail intellectuel,
00:29:12 puisque les deux allaient de pair, n'est-ce pas, pour faire le bon citoyen et l'homme sage.
00:29:16 De la même façon, vous allez, pourquoi pas, à la salle de gym, vous faites du sport, c'est une démarche que vous allez faire.
00:29:21 C'est une sorte de construction de vous-même et donc vous entrez dans une forme d'art de votre existence.
00:29:27 Il y a plein de façons de...
00:29:29 - Dès l'instant où vous êtes actif, en gros, ça vous va.
00:29:31 - Voilà, exactement.
00:29:32 - Si je reproduis une danse en regardant TikTok, ce n'est pas un problème.
00:29:36 - Oui, ça, c'est intéressant. Et je trouve, par exemple, TikTok le plus intéressant.
00:29:39 Et si vous avez une chaîne TikTok.
00:29:40 Là, je trouve que c'est très intéressant.
00:29:42 Je veux dire, si mes enfants devaient être sur TikTok, ils sont un peu jeunes,
00:29:45 et quand ils y seront, je leur dirais, très bien, mais fais ta chaîne.
00:29:48 - Mais tout de suite, on voit l'entrepreneur chez vous.
00:29:50 Non, je peux simplement être comme beaucoup de femmes qui regardaient les cassettes d'aérobic.
00:29:54 À l'époque, on disait pour fitness, aérobic de Jane Fonda.
00:29:58 Elle faisait de l'aérobic.
00:29:59 Je ne vois pas au nom de quoi on leur dirait que ça n'est pas de l'accumulation cognitive.
00:30:04 - Exactement.
00:30:06 Viens voir le vrai problème et ce qui n'était quasiment pas possible autrefois.
00:30:09 C'est une sorte de passivité qui fait que vous allez voir des images défiler.
00:30:15 - Le football, ça va, mais regardez le football à la télé.
00:30:17 Vous êtes moyen, là.
00:30:18 - En fait, tout est une question de proportion.
00:30:20 Encore, il faut être très grec.
00:30:21 Le problème, c'est l'hubris.
00:30:22 C'est que vous êtes en dehors de la proportion.
00:30:25 Regardez le football à un moment, c'est très, très bien.
00:30:27 D'abord, il faut du divertissement.
00:30:28 Il faut de la de moment où on se délasse, moment où on ne fait rien.
00:30:31 On a tous, de temps en temps, on n'est pas tous géniaux en permanence.
00:30:34 On n'est pas tous hyperactifs en permanence.
00:30:35 Il y a des moments où on est effectivement passif.
00:30:37 Mais la question, c'est quelle est la durée ?
00:30:40 Quelle est la part de votre existence que vous allez donner à la passivité ?
00:30:43 Alors, peut-être que ne faire que regarder du foot
00:30:46 la grande, la majeure partie de votre temps libre, c'est peut-être dommage.
00:30:50 Voilà, c'est peut-être dommage.
00:30:50 - Mais l'avantage, c'est que quand on regarde beaucoup de foot,
00:30:52 on a l'impression d'en faire.
00:30:54 - C'est vrai, on peut apprendre des choses.
00:30:56 On peut avoir un regard intéressé sur les stratégies, sur les positionnements.
00:31:00 Et il y a vraiment un art de celui qui va regarder
00:31:03 et d'une façon beaucoup plus intéressante que si vous étiez effectivement passif.
00:31:07 - Mais Olivier Babou, il y a dans votre livre
00:31:10 une grande critique du temps qu'on passe devant les écrans.
00:31:12 De toute façon, tout le monde aujourd'hui critique le temps qu'on passe absorbé par les écrans.
00:31:17 Mais vous vous souvenez qu'autrefois, on le disait, la même chose pour les magazines,
00:31:21 pour le journal, on l'a dit pour les romans.
00:31:24 - Pour la bande dessinée.
00:31:25 - Oui, la bande dessinée. Madame Bovary, on a dit, elle lisait trop de romans.
00:31:29 Le bovarisme, c'est ça.
00:31:31 - Oui, et puis on l'a dit au moment de l'invention,
00:31:34 vraiment, du développement du livre et de l'écriture,
00:31:36 ça a enlevé notre capacité à nous souvenir.
00:31:38 - Oui, et quand on a inventé le téléphone, on a dit, bon, les gens ne sortiront plus.
00:31:42 Les gens ne vont plus se parler.
00:31:43 Alors, ce qui est vrai, c'est que ça modifie authentiquement nos actions,
00:31:46 nos modes d'être ensemble.
00:31:48 Le problème des êtres humains, en fait, depuis probablement l'apparition des hominidés
00:31:52 et puis l'accélération avec Sapiens, c'est qu'on doit gérer nos atrophies.
00:31:56 C'est-à-dire qu'à fur et à mesure qu'on a des technologies,
00:31:58 ces technologies nous aident à changer nos comportements.
00:32:00 À partir du moment où on a eu des lances et des instruments lanceurs,
00:32:02 on a pu courir moins vite et on s'est atrophié par rapport,
00:32:05 on sait, on a perdu beaucoup de force physique par rapport à ce qu'on avait avant.
00:32:08 Là, c'est un peu le même problème.
00:32:10 Le risque, c'est qu'on va avoir des formes d'atrophies, par exemple,
00:32:13 de notre capacité de concentration.
00:32:14 On le voit dès aujourd'hui.
00:32:16 Je suis promis d'ailleurs à regarder moi-même la baisse de ma capacité de concentration,
00:32:20 la baisse de la mémoire aussi.
00:32:21 Et on sait que ces écrans ont un effet sur la façon dont notre cerveau fonctionne.
00:32:25 Ça ne veut pas dire qu'il faut les refuser, mais il faut comprendre cet effet.
00:32:28 Peut-être essayer, on parlait de gym, quand vous faites de la gym,
00:32:31 c'est que vous avez compris qu'on est dans une civilisation où malheureusement,
00:32:34 on court et on marche beaucoup moins que quand on était chasseur-cueilleur.
00:32:37 Alors, de temps en temps, comme on a encore un esprit et un cerveau de chasseur-cueilleur,
00:32:41 il faut essayer de compenser.
00:32:43 Donc, c'est l'idée de prendre de temps en temps l'escalier plutôt que l'escalator.
00:32:46 Si c'est vrai physiquement, c'est vrai aussi intellectuellement.
00:32:49 Il faut faire attention à ces atrophies.
00:32:51 Mais est-ce que ça ne sont pas la mécanisation, les machines, l'art ?
00:32:55 C'est mécanisé, il se reproduit automatiquement.
00:32:59 Aujourd'hui, on allume la radio, on met un disque.
00:33:01 Autrefois, nos ancêtres, ils chantaient, ils dansaient.
00:33:05 Aujourd'hui, on danse dans les boîtes de nuit,
00:33:08 on laisse les chanteurs professionnels chanter à notre place.
00:33:11 D'ailleurs, on ne sait plus chanter.
00:33:13 Donc, le fait qu'on ait renoncé à faire de l'art nous-mêmes,
00:33:16 qu'on ait confié ça à des professionnels, c'était déjà une forme d'atrophie.
00:33:20 Oui, en tout cas, c'était une solution de facilité,
00:33:22 mais qui a permis une diffusion extraordinaire.
00:33:25 Il faut se souvenir qu'avant l'art, il fallait avoir des musiciens pour écouter de la musique.
00:33:29 Il fallait en faire soi-même.
00:33:31 Du coup, les gens en faisaient beaucoup plus.
00:33:32 La radio a tué un nombre de musiciens, de façon figurée,
00:33:36 mais de métiers de musiciens extraordinaires.
00:33:39 Ça a eu cet effet-là, il faut se rendre compte.
00:33:41 Mais je pense qu'il ne faut pas critiquer cette pratique
00:33:45 qui nous permet aussi de mettre à portée de l'art,
00:33:48 évidemment, qui jusque-là n'aurait été pas du tout à porter.
00:33:50 La vie d'un serf du Moyen-Âge, c'était, d'un point de vue culturel,
00:33:52 quand vous ne saviez ni lire ni écrire,
00:33:54 vous aviez quelques colporteurs qui venaient...
00:33:56 - Le soir, ils inventaient des histoires, ils se racontaient.
00:33:59 - C'était la veillée de l'ancien devant la cheminée.
00:34:01 - Mais vous avez remarqué que nous, on n'invente même plus d'histoires pour nos enfants.
00:34:04 On se contente de lire des livres qui nous racontent des histoires pour enfants.
00:34:07 - Mais peut-être qu'on a perdu une forme, justement, de capacité d'inventivité.
00:34:10 - Aurélien ?
00:34:11 - Oui, alors moi, je ne serais pas forcément d'accord sur tout avec vous.
00:34:16 D'abord, sur la technique, c'est vrai que moi,
00:34:18 je n'ai pas tellement un regard par lequel c'est la technique qui nous transformerait.
00:34:23 C'est-à-dire, je considère que c'est beaucoup plus un révélateur,
00:34:28 un catalyseur, un accélérateur de transformation culturelle,
00:34:31 comme ça a été le cas pour l'imprimerie.
00:34:33 On nous a souvent appris à l'école que c'était Gutenberg qui avait inventé les caractères mobiles.
00:34:37 En fait, c'est les Chinois bien avant.
00:34:40 Et qu'est-ce qui se passe ?
00:34:41 En fait, on invente l'individu en Europe
00:34:43 et cette technologie se fait l'écho, la caisse de résonance de cette invention-là.
00:34:48 Le numérique, alors ça prend la forme des écrans, des smartphones, de tout ce qu'on voudra.
00:34:52 Comment on explique qu'une technologie soit diffusée comme ça, massivement, en aussi peu de temps ?
00:34:57 Ça n'est jamais arrivé dans l'histoire de l'humanité.
00:34:59 Peut-être justement parce qu'il y a une transformation culturelle de représentation.
00:35:04 Et le débat qu'on avait juste avant sur les nouveaux féminismes,
00:35:09 c'est peut-être aussi une question de nouvelles représentations.
00:35:14 On peut constater, en tout cas moi je constate,
00:35:15 que les jeunes femmes aujourd'hui, elles ne reçoivent pas la violence des hommes,
00:35:21 avec les guillemets qu'on met à ces mots-là,
00:35:24 de la même manière peut-être que ma mère ou ma grand-mère, effectivement.
00:35:28 Est-ce que ça veut dire que...
00:35:29 - Elles y sont plus sensibles, vous voulez dire ?
00:35:31 - En tout cas, elles sont affectées différemment.
00:35:35 Moi je le vois chez mes étudiants, elles le ressentent plus vivement.
00:35:41 Et en fait, en tenir compte, c'est peut-être la moindre des choses.
00:35:46 Et peut-être que les nouveaux féminismes en sont une expression.
00:35:48 Peut-être que la réaction des écologistes ce matin
00:35:52 auprès du président de la République en est une autre expression.
00:35:55 - On en parlera.
00:35:56 - C'est-à-dire que la réalité nous affecte différemment.
00:36:00 Et peut-être qu'effectivement, ici, le divertissement,
00:36:03 la société du spectacle, la société du divertissement, elle joue un rôle.
00:36:06 C'est-à-dire qu'on est un peu à fleurs de peau,
00:36:09 parce que c'est aussi l'histoire qu'on nous raconte matin, midi et soir,
00:36:13 dans les films, dans les romans, à la télévision.
00:36:16 Et on est une société émotive, émotionnelle, réactive,
00:36:23 avec tous les bons et les mauvais côtés que ça peut avoir.
00:36:26 - Mais ce que nous dit Olivier Babaud, c'est que le temps libre,
00:36:29 c'est une affaire sérieuse, il ne faut pas le gaspiller.
00:36:32 Et selon ce que l'on va faire pendant ce temps libre,
00:36:37 ça va nous aider à séduire, ça va nous aider à nous faire des amis,
00:36:41 ça va nous aider à trouver du travail,
00:36:44 ça va nous aider tout au long de notre vie,
00:36:47 c'est ce que vous appelez le capital social.
00:36:49 Et que ça s'acquiert différemment si on lit Tolstoy ou si on lit l'horoscope.
00:36:56 - Oui mais ça peut se... - C'est ça que vous nous dites.
00:36:58 - Il faut quand même avouer...
00:37:00 Je le constate, je ne le désire pas, je ne m'en demande pas non plus,
00:37:04 mais je constate qu'aujourd'hui, les différences sociales sont beaucoup plus
00:37:07 construites dans les loisirs que dans le travail.
00:37:09 Autrefois, qu'est-ce qui faisait la puissance ?
00:37:11 C'était la naissance, sous l'Ancien Régime,
00:37:13 et puis ça a apté probablement au XIXe siècle,
00:37:15 la possession du capital industriel.
00:37:17 Et puis à partir du XXe, la grande figure, c'était l'ingénieur.
00:37:21 Mon hypothèse, c'est qu'à partir du XXIe siècle,
00:37:22 la grande figure, c'est à nouveau une forme d'honnête homme,
00:37:25 un peu comme celui du XVIIe siècle, mais l'honnête homme moderne,
00:37:27 l'honnête homme numérique, c'est-à-dire celui dont les compétences vont être
00:37:30 suffisamment larges pour que la machine ne le remplace pas tout de suite
00:37:34 et qu'au contraire, il utilise la machine à son profit.
00:37:36 Et c'est eux aujourd'hui qui sont les mieux payés
00:37:38 et qui ont les places sociales peut-être les plus enviables.
00:37:41 Et ce travail, il se fait tout au long de l'éducation.
00:37:44 Et ce qui est terrible, c'est quand tu arrives au CP, malheureusement,
00:37:46 on a constaté qu'entre les classes sociales les plus défavorisées,
00:37:49 où tu as environ 350 mots de vocabulaire,
00:37:52 les plus favorisés, tu en as 1800.
00:37:53 Tu as en fait une différence qui a déjà été creusée avant même l'école
00:37:57 et que le temps d'école n'arrivera jamais à combler en réalité.
00:38:02 Vous avez sans doute raison, mais là où...
00:38:06 Je me dis, au fond, on a chacun selon ce qu'on est
00:38:08 et on a chacun notre manière de nous enrichir.
00:38:12 Par exemple, les gens qui lisent les potins,
00:38:15 les gens qui lisent les magazines à sensation
00:38:17 qui vous racontent la vie des vedettes.
00:38:18 Autrefois, dans un village, on n'arrêtait pas les comérages.
00:38:21 On racontait des histoires sur les gens qu'on connaissait.
00:38:23 Aujourd'hui, on ne vit plus dans un village,
00:38:25 donc on ne connaît plus les mêmes gens.
00:38:27 Donc on va faire des comérages sur les gens connus.
00:38:31 Et c'est à ça que servent ces magazines-là.
00:38:33 Et en général, au moment où on fait des comérages,
00:38:36 on fabrique de la morale.
00:38:38 Que ce soit sur tous les événements,
00:38:39 ces petits événements qui tournent en boucle sur les réseaux sociaux,
00:38:43 que ce soit la gifle de Will Smith à Chris Rock, par exemple,
00:38:47 un cas typique où on a fabriqué de la morale,
00:38:49 en se disant "Est-ce qu'il a eu raison de le gifler ?
00:38:51 Est-ce que cette blague était vraiment de mauvais goût ?
00:38:53 Est-ce qu'il n'en a pas fait trop ?" etc.
00:38:56 J'ai l'impression que là, on fabrique de la morale
00:38:59 exactement comme les socratiques.
00:39:01 Vous voyez ? Mais chacun à son niveau.
00:39:02 On s'enrichit chacun avec ce qu'on peut.
00:39:04 La vraie question, c'est est-ce que par relativisme,
00:39:07 il faut dire toutes les occupations se valent ?
00:39:09 Est-ce que toutes les occupations...
00:39:10 Anything goes et qu'après tout,
00:39:12 comme on ne veut pas effectivement,
00:39:13 c'est la marque de notre époque,
00:39:15 paraître méprisant en disant telle chose a moins de valeur qu'une autre,
00:39:18 eh bien finalement, on a tout mis au même niveau.
00:39:21 - Ce n'est pas ce que je dis. - On n'a jamais pas l'idée.
00:39:22 - Ce n'est pas ce que je dis. - Non mais...
00:39:24 Il y a des choses formidables effectivement dans l'agir social,
00:39:27 c'est pour ça d'ailleurs que je mets dans le...
00:39:30 le loisir réel, le fait d'être ensemble,
00:39:34 parce qu'ensemble, on crée toujours énormément de choses.
00:39:36 C'est toujours justement un bouillonnement,
00:39:38 et c'est ce qui crée d'ailleurs le fait que les civilisations soient nées dans les villes.
00:39:41 Donc c'est toujours extraordinaire.
00:39:42 Le problème, c'est que notre civilisation est de plus en plus solitaire.
00:39:44 Je ne sais pas si vous regardez bien.
00:39:45 Malheureusement, justement, la solitude est une des marques paradoxales
00:39:49 d'un monde où on est de plus en plus relié
00:39:52 et hyper relié les uns aux autres.
00:39:54 Et plus on est relié et plus finalement on est seul.
00:39:57 Et paradoxalement, plus on est capable d'être actif
00:39:59 et capable de faire des choix, des milliers de choix tous les jours.
00:40:02 Et plus les choix, paradoxalement, sont des choix grégaires,
00:40:05 c'est-à-dire des choix non choisis,
00:40:06 c'est-à-dire des choix en particulier instinctifs.
00:40:09 - Jean-Joseph, comment on s'enrichit pour vous ?
00:40:12 Enfin, on s'enrichit intérieurement.
00:40:15 - Frédéric, je me suis senti un peu concerné
00:40:17 puisque je regarde peut-être trop le foot.
00:40:19 Mais le problème, c'est quand l'équipe qu'on soutient
00:40:22 perd à la dernière minute, c'était le caldren avant-hier.
00:40:25 Mais plus sérieusement, disons sur le problème d'inégalité,
00:40:31 je suis assez en phase, c'est plus éducation
00:40:33 parce que, comme je n'ai pas lu le livre, Olivier,
00:40:35 est-ce que le revenu compte ? On a moins le sentiment,
00:40:37 c'est vraiment l'éducation plus que le revenu lui-même,
00:40:39 plus que le niveau de revenu des gens
00:40:40 qui comptent dans la capacité à utiliser son...
00:40:44 J'ai l'impression, mais c'est ce que vous avez dit.
00:40:46 - Ce sont les enfants d'enseignants qui réussissent le plus.
00:40:48 - Oui, oui.
00:40:48 - Et donc, ce n'est pas les enfants des plus riches.
00:40:49 - Non, non.
00:40:50 - Mais je me souviens d'un film très célèbre de Claude Chabrol
00:40:53 qui s'appelle "La cérémonie" où on voyait deux petits employés
00:40:58 finir par massacrer la famille qui les employait.
00:41:02 Et il y avait des plans avant le smeurtre.
00:41:06 Chabrol montrait que les deux petits employés,
00:41:08 en haut dans leur chambre sur une vieille télé,
00:41:10 regardaient une émission de variété
00:41:12 pendant que la famille bourgeoise en bas
00:41:14 regardait une émission de débat.
00:41:15 Et il avait l'air de dire qu'à ce moment-là,
00:41:17 déjà, là encore, les inégalités se creusaient.
00:41:20 Et Sylvie Brunel, vous êtes sensible aussi à ce moment.
00:41:24 Autrefois, c'était 20h30 le carrefour,
00:41:27 le moment où on prenait des décisions,
00:41:28 si tant est qu'on restait chez soi.
00:41:30 Il y a les gens qui n'allumaient pas leur télévision.
00:41:32 C'était pas plus mal, ils lisaient un livre, ils sortaient,
00:41:34 c'est toujours mieux, etc.
00:41:36 Mais vous voyez bien que c'est toujours difficile.
00:41:38 On est au carrefour des choix.
00:41:39 Or, on n'a jamais eu autant de choix qu'aujourd'hui.
00:41:43 Tout le monde, cette émission est en concurrence
00:41:45 avec la lecture de Tolstoy,
00:41:47 avec le fait de regarder un film, une série,
00:41:50 de sortir, de s'amuser, de faire l'amour, etc.
00:41:54 Et on a toujours ce choix-là, enfin, dans le meilleur des cas.
00:41:58 - Moi, ce qui me marque dans la société d'aujourd'hui,
00:42:00 c'est ce foisonnement immense, culturel,
00:42:03 que nous n'avons pas vécu dans notre jeunesse.
00:42:05 Parce que pour avoir accès à l'information,
00:42:07 c'était compliqué.
00:42:08 Moi, je me souviens, quand je suis rentrée au départ,
00:42:10 à "Médecins sans frontières",
00:42:11 quand il fallait faire une enquête sur un pays,
00:42:13 on allait dans les bibliothèques,
00:42:15 on cherchait les livres, on empruntait les livres.
00:42:18 Et aujourd'hui, quand vous êtes en cours face à vos étudiants,
00:42:20 vous parlez de n'importe quoi,
00:42:22 ils vont, parce qu'ils ont tous aujourd'hui un ordinateur,
00:42:25 et il y a cette espèce de foisonnement gigantesque,
00:42:27 on peut les envoyer tout de suite en Corée du Sud,
00:42:29 ou du Nord, puisqu'on parle aujourd'hui de la fille de Kim Jong-un,
00:42:33 on peut leur parler de tout,
00:42:35 et immédiatement, on peut échanger avec tout.
00:42:37 Et je me dis, ça doit quand même,
00:42:39 alors je ne sais pas, Olivier,
00:42:40 mais je me dis que ça doit quand même
00:42:41 contribuer au développement de l'intelligence,
00:42:44 parce que l'intelligence, c'est les interactions,
00:42:45 et ces interactions, elles n'ont jamais été aussi nombreuses.
00:42:48 - On en vient, Aurélien, fouiller,
00:42:51 mais vous vouliez peut-être dire quelque chose.
00:42:53 - Oui, parce que, effectivement, tout ne se vaut pas.
00:42:57 Mais quels sont les critères ?
00:42:59 Et comment fait-on les choix ?
00:43:00 C'est-à-dire que, par exemple, évidemment,
00:43:02 il y a une offre culturelle aujourd'hui immense avec le numérique,
00:43:06 mais la plupart des choses qui nous sont proposées
00:43:08 vers le numérique sont en fait orientées par les algorithmes.
00:43:11 Comment ils sont faits, ces algorithmes ?
00:43:12 Ils sont souvent faits avec ce qu'on pourrait après appeler
00:43:15 des biais de confirmation.
00:43:17 C'est-à-dire qu'en fait, vous aimez quelque chose,
00:43:19 et on va vous donner quelque chose
00:43:20 qui va confirmer ce que vous aimez déjà.
00:43:22 Donc comment, là-dedans, on crée de la diversité ?
00:43:25 Comment on va découvrir quelque chose
00:43:27 qui justement nous sort de ce qu'on a l'habitude d'aimer ?
00:43:30 Et en fait, les plateformes ne sont pas faites pour ça,
00:43:33 pour la simple et bonne raison que ça permet aussi de contrôler
00:43:36 ce qu'on va consommer, ce qu'on va vendre, ce qu'on va acheter.
00:43:40 Et justement, sur la question du travail et du loisir,
00:43:42 si le divertissement est aussi abrutissant en grande partie,
00:43:46 c'est que son premier objectif,
00:43:47 c'est quand même d'écouler tout ce qu'on produit.
00:43:50 C'est-à-dire que c'est à ça qu'il sert.
00:43:51 Et donc, quand on dit qu'on a le choix,
00:43:54 alors on a certainement beaucoup plus de choix qu'en Afghanistan
00:43:57 ou qu'il y a 40 ans, évidemment.
00:44:01 Mais ce n'est pas la même qualité de choix non plus.
00:44:03 C'est-à-dire qu'effectivement, moi, pareil,
00:44:05 quand j'étais à l'université, en fait, on allait à la bibliothèque.
00:44:08 Et quand je cherche quelque chose sur Google,
00:44:12 en fait, je sais faire le tri dans ce que j'ai comme résultat.
00:44:15 Les étudiants, ça ne va pas toujours le faire.
00:44:17 Oui, notre problème, de façon très paradoxale,
00:44:19 c'est de résister à la facilité.
00:44:21 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, justement,
00:44:22 tout est beaucoup plus facile que ce qu'on a connu
00:44:24 quand on était plus jeune, n'est-ce pas ?
00:44:25 Où en effet, il fallait avoir...
00:44:27 Il est difficile d'avoir accès à l'information.
00:44:28 Aujourd'hui, c'est la profusion.
00:44:29 On n'a pas été préparé, en fait, à une telle profusion,
00:44:32 si bien que notre cerveau, en réalité, il prend peur.
00:44:34 Et puis, il a cette réaction grégaire d'aller
00:44:37 soit vers le truc habituel, le truc instinctif,
00:44:40 soit vers le truc, peut-être,
00:44:41 c'est le principe de la plus grande pente.
00:44:43 L'eau va toujours vers la plus grande pente.
00:44:44 Notre cerveau, il va aller vers le plaisir immédiat.
00:44:46 Le plaisir immédiat, ça va être effectivement
00:44:48 celui de ces plateformes qui vont choper...
00:44:51 dont le modèle économique est de choper notre attention
00:44:54 et de la garder le plus longtemps possible pour la rentabiliser.
00:44:56 Et c'est ça qui va absorber notre attention
00:44:58 en grande partie dans le divertissement.
00:44:59 C'est une très bonne transition pour revenir à ce sur quoi
00:45:03 Aurélien Fouillé veut insister.
00:45:05 Lui, il pense que le jeu est en train de transformer le monde.
00:45:08 C'est le sous-titre de votre livre Playtime.
00:45:10 Le jeu est partout, dites-vous.
00:45:12 Il est omniprésent.
00:45:13 Ce dont on n'a pas forcément...
00:45:14 Il va falloir nous expliquer en quoi.
00:45:16 On n'en a pas forcément conscience.
00:45:18 Et il y a un paradoxe quand même
00:45:20 dans une société comme la nôtre qui valorise le travail,
00:45:22 que le jeu soit en réalité omniprésent.
00:45:25 Oui, moi, c'est le point de départ.
00:45:26 C'est-à-dire que moi, j'ai été élevé dans l'idée
00:45:28 que j'aurais un diplôme et un travail.
00:45:30 Et que le loisir, finalement, c'était annexe.
00:45:32 Enfin, le décrivait Olivier.
00:45:34 Et pourtant, quand on prend le métro à Paris
00:45:37 ou les transports en commun,
00:45:38 les gens jouent à tout un tas de jeux
00:45:40 sur leur téléphone portable.
00:45:41 La première industrie culturelle de la planète,
00:45:43 c'est le jeu vidéo.
00:45:45 Dans les séminaires de créativité des cadres à haut potentiel,
00:45:48 on joue avec des drones, on fait tout un tas de jeux de rôle.
00:45:52 Les jeux de société reviennent en force.
00:45:54 Il y a quelques années, il y a eu des escape games
00:45:58 qui s'ouvraient par dizaines par jour dans le monde.
00:46:01 Bref, il y a...
00:46:02 On peut même aller plus loin.
00:46:04 On n'arrête pas de regarder du sport, comme Jean Jouzel.
00:46:06 C'est un jeu et on a l'impression d'y jouer.
00:46:09 Et quand il y a les jeux d'argent sur lesquels on va parler...
00:46:12 Les applications de rencontres,
00:46:14 elles jouent aussi sur des ressorts ludiques.
00:46:15 En fait, le travail, la vie privée...
00:46:18 La fiction qui nous envahit,
00:46:20 on avale de la fiction toute la journée.
00:46:22 C'est un jeu.
00:46:22 Les acteurs font semblant de vivre ce qu'ils nous racontent
00:46:26 et nous, on fait semblant d'y croire.
00:46:28 Moi, mon hypothèse, c'est que justement,
00:46:30 en fait, l'omniprésence du jeu,
00:46:31 ça nous raconte le fait qu'on a besoin de ces fictions
00:46:35 parce qu'on a besoin de s'inventer des nouveaux grands récits.
00:46:37 C'est-à-dire ce que disait Lyotard dans les années 70
00:46:40 avec la fin des grands récits structurants,
00:46:42 politiques, économiques, culturels, religieux.
00:46:45 Finalement, on se retrouve sans direction collective
00:46:49 et le jeu, c'est l'espace dans lequel on s'invente des histoires,
00:46:52 on les teste, on les expérimente.
00:46:54 Quand on a des enfants, on voit très bien
00:46:56 comment le récit est un apprentissage, en fait.
00:46:59 Et donc, toutes ces poches dans lesquelles le ludique vient se glisser,
00:47:03 ce sont des zones dans lesquelles on expérimente
00:47:06 ce que c'est que le couple sur Tinder,
00:47:08 ce que c'est que se rencontrer.
00:47:09 Alors évidemment, c'est très différent de Tristan et Iseult
00:47:12 ou de l'amour pour soi.
00:47:13 - Peut-être que de devenir chanteur, c'est sur The Voice, par exemple.
00:47:16 Comment devenir célèbre, j'imagine qu'il doit y avoir des tâches.
00:47:19 - Devenir influenceur.
00:47:20 - Toutes les émissions qui sont consacrées...
00:47:24 - Et le travail, ça devient aussi un espace dans lequel
00:47:28 peut-être que l'effort est mis au second plan
00:47:31 ou ça devient quelque chose auquel il faut absolument donner un sens,
00:47:34 ce que la modernité a quand même déconstruit beaucoup
00:47:38 au travers du modèle industriel, notamment.
00:47:42 Et donc oui, effectivement, l'omniprésence du jeu, pour moi,
00:47:45 elle témoigne de ce glissement de récits, de représentations
00:47:51 qui est en jeu ici en France,
00:47:54 mais en fait, c'est beaucoup plus étendu que ça.
00:47:57 - En lisant votre livre, ça m'a fait penser à une phrase,
00:48:01 je crois que c'est Baudrillard qui disait
00:48:03 "La règle, c'est ce qui nous délivre de la loi".
00:48:06 - Oui, ça aurait pu être Jean-François Taille.
00:48:07 - Le jeu implique qu'il y a une règle, tout à coup,
00:48:09 on abolit la loi et il y a une règle,
00:48:11 qu'on joue au poker, aux échecs, qu'on regarde The Voice,
00:48:15 tout à coup, il y a la règle et elle nous délivre de la loi.
00:48:20 Et j'ai l'impression qu'il y a dans le jeu,
00:48:23 aujourd'hui, ce qui explique sans doute son omniprésence,
00:48:26 et c'est ce que vous avez l'air de dire,
00:48:27 ce sont ces mini-récits où on teste d'autres représentations du monde.
00:48:31 - Oui, en fait, ce qui se passe, c'est qu'on a des institutions
00:48:34 qui sont construites sur des représentations
00:48:35 qui en fait ne fonctionnent plus,
00:48:37 ou en tout cas qui sont vécues comme ne fonctionnant plus.
00:48:39 Les promesses d'émancipation et de progrès,
00:48:42 elles ne répondent pas forcément...
00:48:44 - On a des doutes en ce moment.
00:48:46 - Voilà.
00:48:46 - En ce moment, on a des doutes.
00:48:47 - Et donc, effectivement, on cherche des espaces
00:48:50 qui sont affranchis en quelque sorte de la loi de l'institution
00:48:54 pour expérimenter d'autres choses.
00:48:55 Et une des façons de comprendre justement
00:48:58 le succès de l'Internet et du numérique,
00:49:01 c'est que ça a ouvert un espace
00:49:02 dans lequel il n'y avait pas les lois instituées
00:49:05 depuis 200 ou 300 ans par la culture européenne.
00:49:09 Voilà.
00:49:09 - Et c'est ce qui nous fait rêver du Métaverse.
00:49:11 Le Métaverse, ce sera aussi un jeu.
00:49:13 - Oui, alors ce sera un jeu,
00:49:15 mais c'est aussi une façon peut-être
00:49:17 de prendre la place des États.
00:49:19 C'est un autre...
00:49:22 - Mais quand vous parlez d'enromancement généralisé...
00:49:26 - Oui, alors l'enromancement,
00:49:27 c'est un terme qui vient du Moyen Âge.
00:49:30 Et c'est ce qu'ont mis en place les chevaliers
00:49:33 au moment où leur rôle social n'était plus assuré.
00:49:36 Les chevaliers, c'est un ordre militaire,
00:49:38 donc ils tirent leur légitimité de défendre les châteaux forts.
00:49:42 Puis à un moment, ils n'ont plus tellement besoin
00:49:44 de défendre les châteaux forts.
00:49:45 Et donc, ils vont mettre en place
00:49:47 ce qu'on appelle l'enromancement,
00:49:49 c'est-à-dire les chansons de gestes,
00:49:50 la chanson de Roland, la légende arthurienne,
00:49:53 chanter les louanges des exploits chevaleresques.
00:49:56 Alors tout ça avec évidemment de la fiction et de la magie.
00:50:01 Les blasons, la science des blasons, donc les raldiques,
00:50:03 et les tournois de chevaliers.
00:50:05 Et en fait, avec ce dispositif,
00:50:07 ils vont jouer en quelque sorte aux chevaliers,
00:50:09 enromancer la vie du chevalier
00:50:11 et raconter une histoire à la société féodale
00:50:15 dans laquelle le chevalier, c'est le courage,
00:50:18 et c'est logique qu'il soit à la tête du dispositif.
00:50:23 - Sabine Prokhoris ?
00:50:25 - Justement, puisque vous parliez de récits,
00:50:27 et puis vous, vous avez dit une chose tout à fait intéressante
00:50:29 tout à l'heure sur le temps.
00:50:30 J'ai l'impression que là, si on parle de récits,
00:50:32 je crois qu'il faut, pour revenir à mon affaire féministe,
00:50:35 justement, quand on a vu par exemple l'année dernière,
00:50:38 Adèle Haenel nous expliquer qu'il nous fallait
00:50:40 des nouveaux récits féministes,
00:50:42 le problème c'est qu'il faut comprendre ce que ça veut dire,
00:50:44 récits, dans ce type d'idéologie
00:50:49 qui vient en droite ligne, disons, de la tendance,
00:50:52 de la mouvance de la philosophe Judith Butler,
00:50:54 de toutes ces choses qui viennent des États-Unis.
00:50:56 Le récit, c'est pas simplement, si vous voulez,
00:51:00 par exemple, ce n'est pas d'abord simplement la fiction,
00:51:03 dont on sait très bien qu'elle n'est pas la réalité,
00:51:05 quand un enfant joue, il sait très bien qu'il joue.
00:51:08 D'ailleurs, l'autre jour, il y avait un petit gamin
00:51:11 à qui on racontait "La Belle au bois dormant"
00:51:13 ou un truc comme ça,
00:51:15 et la personne qui lui faisait le récit,
00:51:18 c'était dans une classe où quelqu'un était invité
00:51:20 pour la question des stéréotypes, etc.
00:51:22 Et elle explique qu'en fait, le baiser n'est pas consenti,
00:51:25 donc ça ne va pas, etc.
00:51:26 Et le gamin, qu'est-ce qu'il dit à la jeune femme ?
00:51:28 Il dit "mais madame, c'est un conte".
00:51:30 Il avait tout compris, vraiment.
00:51:33 C'est-à-dire, il fait bien la distinction
00:51:35 entre l'univers imaginaire et la réalité.
00:51:38 Quand je parle de déréalisation,
00:51:39 c'est que précisément, cette distinction, elle s'efface.
00:51:42 Vous voyez, quand le planning familial vous explique
00:51:44 que le planning familial, l'institution féministe traditionnelle,
00:51:49 un genre, classe sociale, déjà, c'est pas une classe sociale,
00:51:53 le genre, comporte en Occident,
00:51:56 deux catégories, les dominants qui sont les hommes,
00:51:58 les dominés qui sont les femmes, c'est un peu court,
00:52:00 et après vous explique que, assignation de sexe à la naissance,
00:52:03 les médecins décident, en fonction de normes de longueur du pénis
00:52:07 ou du clitoris, si le nouveau-né est un garçon ou une fille,
00:52:10 vous vous dites "là, on est vraiment dans la déréalisation".
00:52:13 - Non, on est dans une autre représentation,
00:52:15 on est dans un autre récit, en fait.
00:52:17 - Non, non, non, on est dans la déréalisation de type psychotique.
00:52:22 - Mais votre rapport au monde est psychotique.
00:52:25 - Non, non, on est dans la déréalisation, pardon.
00:52:30 Alors justement, le récit, je termine sur cette histoire de récit,
00:52:33 c'est pas la fiction, dans ce vocabulaire-là,
00:52:36 dans ce kit, plus ou moins pseudo-théorique, on va dire,
00:52:42 ça n'est pas non plus la relation des faits,
00:52:45 étant entendu que, évidemment, cette relation peut être biaisée,
00:52:49 qu'un récit peut...
00:52:51 Et évidemment, tous les récits sont, à partir d'un certain point de vue,
00:52:53 d'une perspective, donc ils peuvent être biaisés,
00:52:55 ils peuvent être faux, mensongers,
00:52:57 ils peuvent être de bonne foi, de mauvaise foi,
00:53:00 tout ce que vous voudrez, mais ils sont en rapport
00:53:02 avec quelque chose d'externe, d'extérieur, la réalité extérieure.
00:53:06 Et non, le récit, dans ce type de construction théorique,
00:53:14 si vous voulez, c'est quelque chose qui engendre la réalité elle-même,
00:53:19 c'est-à-dire, c'est la performativité intégrale,
00:53:22 et ça, c'est délirant, c'est Dieu dit que la lumière soit,
00:53:25 et la lumière fut, ça n'est pas vrai, dans le monde de la fiction.
00:53:29 - Si on suit le raisonnement d'Aurélien Prillet...
00:53:32 - Mais c'est déréalisant !
00:53:34 - Oui, mais c'est le principe du jeu !
00:53:36 - Non, non, non, le jeu, c'est un cadre !
00:53:39 - C'est une règle nouvelle !
00:53:41 - Non, mais qui ne s'affranchit pas du tout de la loi !
00:53:44 Ah non ! Je veux dire, quand vous faites un jeu,
00:53:48 vous savez que c'est un jeu, c'est-à-dire, de la même manière,
00:53:51 si vous jouez une pièce de théâtre,
00:53:53 si on est dans la performativité intégrale,
00:53:55 ça veut dire que si vous êtes sur scène et que vous dites,
00:53:58 voulez-vous prendre pour épouse machin ou machine,
00:54:01 et que l'autre dit oui, vous sortez de scène, vous êtes marié,
00:54:04 ça n'est pas le cas !
00:54:06 Donc il y a bien un cadre, à l'intérieur duquel
00:54:08 il y a un certain type de sens qui se construit.
00:54:11 Mais ce qui est important, c'est de comprendre le rapport
00:54:13 entre les différents cadres, et je crois qu'il faut relire
00:54:15 Erwin Goffman là-dessus, qui a parlé des cadres de l'expérience,
00:54:19 en distinguant ce qu'il appelle les cadres primaires,
00:54:21 qui sont, disons, ce qui est, d'une certaine manière,
00:54:24 l'objet d'un accord général, mais assez flou.
00:54:28 Par exemple, on sait, sans avoir besoin de demander
00:54:31 l'avis d'un biologiste, ou d'un médecin qui va mesurer
00:54:34 le pénis ou le clitoris pour vous dire si vous êtes un garçon ou une fille,
00:54:36 on sait grosso modo distinguer un homme d'une femme.
00:54:39 Mais juste pour revenir...
00:54:41 C'est un cadre !
00:54:42 J'ai très bien compris, je ne suis pas en train de vous expliquer.
00:54:45 Au contraire, ça n'est pas un débat.
00:54:48 Mais c'est ce que Aurélien Fouillé a l'air de dire dans son livre,
00:54:52 et pourquoi le succès du jeu, c'est qu'au fond,
00:54:55 ce sont des représentations qui se concurrencent.
00:54:57 Je crois que c'est dans votre livre, vous dites, à un moment,
00:55:00 si on mettait en face l'un de l'autre, Donald Trump et Greta Thunberg,
00:55:04 on reparlera de Greta Thunberg, ils ne pourraient pas se comprendre
00:55:08 parce qu'ils n'ont pas joué au même jeu.
00:55:10 Ils n'ont pas les mêmes représentations,
00:55:12 et au fond, ils instaurent, l'un comme l'autre, des règles différentes.
00:55:17 Après, c'est une question de définition sur qu'est-ce que c'est que la réalité et le réel.
00:55:21 Vous êtes philosophe, vous savez que définir les notions...
00:55:24 Si vous dites "mon récit fait que si je tombe du cinquième étage,
00:55:27 je ne vais pas m'écraser", vous pouvez faire ce récit,
00:55:31 mais vous allez quand même vous écraser.
00:55:33 Mais vous voyez bien que le succès du complotisme,
00:55:36 c'est qu'à un moment, on peut instaurer d'autres règles,
00:55:38 un autre récit, une autre représentation.
00:55:40 Voilà, mais c'est le complotisme.
00:55:42 C'est-à-dire que c'est un récit en vase clos,
00:55:46 qui, comme je le disais tout à l'heure,
00:55:48 fait complètement fi de la réalité extérieure.
00:55:51 Aurélien ?
00:55:52 - Matériel.
00:55:53 - Je suis tout à fait d'accord avec vous.
00:55:55 Je ne suis pas là pour dire que les complotistes font la réalité.
00:55:59 Mais par contre, notre rapport au monde, ce n'est pas un rapport à la réalité.
00:56:02 - C'est un rapport...
00:56:03 - Je termine.
00:56:04 C'est-à-dire qu'il y a la réalité,
00:56:07 qu'on objective ou non, d'ailleurs, c'est un vaste débat.
00:56:10 Mais après, la façon dont nous, nous la comprenons,
00:56:13 c'est par l'imaginaire, les contes pour enfants, les affections.
00:56:17 Et comme vous l'avez dit, c'est-à-dire que c'est cette relation
00:56:20 entre les deux qui fait notre inscription dans le monde.
00:56:23 Et donc, pour moi, la fiction, par exemple,
00:56:25 enfin, ce que moi, j'appelle la fiction, effectivement,
00:56:27 après, il faudrait s'entendre sur comment on la définit strictement,
00:56:30 mais c'est ce cadre de représentation, ces règles,
00:56:33 ces choses qui nous permettent justement d'appréhender
00:56:36 ce que l'on perçoit, ce que l'on vit.
00:56:39 C'est pour moi, non pas une fuite psychotique vis-à-vis de la réalité,
00:56:44 mais c'est au contraire une aspiration de nos sociétés
00:56:47 à un retour au réel.
00:56:49 C'est-à-dire comment...
00:56:50 - Bien sûr.
00:56:51 - Parce que ce que j'essaie d'expliquer dans le livre,
00:56:53 c'est que justement, ce paradoxe du travail et du jeu,
00:56:56 de l'omniprésence du jeu, des récits,
00:56:58 qui ne sont pas du storytelling simplement,
00:57:01 c'est-à-dire c'est comment on fait une histoire commune,
00:57:03 comment en fait on se représente le monde dans lequel on est
00:57:05 pour agir.
00:57:06 - Bien sûr.
00:57:07 - Moi j'entends beaucoup cette histoire des nouveaux récits,
00:57:10 des nouveaux imaginaires, des futurs souhaitables.
00:57:12 Mais en fait l'enjeu et les quatre degrés dont on va parler tout à l'heure,
00:57:15 en fait c'est demain.
00:57:16 C'est pas dans...
00:57:17 - C'est même pas demain, c'est tout de suite.
00:57:19 - C'est tout de suite.
00:57:20 - Bien sûr que le jeu est un voyage vers la réalité.
00:57:23 Mais voyez les récits et les ressentis, puisqu'on parlait des ressentis.
00:57:27 Prenons le ressenti d'un jaloux.
00:57:29 - Non, non, je vous arrête, parce que là c'est l'heure du journal.
00:57:32 C'est l'heure du journal.
00:57:33 Et on se retrouve juste après.
00:57:37 (Générique)
00:57:40 Face à la sécheresse qui gagne la France, Emmanuel Macron veut anticiper.
00:57:44 Au Salon de l'agriculture, le chef de l'État a appelé à un plan de sobriété sur l'eau.
00:57:49 Sur le modèle de la sobriété énergétique, le président a évoqué la fin de l'abondance.
00:57:54 Le territoire fait face à un déficit de pluie record de plus d'un mois,
00:57:59 faisant grindre comme l'été dernier des problèmes de raréfaction d'eau.
00:58:03 Rassemblement de soutien à l'Ukraine en France, à Paris, place de la République.
00:58:08 Près de 3000 personnes ont entonné l'hymne ukrainien en début d'après-midi.
00:58:13 Drapeaux bleus et jaunes brandis vers le ciel.
00:58:16 Des rassemblements ont également eu lieu à Montpellier, Rennes ou encore Bordeaux.
00:58:20 Auprès de 300 personnes ont protesté contre l'invasion russe un an après le début du conflit.
00:58:26 La 73e Berlinale a dévoilé son palmarès et la France a brillé ce soir.
00:58:32 Le prix du meilleur réalisateur revient à Philippe Garel.
00:58:35 Le Français de 74 ans a reçu "L'ours d'argent" pour le grand chariot,
00:58:40 un film aux airs de testament artistique tourné avec ses enfants.
00:58:44 Et puis le documentaire sur l'adamant de Nicolas Philibert remporte "L'ours d'or",
00:58:49 un succès pour cette plongée dans l'univers psychiatrique.
00:58:52 Les visiteurs du soir, c'est jusqu'à minuit.
00:58:57 Si vous arrivez seulement maintenant, je vous présente nos visiteurs de ce soir.
00:59:03 Sabine Procoris qui est venue nous parler du nouveau féminisme.
00:59:07 Olivier Babaud qui nous a parlé de la tyrannie du divertissement.
00:59:11 Aurélien Fouillé qui nous a alerté sur le fait que le monde est en train d'être transformé par le jeu.
00:59:18 Il y a Sylvie Brunel qui était ce matin, aujourd'hui, cet après-midi, au Salon de l'agriculture.
00:59:23 On va en parler tout à l'heure.
00:59:25 Et puis Jean Jouzel qui est avec nous.
00:59:28 Jean Jouzel qui a été le vice-président du GIEC pendant très longtemps.
00:59:33 - De son groupe scientifique, oui.
00:59:35 - Oui. Et pourquoi je voulais que vous soyez là aujourd'hui, Jean Jouzel,
00:59:40 c'est qu'aujourd'hui, le gouvernement français, enfin pas aujourd'hui, mais ces derniers jours,
00:59:47 a reconnu que la France se réchauffait plus vite que la moyenne des autres pays.
00:59:53 Et s'attend maintenant à un réchauffement de 4 degrés d'ici la fin du siècle.
01:00:00 C'est-à-dire ce qu'avait prévu le GIEC.
01:00:03 Et ça, j'ai l'impression, je me suis dit, ça a dû vous faire plaisir.
01:00:08 Parce que depuis le temps que vous bataillez, vous vous êtes dit ouf.
01:00:12 - Non, oui. Ce qui peut me faire plaisir, c'est peut-être que ce que nous vivons aujourd'hui,
01:00:18 c'est ce que nous avions anticipé depuis 30 ou 40 ans.
01:00:22 Quand on parle en termes de rythme de réchauffement, d'intensification des événements extrêmes,
01:00:28 ou même d'élévation du niveau de la mer, dont le rythme a doublé depuis 50 ans.
01:00:36 Et ça, c'était prévu. C'est des choses qu'on anticipait.
01:00:38 Donc on peut se dire, d'une certaine façon, en tant que scientifique,
01:00:41 d'avoir une certaine satisfaction, d'avoir correctement,
01:00:45 alors je parle bien de notre communauté, dans son ensemble, envisager le futur.
01:00:50 Mais ça ne me réjouit pas du tout, par contre, que ce futur soit celui auquel on peut penser,
01:00:57 et de façon tout à fait légitime, on va y venir.
01:00:59 C'est-à-dire un futur à +4°C en France.
01:01:01 Alors pas +4°C par rapport à aujourd'hui, plutôt +2°C par rapport à aujourd'hui.
01:01:06 Pourquoi ? Parce que c'est la trajectoire sur laquelle nous sommes.
01:01:10 Donc c'est tout à fait raisonnable.
01:01:11 Actuellement, à l'échelle planétaire, nous sommes sur une trajectoire
01:01:15 qui, dans la deuxième partie de ce siècle, nous emmène vers +3°C.
01:01:19 On a déjà pris 1°C ou 1,1°C.
01:01:21 Et le constat est là, Frédéric vous l'avez dit, il est bien connu,
01:01:25 globalement les continents se réchauffent plus vite que la moyenne globale,
01:01:29 les océans se réchauffent moins vite, et c'est particulièrement vrai pour l'Europe de l'Ouest.
01:01:33 En France, on est à, disons, 1,7°C par rapport à 1,1°C.
01:01:38 Et c'est tout à fait logique dans un contexte où, à l'échelle planétaire,
01:01:42 nous allons collectivement, si nous ne changeons pas, vers 3°C.
01:01:46 Effectivement, Christophe Béchut l'a dit, d'avoir un plan d'adaptation
01:01:51 qui regarde comment protège-t-on les Français si nous allions vers 4°C, effectivement.
01:01:56 Donc c'est tout à fait raisonnable.
01:01:57 Ce n'est pas forcément une satisfaction, parce que mon souhait serait vraiment
01:02:00 que nous prenions des mesures.
01:02:02 Et c'est tout le souhait de l'accord de Paris.
01:02:04 Et je crois que c'est important, bien sûr, pour plutôt aller vers 2°C à l'échelle planétaire.
01:02:11 Le 1,5°C, c'est difficile, ce serait idéal.
01:02:14 L'idée, c'est quand même qu'un dixième de degré, ça compte.
01:02:16 On voit bien qu'il y a des effets du réchauffement climatique.
01:02:19 Et plus on s'éloigne d'un degré et demi, de 2°C, plus ce sera difficile.
01:02:24 Et donc, oui, il y a des conséquences importantes dans tous les domaines.
01:02:28 Il n'y a pas de secteur d'activité qui puisse se dire
01:02:30 « le réchauffement climatique, ce n'est pas mon affaire ».
01:02:32 C'est ça.
01:02:33 Donc, bien sûr, on va parler, Sylvie Brunel va parler de l'agriculture.
01:02:36 Mais c'est vrai pour le tourisme, pour tous les secteurs d'activité,
01:02:40 pour notre vie de tous les jours.
01:02:42 Et voilà, on ne peut pas dissocier le réchauffement climatique
01:02:47 du mode de fonctionnement de nos sociétés.
01:02:49 Ce n'est pas simplement une transition écologique.
01:02:51 C'est aussi, on le voit bien, toute l'activité économique, c'est culturel,
01:02:55 c'est bien sûr social, tout le problème des emplois, l'habitat.
01:02:59 C'est toute notre vie, toute notre, disons, aller vers une neutralité carbone,
01:03:03 ce qui est nécessaire, puisque ne pas aller vers une neutralité carbone,
01:03:06 c'est accepter que le réchauffement se poursuit indéfiniment.
01:03:09 Donc, je crois qu'il faut se placer dans cette hypothèse
01:03:12 qu'on arrivera à une neutralité carbone, peut-être trop tard par rapport à 1,5°C.
01:03:16 Mais on voit bien que c'est, quand on le regarde dans tous les domaines,
01:03:19 c'est quelque chose d'énorme, d'une certaine façon.
01:03:21 - Mais on a l'impression que si là, le ministre de la Transition écologique a dit
01:03:25 « Oui, ok, on commence à travailler pour se prémunir contre une augmentation de 4°C »,
01:03:30 ce qui était inimaginable il y a encore très peu de temps,
01:03:34 c'est qu'on voit bien que les effets du réchauffement se matérialisent plus rapidement que prévu.
01:03:40 C'est-à-dire que je me souviens de vous, dans une émission que j'ai animée pendant très longtemps,
01:03:44 vous veniez très souvent, ce soir ou jamais,
01:03:47 je me souviens qu'à ce moment-là, on pensait à 30 ans, à 40 ans, à 100 ans,
01:03:51 et là, on voit bien que le réchauffement, c'est tout de suite.
01:03:54 Mais je me dis que ce long chemin qu'il a fallu parcourir,
01:03:57 j'en ai trouvé une preuve, là, pour les visiteurs du soir,
01:04:01 pour monter en 1979 à la télévision,
01:04:04 et vous allez voir Haroun Tazief et le commandant Cousteau,
01:04:07 deux stars énormes à l'époque, vous étiez tout jeune, je suis sûr que vous les avez vus,
01:04:12 sinon vous les avez revus depuis,
01:04:14 voilà deux stars en qui on a totalement confiance et qui ne sont pas du tout d'accord, regardez.
01:04:19 20 milliards de tonnes par an, c'est la quantité de CO2 que l'homme rejette à la suite de ses activités.
01:04:27 Et cette quantité de gaz carbonique se propage dans l'atmosphère et risque de faire de l'atmosphère une espèce de serre.
01:04:35 C'est un baratin, ça.
01:04:37 L'histoire du CO2, on s'est entendu, c'est vrai, on en fabrique beaucoup,
01:04:43 mais il y a quand même des correcteurs automatiques.
01:04:48 Il y a d'abord la végétation qui...
01:04:51 Mais quand on brûle la forêt, on détruit la forêt...
01:04:54 Non mais attendez, attendez, attendez.
01:04:57 Il y a donc d'abord la végétation qui est un correcteur naturel à ça, et ensuite il y a l'océan.
01:05:02 Bon, alors, mais si on avait la sagesse de planter des arbres en même temps qu'on brûle du pétrole...
01:05:08 Oui, mais on ne peut pas planter des arbres dans l'Antarctique.
01:05:10 Non, mais on peut planter n'importe où, mais il n'y a pas besoin que ce soit dans l'Antarctique.
01:05:13 Bien sûr.
01:05:14 Si on détruit, au lieu de détruire les forêts françaises, on les protégeait d'une part et on en augmentait la surface.
01:05:21 Si au lieu de détruire la forêt amazonienne, on la protégeait.
01:05:24 Si au lieu de détruire les forêts de Borneo, de Java, de Sumatra et de l'Afrique centrale, on protégeait ces forêts, il n'y aurait pas de danger.
01:05:33 Il pourrait y avoir un effet de serre général, réchauffement de 2 ou 3 degrés de la température de l'atmosphère,
01:05:40 d'où fusion, fusion d'une énorme quantité de glace polaire, aussi bien au sud qu'au nord, mais de glace de montagne.
01:05:47 Et risque de réchauffement.
01:05:48 Donc à cause du réchauffement, 2-3 degrés de moyenne suffisent, n'est-ce pas ?
01:05:51 Et monter des eaux, et donc noyade de toutes les côtes basses, c'est-à-dire New York et Le Havre et Marseille et Nice et Londres.
01:06:01 - Vous êtes en train de paniquer les populations, là.
01:06:04 - Voilà, on voit que le déni commence là.
01:06:07 L'animateur qui est Joseph Pasteur dit "Attendez, vous allez faire pas..."
01:06:11 Il n'est pas sérieux, évidemment, il veut qu'on le dise, mais il se dit "Les gens vont paniquer".
01:06:15 - Oui, j'ai aussi été heureux de revoir Claude Laurieus, qui est quand même, disons, le premier intervenant, là.
01:06:20 Oui, mais il faut savoir dire les choses. On ne peut pas ne pas dire les choses.
01:06:24 Objectivement, dans cette discussion, c'est Asief qui a raison.
01:06:27 - C'est Asief qui a raison ?
01:06:28 - Oui, en clair.
01:06:29 - Mais Cousteau n'a pas tort. Parce que, effectivement, les forêts jouent effectivement le rôle qu'il dit.
01:06:34 Sauf que ça ne suffit pas.
01:06:35 - Ça ne suffit pas.
01:06:36 - Ça ne suffit pas. Actuellement, disons, les émissions de gaz à effet de serre, c'est 35 millions de tonnes de CO2 liées à la combustible fossile.
01:06:45 Et 5-6 milliards de tonnes, c'est 15% des émissions.
01:06:49 Donc, bien sûr, il faut les limiter. Il faut, si possible, même replanter.
01:06:52 Mais on voit bien qu'il n'y a pas l'échelle.
01:06:55 Et donc, l'absorption de l'océan et l'absorption des continents, ça absorbe un peu plus de la moitié du CO2.
01:07:01 Mais on est loin du compte.
01:07:02 Donc, oui, dans l'esprit, il a raison. Ça compense, mais pas suffisamment. Et le fossé s'élargit.
01:07:07 - Donc, il a fallu lutter contre le déni. Il a fallu lutter... Je parle de vous, Jean-Joselle.
01:07:13 Vous rentrez au GIEC en 1994. Vous en deviendrez le vice-président en 2002, je crois. Voilà.
01:07:20 Il vous faut lutter contre le déni. Il vous faut lutter contre les climato-sceptiques.
01:07:25 Il vous faut lutter contre les catastrophistes aussi, qui en font encore plus que vous ne voudriez.
01:07:30 Il vous faut lutter contre les politiques, qui ont d'autres soucis et qui pensent à plus court terme, on va dire.
01:07:36 C'est là où je parle d'un long chemin.
01:07:38 - Oui, c'est vrai. D'abord, pour revenir sur ce qu'on a dit au départ, j'avais le sentiment, j'ai souvent dit, y compris chez moi,
01:07:48 que j'aimerais voir la réalité du réchauffement climatique, que les gens s'en rendent compte.
01:07:52 Et je pensais que ce serait plutôt vers 2030. Et vous voyez, en 2020, on s'en rend compte de la réalité du réchauffement.
01:07:57 Donc oui, mais dire la réalité, voilà, je crois quand même qu'on a été assez exemplaires dans le GIEC,
01:08:05 c'est-à-dire sans faire de catastrophisme, disons, la communauté scientifique a pris le temps.
01:08:10 Par exemple, ce n'est que la première fois que dans le rapport du GIEC, qu'on dit de façon certaine,
01:08:14 qu'on dit notre certitude de l'attribution du réchauffement climatique aux activités humaines.
01:08:19 En fait, presque de l'essentiel du réchauffement climatique.
01:08:22 Ça a pris du temps aussi du côté des sciences. Quelquefois, on nous reproche,
01:08:27 et je ne crois pas que ce doit être un véritable reproche, on nous reproche de ne pas avoir été assez alarmistes.
01:08:33 Je ne crois pas que ce soit le cas. Si on regarde tous les rapports du GIEC, franchement,
01:08:36 disons, la communauté scientifique a, disons, vu les choses de façon correcte.
01:08:43 Le problème, c'est le décalage entre les causes du réchauffement climatique et les premières causes,
01:08:47 et disons, les premières, la prise de conscience était forcément, il aurait fallu accorder cette crédibilité
01:08:53 à la communauté scientifique il y a 30 ans, pas maintenant.
01:08:55 Maintenant, j'espère qu'on nous l'accorde, mais il aurait fallu l'accorder il y a 30 ans,
01:08:59 parce que, bien effectivement, dans le premier rapport du GIEC, tout était dit en termes de trajectoire, en tout cas, globale.
01:09:05 On va en venir à qu'est-ce que ça veut dire 4° d'augmentation et comment peut-on s'en prémunir ?
01:09:10 Mais Greta Thunberg, elle a joué quel rôle, à votre avis, dans tout ça ?
01:09:14 Parce que j'ai l'impression qu'elle peut être énervante, parce qu'elle est très jeune,
01:09:17 et qu'elle a l'air de donner des leçons à tout le monde,
01:09:19 mais j'ai l'impression qu'elle n'a jamais dérogé au fait qu'elle dise ce que dit le GIEC.
01:09:24 Elle n'en dit pas plus, ni moins.
01:09:26 Et d'ailleurs, beaucoup ont été étonnés quand elle a dit, en Allemagne,
01:09:30 « Vous feriez mieux de rouvrir vos centrales nucléaires plutôt que d'ouvrir des centrales à charbon, par exemple. »
01:09:35 Oui, mais surtout, ce qu'elle dit, c'est « écoutez les scientifiques ».
01:09:39 Elle invite à écouter les scientifiques, à écouter le GIEC,
01:09:42 et je ne l'ai pas vu non plus déraper ou dire des choses qui ne soient pas,
01:09:46 effectivement, disons, en synergie avec les rapports du GIEC.
01:09:50 Donc, le rapport du GIEC ne dit pas forcément qu'il faut rouvrir les centrales en Allemagne.
01:09:55 Ça, c'est pas... Bon, mais ça, c'est un autre débat.
01:09:57 Non, mais il ne dit pas que le nucléaire augmente les gaz à effet de serre.
01:10:01 Absolument. Et puis, il dit que le nucléaire peut faire partie des solutions.
01:10:04 C'est aussi clairement dit.
01:10:05 Donc voilà.
01:10:06 Moi, je pense que... Et on peut regarder encore ce qui s'est passé aujourd'hui,
01:10:11 disons, là, sur la dernière rénovation.
01:10:13 Il y a différentes façons de s'exprimer par rapport à l'ampleur de ce réchauffement climatique.
01:10:17 Elles sont toutes tout à fait respectables.
01:10:19 Moi, je sais que j'ai une approche plus consensuelle.
01:10:21 Quelquefois, on me le reproche, mais...
01:10:24 C'est quelqu'un qui vous encourage, au contraire.
01:10:26 Non, non, mais quelqu'un qui a le dire.
01:10:28 Vas-y, vas-y.
01:10:30 Donc, non, je... Disons, je pense très important que les gens s'expriment
01:10:35 et donc Greta Thunberg s'est exprimée.
01:10:37 Elle a vraiment entraîné les jeunes et ça, c'est très important.
01:10:40 Je comprends l'énervement de l'entourage d'Emmanuel Macron,
01:10:44 mais à un moment, il faut aussi que les gens sachent dire les choses
01:10:47 et chacun les dit à sa façon.
01:10:49 Je pense qu'elles sont toutes respectables.
01:10:51 Donc voilà.
01:10:52 Est-ce que les scientifiques se sont accrochés, je ne sais plus où, à des voitures ?
01:10:56 Est-ce que c'est payant ? Est-ce que c'est ce qu'il faut faire ?
01:10:59 Mais en tout cas, on voit bien qu'il y a une différence dans la façon d'aborder les problèmes,
01:11:02 disons, de dire les problèmes et qu'elles sont pour moi toutes utiles d'une certaine façon.
01:11:07 – Donc Christophe Béchut, le ministre de la Transition écologique, nous a dit
01:11:11 "On s'oriente, on va commencer à travailler sur une augmentation des températures en France de 4°C".
01:11:18 – Oui.
01:11:19 – Ils vont travailler sur 2°C et 4°C. Je ne sais pas si ça a beaucoup d'intérêt.
01:11:22 S'il s'agit de construire une digue, par exemple, est-ce qu'on va faire une digue pour 4°C et une digue pour 2°C ?
01:11:27 Je pense qu'il vaut mieux travailler directement sur 4°C.
01:11:29 C'est plus simple.
01:11:30 – C'est vrai. Disons, je me suis beaucoup impliqué,
01:11:34 là on est dans le troisième plan national d'adaptation au changement climatique,
01:11:38 le troisième plan, je me suis beaucoup impliqué dans le premier.
01:11:41 Et ce qu'on avait fixé comme objectif par rapport à l'élévation du niveau de la mer,
01:11:45 c'est 1 mètre d'élévation du niveau de la mer.
01:11:47 Et c'est justement ce à quoi ça correspond toujours.
01:11:50 Donc c'était déjà inscrit, d'une certaine façon, dans le premier rapport.
01:11:53 C'est du rôle de l'État de regarder, de se protéger des risques maxima.
01:12:01 Donc je crois que c'est tout à fait sain de regarder les 4°C,
01:12:05 mais c'est aussi intéressant d'avoir une autre hypothèse,
01:12:10 de montrer le gain que l'on a à vraiment aller vers 2°C plutôt qu'à 4°C.
01:12:16 Et ça, c'est très important.
01:12:17 Donc je crois qu'il faut sérieusement regarder les deux hypothèses
01:12:20 en termes d'adaptation au réchauffement climatique.
01:12:23 C'est très important pour tous les secteurs d'activité.
01:12:26 Et donc je pense que la démarche est bonne.
01:12:29 Ce plan d'adaptation devrait sortir peut-être début 2024, début de l'an prochain.
01:12:34 Mes collègues sont en train de travailler.
01:12:36 Alors vous-même, 4°C, ça voudrait dire quoi ?
01:12:40 4°C, alors disons par exemple, d'abord les records de chaleur sont,
01:12:46 les pics de chaleur augmentent plus rapidement que la température moyenne.
01:12:50 Déjà on est à 46°C en France, on pourrait ponctuellement,
01:12:54 je dis bien ponctuellement, dans l'espace et dans le temps,
01:12:57 approcher peut-être les 50°C.
01:12:59 Et plus souvent aussi, il y aurait plus de jours de canicule qu'on en connaît.
01:13:03 On en connaît déjà beaucoup.
01:13:04 Oui, et ça c'est un vrai problème avec les problèmes d'îlots de chaleur
01:13:07 dans une ville comme, enfin dans les métropoles comme on est ici à Paris ou dans d'autres.
01:13:11 Moi j'étais très frappé cet été au cœur de Rennes,
01:13:14 il y avait 8°C de plus que dans la campagne environnante.
01:13:18 Donc il faut bien voir ça.
01:13:19 Dans les villes, il va falloir vraiment s'adapter là.
01:13:22 Oui, il va falloir s'adapter, c'est dur.
01:13:24 Et quand on parlait d'inégalité, il y a un vrai problème d'inégalité
01:13:27 parce que là aussi, le réchauffement climatique est profondément inégalitaire.
01:13:30 Les villes l'été, il y a ceux qui, comme moi, peuvent, disons, la quitter
01:13:34 ou comme peut-être beaucoup d'entre nous, des endroits au lait,
01:13:37 il y a ceux qui ne peuvent pas.
01:13:38 Et donc là on voit bien cette ségrégation,
01:13:40 les gens qui n'ont pas les moyens d'avoir une autre résidence,
01:13:43 un autre endroit où aller et souvent qui ont des logements
01:13:47 qui sont peut-être moins bien adaptés d'ailleurs.
01:13:49 Donc oui, il y a ce problème d'inégalité, il y a le problème des villes.
01:13:52 On parlera, je pense, avec Sylvie, du problème de l'agriculture.
01:13:55 Oui, on parlera du problème de l'agriculture.
01:13:57 Mais quand on regarde plus près de nous,
01:14:00 bien sûr, ce sont les stations côtières,
01:14:03 mais parlons des stations de ski, des Pyrénées.
01:14:06 J'étais, il y a quelques semaines, à Albertville,
01:14:09 à discuter avec la profession de la montagne.
01:14:11 Ils se posent vraiment des questions.
01:14:13 Disons, un degré de plus, c'est une semaine de moins d'enneigement.
01:14:17 Disons, voilà, donc ça sera encore les...
01:14:20 - 4 degrés de plus, ça veut dire à peu près, il ne faut pas se mentir,
01:14:22 c'est deux tiers des stations de ski qu'on connaît qui ferment.
01:14:25 - Oui, enfin, à basse altitude.
01:14:26 - En tout de 1500 mètres.
01:14:27 - En tout de 1500 mètres, elles fermeront.
01:14:29 Et même en ayant un moment, on arrive à un moment,
01:14:31 on peut plus avoir, disons, recours à de la neige artificielle.
01:14:36 Ça n'a plus aucun sens.
01:14:37 Donc oui, il y a des conséquences dans beaucoup d'activités.
01:14:41 Le tourisme sur les régions côtières.
01:14:43 Voilà, on a vu des conséquences,
01:14:45 la conjonction des sécheresses et des pics de chaleur.
01:14:48 Les feux de forêt sont au rendez-vous.
01:14:50 Enfin, disons, une fois qu'ils ont démarré,
01:14:52 on ne peut plus les contrôler.
01:14:53 Je crois qu'on prend conscience des conséquences sur...
01:14:58 Voilà, sur les mouvements des populations.
01:15:02 Il y a déjà beaucoup de monde population.
01:15:04 On voit bien qu'il y a, disons, quelquefois,
01:15:06 on sourit quand on parle de réfugiés climatiques.
01:15:08 Mais c'est clair que des régions que le nord de l'Afrique,
01:15:10 où il sera, disons, on sera plutôt en insécurité alimentaire
01:15:14 qu'en sécurité alimentaire,
01:15:15 eh bien, les gens, quand ils ne peuvent plus se nourrir
01:15:17 sur la trajectoire où ils ont vécu,
01:15:19 ne peuvent, disons, sont obligés de partir.
01:15:21 Donc, on voit bien tout cela.
01:15:22 C'est quand même des difficultés.
01:15:23 On a vu des régions quasiment invivables.
01:15:25 Le Pakistan, cet été, quand on dépasse 50 degrés,
01:15:28 qu'il y a à la fois des inondations, des pics de chaleur.
01:15:31 Comment voulez-vous que ces pays se développent ?
01:15:33 Donc, c'est tout cela.
01:15:34 Alors, je ne fais pas une image de la France de cela,
01:15:36 mais même en France, il y aura des conséquences importantes
01:15:39 sur tous les secteurs d'activité.
01:15:40 – Dernière question sur ce sujet-là, Jean Jouzel.
01:15:43 Vous êtes un visiteur du soir.
01:15:44 Vous pouvez aller chuchoter à l'oreille du président de la République.
01:15:48 Il est en demande, aujourd'hui, puisque Christophe Béchut
01:15:51 va commencer à installer des tables rondes
01:15:53 où on va réfléchir à comment se prémunir.
01:15:55 Vous lui diriez quoi ?
01:15:56 – Non, alors d'abord, moi je pense que le problème de la…
01:16:00 disons, la caractéristique de la France, et comme beaucoup de pays,
01:16:02 c'est que dans les textes, finalement, on est très ambitieux.
01:16:05 Disons, la neutralité carbone est inscrite en France à horizon 2050.
01:16:10 Je dirais simplement au président, comment fait-on pour la réussir ?
01:16:14 L'Europe, -55% à horizon 2030 par rapport à 90.
01:16:18 Et c'est cela qu'il faut faire.
01:16:20 Et le président, effectivement, il reconnaît qu'il faudra aller
01:16:26 deux fois plus vite et encore plus, parce que je crois qu'il n'y a même pas
01:16:29 eu de diminution entre 2022 et 2021.
01:16:31 Donc, alors pour l'adaptation, je pense qu'il n'y a peut-être pas
01:16:35 assez de recherche sur l'adaptation, d'abord.
01:16:37 Je crois que la recherche a du retard sur les problèmes d'adaptation.
01:16:42 Et je pense que l'adaptation, c'est beaucoup du bon sens aussi.
01:16:46 C'est prévenir les gens, dire la vérité.
01:16:50 Et puis, quand on parlait de règles et de lois, si vous êtes dans une région
01:16:54 côtière, peut-être ne pas les construire.
01:16:56 Il y a des risques quand même.
01:16:57 Alors construire en tenant compte des risques, ce qui est aussi possible,
01:17:00 d'ailleurs.
01:17:01 Voilà, donc il y a dans tous les...
01:17:03 Et bien sûr, il ne faut pas jouer que sur l'adaptation.
01:17:06 Il faut aussi jouer sur l'atténuation.
01:17:08 Alors là, on va parler de mobilité, de bâtiment, d'urbanisme, de circuit.
01:17:12 Disons, l'alimentation également, de production.
01:17:15 Moi, j'ai beaucoup aimé, disons, j'aurais aimé que le président prenne,
01:17:20 disons, je ne dis pas pour, disons, prenne complètement en compte,
01:17:25 mais prenne beaucoup plus largement en compte les propositions des citoyens,
01:17:30 des 150 citoyens.
01:17:31 J'ai eu la chance de participer à la Convention citoyenne sur le climat.
01:17:34 Et je vous assure que les propositions sont très pertinentes, très ambitieuses.
01:17:38 Et le fait que nous n'en ayons pris que 20% dans la loi, sérieusement,
01:17:42 eh bien, disons, fait que je crains qu'on n'atteigne pas les objectifs de notre pays.
01:17:47 Donc la recommandation serait de revenir à certaines propositions des citoyens
01:17:51 en matière de sobriété, en matière...
01:17:53 Voilà, ils n'ont pas abordé le problème de l'énergie,
01:17:55 mais sur tous les autres thèmes, c'est vraiment très riche.
01:17:58 Il y a un autre visiteur du soir qui nous attend, qui est en duplex,
01:18:02 c'est Nathael Wallenhorst, qui est docteur en sciences de l'éducation,
01:18:07 en sciences de l'environnement et sciences politiques,
01:18:09 et qui est l'auteur de "Qui sauvera la planète".
01:18:13 Nathael Wallenhorst, même question.
01:18:16 Vous avez l'oreille du président de la République, vous êtes un visiteur du soir.
01:18:21 Vous lui conseilleriez quoi vis-à-vis de ces quatre degrés d'augmentation
01:18:27 qui attendent la France, vraisemblablement, d'ici la fin du siècle ?
01:18:32 Un grand merci, Frédéric.
01:18:34 Et donc, je suis très heureux de m'adresser directement au président de la République.
01:18:38 Je suis très proche de ce que j'ai entendu de la part de Jean Jouzel.
01:18:44 Peut-être plus de fougue, ou en tout cas, je peux revendiquer une forme de casquette de jeune.
01:18:56 Moi, ce que j'ai envie de dire, c'est que la seule stratégie d'adaptation,
01:19:00 elle est suicidaire.
01:19:02 Et donc, oui, tout à fait, de dire qu'on est sur une trajectoire qui va vers 4 degrés
01:19:09 pour le territoire national, et puis qui va aux alentours de 3 degrés à minima
01:19:14 au niveau de la moyenne du réchauffement climatique à la surface de la Terre.
01:19:18 OK, on est sur cette trajectoire, très bien, et donc du coup, il va falloir s'adapter à ça.
01:19:22 OK, parfait.
01:19:23 Moi, ce que j'espère, vraiment, c'est qu'on ait une stratégie d'atténuation
01:19:27 pour contenir l'emballement bio-climatique.
01:19:30 Et à cet endroit-là, vraiment, oui, de fait, moi, j'attends davantage de la part du président
01:19:36 et notamment qu'il fasse travailler le législateur.
01:19:39 Et je suis tout à fait d'accord avec ce que disait Jean Jouzel.
01:19:42 C'est-à-dire, de fait, les propositions de la Convention citoyenne pour le climat
01:19:45 étaient remarquables.
01:19:46 La première proposition, c'était de positionner dans l'article 1 de la Constitution
01:19:51 le fait de contenir l'emballement bio-climatique.
01:19:53 Pourquoi ?
01:19:54 Tout simplement parce qu'en fait, là, on est sur une trajectoire qui va vers des pics caniculaires
01:19:58 de l'ordre de jusqu'à 55 degrés dans l'est de la France, à Strasbourg, mais de Financiers.
01:20:04 Si je m'appuie sur un article, par exemple, de Margot Baddor en 2017,
01:20:08 et du coup, ça veut dire quoi, ça ?
01:20:10 Un pic caniculaire de 55 degrés ?
01:20:12 Ça veut dire qu'on désertifie des territoires qui deviennent impropres à la production agricole,
01:20:18 au sein desquels on ne peut plus vivre,
01:20:21 qui réorganisent aussi le cycle de l'eau.
01:20:23 C'est-à-dire qu'en fait, c'est des territoires sur lesquels, de fait, il y a un manque d'eau,
01:20:27 c'est-à-dire à un moment donné, non seulement il pleut moins,
01:20:30 mais en plus, c'est une donnée particulièrement grave qu'on a mesurée tout particulièrement, là, en 2022.
01:20:38 Les sols ont une capacité nettement moins conséquente d'absorption de l'humidité.
01:20:43 Alors ça, moi, par exemple, c'est quelque chose qui m'a affecté,
01:20:46 qui m'a fait quelque chose de me dire « mince »,
01:20:48 parce qu'en fait, toute la production agricole,
01:20:50 elle repose sur la capacité qu'ont les sols à retenir l'eau, l'humidité.
01:20:54 Chaque personne qui a déjà arrosé une plante, il le sait très bien,
01:20:56 et c'est à partir de là, de fait, que quelque chose pousse,
01:20:59 qu'on va ensuite pouvoir manger ou donner à manger à des bœufs, etc.
01:21:02 Enfin, vous voyez le principe, enfin, voilà.
01:21:05 Et donc, de fait, la fragilisation, elle est considérable.
01:21:07 Et puis, l'autre donnée aussi, et ça, pour moi, c'est vraiment important,
01:21:10 et là, pour l'instant, je sens notre gouvernement insuffisamment d'aplomb à ce niveau-là,
01:21:15 c'est-à-dire qu'être sur quelque chose de l'ordre de +4 degrés en France,
01:21:20 c'est-à-dire +3 degrés au niveau du réchauffement planétaire,
01:21:23 c'est un État qui n'est pas un État stable, c'est un État transitoire.
01:21:28 Et le risque, c'est que la stabilisation du système Terre,
01:21:34 et donc là, je m'appuie sur un article qui est un article de Stephen en 2018,
01:21:38 la stabilisation du système Terre se retrouverait aux alentours de +5 degrés
01:21:44 dans un réchauffement global moyen.
01:21:46 Et donc, le problème, c'est quand on se dit, bon, allez,
01:21:48 on va essayer de s'adapter à +3 degrés.
01:21:50 Oui, très bien, mais +3 degrés, c'est un État où, en fait,
01:21:53 on continue de perdre des sous-systèmes, à savoir une réorganisation du Gulf Stream,
01:21:57 la perte d'ensemble forestier du bassin amazonien,
01:22:00 la perte progressivement, tout d'un coup, mais de la calotte glaciaire arctique-antarctique,
01:22:05 des ensembles forestiers du nord, de l'hémisphère nord, etc.
01:22:09 Et donc, du coup, avec tout un tas d'emballements,
01:22:11 ce que les chercheurs appellent des effets dominos,
01:22:14 enfin, c'est à un moment donné, on voit bien des bascules en cascade
01:22:16 sur lesquelles les activités humaines n'ont plus la main.
01:22:18 Voilà, donc du coup, il y a des éléments comme ça vraiment importants à avoir à l'esprit
01:22:22 pour se dire, mais la seule adaptation, elle est insuffisante.
01:22:26 Nathanaël Vallénor, j'avais presque envie de vous dire, ne paniquez pas les gens,
01:22:30 comme le disait Joseph Pasteur en 1979 à Arrounetazieff.
01:22:35 Vous êtes d'accord avec ce qu'il dit, Jean Chouzel ?
01:22:38 Oui, oui, merci, Emmanuel. Non, je crois qu'on est en phase.
01:22:41 Nathanaël.
01:22:43 Nathanaël, oui. Excusez-moi.
01:22:45 Merci, Nathanaël, mais oui, je crois qu'on est en phase.
01:22:48 Mais bon, moi aussi, disons, la priorité, ça reste l'atténuation.
01:22:53 Je l'ai toujours dit, mais on ne peut pas non plus ne pas regarder la nécessité de l'adaptation.
01:22:57 Mais il faut absolument, l'atténuation est importante.
01:23:00 Et je reprends toujours ce que dit Valérie Masson-Delmotte très bien.
01:23:03 Un dixième de degré, ça compte.
01:23:05 Et vraiment, ce serait beaucoup mieux pour les jeunes d'aujourd'hui
01:23:08 si on limitait le réchauffement climatique à 1,5 degré, c'est-à-dire à 2 degrés en France.
01:23:12 Je dirais plus haut qu'à 3 degrés en France, c'est un peu ça.
01:23:15 Et donc, c'est bien. Je suis complètement en phase avec vous.
01:23:18 Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, ça a été une journée peut-être dédiée à l'adaptation.
01:23:22 Et il faut reconnaître aussi que ce discours sur l'adaptation est nécessaire.
01:23:26 C'est-à-dire, il faut aussi le regarder.
01:23:29 Il faut l'anticiper.
01:23:31 C'était aussi une journée dédiée à l'agriculture.
01:23:34 Sylvie Brunel était au Salon de l'agriculture.
01:23:37 On parlera plus particulièrement des paysans juste après ce journal.
01:23:41 Mais d'abord, sur le climat.
01:23:44 C'est essentiel pour eux.
01:23:46 C'est-à-dire que l'atténuation, Jean l'a rappelé, c'est limiter les gaz à effet de serre dans l'atmosphère,
01:23:50 les émissions, permettre le recyclage, permettre d'éviter notamment les émissions de gaz fossiles,
01:23:58 c'est-à-dire charbon, gaz, pétrole.
01:24:01 Et puis l'atténuation, c'est préparer les territoires aux conséquences déjà perceptibles du changement climatique.
01:24:06 L'agriculture, elle occupe le monde.
01:24:09 Elle occupe la France, 53% du territoire français, plus 30% pour les forêts, dont une partie sont des forêts cultivées.
01:24:16 Les agriculteurs, ils ont des réponses, des réponses très concrètes,
01:24:19 qui ont été reconnues par la communauté scientifique.
01:24:21 Aujourd'hui, on les présente plutôt comme des problèmes, parce qu'effectivement, ils émettent.
01:24:25 À peu près 19% des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire français viennent de l'agriculture, 12% pour l'élevage.
01:24:31 Ça veut dire que, enfin 19% globalement, ça veut dire qu'en fait, il faut trouver des réponses tout de suite,
01:24:36 que ces agriculteurs, ils sont engagés aujourd'hui dans une profonde mutation, une profonde révolution triplement verte,
01:24:43 c'est-à-dire continuer à nous nourrir, faire attention de mieux partager la valeur,
01:24:47 mais surtout préserver à la fois le climat, les sols, l'eau, la ressource.
01:24:51 C'est un défi colossal. Pour ça, il faudrait les traiter avec respect.
01:24:55 Et c'est exactement l'inverse qui se passe.
01:24:57 On va y revenir sur le fait que si on les traite aussi mal que vous le dites ou pas,
01:25:01 mais là, on vient de passer une période de sécheresse terrible.
01:25:06 On a passé un nombre de jours sans pluie en France. On n'avait pas vu ça depuis...
01:25:11 1959. On parle de 32 jours sans pluie.
01:25:15 Alors, l'été 2022 a été particulièrement sexe, ce qui fait qu'on a un problème aujourd'hui de recharge en apes phréatiques.
01:25:21 Mais en même temps, on est obligés de penser la question de la gestion de l'eau de façon globale.
01:25:26 Le président Macron a annoncé au Salon de l'agriculture un plan de sobriété de la ressource en eau.
01:25:32 Il n'empêche qu'il faut continuer quand même à nous nourrir.
01:25:36 Il faut continuer à entretenir la biomasse parce que quand la végétation pousse,
01:25:40 elle capte du CO2. Il faut continuer à avoir des prairies parce qu'on ne peut pas accepter la mort du bétail.
01:25:45 Et puis, les prairies, c'est la biodiversité, c'est les fleurs. Il faut continuer à gérer les sols.
01:25:50 Ça veut dire qu'aujourd'hui, nous sommes confrontés à des défis absolument colossaux.
01:25:54 On a une population qui est prête à apporter des réponses, qui est engagée dans ces réponses,
01:25:58 avec notamment la démarche de ce qu'on appelle le label bas carbone, avec le stockage,
01:26:03 l'accroissement de la capacité de stockage du sol. C'est l'initiative qu'on appelle 4 pour 1000.
01:26:07 C'est-à-dire qu'en fait, c'est un monde, le monde agricole, qui peut apporter aussi des réponses dans l'énergie,
01:26:12 avec l'énergie renouvelable, la méthanisation, le solaire, la biomasse, toute l'utilisation de la biomasse.
01:26:19 On a tout dans l'agriculture.
01:26:21 – Je vous écoute, j'ai l'impression qu'on est revenu au temps d'Henri IV,
01:26:24 labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France.
01:26:26 – Oui, sauf que c'est… – Les paysans sauveront le pays.
01:26:28 – Oui, les paysans peuvent sauver, en tout cas une grande partie du monde,
01:26:32 pas seulement de la France, mais du monde.
01:26:34 Encore faudrait-il les reconnaître à leur juste valeur.
01:26:37 Or, c'est une profession qui souffre, et on est en train de perdre, aujourd'hui,
01:26:42 notre richesse agricole, notre souveraineté alimentaire, et même nos paysages.
01:26:46 – Alors, est-ce qu'on maltraite le monde agricole autant que Sylvie Brunel a l'air de le dire ?
01:26:53 On en discutera juste après le journal.
01:26:56 Journal.
01:26:58 [Musique]
01:27:00 – Journée marathon pour le chef de l'État au Salon de l'agriculture.
01:27:04 Emmanuel Macron a été interpellé sur l'épineux sujet des retraites.
01:27:08 Il a assuré souhaiter que le Sénat puisse enrichir le texte avec ce qui lui paraît utile.
01:27:13 Pour rappel, la réforme des retraites sera examinée dès la semaine prochaine par les sénateurs.
01:27:18 En Loire-Atlantique, polémique à Saint-Brévin-les-Pins,
01:27:21 un futur centre d'accueil de demandeurs d'asile ne fait pas l'unanimité.
01:27:25 Deux manifestations de partisans et d'opposants ont eu lieu aujourd'hui,
01:27:29 rassemblant respectivement 900 et 380 personnes.
01:27:33 Les opposants au projet déplorent notamment la proximité entre le futur centre et une école.
01:27:39 Des protestations s'étaient déjà tenues le 11 décembre dernier.
01:27:43 Le mari de la femme retrouvée est démembrée dans le parc des Buttes-Chaumont
01:27:47 et mis en examen pour meurtre sur conjoint.
01:27:50 Il a été placé en détention provisoire.
01:27:52 Hier, l'homme a reconnu avoir tué son épouse, Asia, âgée de 46 ans.
01:27:57 Une enquête avait été ouverte le 17 février pour assassinat, désormais requalifiée.
01:28:03 Le magistrat instructeur a estimé que l'époux n'avait pas prémédité son geste.
01:28:07 Et les visiteurs du soir, c'est jusqu'à minuit, avec notamment Sylvie Brunel,
01:28:15 qui est professeure de géographie à la Sorbonne et qui publie "Nourrir".
01:28:19 C'est sous-titré "Cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre.
01:28:23 Jamais nous n'avons eu autant besoin des paysans, écrivez-vous,
01:28:27 et jamais nous ne les avons autant maltraités".
01:28:30 Alors franchement, est-ce qu'on les maltraite vraiment les paysans ?
01:28:33 Moi j'ai l'impression qu'on les a beaucoup maltraité dans les années 60-70.
01:28:37 On se moquait constamment des paysans.
01:28:39 Il n'y avait qu'à voir les films d'ailleurs, à l'époque, qui étaient particulièrement cruels à l'égard des paysans.
01:28:44 Aujourd'hui, j'ai l'impression que si on regarde, ne serait-ce que le cinéma français, c'est à la gloire des paysans.
01:28:49 C'est à la gloire des petits modèles du paysan modeste, humble, avec sa côte dans son champ qui travaille à la main.
01:28:56 Il y a une détestation de l'agriculture moderne.
01:28:59 Il y a des critiques permanentes sur ce qu'on qualifie à tort d'agriculture productiviste,
01:29:05 qui est en fait l'agriculture qui nous nourrit, qui nourrit nos villes.
01:29:08 En France, on a la chance d'avoir une grande diversité de modèles, qu'il faut d'ailleurs associer.
01:29:12 Mais quand on écoute les médias, et surtout certains médias du service public,
01:29:15 on a l'impression qu'il faudrait que l'agriculteur, le paysan, revienne au passé, à la pénibilité, à la binette, à la précarité.
01:29:23 Alors qu'en réalité, pour faire face aux enjeux climatiques, aux enjeux énergétiques,
01:29:27 et surtout aux enjeux nourriciers, parce qu'on n'a jamais autant parlé de la faim,
01:29:30 on a besoin d'une agriculture performante, qu'elle soit d'ailleurs conventionnelle ou bio.
01:29:35 On a besoin d'une agriculture performante, d'une agriculture qui réponde, qui sache cocher toutes les cases.
01:29:40 Et les agriculteurs aujourd'hui en France, ils sont non seulement critiqués,
01:29:44 d'ailleurs c'est une profession qui est en grand découragement.
01:29:47 Il y a 20 000 départs en retraite chaque année, mais 13 000 installations seulement.
01:29:51 C'est-à-dire qu'on est en train de désagriculturiser le pays.
01:29:54 On est en train de perdre aussi des volontés, c'est-à-dire des jeunes qui voudraient aller dans l'agriculture,
01:30:00 ou qui voudraient en tout cas sauver la planète, sauver le climat,
01:30:02 mais qui n'ont pas l'idée qu'ils pourraient aller le faire à travers le monde agricole.
01:30:06 Et ce qui est dommage, c'est que ces agriculteurs aujourd'hui, en plus,
01:30:09 ils sont confrontés à une concurrence de plus en plus déloyale,
01:30:13 à des personnes qui, quand ils vont dans les campagnes parce qu'ils les trouvent belles,
01:30:17 et on va dans les campagnes aujourd'hui parce qu'on aime les champs de la vente, parce qu'on aime les vergers,
01:30:22 j'ai ramassé plein de choses, j'étais au salon d'agriculture.
01:30:25 - Vous revenez du salon d'agriculture.
01:30:26 - Oui, je reviens du salon d'agriculture.
01:30:27 Mais en fait, les néo-ruraux empêchent les agriculteurs de travailler.
01:30:30 Ils ne connaissent plus la réalité du monde agricole,
01:30:33 donc dès qu'ils voient un agriculteur dans un champ avec ce qu'on appelle un pulvée,
01:30:37 mais le pulvérisateur, ça peut être uniquement pour de la vapeur d'eau,
01:30:41 ça peut être pour tout un ensemble de nutriments, ils se font casser la figure.
01:30:45 On leur vole leur matériel, on leur casse leur réserve d'eau.
01:30:48 Et puis il y a cette idée un peu toujours de ce racisme de classe,
01:30:52 que ce sont des gens à qui on peut donner des leçons de nature.
01:30:55 On sait mieux que nous, vous savez, on sait tous mieux que l'agriculteur ce qu'il faudrait pour nous nourrir.
01:31:00 Et puis c'est très contradictoire parce qu'en même temps,
01:31:03 eh bien ce qu'on voit aujourd'hui, c'est que le prix fait office de juge de paix,
01:31:07 et que l'agriculture française, elle est de plus en plus importatrice.
01:31:10 On importe de plus en plus de pommes, alors que vous iriez dans un verger, Frédéric, un verger.
01:31:16 En fait aujourd'hui, on ne veut plus que les pommes soient traitées.
01:31:19 Vous savez, c'est la grande idée.
01:31:20 Alors on pratique ce qu'on appelle par exemple la confusion sexuelle.
01:31:23 Avez-vous déjà entendu parler de la confusion sexuelle ?
01:31:26 La confusion sexuelle, c'est qu'on diffuse dans le verger des phéromones
01:31:29 pour que ce qu'on appelle le ver de la pomme,
01:31:32 alors le ver de la pomme en fait c'est un papillon, il s'appelle le carpocaps,
01:31:35 eh bien avec les phéromones, le monsieur carpocaps cherche en vain madame carpocaps,
01:31:41 ne la trouve pas, et donc il ne peut,
01:31:43 madame carpocaps n'ayant pas été fécondée, ne peut pas pondre dans le ver de la pomme.
01:31:49 Enfin, ne peut pas pondre le ver de la pomme.
01:31:51 Et on a aujourd'hui de plus en plus de difficultés pour ces agriculteurs
01:31:54 parce qu'ils essaient justement de trouver des réponses écologiques,
01:31:57 des réponses qui soient, des réponses que tout le monde veut aujourd'hui
01:32:01 face à tous les défis qui nous attendent, et ils ne peuvent pas le faire.
01:32:06 On interdit des molécules alors que nous, nous avons été confrontés à la pandémie.
01:32:11 La pandémie déjà c'était ce qu'on appelle une zoonose, c'était transmis par des animaux.
01:32:15 Là il y a la grippe aviaire, on a peur que la grippe aviaire se recontamine avec des mammifères,
01:32:19 recombine avec des mammifères, et qu'on ait demain une pandémie qui nous touche extrêmement grave.
01:32:25 Eh bien ces agriculteurs, on leur interdit aujourd'hui toutes les méthodes
01:32:29 qui leur permettraient de faire face.
01:32:31 Dans les vergers aujourd'hui vous avez la punaise diabolique,
01:32:34 on n'a plus de solution face à la punaise diabolique.
01:32:37 Et puis là j'ai pris du nougat de Montélimar, bon il se trouve que moi je vis dans la Drôme,
01:32:42 le nougat de Montélimar c'est les amandes, c'est le miel, donc c'est les abeilles, c'est le sucre, c'est les blancs d'œufs.
01:32:47 Eh bien vous avez aujourd'hui face à la noisette et à la châtaigne,
01:32:51 vous avez un petit coléoptère qui s'appelle le balanin, qui a une petite corne,
01:32:54 qui perce les noisettes et les châtaignes, on ne sait pas comment faire face à elle.
01:32:58 Il y a un certain nombre de problèmes qui suscitent effectivement les critiques des agriculteurs.
01:33:04 Il y a l'élevage, vous l'avez dit vous-même, l'élevage industriel notamment est responsable d'une partie du réchauffement.
01:33:09 Oui mais sauf que l'agriculture française c'est une agriculture familiale, plurielle, multidimensionnelle.
01:33:15 Et notre élevage c'est la moitié de notre territoire agricole.
01:33:19 C'est 13 millions d'hectares de prairies, de moyennes montagnes, de bocages.
01:33:23 Si vous n'avez plus d'élevage, vous n'avez plus de prairies.
01:33:26 Si vous n'avez plus de prairies, vous n'avez plus d'insectes, d'oiseaux, vous n'avez plus de fleurs,
01:33:30 parce que c'est la prairie qui crée la biodiversité florale.
01:33:33 Vous n'avez plus d'épurateurs et de quelque chose qui ralentit le ruissellement.
01:33:37 Donc nous préconisons tout un tas de choses sans nous rendre compte des conséquences concrètes que cela aurait pour nous.
01:33:43 À commencer par la faim. Il y a 10 millions de français aujourd'hui qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts.
01:33:48 Dans le monde c'est un milliard de personnes.
01:33:50 Tout à l'heure on parlait de l'Afrique du Nord, ces gens qui parlaient de ces gens d'Afrique du Nord
01:33:55 qui étaient confrontés à des situations de plus en plus difficiles dans le Sahel par exemple
01:33:59 et qui risquaient de migrer parce qu'ils ne pouvaient pas se nourrir.
01:34:03 - Sylvie Brunel, tout le monde est d'accord pour dire que l'élevage pose un problème
01:34:08 vis-à-vis du réchauffement climatique.
01:34:10 - Non, non, non, ça dépend, ça dépend.
01:34:14 Ça dépend bien sûr, les vaches émettent du méthane, on est d'accord.
01:34:18 Mais si vous agrémentez leur alimentation avec des graines de lin, si vous les élevez à l'herbe,
01:34:23 si vous gérez les effluents avec la méthanisation, votre bilan non seulement devient positif,
01:34:28 mais surtout ça vous apporte un patrimoine de premier choix
01:34:32 parce que le patrimoine français, la gastronomie française,
01:34:35 elle est en grande partie fondée sur l'élevage et puis ça vous apporte surtout un aliment noble.
01:34:40 - Vous êtes d'accord Jean-Joseph ?
01:34:41 - Oui, sur le rôle de l'élevage qui est présenté quelquefois comme trop négatif, c'est vrai.
01:34:47 Oui, le rôle des prairies est très important, y compris les prairies naturelles.
01:34:51 Dans l'équilibre, c'est justement dans cet équilibre qu'on peut, je crois,
01:34:55 développer l'agriculture en France. Là-dessus, je suis assez d'accord.
01:34:59 Mais effectivement, le monde agricole, mais il le fait, doit reconnaître aussi,
01:35:04 quand je parle du monde agricole, pas de trop long, mais j'en suis issu, c'est mon monde,
01:35:10 je connais bien pour le dire.
01:35:12 Voilà, donc il y a effectivement, c'est comme beaucoup d'activités,
01:35:18 il y a une contribution au réchauffement climatique, il y a des conséquences,
01:35:21 et voilà, il faut s'adapter, mais il y a aussi des opportunités.
01:35:24 Je citerai simplement, il y a 15 jours, j'étais dans, je vais citer quand même,
01:35:28 c'est les poulets de Janzey, donc j'ai le droit.
01:35:30 Donc, on a inauguré 65 trackers, alors j'en ai eu qu'un,
01:35:36 mais enfin, vous voyez, ces trackers qui, disons, producteurs d'énergie solaire,
01:35:39 ça bouge les campagnes, et donc moi, je n'ai pas cette vision négative de nos campagnes.
01:35:44 Bon, moins, donc voilà, que Sylvie, là, je n'ai pas eu son nom.
01:35:47 - Mais une des raisons, une des raisons...
01:35:49 - Moi, je n'ai pas une vision négative, j'ai une vision très positive.
01:35:51 - Ah oui, vous...
01:35:52 - Moi, je les défends.
01:35:53 Non, mais ce que je veux dire, c'est que je trouve qu'on leur manque de respect.
01:35:56 - Non, mais on a bien compris.
01:35:58 - C'est ça, moi, je pense qu'on manque surtout de revenus.
01:36:00 La première chose, c'est le niveau de revenu pour la reconnaissance du travail,
01:36:04 c'est vraiment, effectivement, 70 ou 80 heures qu'un paysan travaille,
01:36:09 on ne peut pas dire le contraire, pratiquement, il travaille tout le temps, ces jours-là.
01:36:12 Donc voilà, il y a aussi un problème de revenus.
01:36:14 - On vous posera la question, Olivier Mabaud, qui est économiste,
01:36:17 pourquoi est-ce que les paysans gagnent aussi peu en tournure, enfin moins qu'avant ?
01:36:21 - Le problème, c'est que vous n'êtes pas payé par rapport à votre dignité,
01:36:25 parce que d'ailleurs, un emploi, ce n'est pas ce qui donne votre dignité,
01:36:28 vous n'êtes pas payé par rapport à votre utilité réelle,
01:36:30 vous êtes payé par rapport à la difficulté qu'on a à vous remplacer.
01:36:33 C'est ça, ce qui va déterminer un salaire.
01:36:35 Mais c'est un grand problème qu'on se pose depuis très longtemps.
01:36:37 Il y a plein de négociations avec la grande distribution, notamment.
01:36:40 Comment arriver à faire que la répartition de la valeur soit,
01:36:43 nous serait-ce que digne et normale ?
01:36:46 Parce qu'en effet, aujourd'hui, les agriculteurs sont la profession qui travaille le plus,
01:36:50 de toutes les professions, sans aucun...
01:36:53 La comparaison est terrible pour les autres.
01:36:56 Comment vous rentabilisez, vous donnez le salaire normal ?
01:37:00 - Les critiques auxquelles vous faites allusion, Sylvie Brunel,
01:37:03 portent essentiellement sur l'utilisation des pesticides.
01:37:05 - Oui, et de l'eau.
01:37:06 - Vous avez déjà en partie répondu, mais je voulais vous montrer
01:37:09 ce qu'on disait des pesticides déjà en 1973 à la télévision française.
01:37:13 Vous allez voir, c'est la même chose.
01:37:16 Ils tuent les insectes, ils éliminent les moisissures, ils détruisent les mauvaises herbes.
01:37:27 Ce sont bien les trois qualités des pesticides.
01:37:30 Ils sont également toxiques, dangereux à l'emploi et polluants pour la terre, l'eau et l'air.
01:37:34 Mais pour les agriculteurs, ce ne sont pas des raisons suffisantes
01:37:37 pour rejeter définitivement les DDT et ses congénères.
01:37:41 - Et ça, c'est attaqué par les verres ?
01:37:43 - Ah oui, c'est ça, c'est des trous de verre, c'est des galeries de verre.
01:37:46 - Parce que vous ne les aviez pas traités ?
01:37:48 - Pas du tout. Je pensais le vendre sans traitement.
01:37:51 J'ai aperçu que c'était impossible.
01:37:53 - Mais ça ne vous inquiète pas d'être obligé d'utiliser toujours des produits chimiques ?
01:37:57 - Si, un peu, mais c'est obligatoire pour nous si on veut vendre.
01:38:01 - Vous ne pouvez pas vous permettre de perdre une récolte en faisant une expérience ?
01:38:05 - Pas du tout, pas à l'heure actuelle, non, surtout pas.
01:38:08 Il y a deux ans, j'ai traité avec du Nexio, un produit qui est quand même moins fort.
01:38:12 J'ai perdu mon champ de poireaux.
01:38:14 - Lorsque vous mettez des produits chimiques comme le Parathion,
01:38:17 vous êtes obligé d'attendre combien de temps avant que de le vendre ?
01:38:19 - Ils disent 15 jours.
01:38:20 - 15 jours pour que ça disparaisse ?
01:38:22 - On peut voir le produit, ils disent 15 jours. J'ai attendu 3 semaines.
01:38:25 - Après, lorsque vous le vendez, ça ne risque plus rien, théoriquement ?
01:38:30 - D'après ce qu'ils disent.
01:38:31 Pour cet agriculteur, il n'y a pas d'autre moyen de lutter contre les parasites.
01:38:35 Il a essayé de s'en passer pour les choux et voilà le résultat.
01:38:38 Mais n'y a-t-il pas non plus des excès dans leur emploi ?
01:38:43 Les consommateurs sont perplexes.
01:38:45 Entre les résidus de pesticides qui restent dans les fruits et les légumes,
01:38:48 ceux que l'on retrouve dans la viande, et les insecticides ménagers,
01:38:51 ne finit-on pas par en absorber des doses excessives ?
01:38:54 - Vous voyez, Sylvie Brunel, ça ne date pas d'hier.
01:38:57 - Non mais attendez, justement, les gens ont gardé ça dans leur tête,
01:39:00 ils ont gardé cette idée-là,
01:39:02 qui est d'ailleurs, il faut bien le dire, encore la réalité dans les pays pauvres.
01:39:06 Vous voyez des gens épandre en Afrique, comme ça,
01:39:09 parce qu'il faut imaginer que ça, jamais un agriculteur ne le ferait aujourd'hui,
01:39:13 un agriculteur français ou un agriculteur d'un pays européen.
01:39:17 Déjà, juste quelque chose.
01:39:19 Dans les années 60, il y avait encore 4000 morts par an de contamination bactériologique.
01:39:24 Et ces contaminations bactériologiques,
01:39:26 on a appliqué des calendriers de traitement préventifs
01:39:29 parce qu'on les avait toujours présents à l'esprit.
01:39:31 Et elles pourraient revenir.
01:39:32 Alors aujourd'hui, ce qu'on demande aux agriculteurs,
01:39:35 c'est de traiter le moins possible.
01:39:37 Ça leur coûte cher, ça leur prend du temps,
01:39:39 ça demande aujourd'hui des méthodes extrêmement difficiles,
01:39:42 ce qu'on appelle le certificat d'emploi des produits phytosanitaires.
01:39:48 Beaucoup de molécules sont interdites.
01:39:50 On est passé, on a divisé par deux le nombre de produits,
01:39:53 enfin le volume de produits qui sont utilisés
01:39:56 alors qu'on est au premier rang pour la production agricole en Europe.
01:39:59 Et comme l'a dit Jean, on se réchauffe,
01:40:01 donc ça veut dire qu'on exacerbe la pression parasitaire.
01:40:04 Donc on a tous encore...
01:40:06 Pour vous...
01:40:07 Mais attendez, nous on est urbains,
01:40:08 donc on a encore cette vision qui était celle de nos parents ou de nos grands-parents.
01:40:11 Mais jamais aujourd'hui un agriculteur travaille comme ça,
01:40:13 il va se mettre en danger.
01:40:15 Le défi alimentaire sur lequel vous insistez,
01:40:18 il est compatible avec le défi environnemental,
01:40:21 avec le défi climatique et avec le défi sanitaire.
01:40:25 Parce que là aussi, on voit bien,
01:40:27 les consommateurs s'inquiétaient pour leur santé.
01:40:29 Et aujourd'hui encore, il y en a qui s'inquiètent pour leur santé.
01:40:31 En même temps, notre espérance de vie est quand même devenue la plus longue au monde.
01:40:35 Nous on est les enfants, on est infectés dans les chambres.
01:40:37 On a beaucoup de maladies chroniques, il y a l'obésité, tout ça, ça vient aussi.
01:40:42 On est d'accord que personne n'a envie d'utiliser des produits de traitement pour le plaisir.
01:40:48 Le problème c'est qu'on est avec la pandémie,
01:40:49 qu'on a mis au point des vaccins ARN en l'espace de quelques mois
01:40:52 et qu'on s'est presque tous fait vacciner.
01:40:54 Et que les médicaments pour les humains, c'est la même chose que les médicaments pour les plantes et pour les animaux.
01:40:59 C'est-à-dire qu'il faut faire face aux défis de pouvoir nourrir en toute sécurité une humanité
01:41:05 qui est quand même, je vous le rappelle Frédéric, de 8 milliards d'êtres humains
01:41:08 et qui seront 10 milliards probablement en 2050.
01:41:12 Ce sont des défis colossaux.
01:41:14 On a un autre visiteur du soir qui attend son tour et je lui demande de me pardonner.
01:41:20 C'est Olivier Blanc qui doit être avec nous, qui est conseiller régional délégué spécial à la santé
01:41:26 et à la lutte contre la pollution de l'air de la région Île-de-France, si je ne me trompe pas,
01:41:33 dont Valérie Pécresse est la présidente, et qui publie un plaidoyer pour une écologie de droite.
01:41:38 Alors est-ce que ça veut dire que c'est un logiciel qui manque à la droite, Olivier Blanc ?
01:41:43 En tout cas c'est quelque chose qui n'est pas perçu comme faisant partie du logiciel de la droite aujourd'hui.
01:41:50 Alors en fait il y a beaucoup d'acteurs de terrain, d'élus locaux comme moi qui s'emparent du sujet.
01:41:56 Il y a aussi une grande histoire en fait parce que le grenier de l'environnement c'est quand même Sarkozy,
01:42:01 l'inscription de l'environnement à la constitution c'est Jacques Chirac,
01:42:05 la première campagne d'économie d'énergie c'est Valérie Giscard d'Estaing,
01:42:10 le premier ministre de l'environnement c'est Pompidou,
01:42:13 donc on voit qu'il y a une longue histoire de la droite avec l'écologie,
01:42:16 mais c'est pas quelque chose qui est perçu comme tel.
01:42:20 Il y a d'une certaine manière, moi c'est ce que j'appelle une forme de kidnapping de l'écologie par la gauche,
01:42:26 et je le regrette parce que je pense que, évidemment, l'avenir de la planète a besoin de tout le monde,
01:42:33 que ce soit d'un côté ou de l'autre, de l'échec politique,
01:42:36 et puis surtout je pense qu'à droite on a une autre manière, une autre vision de l'écologie à partager,
01:42:43 et que cette vision de l'écologie, à mon sens en tout cas,
01:42:46 elle est plus efficace, plus pragmatique,
01:42:49 et elle permet de résoudre de manière plus forte les problèmes que les incantations et les accusations perpétuelles d'une autre partie de l'écologie.
01:43:01 Alors ce qui m'a intéressé dans votre livre, Olivier Blanc, c'est que vous dites que l'écologie s'est transformée en un siècle,
01:43:07 ça évidemment tout le monde le sait, mais vous dites que d'abord l'écologie a été une revendication urbaine,
01:43:13 on voulait un peu de jardin, de verdure, à la limite ça a dû commencer avec Haussmann, qui a fait de Paris une ville verte,
01:43:19 et puis deuxièmement il y a eu l'écologie des lanceurs d'alerte,
01:43:22 c'était justement le commandant Cousteau, René Dumont, qui disait "attention on n'aura plus d'eau",
01:43:28 et puis aujourd'hui dites-vous l'écologie est devenue industrielle,
01:43:32 elle exige une transformation radicale de la production, et on l'a bien vu, c'est ça effectivement qui préoccupe Jean Jouzel et d'autres.
01:43:40 C'est les trois stades, et aujourd'hui on en est là.
01:43:44 Alors c'est pas exactement ce que je dis, je dis qu'il y a trois grandes révolutions dans l'histoire de l'écologie,
01:43:50 il y a d'abord un rapport à la ville qui s'instaure,
01:43:54 il y a deux siècles on peut dire l'écologie romantique du 18ème siècle,
01:43:59 elle se positionne comme un rapport à la nature,
01:44:02 et à la différence d'aujourd'hui où l'écologie est devenue une écologie très urbaine,
01:44:07 on voit d'ailleurs que les scores de EELV, les parties écologistes sont très très très fortes dans les villes,
01:44:11 d'autant plus fortes qu'elles sont grandes,
01:44:13 et en fait ça a traduit une transformation de l'écologie par rapport à des questions du quotidien,
01:44:19 que par exemple la crise de la Covid a démasqué,
01:44:23 par exemple pendant le confinement les gens ont voulu bénéficier et profiter d'une absence de bruit,
01:44:33 d'une absence de pollution de l'air,
01:44:35 ils se sont rendu compte qu'ils avaient envie de retrouver la nature,
01:44:38 donc ça c'est l'écologie urbaine par opposition à ce qu'est l'écologie plus globale.
01:44:42 La deuxième transformation qui se passe à la charnière du siècle,
01:44:46 c'est que la fin du XXe siècle voit l'écologie des lanceurs d'alerte,
01:44:50 avec Greenpeace, Cousteau et d'autres grandes figures,
01:44:54 nous interpeller, notamment sur le changement climatique aussi évidemment.
01:44:59 Aujourd'hui finalement ces lanceurs d'alerte ont gagné,
01:45:03 il y a une énorme victoire de l'écologie puisqu'elle est présente maintenant dans à peu près tous les esprits,
01:45:08 il n'y a plus grand monde pour contester le danger du changement climatique,
01:45:13 en revanche ce qui est différent c'est que maintenant il faut trouver des solutions,
01:45:17 il faut les mettre en œuvre, il ne suffit plus de tirer l'alarme,
01:45:19 il faut se retrousser les manches et agir,
01:45:22 et ce n'est pas la même manière de faire de l'écologie,
01:45:24 ce n'est pas la même manière de la discuter et c'est très différent.
01:45:28 Et puis la troisième révolution,
01:45:31 c'est une révolution de l'écologie industrielle,
01:45:36 pendant très longtemps finalement il y avait cette idée que "small is beautiful",
01:45:41 que les petites actions individuelles allaient permettre de changer le monde,
01:45:45 et que c'était des exemples qu'il fallait suivre,
01:45:47 on voit bien que ce n'est pas comme ça qu'on va y arriver,
01:45:49 il faut démultiplier énormément,
01:45:51 l'enjeu aujourd'hui c'est ça, c'est de passer à l'échelle industrielle,
01:45:55 donc de changer non seulement la consommation je pense,
01:45:57 mais aussi la manière de produire,
01:45:59 que ce soit de produire dans le monde agricole,
01:46:01 que ce soit dans le monde industriel, que ce soit l'énergie,
01:46:03 que ce soit l'alimentation, etc.
01:46:05 Ce sont des défis industriels qui ne peuvent se mener qu'à cette échelle-là,
01:46:09 qui est celle des problèmes.
01:46:11 - Alors vu que le liner c'est ici, l'écologie était de droite,
01:46:13 je suis obligé de vous poser la question,
01:46:15 il y a une différence pour vous Jean Chouzel,
01:46:17 entre une écologie de gauche et une écologie de droite ?
01:46:19 - Pour avoir vécu le grenelle de l'environnement,
01:46:23 effectivement, moi c'est Nicolas Sarkozy qui l'a lancé,
01:46:26 il en reste beaucoup de traces,
01:46:29 mais mon regret c'est que c'était à l'ouverture d'un salon de l'agriculture,
01:46:33 c'est quand même, l'environnement ça suffit.
01:46:35 Je crois que si Nicolas Sarkozy avait conduit le grenelle de l'environnement jusqu'au bout,
01:46:41 jusqu'à son terme, il aurait pu se prévaloir d'un bilan,
01:46:44 ce qu'il n'a jamais fait d'ailleurs.
01:46:46 Donc c'est important, c'est vrai que Jacques Chirac a joué,
01:46:48 disons tout ce que dit Olivier Blond est tout à fait exact,
01:46:51 mais quand même c'est un peu le désert actuellement,
01:46:54 par rapport je dirais à Jacques Chirac ou à Nicolas Sarkozy, à droite,
01:46:58 quand on parle très peu d'écologie,
01:47:00 on ne peut pas ne pas, mais je connais aussi des écologistes de droite,
01:47:04 je peux citer des noms, je ne vais pas...
01:47:06 - Témi, mes questions, très vite.
01:47:07 - Moi j'ai du mal à me positionner là-dessus,
01:47:09 je pense qu'il y a une grande différence dans l'appréhension de l'écologie,
01:47:12 quand on vit dans une ville, quand on a un niveau de vie assez élevé,
01:47:15 qu'on vit au cœur des villes et qu'on a tous les atouts pour inventer un monde parfait,
01:47:19 et puis quand on vit dans les campagnes, les gilets jaunes, les agriculteurs,
01:47:23 qui eux sont confrontés au quotidien à des défis de la mobilité,
01:47:26 de la production, du pouvoir d'achat,
01:47:28 et que eux, leur écologie, c'est une écologie active, une écologie de travail,
01:47:32 une écologie du vivant au quotidien.
01:47:34 - Je vous remercie tous les cinq d'abord d'avoir été là,
01:47:39 et les deux autres d'avoir été en duplex avec nous,
01:47:45 merci pour cette première émission, on a essuyé les plâtres,
01:47:48 j'espère que je n'ai pas trop bafouillé.
01:47:51 Je vous donne rendez-vous demain soir pour la suite,
01:47:54 les visiteurs du soir, ça commence et c'est pas fini.
01:47:58 -Vous avez raison. -Vous avez raison.