Les visiteurs du soir du 29/04/2023

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Frédéric Taddeï et ses invités débattent des grandes questions du XXIe siècle dans les #VisiteursDuSoir

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00:00:00 - Oui peut-être, juste après peut-être.
00:00:02 - Les visiteurs du soir, c'est dans un instant, ils sont en train de discuter du titre autour de moi.
00:00:06 Mais d'abord le rappel des titres Isabelle Piboulot.
00:00:10 - Nantes et Toulouse s'affrontent ce soir au Stade de France,
00:00:16 une rencontre en présence d'Emmanuel Macron dans un contexte social tendu.
00:00:21 Le protocole de remise de trophées a été modifié,
00:00:24 il sera remis dans les tribunes et non sur le terrain avant le début du match.
00:00:28 Des cartons rouges et des sifflets ont été distribués aux spectateurs par des syndicats
00:00:33 avant d'être confisqués par des stadiers lors des contrôles d'entrée dans le stade.
00:00:38 L'émotion dans les Vosges, près de 600 personnes ont rendu hommage à la petite Rose
00:00:43 lors d'une marche dans les rues de Rambertvilliers.
00:00:46 En tête de cortège, l'entourage de la fillette de 5 ans portant un t-shirt à son effigie.
00:00:51 La famille a été suivie par de nombreux habitants, paré de vêtements et d'accessoires roses.
00:00:56 La petite fille a été tuée mardi.
00:00:58 Le principal suspect, âgé de 15 ans, a été placé en détention provisoire.
00:01:03 Et puis, 153 migrants se coururent en Méditerranée centrale.
00:01:07 Des opérations menées dans la zone de recherche maltaise par l'Ocean Viking.
00:01:12 Le navire ambulance a réalisé trois sauvetages en l'espace de 7 heures.
00:01:17 Selon l'Organisation internationale pour les migrations,
00:01:20 824 migrants ont disparu en Méditerranée depuis le début de l'année.
00:01:26 Bonsoir, bienvenue sur le plateau des visiteurs du soir.
00:01:42 Il est 22h, l'heure de se forger une opinion sur les sujets qui font l'actualité.
00:01:47 L'opération Wambushu à Mayotte, la laïcité ou la réécriture de l'histoire.
00:01:52 L'historienne Marion Poufari publie Robespierre, monstre ou héros.
00:01:57 On va voir avec elle à 23h30 comment selon les époques et les appartenances politiques,
00:02:02 Robespierre est décrit soit comme un monstre, soit comme un héros.
00:02:05 Il y aura également Yannick Bosque, l'auteur de Robespierre, la fabrication d'un mythe.
00:02:10 A 23h, on donnera la parole à Alain Policar,
00:02:13 dont la nomination par Papendiaille au Conseil des sages de la laïcité a créé la polémique.
00:02:18 Le philosophe Henri Pénarruiz, l'auteur du dictionnaire amoureux de la laïcité, est là également.
00:02:24 On va voir qu'il y a deux conceptions, au moins deux conceptions différentes de la laïcité qui s'opposent en France.
00:02:30 Aujourd'hui, on va voir pourquoi.
00:02:32 A 22h20, on s'intéressera à l'opération Wambushu qui se déroule en ce moment même à Mayotte.
00:02:37 Tani Mohamed Swaïli, sénateur Renaissance de Mayotte, nous rejoindra, il revient de là-bas.
00:02:43 Ainsi que l'ancienne ministre Dominique Voynet, qui a été directrice de l'Agence régionale de santé de Mayotte pendant la pandémie de Covid-19.
00:02:50 Et Fahad Hidaroussi, il est maorais et géographe.
00:02:54 Mais commençons tout de suite par votre livre, Alain Bauer.
00:02:57 Il s'intitule "Au commencement était la guerre".
00:03:00 La guerre a rythmé les relations humaines pendant des millénaires.
00:03:03 On a cru à plusieurs reprises au XXe siècle qu'elle allait ou qu'elle était en train de disparaître, notamment à la fin de la guerre froide.
00:03:11 Vous pensez qu'on a sous-estimé le risque qu'elle revienne et qu'on a eu tort ?
00:03:17 Et peut-être même, le sous-estime-t-on encore ?
00:03:20 Moi, je crois surtout qu'on a voulu croire que nos illusions pouvaient remplacer la réalité.
00:03:24 La guerre est un état permanent et la paix est une trêve provisoire.
00:03:29 Nous avons cru que c'était exactement l'inverse.
00:03:31 Nous avons inventé un concept qui s'appelait les dividendes de la paix,
00:03:34 où le moment après la chute du mur de Berlin, où il n'y aurait plus jamais de guerre.
00:03:40 Et pour la première fois, nous avons désarmé.
00:03:43 Nous avons fait l'inverse de civis pacem parabelum, si tu veux.
00:03:47 La paix prépare la guerre.
00:03:50 Là, on a fait l'inverse.
00:03:51 En préparant la paix, nous avons créé les conditions de la guerre,
00:03:56 parce que nous n'avons ni entendu, ni écouté, ni voulu reconnaître ce que c'était des éléments majeurs.
00:04:02 Le peuple, la nation, la frontière, la foi, la tribu.
00:04:06 Nous avons considéré que tout ceci avait disparu dans un espace de globalisation heureuse,
00:04:11 où des bisounours allaient pouvoir gentiment gambader,
00:04:14 dans un espèce de grand Erasmus géant,
00:04:17 où nous n'aurions plus ni alliés, ni ennemis, ni amis, ni adversaires,
00:04:21 mais juste des fournisseurs face à des consommateurs.
00:04:25 Et ces réalités-là n'existent pas.
00:04:27 C'est toujours bien d'avoir des valeurs et de vouloir construire des éléments
00:04:31 qui permettent de pacifier les relations, les relations humaines et les relations entre États.
00:04:35 Mais pour ce faire, on n'est pas obligé d'y aller les mains vides.
00:04:39 Tout le monde n'est pas le Mahatma Gandhi, et d'ailleurs, ça ne s'est pas bien terminé non plus pour lui.
00:04:43 Donc il y a eu un moment particulier où nous avons géré nos questions militaires,
00:04:49 nos questions stratégiques, nos questions de truvanté,
00:04:51 comme on a géré nos questions sanitaires, nos questions économiques,
00:04:54 nos questions sociales ou nos questions de services publics.
00:04:56 C'est-à-dire ?
00:04:57 C'est-à-dire qu'on a sous-traité, délocalisé, globalisé,
00:05:00 et considéré que tout ça coûtait trop cher, n'avait aucune importance,
00:05:03 car la loi, la main invisible du marché, allait tout résoudre dans la paix et le bonheur.
00:05:08 Or, le problème, c'est que l'élément le plus emblématique de ça,
00:05:12 qui est bien antérieur à la guerre d'Ukraine,
00:05:14 qui est la libéralisation économique de la Chine,
00:05:18 montre qu'on peut avoir le capitalisme sans la démocratie.
00:05:21 Alors que nous pensions que les deux devaient aller de pair,
00:05:24 en fait, ils ont fait la démonstration de l'inverse.
00:05:26 Ils ont inventé le communisme de marché,
00:05:28 un espace de plus en plus autoritaire, de plus en plus fermé,
00:05:31 qui est devenu l'usine du monde et qui a repris son espace.
00:05:34 Nous avons vécu le réveil des empires que nous avions tous cru disparus.
00:05:38 Il suffit de relire un bon vieux Malay-Isak des années 30-40,
00:05:42 les empires centraux, pour reprendre conscience de la réalité
00:05:46 des frontières naturelles, des frontières intellectuelles,
00:05:50 de la manière dont les peuples se vivent, s'imaginent.
00:05:53 Que ça soit vrai ou faux n'a plus aucune importance.
00:05:55 Ce qui est important, c'est que c'est comme ça qu'ils pensent le monde
00:05:58 et qu'ils l'imaginent. Ils ne sont pas auto-centrés.
00:06:00 Ils ne sont pas auto-centrés de la même manière que nous.
00:06:03 Et nous avons commis cette erreur, et nous la payons aujourd'hui
00:06:06 parce que le réveil est brutal, qu'il est d'autant plus brutal
00:06:09 que nous imaginions que la France avait une place à part.
00:06:12 Le général de Gaulle l'avait imaginé comme ça.
00:06:14 Il avait même réussi à faire croire à nous-mêmes et aux autres
00:06:18 qu'il y avait un message particulier, une posture particulière,
00:06:21 une capacité spécifique de la France à parler autant aux Chinois
00:06:24 qu'aux Russes, qu'aux Américains.
00:06:26 Ce qu'Emmanuel Macron voudrait prolonger aujourd'hui.
00:06:29 Il n'est pas le général de Gaulle qui veut, c'est le général de Gaulle qui peut.
00:06:32 Donc il y a toute une série d'éléments qui se sont ligués.
00:06:35 Le président Macron n'y est pas pour grand-chose en particulier.
00:06:38 Il hérite de choses qui se sont passées bien avant lui.
00:06:42 Et donc le livre avait à la fois une dimension historique,
00:06:45 remettre les choses en situation, une dimension de neutralité axiologique parfaite.
00:06:50 Je n'ai pas d'opinion. Je donne les éléments, y compris des éléments
00:06:54 qui sont des télégrammes diplomatiques déclassifiés,
00:06:57 qui montrent l'état réel de ce que pensaient les gens à l'époque.
00:07:00 Et pour la première fois, j'ai beaucoup dans ma vie commenté
00:07:03 ce que faisaient d'autres alors que je n'y étais pas.
00:07:05 J'y étais. J'étais conseiller de Michel Rocard,
00:07:08 petite main, il ne faut pas exagérer non plus.
00:07:10 Aujourd'hui je dis conseiller parce que c'est plus chic,
00:07:12 mais dans la réalité j'étais petite main, je facilitais la vie.
00:07:15 Et surtout j'étais en charge d'un secteur qui n'intéressait personne,
00:07:18 c'était les questions de sécurité. Ce n'est pas un truc vraiment de gauche.
00:07:21 - On parle de Matignon. - Oui, oui. Sauf Michel Rocard,
00:07:24 pour 88-91. Donc j'ai eu droit à la chute du mur, la guerre du Golfe,
00:07:27 le retour du terrorisme. Tout ça est tombé au milieu,
00:07:30 pas parce que j'étais le meilleur, j'étais à peu près le seul que ça intéressait.
00:07:34 Et Rocard lui-même, et donc je l'ai revécu.
00:07:36 Et je ne me suis pas plus rendu compte de ce que j'avais sous le nez
00:07:39 que ce dont je m'étonnais qu'il n'ait pas vu ce qui se passait
00:07:41 alors qu'il l'avait sous le nez.
00:07:43 - Certains l'ont vu puisque vous rappelez l'avertissement
00:07:46 du diplomate George Kinan en 1948, le père du "containment",
00:07:50 selon lequel aucun gouvernement russe n'accepterait jamais
00:07:54 l'indépendance de l'Ukraine. Un demi-siècle plus tard,
00:07:57 il mettait en garde contre l'expansion de l'OTAN vers l'Est.
00:08:00 D'ailleurs, on pourrait dire la même chose, et certains le disent,
00:08:05 sur la Chine et Taïwan, que la Chine n'acceptera jamais
00:08:09 une indépendance éternelle de Taïwan.
00:08:12 Mais qu'est-ce que ça faudrait dire ?
00:08:14 Si on avait écouté George Kinan, qu'est-ce qu'on aurait fait
00:08:17 ou qu'est-ce qu'on n'aurait pas fait ?
00:08:18 - D'abord, on ne l'a pas écouté, donc ça a résolu le problème.
00:08:20 Et deuxièmement, c'est moins George Kinan qui était plutôt lucide
00:08:23 qu'une sorte d'apprenti sorcier génial qui s'appelait Zbigniew Brzezinski,
00:08:28 d'origine polonaise, réfugié aux États-Unis,
00:08:31 qui a été le plus long conseiller de tous les présidents démocrates
00:08:34 et de quelques présidents républicains, très respectés dans son genre,
00:08:37 et qui lui avait compris deux choses.
00:08:39 Il détestait l'URSS, mais il adorait la Russie.
00:08:42 C'est très paradoxal, mais c'est comme ça.
00:08:44 Et donc l'URSS, pour lui, était un monstre à abattre,
00:08:47 et pour ce faire, il a saisi une opportunité
00:08:49 qui a été la guerre d'Afghanistan.
00:08:50 Il est à l'origine du djihad afghan, de la création du djihad afghan,
00:08:54 de l'effondrement de l'URSS, de l'armée rouge face au djihad afghan,
00:08:59 de la création des talibans, tout cet espace,
00:09:02 de la création de ce qu'allait devenir le bureau des services
00:09:04 et ensuite, ce qu'on croit devoir appeler Al-Qaïda,
00:09:06 le Front international islamique pour le djihad contre les Juifs et les croisés.
00:09:10 Je dis le vrai nom parce que c'est moins commercial,
00:09:13 mais c'est plus précis et plus éclairant aussi sur la nature de l'outil.
00:09:16 Il faut toujours aller aux sources.
00:09:18 L'école des analyses, c'est quand même un vrai sujet.
00:09:20 Et puis, il s'est rendu compte que l'Ukraine et la Russie étaient un empire
00:09:25 et que le seul empire devait être l'empire américain.
00:09:27 Il le dit, il l'écrit, il le proclame, c'est pas du tout secret
00:09:31 et il veut absolument déconnecter l'Ukraine de la Russie
00:09:37 et donc, il va créer les conditions pour que les États-Unis
00:09:43 arrivent à faire en sorte qu'il se produise quelque chose
00:09:47 pour libérer les peuples non-slavo-orthodoxes.
00:09:51 Il a une logique très précise de ce qu'il veut faire.
00:09:54 Choc des civilisations déjà.
00:09:56 Moi, je n'ai jamais cru à ça.
00:09:57 Je pense que les civilisations ne s'entrechoquent pas, elles coopèrent.
00:10:00 Par contre, il peut y avoir des batailles hors civilisation
00:10:03 ou quand on est justement dans cet espace rugueux de reconstruction des frontières.
00:10:07 Et l'élément majeur de ce qui va se produire,
00:10:10 c'est qu'effectivement, l'URSS va s'effondrer,
00:10:12 que la communauté des États indépendants va se mettre en place
00:10:14 et à ce moment-là, pendant dix ans, les Occidentaux vont essayer de sauver la Russie.
00:10:18 Pas de la détruire, de la sauver à bout de bras.
00:10:21 Ils vont essayer par tous les moyens possibles d'éviter l'extension de l'OTAN.
00:10:25 Ils vont promettre qu'on n'allait pas avancer
00:10:28 et il est même prévu, Genscher, ministre allemand libéral,
00:10:33 fait un meeting à Tuzing pour dire
00:10:37 "Nous sommes prêts à la neutralité absolue de l'Allemagne fédérale
00:10:40 en échange de sa réunification".
00:10:43 Le président Mitterrand va voir Gorbatchev et lui dit
00:10:46 "Chers amis, j'ai une idée, on va dissoudre l'Alliance Atlantique,
00:10:49 on va dissoudre le pacte de Varsovie et on va faire un truc à nous.
00:10:52 Parce que c'est le moment de casser les moules anciens".
00:10:55 Et malheureusement, la Russie est trop faible.
00:10:57 Elle est soumise à des mouvements extraordinairement brutaux.
00:11:01 L'économie de marché est quelque chose que tu ne peux pas appliquer brutalement
00:11:05 à une économie soviétisée, en plus affaiblie par la guerre des étoiles.
00:11:08 Et au bout de dix ans, ils vont dire "Bon, on a compris,
00:11:11 en fait on ne peut pas sauver ce qu'on imaginait être un accord russe".
00:11:15 L'homme de l'Ouest à l'époque s'appelle Vladimir Poutine.
00:11:18 C'est l'homme qui règle tous les problèmes,
00:11:20 c'est l'homme qui fait venir les agents de la CIA dans les silos nucléaires soviétiques
00:11:23 pour montrer qu'on est bien en train de désarmer.
00:11:26 On est dans un processus.
00:11:28 Il y a un homme qui va tout comprendre, qui est Evgeny Primakov,
00:11:32 un Russe né à Kiev, Premier ministre de Helsine,
00:11:36 ministre des Affaires étrangères, Premier ministre,
00:11:39 qui comprend qu'il se passe quelque chose au moment où il y a la guerre en ex-Yougoslavie
00:11:43 et où il y a le conflit entre la Serbie et le Kosovo.
00:11:46 À l'intérieur de la Serbie, entre les populations musulmanes
00:11:49 et les populations orthodoxes, mais aussi les populations catholiques.
00:11:52 C'est un sujet de guerre de religion à peu près classique.
00:11:55 On a ouvert le congélateur tout à fondu, ils ont recommencé comme si de rien n'était.
00:11:59 Mais au moment où il a un plan de paix, il découvre dans l'avion, pour New York,
00:12:03 que l'Alliance Atlantique, l'OTAN, a décidé d'intervenir militairement en Serbie
00:12:08 et de la bombarder pendant trois mois.
00:12:11 Il fait demi-tour, il rentre à Moscou, il sort de l'avion et il dit
00:12:15 « Pendant des années, nous avions cru qu'ils étaient les gentils et que nous étions les méchants.
00:12:19 Nous avons tort, ce sont les mêmes.
00:12:22 Désormais, la ligne rouge est franchie, c'est clair.
00:12:25 Ukraine, Géorgie, Kaliningrad, pas touche. »
00:12:29 Tout le reste, on peut discuter, la Hongrie, la Tchéquie, la Slovaquie,
00:12:32 même les Pays-Bas, pourquoi pas, mais attention, cet élément-là est un…
00:12:36 Et pendant 20 ans, les Russes vont répéter sur tous les tons, le chanter, le crier,
00:12:40 l'annoncer, le proclamer, jusqu'à la conférence de Munich,
00:12:44 où Vladimir Poutine arrive et donne quasiment une baffe à Mme Merkel,
00:12:49 qui prend le discours de Munich qui est d'une extraordinaire brutalité, froideur.
00:12:54 Vladimir Poutine, moi j'étais à Munich un peu plus loin, dit
00:12:57 « Avant que vous me coupiez la parole, je voudrais vous dire,
00:13:01 au président de la conférence de Munich, je voudrais vous dire que ça va très mal se passer. »
00:13:04 Donc c'était une conférence diplomatique, tout ça se passe d'habitude bien.
00:13:08 L'année après, il va à Bucarest et il dit à l'Alliance atlantique
00:13:11 « Chers amis, l'Ukraine et la Géorgie, non. »
00:13:15 Et le 23ème point du communiqué, alors que les Français et les Allemands
00:13:19 sont persuadés que la question vient d'être évacuée jusqu'à plus tard,
00:13:22 c'est « Bon, ben pas tout de suite, mais plus tard. »
00:13:25 Ce qui est la pire des solutions, ça veut dire à Poutine « T'es venu,
00:13:28 on a fait comme si tu nous avais rien dit et on ne croit pas. »
00:13:31 Ça veut dire aux membres de l'Union Atlantique, de l'Alliance, qui disent
00:13:34 « Attention les gars, on ne va pas aller trop vite parce que là, visiblement, ça va chauffer. »
00:13:37 Et en fait, à un moment donné, la pulsion est tellement forte
00:13:41 d'aller encore un peu plus loin qu'on crée les conditions de…
00:13:45 Alors ça n'excuse rien de l'agresseur qui est Poutine, c'est lui l'agresseur.
00:13:49 Les Ukrainiens sont les agressés.
00:13:51 Mais l'histoire mérite d'être contée dans sa continuité.
00:13:54 Alain Bauer, est-ce que ça veut dire qu'il ne fallait pas faire la promotion
00:13:58 de la démocratie en Moldavie, en Ukraine et en Georgie ?
00:14:02 Parce que dès l'instant où on fait la promotion de la démocratie,
00:14:04 on les invite aussi à s'émanciper du grand frère russe qui…
00:14:10 Mais il y a une différence entre faire une promotion de la démocratie,
00:14:12 des libertés et du libre…
00:14:14 On prend le risque qu'ils veuillent aller à l'OTAN.
00:14:17 Non, parce que le risque à l'époque n'était pas qu'ils aillent vers l'Alliance Atlantique,
00:14:20 c'était qu'ils aillent vers l'Union Européenne.
00:14:22 Or, les Russes étaient d'accord. Ils étaient même favorables.
00:14:25 Les deux côtés étaient favorables, une sorte de…
00:14:27 Alors, c'est pas la même, je précise bien. Le mot, c'est comme laïcité.
00:14:30 Le mot semble dire la même chose, mais dedans, c'est pas exactement la même chose.
00:14:35 Mais il faut bien se rappeler qu'il y avait des opportunités.
00:14:37 D'ailleurs, John Major, vous l'avez dans les télégrammes diplomatiques déclassifiés.
00:14:41 François Mitterrand, vous l'avez dans les télégrammes diplomatiques.
00:14:43 Même les Américains disent « Non, mais quand même, faudrait qu'on étudie cette possibilité. »
00:14:47 Parce qu'il y a peut-être une…
00:14:48 Mais en fait, c'est l'effondrement de la Russie sur elle-même qui pose le problème majeur.
00:14:53 Et comme vous le constatez, vous avez parlé de la Moldavie.
00:14:55 La Moldavie, c'est 93-94. C'est avant que quoi que ce soit ne se passe.
00:14:59 C'est le premier signal qu'il y a des irréductibles à l'intérieur de la Russie ex-soviétique
00:15:04 qui ne laisseront pas la Moldavie côté roumain se séparer.
00:15:10 Enfin, qui laisseront la Moldavie côté roumain se rapprocher de l'Ouest,
00:15:13 mais qui ne laisseront pas l'autre morceau.
00:15:15 Parce que quand vous regardez la composition des populations,
00:15:17 ce ne sont pas les mêmes. Ils n'ont pas les mêmes origines.
00:15:19 Ils n'ont pas la même langue. Ils n'ont pas la même culture.
00:15:22 Ils n'ont pas les mêmes pratiques religieuses.
00:15:24 Et donc, vous vous rendez assez bien compte qu'on est un peu comme ceux qui ont voté
00:15:27 la constitution civile du clergé et ceux qui ne l'ont pas voté en Vendée.
00:15:30 Pendant des dizaines d'années, on pouvait prédire les résultats des élections.
00:15:33 Les bleus, les rouges, les blancs, les bleus, on savait ce qu'il allait se passer
00:15:36 avant que l'urbanisation, l'effondrement des campagnes amènent des modifications plus substantielles.
00:15:42 C'est la même chose en Ukraine. En Ukraine, on savait le résultat des élections.
00:15:45 Il y avait une ligne, les bleus d'un côté, les rouges de l'autre,
00:15:47 ou les oranges d'un côté, les rouges de l'autre, jusqu'à Zelensky.
00:15:51 Zelensky réussit à être élu partout. Et c'est le bouleversement total de cette affaire.
00:15:56 Pour les Russes, on leur a volé l'Ukraine. Pour les Ukrainiens, ils ont décidé d'être indépendants
00:16:01 et de se séparer. Et puis, à un moment, cette séparation, elle ne va pas seulement vers l'Union européenne,
00:16:06 mais comme ils sentent le raidissement russe, ils vont vers l'Alliance atlantique.
00:16:10 Et ça déclenche ce mouvement terrible qu'ont été les opérations de 2008 en Géorgie,
00:16:16 de 2014 en Ukraine, car la guerre d'Ukraine n'a pas un an, elle en a neuf.
00:16:20 Et la Géorgie était un avertissement.
00:16:23 Un avertissement, c'est un aide qui a été résolu d'ailleurs.
00:16:26 Moi, j'ai beaucoup travaillé avec Nicolas Sarkozy à l'époque, par son interposition personnelle
00:16:30 pour arrêter ce qu'était une vraie invasion et le dernier avertissement russe
00:16:37 avec une intervention militaire très puissante.
00:16:40 C'est Nicolas Sarkozy qui est allé voir Poutine.
00:16:42 Et qui a arrêté l'invasion russe.
00:16:44 Mais ça ne nous dit pas ce qu'il fallait faire d'autre.
00:16:47 C'est-à-dire qu'à partir du moment où les Ukrainiens, comme vous le dites,
00:16:50 tout à coup forment nation autour de Zelensky et donc s'émancipent des Russes,
00:16:56 à partir de ce moment-là, qu'est-ce qu'on fait ?
00:16:58 Il y avait deux accords, les accords de Minsk 1 et Minsk 2.
00:17:01 Personne ne les a mis en œuvre.
00:17:02 Il y avait une dernière chance diplomatique.
00:17:04 Une dernière chance.
00:17:05 Et puis il y a eu un deuxième événement.
00:17:06 En 2000, quand l'Ukraine devient indépendante, c'est la troisième puissance nucléaire du monde.
00:17:12 Troisième.
00:17:13 Ils désarment.
00:17:14 Non, ils rendent leurs armes.
00:17:15 En échange de ?
00:17:17 De l'indépendance.
00:17:18 Non, d'un mémorandum qui précise, signé par la Russie, la Grande-Bretagne et les États-Unis,
00:17:24 que l'intégrité territoriale, souveraine, absolue, totale, crime inclus,
00:17:30 sera garantie par les trois puissances signataires.
00:17:33 Les Américains ont eu l'opportunité en 2014 d'intervenir, même symboliquement,
00:17:41 pour faire en sorte que les Russes s'arrêtent.
00:17:44 Le problème, c'est qu'ils ne parlent pas le russe militaire.
00:17:49 Pour nous, on monte gentiment vers la conflagration en espérant, à chaque étape,
00:17:56 que ça va s'arrêter parce qu'en face, ils comprennent qu'on ne veut pas augmenter la pression.
00:18:02 Les Russes pratiquent l'escalade par la désescalade.
00:18:05 C'est-à-dire qu'on commence par taper très fort, puis ensuite on redescend gentiment,
00:18:09 et à un niveau on se met d'accord.
00:18:11 Nous fonctionnons à l'envers.
00:18:12 À un moment, ça s'équilibre, mais durant la période d'équilibrage,
00:18:16 il se passe la guerre, le conflit, l'incompréhension, l'incertitude.
00:18:21 Bref, ce qu'on est en train de voir.
00:18:23 Et ça, c'est le drame de la non-intervention des deux puissances occidentales signataires
00:18:27 qui garantissaient l'intégrité souveraine de l'Ukraine et qui n'ont rien fait en 2014.
00:18:32 Donc ça, c'est quelque chose qu'on aurait pu faire.
00:18:34 Le deuxième élément, c'est quand Joe Biden, le président des États-Unis,
00:18:39 dit "je n'enverrai pas un soldat à Kiev pour Vladimir Poutine",
00:18:42 ça veut dire "vas-y mon gars".
00:18:44 Ça ne veut pas dire "désescalade", ça veut dire "ah bon, c'est ouvert, feu vert",
00:18:48 comme l'affaire du Koweït avec l'ambassadrice américaine
00:18:51 qui n'avait pas très bien compris ce que lui disait Saddam Hussein.
00:18:54 Donc on a quand même beaucoup d'incompréhension et de problèmes,
00:18:56 non pas de traduction, mais d'interprétariat.
00:18:59 Ça s'appelle "Au commencement était la guerre", c'est le nouveau livre d'Alain Bauer.
00:19:04 On fait une pause, c'est le rappel des titres,
00:19:06 et on va s'intéresser à ce qui se passe à Mayotte.
00:19:09 La violence et l'insécurité ont considérablement augmenté à Mayotte,
00:19:17 le 101ème département français depuis une dizaine d'années.
00:19:21 C'est aussi le plus pauvre département de France.
00:19:24 Alors l'opération Wambushu déclenchée par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin,
00:19:29 est largement approuvée par les Mahorais.
00:19:32 Les trois quarts y sont favorables d'après un sondage.
00:19:35 Mais peut-elle régler le problème ?
00:19:37 Tani Mohamed Soali, vous êtes sénateur Renaissance de Mayotte, vous revenez de là-bas.
00:19:43 Dominique Voynet est avec nous par Skype, ancienne ministre.
00:19:48 Vous avez été directrice de l'Agence régionale de santé de Mayotte
00:19:52 pendant la pandémie de Covid-19.
00:19:55 Il est avec nous également Fahad Hidaroussi, vous êtes docteur en géographie,
00:19:59 chercheur associé au LAGAM à Montpellier.
00:20:02 Votre thèse porte sur les migrants comme en rien dans les bidonvilles de Mayotte.
00:20:06 Je précise que vous êtes Mahorais et que vous retournez régulièrement à Mayotte où vit votre famille.
00:20:12 Alors je commence par vous sénateur, mais je vais poser la question à eux deux également.
00:20:17 Est-ce que l'opération Wambushu est la solution du problème à votre avis ?
00:20:22 L'opération Wambushu est le début de la solution du problème.
00:20:26 Mayotte qui a choisi la France, qui a choisi de rester française depuis des années, depuis 1841,
00:20:35 vit comme vous l'avez rappelé depuis maintenant deux décennies
00:20:40 sous une pression migratoire insensée, incontrôlée,
00:20:45 depuis maintenant deux, trois années sous une violence qui n'est pas une personne,
00:20:52 qui mutile, qui tue, qui brûle les maisons, qui brûle les entreprises.
00:20:59 Et les Mahorais sont plus qu'excédés.
00:21:02 Cette opération a été demandée par les Mahorais et les Mahorais.
00:21:06 Alors 75% de celles et ceux qui l'approuvent, ce ne sont pas les Mahorais,
00:21:10 ce sont les Français en général, selon un sondage qui est sorti aujourd'hui.
00:21:14 Les Mahorais c'est une quasi unanimité.
00:21:16 Et en quoi va consister cette opération Wambushu,
00:21:20 qui est une expression imagée mais qui peut se résumer en reprise,
00:21:25 c'est-à-dire de façon imagée, vous avez osé prendre nos terres,
00:21:30 vous avez osé nous agresser, vous avez osé nous faire cela,
00:21:34 eh bien nous, nous allons reprendre les choses à main,
00:21:37 nous allons restaurer l'ordre républicain.
00:21:41 Cette opération que les élus de Mayotte à l'unanimité ont demandé aux ministres de l'Intérieur
00:21:48 est pour obtenir cela et pour que nous soyons enfin maîtres de notre territoire
00:21:54 face à des citoyens provenant d'un autre territoire qui a rejeté la France dans les années 70.
00:22:02 Alors même question Dominique Vouenet, même réponse un peu courte
00:22:06 parce qu'il va y avoir un rappel des titres mais on aura le temps de développer après.
00:22:09 Pour vous c'est la solution ?
00:22:12 Non bien sûr, ce n'est pas la solution.
00:22:15 Je suis un peu triste d'entendre Tani, qui est mon ami, avec lequel j'ai beaucoup discuté,
00:22:19 avec lequel nous avons partagé un même idéal pour Mayotte, se rallier à cette hypothèse.
00:22:25 Bien sûr la situation actuelle est infernale, mais l'amalgame,
00:22:29 comme si tous les Comoriens posaient problème à la France,
00:22:32 comme si tous étaient venus pour…
00:22:35 Vous qui faites l'amalgame, ce n'est pas moi.
00:22:37 … la France me pose évidemment énormément de problèmes
00:22:39 parce que je crois que la grande majorité des personnes qui fuient aujourd'hui la misère aux Comores,
00:22:44 qui espèrent un meilleur avenir pour leurs enfants,
00:22:47 espèrent aussi la paix civile, sont aussi des victimes du désordre.
00:22:51 Un désordre qui est d'abord lié au retard d'équipement de Mayotte,
00:22:55 à la pression démographique qui est considérable sur un territoire tout petit,
00:22:59 avec un lagon fragile, avec une bande littorale qui est effectivement saturée,
00:23:03 avec peut-être un défaut depuis très longtemps de dialogue entre le gouvernement Comorien,
00:23:09 qui présente beaucoup de faiblesse, et le gouvernement français,
00:23:13 qui a longtemps peiné à s'emparer du dossier de Mayotte.
00:23:16 La France est présente depuis pratiquement deux siècles dans le canal du Mozambique,
00:23:21 et ça fait peut-être seulement une quinzaine d'années qu'elle s'est rendue compte de la nécessité
00:23:26 de hisser le niveau de jeu à Mayotte, de rattraper le retard d'équipement
00:23:30 et de donner leur chance aux Mahorais.
00:23:32 Fahad Hidaroussi, pour vous, est-ce que c'est la solution ?
00:23:36 Je rappelle que vous êtes Mahorais vous-même.
00:23:41 Oui, bonsoir. En effet, en fait, ça peut être… Est-ce que vous m'entendez ?
00:23:45 Allo ?
00:23:48 Vous m'entendez bien, Fahad ?
00:23:51 Oui, je vous entends très bien, mais est-ce que vous, de votre côté…
00:23:53 Oui, oui, on vous entend très bien, allez-y.
00:23:55 Il vous reste 40 secondes avant le rappel des titres.
00:24:00 D'accord, en fait, ça peut être une solution si l'on s'attaque aux vraies causes profondes
00:24:05 des problèmes qui sont à Mayotte.
00:24:07 C'est-à-dire la question… En plus de la question de l'insécurité,
00:24:11 en fait, la question du sous-développement de Mayotte,
00:24:14 la question de la santé, l'éducation, etc.
00:24:17 En fait, donc, l'idéal, en fait, pour que cette opération soit une solution,
00:24:22 c'est s'attaquer aux vrais problèmes, en fait.
00:24:25 On fait le rappel des titres et on y revient juste après.
00:24:34 À Paris, trois hommes sont en fuite après le braquage d'une bijouterie Place Vendôme.
00:24:39 Vers 13h45, trois individus sur deux motos se sont présentés à la joaillerie de Lux Bulgari.
00:24:46 Deux d'entre eux étaient porteurs d'armes longues.
00:24:49 Une enquête de flagrance pour vol à main armée en bande organisée a été ouverte.
00:24:53 Le préjudice est estimé à plusieurs millions d'euros.
00:24:56 Des milliers de personnes ont manifesté dans les grandes villes du pays
00:25:00 contre la loi immigration portée par Gérald Darmanin
00:25:03 contre l'opération au sécuritaire Wambushu à Mayotte.
00:25:06 Des rassemblements à Paris, Rennes ou encore Marseille.
00:25:09 Certains manifestants ont dénoncé une loi raciste indigne d'un pays comme la France.
00:25:15 À Sébastopol en Crimée, un gigantesque incendie s'est déclaré dans un dépôt de pétrole.
00:25:20 Le feu a été provoqué par une attaque de drone.
00:25:23 Aucune victime n'est à déplorer.
00:25:25 Si Kiev n'a pas revendiqué l'attaque, l'incendie a eu lieu alors que la veille,
00:25:30 l'Ukraine s'est dite prête à lancer son offensive de printemps contre les forces russes.
00:25:35 Si je vous pose la question de savoir si cette opération peut régler le problème,
00:25:41 c'est parce qu'il y en a déjà eu une en 2019, l'opération Shikanda.
00:25:45 On a détruit des bidonvilles à Mayotte, on a expulsé des immigrés illégaux par milliers.
00:25:51 Quatre ans plus tard, les choses ont empiré, vous le dites vous-même, les Mahorais le disent eux-mêmes.
00:25:57 Alors, cette opération Bouchou a des ressemblances avec l'opération Shikanda, mais va plus loin.
00:26:06 D'abord, moi je ne fais pas d'amalgame.
00:26:08 J'ai parlé des Mahorais qui sont victimes au quotidien d'un certain nombre de fléaux.
00:26:14 Et il faut sortir de ce cercle vicieux.
00:26:17 D'ailleurs, ceux qui disent que ça ne va rien changer ne proposent rien d'autre.
00:26:24 Si vous voulez, ça fait depuis trop longtemps que Mayotte s'est sacrifiée.
00:26:28 À chaque fois, on trouve des excuses au pouvoir comorien,
00:26:32 on trouve des excuses à ceux qui construisent de façon illégale,
00:26:36 on trouve des excuses à ceux qui tuent et qui mutilent.
00:26:39 Et en fait, les pauvres Mahorais, on doit rester tranquillement dans notre coin et attendre notre tour.
00:26:44 Et au lieu de cela, en fait, la situation empire au jour le jour et de façon continue.
00:26:53 Cette opération est là au moins trois objectifs.
00:26:58 Effectivement, reconduire massivement des clandestins au retour de leur pays.
00:27:06 Quand je dis massivement, je ne sais pas si vous le savez,
00:27:10 mais l'année dernière, par exemple, 60% des reconduites à la frontière de la France se sont faites à partir de Mayotte.
00:27:16 Chaque année, c'est 20 000, 25 000 jusqu'à 30 000 reconduites à la frontière.
00:27:22 Donc, comme ça ne suffit pas parce que la cause, c'est que ces taudis,
00:27:29 ces bidonvilles sont de vrais nids à personnes en situation irrégulière qui partent d'ici,
00:27:37 qui restent ici pour survivre et d'autres pour commettre des infractions.
00:27:45 Si nous détruisons ces bidonvilles, il n'y aura plus de prétexte,
00:27:50 il n'y aura plus d'endroit pour venir se loger.
00:27:54 Mais on les a déjà détruits.
00:27:56 Non, on n'a pas détruit, on a détruit à peine 1 700, 2 000 bidonvilles depuis 2017.
00:28:03 En réalité, ce n'est que depuis 2017, suite à nos travaux au Sénat,
00:28:08 où nous avons demandé une procédure rapide administrative de construction d'habitats illégals,
00:28:13 que les destructions de bidonvilles ont commencé depuis 2017.
00:28:17 Elles ont été suspendues pendant le Covid et il y a à peine 2 000 au jour d'aujourd'hui.
00:28:23 Mayotte, c'est le plus grand bidonville d'Europe.
00:28:26 Il y en a des milliers, vous les voyez partout quand vous venez à Mamoudzou
00:28:29 et partout dans d'autres communes de Mayotte.
00:28:32 Donc, justement, par rapport à Shikanda, il faut aller plus loin.
00:28:36 Il faut tout éradiquer.
00:28:39 Moi, quand j'entends Dominique Voynet, que je rassure, nous restons amis,
00:28:44 je veux dire qu'il n'y a pas que des étrangers qui commettent des infractions,
00:28:51 mais je n'ai jamais dit le contraire.
00:28:53 Sauf que la plupart des étrangers en situation irrégulière à Mayotte
00:28:58 sont là précisément de façon illégale.
00:29:01 Donc, même s'il n'y avait qu'un pour cent de personnes en situation irrégulière
00:29:05 qui commettaient des infractions, c'est un pour cent de trop.
00:29:09 Donc, dès le départ, ces personnes n'ont pas le droit d'être sur le territoire.
00:29:14 Ensuite, autre objectif de cette opération, justement, lutter contre cette criminalité.
00:29:22 Des maorais sont tués régulièrement pendant la phase Covid.
00:29:26 Nous étions la région européenne la plus criminogène,
00:29:30 c'est-à-dire sur 100 000 habitants,
00:29:33 nous étions la région qui avait le plus de tués dans l'année.
00:29:36 Est-ce que vous trouvez ça normal, surtout lorsque vous savez que la plupart,
00:29:42 enfin beaucoup de ces infractions sont commises par des personnes
00:29:46 qui n'ont pas à être sur le territoire ?
00:29:48 Aujourd'hui, les chiffres disent quoi ?
00:29:50 Les chiffres, par exemple, des personnes qui sont en prison, c'est 50/50.
00:29:56 Est-ce que n'importe quel autre territoire de la France accepterait qu'on lui dise
00:30:03 "Eh bien non, ce n'est pas grave parce que dans vos prisons,
00:30:06 il n'y a que 50% de criminels, de délinquants qui sont enfermés" ?
00:30:10 Vraiment, c'est cette banalisation de l'immigration clandestine,
00:30:15 alors qu'elle est insensée, cette banalisation de l'agression des maorais
00:30:21 qui est insupportable et à laquelle il faut mettre fin.
00:30:24 Dominique Voynet.
00:30:26 Je pense que tous les arguments de Tani Mouhamed Soali peuvent être retournés.
00:30:32 Admettre effectivement que l'opération Shikanda n'a juste rien changé,
00:30:37 qu'on a raccompagné à la frontière des milliers de personnes
00:30:40 qui sont revenues très rapidement, qui se sont réinstallées,
00:30:43 qu'on a rien changé quant aux racines des difficultés vécues par les maorais
00:30:47 qui sont très réelles et que Tani décrit fort bien, voilà qui m'inquiète un peu.
00:30:54 Dans l'hypothèse où je considérerais que l'opération est légitime et éthiquement acceptable,
00:31:00 ce qui n'est pas le cas, moi je vous pose la question,
00:31:03 qui est-ce qu'on a arrêté lors de l'opération Shikanda ?
00:31:06 Est-ce qu'on a opéré les bandes délinquantes maoraises ou comoriennes ?
00:31:09 Bien sûr que non, ces personnes étant absolument informées
00:31:14 de la présence intense de forces de l'ordre et de la perspective de destruction des bidonvilles,
00:31:19 se sont dispersées dans la nature, dans la montagne,
00:31:22 ont parfois été hébergées chez des proches, y compris maorais,
00:31:26 ont pu mettre à l'abri leur bien et on a trouvé lors de l'opération Shikanda
00:31:30 essentiellement des femmes seules avec des enfants, des personnes âgées, des personnes handicapées
00:31:34 qu'on a renvoyées au comore et dont beaucoup sont revenus.
00:31:37 Tani nous dit aussi à la prison de Majikavo,
00:31:42 il y a à peu près la moitié d'étrangers et dont beaucoup sont en situation irrégulière, c'est vrai,
00:31:47 mais ça veut dire aussi qu'il reste, c'est normal,
00:31:50 la moitié de la population maoraise est comorienne,
00:31:53 en situation irrégulière pour beaucoup, mais pas toujours,
00:31:56 certains sont en situation régulière,
00:31:59 donc ça veut dire que la délinquance est légalement partagée entre maorais et comoriens
00:32:03 et que c'est aux racines de la délinquance et aux racines de l'extrême pauvreté qu'il faut s'attaquer.
00:32:09 Moi je ne défends pas du tout le gouvernement comorien,
00:32:11 on a essayé depuis très longtemps de discuter avec eux,
00:32:13 on sait que pour réussir une opération de reconduite à la frontière,
00:32:17 on doit prévoir des opérations de co-développement très importantes
00:32:23 pour permettre au gouvernement comorien d'accueillir ses ressortissants,
00:32:26 ce qui n'est pas le cas à Anjoua aujourd'hui qui est une île misérable,
00:32:29 pour permettre aussi de développer des projets d'insertion économique,
00:32:32 des projets de formation professionnelle, des écoles, des centres de santé
00:32:36 qui vont permettre à ces populations d'espérer construire une vie à Anjoua.
00:32:40 Ceux qui ont construit leur vie à Mayotte depuis parfois des années
00:32:44 feront évidemment tout ce qui est en leur pouvoir, y compris risquer leur vie sur l'équassa pour revenir.
00:32:50 Moi ce que je constate, c'est qu'on est face à un problème extraordinairement compliqué.
00:32:55 Si j'étais effectivement en train de vivre à Mayotte aujourd'hui,
00:32:59 dans la situation d'extrême tension qu'on vit à Mayotte,
00:33:02 je ne serais pas dans des situations très confortables, je l'admets bien volontiers.
00:33:07 Mais je crois qu'on doit établir les responsabilités.
00:33:12 D'un côté le gouvernement comorien qui n'assume pas les siennes depuis longtemps,
00:33:15 notamment à l'égard de l'île d'Anjouan.
00:33:17 Vous savez les Anjouanais, ils sont mal vus en Grande-Comore.
00:33:21 Quand vous avez du diabète, quand vous avez des dialyses, quand vous avez des grossesses compliquées,
00:33:28 vous avez le choix entre déplacer votre famille en Grande-Comore,
00:33:32 où vous devrez tout payer vos soins et où vous serez mal vu,
00:33:35 ou bien prendre le risque de perdre votre vie en franchissant la mer.
00:33:41 Et là vous aurez un espoir d'une vie meilleure et de soins de qualité à Mayotte.
00:33:45 Donc c'est humain d'avoir envie de venir à Mayotte.
00:33:48 Le mal développement est largement lié aux politiques conduites au Comore et on doit s'engager.
00:33:54 Le mal développement il est aussi lié au fait que l'État français a longtemps négligé l'aménagement de Mayotte.
00:34:02 Quand on a une population de 300 000 personnes et qu'on demande à un hôpital
00:34:06 qui a été construit pour la moitié de faire face aux besoins de santé de cette population,
00:34:10 forcément on est en difficulté.
00:34:12 Même chose pour les écoles, même chose pour les transports publics.
00:34:14 On n'a toujours pas de réseau de bus qui tient la route à Mayotte pour l'ensemble de la population,
00:34:19 on n'a que des bus scolaires.
00:34:20 On n'a toujours pas de réseau de transport en commun.
00:34:22 Et ça c'est la faute partagée de l'État français et des élus maorais.
00:34:27 On doit vraiment travailler à une montée en puissance des projets pour répondre aux besoins du quotidien.
00:34:34 Et puis il y a aussi la question du développement économique pour les jeunes maorais eux-mêmes.
00:34:38 C'est très très difficile.
00:34:40 Beaucoup de jeunes maorais quittent Mayotte pour la métropole ou pour la Réunion
00:34:44 parce que les perspectives d'emploi de qualité restent extrêmement faibles
00:34:48 et que l'avenir n'est pas rose à Mayotte, même si comoriens ou pas comoriens, je veux dire.
00:34:53 - Fad, Ida Roussi, dans une interview à West France, vous vous inquiétez d'un risque de guerre civile à Mayotte.
00:35:02 Vous pouvez nous dire pourquoi ?
00:35:04 - Oui, mais je souhaiterais d'abord revenir sur l'opération Shikanda que vous avez souligné.
00:35:11 Vous avez dit que malgré l'opération Shikanda, les migrants arrivent en masse sur Mayotte.
00:35:16 En effet, pourquoi ? Parce que toutes les parties prenantes doivent se remettre en question,
00:35:21 d'un côté l'État et les collectivités locales, et de l'autre la population.
00:35:25 D'un côté, nous avons l'État et les collectivités locales qui laissent les personnes,
00:35:29 notamment l'État qui laisse les personnes arriver sur l'île.
00:35:32 Les collectivités locales qui ne contrôlent pas l'occupation de leur terrain.
00:35:36 Nous avons aussi la préfecture qui régularise en masse, d'après les dires de plusieurs personnes que j'ai pu rencontrer sur l'île,
00:35:44 qui régularise en masse les personnes.
00:35:46 Donc l'État incite ces personnes-là à venir à Mayotte.
00:35:49 Et de l'autre, la population qui permet aussi, certains maoriens,
00:35:54 qui permettent aussi l'installation de ces personnes sur leurs parcelles et les emplois dans la construction de leurs champs.
00:36:00 Et des maisons.
00:36:03 Ensuite, pour ce qui concerne la guerre civile, moi qui suis né à Mayotte,
00:36:07 la condition de vie s'est nettement dégradée depuis plus de dix ans.
00:36:14 La question de homicide est en nette augmentation.
00:36:18 Et le fait que les maoris puissent circuler la nuit entre villages, c'est le plus possible.
00:36:26 Et comme vous avez vu dernièrement, sur la question de l'opération qui se déroule actuellement à Mayotte,
00:36:33 les jeunes osent quand même affronter les forces de l'ordre.
00:36:38 Ce qui fait dire que d'ici quelques années, si les maoris se sentent que l'État ne serait pas en mesure de les protéger,
00:36:46 peut-être qu'on arrivera à cette extrémité.
00:36:50 Et aussi en 2018, il faut savoir que le mouvement de déplasage a eu pour objectif de détruire des constructions
00:37:04 et d'expulser de manière manu militarie des migrants considérés comme des personnes s'adonnant à des actions repréhensibles sur l'île.
00:37:17 Dans cette action-là, il y a des maisons qui ont été incendiées, des familles, pour certaines, sont en situation régulière, ont été expulsées.
00:37:28 Nous avons vu pendant ce mouvement de déplasage que l'extrême peut être atteinte.
00:37:38 Vous vouliez intervenir, Alain Bauer ?
00:37:42 Non, pas particulièrement, mais je suis toujours fasciné par l'inconstance des mouvements politiques erratiques.
00:37:49 C'est-à-dire que nous considérons Mayotte et les Comores comme la même chose.
00:37:55 L'histoire montre que ce n'est pas vrai du tout.
00:37:57 Mayotte est la première à être arrivée, les Comores sont arrivés ensuite et cette histoire est importante.
00:38:02 Deuxièmement, nous nous passons notre vie à expliquer qu'il faut réussir des décolonisations heureuses
00:38:09 en écoutant l'autodétermination des peuples.
00:38:13 Il se trouve que toutes les îles, sauf Mayotte, ont dit qu'ils voulaient devenir indépendants et créer la République des Comores.
00:38:20 Mayotte a dit qu'ils ne voulaient pas.
00:38:22 Il y a eu plusieurs scrutins qui ont amené mécaniquement la volonté de rester français,
00:38:27 ce qu'ils étaient avant que le reste des Comores ne le soient.
00:38:30 Et nous sommes restés dans un entre-deux de la décolonisation honteuse.
00:38:34 Il y a cette espèce d'impensée sur "on ne va pas les forcer à rester français même s'ils ont envie"
00:38:40 parce qu'en fait ils n'auraient pas dû l'être au départ et c'est un peu notre faute s'ils l'ont été
00:38:44 parce qu'on a tous été esclavagistes.
00:38:47 Tout n'est pas faux d'ailleurs, il faut que ce soit clair.
00:38:50 Et du coup on est dans ce truc qui jusqu'à l'entrée de Mayotte comme département français
00:38:55 aurait dû marquer une rupture totale qui était de dire "bon ben voilà, c'est un département comme un autre
00:39:00 qui doit avoir les mêmes moyens que les autres".
00:39:02 C'est la plus forte démographie, la plus forte natalité, la plus forte expansion démographique du territoire,
00:39:08 peut-être même de l'Union Européenne, mais c'est sous vérification.
00:39:12 Et nous n'avons de très mauvaise relation avec le gouvernement des Comores
00:39:15 dont je rappelle qu'il n'a jamais reconnu l'indépendance de Mayotte.
00:39:18 À ma connaissance il n'y a jamais eu d'accord pour dire "la République des Comores reconnaît que Mayotte..."
00:39:23 Non, il revendique toujours une solidarité comme la Chine sur Taïwan.
00:39:26 Et nous faisons semblant de croire que nous pourrions avoir un accord avec le gouvernement des Comores
00:39:30 dont tout le monde sait que non seulement ce n'est pas leur point de vue,
00:39:33 mais qu'en plus ça les arrange un peu, à la fois parce que du coup Mayotte est la plus grande maternité
00:39:39 de France voire même d'Europe, qu'effectivement il est naturel pour des raisons humanitaires
00:39:44 de ne pas jeter les gens à la mer, mais qu'à un moment il faut juste choisir.
00:39:48 Or, je dois dire que pour une fois qu'il semble qu'il y ait une opération qui ait une cohérence,
00:39:53 soutenue par la population, il manque un élément fort, c'est le bras de fer diplomatique
00:39:58 avec la République des Comores pour faire en sorte que ce dispositif aille jusqu'au bout.
00:40:03 Donc soit la position c'est de dire à Mayotte "écoutez les gars, retournez aux Comores,
00:40:07 nous sommes pour une décolonisation malgré vous, allons-y".
00:40:11 Voilà, le moment est venu de tout larguer parce que c'est fini.
00:40:14 On a été des horribles colonialistes, c'est terminé, l'impérialisme c'est fini.
00:40:18 Soit on dit Mayotte est dans la République et on va jusqu'au bout dans la République,
00:40:22 y compris dans les relations diplomatiques qu'on pourrait avoir si quelqu'un voulait s'accaparer
00:40:26 de la Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, c'est un sujet encore plus...
00:40:30 - Nice et la Savoie, Mayotte est française avant Nice et la Savoie.
00:40:33 - Nice et la Savoie sont arrivées très tardivement après Mayotte dans la République.
00:40:36 Donc voilà, mais je pense que notre problème c'est l'incohérence ou le manque de volonté d'aller jusqu'au bout.
00:40:40 Alors si la volonté du ministre de l'Intérieur et des élus locaux est d'aller jusqu'au bout,
00:40:46 alors il faut faire aussi ce que dit Dominique Vonnet, c'est pas incompatible du tout,
00:40:50 de faire du social, de l'humanitaire et du diplomatique, mais il faut le faire avec cohérence,
00:40:55 une bonne fois pour toutes. Or, entre le moment où Mayotte est devenu département
00:40:59 et l'opération qu'a raté, et cette opération qui patine un peu quand même, il faut bien le dire,
00:41:04 on a bien senti qu'il y avait toujours une sorte d'entre-deux, peut-être pas, peut-être ben,
00:41:09 on a une sorte de remords colonial, on l'assume, plus ou moins bien, plutôt moins bien que mieux.
00:41:15 Mais je crois qu'il y a un enjeu aujourd'hui qui est d'être cohérent.
00:41:17 Il faut choisir un truc et s'y tenir jusqu'au bout.
00:41:20 - Un mot Dominique Vonnet qui voulait intervenir et après monsieur le sénateur.
00:41:23 - Oui, juste pour réagir en écho à ce que vient de dire Alain Bauer,
00:41:28 sur le fait que les choses ne sont pas si simples.
00:41:31 L'ONU, tout comme l'Union africaine d'ailleurs, conteste absolument
00:41:35 les résultats du référendum de 1974 et 1976.
00:41:38 - Eh bien nous y voilà.
00:41:40 - Et condamne absolument la France pour sa volonté de vouloir garder Mayotte.
00:41:44 On est nombreux, dans ce contexte-là, à contester le choix de la départementalisation
00:41:50 parce que nous sommes convaincus qu'un chemin singulier doit être trouvé
00:41:54 pour permettre un développement de Mayotte au plus près des besoins de sa population.
00:41:59 Moi ce que je constate, c'est que l'État français, tout comme d'ailleurs la plupart des élus de Mayotte,
00:42:04 ont une vision du développement de Mayotte qui passe davantage par des grands projets,
00:42:09 le prolongement de la piste de l'aéroport ou la construction d'un grand port en eau profonde
00:42:13 à vocation régionale, plutôt que par la réponse aux besoins quotidiens des Mahorais
00:42:19 en termes de formation professionnelle, d'emploi, de développement économique.
00:42:23 On doit rompre avec une économie de comptoir.
00:42:25 On doit proposer aux Mahorais un chemin endogène vers le développement.
00:42:29 Ça fait 4 ans ou 5 ans qu'Emmanuel Macron a donné son accord pour la construction d'un 2e hôpital à Mayotte
00:42:36 et on discute toujours du tracé des modalités de construction de la route qui doit y mener.
00:42:42 Ça fait des années qu'on a identifié dans une population aussi jeune
00:42:47 des besoins de formation professionnelle et de diversification des métiers
00:42:52 et on est incapable de le concrétiser.
00:42:54 Le dialogue entre élus Mahorais n'est pas plus facile que le dialogue entre les Mahorais et l'État français.
00:43:01 Donc on doit avoir de la ténacité en effet, tant de discussions avec les comores qui se jouent de nous
00:43:08 et qui choisissent un jour la Chine, un jour l'Arabie Saoudite, puis un jour la France.
00:43:12 Après tout, prendre l'argent d'où qu'il vienne, pourquoi pas.
00:43:15 Tenir leurs engagements, ils n'y sont pas prêts réellement.
00:43:18 On doit aussi arrêter un plan de développement et s'y tenir.
00:43:22 On avait tout un truc mais totalement farfelu sortir du chapeau sans aucune chance de réalisation.
00:43:27 Je pense à cette idée de couvrir Mayotte de téléphériques et de télésièges pour remédier aux embouteillages.
00:43:33 On est incapable de faire circuler une ligne de bus en site propre.
00:43:36 Ça c'est très choquant.
00:43:37 Alors Tani Mohamed Souali et puis Fahad Hidaroussi ensuite.
00:43:43 Les recettes que propose Dominique Voynet ne marchent pas davantage.
00:43:47 Ça fait des décennies qu'on les essaie.
00:43:50 Et comme je vous le disais tout à l'heure, elles impliquent qu'à chaque fois,
00:43:54 ce soit les maoris qui en fassent les frais.
00:43:56 Et moi je tiens à rendre hommage à Alain Bauer.
00:44:01 Alain Bauer fait tomber les masques.
00:44:06 Ceux qui tiennent les propos que vient de tenir Dominique Voynet ont une conception ethnique des Comores.
00:44:15 Alors que nous savons que Mayotte depuis 1841 a formé un véritable contrat social avec la France.
00:44:24 Puisque le sultan de Mayotte face à une période où il y avait une guerre entre les îles,
00:44:33 le sultan est allé vendre l'île de Mayotte à la France moyenne en protection,
00:44:38 au commandant Passo qui représentait Louis-Philippe à l'île Bourbon à la Réunion.
00:44:43 Et c'est ça qui fait que Mayotte est entrée dans la France.
00:44:48 Et c'est ensuite une fois à Mayotte que la France a colonisé Madagascar
00:44:52 et les autres îles de l'archipel des Comores, île par île.
00:44:56 Donc faire comme si c'était un petit détail, c'est là où on commence à se tromper.
00:45:02 Et les recettes classiques qui ont été tentées, il faut bien essayer autre chose.
00:45:09 Et l'opération Mbouchou, moi je veux bien qu'on dise que ça fait depuis longtemps
00:45:14 que Mayotte a été considérée et laissée pour compte.
00:45:18 Ça c'est un constat que je partage.
00:45:20 Mais depuis l'époque où Dominique Voynet était ministre, ça ne date pas d'aujourd'hui.
00:45:24 Et aujourd'hui moi je tiens au moins à souligner le courage de Gérard Darmanin et du gouvernement
00:45:30 qui essaient de faire quelque chose de différent.
00:45:32 Ça, ça n'a jamais été tenté.
00:45:34 Et on ne devrait pas le tenter parce qu'il ne faut pas embêter le président Azali.
00:45:39 Président Azali qui a été suffisamment persuasif, dissuasif
00:45:45 pour se faire désigner président de l'Union africaine,
00:45:48 mais qui n'est pas fichu de s'occuper de sa population
00:45:52 et qui la laisse aller se tuer dans ce bras de mer qui sépare Mayotte et les Comores.
00:45:59 Et pour ceux qui arrivent à aller jusqu'à Mayotte, à vivre dans la misère, dans la prostitution.
00:46:06 Parce que que veulent, que demandent les gens qui ne souhaitent pas qu'on détruise les bidonvilles ?
00:46:12 Le statu quo ? Qu'on continue à violer la loi ?
00:46:16 Qu'on continue à vivre dans l'insécurité ?
00:46:18 Je rappelle qu'en 2018, une mère et ses quatre enfants qui vivaient dans un bidonville
00:46:24 ont été emportés par une coulée de boue.
00:46:26 Donc est-ce que c'est ça que nous voulons ?
00:46:29 Maintenir cette situation et envoyer le signal que,
00:46:32 continuez à vivre dans les bidonvilles parce que de toutes les façons,
00:46:35 si vous mourez, il n'y aura pas d'action en responsabilité, on va oublier du jour au lendemain.
00:46:40 Et moi je suis d'accord que lorsqu'on aura fini de raser tous ces bidonvilles,
00:46:45 eh bien on en vienne au domicile où les gens hébergent des personnes en situation irrégulière.
00:46:51 C'est illégal et les maorais doivent aussi prendre leurs responsabilités
00:46:58 et cesser d'héberger des personnes en situation illégale
00:47:02 et de cesser de faire travailler des personnes en situation illégale.
00:47:05 Bade, Ida aussi.
00:47:07 Je souhaite en fait souligner, intervenir, compléter ce que je suis maintenant venu de dire.
00:47:15 Madame Bonnet, vous avez dit que l'ONU voulait que l'indépendance de l'archipel de Comores
00:47:19 se fasse à l'aune de ses frontières coloniales.
00:47:23 Oui, ça c'est vrai, mais sauf que la France s'est basée en fait sur le principe
00:47:29 de l'autodétermination du peuple, le droit du peuple à disposer d'eux-mêmes.
00:47:34 Et je tiens aussi à le dire en fait que pour une personne censée,
00:47:37 si on mettait ces deux principes sur une balance,
00:47:40 la question de l'autodétermination du peuple prime sur la question de l'intangibilité des frontières.
00:47:47 Et on peut remarquer que dans plusieurs pays africains, des ethnies se sont retrouvées,
00:47:52 malgré elles, à cohabiter sur un territoire qui a provoqué des tensions, des fratricides, des génocides.
00:48:01 Prenons aussi l'exemple du Soudan, un pays qui était uni, s'est dislocé en deux.
00:48:07 Donc les frontières coloniales qui ont été dessinées par des colons
00:48:12 n'ont pas tenu compte forcément des réalités propres dans ces régions.
00:48:19 Donc pour le cas de Mayotte, le peuple maorais existe.
00:48:23 Le peuple maorais s'est exprimé, donc ce choix-là doit être respecté.
00:48:28 L'Union des Comores, en fait, c'est une fabrication politique qui date des années 70.
00:48:34 Et avant cette date, il n'y a jamais eu une entité politique propre dans cette région.
00:48:41 Il faut savoir qu'avant la présence française, les sultans de ces îles se sont fait la guerre.
00:48:48 Après que la France achetait Mayotte en 1241, il a fallu attendre 30 ans pour que la France intègre en juin.
00:48:57 Ensuite, Moëtli, la Grande Comore, pour former Mayotte.
00:49:01 - Madagascar avant.
00:49:03 - Mayotte et Décoron, déjà dans un premier temps.
00:49:05 Ensuite, l'île a été rattachée à Madagascar.
00:49:09 Jusqu'aux années 60, les Comoriens, notamment les Anjouanais et les Grands Comoriens,
00:49:14 se sont soulevés pour demander à ce que l'archipel soit détaché de Madagascar.
00:49:19 Et dans les années 60, Madagascar accédera à l'indépendance.
00:49:23 Et entre 1960 et 1974, il y a eu une période de semi-autonomie.
00:49:29 Et pendant cette période, les Mahorais craignaient pour leur île, pour leur avenir,
00:49:36 parce qu'ils ne se sentent pas en sécurité.
00:49:38 Ils ne veulent pas de cette ignorance, parce que la vague d'indépendance est déferlée dans cette région de l'Océan Indien,
00:49:44 mais aussi sur l'ensemble du continent africain.
00:49:48 Ensuite, il y a eu ce transfert de capital depuis Mayotte d'Aoudi à Mayotte vers Moroni,
00:49:55 qui a provoqué un sentiment de trahison, d'humiliation et de domination des voisins.
00:50:04 Les Mahorais ne veulent pas de cette fabrication politique à laquelle ils ne se sont jamais reconnus.
00:50:13 Donc le choix des Mahorais doit être respecté.
00:50:15 Et la question de l'autodétermination des peuples, c'est un des principes qui doit vraiment primer dans les instances internationales.
00:50:22 Pour une personne sensée, la question des peuples est primordiale.
00:50:27 Dominique Vonnay, vous vouliez répondre.
00:50:31 Je me suis contentée de rappeler que l'Union africaine, comme l'ONU,
00:50:37 avait constamment condamné l'attitude de la France et le fait que Mayotte avait été dissociée des trois autres îles comoriennes.
00:50:44 Je me suis contentée de le rappeler. Je n'ai pas dit que j'étais hostile à l'autodétermination des peuples.
00:50:49 Simplement, je pense que sans avoir une approche ethnique, on peut rappeler quand même que la situation est complexe.
00:50:57 Qu'un bon nombre d'élus mahorais, par exemple, ont des parents ou grands-parents comoriens,
00:51:02 que certains ont des conjoints comoriens, que beaucoup d'élus mahorais et que beaucoup de Mahorais en général…
00:51:09 Comme entre les Français, les Wallons, comme entre les Français et les Québécois.
00:51:13 Ils vont passer leurs vacances aux Comores et que les liens entre les populations sont extrêmement intenses, intriqués.
00:51:21 Et puis, Tani a eu raison de rappeler que des trafiquants, des passeurs, il y en a de part et d'autre.
00:51:27 Et que nombreux sont les Mahorais qui ont fait venir des membres de leur famille des Comores,
00:51:32 en leur promettant des emplois, s'occuper des enfants, s'occuper du champ, etc.
00:51:38 Avant de considérer effectivement qu'avoir des cousins chez soi en permanence, c'était trop lourd et qu'il fallait en finir.
00:51:45 Et donc, je pense que c'est malheureusement assez complexe.
00:51:49 Et ce sur quoi j'ai insisté surtout, c'est que l'État français ne sera pas quitte
00:51:54 parce qu'il aura mené une opération policière de reconduite de quelques milliers de personnes à la frontière.
00:52:00 D'abord parce que beaucoup d'entre elles vont revenir, y compris au péril de leur vie.
00:52:05 Ensuite, parce que si on considère qu'il y a environ 80 à 100 000 personnes originaires des Comores ou Comoriennes en situation irrégulière,
00:52:16 le fait de mener cette opération pendant quelques semaines en en raccompagnant 10 000 aux Comores ne réglera pas le problème de fond,
00:52:25 ne réglera pas le problème de la violence, des bandes, de la délinquance, dans laquelle Mahorais et Comoriens sont souvent étroitement mêlés.
00:52:34 Moi, je pense qu'on a besoin de solutions de fond beaucoup plus sérieuses et solides que ça,
00:52:38 si on veut effectivement rompre avec cette violence endémique.
00:52:41 Tania a raison de souligner que certains adolescents ont perdu la vie d'une façon totalement délirante.
00:52:49 Je pense notamment à ce jeune qui, effectivement, est mort après une agression avec une paire de ciseaux pointus à la sortie de son lycée.
00:52:58 C'est évidemment totalement choquant et totalement inacceptable.
00:53:01 Il faut avoir une manière de pouvoir compter sur des opérations de maintien de l'ordre et d'éducation et de santé.
00:53:10 Les services publics doivent être au même niveau.
00:53:13 Je vous interromps, Dominique Bonnet, parce qu'il nous reste juste 30 secondes.
00:53:17 Je voulais laisser un dernier mot à M. Soali.
00:53:21 Un point d'accord parmi d'autres sur le fait qu'au Mbouchou, ça ne sera pas l'alpha et l'oméga.
00:53:29 C'est pour ça que tout à l'heure, à votre question, j'ai dit qu'on Mbouchou va commencer à apporter des solutions.
00:53:34 Mais bien évidemment, il ne faut pas que l'on s'arrête ici.
00:53:37 Mais il faut bien commencer par quelque chose et donner un signal fort.
00:53:41 Éradication des bidonvilles et lutte intense contre l'aide à l'entrée au séjour irrégulier et empêcher que c'est quoi ça arrive tous les jours à Mayotte.
00:53:51 Je vous remercie tous les trois d'avoir participé à ce débat.
00:53:55 Je remercie Alain Bauer qui nous quitte.
00:53:59 C'est le rappel des titres.
00:54:01 Et ensuite, on s'intéresse à la laïcité et à l'affaire Policar.
00:54:06 Merci encore.
00:54:08 L'émotion dans les Vosges.
00:54:11 Près de 600 personnes ont rendu hommage à la petite Rose lors d'une marche dans les rues de Rombert-Villiers.
00:54:16 En tête de cortège, l'entourage de la fille est de 5 ans, portant un t-shirt à son effigie.
00:54:21 La famille a été suivie par de nombreux habitants, paré de vêtements et d'accessoires roses.
00:54:26 La petite fille a été tuée mardi.
00:54:28 Le principal suspect, âgé de 15 ans, a été placé en détention provisoire.
00:54:33 Pour lutter contre les rodeos urbains, le ministre de l'Intérieur souhaite que les forces de l'ordre aient recours à des drones.
00:54:40 Un usage permis depuis un décret du 19 avril.
00:54:43 Gérald Darmanin en a fait la demande au préfet, précisant que policiers et gendarmes doivent multiplier les opérations de présence.
00:54:51 L'utilisation des drones en renseignement ne doit pas être négligée, précise le ministre.
00:54:56 Et puis direction les rues de Bakou, en Azerbaïdjan.
00:54:59 Sergio Perez a remporté la première course sprint de la saison de Formule 1.
00:55:04 Le Mexicain a devancé le monégasque Charles Leclerc et le leader Max Verstappen.
00:55:09 Le néerlandais conserve tout de même la tête du championnat avant le traditionnel Grand Prix disputé demain.
00:55:15 Ce sera à suivre à 13h sur Canal+.
00:55:18 Bienvenue, si vous nous rejoignez maintenant, je vous présente nos visiteurs du soir.
00:55:25 Il y a l'historienne Marion Poufari, qui vient de publier "Robespierre, monstre ou héros".
00:55:32 Un livre très intéressant pour voir comment on écrit et on réécrit l'histoire en fonction des époques et des appartenances politiques.
00:55:39 Yannick Bosque, qui vient de nous rejoindre, vous êtes le co-auteur avec Marc Bélissa de "Robespierre, la fabrication d'un mythe", paru en 2014.
00:55:48 On parlera du cas Robespierre à 23h30.
00:55:52 Mais d'abord, la laïcité.
00:55:54 Alain Policar, vous êtes politologue, chercheur associé au Cevipof, à Sciences Po.
00:55:59 Vous êtes l'auteur de nombreux livres comme "Cosmopolitisme ou barbarie" ou "L'universalisme en procès".
00:56:06 Le plus récent, c'est "La haine de l'antiracisme", où vous reprochez à des intellectuels comme Alain Finkielkraut ou Pierre-André Taglieff de ne pas reconnaître qu'il existe un racisme systémique.
00:56:18 Votre nomination par le ministre de l'Éducation nationale, Papandiai, au Conseil des sages de la laïcité a déclenché une polémique.
00:56:27 L'un des membres du conseil a même démissionné.
00:56:29 Mikhaël Paty, la sœur du professeur assassiné, et Jean-Pierre Saccoun, le président d'unité laïque, ont écrit dans le point une tribune intitulée "N'assassinons pas la laïcité",
00:56:39 dans laquelle ils vous reprochent votre hostilité à ce que vous appelez une laïcité répressive ou une laïcité de combat.
00:56:46 D'autres vous accusent d'être woke, de ne pas être universaliste.
00:56:50 Bref, vous n'auriez pas votre place au Conseil des sages créé par Jean-Michel Blanquer en 2018.
00:56:55 Alors la première question, et je représenterai Henri Pénarrui d'après, que leur répondez-vous ?
00:57:02 J'ai un peu de mal à me reconnaître dans le portrait qui est fait de moi, parce que dire que je suis anti-universaliste,
00:57:08 alors que je ne crois pas avoir écrit une ligne qui ne soit pas traversée par l'intérêt pour l'universel, par le postulat d'universel,
00:57:16 je ne peux pas m'orienter dans la pensée, comme on dit en philosophie, sans ce postulat-là.
00:57:20 Et on voit des gens pourtant, a priori bien informés, écrire que, non seulement moi d'ailleurs, mais les quatre autres nominations,
00:57:27 celles de Gwenel Calves, Thomas Hauckmann, Jacques Frege et Monique Dagnaud,
00:57:33 non, c'est pas Monique Dagnaud, je me trompe, Monique Dagnaud était déjà membre du Conseil, Christine Darnot, pardon,
00:57:40 et ces gens-là sont tous considérés comme des anti-universalistes,
00:57:44 et je ne vois pas très bien comment on peut interpréter ce que j'ai pu écrire dans ce sens-là.
00:57:50 Maintenant, il reste également des accusations qui sont anciennes, qui tiennent notamment au manifeste des 100,
00:57:56 qui a été publié il y a quelques années dans Le Parisien, auquel nous avons répondu Alain Renaud et moi dans Libération,
00:58:03 où visiblement, on mélange un peu tous les problèmes et on nous accuse en fond.
00:58:08 L'accusation fondamentale, c'est d'être des naïfs, des iréniques, voire des complices du terrorisme islamiste.
00:58:14 En réalité, on considère que nous avons, vis-à-vis de notions qui sont considérées comme étrangères,
00:58:22 comme le multiculturalisme, des intérêts coupables, et on pratique un art de l'amalgame,
00:58:29 si bien que le portrait qu'on fait de moi est extrêmement différent de ce que je crois être maintenant, évidemment.
00:58:34 Les gens sont libres de penser ce qu'ils souhaitent. Le décolonialisme, le wokisme, tout ça sont des sujets qui m'intéressent.
00:58:40 Évidemment, je ne suis pas wokiste, je ne sais pas d'ailleurs ce que ça veut dire.
00:58:43 Et quant à la pensée décoloniale, elle me semble extrêmement riche, mais je ne suis pas non plus un penseur décolonial.
00:58:49 - Henri Pénaruis, vous êtes philosophe, vous êtes spécialiste, vous aussi, de la laïcité.
00:58:53 Vous lui avez consacré plusieurs livres, dont un dictionnaire amoureux de la laïcité.
00:58:58 Vous avez vous-même siégé au Comité national de réflexion et de proposition sur la laïcité à l'école, qui avait été créé en 2002.
00:59:05 Vous avez fait partie des vinsages de la commission sur la laïcité, qui avait été créée en 2003.
00:59:11 Il y a différentes conceptions de la laïcité en France, elles ont tendance à s'opposer.
00:59:17 Vous, qu'est-ce qui vous oppose à l'impolicar, par exemple ?
00:59:21 - Une première chose, c'est parler de laïcité de combat.
00:59:25 Moi non plus, je ne me reconnais pas dans l'idée que je serai un représentant de la laïcité de combat.
00:59:30 La laïcité a été conquise contre des particularismes religieux qui entendaient dicter la loi.
00:59:38 Chacun se souvient des guerres de religion, de l'index des livres interdits, index librorum prohibitorum,
00:59:45 de l'exécution de Giordano Bruno en place de Rome en 1600, pour avoir osé dire que l'univers est infini, etc.
00:59:54 Que fait la laïcité ?
00:59:56 La laïcité vient d'un mot grec, laos, qui veut dire "population dans son unité", "population indivisible".
01:00:04 La laïcité, c'est l'idéal qui permet à des personnes qui ont des convictions spirituelles différentes.
01:00:11 Les unes croient en Dieu, de diverses manières.
01:00:14 Les autres ont plutôt adopté un humanisme athée, et d'autres encore sont agnostiques,
01:00:20 c'est-à-dire suspendent leur jugement sur l'existence de Dieu.
01:00:23 Entre ces trois familles spirituelles, comment organiser une coexistence pacifique ?
01:00:30 La laïcité répond, c'est tout simple.
01:00:32 Liberté de conscience.
01:00:35 On est libre de croire en Dieu, on est libre de croire dans la seule humanité sous un ciel vide.
01:00:41 Égalité de droit.
01:00:42 Pas de privilèges pour la religion, pas de privilèges pour l'humanisme athée.
01:00:47 Donc, liberté, égalité et universalité.
01:00:51 La puissance publique n'est pas là pour privilégier, elle est là pour produire le bien commun.
01:00:59 Les services publics accueillent aussi bien les athées, les croyants divers et les agnostiques.
01:01:06 Ça, c'est un idéal de paix.
01:01:08 Alors, moi, je m'insurge.
01:01:10 Quand on inverse la charge, quand on parle de combat, de laïcité agressive, qu'est-ce que ça veut dire ?
01:01:17 Mais qui agresse l'autre ?
01:01:20 Ce sont les terroristes islamistes qui ont tué au moment de Charlie.
01:01:26 C'est le terroriste qui a décapité ce malheureux Samuel Paty,
01:01:31 qui faisait admirablement son travail de professeur et je voudrais d'ailleurs, au passage, lui rendre ici hommage.
01:01:38 Pour la première fois dans l'histoire de l'École de la République,
01:01:42 un homme a été assassiné, décapité, juste devant le lieu où il enseignait.
01:01:48 Où il enseignait quoi ? Il n'enseignait pas l'athéisme.
01:01:52 Il enseignait la capacité de penser par soi-même.
01:01:57 Car l'école laïque n'est pas là pour défaire la religion.
01:02:01 Elle est là pour doter les élèves, des êtres qui s'élèvent, et non pas des apprenants, des êtres qui s'élèvent,
01:02:08 les doter de la capacité de jugement, de jugement autonome qui en fera des citoyens éclairés.
01:02:14 Il faut rappeler ces choses-là.
01:02:16 Je ne vois pas en quoi la laïcité que nous représentons en France serait agressive,
01:02:23 méconnaîtrait les diversités.
01:02:25 Au contraire, elle permet à la diversité des convictions de se vivre dans la paix, dans le respect mutuel.
01:02:34 On a le droit de critiquer une religion.
01:02:36 On n'a pas le droit de rejeter une personne parce qu'elle a cette religion.
01:02:41 Respectons les personnes, mais nous ne sommes pas tenus au respect des convictions, pas plus de l'athéisme que des religions.
01:02:48 Voilà, en quelques mots, ce qui peut-être nous sépare, je ne sais pas encore ce qui vraiment nous sépare,
01:02:55 mais parler de laïcité de combat à propos de la laïcité que représente notamment le Conseil des sages de la laïcité,
01:03:04 c'est quand même profondément injuste et complètement inadéquat.
01:03:08 Alors je m'insurge contre ces appellations polémiques.
01:03:12 – Alain Policar, si j'ai bien compris, vous faites le distinguo entre la laïcité qui se veut d'abord pacificatrice
01:03:20 et la laïcité qui se veut d'abord émancipatrice.
01:03:23 – Bien sûr.
01:03:24 – C'est celle-là que vous appelez la laïcité de combat.
01:03:26 La première est juridique, la seconde, vous lui reprocheriez d'être politique.
01:03:31 – Alors d'abord, je précise que je n'ai pas attaqué les membres du Conseil des sages de la laïcité.
01:03:36 J'ai attaqué une conception de la laïcité qui n'est pas la mienne,
01:03:39 parce qu'Henri Pénarwiz dit des choses avec lesquelles je suis globalement d'accord.
01:03:43 Il n'en reste pas moins qu'on ne peut pas se cacher derrière les mots
01:03:47 pour nier qu'il y a effectivement des conflits sur l'interprétation de la laïcité.
01:03:51 La loi de 1905 ne donne pas effectivement la clé de l'interprétation.
01:03:56 Toute époque d'ailleurs, en fonction du contexte politique, a donné à ce mot un sens très différent.
01:04:01 Et je vous répondrai très précisément Frédéric Taddeï, mais en ce qui concerne la question
01:04:07 que vous avez évoquée des attentats, je crois qu'elle n'est pas du tout de mise
01:04:11 par rapport à la question de la laïcité.
01:04:12 Savez-vous que de 1982, attentat de la rue des Rosiers, jusqu'en 2012, attentat de Mohamed Mera,
01:04:21 la laïcité n'a jamais été évoquée à propos des attentats.
01:04:25 Elle ne l'est qu'à partir de 2015.
01:04:27 Il me semble que c'est une erreur. En Grande-Bretagne, lorsque des fous criminels font des attentats
01:04:33 au nom de l'islam, on les traite comme des fous criminels et on ne demande pas aux musulmans
01:04:37 de rendre compte de ce qu'ils ont pu faire.
01:04:39 Est-ce qu'on demande à l'église catholique de parler, de manifester pour dénoncer les crimes de l'église ?
01:04:46 Ce serait complètement inopportun, les crimes de pédophilie de l'église.
01:04:49 On n'a jamais vu une demande de cet ordre-là.
01:04:51 Les musulmans sont amalgamés dans le terrorisme islamiste et c'est contre cela que je m'élève.
01:04:56 Il me semble que certains partisans de la laïcité ont tendance à entretenir cette ambiguïté.
01:05:03 Pour répondre à votre question, oui, il y a effectivement, il me semble,
01:05:06 et là-dessus je pense qu'Henri Pédardouille sera d'accord, la loi de 1905 est une loi de pacification.
01:05:11 C'est une loi libérale qui amène la paix religieuse et c'est une loi d'abstention entre l'Église et l'État.
01:05:20 L'État n'intervient pas dans les affaires des Églises.
01:05:23 La neutralité c'est cela, mais il a d'ailleurs une priorité, c'est assez dissymétrique.
01:05:28 Et puis il y a une autre conception qui est dans les piailles anglo-saxons,
01:05:33 une rétroit grosso modo, la laïcité de coopération où les Églises ont droit à des égards tout à fait particuliers.
01:05:40 Et puis il y a la laïcité d'émancipation, comme vous disiez,
01:05:43 qui considère effectivement qu'on doit émanciper les gens par la raison.
01:05:46 C'est un combat auquel d'ailleurs je pourrais parfaitement adhérer,
01:05:50 mais il ne me semble pas lié à la laïcité.
01:05:52 La vraie différence c'est la laïcité comme principe juridique et la laïcité comme valeur identitaire.
01:05:58 Et on a depuis quelques années, depuis 1989 disons-le,
01:06:01 avec notamment le fait que l'extrême droite soit emparée de cette notion à laquelle elle était totalement étrangère,
01:06:07 on a une conception de la laïcité comme valeur identitaire
01:06:10 qui sépare ceux qui peuvent effectivement la comprendre et ceux qui n'y parviennent pas, eux et nous.
01:06:15 Et l'islam est toujours montré une loi.
01:06:17 Ce risque-là de guerre civile qui est vraiment ce que…
01:06:20 guerre civile est peut-être un peu exagérée, mais en tout cas,
01:06:22 ce risque d'affrontement entre des communautés qui appartiennent à la nation française
01:06:26 est tout à fait dans la perspective du terrorisme islamiste, ou de l'islamisme politique, disons-le plus précisément.
01:06:32 C'est ce qu'ils veulent instaurer, cette séparation-là, entre différentes catégories de citoyens.
01:06:36 Donc on fait le jeu avec cette laïcité que j'appelle effectivement le combat
01:06:40 et qui ne me paraît pas être une laïcité conforme à l'esprit de la loi.
01:06:44 Mais monsieur Policar, excusez-moi, mais vous mélangez tout là.
01:06:48 Vous parlez de l'extrême droite qui s'empare de la laïcité pour en faire un thème identitaire.
01:06:54 Sur ce point, je vous suis.
01:06:56 C'est-à-dire qu'une partie de l'extrême droite utilise la laïcité
01:07:01 pour s'en prendre à une partie de la population.
01:07:04 Ça, c'est indéniable.
01:07:05 Mais ne parlez pas des laïcs qui ne confondent pas du tout leur idéal avec cela.
01:07:13 Alors évidemment, par rapport au terrorisme islamiste, il faut être clair.
01:07:19 Qui fait la guerre à l'autre ?
01:07:21 Qui a tué mes camarades de Charlie ?
01:07:24 Qui a tué le jour de l'assassinat de Sabel Paty ?
01:07:30 Ce sont des terroristes islamistes.
01:07:32 Il faut le dire.
01:07:33 Pardon, il faut le dire, simplement.
01:07:37 Il y a un point, si vous voulez bien qu'on parle un peu philosophie du droit.
01:07:41 Je ne peux pas vous suivre quand vous dites qu'il y a d'un côté le juridique pur
01:07:45 et de l'autre côté l'émancipation.
01:07:49 Vous savez, l'histoire du droit nous montre que le droit est né
01:07:53 à partir d'une exigence éthique, éthico-politique.
01:07:58 Quand, selon la légende, Athéna crée l'Aréopage,
01:08:03 une assemblée de juges qui va juger au reste après le meurtre de Clystemnest.
01:08:09 Pourquoi est-ce cette invention de la justice ?
01:08:13 Pour faire échapper les rapports entre les hommes à la loi de la vengeance.
01:08:19 La justice n'est pas la vengeance.
01:08:21 C'est pour mettre un terme à la violence entre les individus particuliers.
01:08:27 Par conséquent, il y a quelque chose d'éthique et de politique dans le juridique.
01:08:32 Vous ne pouvez pas dessécher le juridique et le dessaisir de sa dimension politique.
01:08:38 Aujourd'hui, l'émancipation, c'est la sortie du mancipium.
01:08:43 À Rome, on appelait mancipium le domaine que le pater familias tenait sous sa main,
01:08:48 manus capere.
01:08:49 L'émancipation, c'est la sortie du jeune homme du mancipium,
01:08:55 c'est-à-dire du domaine possédé par le père.
01:08:58 Oui, la laïcité est émancipatrice.
01:09:01 Il ne s'agit pas d'émanciper les gens malgré eux, comme vous semblez le dire.
01:09:07 Il s'agit de faire advenir l'émancipation par l'instruction,
01:09:11 par l'instruction qui se donne à l'école.
01:09:14 D'ailleurs, Condorcet le dit aux révolutionnaires.
01:09:17 Il leur adresse cette proposition.
01:09:20 Construisez une école qui donne à la République les citoyens incommodes dont elle a besoin.
01:09:26 Parce que la République repose sur la défense que peuvent en faire les citoyens.
01:09:32 Ne séparez pas l'émancipation et un droit qui serait un droit de pure abstention.
01:09:38 La laïcité ne fait pas que s'abstenir.
01:09:41 Elle promeut l'autonomie de jugement.
01:09:44 Elle la promeut pour tout le monde.
01:09:46 Elle est universaliste.
01:09:47 Elle ne la donne pas qu'à certains contre d'autres.
01:09:51 Elle met l'école à l'abri des prosélytismes religieux
01:09:54 pour que puisse se faire le travail d'instruction sans aucune espèce de censure.
01:10:01 Vous comprenez ça ?
01:10:02 Donc votre histoire d'opposition, pardonnez-moi,
01:10:05 opposée le juridique pur qui serait vide en somme, à l'éthico-politique, ça ne tient pas.
01:10:13 Alors réponse de l'apélicain.
01:10:15 Oui, enfin, je ne suis pas de ceux qui séparent.
01:10:17 Je sépare pour les commodités de l'exposer.
01:10:20 Évidemment, moi je suis intéressé à un philosophe que vous connaissez certainement,
01:10:24 que c'est Ronald Lurkin,
01:10:26 qui est l'exemple même du fait que les principes juridiques et les principes éthiques vont de pair.
01:10:31 Je ne nie pas qu'il y ait une dimension éthique dans le droit.
01:10:35 Vous me prêtez une intention, peut-être me suis mal exprimé sur ce point,
01:10:40 mais ce n'est pas ma position.
01:10:41 En revanche sur Condorcet.
01:10:42 Alors Condorcet, c'est extrêmement intéressant parce qu'il est invoqué par les deux camps,
01:10:46 en quelque sorte, si on reconnaît l'existence, grosso modo, de deux interprétations.
01:10:50 C'est un minimum d'ailleurs.
01:10:52 Deux interprétations, il y en a encore beaucoup plus,
01:10:54 Bobéro parlait notamment des sept laïcités.
01:10:56 Mais Bobéro, je suppose, n'est pas votre auteur de prix d'élection.
01:11:00 Mais Condorcet, dans les 5 mémoires sur l'instruction publique...
01:11:04 Non pardon ?
01:11:05 - Ne parlez pas à ma place.
01:11:06 - Non, non, je suppose.
01:11:07 - Continuez.
01:11:08 - En 1991, il écrit la chose suivante.
01:11:11 Je pensais qu'on parlait de Condorcet, donc j'avais repéré cette citation-là.
01:11:17 Il rejetait la tentation d'enseigner effectivement
01:11:20 comme une doctrine conforme aux principes de la raison universelle
01:11:25 ou d'exciter en sa faveur un aveugle enthousiasme
01:11:29 qui rend les citoyens incapables de la juger.
01:11:31 Donc, encore une fois, ça n'est pas une vertu, la laïcité.
01:11:34 C'est un fait, c'est un principe, et on a l'impression qu'il faut nécessairement l'aimer.
01:11:39 Mais il faut essayer de donner les conditions de l'amour.
01:11:42 Et ces conditions de l'amour de la laïcité, c'est l'explication, c'est la publicité,
01:11:47 c'est pas l'intériorité.
01:11:48 Et il me semble là qu'on a une confusion entre ce que réclame ce principe de publicité
01:11:55 qui demande une acceptation.
01:11:56 Laurent Jafferau a fait un très bel article là-dessus.
01:11:58 Ça demande l'acceptation d'un certain nombre de règles
01:12:02 qui sont des règles de la vie en commun, bien évidemment.
01:12:04 Mais encore une fois, en faire une religion civile
01:12:07 comme en quelque sorte une appartenance qui transcendrait toutes les autres
01:12:11 et y rendre certains incapables de la penser,
01:12:13 il me semble que là, il y a un véritable problème.
01:12:16 Mais on ne partageait pas mon opinion.
01:12:18 - Là, il y a une avalanche de choses.
01:12:20 D'abord, quand vous citez ce passage que je connais bien de Condorcet
01:12:24 qui met en garde contre l'enthousiasme,
01:12:26 il met en garde contre l'enthousiasme,
01:12:28 ça veut dire le transport dans le Dieu, étymologiquement l'enthousiasme,
01:12:31 parce que c'est irrationnel.
01:12:33 Il dit qu'il faut expliquer pour faire advenir en chacun la compréhension personnelle des choses.
01:12:39 Et après, l'amour vient.
01:12:41 C'est-à-dire qu'effectivement, moi j'aime la laïcité,
01:12:44 mais d'abord, j'ai essayé de la comprendre comme étant ce principe magnifique
01:12:48 qui permet à des êtres aux convictions différentes de coexister pacifiquement.
01:12:53 Maintenant, la question de savoir comment on enseigne effectivement la laïcité,
01:13:00 c'est une question qui est très importante, il faudrait le dire,
01:13:03 et il faudrait effectivement promouvoir cette laïcité,
01:13:08 mais en arrêtant de l'affubler de ses adjectifs,
01:13:11 d'inverser la charge de la preuve en disant que c'est la laïcité qui serait agressive,
01:13:17 jusqu'à preuve du contraire, ce sont quand même les fanatismes religieux qui ont fait du mal aujourd'hui.
01:13:23 – Juste pour qu'on soit plus précis dans ce qui peut vous distinguer,
01:13:27 vous, ou en tout cas ce qui vous distingue Alain Policar, d'autres laïcs,
01:13:32 l'universalisme, Henri Pénarruz a employé le mot,
01:13:36 on parle d'universalisme républicain.
01:13:39 Vous vous dites que l'universalisme est forcément pluriel.
01:13:43 – Non, moi je pense que, et c'est tout à fait lié, vous avez raison d'en parler,
01:13:48 c'est tout à fait lié à la conception de la laïcité,
01:13:50 on a plusieurs manières de penser l'universalisme,
01:13:54 et ce n'est pas très nouveau de dire qu'il y a une manière qui avait été définie par Ricœur,
01:13:59 par Walzer et par d'autres auteurs, comme l'universalisme le surplomb,
01:14:02 qui s'imposerait quoi qu'il en soit et quel que soit l'accueil qu'on lui fait.
01:14:07 Et c'est à mon avis cet universalisme-là, qui est un universalisme à la française,
01:14:11 qui au nom de cette mission civilisatrice a pu justifier la colonisation.
01:14:17 Le problème est là, c'est que le mot colonisation n'a pas encore été prononcé,
01:14:21 il me semble véritablement fondamental dans cette histoire,
01:14:23 parce que si nos valeurs ou nos principes sont mal compris,
01:14:28 il faut absolument un travail d'explicitation.
01:14:30 Et je suis d'accord avec Henri Pénarruz pour dire que seule l'école publique
01:14:34 est à même de faire ce travail-là et de parvenir à l'autonomie.
01:14:38 Mais on ne peut pas imposer l'autonomie à ceux qui considèrent précisément
01:14:42 que leur choix religieux ou le choix vestimentaire,
01:14:45 parce qu'on a beaucoup parlé tout de même du foulard dans ces affaires-là,
01:14:48 est un choix qu'ils considèrent comme autonome.
01:14:50 Comment savoir l'intériorité du comportement de quelqu'un,
01:14:54 quelle est l'intention qui est derrière un acte ?
01:14:57 On a tendance par exemple à considérer que le foulard
01:15:00 est un signe nécessairement de proséthisme religieux.
01:15:03 Je ne dis pas qu'il puisse l'être, je ne dis pas qu'il l'ait été,
01:15:06 je ne dis pas qu'il puisse l'être encore, mais je dis surtout qu'il n'est pas que cela.
01:15:10 Et à mon avis, on réduit le foulard à quelque chose
01:15:13 qui est strictement du ressort du prosélytisme.
01:15:16 - Monsieur Pellicard, je me demande à qui vous pensez
01:15:20 quand vous parlez de quelqu'un qui veut imposer l'universalisme
01:15:23 comme un universalisme de surplomb.
01:15:25 - Jules Ferry ! - Mais attendez !
01:15:27 - Jules Ferry et d'autres ! - S'il vous plaît, monsieur Pellicard.
01:15:30 - Vous me demandez de me poser la question, je vous réponds.
01:15:32 - Je vous demande de me poser la question, je vous réponds.
01:15:34 - Vous parlez de la colonisation.
01:15:36 La laïcité n'est pour rien dans la colonisation.
01:15:38 Il faut arrêter de faire des amalgames...
01:15:40 - On parlait d'universalisme, monsieur Henri Pénard-Louise.
01:15:42 - Attendez ! - On parlait d'universalisme.
01:15:44 - Oui, mais ce sur quoi vous vous acharnez peut-être à juste titre,
01:15:47 c'est la prétention d'une civilisation particulière
01:15:50 à représenter l'universel. - Oui, absolument.
01:15:53 - C'est ce qu'on a appelé l'ethnocentrisme,
01:15:55 et que Claude Lévi-Strauss, à juste titre, dénonce dans "Racée Histoire".
01:15:58 Mais il ne s'agit pas de cela dans la laïcité.
01:16:01 Il s'agit dans la laïcité d'émanciper l'instruction
01:16:05 de toute influence d'un principe religieux
01:16:09 ou même d'un principe d'athéisme,
01:16:11 c'est-à-dire d'une option spirituelle particulière.
01:16:13 - Bien sûr, mais je suis entièrement d'accord.
01:16:15 - Sur ce point-là, je crois qu'on peut tomber d'accord.
01:16:18 - Bien sûr, liberté de conscience, c'est essentiel.
01:16:20 - Maintenant, quand vous parlez des pays anglo-saxons,
01:16:22 je voudrais quand même vous rappeler une chose.
01:16:24 C'est qu'en Angleterre, il y a entre 35 et 80 conseils islamistes.
01:16:30 - Mais j'ai parlé d'un seul point à ce sujet.
01:16:34 Je n'ai pas parlé du modèle.
01:16:36 - Non, mais la conception qu'on appelle anglo-saxonne de la laïcité, c'est...
01:16:40 - Mais ce n'est pas la mienne.
01:16:42 - Non, attendez. Est-ce que je peux finir ma phrase ?
01:16:44 - Oui, mais vous me prêtez alors encore des choses que je n'ai pas dites.
01:16:47 - Il y a des tribunaux qui sont des quasi-tribunaux,
01:16:51 alors que théoriquement, c'est la loi anglaise qui doit l'emporter.
01:16:54 Et pour la liberté des femmes, c'est extrêmement important,
01:16:58 qui conseille, sur la suggestion d'ailleurs de l'archevêque de Canterbury,
01:17:03 il y a une quinzaine d'années, qui conseille les juges et qui donne le la.
01:17:09 C'est-à-dire qu'actuellement en Angleterre,
01:17:12 quand une femme est accusée, elle n'a aucun moyen de se défendre
01:17:17 si elle passe devant un conseil islamiste.
01:17:21 C'est ça le communautarisme à l'anglo-saxonne.
01:17:23 C'est ça le communautarisme qui donne une autorité,
01:17:27 qui donne un poids à des islamistes,
01:17:31 c'est-à-dire des gens qui ne sont pas des musulmans,
01:17:34 qui se contentent de vivre leur foi pacifiquement.
01:17:37 On appelle l'islamisme le fait de vouloir imposer la norme religieuse de façon politique.
01:17:44 Il y a islamisme quand il y a transformation de la religion
01:17:48 en un projet de domination politique.
01:17:51 - Mais encore, je ne suis pas concerné par ce que vous dites,
01:17:54 parce que je ne défends pas le modèle multiculturaliste,
01:17:57 qui n'a d'ailleurs pas grand-chose à voir avec…
01:17:59 - Non, vous parliez de la…
01:18:00 - Je parlais simplement du comportement des autorités britanniques
01:18:03 par rapport à cette question du terrorisme.
01:18:05 Je suis limité à ça, je n'ai pas dit autre chose.
01:18:07 Mais on veut faire de moi un multiculturaliste.
01:18:09 Et le multiculturalisme et le communautarisme,
01:18:11 ce n'est pas la même chose, encore une fois.
01:18:13 - Peut-être parce que vous plaidez pour le columsmopolitisme.
01:18:17 - Oui, surtout, il y a un mot plus important encore, à mon avis, que celui-là,
01:18:20 c'est le mot de tolérance.
01:18:21 Et dès l'instant où on parle de tolérance,
01:18:24 qui paraît être une vertu ou un principe,
01:18:27 c'est les deux d'ailleurs, anglo-saxon,
01:18:30 eh bien les partisans farouches de laïcité à la française,
01:18:33 disons du modèle français de laïcité,
01:18:35 car il y a un modèle français, incontestablement,
01:18:37 auquel j'adhère très largement,
01:18:40 mais avec effectivement des nuances avec certains autres adeptes,
01:18:44 eh bien considèrent que là, on est en dehors véritablement de la tradition.
01:18:48 Alors la tolérance, tout de même, les noms de Bell, de Castellon, de Voltaire,
01:18:52 il n'y a pas que Locke pour la tolérance, il y a Spinoza aussi.
01:18:55 - Qui a attaqué Bell, Spinoza et Voltaire ?
01:18:57 - Non, mais on attaque la tolérance.
01:18:59 - Mais non, qui attaque la tolérance ?
01:19:01 - Ah ben moi, j'ai été attaqué sur le thème de tolérance
01:19:03 en disant que c'est une notion multiculturaliste
01:19:05 qui n'avait pas sa place dans la conception de la laïcité.
01:19:07 Je ne dis pas que c'est ce que vous dites là,
01:19:09 mais quand vous me prêtez des propos que je n'ai pas tenus,
01:19:11 je suis bien obligé de répondre aussi à des gens qui me l'ont prêté d'autres.
01:19:14 - Monsieur Policar, vous savez ce que disait aussi Diderot
01:19:18 à celui qui faisait l'éloge de la tolérance.
01:19:21 Il disait "il ne faut pas se fier à la tolérance
01:19:25 parce que l'autorité qui aujourd'hui tolère peut très bien ne plus tolérer.
01:19:29 Il faut donc ne pas assujettir les rapports entre les hommes
01:19:33 à une tolérance qui est variable."
01:19:36 Tolérer, ça veut dire supporter.
01:19:38 - Mais bien sûr, mais...
01:19:39 - Ça suppose une autorité qui fait supporter.
01:19:41 - Absolument, il n'y a pas de tolérance
01:19:43 sans avoir les pouvoirs d'interdire.
01:19:44 - Non, mais là, il s'agit de savoir.
01:19:46 Il faut de la tolérance entre deux personnes
01:19:49 qui sont d'un même groupe humain
01:19:53 et qui ont des thèses A et B différentes.
01:19:56 Être tolérant, ça veut dire être capable d'accepter
01:19:58 que l'autre personne n'a pas la même opinion que moi.
01:20:01 - Ce n'est pas exactement ça.
01:20:03 - Ça, c'est vital dans la société.
01:20:05 Mais la logique de la tolérance peut être effectivement très insuffisante.
01:20:09 C'est ça que disent les laïcs.
01:20:11 Et ils préfèrent le concept de liberté de conscience, d'ailleurs.
01:20:14 Le pasteur Rabot de Saint-Étienne disait
01:20:17 "Je ne demande pas le mot condescendant de tolérance,
01:20:21 je demande la totale liberté de conscience."
01:20:24 - Vous avez dit l'essentiel.
01:20:25 La tolérance est perçue comme une condescendance.
01:20:28 - Attendez, j'ai cité mes sources.
01:20:31 Le pasteur Rabot de Saint-Étienne.
01:20:33 - Oui, mais je dis qu'actuellement encore,
01:20:34 cette notion de condescendance est là
01:20:37 pour, justement, disqualifier la tolérance.
01:20:39 - Il n'y a pas de tolérance sans désapprobation préalable.
01:20:42 On ne tolère que ce qu'on désapprouve.
01:20:44 Il y a un conflit des raisons.
01:20:46 Et quand on a le pouvoir d'interdire,
01:20:47 on le fait d'ailleurs dans l'éducation des enfants,
01:20:49 on décide de permettre ou on décide d'interdire
01:20:52 en faisant le poids des raisons.
01:20:53 Ce que Eric Veil, par exemple, nommait ce choc des certitudes.
01:20:57 On compare les avantages de permettre
01:20:59 et les avantages d'interdire
01:21:00 ou les inconvénients de l'un et de l'autre.
01:21:02 Et il faut encore une fois avoir le pouvoir,
01:21:05 vous avez raison de le dire, le pouvoir d'interdire.
01:21:07 Eh bien, je crois qu'on aurait gagné, me semble-t-il,
01:21:10 dans de nombreux cas, plutôt qu'à légiférer, à tolérer.
01:21:14 Et la loi de 2004, que je n'ai pas du tout contestée,
01:21:17 et dont je ne demande pas, je le précise
01:21:18 parce que ça m'a été prêté à l'abrogation,
01:21:21 est une loi tout de même qui va au-delà de la loi de 1905
01:21:24 puisque, encore une fois, elle s'applique aux agents
01:21:30 du service public et pas aux usagers.
01:21:32 - Monsieur Policar, j'étais dans la question.
01:21:34 - Je sais que vous y étiez.
01:21:35 - La loi de 2004 avait un but fondamental qui a été atteint,
01:21:40 c'était de mettre les écoles à l'abri
01:21:42 des prosélytismes religieux.
01:21:44 Et elle a parfaitement réussi.
01:21:46 Et elle s'applique effectivement...
01:21:49 Moi, j'ai enseigné la philosophie, vous le savez,
01:21:52 comme vous, on l'a enseignée pendant des dizaines d'années
01:21:55 et devant nos classes, nous étions tenus
01:21:57 par une déontologie laïque.
01:21:58 Ça veut dire que dans l'exercice de notre fonction,
01:22:01 nous ne devons pas tenir des propos partisans
01:22:05 parce que nous avons des élèves de toutes origines,
01:22:08 de toute famille, de toute tradition,
01:22:10 et que nous nous devons, effectivement,
01:22:13 de ne pas les blesser.
01:22:14 La déontologie laïque s'applique aux agents
01:22:18 et c'est bien normal, de la même façon
01:22:20 que dans l'exercice de ses fonctions,
01:22:22 un professeur ne doit pas arborer un signe distinctif
01:22:25 de son appartenance.
01:22:26 - La loi de 2004, elle l'applique aux usagers ?
01:22:28 - Elle l'applique, ce n'est pas les usagers,
01:22:29 c'est les élèves. - Oui, j'entends bien,
01:22:31 ce n'est pas les agents.
01:22:32 - Il nous a semblé important de mettre les élèves aussi
01:22:34 à l'abri des prosélytismes.
01:22:36 - Oui, mais par rapport à cette loi,
01:22:37 j'ai fait répondre à Napoléon.
01:22:39 - Par rapport à cette loi, j'ai une éthique conséquence
01:22:41 qu'elle y est, si elle a permis que les jeunes filles
01:22:43 voient aller et restent à l'école publique,
01:22:44 c'est une bonne loi.
01:22:45 Si elle a provoqué une sorte d'hémorragie
01:22:48 vers l'enseignement confessionnel privé,
01:22:51 je pense que c'est une mauvaise loi.
01:22:52 - Il n'y a eu aucune hémorragie.
01:22:53 - Là-dessus, il y a des ouvrages ou des articles
01:22:55 qui sont contraditoires, mais encore une fois,
01:22:57 je pense que ça serait mettre de l'huile sur le feu
01:22:59 que de revenir à cette question-là.
01:23:01 - C'est vous qui l'avez évoquée.
01:23:03 - Oui, bien sûr, je l'ai évoquée, parce que je dis simplement
01:23:05 qu'elle n'est pas exactement conforme à la loi de 1905,
01:23:09 et je crois que vous en convenez.
01:23:11 - La loi de 1905, pour le rappeler,
01:23:13 c'était l'État est laïque, les individus font ce qu'ils veulent,
01:23:16 et là, effectivement, on a dit aux individus,
01:23:19 vous ne faites pas ce que vous voulez quand vous allez à l'école,
01:23:21 vous n'en portez pas de...
01:23:23 - L'idée que... Moi, je suis athée, je le précise,
01:23:25 parce qu'on croit que je suis un partisan des religions.
01:23:28 Je suis athée, et encore une fois, la liberté religieuse
01:23:31 me paraît devoir être conservée.
01:23:33 C'est un droit fondamental aussi.
01:23:35 - Mais pourquoi parlez-vous de liberté religieuse
01:23:37 et pas plus généralement de liberté de conscience ?
01:23:39 - La liberté de conscience...
01:23:40 - On ne parle pas de liberté athée,
01:23:41 il n'y a pas de liberté de conscience.
01:23:42 - J'ai dit avec vous que c'était l'essentiel,
01:23:43 la liberté de conscience.
01:23:44 Je suis d'accord avec vous, on n'a pas de désaccord là-dessus.
01:23:46 La liberté de croire ou de ne pas croire,
01:23:48 mais la liberté religieuse, c'est fondamental.
01:23:50 Quand on lit les auteurs qui ont une formation philosophique
01:23:53 en France et en Grande-Bretagne, comme Cécile Laborde,
01:23:56 on voit que les choses sont un tout petit peu plus compliquées,
01:23:58 et je pense que la tradition républicaine française
01:24:00 gagnerait beaucoup à s'enrichir
01:24:02 de la tradition britannique en matière de républicanisme.
01:24:05 - Vous savez qu'en Angleterre, il y a beaucoup de personnes
01:24:07 qui disent que... l'inverse,
01:24:09 à savoir qu'il faudrait se régler davantage
01:24:12 sur le modèle français...
01:24:13 - Oui, enfin, pas beaucoup.
01:24:15 - Ah bah, si. Bon, écoutez, on ne va pas discuter...
01:24:17 - Non, bien sûr, on ne va pas les compter.
01:24:19 - C'est la fin de ce débat, je vous remercie tous les deux
01:24:22 d'avoir accepté de le tenir dans cette émission.
01:24:25 On fait un rappel des titres, et on s'intéresse à Robespierre
01:24:28 et à la manière dont on réécrit l'histoire.
01:24:31 Alors là, pas la laïcité, mais l'histoire.
01:24:33 - À Paris, trois hommes sont en fuite
01:24:39 après le braquage d'une bijouterie Place Vendôme.
01:24:41 Vers 13h45, trois individus sur deux motos
01:24:45 se sont présentés à la joaillerie de Luxe Bulgari.
01:24:48 Deux d'entre eux étaient porteurs d'armes longues.
01:24:51 Une enquête de flagrance pour vol à main armée
01:24:53 en bande organisée a été ouverte.
01:24:55 Le préjudice est estimé à plusieurs millions d'euros.
01:24:58 Cinq personnes, dont un enfant de 8 ans,
01:25:01 ont été tuées la nuit dernière près de Houston, au Texas.
01:25:04 Les victimes sont originaires du Honduras.
01:25:07 Le suspect, en fuite, est un Mexicain
01:25:09 qui s'exerçait au tir dans son jardin.
01:25:12 Ses voisins se sont plaints et l'homme a retourné son arme contre eux.
01:25:16 Et puis, un mot de football.
01:25:18 Les Toulousains remportent la Coupe de France.
01:25:21 Le TFC a écrasé l'EFC Nantes, tenant du titre 5 buts à 1.
01:25:25 Dès la quatrième minute de jeu, les buts s'enchaînent.
01:25:28 Doublé de Logan Costa, doublé de Dalinga.
01:25:32 En seconde période, Ludovic Blas sauve l'honneur sur pénalty,
01:25:36 mais Aboukhal achève les Canaries.
01:25:38 Sur fond de vigilance sécuritaire,
01:25:40 Emmanuel Macron a remis le trophée aux Toulousains
01:25:43 depuis les tribunes, leur seconde Coupe de France,
01:25:46 après celle de 1957.
01:25:48 - Marion Poufari, vous êtes historienne.
01:25:53 Vous venez de faire paraître Robespierre, monstre ou héros ?
01:25:56 Un livre issu de votre thèse sur l'image de Robespierre,
01:25:59 telle qu'elle s'est forgée au 19e siècle.
01:26:02 C'est un livre très intéressant sur Robespierre,
01:26:04 qui reste un personnage capital de l'histoire de France,
01:26:07 mais tout aussi intéressant sur la façon dont on écrit,
01:26:10 on réécrit l'histoire.
01:26:12 Cette histoire de France,
01:26:15 qu'on va le voir à travers l'image de Robespierre,
01:26:19 on réécrit en fonction des époques et des appartenances politiques.
01:26:23 Yannick Bosque, vous êtes le co-auteur avec Marc Bélissa de Robespierre,
01:26:27 "La fabrication d'un mythe", qui est paru en 2014,
01:26:31 dans lequel vous traitiez déjà du sujet.
01:26:33 Mais d'abord, je voudrais vous poser la même question à tous les deux.
01:26:36 Pourquoi Robespierre ?
01:26:38 La Révolution française a été quand même faite par quantité de jeunes gens,
01:26:42 très brillants, tous trentenaires,
01:26:45 qui ont fini par s'entretuer.
01:26:47 Il n'a été au gouvernement qu'un an,
01:26:49 il n'était pas seul au comité de salut public,
01:26:52 et là on a continué de couper des têtes après sa mort.
01:26:55 Pourquoi c'est lui, et lui seul,
01:26:58 qui incarne à nos yeux, encore aujourd'hui, la Révolution ?
01:27:02 Pourquoi Robespierre ?
01:27:03 J'ai tendance à dire qu'en fait, il y a eu un processus de construction
01:27:07 de Robespierre en tant qu'incarnation de la Révolution.
01:27:10 C'est ça que j'ai essayé de mettre en œuvre dans mon travail.
01:27:13 En 1830, quand il y a les Trois Glorieuses,
01:27:16 les Républicains sont très peu nombreux.
01:27:20 Et ils pensent que la Révolution, l'arrivée de l'auxiliaire pour le pouvoir,
01:27:25 va changer les choses pour eux.
01:27:26 Très vite, ils se rendent compte que la liberté arrive,
01:27:29 oui bien entendu, pas toute la liberté,
01:27:31 et que l'égalité politique n'arrive pas,
01:27:34 il n'y a pas de suffrage universel,
01:27:35 l'égalité sociale, on commence à avoir des questions sur le sujet,
01:27:38 n'arrive encore moins.
01:27:40 Et ils vont commencer à réfléchir à la tradition républicaine
01:27:45 et à exhumer des écrits.
01:27:47 Et parmi ces écrits, c'est Maximilien Robespierre
01:27:50 qui va remporter leur suffrage.
01:27:51 Alors, j'aurais tendance à dire que c'est parce qu'il a légué
01:27:53 une œuvre écrite assez abondante, qu'il est une figure importante,
01:27:57 et on voit se construire par des travaux historiques
01:28:01 de plusieurs auteurs, notamment Albert Laponeré,
01:28:04 ce que moi j'appelle une légende dorée,
01:28:06 qui va articuler Robespierre par rapport à la situation de l'époque
01:28:11 et en faire à la fois le pilier d'une république,
01:28:14 à la fois sociale et égalitaire sur le plan politique,
01:28:19 le défenseur d'un droit à la surexpression
01:28:22 qui permettrait de renverser une monarchie qu'on rejette,
01:28:25 et aussi, finalement, le défenseur d'une religion de la fraternité.
01:28:30 Yannick Bosque ?
01:28:32 Oui, je redescendrai un peu dans le temps,
01:28:34 ce que dit Marion Poufari tout à fait exact,
01:28:36 mais il y a déjà la fabrication d'un Robespierre
01:28:39 incarnant un moment, incarnant la terreur,
01:28:43 et la fabrication du concept de terreur
01:28:45 comme un dispositif politique qui serait cohérent
01:28:49 au moment où il est arrêté, au moment où il est…
01:28:53 - Il est guillotiné.
01:28:55 - Il est guillotiné, donc le moment termidorien
01:28:57 est le moment où on va fabriquer un objet Robespierre
01:29:00 qui va incarner à lui seul, on va dire,
01:29:02 l'ensemble des malheurs des temps.
01:29:04 Et effectivement, après, il va falloir nettoyer
01:29:09 la figure de Robespierre de l'opprobre
01:29:11 qu'elle a pu recueillir dans la mesure
01:29:15 où les républicains reprenant consistance
01:29:18 à partir des années 1830,
01:29:21 à partir de la révolution de juillet 1830,
01:29:25 les républicains, pour exister politiquement,
01:29:27 ont besoin de nettoyer ce poids,
01:29:31 cette chape énorme qui est celle de Robespierre,
01:29:34 qui est considéré comme un incapable,
01:29:36 illettré, incapable d'écrire un discours,
01:29:41 quelqu'un qui a une vie sexuelle absolument lamentable.
01:29:45 Enfin, on n'imagine pas du tout le discours sur Robespierre,
01:29:49 le poids que ça peut avoir.
01:29:51 Donc il faut nettoyer le républicanisme de ça
01:29:54 et c'est le moment où on va passer de la légende noire
01:29:57 qui s'est construite à partir de juillet 1794
01:30:01 à une légende dorée dans la mesure où il va falloir
01:30:04 redonner à ce personnage sa place,
01:30:06 lui donner une aura, en faire quelqu'un de puissant,
01:30:09 un lecteur de Rousseau, un philosophe,
01:30:11 quelqu'un qui est dans les idées abstraites
01:30:13 et qui pense puissamment, qui sait écrire,
01:30:15 et donc fabriquer une légende dorée
01:30:17 pour lui mettre un esprit de l'Époque.
01:30:19 - Mais alors, quand on lit votre livre,
01:30:21 on s'aperçoit qu'au même moment où on commence
01:30:23 cette légende dorée, basée sur l'égalité,
01:30:25 indémocrate, obsédée par le social,
01:30:29 il y a aussi, qui perdure, alors là, sans doute plus à droite,
01:30:33 la légende, puisque vous parlez de légende,
01:30:36 on va garder ce terme, du tyran, du même, du tyranarchiste.
01:30:41 Il est à la fois tyran et anarchiste,
01:30:43 déjà pendant la Révolution, on l'en accusait,
01:30:45 d'être anarchiste, une sorte d'anarchiste sans Dieu,
01:30:48 qui ne respecte rien, qui…
01:30:50 Et là, cette image de Robespierre,
01:30:55 elle est "fabriquée" en même temps
01:30:59 que celle du démocrate épris d'égalité.
01:31:02 - Alors je dirais qu'elle est peut-être fabriquée
01:31:04 un petit peu avant, c'est-à-dire qu'il faut voir
01:31:06 que l'image de l'anarchiste, elle apparaît
01:31:09 dès les écrits contre-révolutionnaires
01:31:12 qui paraissent sous la Révolution.
01:31:13 C'est lié à la définition de l'autorité,
01:31:16 l'autorité dans une monarchie absolue,
01:31:20 c'est le pouvoir royal appuyé sur le pouvoir divin.
01:31:24 Robespierre, il est vu un petit peu comme
01:31:26 ni dieu ni maître, même si je caricature, voilà.
01:31:29 Donc il y a cette conception.
01:31:30 Chez les termidoriens, Robespierre,
01:31:32 c'est l'homme qui désobéit aux lois.
01:31:34 - Les termidoriens, je le rappelle,
01:31:35 c'est ceux qui abattent Robespierre,
01:31:37 c'est ceux qui l'arrêtent et qui le guillotine.
01:31:39 - Voilà, donc pour une partie, les termidoriens,
01:31:40 en tout cas, plutôt on va dire les termidoriens de droite,
01:31:42 Robespierre, c'est l'homme qui désobéit aux lois.
01:31:44 Là aussi, on est dans le ni maître,
01:31:45 pas dans le ni dieu.
01:31:47 Mais il y a effectivement cette image
01:31:48 de l'anarchiste qui existe,
01:31:50 qui est employée tout au long du XIXe siècle,
01:31:53 mais qui a eu tendance à disparaître.
01:31:55 Celle du tyran coexiste,
01:31:57 elle apparaît dans le discours gérondin d'abord
01:31:59 et surtout dans le discours termidorien
01:32:01 et elle va devenir quand même prépondérante.
01:32:04 Et il y a même l'idée, sous la Révolution,
01:32:06 quand on étudie le discours,
01:32:07 que la tyrannie peut amener à l'anarchie.
01:32:09 Donc les deux sont quand même liés
01:32:11 et finalement, ce qui nous reste aujourd'hui,
01:32:12 c'est l'image du tyran.
01:32:13 Mais aux origines, il y avait l'image de Robespierre
01:32:15 qui abat les fondements de l'autorité sacrée.
01:32:18 - Et vous êtes d'accord ?
01:32:20 - Oui, on pourrait même préciser que l'anarchie
01:32:23 qui désigne Robespierre
01:32:25 est celle qui désigne aussi la terreur.
01:32:27 Quand Boissy d'Anglard,
01:32:29 on est en l'an III, 1795,
01:32:31 Boissy d'Anglard, c'est le personnage
01:32:32 qui incarne ces termidoriens de droite,
01:32:34 comme l'a rappelé Marion Poufari.
01:32:37 Quand Boissy d'Anglard désigne la terreur,
01:32:39 il la désigne comme un dispositif
01:32:42 dans lequel Robespierre essaye d'incarner un roi.
01:32:45 Il voudrait être roi.
01:32:47 Et pour arriver à être roi,
01:32:49 il a besoin, et d'être tyran,
01:32:51 il a besoin de développer une espèce d'anomie politique.
01:32:53 Et donc on a la désignation de la terreur,
01:32:57 dont on imagine, nous,
01:32:58 que c'est quelque chose de très stalinien,
01:33:00 avec des gens qui tirent les ficelles,
01:33:02 avec une police, avec...
01:33:03 Absolument pas, c'est absolument l'inverse.
01:33:05 Les ennemis de la terreur et de Robespierre
01:33:07 la désignent comme anarchie,
01:33:09 parce que le peuple est constamment délibérant.
01:33:11 Et le pouvoir exécutif est totalement absent.
01:33:14 Le pouvoir exécutif, dit-il, est un fantôme.
01:33:16 Donc on a Robespierre qui incarne une anarchie,
01:33:20 une absence de pouvoir,
01:33:21 un peuple qui est laissé à lui-même,
01:33:23 et dont on estime qu'il va l'utiliser
01:33:26 pour appuyer sa domination.
01:33:28 Et par ailleurs, on a aussi, mais plus tard,
01:33:31 le Robespierre curé, en quelque sorte.
01:33:34 Oui, j'allais le dire,
01:33:35 parce qu'il y a aussi la contradiction
01:33:37 entre l'anarchiste sans-dieu
01:33:39 et le sectaire religieux.
01:33:41 Le curé dont vous parlez,
01:33:43 c'est celui qui érige le culte de l'être suprême,
01:33:45 ce qui lui est reproché,
01:33:46 et qui continuera de lui être reproché
01:33:48 au 19e siècle aussi.
01:33:49 Et puis qui lui est reproché d'emblée
01:33:51 par un certain nombre de personnes qui,
01:33:53 autour de lui d'ailleurs...
01:33:54 Au moment même où il le fait.
01:33:55 Voilà, qui trouvent qu'il y a derrière ça
01:33:58 des enjeux qui pourraient dépasser
01:34:01 la pure tentative d'avoir une espèce de culte civique
01:34:07 et qui pourrait être un instrument de domination,
01:34:09 de pouvoir.
01:34:10 Il y a des tensions au niveau des comités,
01:34:13 au niveau de l'Assemblée.
01:34:15 Et il y a un certain nombre d'acteurs
01:34:17 qui pensent qu'il va utiliser ça
01:34:18 pour asseoir une popularité que l'on craint.
01:34:22 On craint sa popularité
01:34:23 qui est extraordinaire à l'époque.
01:34:24 Mais par ailleurs, il y a au 19e siècle,
01:34:28 la fabrication d'un Robespierre,
01:34:30 d'un Robespierre curé,
01:34:31 via le culte de l'être suprême.
01:34:34 Mais celui-là, le fanatique superstitieux,
01:34:37 il a un peu disparu celui-là.
01:34:39 Il n'en reste rien aujourd'hui,
01:34:40 Marion Poirier.
01:34:41 Oui, tout à fait.
01:34:42 Il y a même une chose qui est très amusante,
01:34:43 c'est que cette image du Robespierre curé
01:34:45 qui a surtout été, je pense,
01:34:46 popularisée par Michelet,
01:34:47 qui s'est beaucoup...
01:34:48 Qui a joué un rôle très important.
01:34:49 Voilà, qui a joué un rôle...
01:34:50 Qui est quand même le grand historien français du 19e.
01:34:52 On étudie le lexique employé
01:34:54 à propos de Robespierre par Michelet.
01:34:56 Énormément de mots sont liés
01:34:58 au champ social de la religion.
01:34:59 Et dans les débats parlementaires du 19e,
01:35:01 on en vient à un retournement de situation.
01:35:03 On a des gens comme Monseigneur Frépel
01:35:06 qui reprochent aux républicains,
01:35:08 finalement, de "Tiens, écoutez, Robespierre,
01:35:10 respectez au moins la religion,
01:35:11 vous allez trop loin."
01:35:12 Donc c'est vrai qu'il y a une commune évolution
01:35:14 de la gauche vers...
01:35:15 À partir de la seconde moitié du 18e siècle,
01:35:18 après le moment 48a,
01:35:19 une évolution vers l'anticléricalisme.
01:35:22 Robespierre correspondait très bien
01:35:24 à l'esprit 48a,
01:35:26 notamment par sa religiosité.
01:35:28 Effectivement, c'est quelque chose
01:35:30 qui va s'effacer.
01:35:32 - Puisque vous parlez de Michelet,
01:35:34 que pensent les libéraux républicains,
01:35:37 plutôt les républicains modérés ?
01:35:40 Comment ils voient,
01:35:41 parce qu'ils sont importants,
01:35:42 Michelet est très important au 19e siècle,
01:35:44 qu'ils vont dessiner un Robespierre
01:35:46 de quel ordre ?
01:35:48 - Ils vont beaucoup se rapprocher
01:35:49 de la pensée libérale de la monarchie de Juillet.
01:35:51 Dès les années 1830,
01:35:52 des libéraux comme Armand Carrel,
01:35:54 des républicains modérés,
01:35:55 qui appartiennent à des associations,
01:35:57 mais qui sont hostiles au pouvoir,
01:35:58 trouvent que Robespierre est peut-être
01:36:01 trop tyrannique,
01:36:02 mais aussi éventuellement trop niveleur.
01:36:05 Ensuite, avec Michelet,
01:36:06 on va avoir le développement
01:36:08 du Robespierre tyran,
01:36:09 toujours clérical.
01:36:11 La question du Robespierre niveleur
01:36:12 est un petit peu mise en suspens,
01:36:14 mais elle peut réapparaître de temps en temps.
01:36:16 Avec Quinet, la révolution,
01:36:17 c'est la rupture,
01:36:18 mais une rupture qui était déjà en filigrane
01:36:20 depuis 1830.
01:36:21 Donc on a d'un côté les républicains modérés,
01:36:23 qui disent "C'est la révolution sans la terreur,
01:36:25 sans la tyrannie, c'est 89,
01:36:26 nous ne voulons pas de 93".
01:36:28 - Donc c'est la liberté, pas l'égalité.
01:36:30 - L'égalité politique, oui.
01:36:32 L'égalité sociale, non.
01:36:33 Et Robespierre est vu comme le défenseur
01:36:35 d'une égalité sociale,
01:36:36 voire d'un communisme,
01:36:37 s'il ne correspond pas à la réalité de ses écrits.
01:36:40 Robespierre n'était pas un communiste,
01:36:42 il n'a pas inventé le communisme.
01:36:43 Mais c'est comme ça qu'on va le présenter.
01:36:45 - Et alors, au même moment,
01:36:46 arrivent les premiers communistes,
01:36:47 et puis il y a les anarchistes,
01:36:48 qui sont très importants,
01:36:49 c'est un mouvement intellectuel
01:36:50 qui est un peu oublié aujourd'hui,
01:36:52 mais qui a eu un énorme retentissement
01:36:54 et beaucoup d'influence à l'époque.
01:36:55 Comment, eux, voient Robespierre à cette époque-là ?
01:36:58 - Dans les années 1830,
01:37:00 on est plutôt sur, au niveau de la gauche,
01:37:02 une légende dorée de Robespierre,
01:37:04 mais avec déjà des républicains modérés
01:37:06 qui ont des dissensions.
01:37:07 1840, les communistes apparaissent,
01:37:09 le mot "communisme" apparaît,
01:37:10 eux, ils vont tout de suite dire
01:37:12 "Robespierre n'est pas assez social pour nous,
01:37:14 donc on va préférer la figure d'Eber".
01:37:16 Et les anarchistes arrivent dans les années 1850,
01:37:19 avec la pensée de Proudhon,
01:37:20 et il faudra attendre,
01:37:21 pour les anarchistes,
01:37:22 c'est un cas très particulier,
01:37:23 ils n'ont pas de héros,
01:37:25 ils ne mettent pas de héros en place,
01:37:27 il faudra attendre Kropotkine,
01:37:29 au début du XXe siècle,
01:37:30 pour qu'on trouve dans le groupe des enragés,
01:37:32 finalement, une figure tutélaire de l'anarchisme.
01:37:35 Et eux, ils mettent l'accent,
01:37:36 non seulement sur le manque
01:37:37 de pensée sociale de Robespierre,
01:37:39 mais aussi sur son autorité.
01:37:40 Il faut bien voir que, pour les libéraux,
01:37:42 Robespierre est dangereux pour la liberté
01:37:44 parce qu'il incarne l'égalité politique et sociale,
01:37:46 pour les anarchistes,
01:37:47 parce qu'il incarne l'autorité.
01:37:49 Dans les deux cas,
01:37:50 on a une critique du Robespierre tyran,
01:37:52 mais sur des bases extrêmement différentes.
01:37:54 C'est quand même une figure assez extraordinaire,
01:37:57 et je pense à peu près unique,
01:37:58 puisqu'on peut absolument
01:38:00 lui mettre tout sur le dos, à Robespierre,
01:38:03 on peut tout lui reprocher,
01:38:04 et on peut l'idolâtrer pour tout.
01:38:06 C'est-à-dire qu'il fonctionne dans tous les sens,
01:38:09 dans tous les domaines.
01:38:10 Oui, tout à fait,
01:38:11 on s'était amusé avec Marc,
01:38:12 au début du XIVe siècle.
01:38:13 Dans la fabrique du mythe.
01:38:15 Oui, les deux premières pages,
01:38:17 c'est un ensemble de lieux communs que l'on trouve.
01:38:19 Oui, tous les lieux communs, et il y a tout.
01:38:21 Il y a tout et n'importe quoi.
01:38:23 Je suis, je suis, je suis.
01:38:25 Donc, effectivement, c'est un personnage
01:38:27 qui est un bon marqueur, en fait,
01:38:31 d'un certain nombre d'évolutions politiques
01:38:33 et de questions politiques,
01:38:36 voir comment elle progresse.
01:38:38 L'histoire telle qu'on l'a fait aujourd'hui,
01:38:40 c'est l'histoire qui montre
01:38:41 qu'un événement ou un personnage,
01:38:43 quand il est objet de discours,
01:38:46 comme c'est le cas pour Robespierre,
01:38:48 ou un événement qui est objet de discours,
01:38:50 il est travaillé par des mémoires,
01:38:52 il est travaillé par des lectures,
01:38:54 il est travaillé par des traditions
01:38:56 qui sont multiples, variables.
01:38:59 On peut voir des phases,
01:39:01 des moments où le Robespierre positif revient,
01:39:05 où il disparaît,
01:39:06 où le bourdon continue de...
01:39:08 Mais on a l'impression qu'au XIXe, au fond...
01:39:10 - Il est là depuis plusieurs siècles.
01:39:11 - Il incarne au XIXe les dangers de la révolution.
01:39:14 On n'a pas envie tellement de révolutions,
01:39:17 et pourtant il y en a,
01:39:18 donc il est très commode
01:39:20 pour tous ceux qui veulent dénoncer
01:39:22 les dangers de la révolution.
01:39:23 - Tout à fait.
01:39:24 De manière très constante,
01:39:25 dans le discours politique,
01:39:26 quand on étudie, mettons,
01:39:27 le discours parlementaire,
01:39:28 toutes les majorités successives au XIXe,
01:39:30 de 1815 jusqu'à la fin du XIXe,
01:39:33 vont présenter Robespierre comme un tyran.
01:39:36 Donc que ce soit à la fois
01:39:37 des républicains modérés,
01:39:38 la majorité de la monarchie de Juillet,
01:39:39 ou bien la majorité de la Restauration,
01:39:41 il y a une petite exception en 1848,
01:39:44 mais vraiment, on a cette idée,
01:39:45 Robespierre, c'est la menace de la révolution,
01:39:47 et à l'inverse,
01:39:48 pour les personnes qui se réclament
01:39:50 de la pensée de Robespierre,
01:39:51 Robespierre, c'est la promesse de la révolution.
01:39:53 - Mais on dirait,
01:39:54 la Commune, par exemple,
01:39:55 ne se réclame pas de Robespierre,
01:39:56 mais le Parti communiste,
01:39:58 une fois qu'il va naître en France,
01:40:00 va s'en réclamer.
01:40:01 - Alors justement, sur la Commune,
01:40:02 on se rencontre aujourd'hui
01:40:04 avec les travaux de Jacques Rougerie,
01:40:05 donc historien de la Commune de Paris,
01:40:07 que la pensée de la Commune de Paris
01:40:09 a été fortement influencée
01:40:10 par la pensée de la Révolution.
01:40:12 Les anarchistes,
01:40:13 notamment la personne d'Auguste Vermorel,
01:40:15 étaient très marqués par Robespierre.
01:40:17 D'autres personnes de la Commune de Paris,
01:40:18 notamment d'autres anarchistes,
01:40:19 vont le détester.
01:40:20 Donc il y a une diversité des mémoires
01:40:21 au niveau de la Commune.
01:40:22 Et le Parti communiste, effectivement,
01:40:24 va faire de Robespierre un personnage important.
01:40:27 Par contre, l'historiographie marxiste
01:40:29 va quand même bien distinguer
01:40:31 la Révolution bourgeoise
01:40:32 de la Révolution prolétarienne.
01:40:35 Et donc Robespierre reste un bourgeois honorable,
01:40:39 qui était en avance pour son temps,
01:40:41 mais ce n'est pas la personne idéale.
01:40:44 C'est très intéressant aussi de voir,
01:40:46 parce que vous le racontez,
01:40:47 que lors du premier centenaire de la Révolution,
01:40:50 1889, on évoque très peu Robespierre.
01:40:52 Alors que je me souviens du bicentenaire
01:40:54 de la Révolution en 1989,
01:40:56 où c'est la figure centrale,
01:40:58 et d'ailleurs plutôt négative.
01:41:01 C'est le Robespierre tyran,
01:41:04 c'est le Robespierre massacreur,
01:41:06 c'est même le Robespierre génocideur
01:41:09 que l'on nous montre en 1989.
01:41:12 Alors je pense qu'il y a deux causes à cela.
01:41:14 D'abord, la première cause,
01:41:15 c'est que la figure de Robespierre
01:41:17 est l'une des plus "populaires" dans l'imaginaire.
01:41:20 Elle va rester.
01:41:22 Au début du XIXe siècle,
01:41:24 on évoque beaucoup de figures,
01:41:26 de gens qui sont aujourd'hui beaucoup moins connus,
01:41:28 comme Pétion, Barnave, Bailly.
01:41:30 Aujourd'hui, dans le débat politique à la télévision,
01:41:32 est-ce qu'on parle de Pétion ? Non.
01:41:33 Donc il y a ça.
01:41:34 Deux siècles après, on se souvient de Robespierre.
01:41:36 Ensuite, il y a cet effet au niveau du bicentaire.
01:41:39 Moi j'avais 4 ans à l'époque,
01:41:40 mais d'après les travaux qui ont été faits,
01:41:44 on avait quand même l'effet "chute du mur le Berlin",
01:41:47 réflexion sur les totalitarismes,
01:41:49 qui a rejailli.
01:41:51 Sous la IIIe République, par contre,
01:41:53 l'idée c'était la naissance de la République,
01:41:55 célébrer ce qui était vraiment le plus fédérateur,
01:41:57 la partie 89, 90, 91,
01:42:01 la question des libertés, d'égalité politique.
01:42:03 On n'osait pas s'aventurer trop loin.
01:42:05 Et même Danton lui a été effectivement mis en lumière.
01:42:09 Mais c'est vrai que quand on regarde les débats parlementaires,
01:42:11 Robespierre est très peu évoqué,
01:42:13 parce qu'on cherche à faire quelque chose qui ne fâche pas trop.
01:42:16 Alors qu'en 1989, c'est Danton modéré qui est célébré,
01:42:21 et Robespierre fanatique,
01:42:24 l'ancêtre du totalitarisme, qui est conspué.
01:42:27 Voilà.
01:42:28 Alors ça, je dirais qu'il faut voir que c'est un petit peu l'héritage.
01:42:30 Il faut aussi étudier l'image de Danton,
01:42:32 qui est peut-être un peu moins étudiée jusqu'ici.
01:42:35 Il y a cette image, on trouve Danton
01:42:38 mis à un bol à mode par Michelet.
01:42:40 Il était très critiqué dans la première moitié du XIXe siècle,
01:42:42 enfin en tout cas, critiqué.
01:42:44 Sous la Troisième République, il va être vu comme l'homme modéré,
01:42:46 qui savait faire des compromis.
01:42:47 La Troisième République le promeut beaucoup,
01:42:49 les républicains le promeuvent beaucoup.
01:42:51 Et il va rester une figure populaire,
01:42:53 mais effectivement, Robespierre a pris sur lui
01:42:56 tout le poids de la terreur, de cet imaginaire,
01:42:59 de ce qu'on appelle la terreur.
01:43:01 Et comme le disait Yannick Bosque,
01:43:03 il y a cette légende noire qui s'est cristallisée,
01:43:05 donc qui lui reste en fait.
01:43:07 Et Danton, lui, en est exonéré,
01:43:09 alors même qu'il a participé à la mécanique judiciaire
01:43:12 de la répression sous la Révolution.
01:43:14 Voilà.
01:43:15 Mais c'est une question de construction d'image aussi,
01:43:17 au fil du temps.
01:43:18 Mais c'est là où, quand même,
01:43:19 parce qu'on parle de construction d'image
01:43:21 comme s'il s'agit de publicitaire.
01:43:23 Mais non, on parle d'historien.
01:43:24 On parle des médias,
01:43:25 on parle de la façon dont on nous apprend l'histoire de France.
01:43:28 Et on voit bien à quel point on peut l'écrire et la réécrire
01:43:31 en fonction des époques,
01:43:33 en fonction des appartenances politiques.
01:43:35 Je disais qu'il n'y a que Robespierre
01:43:37 qui en dose comme ça de tout et n'importe quoi.
01:43:39 On pourrait peut-être dire le général de Gaulle aussi.
01:43:41 Parce que du fait qu'il a été…
01:43:43 On lui a dit tout et n'importe quoi
01:43:45 et le contraire sur de Gaulle,
01:43:46 en France comme à l'étranger.
01:43:48 Ses amis d'un jour devenaient ses ennemis du lendemain.
01:43:52 Et aujourd'hui, on voit les pires ennemis de de Gaulle
01:43:55 quand il était au pouvoir s'en réclamer.
01:43:57 Un peu comme Robespierre.
01:43:59 Mais tout ça ne nous incite pas à être très confiants
01:44:03 à l'égard des historiens.
01:44:04 Vous comprenez bien, on se dit mais au fond,
01:44:06 ils nous racontent ce qu'ils ont envie de nous raconter
01:44:08 en fonction de l'ère du temps et de ce qu'ils croient.
01:44:11 Alors moi je dirais que d'abord,
01:44:14 l'image de Robespierre,
01:44:15 elle s'est construite dans le discours politique.
01:44:17 Elle s'est ensuite développée dans le discours historique
01:44:19 et que l'histoire a beaucoup évolué.
01:44:21 Je pense que là, Yannick Boss,
01:44:23 tu es enseignant,
01:44:24 il pourra vous en dire beaucoup plus que moi.
01:44:26 La méthode historique, elle a profondément évolué.
01:44:29 L'histoire, elle a vocation par l'historiographie
01:44:32 à réfléchir sur elle-même.
01:44:34 Quand on faisait d'histoire au XIXe siècle,
01:44:36 des gens comme Michelet n'avaient pas du tout
01:44:37 notre approche des textes.
01:44:39 Ils avaient aussi, dans certains cas,
01:44:41 ils étaient influencés aussi par la période romantique,
01:44:43 par une vision de l'histoire.
01:44:44 Ils voulaient construire une légende.
01:44:45 C'était un univers mental assez différent.
01:44:48 Donc on peut dire qu'effectivement,
01:44:49 l'histoire du XIXe,
01:44:50 ce n'est pas l'histoire qu'on pratique aujourd'hui.
01:44:52 Donc effectivement, c'est notre devoir en tant qu'historien
01:44:54 de la mettre à distance et de réfléchir sur elle.
01:44:57 Et je dirais que finalement,
01:44:58 tout ce qui se dit sur Robespierre,
01:45:00 c'est aussi pour nous un matériau, finalement,
01:45:02 qui permettra aux futurs historiens
01:45:05 de réfléchir sur l'image de Robespierre.
01:45:07 Yannick ?
01:45:08 Moi, je dirais qu'il n'y a d'histoire que contemporaine.
01:45:12 C'est-à-dire que l'histoire, ce n'est pas le passé.
01:45:14 L'histoire, c'est le temps.
01:45:16 Et donc, c'est le rapport qu'il y a
01:45:17 entre le présent de l'historien,
01:45:19 qui est imbibé du monde dans lequel il est,
01:45:21 et donc qui va interroger le passé
01:45:23 à partir de son présent, obligatoirement.
01:45:26 Je vais donc travailler sur le XVIIIe siècle
01:45:28 en fonction du XXIe et des questions du XXIe,
01:45:31 qui n'étaient pas celles de mes prédécesseurs.
01:45:33 Ça ne veut pas dire qu'on va dire des choses fausses.
01:45:36 C'est-à-dire que la même archive, le même texte,
01:45:38 la même ligne, parfois,
01:45:40 va éveiller notre curiosité aujourd'hui,
01:45:42 alors qu'elle laissait indifférent nos collègues auparavant.
01:45:45 Donc l'histoire est toujours une construction,
01:45:48 une construction dans laquelle l'historien joue un rôle,
01:45:51 mais où il y a des gardes-fous extrêmement précis,
01:45:53 qui sont la méthode historique,
01:45:55 qui a été fixée à la fin du XIXe siècle,
01:45:57 et qui donne une autorité à ce que l'on peut affirmer.
01:46:01 Mais par rapport à la construction des faits,
01:46:03 par rapport à l'élaboration des faits,
01:46:06 il y a bien sûr des dimensions
01:46:08 qui sont des dimensions d'ouverture, d'interprétation,
01:46:11 et c'est parce qu'on travaille,
01:46:13 on est nombreux à travailler sur des objets qui sont les mêmes,
01:46:15 que l'on est en débat les uns avec les autres,
01:46:17 qu'on arrive à construire des consensus,
01:46:20 à développer des idées, à les faire se déplacer.
01:46:23 - Normalement, on devrait voir apparaître d'ici peu
01:46:26 un Robespierre féministe et un Robespierre écolo.
01:46:30 - On a plutôt eu le Robespierre antiféministe de Claude Guillon,
01:46:33 donc effectivement, on a bien eu ce sujet qui est apparu,
01:46:36 et pour l'écologie, j'imagine qu'un jour on verra peut-être...
01:46:40 - Qu'on s'intéressera un peu plus aux droits naturels et à la nature,
01:46:44 peut-être qu'on va retrouver des filiations, mais je ne sais pas si...
01:46:48 - Alain Pellicard sur...
01:46:50 - Non, non, moi j'ai l'habitude de ne parler que des sujets
01:46:52 sur lesquels je m'estime un tant soit peu compétent.
01:46:55 Là, moi j'ai écouté avec beaucoup d'attention et beaucoup appris.
01:46:58 C'est passionnant. Je lirai cet ouvrage-là.
01:47:01 - Henri Péniarwiz.
01:47:02 - Oui, vous vous souvenez qu'il était quand même grand lecteur de Rousseau,
01:47:06 et à propos de la croyance en Dieu,
01:47:10 il lance "l'athéisme est aristocratique",
01:47:14 parce qu'il estime, avec sa fibre sociale,
01:47:18 que les agiteurs, les gens qui s'emparent des richesses, etc.,
01:47:23 doivent être châtiés dans l'au-delà,
01:47:25 et ça ne peut pas se faire s'il n'y a pas de Dieu.
01:47:28 Donc son orientation sociale, qui est indéniable,
01:47:33 elle est indéniable, son orientation sociale,
01:47:35 même si Hébert voulait aller plus loin que lui,
01:47:37 mais il a lancé cette formule assez bizarre,
01:47:40 "l'athéisme est aristocratique".
01:47:42 Ça s'explique, ça veut dire qu'il faut un châtiment dans l'au-delà
01:47:45 pour ceux qui ne veulent pas partager.
01:47:48 - C'est quel Robespierre ?
01:47:51 - Je dirais que c'est le Robespierre de 1848,
01:47:54 le Robespierre des 48 arts, qui a très peu vécu finalement,
01:47:57 qui a vécu entre 1830 et 1851.
01:48:00 Après, Robespierre lit Rousseau,
01:48:04 mais il prend ses distances avec Rousseau,
01:48:06 et des fois il dit qu'il y a des vérités de Rousseau
01:48:07 qu'il faut laisser dans les livres.
01:48:08 Donc il est aussi conscient du fait qu'il ne prend pas Rousseau
01:48:12 au pied de la lettre, et aujourd'hui on est très conscient
01:48:15 que Robespierre a été influencé par beaucoup d'autres auteurs
01:48:17 comme Locke et Montesquieu, et que sa pensée sociale, par exemple,
01:48:20 ressemblait à celle de certains juristes du 18e siècle.
01:48:23 Donc je pense que sur la question du social,
01:48:26 il y a vraiment un aspect juridique dans sa pensée,
01:48:29 qui est encore assez peu étudiée,
01:48:31 mais qui mériterait vraiment une analyse approfondie.
01:48:34 - Dernière question, mais il ne nous reste que 38 secondes.
01:48:36 Finalement, c'était un monstre ou un héros ?
01:48:38 - Je pense que ça dépend.
01:48:40 Chaque courant politique voit un milieu à sa porte,
01:48:43 donc pour une personne ça sera un monstre,
01:48:44 pour une autre ça sera un héros,
01:48:45 et c'est ça qui fait que le personnage est intéressant,
01:48:47 parce qu'il cristallise des enjeux mémoriels.
01:48:49 Donc moi je ne peux pas me prononcer,
01:48:51 j'ai choisi justement d'être à distance.
01:48:53 - Yannick ?
01:48:54 - Je ne suis pas là pour juger,
01:48:56 un historien n'est pas là pour porter des jugements,
01:48:58 donc on constate qu'effectivement il a été l'un et l'autre.
01:49:01 C'est ça qui est intéressant d'étudier,
01:49:03 pour essayer de voir ce qu'on peut en tirer nous
01:49:05 du point de vue de notre conception de la république,
01:49:07 de nos sociétés.
01:49:09 - Merci tous les deux, merci tous les quatre même,
01:49:11 d'avoir participé à cette émission.
01:49:13 Merci de nous avoir suivis.
01:49:15 Rendez-vous demain à 22h,
01:49:18 pour un autre numéro des Visiteurs du Soir.
01:49:20 Très bonne nuit.
01:49:22 Merci.