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Frédéric Taddeï et ses invités débattent des grandes questions du XXIe siècle dans les #VisiteursDuSoir

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00:00:00 Bonsoir, c'est Frédéric Taddeï, ravi de vous retrouver.
00:00:04 Les visiteurs du soir, c'est dans un instant, mais d'abord le journal télévisé d'Isabelle Piboulot.
00:00:10 La mobilisation de mardi s'annonce massive et certains routiers sont en grève dès ce soir.
00:00:19 Des blocages de plateformes logistiques et de zones industrielles pourraient avoir lieu demain matin dans les Hauts-de-France et en région parisienne,
00:00:26 tout comme des opérations escargots aux abords des grandes métropoles.
00:00:31 L'enquête sur les disparus des deux sèvres avance, les autopsies des deux corps retrouvés sous beacons dans Charente-Maritime ont commencé.
00:00:38 Les dépouilles n'avaient pas pu être formellement identifiées comme étant celles de Leslie et Kevin.
00:00:43 Le couple a disparu depuis fin novembre.
00:00:46 Trois suspects sont mis en cause dans l'affaire, dont deux mis en examen pour assassinat.
00:00:51 Et puis en Grèce, après le drame ferroviaire de mardi, le chef de gare a été placé en détention provisoire.
00:00:58 Vassilis Samaras, 59 ans, est inculpé pour sa responsabilité présumée dans la mort des 57 victimes tuées lors de la collision des deux trains.
00:01:07 Devant le Parlement d'Athènes, près de 12 000 personnes ont manifesté pour elle.
00:01:12 La responsabilité n'est pas humaine, mais en lien avec les équipements ferroviaires jugés vétustes.
00:01:19 (Générique)
00:01:31 Les visiteurs du soir sont ce soir Charlène Biondi qui a écrit "Décoder, une contre-histoire du numérique"
00:01:39 qu'on abordera à partir de 23h, le projet de loi interdisant les réseaux sociaux aux moins de 15 ans,
00:01:45 sauf autorisation de leurs parents, et ce qui instaurera une majorité numérique comme il y a désormais une majorité sexuelle.
00:01:54 On s'intéressera aussi à l'interdiction de TikTok pour des raisons de sécurité sur les téléphones des fonctionnaires américains
00:02:04 et ceux de la Commission européenne et du Parlement européen.
00:02:08 On sera rejoints pour tout ça par Anne Cordier, par Fabrice Eppel-Bouin et par Tariq Trim.
00:02:14 Avant cela, on va revenir avec Loïc Le Foch-Brigent qui est ici présent, l'ancien président de ELF,
00:02:20 l'auteur de "Carnet de route d'un Africain" sur la tournée cette semaine du président de la République française Emmanuel Macron en Afrique centrale.
00:02:28 Alors pourquoi la France suscite-t-elle un tel ressentiment d'Afrique ?
00:02:32 On va voir ça aussi avec le journaliste Ousmane Diaye qui a suivi le président là-bas et qui nous rejoindra d'ici peu.
00:02:39 Et on commence tout de suite cette émission avec François Guéry.
00:02:42 François Guéry, vous êtes philosophe, professeur émérite de l'université Lyon III et vous publiez "La loi du plus faible".
00:02:50 C'est sous-titré "La nature n'est pas darwinienne".
00:02:54 Alors qu'est-ce que vous entendez par là ? Parce que selon la théorie de la sélection naturelle de Darwin,
00:02:58 les organismes les mieux adaptés à leur environnement ont le plus de chances de survivre et se reproduire.
00:03:04 Ce n'est pas le cas ?
00:03:06 Alors ce que Darwin dit, ce n'est pas exactement qu'il y a une loi du plus fort, mais une survivance du plus apte.
00:03:15 Alors survivance du plus apte, au fond, c'est presque une tautologie.
00:03:20 Il est clair que si des vivants doivent survivre, nécessairement, ils sont les plus aptes.
00:03:29 Les mieux adaptés à leur environnement ?
00:03:31 Oui. Alors maintenant, cette théorie qui repose sur un modèle de la sélection,
00:03:41 Darwin a appliqué l'idée que la sélection artificielle que pratiquent les éleveurs
00:03:47 pourrait être, par analogie si on veut, convertie en une sorte d'action mécanique de la nature
00:03:54 qui ne garderait que ceux qui lui conviennent, enfin ceux qui sont les plus aptes.
00:04:01 S'il n'y avait que ça, je pense qu'on pourrait considérer que le darwinisme est une théorie très intéressante,
00:04:11 comme d'ailleurs le transformisme de Lamarck a été une théorie très intéressante auparavant.
00:04:15 Il faut dire aussi, bien sûr, que le darwinisme ignore la génétique, enfin c'est une question d'époque.
00:04:24 Donc aujourd'hui, on ne peut pas dire qu'il y ait une science darwinienne,
00:04:28 mais une théorie évolutionniste d'inspiration darwinienne, néo-darwinisme.
00:04:33 Alors maintenant, ce n'est pas ça qui m'a intéressé.
00:04:37 Ce qui m'a intéressé, c'est la famille autour de Darwin.
00:04:42 Il faut quand même comprendre qu'il y a un courant matérialiste au XIXe siècle
00:04:49 qui a par exemple inspiré tous les révolutionnaires russes,
00:04:54 qui se sont d'abord appelés des nihilistes avant de devenir des révolutionnaires au sens bolchevique du terme.
00:05:02 Donc le matérialisme russe et allemand ont pris, si je puis dire, Darwin dans la famille.
00:05:12 Ils ont inventé ce qu'on a appelé le darwinisme social.
00:05:15 Alors il y a le darwinisme social absolument, qui lui est une théorie de la force,
00:05:20 puisque ce point qui me paraît important, bien sûr, c'est de dire que ce mécanisme de sélection conserve les plus forts
00:05:30 et il y a donc une doctrine de la force qui est donc le contraire, explicitement d'ailleurs,
00:05:38 d'une éthique de certaines valeurs qui était en fait portée par le christianisme.
00:05:45 Ce matérialisme du XIXe siècle est en fait une immense abréaction contre la domination du christianisme,
00:05:52 son pouvoir temporel et son pouvoir spirituel au sens d'une éthique de charité, de protection du faible.
00:06:02 Et de compassion aussi.
00:06:04 De compassion, voilà, d'empathie.
00:06:07 Donc tout ça a été pris dans une sorte d'immense maelstrom dont Nietzsche, par exemple,
00:06:13 est quand même un des acteurs majeurs, même s'il n'était pas du tout intéressé par ce côté un peu positiviste des darwiniens.
00:06:21 Mais, pardon de vous interrompre François Guéry, mais aujourd'hui, grâce à Dieu, j'allais dire,
00:06:27 aucun pays ne pratique plus le darwinisme social, si tant est qu'on l'ait pratiqué, mais l'Allemagne nazie a effectivement été proche.
00:06:37 Ce que je veux dire, c'est que la loi, le droit, l'éthique protègent le plus faible dans nos sociétés.
00:06:43 Mais c'est la nature qui m'intéresse le plus, puisque c'est le sous-titre de votre livre, vous dites "la nature n'est pas darwinienne"
00:06:49 et il existe une loi du plus faible. Alors, justement, comment est-ce qu'elle s'exprime, cette loi du plus faible, dans la nature ?
00:06:58 Vous dites qu'il y a des cas où il y a des espèces qui, effectivement, s'il n'y avait pas de loi du plus faible,
00:07:04 elles auraient disparu depuis longtemps.
00:07:06 Alors d'abord, il y a le fait que les espèces ont d'une incroyable pérennité, il faut reconnaître.
00:07:12 Il y a naturellement des espèces en voie de disparition ou des espèces carrément disparues.
00:07:16 Mais enfin, tout de même, il y a encore des espèces qui ont des millions d'années derrière elles.
00:07:21 Et d'ailleurs, l'homme lui-même, après tout, a environ 4 millions d'années.
00:07:26 Donc, il y a une certaine, comment dire, résilience des espèces.
00:07:31 Mais c'est vrai qu'on n'imagine pas que la nature protège les plus faibles.
00:07:34 Ça ne fait pas partie de notre vision du monde. Et on a peut-être tort.
00:07:39 Alors, ce qui m'a intéressé, évidemment, c'est une sorte d'innovation très ancienne.
00:07:45 On parle de 150 millions d'années.
00:07:47 Alors, un rétrovirus réussit à entrer dans le matériel génétique d'espèces qui, jusqu'alors, étaient ovipares.
00:07:57 Donc, elles faisaient des œufs ?
00:08:00 Alors, le problème de l'ovipare est immense.
00:08:05 Parce que les œufs sont répandus dans le milieu.
00:08:09 Il y a évidemment des oiseaux qui les couvent et qui donc les protègent.
00:08:12 Mais si on prend l'exemple des poissons, ils lâchent dans le milieu une sorte de laitance
00:08:19 qui est ensemancée, enfin fertilisée, également au sein du milieu.
00:08:24 Et en réalité, cette laitance fertilisée, c'est-à-dire donc, après tout, la descendance des poissons,
00:08:31 sert essentiellement d'aliment.
00:08:33 C'est mangé par les autres poissons ?
00:08:35 Oui, voilà, c'est ça.
00:08:36 Et d'ailleurs, j'avais lu un texte de Jules Michelet, très intéressant, qui s'appelle "La mer",
00:08:41 où il signale que les poissons, en quelque sorte, têtent la mer elle-même.
00:08:49 C'est comme un lait qui circule.
00:08:51 Ils n'ont qu'à ouvrir la bouche, ils sont nourris.
00:08:54 Et donc, la lactation, si on veut, le lait, c'est la mer elle-même.
00:09:00 Et ça fait donc que les œufs, qui sont la descendance des espèces,
00:09:04 sont aussi l'aliment de ces mêmes espèces.
00:09:08 Alors, ça pose évidemment un problème, c'est l'incroyable vulnérabilité,
00:09:13 l'incroyable exposition de la descendance, c'est-à-dire de la génération qui suit,
00:09:19 à cause de cette présence dans le milieu commun,
00:09:24 où il y a aussi des prédateurs et tout simplement aussi des animaux qui se nourrissent.
00:09:29 Donc, l'innovation fondamentale, en fait, c'est le placenta.
00:09:34 C'est lui qui change la donne.
00:09:37 - Mais ça, c'est chez les mammifères.
00:09:39 - Oui, voilà. Alors, c'est donc l'apparition des vivipares,
00:09:42 alors pour être un tout petit peu plus technique,
00:09:44 ce sont des vivipares qui sont terriens et qui sont placentaires.
00:09:48 Et donc, nous-mêmes, nous appartenons à ce clade, enfin bon, peu importe, le côté technique.
00:09:54 Alors, qu'est-ce que c'est que le placenta ?
00:09:57 C'est en fait la source, comment dire, d'un milieu qui devient purement intérieur
00:10:04 et qui ne fait qu'un avec le futur vivant.
00:10:09 - Je vais le résumer, si vous le permettez, tout simplement.
00:10:13 C'est qu'au fond, au lieu d'avoir un œuf qu'on laisse traîner,
00:10:17 dont tout le monde peut s'emparer,
00:10:19 les mammifères vont à un moment camoufler le fœtus dans le ventre de la mère
00:10:25 où tout à coup, on ne lui demande rien en échange, on l'héberge,
00:10:28 on protège au fond le plus faible.
00:10:31 - Alors voilà. - C'est ça, votre théorie.
00:10:33 - Au stade le plus faible, le futur, comment dire, la nouvelle génération,
00:10:38 lorsqu'elle est absolument vulnérable, est prise en charge, couverte, portée par la génération présente.
00:10:48 - Ce qui fait d'ailleurs que quand on dit les générations futures,
00:10:51 en réalité, il y a une parfaite contemporanéité des générations
00:10:56 puisque la mère et son fœtus ne font qu'un,
00:11:00 sont de la même époque et même sont absolument indissociables.
00:11:06 - Pour bien vous comprendre, dans l'idée qu'il y a une loi du plus faible,
00:11:11 que la nature protège les plus faibles, pas tout le temps, mais que ça lui arrive,
00:11:16 qui va à l'encontre d'un certain nombre d'idées préconçues.
00:11:19 Quand vous citez des exemples d'espèces, comme par exemple le crocodile
00:11:23 qui se laisse nettoyer les dents par des oiseaux,
00:11:26 là on se dit que la nature protège les plus faibles.
00:11:30 Quand la mouche vient asticoter les bovins et que les bovins n'ont pas les moyens
00:11:35 de s'en prendre aux mouches, on se dit que la nature protège les plus faibles.
00:11:40 Mais là, en l'occurrence, vous dites que les parents, même s'ils ne sont pour rien,
00:11:46 puisque ce n'est pas nous qui avons décidé qu'il y aurait un fœtus
00:11:49 et qu'il serait porté par la mère, mais au fond on protège notre propre progéniture.
00:11:55 Ce qui est très darwinien justement, c'est qu'on serait tous programmés
00:12:00 pour avoir des beaux bébés qui auront des beaux bébés qui auront des beaux bébés.
00:12:03 C'est ça la théorie de l'évolution de l'espèce.
00:12:06 Est-ce que ce n'est pas très darwinien que les parents cajolent quelqu'un
00:12:11 qu'ils ne connaissent pas encore, mais enfin qu'il n'est pas tout à fait un étranger,
00:12:15 puisque c'est quand même leur progéniture ?
00:12:17 Moi, mon idée est simplement que le plus faible, qui est le vivant incohatif,
00:12:24 si on veut, le vivant à son début, est entièrement pris en charge.
00:12:28 Et deuxième point qui est quand même très important,
00:12:31 parce que mon idée c'est qu'il y a des leçons à tirer de ce que fait la nature,
00:12:36 de nature éthique.
00:12:38 Et donc la loi du plus fort, ça semble être une éthique inspirée de la nature,
00:12:43 écraser celui qui ne tient pas le coup.
00:12:47 En réalité, on s'aperçoit que la nature pratique une sorte d'éthique,
00:12:52 qui est de donner la priorité à celui qui ne pourrait pas se défendre par lui-même.
00:12:57 Alors que ce soit darwinien, non, en un sens,
00:13:02 il ne me semble pas que Darwin ait parlé de cette question,
00:13:05 et de toute façon, il s'agit plutôt, naturellement, de l'exploitation de Darwin
00:13:10 dans un sens éthique.
00:13:13 Mais vous dites aussi, François Guéry, dans votre livre,
00:13:16 que la sélection sexuelle chez les animaux n'est pas non plus basée sur la force.
00:13:22 Ça n'est pas forcément le mâle le plus fort qui, excusez-moi l'expression,
00:13:27 emporte la femelle.
00:13:29 Le point que j'ai essayé de développer, c'est plutôt que l'idée qu'il y aurait
00:13:34 une sélection des plus aptes par la nature ne tient pas compte du fait que
00:13:39 les partenaires sexuels, si je puis dire, ont un élément de choix.
00:13:46 Et donc ce n'est pas la nature qui sélectionne le meilleur,
00:13:50 mais en réalité la femelle sélectionne le mâle, le mâle sélectionne la femelle.
00:13:55 Donc il y a, si on veut, un usage du mot sélection contradictoire chez Darwin.
00:14:00 À tel point d'ailleurs qu'il est revenu, après "L'origine des espèces",
00:14:05 sur cette question, en publiant "La décendance de l'homme",
00:14:11 c'est-à-dire en fait la généalogie de l'homme,
00:14:13 où il prend en compte la sélection sexuelle.
00:14:16 Il s'est senti obligé, si on veut, de compléter.
00:14:20 Vous y croyez à la loi du plus faible, Charlène Biondi ?
00:14:24 Ce n'est pas que j'y crois, c'est que si effectivement on pouvait développer
00:14:30 une théorie politique qui prendrait cette idée comme fondement,
00:14:34 et non la loi du plus fort, qui a quand même donné tout ce qu'on connaît
00:14:38 de l'hyper-individualisme, y compris de l'individualisme méthodologique,
00:14:42 c'est-à-dire que c'est toute une éthique de l'existence,
00:14:47 vous parliez d'éthique tout à l'heure, qui est celle de la modernité en réalité,
00:14:52 qui repose sur cette croyance finalement, puisque vous nous dites
00:14:57 que c'est une croyance qui est que le plus fort aurait finalement raison.
00:15:01 Je vous arrête, le droit, tous les pays de droit protègent les plus faibles.
00:15:09 Bien sûr, mais l'économie de marché, y compris les lois,
00:15:12 le droit permet d'encadrer le plus fort, mais la théorie de l'économie de marché,
00:15:16 c'est quand même de dire que celui qui gagne remporte.
00:15:19 Le gagnant, c'est le plus fort, et du coup l'intérêt de l'individu,
00:15:27 l'individu a tout intérêt à poursuivre sa propre volonté, son propre désir,
00:15:34 quitte à tout faire, quitte à tout écraser sur son passage
00:15:37 pour réussir à développer son plein potentiel.
00:15:44 C'est ça, c'est quand même issu de cette même lignée idéologique.
00:15:49 Si on pouvait réinventer un modèle sur l'inverse...
00:15:51 Loïc Lefloque-Brigent, qui est un industriel...
00:15:54 Le gagnant prend tout, c'est ça ?
00:15:57 Simplement, est-ce que la nature fait la même chose ?
00:16:02 J'ai écouté notre ami avec intérêt, parce que je suis en train de lire le livre
00:16:08 sur les primates du primatologue des Pays-Bas,
00:16:17 qui a regardé "Les chimpanzés et les bonobos",
00:16:20 et c'est intéressant, parce qu'effectivement, il développe énormément cette idée
00:16:26 que la génétique permet aujourd'hui de savoir qui ont été les mâles
00:16:31 et qui ont ensemencé les femelles, et que ce n'est pas forcément le plus fort ou l'alpha...
00:16:39 Sinon, on serait tous très costauds, très grands, très poilus...
00:16:45 Donc on n'est pas Winner-Winner, take-all.
00:16:48 C'est-à-dire qu'effectivement, il y a des questions à se poser,
00:16:53 alors je n'irai pas jusqu'à considérer que je suis spécialiste de votre domaine.
00:16:59 Dans l'économie et dans l'industrie, il est rare que les faibles soient protégés comme vous le souhaitez,
00:17:11 donc ce n'est pas vraiment ce que je vis tous les jours.
00:17:15 Je me permets de préciser quand même qu'à l'époque de Darwin,
00:17:18 Marx a écrit qu'en réalité, Darwin ne décrivait pas la nature du vivant, le monde vivant,
00:17:26 mais qu'il décrivait en fait le libéralisme sauvage, le capitalisme.
00:17:31 C'est une objection que Marx a faite à Darwin à cette époque.
00:17:37 Mais au fond, la morale de votre livre, François Guéris,
00:17:41 ça pourrait être que même les forts commencent faibles.
00:17:44 Parce qu'au fond, on les protège dans le ventre de leur mère,
00:17:47 alors qu'on ne sait pas s'ils feront fort, ils commencent faibles à ce moment-là.
00:17:50 On protège une potentialité.
00:17:53 Aussi, il y a une orientation vers un futur,
00:17:56 c'est-à-dire aussi qu'il y a quand même un élément de négation de soi-même comme centre,
00:18:01 si on veut, comme narcissisme, si on veut.
00:18:05 Chez la mère qui porte son enfant, il y a quelque chose tout de même
00:18:09 comme un effacement de ce qu'elle pourrait être si elle n'était pas une femme enceinte
00:18:15 et donc une espèce de transfert sur celui qu'elle abrite
00:18:21 et dont elle veut qu'il devienne à son tour indépendant.
00:18:26 Je suis d'accord que le faible n'est pas maintenu faible et pour sa faiblesse,
00:18:32 mais pour une possibilité d'indépendance et de...
00:18:36 On protège l'avenir.
00:18:38 Capacité, oui, c'est ça.
00:18:39 On protège l'avenir.
00:18:40 Donc cette faiblesse, si on veut, est, comment dire, contredite
00:18:46 par une option sur l'avenir de l'espèce.
00:18:50 On dirait que quand on vous lit, ce sera le dernier mot, on protège l'avenir,
00:18:54 mais c'est quand même la force qu'on préfère, souvent, y compris dans la nature.
00:18:59 Non, je pense que dans cette affaire-là, ce n'est pas la force.
00:19:04 Il y a plus un élément de solidarité, de maintien d'un lien.
00:19:10 Je ne pense pas que ce soit, en fin de compte, une apologie de la force,
00:19:15 à moins que, naturellement, on dise ceci, c'est qu'il faut être suffisamment fort
00:19:21 pour, une fois que cet abri a été jusqu'à son terme,
00:19:29 on puisse tenir le coup, ça, c'est complètement clair.
00:19:32 C'est ce que j'entendais parler.
00:19:33 On fait une pause, on se retrouve tout de suite après.
00:19:36 La France s'est fait chasser en trois ans de Centrafrique, du Mali et du Burkina Faso,
00:19:47 trois pays où notre pays était présent depuis plus d'un siècle.
00:19:52 Alors, comment expliquer une telle débâcle, un tel ressentiment, même,
00:19:56 dans les populations africaines à l'égard de la France ?
00:20:00 C'est certainement pour cela que le président de la République, Emmanuel Macron,
00:20:05 est parti, cette semaine, en tournée, en Afrique centrale.
00:20:08 Et c'est pour poser la question, justement, de savoir qu'est-ce qui se passe là-bas.
00:20:14 Nous, on n'a pas votre expérience à tous les deux de l'Afrique,
00:20:17 alors on ne sait pas pourquoi on nous en veut.
00:20:19 Loïc Leflocq-Prigent, vous avez été le président de la SNCF, de Gaz de France, d'Elfa Kitten,
00:20:25 vous êtes l'auteur de "Carnets de route d'un Africain".
00:20:28 Ousmane Ndiaye, vous êtes journaliste, vous avez été correspondant au Mali et au Sénégal,
00:20:33 vous avez été le responsable afrique de l'abdominaire Courrier international,
00:20:37 et vous êtes aujourd'hui rédacteur en chef Afrique de la chaîne TV5Monde.
00:20:41 Vous avez suivi le président Macron pendant cette tournée.
00:20:45 Votre explication à tous les deux, pourquoi est-ce que la France, aujourd'hui, est chassée ?
00:20:52 Il n'y a pas d'autre terme, et souvent remplacée par les Russes, mais ça, on en parlera après.
00:20:56 D'abord, pourquoi est-ce qu'on ne veut plus de nous ?
00:20:59 Dire qu'on ne veut plus de nous, ça dépend qui.
00:21:02 De la même façon qu'il y a le gouvernement français, les militaires français,
00:21:08 les économistes français, les français, il y a les curés, il y a les bonnes sœurs, etc.
00:21:15 Les français, c'est quand même nombreux.
00:21:17 De la même façon, il y a des gens avec qui, au Tibia, au Mali, au Burkina Faso, au Concentre Afrique,
00:21:23 les français ont des incoïncences historiques qui vont durer très longtemps.
00:21:30 Et puis, il y a des gouvernements qui, à un moment, commettent des erreurs.
00:21:36 Et je pense que l'erreur fondamentale qui est commise, c'est de considérer qu'à un moment, on libère,
00:21:44 et que l'armée qui libère continue à libérer.
00:21:48 Et l'armée qui libère devient un armée d'occupation.
00:21:51 Je pense que c'est un grand classique et qu'il faut être très attention.
00:21:55 Alors, on a fait les mêmes erreurs partout.
00:21:58 On n'a pas encore vécu l'erreur au Tchad, qui n'est pas loin,
00:22:03 mais le fait de considérer en un clin d'œil que quelqu'un qui était là depuis longtemps,
00:22:11 qui était Iris Déby, se fait assassiner, et que derrière, on avalise immédiatement que le fils prenne sa suite,
00:22:19 et que l'armée est au Tchad, est incontestablement une erreur.
00:22:24 - Surtout qu'Iris Déby était un dictateur particulièrement féroce.
00:22:29 - Oui, oui.
00:22:30 Donc, vous voyez, je pense qu'on n'a pas du compte de l'évolution réelle des pays,
00:22:38 de la jeunesse qui montait, du fait qu'on en avait marre, globalement, des dictateurs soutenus par la France.
00:22:47 Donc, il y a eu l'armée, et puis il y a eu le soutien des gouvernements qui sont là.
00:22:51 Et disons qu'une certaine façon, la visite qui vient de se faire, resoutient des dictateurs d'Afrique centrale,
00:22:58 puisque on a vu le président célébrer Ali Bongo, et on célébrait Sassoune Guesso,
00:23:06 dont la jeunesse ne veut plus.
00:23:09 Et fustiger Sikheïdi, qui a été élu de façon quand même "démocratique", mais quand même relativement saine,
00:23:20 et qui a succédé à d'autres dictateurs, la famille Kabila, dont le dernier Kabila.
00:23:26 Donc, je pense qu'il y a toujours cette incompréhension de l'existence d'une jeunesse qui demande,
00:23:33 qui aspire à quelque chose, et le fait que nous apparaissons comme soit une force militaire,
00:23:38 soit une sorte conservatrice, conduisant à garder des gens qui sont depuis 30 ou 40 ans au pouvoir.
00:23:45 Et ça, c'est effectivement quelque chose dont nous souffrons aujourd'hui.
00:23:50 Mais les Français, c'est-à-dire la France culturelle, continue à attirer la jeunesse en même temps.
00:23:58 Cette France-là, les Français.
00:24:01 Donc il faut faire très attention à ce dont on parle.
00:24:04 Un peu suspens, très vite, parce que dans 40 secondes il y a le journal, mais je vous redonnerai la parole juste après.
00:24:09 Ce qu'il dit, on ne peut pas dire qu'ils ne veulent plus de nous, ils ne veulent plus d'une politique africaine de la France.
00:24:15 En fait, ce qui est rejeté, c'est une politique, c'est une contestation politique.
00:24:18 C'est pourquoi moi, je n'utilise jamais le mot "sentiment anti-français", "ressentiment anti-français",
00:24:23 parce que ce qui est en cours, c'est plus grave que ça.
00:24:25 Je pense que dire que c'est un sentiment, c'est le minorer, c'est ne pas le reconnaître.
00:24:29 C'est une contestation même qui s'inscrit dans un récit plus long,
00:24:35 qui est celui des mauvaises décolonisations.
00:24:38 On part sans rester, on fait des économies extraverties.
00:24:41 C'est-à-dire que la plupart des économies africaines ont gardé le schéma colonial.
00:24:45 Ils sont tournés vers la France.
00:24:47 On fait une agriculture, pas pour les Sénégalais, mais pour nourrir la France.
00:24:51 Et tant qu'on ne sortira pas de ces extraversions, de ces distorsions,
00:24:56 de ces récits, de ces postulats de la colonialité, l'affrontement est inévitable.
00:25:00 Et là, on arrive au bout de la maturation de cette contestation qui dure.
00:25:04 En 2003 déjà, Alpha Blondie, une des icônes du continent, chantait "Armée française, allez-vous-en".
00:25:11 C'est-à-dire la contestation…
00:25:12 C'est pas les dégâges même.
00:25:14 C'était "Armée française, allez-vous-en".
00:25:16 Et tous les jeunes habituants, partout, chantaient ça.
00:25:20 Donc il y a une génération d'Africains qui arrive à maturation,
00:25:23 dont la conscience politique s'est construite dans une forme de contestation
00:25:27 et d'opposition de la colonialité française, qui s'exprime par des choses précises.
00:25:31 Tous ces jeunes-là, on peut oublier ici en France,
00:25:35 les lois sur les bienfaits de la colonisation sous Chirac,
00:25:38 le discours de Dakar, l'intervention militaire en Côte d'Ivoire sur une question de politique interne.
00:25:44 C'est-à-dire, il y a une élection entre deux candidats du pays,
00:25:48 lundi, il faut recompter.
00:25:50 C'était Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara.
00:25:53 Il se trouve qu'Alassane Ouattara était un ami de Nicolas Sarkozy,
00:25:56 et comme par hasard, les troupes françaises sont entrées au palais,
00:26:00 ont délogé Gbagbo et ont mis l'ami de Ouattara contre l'avis des Africains.
00:26:03 Je vous interromps, pardonnez-moi, c'est le journal d'Isabelle Piboulot, on reprend juste après.
00:26:09 Avec la grève de mardi, le trafic s'annonce très perturbé à la SNCF.
00:26:17 Un train sur cinq en moyenne pour les TGV Inuit,
00:26:20 également pour les TER, un train sur quatre pour les OVIGO,
00:26:23 du côté des métros de la RATP, seules les lignes 1 et 14 rouleront normalement.
00:26:28 Pour les autres, la plupart ne fonctionneront qu'aux heures de pointe.
00:26:32 La circulation sera également perturbée sur les réseaux des bus et tramways.
00:26:37 Pierre Palmade transféré dans un troisième hôpital,
00:26:40 cet après-midi, l'humoriste a quitté le Kremlin-Bicêtre,
00:26:43 où il était hospitalisé en détention provisoire,
00:26:46 pour rejoindre l'hôpital de Marie-Lane Long, au Plessis-Robinson.
00:26:49 L'établissement est spécialisé dans la chirurgie du thorax, des vaisseaux et du cœur.
00:26:54 Pierre Palmade y sera pris en charge pendant 48 heures.
00:26:57 Et puis un mot de Formule 1, Max Verstappen inaugure la saison en beauté.
00:27:02 Le néerlandais a remporté le Grand Prix de Bahreïn,
00:27:05 devant son coéquipier chez Red Bull, Sergio Perez.
00:27:08 Fernando Alonso complète le podium pour sa première course avec Aston Martin.
00:27:13 Les démarrages, en revanche, pour Charles Leclerc, contraints d'abandonner en raison d'un problème mécanique.
00:27:19 - On va, si vous voulez bien, reprendre cette conversation,
00:27:25 mais avec des images qui datent un peu maintenant.
00:27:27 C'était en 1958, le général de Gaulle se rendait à Brazzaville.
00:27:32 Et voilà ce que ça donnait à l'époque.
00:27:34 Alors, je ne suis pas sûr que tout était totalement spontané.
00:27:37 Néanmoins, évidemment, pour les Français, pendant longtemps,
00:27:41 c'était cette image-là qu'ils avaient de l'Afrique et de la France en Afrique.
00:27:46 - Brazzaville reste pour le premier résistant de France un grand souvenir.
00:27:51 C'est ce qu'évoquait son geste devant la statue du gouverneur Félix Ebboué,
00:27:55 qui rallia dès 1940 le Congo à la France libre.
00:27:58 Lui, le président du conseil, a retrouvé pour quelques heures la case de Gaulle,
00:28:07 qui l'abrita aux temps héroïques et qui, depuis, porte son nom.
00:28:11 Plus tard, enfin en présence de milliers de personnes,
00:28:17 le général a de nouveau exposé les principes de la future communauté,
00:28:21 à laquelle chacun des peuples qui composaient d'hier l'Afrique française
00:28:24 pourra ou non adhérer en recevant la responsabilité entière de se gouverner lui-même.
00:28:29 Autonomie et communauté française ou sécession.
00:28:34 Brazzaville a déjà répondu.
00:28:37 - Loïc Lefranc-Prigent, je vous vois regarder ces images...
00:28:43 - Avec tendresse, mais bon, ça s'est mal passé.
00:28:48 Non, je pense qu'il y a deux choses qui sont...
00:28:52 Ce que vient dire Ousmane, c'est vrai, c'est la jeunesse aspire à une autre politique.
00:28:58 Cette autre politique n'est plus la politique dont ils ont envie,
00:29:03 peut être représentée par des Français, mais pas par la politique française.
00:29:07 Donc je crois qu'il faut faire très attention.
00:29:09 - Mais vous vous assistiez tout à l'heure sur la présence militaire.
00:29:12 Et c'est vrai qu'une partie de la présence française,
00:29:15 celle peut-être la plus visible, elle est militaire.
00:29:18 Il y a toujours des...
00:29:20 - Soit la présidence, la France fait ce que l'État dans lequel il est lui dit,
00:29:28 soit il fait ce que la France veut.
00:29:30 Et en l'occurrence, ce qu'a dit Ousmane sur la Côte d'Ivoire est vrai,
00:29:33 comme ce que j'ai dit tout à l'heure sur le Tchad.
00:29:36 C'est différent.
00:29:39 On peut effectivement dire, je vous aide à lutter au Tchad contre la Libye de Kadhafi,
00:29:46 c'était l'origine de la présence de l'armée.
00:29:49 Puis on peut être quand même, c'est un peu différent,
00:29:52 de dire un dictateur est assassiné, on met l'office du dictateur à la place.
00:29:56 - Mais on peut dire que quels que soient les présidents français,
00:30:00 ça a toujours été pareil.
00:30:03 - C'est difficile après de dire, mais la France n'est pour rien
00:30:06 dans le fait que vous ayez un dictateur.
00:30:08 Puisque le dictateur a été mis en place par...
00:30:11 C'est compliqué.
00:30:13 C'est là où la présence militaire et politique est la même.
00:30:17 À côté de ça, il y a une présence française qui est généreuse
00:30:22 et qui est illustrée par, j'ai dit tout à l'heure,
00:30:25 les curés, les bonnes sœurs, les écoles, l'éducation, la culture, etc.
00:30:29 qui est attractive pour l'ensemble de la jeunesse africaine
00:30:35 qui a envie d'aller là-bas.
00:30:37 Et pas seulement la jeunesse africaine des pays francophones,
00:30:40 également des autres pays, de l'Angola.
00:30:43 Donc je crois qu'il faut bien regarder ce qui s'est passé.
00:30:47 Et sur le plan économique, alors ça a été désastreux. Pourquoi ?
00:30:51 Parce que alors que nous avions mis les infrastructures coloniales
00:30:55 et qu'on avait la possibilité de regarder comment pouvait se faire
00:31:00 la première transformation des minéraux et de l'ensemble des richesses de l'Afrique,
00:31:04 la deuxième transformation, la troisième transformation,
00:31:06 pour reprendre ce que disait Ousmane pour les besoins de l'Afrique,
00:31:10 ce qui a été fait, c'est le plus de minerais possible partant de l'Afrique,
00:31:15 le plus de produits bruts partant de l'Afrique,
00:31:18 pour satisfaire l'ensemble de la vie.
00:31:21 Alors on a bien vu ça sur des choses très simples.
00:31:25 C'est-à-dire que si on a fait des raffineries, le pétrole,
00:31:30 on n'a jamais fait des grandes raffineries,
00:31:33 de façon à pouvoir alimenter l'Afrique.
00:31:36 Et l'Afrique faisait des petites raffineries avec des prix extrêmement forts.
00:31:42 Et c'est les sociétés de trading qui arrivaient avec l'ensemble des produits pétroliers.
00:31:48 Ce qui est absurde, puisque on vendait le pétrole brut africain
00:31:53 pour aller dans les raffineries extérieures.
00:31:56 Et ça, ça se fait dans l'ensemble des minéraux, dans l'ensemble des produits.
00:32:02 Les noix de cajou de Guinée-Bissau sont envoyées en Inde pour traitement.
00:32:07 Elles ne sont pas très claires.
00:32:09 Mais est-ce que ça serait différent, ou est-ce que ça a été différent
00:32:12 avec les Anglais, avec les Américains, qui parfois nous ont succédé,
00:32:16 ou avec les Russes et les Chinois qui aujourd'hui ont l'air de nous succéder ?
00:32:20 Les Anglais ont été plus intelligents incontestablement,
00:32:26 et ils ont permis aux autres d'aller, surtout parce qu'il y avait l'Afrique du Sud,
00:32:34 les gens de l'Afrique du Sud, qui étaient complètement autonomes.
00:32:37 Donc il y a eu une évolution, mais...
00:32:39 – Ce n'est pas le même mode de colonisation.
00:32:40 – Ce n'est pas le même mode de colonisation.
00:32:41 – C'est ce qu'on a appelé la colonisation directe des Français.
00:32:43 Donc on assimile, et les Anglais ont toujours opté pour une mode de colonisation indirecte.
00:32:48 Il y a des relais locaux.
00:32:50 Donc je pense que les héritages économiques ne sont pas les mêmes.
00:32:53 Même si la culture de la domination, quel que soit le partenaire, russe, chine, etc. existe.
00:32:59 Mais les rapports, les conséquences de la domination ne sont pas les mêmes.
00:33:02 – Vous avez dit...
00:33:03 – Sur les Russes et les Chinois, on en reparle si vous voulez.
00:33:07 – On va y revenir, mais vous avez dit, Ousmane Diaye,
00:33:09 que la France est une puissance mondiale tant qu'elle est une puissance en Afrique.
00:33:13 Qu'est-ce que vous entendez par là ?
00:33:14 – C'est-à-dire, aujourd'hui il y a un débat qui est intéressant en France,
00:33:17 et qui a son écho en Afrique.
00:33:19 On a d'un côté en Afrique les gens qui disent que l'armée française doit partir,
00:33:24 que la France doit quitter.
00:33:26 Ici aussi, en France, on a ce postulat qui est de dire "mais la question c'est quoi ?"
00:33:30 – Et le président lui-même pense à diminuer la présence militaire française en Afrique.
00:33:34 – Oui, après il a été plus fin, il a fait le discours du lundi où il a annoncé une mutation,
00:33:38 mais à Libreville il n'a dit ni retrait ni désengagement.
00:33:41 De toute façon, ce que je pense c'est qu'aujourd'hui,
00:33:43 dans le contexte actuel, la France n'a pas le choix.
00:33:45 Autant il y a 10-15 ans, dans la géopolitique actuelle,
00:33:50 il aurait pu y avoir une forme de désengagement sur certaines emprises.
00:33:53 Aujourd'hui le problème c'est simple, c'est-à-dire,
00:33:55 si la France se désengage militairement, on le sait très bien,
00:33:59 la logique géopolitique fait que ce sont les Russes qui vont arriver, reprendre les bases.
00:34:03 Donc ce n'est pas possible en fait, c'est-à-dire, on a beau tourner autour du pot,
00:34:08 en tout cas en termes d'influence militaire, ce n'est pas pensable en termes d'influence stratégique,
00:34:13 et que la France, c'est-à-dire aujourd'hui la France est une puissance au Conseil de sécurité,
00:34:17 parce que les États-Unis, une bonne partie des membres du Conseil de sécurité,
00:34:22 sous-traitent les questions africaines à la France.
00:34:24 C'est-à-dire le dossier du Mali est géré essentiellement par la France,
00:34:29 la Libye était gérée par la France, c'est-à-dire le seul espace aujourd'hui
00:34:34 où la France a une capacité militaire, a une capacité politique,
00:34:39 a une capacité de jouer sur les acteurs, c'est l'Afrique.
00:34:42 Ce n'est pas en Asie, ce n'est pas aux États-Unis, c'est en Europe, etc.
00:34:45 Donc je pense que c'est très facile de dire "oui, il faut se retirer", etc.
00:34:49 Mais je ne pense pas que la France en ait les moyens.
00:34:51 L'exemple montre qu'à chaque fois, il faut le dire, que la France est retirée, ça se passe mal.
00:34:56 Comment les Russes arrivent en Centrafrique ?
00:34:58 Parce que François Hollande, pour des questions de politique intérieure, notamment de moyens,
00:35:03 dit "l'armée française ne peut pas supporter un double engagement,
00:35:06 un engagement au Mali, un engagement Centrafrique".
00:35:09 Donc, contre la volonté des Centrafricains, on arrête Strengaris.
00:35:13 Que font les Centrafricains ? Il faut que les Français soient remplacés.
00:35:16 Parce que la Centrafrique n'a pas les possibilités de maintenir son territoire en sécurité.
00:35:22 Les Russes sont arrivés comme ça, en fait.
00:35:24 Et que finalement, l'expansion russe en Afrique, il faudrait la relativiser d'un point de vue…
00:35:30 Je pense que du point de vue symbolique, ça fait peur parce qu'il y a la guerre en Ukraine.
00:35:34 Mais du point de vue de la stratégie, en fait, ils ont compris qu'il y a des interstices,
00:35:38 qu'il y a des failles. Et en fait, ils s'inscrivent dans les faiblesses des Occidentaux.
00:35:42 Ce n'est pas une politique comme la Turquie ou comme la Chine, où ils arrivent avec de l'investissement.
00:35:48 Vous prenez la Turquie, on en parle moins.
00:35:50 Alors que la Turquie, vous allez à Dakar, l'aéroport est construit par les Turcs, le directeur est un Turc.
00:35:55 Vous allez au Niger, même chose.
00:35:57 Les Russes n'investissent pas, en fait.
00:35:59 C'est-à-dire qu'ils s'instrumentalisent la question du symbole militaire,
00:36:03 parce que c'est un symbole quand même fort, pour se donner une certaine importance dans la politique africaine.
00:36:10 Parce qu'aussi, quoi qu'on puisse dire, à l'issue de la guerre froide,
00:36:13 ce qui est intéressant aussi, on a une récruture de l'histoire.
00:36:17 C'est-à-dire cette guerre-là en Afrique, entre la Russie et les Occidentaux,
00:36:21 on a assisté à la même guerre.
00:36:23 Et ce qui est intéressant, c'est que les mêmes acteurs, par exemple, vous prenez un pays comme le Mali,
00:36:26 de 68 à 94, ils optent pour le Bolloc soviétique.
00:36:31 Les élites actuelles du Mali ont été formées à Kiev, à Moscou.
00:36:35 L'actuel Premier ministre a eu un doctorat à l'université de Kiev.
00:36:39 Donc, il y a eu un mouvement démocratique qui a renversé le dictateur Moussa Traoré,
00:36:44 qui était pro-russe.
00:36:46 Et la démocratie est arrivée avec le soutien de la France des Occidentaux.
00:36:49 Mais qu'est-ce qui se passe ?
00:36:50 Il y a une telle désillusion du projet démocratique que les Occidentaux proposent,
00:36:54 qu'aujourd'hui au Mali, il y a une aspiration militaire.
00:36:57 Il y a une forme de popularité, puisque le modèle que les Occidentaux nous imposent,
00:37:01 la démocratie a donné un pays occupé par les djihadistes, une armée par terre, de la corruption.
00:37:07 Et ça, c'est une vraie question.
00:37:09 Il ne suffit pas de dire, je pense que c'est une facilité, de proclamer la mort de la France-Afrique,
00:37:14 qu'on a une alternative.
00:37:15 Je pense que la vraie question, c'est quel est le projet alternatif à ce que proposent les Russes et les Chinois ?
00:37:21 Parce que jusqu'ici, ce qu'ils proposent,
00:37:24 c'est très commun pour le type de régime qu'il y a en Afrique.
00:37:27 On fait du business, le reste, ça ne nous regarde pas.
00:37:30 Mais la France a une aspiration démocratique, et c'est là où c'est compliqué.
00:37:33 Elle a une aspiration démocratique sans en avoir les moyens de le tenir.
00:37:36 Aujourd'hui, vous parlez du Tchad, est-ce que la France aurait pu faire autrement ?
00:37:39 Est-ce que la France, aujourd'hui, stratégiquement, peut se permettre de perdre le Tchad ?
00:37:43 Ce que je dis simplement, c'est qu'on va, il me semble, aussi bien Hollande que son successeur,
00:37:53 vont trop vite aux conclusions, vont trop vite sur les mots, jouer sur les mots.
00:37:59 C'est-à-dire, France-Afrique, c'est un mot de journaliste, ce n'est pas un mot de la réalité.
00:38:04 Je suis complètement d'accord avec ce que vous dites, Ousmane,
00:38:08 mais, pas le bémol, mais l'ajout que je mettrais, c'est que le Russe est effectivement celui qui vient pour montrer sa puissance,
00:38:20 comme ils l'ont montré en Syrie au moment où il y a un problème,
00:38:24 c'est-à-dire, je suis parmi les grands de ce monde et je vous le démontre.
00:38:32 Par contre, les Turcs et les Chinois, vous faites bien d'assister sur les deux,
00:38:37 eux, ils sont là comme prédateurs.
00:38:41 Ou comme investisseurs.
00:38:43 Moi, je ne suis pas d'accord avec ça.
00:38:45 Non, mais je vous dis ce que je pense. J'ai peut-être tort et vous allez me contredire.
00:38:50 Mais moi, je les vois comme prédateurs.
00:38:52 C'est-à-dire que je ne les vois pas, aujourd'hui, faisant les investissements qui conviennent
00:38:58 pour mettre les pays dans lesquels ils investissent à l'abri,
00:39:03 c'est-à-dire exportateurs non plus de matériaux, mais de matériel,
00:39:09 c'est-à-dire la deuxième ou la troisième France en motion.
00:39:12 Pendant 50 ans, la France ne l'a pas fait non plus.
00:39:14 Je ne dis pas que la France n'a pas fait de transformation.
00:39:20 Mais les Chinois, par exemple, y a eu des...
00:39:22 Mais les Chinois ne font pas...
00:39:23 C'est-à-dire que le projet réel d'aide, si jamais on aidait vraiment l'Afrique,
00:39:32 ce qui n'est pas le cas, de mon point de vue, c'est de dire,
00:39:35 il faut absolument que la première transformation et la deuxième transformation
00:39:39 puissent se faire un jour en Afrique. C'est ça le sujet.
00:39:42 Parce qu'est-ce que, en dehors du ciment dont je parlais tout à l'heure,
00:39:46 qui est d'un côté, qui fait du ciment, mais là, c'est pour le Nigéria,
00:39:51 en dehors de ça, il n'y a pas d'acier, il n'y a pas de plastique.
00:39:54 Or, on fait des produits pétroliers depuis très longtemps, maintenant, en Afrique.
00:40:02 Ce que vous voulez dire, pour que ce soit plus clair pour tout le monde,
00:40:05 c'est qu'au fond, il y a des matières premières,
00:40:08 il faudrait les transformer sur place pour fabriquer des produits manufacturés sur place
00:40:14 et pouvoir les exporter ou les consommer sur place.
00:40:17 Par exemple, le Togo a le meilleur phosphate du monde,
00:40:20 et les produits phosphatés ne sont faits ailleurs.
00:40:24 On exporte le phosphate, on le fabrique ailleurs.
00:40:27 Exactement, et ça, ce n'est pas les Français qui sont dans le coup, c'est l'Israélien.
00:40:30 C'est le monde occidental qui l'a fait dans tout le pays du Québec.
00:40:35 La France frontale n'a pas voulu vraiment faire le développement
00:40:39 de la première à la deuxième transformation en Afrique.
00:40:43 C'est ça le danger.
00:40:44 Et les gens qui arrivent de nouveau, c'est-à-dire les Turcs et les Chinois, ne sont pas mieux.
00:40:49 Et donc, c'est ça le sujet qu'il faut traiter.
00:40:52 Et je pense que si jamais on traitait ce sujet de façon frontale
00:40:56 avec les moyens culturels, éducation, etc., tout ce que j'ai dit sur la France,
00:41:01 si jamais on disait ça, à ce moment-là, on aurait une valeur ajoutée
00:41:05 qui pourrait nous faire revenir.
00:41:07 Mais Ousmane a raison, nous ne pouvons pas ignorer que notre position de puissance
00:41:15 ne nous permet pas de nous engager complètement.
00:41:19 Vous me direz si je me trompe, mais l'Allemagne est devenue
00:41:22 le premier pays européen exportateur en Afrique.
00:41:25 Ça n'est plus la France.
00:41:27 Exportateur.
00:41:28 Exportateur.
00:41:29 C'est pas le sujet.
00:41:30 Le sujet n'est pas celui-là.
00:41:31 Mais je veux dire que c'est plus large que ça.
00:41:33 C'est-à-dire qu'on a l'impression qu'on perd de tous les côtés des pays partenaires depuis longtemps.
00:41:40 Le Gabon, le Bongo ont adhéré au Commonwealth, par exemple.
00:41:44 Et on se dit, voilà, c'est de tous les côtés.
00:41:47 Et nous, les Français, on aimerait comprendre.
00:41:49 En fait, la question, c'est les rapports économiques.
00:41:53 On parle beaucoup de l'armée, mais il y a une forme de détérioration,
00:41:58 c'était d'ailleurs le terme que déjà, les années 60,
00:42:01 le président Léopold Sédar Senghor, qu'on ne peut pas soupçonner d'être anti-France,
00:42:05 déjà, il dénonçait, il a théorisé ce qu'il appelait la détérioration des termes de l'échange avec la France.
00:42:11 C'est-à-dire, on a des pays occidentaux qui sont les marchés
00:42:15 et qui fixent les règles du marché, qui fixent les prix.
00:42:18 Et qu'aujourd'hui, en Afrique, qu'est-ce qui se passe, le sentiment ?
00:42:22 C'est-à-dire, on s'est dit que la France, de 1960 à à peu près les années 90,
00:42:27 ont assez profité des ressources.
00:42:29 Les entreprises françaises ont connu une période vaste en Afrique.
00:42:34 Et qu'aujourd'hui, ils se disent que de toute façon, il faut sortir de ce processus
00:42:38 et essayer autre chose pour pouvoir jouer sur les conflictualités au niveau géopolitique.
00:42:44 Le problème aussi, prenez un pays comme le Mali.
00:42:47 On dit souvent que le Mali a opté pour le bloc russe.
00:42:51 Je trouve que c'est plus fin que ça, finalement.
00:42:53 Parce que pendant longtemps, tout comme la Centrafrique,
00:42:56 le président Emmanuel Macron a rencontré le président Bouzizé.
00:42:59 Je pense que c'est des pays aussi qui utilisent la nouvelle donne géopolitique
00:43:03 pour pouvoir rééquilibrer les rapports de force.
00:43:05 – Au fond, il y a une mondialisation à l'intérieur de l'Afrique dont l'Afrique…
00:43:09 – Oui, dont l'Afrique essaie de tirer les marrons du feu tout en disant…
00:43:12 Par exemple, quand vous regardez un pays comme le Cameroun,
00:43:16 on a reproché, dès qu'il a été réélu au président Emmanuel Macron,
00:43:19 d'aller au Cameroun de Paul Biard, avec cette fameuse conférence de presse.
00:43:22 Paul Biard est au pouvoir depuis 1991.
00:43:25 Mais quand vous voyez aussi derrière que Biard, qui n'est pas né de la dernière pluie,
00:43:30 a pris le soin, juste après la Centrafrique, six mois auparavant,
00:43:34 de signer un accord de coopération militaire avec la Russie.
00:43:38 Parce qu'il se pose une question très simple.
00:43:41 Est-ce que la France se désengage, laisse un peu la place aux Russes,
00:43:47 un pays stratégique comme le Cameroun,
00:43:50 ou comme le Gabon, vous le disiez, qui a choisi…
00:43:52 Par exemple, quand le Gabon choisit le Commonwealth,
00:43:54 ça procède de ce même type de raisonnement.
00:43:57 Parce que qu'est-ce qui se passe au Gabon ?
00:43:58 Le président Ali Bongo est très mal élu,
00:44:00 le président François Hollande à l'époque décide de ne pas y aller,
00:44:04 ça faisait 13 ans qu'un président français n'y est pas allé,
00:44:07 parce que c'est une forme de contestation du point de vue démocratique.
00:44:10 Aujourd'hui finalement, au bout de 13 ans, on revient à l'aréal politique en fait.
00:44:16 Il est obligé d'aller au Gabon parce qu'il faut aller au Gabon,
00:44:19 alors que les conditions n'ont pas changé.
00:44:21 Ça a été posé la question à Keen, il va à un RDC,
00:44:26 alors que Jean-Yves Le Drian avait publiquement contesté
00:44:30 la légitimité de l'élection du président Félix Tchétchéké.
00:44:33 Il est revenu dessus, il a eu une passe d'armes avec le président Félix Tchétchéké,
00:44:37 qui lui a clairement dit que ce n'est pas des façons de faire,
00:44:40 ce n'est pas des façons de parler, c'est une forme de paternalisme.
00:44:42 Il faut régler une question, c'est-à-dire c'est la tentation de dire
00:44:45 "on apporte un projet démocratique, etc.", ou "on fait du business".
00:44:49 Et l'avantage des autres, c'est qu'ils ont réglé le problème.
00:44:51 La Turquie, la Chine, peu importe qui est au pouvoir.
00:44:54 Je trouve que c'est plus compliqué pour la France,
00:44:57 parce qu'il y a une aspiration démocratique et c'est adossé aussi à des valeurs.
00:45:01 Mais alors il y a un problème, Ousmane, que vous sous-estimez dans votre propos,
00:45:05 vous sous-estimez forcément tout le temps,
00:45:08 qui est que les dirigeants qui sont là ont envie de rester au pouvoir
00:45:13 et que plutôt que de regarder l'intérêt de le pays,
00:45:16 regardent leur intérêt propre.
00:45:18 Et que ça c'est extrêmement difficile de contester.
00:45:21 Et donc la position de la France est d'autant plus compliquée
00:45:26 que n'ayant pas réussi le sursaut démocratique
00:45:32 qui aurait permis d'avoir une discussion sur les bases que vous indiquez,
00:45:37 on se retrouve toujours avec les mêmes,
00:45:39 puisque ce que j'appelle dans mon langage les familles régnantes,
00:45:44 sont là et ne veulent pas être dépossédées.
00:45:47 Donc elles essaient de trouver non pas le moyen de développer leur population et leur pays,
00:45:53 mais elles essaient de voir comment elles gardent le pouvoir.
00:45:56 C'est un vrai sujet.
00:45:58 - Je suis d'accord avec ça, mais il faut quand même qu'on remonte plus.
00:46:02 Ils tiennent leur pays, ils installent des dynasties,
00:46:06 et souvent ça s'est fait au départ avec le soutien et l'assentiment militaire de la France.
00:46:11 C'est-à-dire qu'ils ont pu placer leur pays sous joues
00:46:14 parce qu'il y avait l'armée française qui les protégeait,
00:46:17 qui intervenait militairement.
00:46:19 Et en plus on parle beaucoup comme si c'était un temps ancien,
00:46:23 ces interventions pour sauver des dictateurs,
00:46:25 mais moi je rappelle s'il y a des choses plus récentes quand même.
00:46:27 En 2008, Idriss Déby, les rebelles sont portus du palais,
00:46:31 le régime va tomber, qui intervient pour le sauver ?
00:46:34 L'armée française.
00:46:36 Et donc en fait il y a quelque chose qui est intenable.
00:46:38 On ne peut pas être sur un discours sur la démocratie,
00:46:41 sur les valeurs pour un tel pays, et pour un pays non.
00:46:45 - Nous sommes d'accord.
00:46:46 - Donc ça c'est une contradiction que les Africains ne supportent plus.
00:46:49 Ils se disent que finalement il y a une forme de clarté,
00:46:56 en tout cas dans le positionnement des Russes ou des Chinois,
00:47:00 ils se disent "nous, notre doctrine, ce n'est pas d'ingérence politique".
00:47:04 Les questions de politique interne, vous les réglez qui que ce soit,
00:47:06 le président, on fera du business.
00:47:08 Or la France n'est pas sur cette voie.
00:47:09 La France dit "ah non, non, non, on ne peut pas traiter avec certains pays".
00:47:12 Et en plus ça c'est une constante, Hollande, Sarkozy, c'est une constante.
00:47:17 Il ne faut jamais oublier quand même que Nicolas Sarkozy a reçu
00:47:20 Kadhafi, une tente à l'Elysée, un an plus tard c'était un dictateur.
00:47:24 On engage l'armée française pour le défaire au nom de la démocratie.
00:47:27 Mais c'est vrai que vous l'avez dit, ce sont des contradictions
00:47:31 que tous les présidents de la République depuis le général De Gaulle ont assumées.
00:47:35 Emmanuel Macron apporte une rupture, en tout cas du point de vue du discours.
00:47:41 Il a apporté des ruptures.
00:47:43 Il s'est attaqué à un certain nombre, comme il dit, de tabous et de totems.
00:47:46 Je pense qu'il est le seul, quoi qu'on pense de la réforme,
00:47:50 il est le seul à quand même attaquer et poser la question du francais Ifrah
00:47:54 du point de vue de la France.
00:47:55 Il le pose aux tous les autres pays.
00:47:57 Il faut rappeler là aussi que le francais Ifrah, c'est le problème que ça peut poser.
00:48:00 C'est une monnaie, à la base ça s'appelait "colonie française d'Afrique".
00:48:06 C'est la monnaie coloniale héritée de la France.
00:48:09 Quand les pays sont devenus indépendants, la France est restée toujours dans la gouvernance.
00:48:14 Et la dernière grande dévaluation du francais Ifrah se fait parce que la France veut dévaluer,
00:48:19 les Africains ne veulent pas.
00:48:20 La France a toujours le pouvoir.
00:48:23 Maladure a imposé en 1994 une dévaluation aux chefs d'État africains
00:48:27 en envoyant Michel Rousseau et les chefs d'État ne voulaient pas signer.
00:48:30 On les a rassemblés, on a dit "vous signez, vous n'avez pas le choix".
00:48:33 Il y a une rupture verbale, il n'y a pas de rupture réelle.
00:48:37 Il faut se méfier des ruptures verbales.
00:48:41 Il n'y a pas que ruptures verbales.
00:48:43 Le francais Ifrah a été réformé.
00:48:44 On peut ne pas être content de la réforme, on peut dire machin,
00:48:47 il est allé à Mabidjan proposer de réformer la France.
00:48:51 C'est le premier chef d'État français qui dit
00:48:53 "si vous voulez que la France sorte du francais Ifrah, sortez".
00:48:56 Je trouve qu'il faut lui prendre acte de ça.
00:48:59 Il faut lui prendre acte aussi qu'il s'attaque à quelque chose
00:49:02 qui n'est pas rentable politiquement et qui pose beaucoup de problèmes en France.
00:49:06 Il s'est attaqué aux questions mémorielles, aux questions de la postcolonie.
00:49:10 Sur le Rwanda par exemple, quoi qu'on puisse dire de la commission nucléaire,
00:49:13 tout le monde est d'accord que c'est une avancée, même si on l'a contée au début.
00:49:16 Il ouvre les archives sur la question.
00:49:18 Donc il pose la question de la restitution des arches.
00:49:21 Ousmane, vous n'êtes pas raisonnable.
00:49:23 Pourquoi ?
00:49:24 Parce qu'à l'heure actuelle, on a dit aux Rwanda "vous avez raison"
00:49:29 alors que nous savons quand même que le premier exportateur...
00:49:34 Non, il n'a pas dit ça.
00:49:35 C'est quasiment ça qu'on a fait, puisque le Rwanda est devenu le roi de la francophonie.
00:49:40 On a quand même été très loin, alors qu'on sait que le cobalt
00:49:44 et les mines de cobalt sont uniquement RDC
00:49:47 et que le premier exportateur de cobalt est le Rwanda.
00:49:50 On est ambigu.
00:49:52 Je vous interromps parce que c'est un peu technique.
00:49:55 Juste François Guéry voulait dire un mot et après on va changer de sujet.
00:49:59 Oui, là on est en train de montrer un effondrement
00:50:03 qui repose, si j'ai bien compris, sur deux aspects de la présence française.
00:50:07 Un aspect économique, peu soutenable.
00:50:10 Un aspect militaire de moins en moins accepté.
00:50:13 Il me semble quand même que la présence française en Afrique,
00:50:17 qui est très ancienne, avait d'autres aspects.
00:50:20 Médical, ce qui est très important à mon avis.
00:50:24 Hygiénique, un apport de ce qu'on appelle les sciences techniques modernes.
00:50:32 Il y avait une présence religieuse, qui est évidemment aujourd'hui particulièrement contestée.
00:50:40 Et puis, ce qui me semble le plus indéracinable malgré tout,
00:50:44 c'est la langue, la famille du français qui est présente.
00:50:49 Aussi bien d'ailleurs depuis les jésuites, il y a du français en Chine un petit peu.
00:50:54 Enfin en Afrique, beaucoup plus, incroyablement plus.
00:50:57 Et on s'aperçoit par exemple que l'Algérie, qui est décolonisatrice,
00:51:01 si je puis dire à pré-coût,
00:51:04 essaye de déraciner le français en disant que la langue étrangère première, c'est l'anglais.
00:51:10 Mais il n'empêche que quand on parle avec des Algériens, on parle en français.
00:51:14 Je suis allé au Maroc, j'ai parlé français.
00:51:17 Ça parle français.
00:51:19 Par ailleurs, il y a une présence de la France qui est politique, intellectuelle, idéologique.
00:51:26 C'est la présence de la laïcité à la française, de la République française des origines.
00:51:33 Donc quelque chose qui ne se trouve nulle part dans le monde ailleurs.
00:51:38 C'est ça notre point fort et ça reste notre point fort aujourd'hui.
00:51:42 Et il faut le développer.
00:51:44 Et je pense que l'important pour moi, c'est de mettre le discours avec les faits.
00:51:52 Et que nous avons fait exactement l'inverse dans le passé.
00:51:56 C'est-à-dire que la réélection, le fait de dire
00:52:00 "Vous devez avoir deux mandats et deux mandats seulement"
00:52:03 puis ensuite le président dit "Eh bien j'aurais envie de faire un troisième mandat"
00:52:07 et dire "Oui, vous faites ce que vous voulez".
00:52:09 C'est le fait de continuer à avoir un discours différent des faits
00:52:13 qui nous conduit à la situation actuelle.
00:52:15 Mais la question que je vous pose, pourquoi la France doit valider une élection en Afrique ?
00:52:19 Inconnument.
00:52:21 Mais si jamais on lui pose la question, elle dit "C'est pas mon job".
00:52:26 C'est vrai, c'est pas son job.
00:52:28 Je vous arrête, je vous remercie tous les deux.
00:52:32 On va maintenant s'intéresser au numérique et notamment à la majorité numérique.
00:52:37 Il y a un projet de loi qui a été accepté.
00:52:39 On va s'intéresser également à TikTok.
00:52:42 Mais je voulais poser la question à Charline Meyondi.
00:52:46 Vous venez de publier "Décoder", une contre-histoire du numérique.
00:52:49 Vous vous dites que le numérique, il ne faut pas regarder ça seulement comme une révolution technologique.
00:52:54 C'est quelque chose qui change tout.
00:52:56 C'est notre façon de vivre, de nous comporter, de travailler, de réfléchir, même de tomber amoureux.
00:53:03 Tout à fait, vous avez résumé parfaitement ma pensée.
00:53:06 C'est difficile d'ajouter quelque chose à...
00:53:09 Ce serait pour dire, parce qu'en fait on va discuter, l'idée de la majorité numérique,
00:53:13 l'idée d'instaurer une interdiction aux moins de 15 ans d'aller sur les réseaux sociaux, par exemple,
00:53:19 sans l'accord de leurs parents, par exemple, c'est une révolution contre la révolution.
00:53:25 Je pense que c'est surtout une prise de conscience qui est presque du bon sens,
00:53:30 du fait qu'aujourd'hui l'espace numérique, le cyberespace, est un espace politique,
00:53:38 c'est-à-dire que c'est un espace public, et que les citoyens qui habitent et qui investissent cet espace,
00:53:44 et notamment les plus vulnérables, qui sont dans l'espace numérique, les plus jeunes et les plus âgés, doivent être protégés.
00:53:50 Donc avant de débattre de l'âge d'une potentielle majorité numérique
00:53:56 et des modalités de cette protection du citoyen et de cet engagement politique de l'État sur Internet,
00:54:02 je pense qu'il faut comprendre pourquoi le cyberespace nous a rendus si vulnérables
00:54:08 et pourquoi il faut aujourd'hui absolument l'investir politiquement.
00:54:11 Mais en même temps, d'après ce que vous dites dans votre livre, ça a changé tellement de choses,
00:54:16 y compris chez les plus jeunes, qui le pratiquent quasiment depuis qu'ils sont enfants.
00:54:22 Leur dire tout à coup qu'ils n'y auront plus droit me semble une contre-révolution dont on ne mesure pas forcément les effets.
00:54:29 Est-ce qu'on peut dire aujourd'hui à des pré-ados de 14-15 ans qu'ils ne pourront plus aller sur les réseaux sociaux, par exemple ?
00:54:37 Un peu comme à moi, on va dire, si on m'avait dit à 13-14 ans, tu ne peux plus téléphoner ni regarder la télévision.
00:54:45 Ce n'est pas une interdiction, c'est une responsabilisation de la famille,
00:54:50 donc une sorte de sonnette d'alarme pour dire "attention, cet espace-là, exactement comme un trottoir,
00:54:58 comme une rue, comme une place publique, comporte des dangers, donc soyez vigilants".
00:55:03 Mais a priori, de ce que je comprends de cette loi, un enfant ne sera pas forcément interdit de la plateforme.
00:55:08 Non, il faudra l'autorisation de ses parents. C'est une façon au fond d'obliger ces plateformes à vérifier l'âge de ceux qui ont un compte.
00:55:17 Mais ça va quand même changer beaucoup de choses. On va en parler juste après le journal télévisé.
00:55:25 Je remercie Loïc Lefloch-Prigent et Ousmane Diaï d'être venus ce soir.
00:55:32 Le journal, c'est Isabelle Piboulot. On se retrouve juste après avec de nouveaux visiteurs du soir.
00:55:40 Sixième journée d'action mardi. Elle s'annonce massive. Certains routiers sont même déjà en grève.
00:55:49 Des blocages de plateformes logistiques et de zones industrielles pourraient avoir lieu demain matin dans les Hauts-de-France et en région parisienne,
00:55:56 tout comme des opérations escargots aux abords des grandes métropoles.
00:56:00 Deux jours avant la nouvelle mobilisation contre le projet de réforme des retraites, le Sénat planche sur l'index Senior.
00:56:07 Après avoir rejeté une série d'amendements de suppression venant de la gauche,
00:56:11 cette mesure prévoit une obligation pour les entreprises de plus de 50 salariés de publier des indicateurs concernant l'emploi des plus de 55 ans.
00:56:20 Une mesure rejetée mi-février par l'Assemblée nationale.
00:56:24 Et puis à l'est de l'Ukraine, la bataille pour le Donbass est douloureuse et difficile.
00:56:29 Ce sont les mots de Volodymyr Zelensky. Les troupes russes poursuivent leurs efforts pour encercler la ville de Barmout.
00:56:35 L'armée ukrainienne assure toutefois avoir repoussé de nouvelles attaques, plus de 130 ces dernières 24 heures, selon l'état-major ukrainien.
00:56:46 Une proposition de loi donc était acceptée cette semaine visant à interdire l'accès aux réseaux sociaux aux moins de 15 ans, sauf autorisation de leurs parents.
00:56:55 Et l'on parle de plus en plus aux Etats-Unis d'interdire TikTok, le réseau social chinois qui revendique tout de même 1,7 milliard d'utilisateurs actifs.
00:57:05 Son usage est d'ores et déjà interdit sur les téléphones professionnels des fonctionnaires américains, mais aussi canadiens,
00:57:11 des fonctionnaires de la Commission européenne, des fonctionnaires du Parlement européen.
00:57:16 En France, une commission d'enquête a été mise en place.
00:57:20 Alors on voit que la peur des réseaux sociaux est à son comble.
00:57:24 On va essayer d'y voir plus clair avec Fabrice Eppelboin, un spécialiste d'Internet et des réseaux sociaux qui enseigne la guerre de l'information à Sciences Po.
00:57:34 Avec Charlène Biondi, je la présente à nouveau, doctorant en sciences politiques.
00:57:38 C'est l'auteur de "Décoder, une contre-histoire du numérique" et Tariq Krim, ancien vice-président du Conseil national du numérique,
00:57:48 entrepreneur du web et cela depuis belle durête, et l'auteur de "Lettre à ceux qui veulent faire tourner la France sur l'ordinateur de quelqu'un d'autre".
00:57:57 Qu'est-ce que vous entendez par cette expression ? "Ceux qui veulent faire tourner la France sur l'ordinateur de quelqu'un d'autre".
00:58:03 Aujourd'hui, il y a un grand débat pour savoir où fonctionnent les logiciels.
00:58:09 Vous savez, tous les logiciels qu'on appelle en général le cloud, les logiciels de l'administration.
00:58:14 On est en train de discuter avec les grandes plateformes, notamment Google, Microsoft, Amazon.
00:58:19 Et il y a un débat pour savoir si on devrait faire tourner des secteurs essentiels de la France sur ce genre de plateforme.
00:58:26 Et donc, c'est la question que je posais à travers ce petit ouvrage.
00:58:29 Je comprends mieux. Et on va commencer tout de suite avec Anne Cordier qui est en duplex, comme on disait autrefois avec nous.
00:58:36 Anne, est-ce que vous êtes bien là ? Bonjour, Anne Cordier.
00:58:40 Vous êtes professeure en sciences de l'information et de la communication à l'université de Lorraine.
00:58:44 Vous êtes l'auteur d'un livre absolument passionnant qui s'intitule "Grandir connecté".
00:58:49 Un livre pour lequel vous avez interrogé longuement quantité de pré-ados sur leur rapport avec les réseaux sociaux.
00:58:57 Alors, vous n'allez pas aller voir les enfants à problème parce qu'il y a des enfants qui ont des problèmes issus des réseaux sociaux.
00:59:04 C'est les enfants que voient les pédopsychiatres.
00:59:07 Et très souvent, on pose la question aux pédopsychiatres en leur disant quels effets font les réseaux sur nos enfants.
00:59:13 Vous, vous êtes allé voir les enfants qui ont des problèmes, mais pas plus de problèmes que les autres.
00:59:19 Vous êtes allé voir nos enfants, tels qu'on les connaît.
00:59:22 Alors, est-ce que vous pouvez nous dire qu'est-ce qu'ils font sur les réseaux et pourquoi ils passent-ils autant de temps ?
00:59:27 Qu'est-ce qu'ils vous ont dit ?
00:59:29 Oui, alors d'abord, je vous remercie de ce cadrage parce qu'il est important, je crois, de bien dire que,
00:59:34 effectivement, je vais rencontrer sur le terrain des enfants et des adolescents de tous les milieux sociaux,
00:59:40 mais qui ne sont pas, entre guillemets, diagnostiqués pour des problématiques de comportement, etc.
00:59:47 Donc ça, c'est important. Merci de l'avoir bien précisé.
00:59:50 Alors, qu'est-ce qu'ils y font ?
00:59:52 Justement, en fait, ils font énormément de choses sur les réseaux sociaux qui nous échappent,
00:59:56 et c'est en grande partie pourquoi, d'ailleurs, il y a beaucoup de fantasmes autour de ces pratiques.
01:00:00 Mais, en réalité, on voit des usages extrêmement divers selon les enfants et les adolescents
01:00:07 qui vont de pratiques vidéoludiques à la communication, bien sûr, aux interactions,
01:00:12 mais aussi à l'accès à l'information.
01:00:15 Il y a des pratiques informationnelles, et ça, c'est vraiment un point qui me semble essentiel.
01:00:19 Ce sont des espaces de socialisation, mais aussi de découverte, d'exploration,
01:00:27 sur des questions qui ne peuvent pas être abordées avec les adultes.
01:00:32 Je pense aux questions de genre ou de sexualité qui travaillent beaucoup les adolescents,
01:00:36 mais aussi sur la découverte de loisirs, explorer des sujets d'actualité culturelle, par exemple,
01:00:45 ou sportifs qui les touchent, et cela, quel que soit les milieux sociaux.
01:00:49 Alors, quand on lit votre livre, on s'aperçoit qu'ils s'informent, et ils socialisent énormément par les réseaux,
01:00:55 un peu comme autrefois, on socialisait dans la cour de récréation, et puis après, on se téléphonait.
01:01:00 Eux, ils passent beaucoup par les réseaux. Alors, quand ils s'informent, est-ce qu'ils s'informent bien ?
01:01:05 Est-ce que c'est un souci pour eux de savoir si, là où ils s'informent, on leur dit la vérité
01:01:09 ou, au contraire, on leur raconte n'importe quoi ?
01:01:11 C'est d'abord cette question-là que je veux aborder, parce que c'est quelque chose qui inquiète beaucoup les parents, ça.
01:01:16 On a l'impression que les enfants, en échappant à notre influence, à l'influence des parents,
01:01:22 ils peuvent tout à coup croire n'importe quoi.
01:01:26 Alors, je crois d'abord qu'il faut peut-être cesser de dire et de penser, je ne dis pas que c'est votre cas,
01:01:32 mais je sais que c'est un discours qui revient souvent, que les enfants sont seuls sur les réseaux sociaux,
01:01:37 que les parents n'y prennent pas leur place, voire que les parents abandonnent leurs enfants sur les réseaux sociaux
01:01:43 comme s'ils les lâchaient en pleine rue, etc.
01:01:48 En réalité, les enfants parlent beaucoup de pratiques partagées avec les parents et d'échanges avec les parents.
01:01:54 Le parent est loin d'être quelqu'un qui est étranger à ce monde.
01:01:58 Ensuite, sur la peur de prendre une information fausse pour une vraie, je reprends l'expression des ados le plus souvent,
01:02:05 on voit que c'est une peur qui est constante chez eux, contrairement à ce qu'on dit.
01:02:11 Ça ne veut pas dire qu'ils se sentent outillés ou qu'ils sont outillés pour évaluer l'information,
01:02:16 ce n'est pas la même chose, mais ils ont une pleine conscience de la circulation des fake news.
01:02:23 Ils le disent, ils le répètent, on leur a beaucoup dit, ça ne veut pas dire pour autant qu'ils se sentent outillés pour évaluer l'information.
01:02:33 C'est bien pour ça qu'ils évoquent d'ailleurs beaucoup les enseignants, les parents comme étant des figures de référence à leurs yeux
01:02:41 pour savoir si l'info face à laquelle ils sont est vraie ou fausse.
01:02:45 Et alors, enfin, comment socialisent-ils sur les réseaux ?
01:02:49 En quoi les réseaux leur sont indispensables d'après ce que vous dites, en tout cas dans votre livre,
01:02:54 justement pour s'éveiller tout simplement à la vie en société aujourd'hui ?
01:02:59 Les réseaux sociaux, le web de façon générale, c'est ce que d'ailleurs Charlène a dit tout à l'heure juste avant le journal,
01:03:08 c'est un espace public.
01:03:10 Et un espace public, c'est un espace de socialisation, de sociabilité, c'est aussi un espace bien sûr de prise de risque,
01:03:18 c'est aussi un espace d'apprentissage du collectif.
01:03:22 Et donc, de fait, le web est un espace social où se rejouent finalement plein d'enjeux de société,
01:03:30 mais parce que le web n'est pas un monde à part.
01:03:33 Le web est un espace de… alors il y en a d'autres qui vont en parler bien mieux que moi après,
01:03:36 mais c'est un espace politique, c'est un espace de stratégie, c'est un espace où se jouent aussi des enjeux
01:03:42 en termes d'égalité et d'inégalité sociale.
01:03:45 On retrouve par exemple des modes de socialisation qui sont genrés aussi sur le web.
01:03:52 Les filles et les garçons ne socialisent pas de la même manière sur le web,
01:03:57 et en fait, même si ça n'empêchera personne, j'espère, de lire Grandir Connecté,
01:04:02 ce n'est pas en soi une surprise en réalité.
01:04:05 Réaction Fabrice et Belbois ?
01:04:07 C'est aussi pour les adolescents un espace de projection de l'identité,
01:04:11 un espace de projection multidimensionnel de l'identité.
01:04:13 C'est-à-dire que nous, on a connu d'adolescentes, on arrivait en punk en 5e et il fallait assumer sa crête pendant quelques mois.
01:04:20 Là, on peut projeter une multitude d'identités dans une multitude de réseaux sociaux,
01:04:25 voire multitude dans le même réseau social, et puis expérimenter, se planter, recommencer.
01:04:30 Ce qui fait que l'adolescence, c'est un parcours très différent aujourd'hui,
01:04:34 de part cette capacité à vraiment multiplier les expériences identitaires.
01:04:39 Tariq Krim ?
01:04:40 Moi, je le vois avec une casquette aussi de développeur,
01:04:43 parce que juste avant, j'avais monté des sociétés qui étaient un peu des prototypes de l'avant réseau social.
01:04:49 Je crois que le point essentiel dans tout ça, c'est l'arrivée du téléphone mobile.
01:04:54 Avant, on avait un ordinateur partagé avec ses parents,
01:04:57 et avec le mobile, c'est devenu un outil de captation d'attention.
01:05:00 Et quand on parle souvent des réseaux sociaux ou des dérives,
01:05:03 c'est qu'on a parfaitement compris que les jeunes ont besoin d'exprimer leur identité,
01:05:07 donc on leur offre tout un panel d'outils.
01:05:10 Mais à la différence de l'époque qu'on a connue,
01:05:12 où on pouvait être punk ou être dans le rap, quand on est dans les années 80,
01:05:16 aujourd'hui, on est clairement dans un domaine où tout est analysé, mesuré, des panels.
01:05:21 Donc, en fait, on n'est jamais véritablement libre.
01:05:23 Son intimité est en fait, son intimité personnelle, ses photos, ses échanges intimes,
01:05:30 tout est analysé par ses services qui ensuite revendent cette attention au publicitaire.
01:05:36 - Anne Cordier, est-ce que les pré-ados que vous avez interrogés,
01:05:42 qui vont sur les réseaux, sont-ils conscients des traces qu'ils y laissent ?
01:05:46 Éventuellement, il y avait cette phrase de Barack Obama à qui on demandait
01:05:50 qu'est-ce qu'il faut faire pour devenir président des États-Unis ?
01:05:53 Il avait répondu « il ne faut pas aller trop sur les réseaux sociaux ».
01:05:56 Est-ce que les enfants d'aujourd'hui, ceux que vous avez interrogés,
01:05:59 Anne Cordier, sont-ils conscients de ce risque-là ?
01:06:02 Que ce qu'ils laissent, ce qu'ils publient sur le web, c'est le domaine public
01:06:07 et que ça ne partira jamais ?
01:06:10 - Alors, c'est une question qui est en fait très difficile parce qu'on peut
01:06:14 difficilement généraliser, ne serait-ce que parce qu'en termes d'âge,
01:06:17 la projection dans le temps, elle n'est évidemment pas la même.
01:06:21 Vous avez des enfants de 12 ans qui vous disent « quand j'étais petit »,
01:06:24 en parlant d'eux quand ils avaient 8 ans.
01:06:27 Donc c'est toujours un peu particulier de parler d'âge avec des enfants
01:06:31 et des adolescents. Il n'empêche que là encore, il y a vraiment une espèce
01:06:36 de conscience qui est liée aussi à un ensemble de discours qui quand même
01:06:41 circule. Il y a aussi, je rappelle quand même, notamment dans l'école,
01:06:44 des prises en charge de ces questions. On parle des données personnelles,
01:06:48 on en parle de plus en plus. Par exemple, cette année, j'enquête
01:06:51 dans une classe de CE1, donc ils sont vraiment petits, et dans cette classe,
01:06:56 beaucoup d'élèves connaissent et utilisent Snapchat par exemple,
01:07:01 ou TikTok, en parlent, et expliquent qu'ils ne publient pas les photos
01:07:07 directement, mais ils prennent les photos, ils regardent les grands frères
01:07:10 et les grandes sœurs utiliser le réseau social, et en fait, ils se projettent
01:07:17 vers l'adolescent qu'ils seront, ou pas du coup maintenant, mais en tout cas,
01:07:22 ils se projettent vers une socialisation adolescente qui est du coup plus
01:07:28 lointaine pour eux, en commençant finalement à expérimenter un peu
01:07:32 les codes, mais tout en me disant "attention, je cache mon visage,
01:07:36 je ne publie pas, je laisse en brouillon parce que c'est important
01:07:40 que ça ne soit pas vu, etc." Donc c'est assez intéressant de voir quand même
01:07:43 ces discours. Moi, ça fait longtemps maintenant que je travaille sur ce sujet-là,
01:07:49 et en fait, je vois vraiment une évolution, c'est-à-dire que vraiment,
01:07:52 entre les adolescents qu'on interrogeait sur Facebook, parce qu'il fut un temps
01:07:58 où on parlait de Facebook comme étant le réseau social dont on avait peur
01:08:02 pour nos enfants, maintenant c'est TikTok, avant il y a eu Instagram,
01:08:05 et quand on parlait de Facebook, les ados évoquaient beaucoup moins
01:08:11 en réalité cette question-là, la question de la gestion des données personnelles
01:08:15 ou du risque pris sur "ma photo qui est là et dont on peut faire ce que l'on veut",
01:08:21 ils l'évoquaient beaucoup moins. Aujourd'hui, je trouve ça très prégnant
01:08:25 dans les discours des adolescents et même des plus jeunes enfants.
01:08:30 Charlene Burdy ?
01:08:32 Je suis tout à fait d'accord avec ce que Charlene Burdy vient d'expliquer,
01:08:38 et d'ailleurs même à l'époque de Facebook, il y avait eu une enquête
01:08:41 par une sociologue américaine qui s'appelait Dana Boyd,
01:08:44 qui s'appelait "It's complicated", c'était un des statuts qu'on pouvait mettre
01:08:48 sur Facebook au sujet de sa vie sentimentale, c'est compliqué.
01:08:51 On pouvait dire "en couple", "célibataire" ou "c'est compliqué".
01:08:54 Voilà, ou "c'est compliqué", et apparemment c'était un statut
01:08:57 qui était assez privilégié chez les adolescents, qui justement se cherchaient,
01:09:01 et contre, je ne sais pas exactement de quand date ce livre,
01:09:04 mais ça doit être au tout début des années 2010, et contre beaucoup d'idées reçues
01:09:08 à l'époque, elle avait montré que déjà à ce moment-là, il y avait une sorte
01:09:12 de présence de l'adolescent face aux réseaux sociaux et face à la technologie,
01:09:17 qui faisait que les ados n'étaient pas simplement des instruments
01:09:22 d'une forme de surveillance, mais que dans ce jeu de visibilité,
01:09:25 où on se montre, on est vu, et puis on se regarde soi-même,
01:09:28 on regarde sa personne numérique évoluée, pour se former,
01:09:31 pour comprendre qui on est, pour devenir soi-même un sujet,
01:09:34 les ados avaient développé une forme d'autonomie, de capacité agencielle
01:09:39 pour se construire, et donc, alors qu'on parlait d'énormément de théories
01:09:46 de surveillance qui étaient anti-individualistes, potentiellement
01:09:50 catastrophiques pour le sujet et la démocratie, elle, d'un point de vue
01:09:54 sociologique, était venue montrer que justement, chez les jeunes,
01:09:56 on en attendait le moins, il y avait presque une forme de révolte
01:10:03 contre tout ça, et de capacité agencielle pour reprendre la main
01:10:06 sur ce nouveau mode d'être, et d'être au monde.
01:10:11 - Alors, ce nouveau mode d'être, vous avez attiré mon attention,
01:10:14 Fabrice Epelboin, sur de nouveaux filtres qui apparaissent,
01:10:17 et notamment sur TikTok. On va regarder ce que ça donne.
01:10:21 Je vous propose le témoignage d'une photographe qui explique,
01:10:26 et vous allez comprendre par la même occasion, à quoi servent
01:10:28 ces filtres-là.
01:10:31 - Je suis photographe. Vous voyez, j'ai un studio pour mon travail.
01:10:35 J'ai envie de vous dire que ce filtre TikTok, c'est vraiment n'importe quoi.
01:10:39 Les gens l'utilisent tellement qu'ils pensent ressembler à ça.
01:10:42 Ce filtre bousille tellement nos cerveaux que les gens pensent
01:10:45 vraiment ressembler à ça.
01:10:48 Ça paraît si réel. Tellement vrai qu'après, lorsque je prends
01:10:51 quelqu'un en photo et que je montre le résultat, et que finalement
01:10:54 ils ressemblent à ça, ils sont dévastés.
01:10:59 Le nombre de fois où j'entends des femmes magnifiques dire
01:11:02 à quel point elles sont laides, qu'elles ont des rides,
01:11:04 qu'elles ont l'air vieilles, elles utilisent toutes ces filtres
01:11:07 comme référence.
01:11:10 - Fabrice Epelboin, explication de texte. On a bien vu, au départ,
01:11:14 il y avait un filtre, et puis elle a retiré le filtre.
01:11:17 - Les filtres, on les a vus apparaître avec des oreilles de chat,
01:11:20 des bêtises dans Snapchat. - Et pas forcément sur TikTok d'ailleurs.
01:11:23 - Non, ça apparaît plutôt sur Snapchat, mais c'était visible.
01:11:26 Il y avait très clairement un trucage, c'était grossier,
01:11:29 et c'était fait pour rigoler. Là, on est passé dans un autre monde
01:11:33 où très concrètement, la chirurgie esthétique et le maquillage
01:11:36 sont devenus inutiles sur Snapchat, en l'occurrence TikTok.
01:11:40 Et on peut faire ça avec un filtre. Donc ça pose un réel problème
01:11:43 d'avoir de rapports réels. - On va voir d'autres,
01:11:46 d'autres jeunes femmes qui montrent à quel point ça les change.
01:11:50 - Beaucoup de jeunes femmes ont dénoncé ces filtres-là,
01:11:52 mais on ne peut pas s'empêcher de penser que beaucoup
01:11:54 vont tomber aussi dans le piège. Curieusement, le filtre marche
01:11:57 très bien sur les femmes, très peu sur les garçons.
01:12:00 - Vous pensez parce qu'il n'est pas adapté ou parce que les garçons
01:12:03 ne s'y risquent pas encore ? - Non, non, non.
01:12:06 Il ne marche vraiment pas sur la physique de garçons.
01:12:08 Ce n'est vraiment pas un problème d'adoption. Par contre,
01:12:10 culturellement, tout ça vient entre la Chine, la Corée et le Japon,
01:12:14 c'est extrêmement populaire. Et c'est extrêmement populaire
01:12:17 auprès des jeunes filles japonaises, chinoises et coréennes.
01:12:20 Donc très concrètement, le filtre a été optimisé pour un public initial
01:12:23 et il débarque en Occident, où effectivement, il y a une espèce
01:12:27 de cultural gap gigantesque qui fait que la réaction,
01:12:30 pour l'instant, est plutôt négative. En tout cas, c'est ce qu'on en voit
01:12:33 et c'est ce qui émerge. On ne peut pas s'empêcher de penser
01:12:36 que des adolescents ou même des adultes qui ont une telle
01:12:41 distorsion de la réalité à travers l'image qu'ils projettent
01:12:44 dans un univers social vont forcément payer un prix qui va être dramatique.
01:12:48 - Il faut rappeler que l'une des raisons pour lesquelles il y a eu
01:12:51 ce projet de loi pour interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans
01:12:56 sans l'accord des parents, c'est justement pour protéger
01:12:59 leur santé mentale. Vous pensez qu'il y a un risque ?
01:13:03 - Je pense qu'il y a surtout un projet de loi dans le but
01:13:06 de contrôler l'accès. Ça a commencé, souvenez-vous,
01:13:08 il y a quelques mois avec l'interdiction des sites pornographiques
01:13:11 pour les mineurs et donc déjà la possibilité de vérifier l'âge
01:13:16 et donc l'identité, et évidemment pas que des mineurs,
01:13:18 parce que pour les majeurs, il va bien falloir vérifier leur identité.
01:13:21 Et donc on voit à grands pas arriver une logique où pour accéder à Internet,
01:13:26 on aimerait bien accéder à l'identité au préalable.
01:13:29 Dieu merci, techniquement, ça pose tellement de problèmes
01:13:31 que vraisemblablement, ça n'ira pas plus loin.
01:13:33 Mais on est plutôt dans une démarche qui est tout à fait comparable
01:13:36 à ce qu'on peut observer dans tout un tas de pays comme la Chine,
01:13:38 où très concrètement, l'État aimerait bien s'assurer
01:13:41 que la personne qui est connectée à telle adresse IP à tel moment
01:13:44 a bien telle identité, ce qui n'est techniquement absolument pas possible
01:13:48 aujourd'hui, mais ça pourrait le devenir si tentés qu'on franchisse
01:13:51 une multitude d'obstacles techniques et financiers qui ne vont pas être simples.
01:13:55 - Marie-Crim ?
01:13:56 - Oui, je voulais juste revenir un instant sur la question des filtres,
01:13:59 ce qui est fascinant, alors c'est vrai que c'est une technologie
01:14:02 qui était très populaire en Asie, mais aujourd'hui, la population
01:14:06 des clients de chirurgie esthétique est en train de changer,
01:14:09 ce ne sont plus les plus de 50 ans, ce sont les jeunes qui désormais
01:14:13 souhaitent avoir un look, un vrai look qui ressemble à leur idéal
01:14:18 dans ces réseaux sociaux, donc on se rend compte effectivement
01:14:21 que ça a des conséquences aussi sur le sentiment de la beauté,
01:14:24 sur la manière dont on se présente, il faut toujours se présenter
01:14:28 sur son meilleur jour, d'ailleurs c'était un des principaux arguments
01:14:31 contre Instagram, c'est qu'on montrait une vie fantaisiste,
01:14:35 on était tout le temps dans les meilleurs endroits,
01:14:37 on faisait des choses incroyables, alors qu'en fait, la plupart du temps,
01:14:39 les gens déprimaient, ils ne savaient pas comment organiser
01:14:42 le courant de leur vie, donc il y a cette idée de mise en avant,
01:14:46 et je crois que c'est, on en parlera tout à l'heure, mais une des raisons
01:14:48 pour lesquelles les gens sont passés d'Instagram à TikTok,
01:14:50 c'est qu'Instagram, il y avait une forme de pression sociale
01:14:52 sur soi-même, alors que TikTok, on est dans une logique
01:14:55 beaucoup plus passive, on consomme la vie des autres,
01:14:58 pas forcément de ses amis, et donc on a baissé la pression.
01:15:01 Et sur la question du projet de loi, si je prends un instant
01:15:05 la casquette que j'avais d'ancien vice-président du Conseil national
01:15:07 de l'Université de l'Université, des projets de loi comme ça,
01:15:09 on en a vu des dizaines, et à chaque fois, on se plante
01:15:12 sur une simple question, c'est qui va le faire,
01:15:14 qui va développer ces solutions, on est généralement incapables
01:15:18 de les faire, donc en fait, voilà.
01:15:19 C'est un vérifiable, vous voulez dire.
01:15:20 Qui va payer ?
01:15:21 Exactement.
01:15:22 Vérifier l'identité de quelqu'un, c'est une procédure classique
01:15:24 dans le secteur bancaire, ça coûte à peu près dans les 15 euros.
01:15:27 Mais on aimerait bien que ce soit les plateformes, justement,
01:15:29 qui vérifient.
01:15:30 Oui, c'est pas possible.
01:15:31 Une plateforme comme Facebook, ça gagne, dans le meilleur des cas
01:15:35 et dans les pays les plus riches, de l'ordre de 40 euros par an.
01:15:38 On imagine mal Facebook sacrifier un tiers de ses revenus annuels
01:15:41 pour vérifier l'identité de ses utilisateurs.
01:15:43 Si on s'attaque à la pornographie, typiquement, le revenu moyen
01:15:46 par utilisateur sur un site de stream du type pornhub,
01:15:50 ça avoisine plutôt les 10 euros par an.
01:15:52 Ils vont pas sacrifier 1,5 fois les revenus annuels par utilisateur
01:15:55 pour vérifier leur identité.
01:15:57 Ça n'a pas de sens, économiquement parlant.
01:15:59 Donc ça va nous amener vers soit un système centralisé,
01:16:02 l'État qui vérifie pour vous, et là on va vers la Chine,
01:16:05 soit tout simplement vers les oubliettes et il y aura même pas
01:16:08 de décret d'application et ça sera une loi pour rien, une de plus,
01:16:11 souvent dans le numérique c'est ça, soit tout simplement quelque chose
01:16:14 qui sera tout simplement pas applicable.
01:16:16 Anne Cordier, les préados que vous avez interrogés,
01:16:19 est-ce qu'ils sont obsédés par leur image ?
01:16:22 Est-ce que leur santé mentale peut être menacée
01:16:26 par les réseaux sociaux sur lesquels ils passent parfois
01:16:29 énormément de temps ?
01:16:31 Alors, il faut déjà rappeler que ce sont des adolescents
01:16:35 et donc comme tout adolescent, la question de ce à quoi on ressemble,
01:16:41 son apparence, l'image sociale qu'on renvoie aux autres,
01:16:44 elle est cruciale.
01:16:45 Ça, c'est sociologiquement une définition même de l'être adolescent.
01:16:49 Les réseaux sociaux viennent nourrir finalement ce questionnement
01:16:55 et provoquer une forme de caisse de résonance sur ce questionnement-là.
01:16:59 Ce que je voulais ajouter, parce que je pense qu'il y a un peu consensus
01:17:05 pour le moment sur cette question, mais ce que je voulais ajouter quand même,
01:17:09 c'est pointons à mon avis le vrai problème, c'est-à-dire que
01:17:14 le réseau social vient mettre en lumière quelque chose qui est
01:17:20 comment cette société a-t-elle fait en sorte, ou construit,
01:17:27 l'image des filles, des jeunes femmes, des femmes, des petites filles ?
01:17:33 Comment se fait-il que des toutes petites filles, dès le plus jeune âge,
01:17:38 se posent la question de leur apparence, de devoir être parfaite ?
01:17:42 Parce que sinon, elles n'adhèreraient pas aux filtres, clairement.
01:17:46 Et ça, je pense que c'est vraiment une question.
01:17:49 En réalité, il y a vraiment cette question-là à se poser derrière,
01:17:52 en réalité, la question des filtres, même si bien sûr, c'est aussi un vrai sujet.
01:17:58 Alors sur les filtres aussi, il y a des petits mouvements de résistance.
01:18:01 Tout à l'heure, Charline a employé le terme de résistance.
01:18:03 Moi, j'aime bien parler d'intelligence, en fait, d'intelligence des ados aussi
01:18:08 et des enfants, ce ne sont pas les crétins digitaux ou l'enfance massacrée
01:18:13 dont on nous parle tout le temps.
01:18:15 Et par exemple, ils investissent des mouvements de résistance finalement aux filtres,
01:18:22 par exemple à travers un réseau comme BeReal, qui justement est l'inverse total de Instagram,
01:18:27 où vous montrez la banalité absolue de votre existence et des gestes du quotidien.
01:18:33 On en pense ce qu'on veut, en réalité.
01:18:36 C'est la preuve qu'il y a une intelligence de l'usager aussi,
01:18:40 ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que je mets la poussière sous le tapis
01:18:45 concernant cette question des filtres.
01:18:47 Charline Biondi, ça aussi, quand même, les filtres, pas forcément celui-là,
01:18:52 mais les filtres en général, c'est complètement rentré dans nos vies,
01:18:55 nos comportements, c'est omniprésent.
01:18:58 C'est omniprésent et je pense que c'est une part extrêmement importante
01:19:02 et que Tariq tout à l'heure a nommé cette économie de l'attention,
01:19:07 qui est aussi une économie de l'addiction.
01:19:10 Le filtre, ça rend addict.
01:19:12 Une fois qu'on l'a utilisé, on ne peut plus s'en passer,
01:19:14 parce qu'on est trop mignon, parce que c'est trop facile de ne pas se maquiller,
01:19:17 quand on est ado encore plus.
01:19:19 Donc je pense que le sujet de la santé mentale,
01:19:21 ce n'est peut-être pas forcément la vraie préoccupation profonde du gouvernement,
01:19:26 mais il n'en demeure pas moins que la santé mentale aujourd'hui,
01:19:30 sur les réseaux sociaux et sur Internet,
01:19:32 c'est un vrai sujet qui découle de cette économie de l'attention.
01:19:35 Certains parlaient des cartels de l'attention,
01:19:38 parce que les réseaux sociaux finissent par monétiser le temps qu'on passe derrière les écrans
01:19:44 et à nous rendre aussi accros qu'un drogué ou qu'un joueur.
01:19:48 Ils fonctionnent comme une machine à sous.
01:19:50 Il y a des théories qui ont montré que toute l'ergonomie du réseau social
01:19:55 a produit exactement les mêmes effets qu'une machine à sous au casino.
01:20:00 Et ce phénomène de numérisation des existences,
01:20:06 où on passe un nombre d'heures absolument effarant derrière nos écrans,
01:20:11 je crois qu'en France, c'est 3h30 derrière un téléphone portable,
01:20:15 seulement le téléphone portable,
01:20:17 fait qu'il y a des conséquences, et ça, c'est mesuré scientifiquement,
01:20:23 par des psychologues, etc.
01:20:25 Quand on est derrière des écrans autant de temps,
01:20:28 et quand on est exposé à des contenus aussi déformants,
01:20:31 on est plus dépressif, on est moins productif.
01:20:35 - Je vous donne la parole, mais je pose la question d'abord à Anne Cordier.
01:20:38 Est-ce qu'ils sont conscients, les pré-ados,
01:20:41 qu'ils passent trop de temps devant leurs écrans,
01:20:44 notamment devant leurs téléphones portables,
01:20:46 et notamment sur les réseaux sociaux ?
01:20:48 Est-ce que c'est quelque chose dont ils vous parlent ?
01:20:52 - Ah là là, cette question du temps !
01:20:54 Écoutez, maintenant, je ne peux plus faire un seul entretien
01:20:57 avec un enfant, un adolescent, sans avoir cette question du temps
01:21:01 qui s'impose systématiquement, et de eux-mêmes,
01:21:04 c'est-à-dire que c'est eux qui en parlent.
01:21:06 C'est eux qui racontent avoir le sentiment,
01:21:10 et qui du coup n'est pas qu'un sentiment,
01:21:13 mais d'être capté, d'avoir une difficulté à lâcher le téléphone.
01:21:19 Alors ils ont des trucs et astuces qu'on a tous,
01:21:22 et qui fonctionnent de façon mesurée,
01:21:25 qui vont, évidemment, bloquer les notifications pendant un certain temps,
01:21:30 mais attention, un certain temps,
01:21:32 parce que si on ferme trop longtemps,
01:21:34 après on a peur d'avoir manqué des informations,
01:21:37 des événements, des interactions,
01:21:39 c'est le fameux phénomène du faux mot,
01:21:41 la peur de manquer quelque chose,
01:21:44 sur lequel reposent les stratégies de captation des plateformes.
01:21:49 Ça va donc de ça, jusqu'à quelque chose qui m'amuse beaucoup,
01:21:53 parce que c'est typique quand même de l'adolescent,
01:21:56 qui est "en fait je suis sur mon bureau, je fais mes devoirs,
01:22:00 et pour ne pas être attiré par le téléphone,
01:22:03 je mets le téléphone dans la pièce d'à côté".
01:22:05 Ce qui à l'adolescence, constitue vraiment une façon de couper,
01:22:09 parce que vous comprenez, il faut se lever pour aller dans la pièce d'à côté.
01:22:12 Je vous dis ça en riant,
01:22:14 mais parce que ça vous montre aussi,
01:22:16 qu'à la fois il faut prendre conscience de l'importance
01:22:20 de la responsabilité collective et des adultes,
01:22:24 vis-à-vis des enfants, de ce qu'on a accepté aussi,
01:22:28 de ce que sont devenus les plateformes,
01:22:30 parce que c'est nous qui avons aussi accepté
01:22:32 que le web soit ce qu'il soit, clairement.
01:22:34 Mais aussi, je dis avec une forme de légèreté,
01:22:39 certaines choses, parce qu'il y a une prise de conscience,
01:22:44 il y a une envie d'essayer de faire,
01:22:46 et il y a des parents aussi derrière tout ça, qui existent,
01:22:49 et qui essayent aussi de trouver des solutions.
01:22:52 Et attention aussi, le web ce n'est pas que les plateformes,
01:22:56 que les propriétaires des industries dominantes,
01:23:00 il y a aussi des solutions alternatives,
01:23:03 il y a aussi des réseaux sociaux libres,
01:23:05 il y a aussi des plateformes qui ne capitalisent pas sur les données,
01:23:09 et qui constituent aussi des espaces de partage sur le web,
01:23:13 même si elles n'ont malheureusement pas l'importance
01:23:17 qu'on aimerait qu'elles aient.
01:23:19 Fabrice Epelboin ?
01:23:21 Le problème c'est qu'on n'a pas vraiment choisi ce web-là,
01:23:24 et c'est un peu imposé à nous,
01:23:26 on nous l'a plus qu'un peu imposé,
01:23:29 c'est un vecteur d'influence considérable,
01:23:32 c'est la plus belle arme de soft power
01:23:34 que j'ai jamais imaginée.
01:23:36 On est sous influence américaine croissante,
01:23:39 au fur et à mesure que ces réseaux sociaux grandissent en puissance,
01:23:43 la plupart des courants politiques qui agitent la France
01:23:46 viennent des États-Unis à travers ces réseaux sociaux,
01:23:49 qu'ils soient positifs ou négatifs, il n'y a pas de jugement de valeur,
01:23:52 mais MeToo par exemple est très clairement une importation américaine,
01:23:55 et on peut faire une liste et un inventaire à la prévère
01:23:58 de tous ces courants de pensée qui viennent des États-Unis
01:24:01 et qui nous ont été imposés, qui plus est,
01:24:04 on a depuis peu des révélations en provenance de Twitter,
01:24:08 et très vraisemblablement la même chose dans les autres réseaux sociaux américains,
01:24:12 qui montrent très clairement une intention claire et nette
01:24:15 d'influence sur des sociétés extérieures,
01:24:18 ainsi que sur la société américaine.
01:24:20 Donc je ne pense pas qu'on puisse dire qu'on ait choisi tout ça,
01:24:23 on nous l'a imposé, il y a des complicités en France
01:24:26 qui ont fait qu'on a fermé les yeux,
01:24:28 mais on n'a pas choisi ce web-là, malheureusement.
01:24:31 Un mot très court, François Guiry, avant la pub ?
01:24:35 Je suis surpris d'une chose,
01:24:38 c'est que le monde entier entre dans ces réseaux sociaux,
01:24:42 moi pour ma part j'ai l'impression qu'en entrant dans ce monde-là,
01:24:47 on entre dans un monde anglophone.
01:24:50 Si on ne parle pas anglais, beaucoup de choses échappent.
01:24:53 Mais alors, je me pose une autre question,
01:24:55 je pense qu'il y a un véritable désir de gens qui vivent
01:24:59 dans des régimes, on va dire, un peu passéistes,
01:25:03 un peu dictatoriaux, d'entrer.
01:25:06 Alors, est-ce que par exemple, il est possible de taper en chinois
01:25:11 pour entrer dans un réseau social ?
01:25:14 La réponse est évidemment non,
01:25:16 et donc ça suppose des interfaces extraordinaires
01:25:19 pour que quelqu'un qui ne parlerait par exemple que chinois
01:25:22 devrait traduire ses propres propos, en particulier en anglais.
01:25:27 Donc je me pose la question de...
01:25:30 C'est pour ça qu'ils ont créé leur propre réseau.
01:25:32 Oui, non, non, c'est justement pour ne pas avoir à faire
01:25:35 à une influence américaine.
01:25:37 La fonction de traduction en l'occurrence
01:25:40 est gérée par des machines aujourd'hui.
01:25:42 Vous n'avez plus vraiment besoin d'apprendre une langue étrangère,
01:25:44 tout ça se passe très bien à travers de l'algorithmie.
01:25:46 Donc il y a des vraies possibilités,
01:25:48 qui pour l'instant sont de l'ordre de l'utopie,
01:25:50 de créer des passerelles entre les cultures,
01:25:52 parce qu'effectivement apprendre une langue,
01:25:54 ce n'est pas une fausse essai, devient aujourd'hui extrêmement facile
01:25:57 par une intermédiation algorithmique.
01:25:59 Il y en a qui sont nuls.
01:26:01 On s'arrête un instant, on va laisser Isabelle Piboulot
01:26:04 faire le rappel des titres, et puis juste après,
01:26:07 on arrivera sur le cas TikTok.
01:26:10 Avec la grève de mardi, le trafic s'annonce très perturbé
01:26:17 à la SNCF, un train sur cinq en moyenne pour les TGV Inouïe,
01:26:21 également pour les TER, un train sur quatre pour les Ouïgou.
01:26:24 Du côté des métros de la RATP,
01:26:26 seules les lignes 1 et 14 rouleront normalement.
01:26:29 Pour les autres, la plupart ne fonctionneront qu'aux heures de pointe.
01:26:32 La circulation sera également perturbée sur les réseaux des bus et tramways.
01:26:37 L'enquête sur les disparus des deux sèvres avance.
01:26:40 Les autopsies des deux corps retrouvés en Charente-Maritime
01:26:43 ont commencé et continueront demain.
01:26:46 Les dépouilles n'avaient pas pu être identifiées ce week-end,
01:26:49 comme étant celles de Leslie et Kevin.
01:26:52 Le couple a disparu depuis fin novembre.
01:26:54 Trois suspects sont mis en cause dans l'affaire,
01:26:57 dont deux mis en examen pour assassinat.
01:27:00 En Grèce, après le drame ferroviaire de mardi,
01:27:03 le chef de gare a été placé en détention provisoire.
01:27:06 D'après son avocat, Vassilis Samaras, 59 ans, est dévasté.
01:27:10 Il a reconnu sa responsabilité dans la collision frontale
01:27:13 qui a fait 57 morts, un train de passagers et un convoi de fret
01:27:17 qui se sont retrouvés sur la même voie.
01:27:20 L'homme encoure une peine allant de 10 ans de prison à la perpétuité.
01:27:24 Eh bien, on reprend notre conversation,
01:27:32 mais cette fois sur TikTok.
01:27:34 Je le rappelais il y a un petit moment déjà,
01:27:38 l'application TikTok a été interdite sur les téléphones professionnels.
01:27:42 Des fonctionnaires américains, mais aussi canadiens,
01:27:46 de la Commission européenne, de l'Assemblée européenne.
01:27:50 En France, on a mis en place une commission d'enquête sur TikTok.
01:27:55 Alors, le réseau social chinois,
01:27:58 qui est aujourd'hui l'un des plus puissants,
01:28:01 voire le plus puissant du monde.
01:28:03 - C'est en face, oui.
01:28:05 - 1,7 milliard d'utilisateurs actifs revendiqués par TikTok.
01:28:09 Reste un réseau social chinois.
01:28:12 Alors, est-ce que c'est pour ça qu'on le met ?
01:28:15 A part, au départ, c'est un réseau social pour les pré-ados,
01:28:19 pour ceux qui interrogent Anne Cordier.
01:28:22 - Oui, tout comme Facebook.
01:28:24 Et puis, petit à petit, ça va devenir...
01:28:27 - Facebook, c'était pour les élèves d'Harvard.
01:28:30 Ils étaient un petit peu plus âgés, quand même.
01:28:33 - Après, c'est passé de Harvard à l'ensemble des facs américaines.
01:28:37 Ça a commencé par les pré-ados, les ados.
01:28:40 C'est toujours un truc de jeunes.
01:28:42 Ça finira par être un truc de vieux.
01:28:44 Il suffit que les ados grandissent.
01:28:46 Le problème de TikTok, c'est qu'effectivement, c'est chinois
01:28:49 et que ça s'installe sur un téléphone qui est un objet,
01:28:52 qui est l'objet de toutes les attentions,
01:28:54 de tous les services de renseignement de la planète,
01:28:57 qui peut faire l'objet d'une surveillance.
01:28:59 Et à partir du moment où on a accès à votre téléphone,
01:29:02 on a accès à tout.
01:29:03 Et là, évidemment, laisser des Chinois
01:29:05 de personnalités qui travaillent dans des zones sensibles,
01:29:08 les politiques, certaines entreprises,
01:29:10 c'est hors de question.
01:29:12 Et donc, forcément, les parlements, les uns après les autres,
01:29:15 interdisent à leurs parlementaires et à leurs membres élus
01:29:17 d'utiliser TikTok.
01:29:18 Demain, ça sera très vraisemblablement
01:29:19 les entreprises du secteur de la défense.
01:29:21 C'est vraisemblablement fait de façon plus discrète.
01:29:23 Mais ça paraît tout à fait naturel.
01:29:25 - Voilà, c'est ce que je me demandais.
01:29:27 Est-ce que c'est lié au fait qu'il y a des tensions aujourd'hui
01:29:30 entre les Etats-Unis et la Chine
01:29:32 et que donc ce serait une façon de rappeler
01:29:34 que les Américains auraient de rappeler aux Chinois ?
01:29:37 Ou est-ce que c'est de la paranoïa pure ?
01:29:40 - Non, non, non.
01:29:41 C'est de la crainte tout à fait légitime.
01:29:43 Et c'est lié au fait qu'on a parfaitement admis
01:29:45 que les Américains nous surveillaient.
01:29:47 C'est enterriné.
01:29:48 Tous les présidents de la République française
01:29:50 depuis Simon Morabon, Jacques Chirac,
01:29:53 ont été surveillés sur leur appareillage électronique.
01:29:56 Et si ce n'était pas le cas avant,
01:29:57 c'est parce qu'il n'y avait pas d'appareillage électronique.
01:29:59 - Et ils l'ont été par les Américains, par la NSA ?
01:30:01 - Par la NSA, c'est fait, c'est enterriné,
01:30:03 ça ne choque personne.
01:30:04 Par contre, le fait que les Chinois s'y mettent,
01:30:06 ça nous dérange un peu.
01:30:07 Tout simplement parce qu'on a une alliance
01:30:09 avec les Américains et qu'on n'a pas avec les Chinois.
01:30:11 Et donc là, on va marquer très clairement une limite.
01:30:14 Il est hors de question que le président de la République
01:30:17 sur son téléphone se fasse espionner par les Chinois.
01:30:19 Les Marocains, les Américains, ça suffit.
01:30:22 - Tariq Krim ?
01:30:23 - J'ai une vision un peu légèrement différente.
01:30:25 Déjà, ce qu'il faut comprendre, c'est que TikTok,
01:30:28 je crois que c'est 1,7 milliard d'utilisateurs.
01:30:31 Donc, on parle d'utilisateurs en dehors de la Chine.
01:30:34 Parce qu'il y a la version chinoise de TikTok
01:30:37 qui n'a absolument rien à voir avec...
01:30:39 - Qui ne s'appelle pas TikTok.
01:30:40 - Qui ne s'appelle absolument pas TikTok,
01:30:42 qui a un nom imprononçable, c'est "duing", je crois,
01:30:44 qui est en fait basé sur des questions d'éducation,
01:30:47 de respect des valeurs.
01:30:49 Donc, ça n'a absolument rien à voir.
01:30:51 TikTok a réussi à faire ce qu'aucune autre entreprise,
01:30:56 finalement, notamment européenne, a réussi.
01:30:58 C'est à entrer sur un environnement
01:31:00 qui est exclusivement américain,
01:31:02 donc l'environnement Android/iPhone,
01:31:04 pour devenir la société qui a la plus forte croissance
01:31:08 dans le monde, qui a la plus forte croissance aux États-Unis,
01:31:11 à tel point que quand vous demandez aux jeunes Américains
01:31:14 s'ils préfèrent avoir Netflix,
01:31:16 tous les services de câble américains ou TikTok,
01:31:18 ils vous disent "Ah, je préfère avoir TikTok"
01:31:20 et renoncer à tout le reste.
01:31:22 Donc, ils ont réussi une entrée incroyable.
01:31:24 C'est une cash machine.
01:31:26 C'était 4 milliards de dollars de revenus l'année d'avant
01:31:29 et l'année dernière, c'était 12 milliards.
01:31:31 Donc, il y a une vraie question,
01:31:33 puisque au-delà de la question géopolitique,
01:31:35 il y a aussi cette question économique.
01:31:37 TikTok est financé par des investisseurs américains,
01:31:39 entre autres, également, en tout cas, l'entité externe.
01:31:42 Mais c'est vrai que ce que les États-Unis aimeraient,
01:31:45 c'est de dire "On rachète TikTok".
01:31:47 - Oui, Donald Trump l'avait déjà proposé.
01:31:50 - Absolument.
01:31:51 - Et on voit bien que les Américains
01:31:53 sont face à un soft power concurrent
01:31:55 et qu'ils n'ont pas tellement l'habitude.
01:31:57 Dans les années 90, après un sondage,
01:31:59 il s'était aperçu que Super Mario,
01:32:01 qui était une créature japonaise à ce moment-là,
01:32:04 héros de jeux vidéo,
01:32:06 était plus populaire chez les adolescents américains
01:32:09 que Mickey.
01:32:10 Ça avait été un reversement pour la plupart des Américains
01:32:13 qui disaient "Putain, pardonnez-moi,
01:32:15 les Japonais sont en train de nous piquer nos adolescents".
01:32:19 Et là, ils se disent que c'est les Chinois
01:32:21 qui sont en train de les leur piquer.
01:32:23 Ce qui explique peut-être pourquoi on vous TikTok aussi
01:32:26 aujourd'hui, au Gemini.
01:32:28 - Il faut distinguer deux choses.
01:32:30 Il y a cette concurrence entre des plateformes américaines
01:32:33 qui avaient conquis l'Occident,
01:32:35 enfin plus que l'Occident, à peu près tout,
01:32:37 sauf la Russie et la Chine,
01:32:39 et qui tout d'un coup voient arriver un concurrent
01:32:42 sorti, non pas de nulle part,
01:32:44 mais de leur pire ennemie stratégique.
01:32:46 Et puis, il y a un vrai problème de sécurité nationale
01:32:49 qui ne sont pas forcément alliés avec la Chine,
01:32:52 qui fait que si un député, si un cas dans une entreprise
01:32:55 de la défense a TikTok sur son téléphone,
01:32:58 on l'est permis de penser que les Chinois
01:33:01 instrumentalisent TikTok pour faire de l'espionnage.
01:33:04 Il n'y a aucune preuve à verrer aujourd'hui,
01:33:06 mais c'est techniquement tout à fait possible.
01:33:08 - Il est possible de s'emparer de notre téléphone
01:33:11 via une application qui s'y trouve.
01:33:13 Il est possible de s'emparer de notre ordinateur portable
01:33:16 via une application qui s'y trouve.
01:33:18 C'est possible pour toutes les applications.
01:33:20 - C'est possible pour toutes les applications.
01:33:22 C'est fait, refait, refait.
01:33:24 On a eu l'affaire Pegasus il n'y a pas longtemps en France.
01:33:27 C'est quelque chose d'assez courant.
01:33:29 Si c'était que jusqu'ici, les Chinois n'étaient pas
01:33:32 vraiment des joueurs importants dans ce jeu-là,
01:33:35 et que là, avec TikTok, ils ont une base installée
01:33:37 d'1,7 milliard de personnes, on pourrait imaginer
01:33:39 que tout d'un coup, sur leur base installée
01:33:41 qui constitue une large partie de l'Occident,
01:33:43 ils se disent qu'on va espionner celui-là ou celui-là.
01:33:45 Encore une fois, ça n'est qu'une théorie aujourd'hui
01:33:48 qui est clairement conspirationniste.
01:33:50 Mais ça permet de devenir une réalité.
01:33:52 - En fait, dès qu'on installe une application
01:33:54 sur un téléphone mobile, cette application va tout faire,
01:33:56 que ce soit Facebook, Twitter ou YouTube,
01:33:58 pour récupérer trois choses.
01:34:00 Un, aspirer votre carnet d'adresse immédiatement.
01:34:03 Deuxième chose, accéder à l'ensemble de vos photos.
01:34:06 Donc souvent, si vous cliquez "Oui",
01:34:08 ils ont accès à l'ensemble de vos photos
01:34:10 pour les analyser grâce à de l'intelligence artificielle.
01:34:12 Donc ça permet aussi de voir toutes les photos
01:34:14 que vous ne vouliez pas que le reste du monde voit.
01:34:17 Je pense notamment aux politiciens.
01:34:19 - Le reste du monde ne les verra pas plus.
01:34:21 - Oui, mais ça peut être...
01:34:23 J'avais une amie qui était députée au Danemark
01:34:27 et qui avait TikTok et qui était en campagne.
01:34:29 Je lui disais que c'était la troisième chose,
01:34:31 la localisation.
01:34:33 Si je déplace mon téléphone de 50 cm,
01:34:35 on sait que j'ai déplacé mon téléphone.
01:34:38 Donc on peut suivre à la trace à tel point que...
01:34:40 Je crois que c'est des journalistes de BuzzFeed
01:34:42 qui avaient fait une enquête sur TikTok.
01:34:45 Et la société aurait analysé leur trafic
01:34:48 pour essayer de voir quels journalistes
01:34:50 s'étaient approchés des bureaux de TikTok aux États-Unis.
01:34:53 Donc en fait, ces technologies existent.
01:34:55 Et c'est vrai que mise dans les mains d'acteurs étrangers,
01:34:59 donc avec autant de puissance...
01:35:01 Ce qui est fascinant, on parlait de l'idéologie.
01:35:03 J'ai discuté avec une amie aux États-Unis
01:35:05 qui me dit que la gauche américaine,
01:35:07 pendant très longtemps, le sujet unificateur,
01:35:10 c'était le Medicare for All,
01:35:12 donc la sécurité sociale pour tous.
01:35:15 Désormais, on ne parle plus que de genre.
01:35:17 Et une des raisons, c'est qu'en fait,
01:35:19 l'audience de TikTok, qui est souvent très, très jeune,
01:35:22 parce que ça va même au-delà de 13 ans,
01:35:24 nous, c'est interdit à partir théoriquement de 13 ans,
01:35:27 mais aux États-Unis, on peut le faire,
01:35:29 mais on a une version expurgée.
01:35:31 Désormais, ce sont des gens qui en fait vivent chez leurs parents
01:35:34 et donc pour qui la sécurité sociale n'est pas un problème.
01:35:37 Mais parce qu'ils sont puissants sur TikTok,
01:35:39 ils influencent aussi le jeu politique,
01:35:41 puisque tout le monde espère avoir la prochaine génération d'électeurs,
01:35:44 celle qui va arriver aux prochaines élections,
01:35:46 l'année prochaine et aux années d'après.
01:35:48 Et donc, c'est vrai que les États-Unis
01:35:50 sont très inquiets par cette question,
01:35:53 parce que ça tombe aussi, et je t'amène là-dessus,
01:35:55 sur le fait qu'on a une bataille rangée
01:35:58 entre la Chine et les États-Unis,
01:36:00 qui date du début de Trump,
01:36:02 mais qui a été continuée par Biden.
01:36:04 Et donc, entre l'accès aux puces pour l'intelligence artificielle,
01:36:07 la bataille numérique, le hacking,
01:36:10 il y a la question TikTok qui pose un vrai problème
01:36:13 et c'est peut-être une des raisons pour lesquelles
01:36:15 le sujet revient aujourd'hui sur la table.
01:36:17 - On va poser la question à Anne Cordier,
01:36:19 puisque ses futurs électeurs,
01:36:21 c'est justement ceux qu'elle a longuement interrogé
01:36:23 et qu'elle continue d'interroger,
01:36:25 puisque ça continue d'être votre travail.
01:36:27 Leur rapport avec TikTok,
01:36:29 est-ce que TikTok, c'est spécial pour eux ?
01:36:32 - TikTok, c'est spécial parce que
01:36:35 c'est le réseau qui actuellement est le plus investi,
01:36:39 même s'il ne faut jamais oublier qu'en fait,
01:36:42 ils font dialoguer tous les réseaux entre eux,
01:36:44 Snap, Insta, TikTok, tout ça, ça fonctionne ensemble.
01:36:47 Mais c'est spécial dans ce sens-là.
01:36:49 C'est spécial aussi parce qu'il ne faut pas oublier...
01:36:52 Alors, je ne suis pas du tout sur la question de la sécurité,
01:36:55 justement, volontairement, politique, je veux dire,
01:36:59 mais il ne faut pas oublier que l'origine de TikTok,
01:37:02 c'est Musical.ly, c'est-à-dire que c'était
01:37:04 et c'est important de rappeler ça,
01:37:06 c'est-à-dire que c'était une application
01:37:08 qui permettait finalement de faire des chorégraphies de danse
01:37:12 et on entrait dans la danse finalement tous ensemble,
01:37:15 un peu générationnellement, voire intergénérationnellement,
01:37:19 lors du Covid.
01:37:21 TikTok a subi, ou a connu, je ne sais pas comment on dit,
01:37:24 un bond d'utilisateurs,
01:37:26 avec d'ailleurs l'entrée de personnes plus âgées
01:37:29 qui ont partagé autour de TikTok
01:37:33 avec les enfants.
01:37:35 TikTok n'a évidemment absolument pas la teneur politique
01:37:40 aux yeux des enfants comme des adolescents.
01:37:43 Il n'a absolument aucune teneur politique
01:37:45 telle que celle qui est évoquée en ce moment par nous,
01:37:49 parce qu'il faut être spécialiste
01:37:52 et que clairement ils ne le sont pas sur ce plan-là,
01:37:55 pas du tout avertis sur ces questions-là, pour le coup.
01:37:58 Mais TikTok est important aussi
01:38:00 parce qu'il joue sur le principal ressort
01:38:03 qui est l'audiovisuel, tout simplement,
01:38:06 et qui est le plaisir de partager ensemble des petits moments
01:38:11 et puis on partage autour de chorégraphies qu'on refait.
01:38:15 C'est une façon, là encore, d'expérimenter aussi
01:38:19 l'être ensemble, l'adolescent et le groupe social à l'adolescence.
01:38:24 Alors ça paraît évidemment très mignon, raconté comme ça.
01:38:28 Je ne nie absolument pas la réalité stratégique et politique
01:38:33 et encore moins aussi ce qui fait le fondement de TikTok
01:38:36 comme de toutes les plateformes de réseaux sociaux
01:38:39 qu'on évoque pour le moment,
01:38:41 à savoir le capitalisme informationnel
01:38:44 et tout ce qui est économie, captation de l'attention et des données.
01:38:47 Charlie Myondi, sur TikTok plus particulièrement.
01:38:50 Sur TikTok, je pense qu'il faut vraiment distinguer
01:38:53 l'enjeu que représentent les réseaux sociaux
01:38:55 pour les États-Unis et pour l'Europe,
01:38:57 et je comprends pourquoi on est tellement obsédé
01:39:02 par la potentialité intrusive de ce réseau social en particulier.
01:39:07 En fait, du point de vue des Américains,
01:39:11 la donnée, c'est-à-dire les données,
01:39:13 c'est un enjeu stratégique majeur depuis toujours.
01:39:16 Et vous l'avez rappelé tout à l'heure,
01:39:18 c'est avéré, il y a eu les archives d'Edward Snowden
01:39:20 qui travaillait pour l'ANSA qui l'ont montré,
01:39:23 le général Kiss, Alexander, qui a dirigé l'ANSA,
01:39:26 au début des années 2000, son motto,
01:39:29 le petit mot, le mot d'ordre de l'entreprise,
01:39:32 c'était "tout renifler, tout collecter, tout processer"
01:39:35 en termes de données.
01:39:36 Donc, ils ont bien compris, ils sont dans une,
01:39:38 au niveau, je ne parle même pas de son industrie,
01:39:41 mais au niveau géopolitique, les États-Unis sont positionnés
01:39:44 dans le monde en se disant, en comprenant que la donnée
01:39:47 était un moyen d'influence essentiel et en se disant
01:39:49 qu'ils allaient mettre en place tout ce qu'il faut pour la capter.
01:39:52 Et c'est eux, enfin, ils ont installé des systèmes
01:39:54 de collecte et de captation des données sur les câbles sous-marins.
01:39:57 Donc, effectivement, comme vous l'avez dit,
01:39:59 et ils sont passés au gendarme du monde,
01:40:04 ils étaient le gendarme de la donnée.
01:40:05 Tout à coup, il y a un réseau social étranger qui arrive,
01:40:07 qui est la deuxième application la plus téléchargée,
01:40:09 qui a accès donc à des données, à une quantité de données
01:40:12 qui leur échappe totalement, c'est la première fois
01:40:14 que ça arrive.
01:40:15 Donc, forcément, même si TikTok n'est pas un agent
01:40:18 du renseignement chinois, comme vous l'avez dit,
01:40:20 ça n'a pas été avéré. Alors que Donald Trump avait lancé
01:40:23 un executive order, on aurait pu s'attendre à ce qu'il y ait
01:40:27 une preuve qui soit apportée par les services
01:40:29 de renseignement américains, notamment, sur la réalité
01:40:32 de l'espionnage chinois. Ça n'a pas été le cas.
01:40:34 Après, vous allez me dire, en général, dans le milieu
01:40:36 du renseignement, les preuves, on ne les donne jamais.
01:40:38 Ça fait partie de la règle du jeu.
01:40:42 Mais même si c'était juste une potentialité,
01:40:44 ce serait déjà, d'un point de vue stratégique, géopolitique,
01:40:47 quelque chose d'inadmissible.
01:40:48 Donc, TikTok, c'est inadmissible du point de vue américain.
01:40:51 Du point de vue européen, ça pose une question
01:40:54 assez différente. C'est que si, effectivement,
01:40:57 il y a un espionnage chinois, dans ce cas, la question
01:41:00 de la vassalité à l'un ou à l'autre, elle est rapidement tranchée.
01:41:04 Enfin, elle avait toujours été tranchée.
01:41:05 Mais ça soulève aussi une nouvelle urgence,
01:41:11 qui est celle de la dépendance européenne
01:41:14 et de l'incapacité de l'Union européenne
01:41:17 à offrir une réponse.
01:41:18 Les États-Unis, ils ont à la fois la capacité économique
01:41:21 éventuelle de racheter TikTok, mais aussi, si vraiment
01:41:23 ils voulaient l'interdire, ils ont la capacité technologique
01:41:26 de proposer à leur population quelque chose de similaire.
01:41:29 C'est tout à fait imaginable que Instagram lance
01:41:32 quelque chose qui ressemblerait à TikTok.
01:41:34 En Europe, si on l'interdit, c'est beaucoup plus difficile.
01:41:39 On est déjà colonisés.
01:41:40 Voilà, c'est beaucoup plus difficile à justifier.
01:41:43 C'est beaucoup plus compliqué.
01:41:44 On est colonisés en Europe.
01:41:46 Donc, si on interdit TikTok, pourquoi est-ce qu'on
01:41:49 interdirait pas Facebook et Twitter ?
01:41:51 Alors, effectivement, les Américains sont moins redoutables
01:41:56 que les Chinois, mais si on regarde les choses en face,
01:41:58 les vraies campagnes d'influence, elles viennent
01:42:02 de ces réseaux sociaux américains.
01:42:03 Jusqu'ici, les Chinois n'ont absolument rien fait
01:42:06 en termes d'impact sur l'opinion publique européenne.
01:42:09 Les Américains, si. Et plus d'une fois.
01:42:11 Et ça a été prouvé, reprouvé, re-reprouvé.
01:42:13 Le Brexit est l'œuvre d'une stratégie d'influence américaine
01:42:17 qui était finalement la démonstration d'une technologie
01:42:20 qui allait servir au final Trump.
01:42:21 Donc, là-dessus, il n'y a aucun doute, s'il y a un vrai danger,
01:42:23 il vient des États-Unis aujourd'hui.
01:42:25 Il pourra venir de Chine demain.
01:42:26 Mais il est avéré pour les États-Unis,
01:42:28 il reste à prouver pour la Chine.
01:42:30 Ça va être très, très, très compliqué de faire
01:42:32 une différenciation en termes de censure si demain,
01:42:35 on décide d'interdire TikTok, alors qu'effectivement,
01:42:37 les Américains, beaucoup plus simple.
01:42:39 - T'as écrit ?
01:42:40 - Je voulais juste revenir sur un point qu'a mentionné Charlène
01:42:43 qui me semble très important.
01:42:45 C'est qu'on parle souvent, quand on parle de données personnelles,
01:42:48 de la donnée des individus.
01:42:49 Mais cette idée d'avoir un agrégat de l'ensemble des données,
01:42:52 de savoir ce que pense la jeunesse américaine,
01:42:55 en temps réel, au district près,
01:42:57 puisque quand on parle d'élection américaine,
01:42:59 c'est véritablement savoir quels sont les sujets,
01:43:02 quel nombre de fois les vidéos ont été vues,
01:43:04 sur quels sujets, comment.
01:43:06 C'est un outil d'intelligence économique
01:43:08 et de compréhension de la population,
01:43:10 donc au-delà même de l'influence qui est la deuxième étape.
01:43:13 - Mais encore faut-il être capable de l'analyser,
01:43:15 parce qu'on peut toujours collecter des données.
01:43:17 C'est le travail du renseignement.
01:43:19 On peut avoir des renseignements,
01:43:20 mais si on ne sait pas les analyser...
01:43:22 - Je parle des plateformes elles-mêmes.
01:43:23 Les plateformes aujourd'hui ont des technologies...
01:43:25 - D'accord. Vous ne parlez pas des services de renseignement.
01:43:28 - Non, mais les informations, ensuite,
01:43:30 sont traitées sous forme de rapports.
01:43:32 Mais ce qu'il faut comprendre, c'est que ces sociétés,
01:43:34 que ce soit Facebook, que ce soit TikTok,
01:43:36 ont des capacités d'analyse qui sont probablement supérieures
01:43:39 à celles des services de renseignement,
01:43:40 puisqu'ils ont accès à l'ensemble des données,
01:43:42 ils ont le plus grand nombre de serveurs,
01:43:44 ils ont accès à l'ensemble des technologies
01:43:45 d'intelligence artificielle.
01:43:46 C'est d'ailleurs un des problèmes,
01:43:48 quand vous regardez l'armée américaine,
01:43:50 ou même quand on voit la question de la guerre en Ukraine
01:43:53 et des cyberattaques.
01:43:55 Les meilleurs talents aujourd'hui
01:43:57 ne sont plus dans les gouvernements ou dans les agences,
01:43:59 ils sont dans ces sociétés.
01:44:00 Et donc, cette compréhension, cette capacité d'analyser,
01:44:03 d'anticiper les envies ou de les faire évoluer,
01:44:06 est une information essentielle.
01:44:09 Elle est essentielle pour les publicitaires,
01:44:11 mais elle est également essentielle pour des pays,
01:44:13 notamment la Chine, vis-à-vis de TikTok.
01:44:15 Ce qui pose d'ailleurs, si je peux me permettre,
01:44:17 juste un point sur la question de l'Europe, effectivement,
01:44:19 c'est que l'Europe est aujourd'hui uniquement un pâturage
01:44:23 où toutes nos données sont pompées,
01:44:27 mais il n'y a aucun retour de cette valeur
01:44:31 vis-à-vis de l'économie européenne.
01:44:34 C'est drôle, parce que c'est exactement ce que disait
01:44:36 Loïc Lefloque-Prigent en parlant de l'Afrique,
01:44:39 mais en disant que c'était les Européens qui avaient...
01:44:42 On est dans la même situation que l'Afrique.
01:44:44 On est donc dans la même situation.
01:44:46 Nos matières premières à nous sont nos données.
01:44:48 C'est ça.
01:44:49 La donnée, c'est la nouvelle matière première.
01:44:51 On parle tous ces derniers temps,
01:44:54 on n'a fait que parler de chèque GPT
01:44:55 et des potentiels dangers de l'intelligence artificielle,
01:44:57 et aucune intelligence artificielle peut fonctionner sans données.
01:45:00 C'est le carburant de l'intelligence artificielle.
01:45:05 Il y a une autre différence qui est intéressante à souligner
01:45:08 entre TikTok et les réseaux sociaux américains,
01:45:10 c'est que tout ça aspire à nos données,
01:45:12 nous ramène à des modèles.
01:45:13 Rappelons qu'avec une cinquantaine de likes sur Facebook,
01:45:16 on peut déterminer votre orientation sexuelle,
01:45:18 vos choix politiques,
01:45:19 et tout un tas de choses personnelles
01:45:20 que vous n'avez jamais confiées à Facebook,
01:45:22 mais qui vont être extrapolées à partir des traces que vous y laissez.
01:45:27 S'ils sont assez intelligents pour faire de bonnes analyses.
01:45:30 Ils le sont, ça a été prouvé,
01:45:31 là-dessus il n'y a absolument aucun doute,
01:45:33 et vraiment avec assez peu de traces,
01:45:35 on peut déduire des choses
01:45:36 que vous n'avez jamais confiées à ces réseaux sociaux.
01:45:39 Les Chinois, ils ont autre chose,
01:45:41 ils ont aussi un système de surveillance globale
01:45:43 de leur propre population
01:45:44 qui permet d'extrapoler les bons des mauvais citoyens.
01:45:47 Toute cette intelligence-là, les Américains n'ont pas.
01:45:50 Les Américains vont vous faire du credit rating
01:45:52 sur vos traces laissées dans le numérique,
01:45:54 ou tout un tas de choses,
01:45:55 mais certainement pas de la notation sociale
01:45:58 comme ça veulent faire les Chinois.
01:45:59 Les Chinois pourraient tout à fait extrapoler
01:46:02 leur notation de citoyens
01:46:04 aux traces qu'on nous laissons sur TikTok.
01:46:06 Qu'est-ce qu'ils vont faire avec ça ?
01:46:08 Dieu sait quoi.
01:46:09 Mais en tout cas, des choses
01:46:10 que les Américains ne sont pas en mesure de faire.
01:46:12 François Guéry, le dernier mot.
01:46:14 Oui, je comprends bien que toutes ces innovations
01:46:19 posent des problèmes de géostratégie, de géopolitique
01:46:23 qui mettent la vieille Europe devant une sorte de crise d'identité.
01:46:30 Parce qu'effectivement, dès le moment où on est, c'est vrai,
01:46:33 la proie plus que le prédateur,
01:46:36 après tout, c'est quand même notre liberté
01:46:39 de choisir de qui on pourrait devenir la proie.
01:46:42 Je vais remercier Anne Cordier
01:46:46 d'avoir été avec nous ce soir
01:46:48 et de nous avoir autant éclairé
01:46:50 sur les préados et leur comportement sur les réseaux sociaux.
01:46:54 Je rappelle le titre de votre livre,
01:46:56 c'est "Grandir Connecté".
01:46:58 Je vous remercie tous les quatre d'avoir été dans cette émission.
01:47:02 Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine,
01:47:05 samedi à 22h, pour un nouveau numéro des Visiteurs du Soir.
01:47:10 Passez une excellente semaine.
01:47:12 ...