Frédéric Taddeï et ses invités débattent des grandes questions du XXIe siècle dans les #VisiteursDuSoir
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00:00:00 Pas du tout le même visage que ceux que nous avons pu rencontrer à 18h au départ de cette manifestation qui était assez familiale et bonne enfant.
00:00:10 Ces derniers manifestants qui sont encore sur place veulent en découdre avec les forces de l'ordre.
00:00:16 Il y a souvent des chants, des discours anti-forces de l'ordre, anti-police qui ont été scandés depuis que la manifestation a commencé à dégénérer au niveau de cette place d'Italie
00:00:29 au 13ème arrondissement de Paris.
00:00:31 Le camion à eau est arrivé sur place afin de disperser les derniers manifestants qui étaient encore sur cette place.
00:00:42 Il a été utilisé plusieurs fois sur l'ensemble de cette place afin de disperser la foule qui ne voulait pas quitter cette place d'Italie,
00:00:50 qui voulait rester jusque tard dans la soirée.
00:00:53 Les forces de l'ordre voulaient vider cette place et laisser la circulation se faire.
00:00:59 Mais les manifestants n'arrêtaient pas de revenir sur la chaussée en mettant des barricades et en incendiant du mobilier urbain sur plusieurs rues autour de cette place afin de bloquer.
00:01:12 Les pompiers peinaient à éteindre ces incendies qui n'arrêtaient pas de par des d'autres de cette place d'être allumés.
00:01:22 Selon la police, il y a eu 76 interpellations au niveau de cette place d'Italie depuis cette fin de manifestation.
00:01:32 Les forces de l'ordre sont encore sur place.
00:01:35 Ils sont en train de ratisser la place afin d'évacuer les derniers manifestants qui sont toujours sur cette place.
00:01:43 Les lacrymogènes ont été utilisés, les grenades anti-encerclement ont été utilisées également.
00:01:51 La police brave a été plusieurs fois sur place.
00:01:55 Elle n'arrêtait pas de venir afin de récupérer certains individus radicaux qui cherchaient à en découdre et qui faisaient face aux forces de l'ordre.
00:02:06 Pour le moment, nous sommes en retrait sur le côté de cette place d'Italie.
00:02:14 La situation est toujours tendue, les forces de l'ordre sont toujours nombreuses sur cette place d'Italie.
00:02:21 4000 personnes étaient présentes pour ce rassemblement intersyndical qui est le seul rassemblement syndical de ce week-end.
00:02:31 4000 personnes qui voulaient du coup crier leur colère contre cette réforme des retraites, contre l'utilisation du 49-3 qui a été utilisé.
00:02:42 Je le rappelle, il y a les jours précédents.
00:02:45 Nous en sommes au 13e jour de grève, 13e jour qui du coup se termine encore avec certains heurts.
00:02:52 Pourtant la manifestation, je le répète, était partie plutôt dans une ambiance festive avec des chansons, des danses et une ambiance familiale.
00:03:01 Tout âge était présent.
00:03:02 Mais effectivement, cette fin de soirée, ce sont uniquement les éléments radicaux qui sont restés.
00:03:09 Des éléments radicaux d'ultra gauche et autres qui voulaient en découdre avec les forces de l'ordre.
00:03:15 – Merci Sarah Varnier.
00:03:21 Dans un instant, les visiteurs du soir.
00:03:24 On reviendra, on va s'intéresser évidemment à ce 49-3 qui énerve beaucoup de monde depuis plus de 60 ans maintenant.
00:03:32 Mais d'abord, le rappel des titres, Isabelle Piboulot.
00:03:36 [Musique]
00:03:40 76 individus interpellés dans le sud de Paris, barricades dans les rues, poubelles incendiées.
00:03:45 Dans le 13e arrondissement, les forces de l'ordre, dont la Brave, sont intervenues.
00:03:49 Place d'Italie, en raison de la présence de casseurs.
00:03:52 Près de 4000 personnes se sont rassemblées suite à un appel de la CGT Île-de-France.
00:03:57 Le cortège s'était lancé vers 18h.
00:03:59 La grogne ne redescend pas, notamment depuis le recours au 49-3 par le gouvernement jeudi dernier.
00:04:05 Manifestations également en région, comme à Nantes, où un important dispositif policier a été déployé.
00:04:12 6000 manifestants, selon la police, 15 000 d'après les syndicats, ont défilé dans les rues nantaises.
00:04:17 La tension est montée d'un cran en milieu d'après-midi.
00:04:20 Les policiers, cibles de jets de bouteilles, ont répondu par des tirs de gaz lacrymogènes.
00:04:26 La brigade anticriminalité a arrêté au moins 4 individus.
00:04:30 Et puis dans l'actualité internationale, à l'est de l'Ukraine, des frappes russes ont touché Kramatorsk cet après-midi.
00:04:38 Au moins 2 morts et 8 blessés, dont 3 graves, sont à déplorer.
00:04:42 La Russie continue de faire régner la terreur.
00:04:45 A déclaré le maire de la ville, une douzaine de bâtiments résidentiels et 14 équipements municipaux ont été endommagés.
00:04:53 (Générique)
00:05:05 - Bonsoir, bienvenue, je suis ravi de vous retrouver.
00:05:09 Les visiteurs du soir sont, ce soir, Eugénie Bastier, qui veut sauver la différence des sexes.
00:05:17 C'est le titre du tract qu'elle vient de publier chez Gallimard.
00:05:20 Pascal Molligny, la directrice de la publication des "Cahiers du genre", qui n'est pas d'accord avec Eugénie Bastier.
00:05:27 Le philosophe Benjamin Oliven, l'auteur de "L'autre art contemporain".
00:05:32 Parce que tout à l'heure, on va parler de la France moche, ce compte Twitter qui dénonce l'enlidissement de notre pays.
00:05:38 Avec l'un de ceux qui en est à l'initiative, le comédien Olivier Saladin.
00:05:45 Il y aura également l'architecte Rudi Ricciotti, l'auteur de "L'exil de la beauté".
00:05:50 Mais d'abord, à 23h, on va se demander si l'utilisation de l'article 49.3 par le gouvernement pour faire adopter sans vote la réforme des retraites,
00:06:04 si c'est oui ou non un déni de démocratie.
00:06:08 Il y aura parmi nous l'historien François... Non, pardon, Francis Choiseul.
00:06:13 Il y aura Véronique Campey-Desplat, qui est professeure de droit public.
00:06:17 Et François Coque, le fondateur du collectif "Les Constituants".
00:06:23 Mais d'abord, on va parler d'amitié avec Sébastien Le Foll.
00:06:27 Sébastien, vous êtes l'ancien directeur de la rédaction du Point et vous publiez en bande organisée "Mitterrand, le pacte secret" chez Albain Michel.
00:06:37 Alors, je dis que c'est une histoire d'amitié parce que c'est l'ascension de quatre jeunes provinciaux.
00:06:42 François Mitterrand, qui deviendra président de la République.
00:06:46 Il y a Pierre de Benouville. Ils se sont rencontrés tous les deux sur les bancs d'un collège catholique à Angoulême.
00:06:52 Lui, il va devenir député gaulliste et surtout l'éminence grise de Marcel Dassault.
00:06:58 Il y a également André Bétancourt, qui va venir se rajouter parce que Mitterrand le rencontre en arrivant à Paris, dans l'internat catholique où il est logé.
00:07:09 François Bétancourt, lui, va devenir ministre.
00:07:13 François Dalles.
00:07:14 Et puis, à le quatrième, il y a François Dalles, qui est lui aussi chez les frères Maristes, au 104 rue de Faugirard, où ils logent tous.
00:07:21 Et qui, lui, va devenir le patron de l'Oréal.
00:07:25 Ce n'est pas un roman, c'est la réalité.
00:07:27 C'est la réalité.
00:07:28 Et c'était un scénario.
00:07:29 Absolument. Mais c'est vrai que c'est assez extraordinaire. L'un devient président de la République.
00:07:33 Le deuxième, Pierre de Benouville, devient général à 30 ans.
00:07:37 Député gaulliste et l'homme de l'ombre, l'éminence grise de l'homme le plus riche de France, Marcel Dassault.
00:07:44 André Bétancourt devient secrétaire d'État de Pierre Mendes France.
00:07:48 Ministre du général de Gaulle, ministre de Georges Pompidou et le mari de la femme la plus riche de France, Liliane Bétancourt.
00:07:54 Probabilité de réussite quand même assez faible parmi les bandes de copains. Mais là, celle-là a bien réussi.
00:07:58 Voilà. Et le quatrième, François Dalles, qui devient, lui, carrément le patron de l'Oréal.
00:08:02 Il a fait un empire.
00:08:04 Le successeur du père de Liliane Bétancourt. Alors, c'est... Ils sont amis du début jusqu'à la fin, jusqu'à la mort.
00:08:13 Oui, ils vont se faire la courte échelle. Et moi, ce qui m'a intéressé dans cette histoire, parce que vous savez, je suis un enfant des années Mitterrand.
00:08:19 Je suis né sous Giscard, mais moi, je suis né à la politique sous Mitterrand.
00:08:24 Donc j'ai été intrigué par ce personnage dont on a commencé à apercevoir la vraie vie, le passé seulement vers 94, 95.
00:08:35 Puis moi, en plus, j'ai une anecdote personnelle.
00:08:37 Un jour, on a découvert en 97, tout près de chez mes parents, dans les Yvelines, dans un box, les archives de la cellule antiterroriste de l'Élysée.
00:08:46 Je m'étais dit à l'époque, mais pourquoi déployer autant de moyens, d'énergie pour cacher quels secrets ?
00:08:52 Donc moi, depuis l'enfance, l'adolescence, Mitterrand m'a intrigué.
00:08:55 C'est vrai que j'ai été intrigué aussi à sa mort par la présence de ces personnages qu'on a vus au journal télévisé.
00:09:02 Benouville, qui est le dernier homme avec Roland Dumas à veiller le corps de Mitterrand jusqu'à l'aube.
00:09:09 Ils se sont rencontrés au collège, ils servaient la messe ensemble à Angoulême.
00:09:15 Qui est cet homme ? On voit au journal télévisé François Dalle, André Bétancourt.
00:09:20 J'ai compris assez vite que c'était la plus vieille bande d'amis de Mitterrand et celle qui, finalement, connaissait tous les secrets qu'il avait voulu cacher toute sa vie.
00:09:29 J'ai voulu reconstituer l'histoire de cette bande.
00:09:32 Ce n'est pas seulement la politique, c'est l'amitié, l'amour, parce qu'ils sont tenus par plein d'autres choses.
00:09:38 Je n'ai pas une lecture idéologique de l'itinéraire de Mitterrand, mais François Dalle, on comprend qu'ils soient soudés,
00:09:44 puisque c'est François Dalle qui va porter les lettres de l'amoureux Mitterrand à Marie-Louise Thérasse, la future spickrice de Catherine Langeais.
00:09:53 Il lui écrit tout le temps, Mitterrand. Il est furieux, il est surtout inquiet.
00:09:57 Est-ce qu'il écrit à Dalle ? J'ai pu lire des lettres qu'il envoie à Dalle pour le prévenir.
00:10:02 "Attention, elle va sortir du lycée, elle a 7 ans de moins que lui, mais fais attention, il se peut qu'elle sorte par la sortie extérieure."
00:10:08 Sur la claviature de votre livre, il y a en sous-titre "Mitterrand, le pacte secret".
00:10:13 C'est le plus beau pacte, c'est le pacte de l'amitié, c'est le pacte de la jeunesse, le pacte des dortoirs, c'est les serments.
00:10:19 Ils ne décident pas tous les quatre qui vont conquérir la France.
00:10:22 Ils sont quand même ambitieux tous les quatre, c'est ça qui est formidable, c'est que ce sont deux provinciaux, quatre provinciaux qui montent à Paris.
00:10:28 Ils sont ambitieux, François Dalle, il se destine à une grande carrière de juriste.
00:10:33 Benouville, alors lui, il est plus happé par la politique, c'est un royaliste, qu'il, le 6 février 1934, trouve quand même que Maurras est un peu molle à son,
00:10:42 et qu'il va se rapprocher de la Cagoule, qui est cette organisation secrète.
00:10:46 Alors il faut bien voir que tous les quatre sont vraiment, sont catholiques et de droite.
00:10:50 Ah oui, ils sont plutôt...
00:10:51 Les quatre sont de droite, il reçoit Mitterrand à l'époque.
00:10:53 Plusieurs nuances de droite, le plus modéré étant François Dalle, qui est plutôt, je dirais, un chrétien démocrate, et qui est par la suite.
00:11:00 Mais, oui, les autres sont quand même vraiment à droite à l'époque.
00:11:02 Mitterrand à ce moment-là milite au croix de feu, il écrit dans un journal, il est très anti-front populaire, c'est étonnant, mais c'est comme ça, il finira socialiste, mais à ce moment-là, il est très anti-front populaire.
00:11:12 Ce sont les fruits de leur lecture. Ils lisent Montaerlan, ils lisent Bernanos, donc ils ont Moriac, ils ont une culture, ils sont très lettrés, ils sont très...
00:11:23 Mitterrand est un... moi je le considère comme un écrivain, mais Benouville aussi, écrit très jeune, un livre sur Baudelaire.
00:11:29 Donc ils sont très à droite, ils sont catholiques, au moment...
00:11:33 Et ambitieux, il faut le dire.
00:11:34 Et ambitieux. Ils sont amis. Pendant la guerre, est-ce qu'ils passent tous par Vichy ?
00:11:41 On se souvient que François Mitterrand passe par Vichy en sortant de son camp de prisonniers, et ensuite devient résistant.
00:11:45 Mitterrand, oui, lui, va y rester, on le sait, assez longtemps. Béthancourt va venir le voir, c'est ce qu'on a pu reconstituer.
00:11:52 Dalle, lui, commence à travailler très tôt, il travaille chez Montsavon, il a été recruté par un personnage qui va être un peu leur mentor,
00:11:59 qui est cet homme très intrigant, qui est génial en même temps.
00:12:02 Eugène Schueller, qui est l'homme qui a inventé la teinture pour cheveux, et qui va faire ensuite le succès de L'Oréal dans son appartement.
00:12:12 C'est le fondateur de L'Oréal, c'est le père de L'Ignat.
00:12:14 Mais ça commence dans son appartement, dans sa cuisine quasiment. Il invente, c'est un chimiste, il invente cette teinture.
00:12:19 Et puis il est un peu un mentor pour eux. Et Benoville lui a passé brièvement avec lui, mais surtout il s'engage très très vite dans la résistance.
00:12:26 Il rejoint d'abord la résistance anglaise, un réseau qui s'appelle le réseau Carte, et puis il va devenir un des piliers de combat.
00:12:34 C'est lui qui emmène Mitterrand quand Mitterrand veut s'engager dans la résistance ?
00:12:37 En 1943, Mitterrand, ils se retrouvent, ils ne se sont pas vus depuis très longtemps, et sur le quai d'une gare, ils se reconnaissent.
00:12:44 Et c'est Benoville qui conduit Mitterrand à Henri Freinet, le chef du grand mouvement de résistance, combat.
00:12:50 Alors c'est vrai que assez jeunes, ils vont se retrouver en fait au pouvoir, que ce soit dans la politique ou dans les affaires.
00:12:56 Après la Seconde Guerre mondiale, François Mitterrand va devenir député et ministre à 30 ans, et Benoville devient général à 30 ans.
00:13:05 Il a été nommé par le général de Gaulle, il fait partie de ces jeunes généraux issus de la résistance.
00:13:11 La résistance, ça explique beaucoup de choses dans le destin de ces hommes. Ils n'en sont jamais réellement sortis.
00:13:17 Ils ont continué à vivre comme des résistants, un petit peu dans la fiction, avec des identités multiples, avec un goût du secret extraordinaire.
00:13:26 Et d'ailleurs, les secrets de Mitterrand, ils vont s'employer parce qu'ils ont ensuite des parcours politiques très divergents.
00:13:32 Mitterrand va ensuite aller progressivement, lentement, progressivement vers la gauche.
00:13:38 Mais en tout cas, et les autres sont plutôt à droite, gaullistes, mais en tout cas, ils vont toujours être veillés à respecter ce pacte de jeunesse,
00:13:49 à ne pas trahir Mitterrand quand il sera attaqué sur son passé.
00:13:52 Mais est-ce qu'ils se font la courte échelle ? Est-ce qu'ils cèdent les uns aux autres ?
00:13:56 Ils s'entraînent, Mitterrand, aidant à des problèmes d'argent au sortir de la guerre.
00:14:00 François Dalle et André Bétancourt vont lui trouver un job dans le lieu le plus improbable pour Mitterrand, compte tenu de son parcours.
00:14:08 Il va s'occuper d'une revue qui s'appelle "Votre beauté", où il est peu question de politique, encore moins de littérature.
00:14:13 Il va écrire, je crois, quelques articles sous Denis, mais lui, il rêve de transformer ça en maison d'édition.
00:14:18 Puis très vite, il s'avère un piètre gestionnaire de la revue et donc, il faut arrêter les frais.
00:14:26 Donc ils vont l'aider, je pense. À l'époque, on ne déclarait pas l'argent, la politique, mais ils vont l'aider un peu dans sa carrière au début aussi.
00:14:33 Est-ce que c'est François Dalle, en rentrant chez Montsavon, puis chez L'Oréal, qui présente Liliane Schüler à l'époque à André Bétancourt ?
00:14:42 Ou est-ce que c'est André Bétancourt qui, connaissant Liliane, fait entrer François Dalle ?
00:14:46 Alors vous verrez, moi, comme m'a dit un historien récemment, il m'a dit "Ah, votre livre est très mitterrandien parce qu'il n'est pas conclusif."
00:14:51 Parce que mitterrand, c'est tellement compliqué, on est tellement dans l'ambiguïté en permanence que moi, j'ai essayé de promener des miroirs en permanence
00:14:58 pour essayer de savoir distinguer le vrai du faux. Et la rencontre avec Liliane Bétancourt, il semblerait que ce soit quand même André Bétancourt
00:15:07 qui va assister à une conférence du père de Liliane, Eugène Schüler, et qui ensuite aurait présenté ses amis.
00:15:13 Mais il y a d'autres hypothèses où ce serait peut-être mitterrand, voire même Bénouville.
00:15:17 La chronologie de la rencontre et de l'amitié n'est pas encore bien arrêtée.
00:15:22 Et la Cagoule, parce que c'est une ombre qui plane sur les quatre, y compris sur Eugène Schüler d'ailleurs,
00:15:29 est-ce que l'un des quatre a été membre de la Cagoule ?
00:15:34 Qui conspirait à aller pas contre la République ?
00:15:36 Bénouville, dont j'ai pu accéder à ses archives inédites, ne s'en cache pas, même à la fin de sa vie,
00:15:45 il confiait dans son livre d'entretien à Laura Adler qu'il avait été très proche, qu'il avait fait des choses pour la Cagoule.
00:15:50 C'est le seul à l'assumer. Mitterrand, moi je ne pense pas qu'il en ait fait partie.
00:15:54 Il a toujours dit non.
00:15:55 Il n'y a pas de preuve de ça. Même si moi j'ai mené une enquête où un ancien conseiller d'un ministre gaulliste
00:16:02 m'a dit qu'il avait fait des recherches à l'époque à la demande des gaullistes et qu'il avait des intuitions,
00:16:06 mais il n'y a jamais eu la preuve. Il prétendait que les archives avaient été nettoyées par Mitterrand lors de son passage au bureau.
00:16:13 Ça ne permet de l'affirmer, ça. En revanche, c'est vrai qu'il y a une continuité.
00:16:17 Il y a toujours eu dans l'entourage de Mitterrand des Cagoulards ou des enfants de Cagoulards.
00:16:22 Quand il était président, il va assister aux obsèques de la veuve de Jeanne de L'Oncle, créateur de la Cagoule.
00:16:30 Il y a cette proximité-là. Quand on voit en 1938 son agenda, par exemple, parmi ses fréquentations,
00:16:37 oui, il y a aussi un certain Jean Bouvier qui a été un Cagoulard, à qui il est lié.
00:16:41 On dit que ce sont des amitiés d'un ordre un peu féodal. C'est une manière de dire "ces gens sont à moi".
00:16:47 Mais surtout, il y a un goût chez Mitterrand pour la marge, qu'elle soit de gauche ou de droite.
00:16:52 Il est attiré par ce marigot, comme l'appelle Frédéric Mitterrand, son neveu.
00:16:58 Restons sur nos quatre mousquetaires, parce que vous les appelez comme ça.
00:17:03 À un moment, politiquement, ils vont se séparer. On voit bien qu'ils sont partis, tous les quatre, de la droite nationale.
00:17:11 En tout cas, Mitterrand va être divergé à un moment ou à un autre.
00:17:19 Oui, et ce qui m'a intéressé dans cette histoire, moi, au-delà de la bande des quatre,
00:17:23 même s'effectivement ils vont contribuer à aider Mitterrand à forger sa légende,
00:17:27 c'est comment s'est bâtie cette légende-là politique.
00:17:31 Mitterrand a un parcours très clair, très net, sans ambiguïté, vers la gauche,
00:17:36 qui est surtout motivé par un antigaullisme viscéral,
00:17:40 qui fait que même l'extrême droite se retrouve en lui en 1965 et appelle à voter pour lui au second tour.
00:17:45 D'ailleurs, il a une discussion avec Mendès France au soir du premier tour.
00:17:49 Mendès France lui fait remarquer qu'il ne va pas accepter les voix du Ticci et Villancourt.
00:17:54 Il dit "moi, je ne veux pas de tri dans les bulletins".
00:17:56 J'ai entendu, enfant, adolescent, que justement le Front National, l'extrême droite,
00:18:00 c'était évidemment le mal absolu, mais en 1965, ça ne le dérange pas.
00:18:04 Il a un parcours très net vers la gauche, mais en 1969, il y a un tournant,
00:18:11 il appelle Alain Duhamel qui m'a raconté "non, je veux faire un livre d'entretien".
00:18:16 Il est has-been Mitterrand à l'époque, plus personne ne parle de lui.
00:18:20 Il va faire un livre qui s'appelle "Ma part de vérité",
00:18:22 qui est un titre pour le moins curieux, le concernant,
00:18:26 parce que la vérité dans ce livre, en tout cas, sur toute la première partie
00:18:29 où il raconte son passé, on ne la trouve pas beaucoup.
00:18:32 Mais c'est le premier livre dans lequel, à un moment, il va se dire socialiste.
00:18:35 Donc il va vers la gauche, clairement.
00:18:37 Là, politiquement, quand on le voit dans les correspondances,
00:18:40 ses amis se résignent à ça, ne sont plus du tout d'accord,
00:18:44 vont essayer même de le freiner ensuite, cet élan inéluctable.
00:18:49 Et Béthancourt pense que, par exemple, et Bénouville aussi,
00:18:52 ils le disent, que s'il n'y avait pas eu cette détestation de Gaulle,
00:18:56 il ne serait peut-être pas allé autant vers la gauche.
00:18:59 En tout cas, moi, ce qui m'intéresse, c'est que j'ai l'impression
00:19:02 que votre histoire ne tient, enfin, cette amitié ne tient pas
00:19:06 que parce qu'ils sont de droite.
00:19:08 C'est-à-dire que s'ils avaient été de gauche,
00:19:10 là, on a eu le cas de quatre garçons de droite,
00:19:12 il y en a un qui va quand même les trahir en allant à gauche
00:19:16 et en s'alliant avec les communistes, alors que les autres,
00:19:19 Béthancourt, à ce moment-là, est ministre du Gérald De Gaulle,
00:19:22 puis ministre Pompidou, Bénouville est député gaulliste,
00:19:28 et François Dalle, il est plutôt copain avec Giscard et Raymond Barre.
00:19:33 Et il y en a un qui part vers la gauche, qui va s'allier avec les communistes,
00:19:36 et ils ne lui en veulent pas. Ils restent amis, ils continuent de le protéger.
00:19:41 Imaginez l'inverse, s'ils auraient été quatre de gauche,
00:19:43 il y en aura un qui sera normalement allé vers la droite,
00:19:46 je peux vous dire que les trois de gauche, ils ne lui parlent plus jamais.
00:19:48 C'est possible.
00:19:50 C'est possible, mais ce qui m'a frappé en lisant un peu toutes ces correspondances,
00:19:57 en partant à la recherche de tous ces archives,
00:20:00 c'est qu'ils ne croient pas à la sincérité de la conversion de Mitterrand,
00:20:04 de leur ami. C'est-à-dire que Bénouville dit,
00:20:06 même à des membres de sa famille après l'élection de Mitterrand,
00:20:09 "Les Français viennent d'élire le dernier président de droite,
00:20:12 mais ils ne le savent pas encore."
00:20:14 Eh bien, ton cours n'est pas loin de penser la même chose.
00:20:16 Mais vraisemblablement, puisqu'ils sont restés amis,
00:20:18 c'est qu'ils devaient l'être au fond.
00:20:19 Alors qu'il a réellement franchi le pas.
00:20:21 On va aménager un peu le suspense. On fait une pause, on se retrouve juste après.
00:20:24 On va passer encore quelques minutes sur le livre de Sébastien Le Foll,
00:20:31 en bande organisée, "Mitterrand, le pacte secret",
00:20:34 et puis après on changera de sujet.
00:20:36 François Mitterrand, après la guerre, se retrouve donc,
00:20:39 grâce à ses trois amis, les trois mousquetaires,
00:20:42 il se retrouve avec dans son jeu quand même l'homme le plus riche du monde,
00:20:46 l'homme le plus riche de France, pardon, Marcel Dassault,
00:20:49 dont Pierre de Bénouville est devenu l'éminence grise,
00:20:53 et puis la femme la plus riche de France,
00:20:55 puisque son ami André Bétancourt l'a épousée,
00:20:58 c'est Liliane Fuller, devenue Liliane Bétancourt,
00:21:02 l'actionnaire principale de L'Oréal,
00:21:04 dont son ami François Dalle va devenir le patron,
00:21:07 il succédera au père de Liliane Bétancourt.
00:21:09 Est-ce que l'homme le plus riche de France et la femme la plus riche de France,
00:21:13 donc il est dans son jeu, est-ce qu'ils vont lui être utiles ?
00:21:15 Est-ce qu'il va les utiliser ?
00:21:17 Est-ce que ce sont des cartes qui vont compter dans son ascension ?
00:21:20 Alors il a, pour ça en tout cas, financé sa carrière politique,
00:21:22 de ce que j'ai pu retracer,
00:21:24 ce que les biographes qui ont travaillé sur Mitterrand ont pu établir,
00:21:28 c'est que oui, probablement, en tout cas André Bétancourt,
00:21:31 André Bétancourt a un moment a aidé François Mitterrand.
00:21:34 Plus que tous ceux qu'elle a aidé par ailleurs ?
00:21:37 Ça je ne sais pas, je serais incapable de le dire,
00:21:40 mais Mitterrand a été aidé par beaucoup de gens dans sa carrière.
00:21:43 Mais il y a eu un moment, dans les moments en tout cas un peu difficiles,
00:21:46 de ce que j'ai pu reconstituer, oui, où ils lui ont donné un coup de pouce.
00:21:50 Ce n'a pas été forcément le coup de pouce le plus décisif,
00:21:52 parce qu'ensuite, quand il a été élu président,
00:21:55 et qu'il y a eu la création de l'impôt sur la fortune,
00:21:59 ses amis étaient beaucoup moins...
00:22:02 C'est la question que j'allais vous poser.
00:22:05 Est-ce qu'une fois François Mitterrand devenu président de la République,
00:22:10 est-ce que ses trois amis vont en tirer profit ?
00:22:13 François Dalle, qui était un patron assez engagé, très humaniste,
00:22:18 qui était au sein du patronat, un peu un iconoclaste dans son genre,
00:22:23 parce qu'il était un peu à l'écart,
00:22:26 il était très critique à l'égard de l'establishment capitaliste français,
00:22:30 mais il était aussi très critique à l'égard de la politique du programme commun.
00:22:34 Il n'était pas du tout d'accord avec cette politique-là.
00:22:37 Il l'a fait, il l'a dit, clairement, à Mitterrand.
00:22:39 Bettencourt aussi l'a dit.
00:22:41 Ils ont essayé un petit peu d'influencer, à un moment,
00:22:44 d'essayer de limiter les dégâts de l'impôt sur la fortune,
00:22:47 mais ils n'ont pas été forcément tenus,
00:22:49 puisqu'il y a eu cette anecdote de Mitterrand,
00:22:52 disant un jour à Bettencourt,
00:22:54 "André, tu ne vas pas me faire croire qu'avec Liliane,
00:22:57 vous allez vous retrouver à la rue avec cet impôt."
00:23:01 Donc ils s'en moquaient,
00:23:03 il avait eu ce grand discours contre les forces de l'argent.
00:23:05 - Bennoville va parvenir quand même à ce que Marcel Dassault
00:23:08 ne soit pas totalement nationalisé.
00:23:10 - Oui, alors là, c'est effectivement,
00:23:12 quand j'interroge vraiment les très proches de Mitterrand,
00:23:14 ils admettent qu'effectivement, le Bennoville a eu un rôle considérable
00:23:17 pour éviter la nationalisation complète de Dassault,
00:23:20 telle que l'avaient envisagé les socialistes,
00:23:22 puisqu'il y avait des discussions à Matignon, mais le soir,
00:23:25 Pierre de Bennoville était lui un réel visiteur du soir.
00:23:30 - L'expression des visiteurs du soir,
00:23:32 date de l'époque où François Mitterrand était président de la République,
00:23:35 et tous les quatre étaient un peu des visiteurs du soir.
00:23:37 - Le secrétaire m'a confirmé qu'il entrait très librement à l'Elysée,
00:23:40 et donc il allait un peu détricoter certaines choses
00:23:43 dans le bureau de son vieil ami François.
00:23:46 Et d'ailleurs, Marcel Dassault, qui un jour,
00:23:48 Bennoville l'avait dit, "mais j'aimerais vous présenter François",
00:23:51 il lui dit "mais pas besoin, il vous a déjà".
00:23:54 - Vous avez des questions sur cette saga ?
00:23:58 Ça pourrait faire une bonne série de télé.
00:24:00 - Oui.
00:24:01 - Tout à fait, non, mais ça, c'est passionnant.
00:24:03 Et en fait, c'est assez rare, je trouve.
00:24:05 Antoine Blondin disait "je n'ai jamais voulu être de gauche en étant jeune,
00:24:10 de peur de devenir de droite en grandissant".
00:24:12 C'est assez rare, en fait.
00:24:13 - De peur de finir comme un vieux con de droite.
00:24:16 - De peur de finir comme un vieux con de droite dans sa jeunesse,
00:24:17 finir de gauche en vieillissant.
00:24:18 Je trouve que c'est un parcours, généralement, c'est plutôt l'inverse.
00:24:21 C'est des révolutionnaires qui...
00:24:22 - Il est devenu sincèrement, mais son fond, à la fin de sa vie,
00:24:26 puisque c'est une enquête que j'ai menée sur plusieurs années,
00:24:28 j'ai fait parler des gens comme Edmond de Charleroi,
00:24:30 comme Jean d'Ormesson, qui quand même,
00:24:32 quelle est la dernière personne que Mitterrand reçoit à l'Élysée
00:24:35 avant la passation de pouvoir avec Jacques Chirac ?
00:24:38 C'est Jean d'Ormesson.
00:24:39 Alors, on peut se dire, il choisit un écrivain de talent
00:24:42 pour immortaliser ce moment, mais il a quand même...
00:24:46 C'est un écrivain dit de droite, et Jean d'Ormesson,
00:24:49 on me dit quand même, son fond est resté culturellement de droite.
00:24:54 - Très vite, Benjamin, dans 29 secondes, c'est le rappel des titres.
00:24:58 - Non, mais ça a été souvent remarqué, mais ce qui me frappe,
00:25:00 c'est que Mitterrand, qui était un président socialiste,
00:25:04 donc qui promouvait l'égalité, qui est une des valeurs principales
00:25:06 de notre époque, était très attaché à tous les privilèges du pouvoir
00:25:10 et tout ce qu'il y avait d'inégalitaire dans la vie.
00:25:12 Et l'amitié, ce n'est pas une valeur égalitaire,
00:25:14 c'est une valeur d'une certaine manière antiaristocratique
00:25:17 et anti-égalitaire.
00:25:19 - Vous êtes en train de dire que l'amitié, c'est de droite, c'est ça ?
00:25:21 - En tout cas, tel qu'il la pratiquait.
00:25:23 - Ce sera la fin. Le rappel des titres, on se retrouve juste après
00:25:28 et on va parler de la différence des sexes, maintenant.
00:25:31 - Action coup de poing au Forum des Halles,
00:25:36 dans le premier arrondissement de Paris.
00:25:38 Un rassemblement spontané au cœur de la Galerie Marchande.
00:25:41 En présence, une centaine de jeunes,
00:25:43 scandant des slogans hostiles au 49.3.
00:25:46 Des fumigènes ont été allumés à l'intérieur du centre commercial.
00:25:49 Les manifestants ont ensuite quitté les lieux sans dégradation apparente.
00:25:53 La grève se durcit dans les raffineries en Seine-Maritime.
00:25:57 La CGT a annoncé la mise à l'arrêt de la plus grande raffinerie de France.
00:26:01 Il s'agit du site Total Energy de Gonfreville-Lorchers.
00:26:05 Ceci ne devrait pas provoquer de pénurie de carburant immédiate
00:26:08 dans les stations de services françaises.
00:26:10 Les pétroliers du pays ayant anticipé la mobilisation.
00:26:14 Et puis Moscou accepte de prolonger l'accord
00:26:17 sur les exportations de céréales ukrainiennes pour 60 jours et non 120,
00:26:22 comme l'avait affirmé Kiev.
00:26:24 Le président turc et l'ONU ont annoncé la prolongation de cet accord.
00:26:28 Il avait été conclu en juillet dernier entre l'Ukraine, la Russie, la Turquie et l'ONU,
00:26:33 afin de tempérer la crise alimentaire mondiale engendrée par l'invasion russe.
00:26:39 - Les visiteurs du soir, c'est jusqu'à minuit.
00:26:43 Et parmi eux ce soir, il y a Eugénie Bastier qui veut sauver la différence des sexes.
00:26:49 C'est le titre de son tract qui vient de paraître dans la collection "Tracts" chez Galima.
00:26:54 Elle est menacée, la différence des sexes.
00:26:58 Les stéréotypes de genre sont menacés.
00:27:00 La virilité, la féminité, l'homme qui regarde le foot, la femme qui fait le ménage.
00:27:05 Ça c'est menacé. Mais la différence des sexes, est-ce que c'est mieux ?
00:27:09 - La différence des sexes au sens biologique n'est pas menacée,
00:27:12 parce qu'elle existera toujours.
00:27:13 On ne peut pas menacer quelque chose qui est un fait intangible de la condition humaine.
00:27:17 C'est comme dire la mort, le vieillissement seraient menacés.
00:27:20 Non. Cependant ce qui est menacé en ce sens, en effet,
00:27:23 c'est la construction culturelle de cette différence des sexes,
00:27:26 c'est-à-dire ce qu'on appelle peut-être le genre, même si ce mot prête à confusion.
00:27:31 En tout cas ce qui se greffe sur cette différence biologique, ce qui l'habille,
00:27:34 ce qui la magnifie parfois, ça c'est menacé.
00:27:38 Parce qu'aujourd'hui on a effectivement ce geste de la déconstruction.
00:27:41 On considère que toute construction sociale de cette différence des sexes
00:27:45 est au service de la domination masculine.
00:27:48 Et qu'il faut arraser les conditions féminines et masculines
00:27:51 pour arriver à l'émancipation et à l'égalité.
00:27:53 C'est contre ça que je m'érige.
00:27:55 Mais évidemment, j'ai tout à fait conscience que la différence des sexes en tant que telle,
00:27:59 il y aura toujours "boys will be boys" comme on dit en bon anglais.
00:28:03 Il y aura toujours des garçons et des filles.
00:28:05 Mais la question c'est qu'est-ce qu'on fait de cette virilité, de cette féminité dans la société ?
00:28:08 - Pascal Molligny, vous êtes professeur de psychologie sociale à l'université Sorbonne, Paris-Nord.
00:28:14 Vous avez co-dirigé l'Institut du genre
00:28:18 et vous êtes l'une des deux directrices de la publication de la revue "Les Cahiers du genre".
00:28:23 Est-ce que vous menacez la virilité et la féminité ?
00:28:27 - J'aimerais ! Si j'avais ce pouvoir de nuisance, ça me plairait beaucoup.
00:28:33 Mais je pense... Non, moi, très honnêtement,
00:28:37 je suis très dubitative sur ce discours,
00:28:43 qui est très bien rassemblé dans le petit tract sur...
00:28:49 Je ne sais plus comment ça s'appelle, "Sauver la différence des sexes".
00:28:53 Je suis très dubitative sur le fait qu'il y ait ce type de menace.
00:28:59 Et je ne pense pas du tout que la déconstruction soit un fléau.
00:29:05 Je pense qu'il y avait des choses à déconstruire et je pense que malheureusement, il y en a toujours.
00:29:12 Parce qu'on ne peut pas raisonner simplement en faisant...
00:29:16 Et c'est un petit peu le travers, je trouve, dans cet ouvrage.
00:29:22 On ne peut pas raisonner toujours en faisant comme si on n'avait plus besoin du féminisme aujourd'hui.
00:29:28 Comme si les stéréotypes n'avaient plus lieu.
00:29:30 Les stéréotypes, ce n'est pas très grave, c'est les conséquences qui sont compliquées.
00:29:34 Or, on le sait, on a des chiffres à l'appui.
00:29:38 On sait que l'année dernière, il y a encore eu plus d'une centaine de femmes
00:29:41 qui sont mortes sous les coups de leurs conjoints.
00:29:43 Donc la question de ce qu'on appelle les féminicides,
00:29:46 qui ont été tués parce qu'on est une femme et qu'on n'a pas su se tenir à la place
00:29:52 qui était attendue en tant que femme, ça reste quand même une menace forte.
00:29:59 On sait que...
00:30:01 - Vous voulez dire qu'on n'a pas résolu tous les problèmes ?
00:30:04 - Non seulement...
00:30:05 - On ne les résoudra jamais, on ne les résoudra jamais tous.
00:30:07 Il faut en avoir confiance.
00:30:08 Je pense que c'est une position de gauche et une position de droite qui s'affrontent.
00:30:11 Mais moi, je ne pense pas qu'on éradiquera totalement la violence à l'égard des femmes.
00:30:15 Je le déplore.
00:30:16 Mais je pense que jusqu'à la fin des temps, il y aura toujours des chiffres de féminicide
00:30:22 parce qu'il y a une asymétrie dans la différence des sexes
00:30:26 qui fait qu'il y a une violence proprement masculine.
00:30:28 Ça, je ne le dis pas du tout.
00:30:29 - Parce que vous avez une certaine...
00:30:31 - Mais qu'elle n'est pas construite socialement.
00:30:32 Elle est aussi due à une forme de force, malheureusement,
00:30:34 et qu'il faut la réprimer, évidemment.
00:30:37 Mais je m'érige contre l'idée qui est centrale, à mon avis, du néo-féminisme,
00:30:41 qui est d'un continuum, justement, entre la déconstruction du stéréotype et le féminicide.
00:30:46 C'est-à-dire qu'il y aurait, entre le fait que les enfants joueraient à des jouets
00:30:51 genres indifférents et le féminicide, finalement, tout ça se formerait une forme de continuum.
00:30:55 Non, je pense que là, c'est une vision...
00:30:57 C'est presque même un biais d'agentivité,
00:31:00 c'est-à-dire de voir comme si le social était guidé par une intention surplombante.
00:31:04 Je crois que c'est exagéré.
00:31:06 - Mais parce que ça, c'est une vision qui est quand même très simpliste
00:31:08 de la manière dont on se construit en tant qu'hommes et en tant que femmes.
00:31:11 Qu'il y ait des éléments qui soient très présents dans l'éducation,
00:31:14 personne n'en doute que ce soit suffisant pour expliquer les différences entre les hommes et les femmes.
00:31:20 Bon, il y a une division sexuelle du travail,
00:31:24 avec des orientations qui sont très différentes pour les hommes et pour les femmes.
00:31:29 Je rappelle quand même que, pour prendre un métier que je connais bien,
00:31:32 le métier de chercheuse, et on va revenir sur le réel dans un instant,
00:31:35 il n'y a quand même que 34% de femmes au CNRS parmi les chercheurs.
00:31:40 - Ça va changer, parce que maintenant, vous savez que la majorité,
00:31:43 dans les études supérieures, il y a une majorité de femmes.
00:31:45 - Mais ce n'est pas pour autant que...
00:31:47 - Dans 20 ans, dans 30 ans, ce sera l'inverse.
00:31:49 Les chiffres seront inversés.
00:31:50 Parce que quand vous regardez les études longues aujourd'hui,
00:31:52 et c'est déjà le cas depuis très longtemps, les femmes font...
00:31:54 - Plus diplômées que les hommes.
00:31:56 - Plus diplômées que les hommes.
00:31:57 - Ce n'est pas seulement en France.
00:31:58 - Les chiffres que vous donnez maintenant, parce que le CNRS, évidemment,
00:32:00 ce sont des gens qui ont atteint un certain niveau, un certain âge,
00:32:02 mais je pense que dans 20-30 ans, vous verrez que dans toute...
00:32:06 - Mais c'est ce qu'on disait il y a 20 ou 30 ans.
00:32:08 Parce que ça fait 20 ou 30 ans que je travaille sur cette question,
00:32:10 malheureusement, je suis vieille.
00:32:12 Et il y a 20 ou 30 ans, on disait déjà ça.
00:32:14 Donc moi, je trouve que c'est quand même...
00:32:16 - Il y a énormément de professions qui se féminisent, vous êtes d'accord ?
00:32:18 - Oui, mais enfin, la physique et les mathématiques...
00:32:20 - Oui, mais alors justement, c'est intéressant parce que...
00:32:22 - Non, mais parce que ça, c'est des vrais creusets de la différence des sexes.
00:32:25 - Oui, mais attendez, c'est pour ça que j'ai assez...
00:32:27 - Je voudrais vous ramener à des creusets, des creusets.
00:32:29 Le creuset des creusets, c'est quand même qu'il y aurait
00:32:32 des différences consubstantielles au sexe de naissance,
00:32:35 vous avez l'air de le dire.
00:32:37 - Je crois que le pénis soit un critère social.
00:32:39 - On serait programmés différemment, et cela dès le plus jeune âge.
00:32:42 Vous dites aussi qu'il y a des différences de comportement,
00:32:45 que les hommes de trois types, au moins, les hommes auraient plus d'agressivité,
00:32:49 ils aimeraient plus le risque, et ils auraient plus de libido sexuel.
00:32:53 À mon avis, ce sont des choses qui doivent vous faire hurler.
00:32:56 - Oui. - Voilà.
00:32:57 - Là, on est au cœur de la différence.
00:32:59 - Je cite par exemple dans mon tract le livre d'un essayiste américain
00:33:05 qui s'appelle Richard Reeves, qui a écrit un livre "Of Boys and Men",
00:33:08 qui a eu beaucoup de succès aux États-Unis.
00:33:10 Il s'intéresse justement au nouveau malaise masculin.
00:33:12 Il dit en effet que dans ce livre, quand on regarde les études
00:33:16 d'un point de vue statistique, c'est vrai qu'il y a un rapport,
00:33:18 et qu'il peut s'expliquer par la théorie de l'évolution.
00:33:20 En effet, notre cerveau a été programmé par des années et des années d'évolution,
00:33:24 qui fait que nous sommes, même si on aura beau déconstruire la stéréotype,
00:33:27 il y a toujours des grands réflexes qui sont liés à notre sexualité.
00:33:30 Et notamment, effectivement, un rapport à la sexualité différente,
00:33:32 ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas des femmes qui aient plus de libido que les hommes.
00:33:35 Mais en moyenne, globalement, c'est vrai qu'il y a un rapport
00:33:38 à la libido différent des hommes et des femmes.
00:33:39 - Et qui viendrait de... - À la violence aussi,
00:33:41 qui est due aussi au phénomène de la sélection sexuelle.
00:33:44 C'est-à-dire que ce sont les hommes les plus forts et les plus violents
00:33:48 qui ont propagé leur lignée, parce que ce sont eux qui ont réussi
00:33:51 à séduire des femmes, etc.
00:33:53 - À mon avis, il y a eu des exceptions, parce que regardez-moi, par exemple,
00:33:56 je n'ai pas l'air d'être le rejeton de lignée de hommes forts et violents.
00:34:00 - Sans doute que... - Regardez, il y a des Pierre Ninet,
00:34:02 il y a des Frédéric Caudillet... - Mais bien sûr, évidemment.
00:34:04 - Mais vous êtes trop reproducts.
00:34:05 - Mais évidemment, mais il y a quand même un fondement biologique
00:34:09 de la différence des sexes, qui est tout simplement, par exemple, la maternité.
00:34:12 Le fait que la femme engendre dans son propre corps
00:34:14 et l'homme engendre dans le corps d'autrui,
00:34:16 je suis désolée, ce n'est pas une petite différence, ça induit tout un tas de...
00:34:19 - En tout cas, c'est une différence plus sérieuse que la différence
00:34:21 qui tourne autour de la question de la violence.
00:34:23 - Oui, mais elles sont liées, elles sont liées.
00:34:25 - Qui est une théorie évolutionniste, et vous savez que chez les évolutionnistes,
00:34:30 il y a des discours très différents en fonction du fait qu'on prend en compte
00:34:33 la question de l'environnement ou pas la question de l'environnement.
00:34:36 - Mais la question de la sécurité de la maternité sont liées.
00:34:38 - Alors que... - Les femmes, par exemple, vont sélectionner les hommes,
00:34:41 dans l'histoire de l'évolution, vont sélectionner les hommes les plus forts
00:34:43 parce que justement, elles devaient s'occuper de leur progéniture.
00:34:45 Enfin, il y a un tas d'explications.
00:34:47 - Mais ça, c'est une théorie.
00:34:49 - Comme la théorie du genre est une théorie.
00:34:51 - C'est une théorie. - Oui, mais...
00:34:52 - C'est une théorie qu'on peut débattre. - Oui, on peut en débattre.
00:34:54 - C'est pour ça qu'on peut débattre.
00:34:55 Même au sein des évolutionnistes, il y a des gens qui pensent
00:35:00 pas tout à fait de cette façon-là et qui pensent que quand même
00:35:03 la question de l'environnement, la manière dont les gens ont été éduqués,
00:35:06 nourris, entraînés, etc., a des effets.
00:35:10 - Oui, c'est constructiviste.
00:35:11 - Si vous avez l'autorisation de sortir le soir dans la rue,
00:35:15 si vous avez l'autorisation de parler haut, de vous battre depuis tout petit,
00:35:19 ça quand même, ça vous entraîne à développer...
00:35:24 - Comme vous expliquez que chez les primates, par exemple, on les retrouve...
00:35:26 - ... un certain nombre.
00:35:27 - Les primates n'ont pas inventé le patriarcat.
00:35:29 - Je veux bien qu'on se compare en permanence à des souris,
00:35:30 quand ça nous arrange.
00:35:31 - Non, mais pas des souris, je parle des singes avec qui on partage 99,5 %.
00:35:34 - Ils sont quand même des cousins lointains.
00:35:36 Quand même des cousins lointains.
00:35:37 On a quand même d'autres attributs.
00:35:39 - Justement, je dis juste que vous retrouvez ces attributs chez les primates
00:35:42 et vous dites que vous, c'est une construction sociale.
00:35:44 Peut-être pas, peut-être que c'est quelque chose qui est certainement naturel.
00:35:47 Le droit est une construction sociale, la répression du viol est une construction sociale,
00:35:50 mais je ne pense pas qu'effectivement un certain rapport à la violence,
00:35:53 à la force et à la sexualité soient des constructions sociales.
00:35:56 En revanche, c'est la manière dont on les réprime,
00:35:58 dont la société les encadre, ça c'est une construction sociale,
00:36:02 et c'est une construction sociale positive.
00:36:04 - Vous l'avez bien dit, on est dans le domaine de la croyance.
00:36:07 C'est-à-dire que la question de l'articulation entre l'inné et l'acquis,
00:36:10 c'est quand même une question qui est très compliquée,
00:36:12 qui est très débattue par les scientifiques eux-mêmes, il faut bien le dire,
00:36:16 et je pense que ni vous ni moi ne sommes évolutionnistes et spécialistes du champ.
00:36:21 - Je vais vous prendre un autre exemple.
00:36:23 - Non mais c'est important, parce que c'est quand même ces théories-là
00:36:26 qui fondent l'idée qu'il y aurait une différence en nature.
00:36:30 Ok, même en admettant qu'il y aurait une différence en nature,
00:36:34 on en fait quoi socialement ?
00:36:36 Comment on l'organise ?
00:36:38 Comment c'est possible par exemple de dire
00:36:40 "je ne crois pas qu'un jour la violence des hommes pourrait être complètement réduite".
00:36:46 C'est un problème sur le plan social, politique, éthique,
00:36:51 de poser les choses dans ces termes.
00:36:53 - Je pense pas que le meurtre sera réradiqué un jour de la Terre.
00:36:56 Je pense pas qu'un jour il y aura... Pardon de le dire,
00:36:58 mais je pense que ça n'existera pas un jour où il n'y aura plus de meurtres
00:37:01 ou d'assassinats sur Terre.
00:37:02 Est-ce que ça fait de moi une dangereuse faction ?
00:37:05 Non, mais de la même manière, je pense malheureusement...
00:37:07 - T'en penses quoi ?
00:37:08 - Non mais je...
00:37:10 - A quoi pensez-vous ?
00:37:11 - Je sais pas, vous avez l'air de m'accuser.
00:37:13 Vous avez l'air de penser que c'est problématique de dire
00:37:15 "en fait je pense qu'il y a malheureusement des invariants de la condition humaine
00:37:18 qu'il faut réprimer, mais je ne suis pas utopiste".
00:37:21 - Ah oui, moi aussi.
00:37:22 - C'est la première fois que je le dis.
00:37:24 - Ce que je voudrais comprendre, et c'est une des questions que vous posez
00:37:26 dans votre tract, Jenny Bastier, c'est pourquoi est-ce que c'est devenu un sujet ?
00:37:31 C'est-à-dire que le féminisme dans un premier temps voulait l'égalité politique.
00:37:35 Ça, ça fait les suffragettes, on va dire.
00:37:37 Ensuite, le féminisme a voulu l'égalité sexuelle.
00:37:40 Il l'a obtenue à partir du moment où la pilule et l'avortement
00:37:45 ont été légalisés dans un pays comme la France.
00:37:47 Après, on en vient à vouloir une égalité, alors je ne sais pas, une identité...
00:37:52 On a l'impression que le féminisme est devenu identitaire.
00:37:55 Ce qui l'intéresse, c'est l'identité homme-femme.
00:37:58 Et je me demande pourquoi.
00:37:59 Pourquoi c'est arrivé maintenant, et quelle est l'importance et l'intérêt de ce sujet ?
00:38:05 Moi, je ne crois pas beaucoup à l'intérêt d'un féminisme identitaire.
00:38:08 Très honnêtement, je pense que les questions du fond du féminisme,
00:38:11 vous en avez évoqué une qui est très importante,
00:38:14 c'est la question de la contraception et de l'avortement.
00:38:17 Parce qu'on sait que ce sont des conquêtes fragiles,
00:38:19 et on en a eu des exemples récemment avec la pénalisation de l'avortement aux États-Unis.
00:38:24 Donc ça, je pense que ça reste un vrai enjeu.
00:38:26 Je pense que ce sont des questions autour du corps,
00:38:28 et là, on sera peut-être déjà plus d'accord.
00:38:30 Je pense par exemple aux violences obstétricales.
00:38:32 On sait qu'elles touchent les femmes.
00:38:35 Plus elles sont pauvres, moins elles sont blanches.
00:38:37 C'est très, très documenté sur l'ensemble de la planète.
00:38:41 Vous avez co-dirigé l'Institut du genre,
00:38:43 et vous êtes directrice de la publication des Cahiers du genre.
00:38:45 Absolument.
00:38:46 Donc le genre est important.
00:38:47 Oui, mais le genre, ce n'est pas un problème d'identité.
00:38:49 Ce n'est pas très intéressant de le poser en termes d'identité.
00:38:52 Le genre, c'est une manière de nommer la binarité homme-femme,
00:38:59 et la hiérarchisation, socialement construite, acquise,
00:39:03 tout ce que vous voulez, qu'on ne peut pour l'instant pas délier
00:39:07 du concept de genre.
00:39:09 C'est intéressant la question que vous posez.
00:39:11 C'est pourquoi, effectivement, on est dans une espèce de dynamique infinie.
00:39:15 Je pense que c'est un processus révolutionnaire.
00:39:17 C'est pour ça d'ailleurs que je n'adhère pas au féminisme,
00:39:19 parce que je pense que c'est une idéologie maintenant.
00:39:22 Et de la même manière que le post-colonialisme, vous savez,
00:39:25 prétend, dit que finalement la colonisation n'a rien changé,
00:39:27 qu'il faut déconstruire, nous sommes tous des racistes sans le savoir,
00:39:30 et qu'en fait, il ne s'est rien passé depuis 50 ans.
00:39:33 Le post-féminisme dit la même chose, c'est-à-dire que la révolution sexuelle,
00:39:36 la révolution féministe n'a quasiment jamais existé,
00:39:40 et qu'il faut déconstruire les mentalités.
00:39:44 Et je pense qu'on est dans un processus révolutionnaire.
00:39:47 Et moi, je me suis toujours demandé, en fait, parce qu'en tant que femme,
00:39:50 je n'ai jamais souffert d'être une femme dans la société actuelle.
00:39:53 Je n'ai jamais compris la complainte victimaire des féministes.
00:39:56 Peut-être que vous allez dire que je suis une bourgeoise privilégiée, etc.
00:39:59 Mais en tout cas, il y a plein de bourgeoises privilégiées femmes
00:40:02 qui se sentent victimes en tant que femmes. Ce n'est pas mon cas.
00:40:05 Et je me suis toujours demandé pourquoi le féministe est d'autant plus radical
00:40:09 à mesure que les conditions s'égalisent.
00:40:11 C'est-à-dire que plus l'égalité homme-femme avance, plus les féministes sont radicales,
00:40:14 et plus elles disent finalement que le sexisme est violent, virulent, etc.
00:40:18 Et je pense qu'on est dans le paradoxe de Tocqueville,
00:40:21 c'est-à-dire dans une société, plus l'égalité, plus les choses sont de niveau,
00:40:25 plus la petite différence devient insupportable.
00:40:27 Et je crois qu'on est là-dedans.
00:40:29 Le viol qui devient la différence, c'est vrai, c'est une différence majeure entre les hommes et les femmes.
00:40:34 Les femmes se font violer, les hommes se font plus violer.
00:40:37 Non, elles ne se font pas violer, on les viole. Ce n'est pas pareil.
00:40:39 Oui, bon d'accord, on les viole.
00:40:41 On viole les femmes, on ne viole pas les hommes, mais en tout cas on viole moins les hommes.
00:40:44 Et ça, c'est une différence majeure.
00:40:45 On viole moins les hommes, mais on les viole.
00:40:46 Mais qui est liée d'ailleurs à la sexualité, et qui n'est pas liée au genre.
00:40:48 A mon avis, qui est liée à la sexualité.
00:40:49 C'est-à-dire que c'est une asymétrie entre l'homme et la femme.
00:40:53 Elle est devenue insupportable.
00:40:54 Est-ce que ce serait parce que l'égalité est si proche,
00:40:57 et que la révolution féministe, la révolution féminine,
00:41:00 aurait triomphé, que finalement on est à ce point aujourd'hui à discuter sur des points de d'aiguille ?
00:41:06 Vous seriez d'accord avec cette version-là ?
00:41:07 Moi, je pense pas qu'on est en train de discuter sur des points de d'aiguille,
00:41:09 parce que je pense que d'abord, il y a des nouvelles générations,
00:41:11 auxquelles moi je ne fais pas partie,
00:41:13 mais que je vois quand même s'exprimer,
00:41:16 notamment autour du mouvement #MeToo, etc.
00:41:18 Il y a quand même une interrogation des femmes sur la question des violences
00:41:23 et sur la question du harcèlement,
00:41:25 qui ne peut pas être complètement mise de côté
00:41:27 sous le prétexte que le féminisme serait ringard ou je ne sais quoi.
00:41:31 Qu'est-ce que c'est que le féminisme ?
00:41:32 En plus, moi je ne sais pas.
00:41:33 Il y a des féminismes.
00:41:35 Je ne sais pas ce que c'est qu'un néo-féminisme,
00:41:37 je ne sais pas ce que c'est que le post-féminisme.
00:41:39 Il y a des tas de composantes et de variantes.
00:41:41 Ceci n'y a pas.
00:41:43 Il y a quand même une enquête qui a été faite par la Fondation L'Oréal.
00:41:46 Qui est sympa.
00:41:48 Très bonne entreprise.
00:41:49 On va à quatre jours.
00:41:51 Qui dit que dans les personnes qui ont répondu à l'enquête,
00:41:55 une femme scientifique sur deux a dit avoir été victime
00:41:58 de harcèlement sexuel au travail.
00:42:01 Et parmi ça, un nombre très important de femmes
00:42:04 l'ont dit sur ces cinq dernières années.
00:42:06 C'est-à-dire que ce n'est pas quelque chose
00:42:08 qu'on peut renvoyer à un passé au cas.
00:42:11 Alors, vous allez me dire, c'est du déclaratif,
00:42:13 qu'est-ce qu'on peut faire avec ça, etc.
00:42:16 Enfin, ça dit quelque chose d'un état de la société
00:42:20 où peut-être que l'égalité n'est pas tout à fait atteinte
00:42:27 en ce qui concerne la sécurité et la tranquillité
00:42:31 qu'on peut avoir dans certains espaces
00:42:33 qui sont des espaces très masculinisés.
00:42:35 Parce que ce n'est certainement pas sans lien
00:42:40 le fait qu'il y ait un nombre aussi important.
00:42:42 Je veux dire que moi-même, j'ai été très étonnée
00:42:44 par les réponses à cette enquête, à laquelle j'ai répondu par ailleurs.
00:42:47 Et le fait qu'on a des milieux où on va se retrouver
00:42:50 avec une vingtaine de pourcents de femmes au grand maximum
00:42:54 ou des femmes en position subalterne,
00:42:57 par exemple des positions de secrétariat, d'assistance, etc.
00:43:00 Donc je pense que pour moi, si vous voulez,
00:43:02 je vais juste terminer là-dessus,
00:43:03 je pense que vraiment, il y a un point qui est fondamental
00:43:06 si on veut avancer sur les questions d'égalité,
00:43:08 c'est les questions du travail.
00:43:09 C'est-à-dire si on arrivait à traiter la question du travail
00:43:14 d'une manière égalitaire, on avancerait beaucoup.
00:43:17 Et peut-être qu'on ne verrait plus le masculin et le féminin
00:43:20 du tout de la même façon.
00:43:22 Si on peut montrer que des hommes peuvent faire des tâches
00:43:24 que les femmes réalisent, par exemple des tâches de nourrice,
00:43:27 de caire, etc. et que les femmes peuvent faire des tâches...
00:43:30 - Bon courage.
00:43:31 - Exactement, bon courage.
00:43:32 - Non mais bon courage parce que je pense que...
00:43:34 Vous savez, vous connaissez le paradoxe norvégien.
00:43:36 C'est-à-dire que dans certains pays, notamment la Norvège,
00:43:38 plus il y a de l'égalité des conditions, plus les hommes et les femmes
00:43:41 se tournent vers des métiers différents.
00:43:42 C'est-à-dire que quand ils ont vraiment le choix,
00:43:44 les femmes vont le mettre vers le métier du soin davantage
00:43:46 et les hommes vers les métiers d'ingénieurs.
00:43:48 Ce qui n'est pas le cas dans les pays en voie de développement,
00:43:50 notamment l'Inde, la Chine...
00:43:51 - Oui, je sais, c'est un de vos arguments sur les femmes
00:43:53 à l'école magicienne.
00:43:54 Enfin, il doit y en avoir...
00:43:55 Vous voyez ce que ça représente dans des pays
00:43:57 où la majeure partie des filles ne vont pas à l'école.
00:44:00 - Mais bien sûr, justement, c'est pour ça.
00:44:01 - Non, enfin, dans le cas de l'Iran.
00:44:02 - Non, pas dans le cas de l'Iran.
00:44:03 - Mais c'est pour ça, justement, c'est pour ça.
00:44:05 Quand les filles ne peuvent pas aller à l'école,
00:44:07 lorsqu'elles vont à l'école,
00:44:08 elles vont dans des écoles d'ingénieurs, c'est ça que je dis.
00:44:09 Et quand les filles peuvent toutes aller à l'école,
00:44:11 eh bien, on voit une divergence des carrières.
00:44:13 C'est quand même intéressant.
00:44:14 Et puis, deuxièmement, sur le travail, c'est très intéressant.
00:44:16 Les féministes nous bassinent chaque année en disant
00:44:18 "à 15h48, on arrête de travailler parce qu'il y a des inégalités salariales"
00:44:22 et tout ça.
00:44:23 C'est de la communication pure des associations féministes.
00:44:25 Parce que quand on regarde l'inégalité salariale
00:44:27 qui subsiste aujourd'hui,
00:44:28 elle est liée essentiellement à la maternité.
00:44:30 En effet, parce que les femmes s'arrêtent quand elles ont des enfants,
00:44:33 elles font des projets de maternité,
00:44:34 c'est-à-dire qu'il y a des ruptures de carrières.
00:44:36 Souvent d'ailleurs, elles choisissent de s'arrêter.
00:44:37 Il faut leur laisser ce choix.
00:44:39 Simone de Beauvoir ne le voulait pas.
00:44:40 Je cite dans mon tract la phrase qu'elle a dite à un magazine américain.
00:44:44 Elle a dit "il ne faut pas laisser le choix aux femmes de rester au foyer
00:44:47 parce que si on leur laisse, elles le feront".
00:44:48 - Oui, c'est bien, mais c'est pas...
00:44:49 - Et donc, c'est vraiment un générique social.
00:44:50 - Sur lequel je suis d'accord avec vous.
00:44:51 - Non, mais là-dessus, elle a quand même un mépris, Simone de Beauvoir.
00:44:55 C'est quand même une actuelle formidable que j'admire
00:44:57 et que j'ai beaucoup apprécié, ses écrits notamment autobiographiques.
00:45:01 Mais elle a quand même un mépris du féminin et de la nature féminine.
00:45:07 Et donc, le problème des écarts salariaux aujourd'hui, c'est la maternité.
00:45:11 Et ça, c'est quelque chose qu'on va changer difficilement.
00:45:13 Je sais bien que les hommes vont bientôt pouvoir être enceints, paraît-il.
00:45:16 Mais je crois moyennement à la généralisation de ce phénomène.
00:45:20 Et donc, les femmes continueront à porter les enfants.
00:45:23 La question, c'est comment on articule, en prenant en question cette question de la maternité,
00:45:27 l'articulation de la vie familiale et de la vie professionnelle.
00:45:29 Je crois que ça devrait être un sujet majeur pour les féministes.
00:45:32 Plutôt que de nous parler d'écriture inclusive du matin au soir
00:45:35 ou de je ne sais quelle déconstruction des stéréotypes,
00:45:38 elle ferait mieux de travailler concrètement à comment on fait,
00:45:40 quand on est une mère de famille, moi j'ai deux petits-enfants en bas âge par exemple,
00:45:43 comment on fait pour articuler ces deux désirs qui sont parfois sans contradictoire.
00:45:47 Réussir sa carrière, réussir sa vie familiale parce qu'on a envie de s'occuper des enfants.
00:45:51 Et je crois que c'est un sujet que les femmes se posent concrètement tous les jours,
00:45:54 beaucoup plus que des questions symboliques.
00:45:56 Mais je suis complètement d'accord avec vous.
00:45:58 Et je pense que les féministes l'ont fait.
00:46:01 Il y a eu tout un travail qui a été réalisé, y compris au niveau européen,
00:46:05 de réflexion sur la conciliation des temps.
00:46:08 Je trouve qu'on est sur une image peut-être un peu, des fois,
00:46:12 et je ne dis pas que cette image-là est fausse,
00:46:14 mais je dis qu'elle est réductrice par rapport à l'ensemble de la palette des choses qui se font
00:46:19 dans ce qu'on peut appeler la sphère de la pensée féministe au sens élargi du terme,
00:46:24 qui est effectivement de s'en tenir à certains débats qui crispent,
00:46:29 comme la question de l'écriture inclusive, que moi j'utilise couramment.
00:46:33 Et quand on utilise l'écriture inclusive, on ne remarque même plus au bout d'un moment
00:46:36 qu'on utilise l'écriture inclusive.
00:46:38 On trouve bizarre les textes où il n'y a pas d'écriture inclusive.
00:46:41 On se dit mais tiens, mais il manque des gens là-dedans, où ils sont, où elles sont.
00:46:44 Oui, c'est comme quand votre journal change de maquette en général.
00:46:47 C'est pas moi, je ne trouve pas ça très fort.
00:46:49 J'ai une question que je voulais vous poser à tous les deux,
00:46:51 mais pour vous, il vous tient à cœur, Génie Bastier,
00:46:54 quand vous dites "sauver la différence des sexes", j'ai l'impression que vous entendez aussi
00:46:59 sauver le fait que quand on est une femme, on ne peut pas devenir un homme
00:47:04 aussi facilement qu'on le voudrait aujourd'hui,
00:47:07 ou quand on est un homme, on ne peut pas devenir une femme aussi facilement qu'on le voudrait aujourd'hui.
00:47:11 J'ai l'impression que ça aussi, ça vous tient à cœur.
00:47:13 Alors moi, je ne voudrais pas qu'on réduise ce tract à la question trans, parce que je...
00:47:16 Non, non, je ne le réduis pas, je dis que ça compte aussi dans le...
00:47:19 Oui, non, mais évidemment, ça compte, mais je pense, je prends la chose de façon beaucoup plus large.
00:47:23 Moi, ce qui m'inquiète, c'est la déconstruction généralisée, culturelle de la différence des sexes.
00:47:27 Mais effectivement, cette question, je ne vais pas l'éluder, cette question trans se pose,
00:47:31 et effectivement, un des points de départ qui m'a fait vouloir écrire ce texte,
00:47:36 c'est le fait que certaines personnes dans le débat public contestent effectivement l'idée qu'il y aurait deux sexes,
00:47:41 et même certaines personnes qui se voient même poursuivre d'une vindicte, d'une haine et d'une violence inouïe
00:47:47 par des transactivistes, parce qu'elles tiennent ce discours d'une différence biologique des sexes.
00:47:51 Je pense par exemple à quelqu'un comme J.K. Rowling au Royaume-Uni, qui a été harcelée.
00:47:56 C'était quand même une femme qui s'est fait harceler par des transactivistes pour avoir dit ça.
00:48:00 Et en France, Dora Bungto, Marguerite Stern, qui se voit harcelée quotidiennement,
00:48:04 sur les murs de nos villes, il y a des messages "Tuer une TERF, c'est sauver un trans",
00:48:10 "Brûlez les TERF", d'une violence inouïe.
00:48:13 Et j'entends peu de dirigeantes féministes, de mouvements féministes, prendre la parole sur ce sujet.
00:48:18 Je n'entends pas oser le féminisme, je n'entends pas toutes les grandes porte-parole
00:48:22 qui s'émeuvent du moindre message à caractère sexiste d'un homme ou d'une femme politique.
00:48:27 Voilà, j'aimerais qu'on prenne ce sujet sérieux, parce qu'il en va de la liberté d'expression.
00:48:32 Qu'en pensez-vous, Pascale Molinier ?
00:48:34 Peut-être parce qu'on est sensible à la souffrance des personnes trans.
00:48:37 Ça justifie les appels en voie ?
00:48:39 Du coup, non, moi je suis contre la "council culture", mais ça c'est une position personnelle.
00:48:45 Mais je pense qu'il y a aussi... Mais je la comprends.
00:48:49 Je comprends qu'il y ait des groupes militants, c'est des groupes avec lesquels j'ai eu l'occasion de discuter,
00:48:53 notamment autour des questions liées à l'obligation de la réassignation sexuelle
00:49:00 pour obtenir ce qui n'est plus d'actualité, mais qui a été quand même quelque chose de très compliqué
00:49:06 et de très douloureux à vivre pour les personnes.
00:49:09 Vous voulez dire qu'il y avait un parcours psychologique, médical, psychiatrique ?
00:49:14 Aujourd'hui, ça a changé.
00:49:17 Aujourd'hui, ça a changé, et c'est une très très bonne chose.
00:49:19 Et c'est grâce à des activistes, et c'est grâce aux militants, et c'est vraiment eux qui ont fait le boulot.
00:49:24 Et moi, je pense que je dois leur reconnaître ça, parce que c'est très important,
00:49:29 parce qu'ils ont évité des suicides, ils ont évité des morts,
00:49:32 parce que la souffrance des gens, qui n'est pas simplement une souffrance psychique,
00:49:36 mais aussi une souffrance très relayée par la discrimination, par la manière dont ils sont traités.
00:49:40 Il y a tout un travail d'éducation à faire dans les hôpitaux, dans la manière dont les gens sont traités,
00:49:45 dans la manière dont si les gens ont décidé qu'ils étaient avec une identité féminine
00:49:50 et qu'ils ont une identité masculine, ça ne sert à rien de les appeler "monsieur"
00:49:53 en brandissant leur radio au milieu de la consultation ou ce genre de choses.
00:49:58 Donc je pense que ce n'est pas qu'on est discrète, c'est qu'on est solidaires, même si on ne va pas se...
00:50:05 Il y a un travail que c'est les trans qui doivent faire, qu'on ne doit pas le faire à leur place.
00:50:10 Oui, mais le problème c'est qu'il y a aussi la place de certaines femmes.
00:50:12 Vous voyez ?
00:50:13 Excusez-moi, mais là, encore hier en Italie, il y a un homme qui a fait une transition pour devenir une femme,
00:50:21 qui a gagné une course à pied, qui est arrivée première.
00:50:24 Il n'avait jamais gagné dans le secteur masculin, il a couru avec des femmes, il est arrivé premier.
00:50:30 Oui, il faut remettre des normes.
00:50:31 Comment ?
00:50:32 Il faut remettre des normes.
00:50:33 C'est des exemples comme ça, montrent que...
00:50:35 Il y en a plein, dans les prisons, vous savez très bien, dans les prisons, au Royaume-Uni,
00:50:39 ça a fait débat parce que des hommes qui ont encore un sexe masculin, mais qui se disent femmes,
00:50:44 vont dans des prisons pour femmes, et au Royaume-Uni, c'est arrivé, ont violé des femmes.
00:50:48 Excusez-moi, mais je ne trouve pas qu'on puisse balayer ça au nom de l'histoire et d'une minorité agissante.
00:50:54 Il y a quand même des problèmes qui se posent.
00:50:55 Mais il y a des problèmes qui se posent tout le temps.
00:50:57 Évoquer ces questions, ce n'est pas être transphobe.
00:50:59 Aujourd'hui, l'accusation de transphobie, c'est comme l'accusation d'islamophobie hier.
00:51:03 C'est devenu un outil, une arme d'intimidation pour quiconque veut mettre un peu le holà sur certaines dérives.
00:51:09 En même temps, vous êtes obligé de constater, enfin, on est obligé de constater,
00:51:13 qu'au fur et à mesure de l'histoire, on a toujours voulu vaincre, on a toujours désiré vaincre les déterminismes.
00:51:20 On a voulu choisir son conjoint, choisir son chef.
00:51:25 Avant, les chefs nous étaient imposés, maintenant, on peut les choisir.
00:51:28 On a voulu choisir sa religion, choisir son pays.
00:51:31 On veut pouvoir immigrer et aller s'installer où on le désire.
00:51:35 On veut choisir sa mort.
00:51:36 Aujourd'hui, c'est très à la mode, c'est très important.
00:51:38 On veut choisir presque ses enfants.
00:51:41 Certains commencent d'ailleurs à choisir leurs enfants.
00:51:43 On veut choisir son orientation sexuelle et plus être discriminé en fonction de ce choix.
00:51:48 Et il paraît logique qu'on veuille choisir son sexe.
00:51:51 Ah mais justement, je pense que ça s'inscrit dans une dynamique démocratique d'égalitarisation des conditions.
00:51:57 Et je pense qu'aujourd'hui, enfin, moi, c'est pour ça que je suis conservatrice.
00:52:02 Je l'assume.
00:52:03 C'est que je pense qu'il y a un certain nombre de limites de la condition humaine
00:52:07 et que l'affranchissement absolutisé de toutes ces limites
00:52:12 conduit à un certain nombre de dérives et conduit aussi à un grand mensonge.
00:52:16 Parce qu'en fait, on fait croire quelque chose qui n'est pas vrai.
00:52:18 Par exemple, choisir son sexe, ce n'est pas vrai qu'on peut le choisir.
00:52:21 On ne peut jamais véritablement changer de sexe.
00:52:23 Dans nos moindres cellules, il est inscrit que nous sommes des hommes et des femmes
00:52:27 et que la binarité des sexes est inscrite dans nos cellules.
00:52:29 Donc on ment aussi aux gens en leur faisant croire que ça va être simple,
00:52:33 qu'on va pouvoir changer de sexe.
00:52:34 Je crois que ça ne résout aucune souffrance en réalité
00:52:38 et que ça en crée peut-être des nouvelles d'ailleurs,
00:52:40 parce qu'il y a une espèce de vertige de l'hyper-modernité.
00:52:42 Mais vous croyez ?
00:52:43 Oui, mais vous croyez, oui.
00:52:45 Mais vous croyez ?
00:52:46 C'est une opinion, vous avez la vôtre.
00:52:47 Moi, je n'ai pas une opinion parce que moi, je fais des enquêtes avec les journalistes.
00:52:50 Vous êtes une scientifique et moi, je suis une pompe, je suis une journaliste.
00:52:53 Je ne suis plus dans un rapport empirique et clinique avec le monde
00:52:56 et je pense que quand même, tous les efforts conduisent à essayer de soulager les souffrances.
00:53:03 Et ça, ce n'est pas conservateur du tout, ni de droite, ni de gauche.
00:53:07 Je pense qu'il faut vraiment le poser dans un autre cadre.
00:53:11 Vous pensez que la chirurgie, par exemple, pour le changement de sexe,
00:53:14 c'est-à-dire l'ablation des seins, la reconstruction d'organes,
00:53:17 d'organes qui ne fonctionnent pas d'ailleurs et qui ne donnent aucun plaisir,
00:53:21 soignent véritablement les personnes ?
00:53:23 Ça dépend.
00:53:24 Excusez-moi, j'ai beaucoup de doutes par rapport à ça.
00:53:27 Oui, mais je comprends que vous ayez des doutes.
00:53:29 Il y a de la littérature là-dessus, il y a des entretiens.
00:53:31 Il y a de la littérature aussi de gens qui veulent détransitionner
00:53:34 et qui ne peuvent plus le faire parce que c'est irrégulièrement...
00:53:37 Justement, vous devriez être satisfaites dans ce cas-là
00:53:40 qu'aujourd'hui on n'a plus besoin de passer par la chirurgie pour pouvoir se déclarer femme.
00:53:44 On n'a quasiment plus besoin.
00:53:45 Mais sauf que...
00:53:46 Mais sauf que les gens, des fois, peuvent le souhaiter,
00:53:49 d'abord comme un passage pour le faire entendre aussi à leur entourage.
00:53:53 Il y a maintes raisons pour lesquelles on peut encore aujourd'hui avoir recours à la chirurgie
00:53:57 et il y a maintes raisons pour lesquelles on peut ne pas avoir recours à la chirurgie,
00:54:00 notamment parce que dans certains cas,
00:54:03 la chirurgie est dysfonctionnelle ou rend dysfonctionnelle du point de vue du plaisir sexuel.
00:54:09 Et ça, c'est une bonne raison pour ne pas le faire.
00:54:11 D'ailleurs, c'est tout le paradoxe, même Jodie Butler, à mon sens, n'a pas réussi à le résoudre.
00:54:16 C'est le paradoxe de la transition de genre, c'est qu'on veut passer d'un pôle à l'autre des sexes
00:54:20 et bien quand finalement on reconduit cette binarité sexuelle...
00:54:22 Mais ça dépend de qui ?
00:54:23 Pas tout le monde !
00:54:24 Il y a toujours cette binarité.
00:54:25 Non, non, non, la question du transgenre, c'est justement ce qui est aussi beaucoup reproché,
00:54:30 c'est la question de la fluidité, c'est la question du passage entre
00:54:35 et ce n'est pas du tout un modèle qui reproduit une binarité.
00:54:39 Loin de là, on est plutôt dans une multiplicité.
00:54:43 Oui, on peut être homosexuel, bisexuel, transsexuel alors qu'on est déjà eux.
00:54:48 Et ça, je reconnais que ce ne sont pas des positions conservatrices.
00:54:53 C'est vrai.
00:54:55 Je vous interromps, le rappel des titres et je remercie Sébastien Lefol qui va nous quitter
00:55:03 et d'autres vont arriver.
00:55:05 Mais d'abord, le rappel des titres.
00:55:07 81 interpellations dans le sud de Paris, barricades dans les rues, poubelles, incendiés.
00:55:16 Dans le 13e arrondissement, les forces de l'ordre, dont la BRAV, sont intervenues.
00:55:20 Place d'Italie, en raison de la présence de casseurs, chassés à l'aide de canons à eau.
00:55:25 Vers 18h, près de 4000 personnes se sont rassemblées suite à un appel de la CGT Île-de-France.
00:55:31 Les manifestants ont exprimé leur colère, enflammée depuis le recours au 49-3.
00:55:36 La place de la Concorde, sous haute surveillance, après jeudi et hier soir,
00:55:41 jour de manifestation émaillé de violents incidents,
00:55:44 les rassemblements ont été interdits par la préfecture de police de Paris
00:55:48 ainsi que sous les Champs-Elysées.
00:55:50 Les forces de l'ordre ont procédé à de nombreuses fouilles de passants
00:55:53 et demandé aux personnes stationnant de circuler.
00:55:56 Dans l'actualité internationale, visite surprise de Vladimir Poutine en Crimée.
00:56:02 Le président russe y est rendu à l'occasion du 9e anniversaire de l'annexion de la péninsule ukrainienne.
00:56:08 Il s'agit de son premier voyage en Crimée depuis le début de la guerre en Ukraine.
00:56:13 Un déplacement au lendemain d'un mandat d'arrêt,
00:56:15 émis à son encontre par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre.
00:56:20 On voit que l'utilisation du 49-3 par le gouvernement pour faire adopter sans vote la réforme des retraites
00:56:30 a déchaîné la fureur d'un certain nombre de personnes à Paris, mais pas seulement à Paris.
00:56:36 Et j'ai envie de dire, et ça fait 60 ans que ça dure.
00:56:39 Puisque c'était la centième fois qu'on utilisait le 49-3, depuis le début de la 5e République.
00:56:46 Et presque à chaque fois, on a dit "c'est un déni de démocratie".
00:56:51 Alors est-ce qu'on peut vraiment parler de déni de démocratie,
00:56:55 pour un outil qui figure par ailleurs dans la Constitution ?
00:56:58 Pour en parler, on a invité ce soir Francis Choisel, qui est historien,
00:57:03 qui est l'auteur de "Comprendre le gaullisme".
00:57:05 S'il a compris le gaullisme, il devrait comprendre le 49-3.
00:57:09 - On va essayer.
00:57:10 - Voilà. Il y a Véronique Champaye d'Espla, qui est professeure de droit public à l'Université Paris d'Anterre.
00:57:16 On vous doit une théorie générale des droits et libertés.
00:57:20 Et enfin, il y a François Coque, qui est enseignant en mathématiques,
00:57:24 ancien membre de la France Insoumise, que vous avez quitté en 2018.
00:57:28 Vous avez créé depuis le collectif "Les Constituants".
00:57:31 Et vous êtes l'auteur de "L'impératif démocratique".
00:57:35 Alors ma première question, et je vous la pose à vous, Francis Choisel,
00:57:40 puisque vous êtes a priori le plus proche de celui qui l'a non pas inventé,
00:57:45 mais qui nous l'a inspiré, ce 49-3, c'est le général de Gaulle.
00:57:49 Il y a déni démocratique ou pas ?
00:57:52 On est quand même le seul pays qui a un article pareil.
00:57:55 - Oui, alors ce n'est pas seulement le général de Gaulle,
00:57:57 car la Constitution a été faite aussi par Michel Debré.
00:58:00 - Et je crois qu'on en parlait déjà sous la 4e République, de ce 49-3.
00:58:04 - Et donc les présidents du Conseil de la 4e République
00:58:08 sont tout à fait d'accord avec cet article.
00:58:11 Le problème de cet article, c'est son emploi.
00:58:15 C'est-à-dire que l'article en lui-même, il y a un emploi constitutionnel,
00:58:20 et puis il y a un emploi dans une ambiance politique.
00:58:24 Et donc...
00:58:26 - Comment vous faites la différence ?
00:58:28 - La différence, je pense qu'on la verra probablement
00:58:32 dans la discussion entre un historien et une juriste.
00:58:35 Il y a une appréciation de la situation politique.
00:58:38 Alors ce qu'on peut dire du point de vue d'aujourd'hui,
00:58:41 c'est que cet article, contrairement à ce que certains disent,
00:58:45 a été fait pour la situation parlementaire actuelle.
00:58:48 Certains qui ont l'habitude du 49-3,
00:58:51 qui est fait pour discipliner une majorité qui est large...
00:58:54 - On l'avait vu sous François Hollande au moment de la loi travail, par exemple.
00:58:57 - On l'a vu presque tout le temps depuis 1962.
00:59:01 Mais on revient à une situation qui existait avant 1962,
00:59:05 où il n'y a pas de majorité absolue pour un camp.
00:59:08 Et donc elle a été faite pour ça.
00:59:10 Alors elle n'a pas spécialement, ce 49-3, en revanche,
00:59:14 n'a pas spécialement été fait pour régler un problème
00:59:17 de manifestation dans la rue face à un projet de loi.
00:59:24 C'est la raison pour laquelle je faisais la différence
00:59:27 entre le politique et le constitutionnel.
00:59:30 - Jean-Pied-de-Plain, Desplein, il y a un problème démocratique
00:59:36 à utiliser le 49-3, alors que ce soit pour rappeler à l'ordre
00:59:42 une majorité qui tout à coup se scinde,
00:59:45 c'était le cas pour la loi El Khomri,
00:59:47 il y avait ce qu'on appelait les frondeurs qui ne voulaient pas la voter,
00:59:50 49-3, là ils n'ont pas voté quand même la motion de censure.
00:59:53 Ou alors, est-ce que comme Michel Rocard l'a beaucoup utilisé,
00:59:56 parce qu'il avait une majorité relative, comme aujourd'hui Elisabeth Borne,
01:00:00 mais est-ce que ça pose un problème démocratique à vos yeux ?
01:00:04 - Oui, alors il est possible que le constitutionnalisme
01:00:08 ne soit pas si loin de l'historien.
01:00:11 Évidemment tout dépend de ce qu'on appelle démocratie
01:00:14 et où on situe les mécanismes démocratiques.
01:00:18 On peut dire que le 49-3 est démocratique en ce qu'il a été
01:00:22 quand même adopté dans une constitution qui a été approuvée par le peuple.
01:00:28 Donc de ce point de vue-là, on ne peut pas dire que,
01:00:30 en tant qu'instrument général, il ne soit pas démocratique.
01:00:33 Ensuite, là où vous rejoindrez l'historien,
01:00:38 c'est que tout dépend de l'usage qu'on en fait,
01:00:41 les circonstances dans lesquelles on en fait,
01:00:43 et finalement la légitimité globale aussi qui entoure le contexte
01:00:48 dans lequel on l'utilise.
01:00:52 Entre la situation Rocart et la situation aujourd'hui Elisabeth Borne,
01:01:00 il y a une différence dans le type de majorité,
01:01:05 parce que même si la majorité de Rocart était relative,
01:01:09 si je puis dire, elle était moins relative que celle d'aujourd'hui,
01:01:12 il lui manquait quelques voix,
01:01:15 et finalement c'était aussi une façon de discipliner sa propre majorité.
01:01:19 Alors que là, on est dans une situation quand même beaucoup plus complexe,
01:01:23 où les négociations doivent être faites de façon un peu plus importante,
01:01:28 où le dialogue doit être un peu plus important entre les différents groupes.
01:01:32 Et la réforme actuelle, depuis le départ,
01:01:37 c'est-à-dire en fait depuis avant même la crise Covid,
01:01:40 on savait qu'il y avait une forte opposition.
01:01:44 On pourrait dire que le Covid avait finalement sauvé Macron,
01:01:49 puisque c'était pas tout à fait le même projet,
01:01:53 mais en tout cas le fond des oppositions était le même.
01:01:56 Donc le fait qu'une majorité des Français significatifs,
01:02:02 un nombre significatif capable de se mobiliser,
01:02:05 était contre cette réforme, finalement c'était pas un scoop,
01:02:08 mais il y avait cette hostilité de fond quand même.
01:02:12 Alors que le contexte dans lequel Michel Rocart a utilisé les 49.3
01:02:17 n'était pas exactement, n'était pas contre un mouvement de fond.
01:02:22 Je vais le dire comme ça rapidement, mais c'était finalement des 49.3 techniques.
01:02:27 Donc là ce que vous reprochez, c'est que c'est une façon de passer en force
01:02:31 contre l'Assemblée, mais aussi contre la population,
01:02:34 qui selon les sondages, selon les sondages serait plutôt hostile.
01:02:38 François Coq ?
01:02:39 Oui, c'est-à-dire que le 49.3 à la base était un outil qui était
01:02:43 pour une application ponctuelle, qui était lié et adossé à un texte.
01:02:47 Aujourd'hui c'est devenu une méthode de gouvernement,
01:02:50 et on le voit avec l'utilisation qu'il y en a faite cette fois-là.
01:02:53 Et à quoi c'est lié ? A un changement structurel.
01:02:55 Nous sommes rentrés dans l'ère de la démocratie minoritaire.
01:02:58 Pas simplement en France, en France nous y sommes rentrés depuis 2022.
01:03:01 Le gouvernement de M. Macron a une majorité relative à l'Assemblée nationale,
01:03:05 mais qu'est-ce qu'une majorité relative, sinon une minorité ?
01:03:08 L'ère de la démocratie minoritaire, ça veut dire qu'en janvier 2018,
01:03:11 14 des 28 pays de l'Union européenne étaient minoritaires au sein de leur propre Parlement.
01:03:16 Même s'ils avaient une coalition, ils étaient minoritaires avec leur coalition
01:03:20 au sein de leur propre Parlement.
01:03:22 Vous voulez dire en fonction de tous les gens qui auraient pu voter ?
01:03:25 Non, non, non. En termes de résultats, pas par rapport aux inscrits,
01:03:29 par rapport à ceux qui se sont prononcés dans l'isoloir.
01:03:32 Donc c'est un phénomène majeur que nous connaissons
01:03:35 et que nous avons rattrapé un petit peu en dernier.
01:03:37 En France, il y a eu un petit retard à l'allumage,
01:03:39 puisque M. Macron a permis de gagner 5 ans en étant une espèce de grande coalition.
01:03:43 Mais aussi parce qu'on a un système qui amplifie les majorités.
01:03:46 Oui, mais ça nous amène à un fait qui est que depuis le début du quinquennat,
01:03:49 si nous avons cette utilisation du 49-3 sur ce texte sur les retraites,
01:03:53 c'est qu'il a déjà été utilisé 10 fois avant que le choix qui a été fait par le gouvernement
01:03:57 est d'employer le 49-3 sur un projet de loi rectificative de la Sécurité sociale,
01:04:00 parce que là-dessus, il peut l'employer autant qu'il le veut.
01:04:03 Oui, il faut rappeler que l'usage du 49-3 est limité à une fois par session parlementaire,
01:04:08 sauf dans le cas des lois de finances.
01:04:10 Tout à fait.
01:04:11 C'est pour ça que le projet de réforme des retraites
01:04:13 est inscrit dans la loi de rectificative de financement de la Sécurité sociale.
01:04:17 Autrement dit, ce qui conduit à l'usage de ce 49-3 pour cette réforme des retraites,
01:04:20 c'est le fait que le 49-3 est devenu un outil quasi quotidien de la gestion du gouvernement.
01:04:26 Contrairement à ce qu'il était à l'usage,
01:04:29 il était prévu qu'il soit adossé à un texte ponctuellement.
01:04:32 Désormais, le fait d'être rentré dans l'ère de la démocratie minoritaire
01:04:35 nous amène au fait que le 49-3 permet de corseter l'Assemblée nationale
01:04:39 et de réduire encore la place du Parlement de la représentation nationale.
01:04:42 Pour comprendre votre raisonnement, François Coque,
01:04:44 la démocratie minoritaire, c'est quand ceux qui sont au pouvoir sont eux-mêmes minoritaires.
01:04:48 Mais j'ai l'impression qu'aujourd'hui, tout le monde est minoritaire.
01:04:51 L'opposition est minoritaire, les syndicats sont minoritaires,
01:04:55 ceux qui manifestent sont minoritaires.
01:04:57 J'ai l'impression que c'est le règne des minorités.
01:04:59 Regardez, M. Taddeï, nous dévalons la pente.
01:05:01 Ceux qui étaient minoritaires au départ, c'était ceux qui étaient élus
01:05:04 avec un pourcentage désinscrit qui était toujours de plus en plus faible.
01:05:08 Mais aujourd'hui, ces gens-là sont même minoritaires au sein de la représentation nationale.
01:05:12 Autrement dit, à chaque fois, on franchit un seuil d'année en année
01:05:15 à la fois vis-à-vis de la population, minoritaire vis-à-vis du peuple,
01:05:19 puis minoritaire vis-à-vis et dans la représentation.
01:05:22 Où est-ce que ça va s'arrêter ? A quoi ça conduit ?
01:05:24 Il y a de l'égitimité à tout niveau.
01:05:26 On a vu avec les Gilets jaunes en 2018 qu'il y avait un hiatus de légitimité
01:05:30 entre d'un côté une légitimité existante que nul ne peut contester,
01:05:34 celle de l'élection, M. Macron avait été élu 18 mois avant,
01:05:37 et une légitimité par nature permanente et inaliénable, la souveraineté populaire.
01:05:42 Aujourd'hui, ce hiatus de légitimité se propage jusque dans la représentation.
01:05:45 À un moment donné, nous voyons bien que nous avons un système qui ne fonctionne plus.
01:05:49 À un moment donné, il n'y a plus la légitimité qui permet le consentement.
01:05:53 – Francis ? – Oui, la notion de gouvernement minoritaire
01:05:57 est une notion de régime parlementaire,
01:05:59 or notre régime est semi-parlementaire, semi-présidentiel.
01:06:03 La légitimité du 49.3, c'est qu'on a d'un côté un président élu au suffrage universel,
01:06:10 et le gouvernement émane du président,
01:06:12 et de l'autre une assemblée également élue au suffrage universel.
01:06:16 Et le 49.3 permet d'arbitrer.
01:06:18 Donc certes, il s'agit pour le gouvernement,
01:06:20 c'est-à-dire pour le président élu au suffrage universel,
01:06:23 de forcer la main à des députés qui sont eux-mêmes élus au suffrage universel.
01:06:27 Et donc la question à se poser, c'est,
01:06:30 est-ce qu'on force à bon droit la main des députés ?
01:06:34 Ou est-ce que c'est à tort ?
01:06:36 Et là, je rejoins ce que vous disiez,
01:06:39 il faut voir quelle est la légitimité présidentielle,
01:06:43 quelle est la légitimité de l'assemblée, en fonction de la participation.
01:06:50 Là, j'ai des chiffres, Emmanuel Macron a été élu avec 38,5% des inscrits.
01:06:56 Mais quand on regarde les législatives,
01:07:01 on voit que ses partisans ont été élus à 12% des inscrits,
01:07:06 mais la NUPES aussi à 12% des inscrits.
01:07:11 Le Rassemblement National a 9% des inscrits.
01:07:15 – Oui, et à la fin, il n'y a plus que des minorités, c'est bien ce que je dis.
01:07:19 – Pas tout à fait, on a quand même,
01:07:21 non parce que quand on compare la légitimité présidentielle, 38,5%,
01:07:25 et si on additionne NUPES, Rassemblement National et Républicain, on a 26%.
01:07:32 On peut traduire ça en millions d'électeurs.
01:07:35 Mais ce que je voulais dire surtout,
01:07:37 et j'en termine là pour ne pas monopoliser la parole,
01:07:39 c'est qu'on a d'un côté une majorité présidentielle
01:07:43 et de l'autre une minorité parlementaire.
01:07:47 Vous voyez, je n'adhère pas tout à fait à votre…
01:07:52 – Moi j'ai de la sympathie pour la Constitution de 1958
01:07:56 et pour la Ve République, et comme nous j'ai de la sympathie
01:07:59 pour tout ce qui est ancien et qui a prouvé son fonctionnement.
01:08:02 – Ce qui a été beaucoup modifié depuis.
01:08:04 – Même si elle a été beaucoup modifiée, qu'elle a été dénaturée,
01:08:06 on peut parler du quinquennat ou du non-cumul des mandats,
01:08:09 du traité de Maastricht, et donc à ce titre, en tant que citoyen,
01:08:13 je n'ai pas d'opposition de principe à ce que le président de la République
01:08:16 ou le gouvernement utilisent les outils que la Constitution lui donne,
01:08:19 comme l'article 49 alinéa 3, mais ce que je voudrais être,
01:08:22 c'est qu'il y avait d'autres outils prévus par la Constitution
01:08:25 pour donner de la légitimité à cet exécutif fort,
01:08:28 comme par exemple l'outil du référendum,
01:08:30 et que les présidents ou les gouvernements ne songeraient jamais,
01:08:34 on les voit très rarement avoir recours à cet outil
01:08:37 qui permettrait de contrebalancer ce que l'article 49 alinéa 3
01:08:40 a de très exécutif, et de même, sans même parler du fond du projet
01:08:47 qu'on peut approuver ou non, ce qui est dommage,
01:08:50 c'est que la Constitution est faite pour donner aux présidents
01:08:54 et aux gouvernements les moyens de la souveraineté,
01:08:56 et c'est dommage qu'un projet comme ça soit toujours présenté
01:08:58 comme une adaptation à des contraintes extérieures
01:09:01 ou venues de l'extérieur, et non comme le déploiement de la souveraineté.
01:09:05 Donc quitte à utiliser cet article, autant qu'il soit présenté
01:09:09 comme l'expression pleine de la souveraineté du président de la République.
01:09:13 – Mais à chaque fois, c'est un argument en disant,
01:09:16 puisqu'on l'a, d'abord, un, c'est bien,
01:09:20 or parfois on a des choses et c'est pas bien,
01:09:22 on a eu longtemps la peine de mort,
01:09:24 et beaucoup de gens trouvaient que ce n'était pas bien,
01:09:26 donc on peut avoir dans son arsenal,
01:09:28 parmi ses outils, quelque chose qui n'est pas bien.
01:09:31 – Je suis d'accord mais ça a été…
01:09:32 – Et deuxièmement, on peut avoir quelque chose qui est bien ou qui est pas bien,
01:09:35 mais qu'on n'utilise pas, par exemple la bombe nucléaire,
01:09:39 on l'a, mais on ne l'utilise pas.
01:09:41 – On la garde, oui.
01:09:42 – Et puis entre les deux, il y a l'utiliser à bon escient.
01:09:45 – Voilà, mais ce que je veux dire, c'est que le fait qu'on l'ait
01:09:49 n'implique pas que c'est bien, ni qu'il faut l'utiliser.
01:09:51 – Non mais ce régime qui est ancien et qui a prouvé son efficacité
01:09:55 a été aussi construit pour régler, dans l'esprit de son fondateur,
01:09:58 pour régler un problème de 150 ans,
01:10:00 puisque la France alignait les régimes et les républiques,
01:10:03 et il espérait régler certains de ces problèmes.
01:10:05 Le général de Gaulle était sans doute trop dur avec la Troisième République,
01:10:08 à qui il reprochait d'avoir perdu la Deuxième Guerre mondiale,
01:10:10 mais qui avait quand même gagné la Première,
01:10:12 mais disons que la Cinquième me semble avoir prouvé son efficacité
01:10:16 pour régler les problèmes politiques de la France.
01:10:19 – Justement, certains disent qu'il faudrait supprimer le 49-3,
01:10:23 certains d'autres disent qu'ils ne l'utiliseront jamais,
01:10:26 on s'aperçoit qu'en général on dit beaucoup de mal du 49-3
01:10:29 quand on est dans l'opposition, mais dès qu'on est au pouvoir,
01:10:33 on peut trouver absolument tout, de François Mitterrand à François Hollande,
01:10:38 ils ont tous dit "pique-pente du 49-3" jusqu'au jour où ils ont été au pouvoir.
01:10:42 – Hollande pendant le CPE avait dit "c'est une honte absolue,
01:10:44 c'est un déni de démocratie" pour l'utiliser ensuite contre les Français.
01:10:47 – Oui, mais non, mais c'est classique, mais si on devait s'en passer,
01:10:50 est-ce que d'abord il faudrait le remplacer par quelque chose
01:10:54 qui serait plus démocratique, en tout cas qui mettrait moins les gens en colère,
01:11:00 ou est-ce qu'il faut carrément pouvoir bloquer des situations à l'infini ?
01:11:07 – Il y a des premiers ministres qui avaient dit qu'ils ne l'utiliseraient pas
01:11:11 et qui ne l'ont pas utilisé, par exemple Lionel Jospin,
01:11:15 par exemple Ayrault, et Fillon, alors je ne sais pas s'il avait déclaré
01:11:21 qu'il ne le ferait pas, mais en tout cas il ne l'a pas utilisé.
01:11:24 Donc il est possible de gouverner sans le 49-3.
01:11:27 – Il faut avoir des majorités qui le faisaient.
01:11:29 – Exactement, des majorités, mais il y a aussi une chose
01:11:34 qu'on pourrait tout à fait imaginer démocratiquement,
01:11:38 c'est d'accepter que la majorité soit aussi de temps en temps mise en minorité.
01:11:44 Après tout, un fonctionnement parlementaire, si le parlement sert à quelque chose,
01:11:50 ce n'est pas seulement à parlementer et à discuter, mais c'est à voter des textes.
01:11:54 Et pour que l'une des crispations des parlementaires,
01:12:00 c'est souvent d'être considéré comme une chambre d'enregistrement du pouvoir exécutif,
01:12:04 et bien là, je dirais presque qu'on est dans une configuration historique,
01:12:08 dans laquelle, oui de temps en temps, sans que ce soit forcément un drame,
01:12:13 mais c'est la vie parlementaire, le gouvernement est mis en minorité.
01:12:18 D'ailleurs, ça s'est passé il y a quelques jours aussi sur le vote sur la loi nucléaire.
01:12:23 Donc on pourrait aussi accepter dans le débat parlementaire
01:12:28 que de temps en temps, le gouvernement, eh bien oui, soit mis en minorité.
01:12:32 – Je viens sur cette idée, juste avant quand même, d'un mot,
01:12:35 la période et la manière dont fonctionne la Ve République
01:12:38 a quand même grandement changé depuis 2002, et l'inversion du calendrier électoral.
01:12:41 À partir de là, on a des majorités, on avait des majorités pléthoriques,
01:12:45 parce que les députés devaient directement à leur élection,
01:12:48 à l'élection quelques semaines auparavant du président de la République,
01:12:50 ce qui leur faisait d'ailleurs perdre une grande partie de la légitimité.
01:12:53 Tout ça s'est effondré, je l'ai dit, en 2022, et donc c'est pour ça que le 49-3,
01:12:57 qui a été assez peu utilisé effectivement sous les derniers quinquennats,
01:13:02 eh bien d'un coup, il se revivifie dans son usage,
01:13:06 parce que les règles du jeu ont changé.
01:13:08 Après, sur ce que vous disiez sur la minorité,
01:13:11 moi je suis d'accord sur l'idée de minorité sur un texte,
01:13:13 mais justement le 49-3 ne permet pas ça.
01:13:15 Il dit "ne posons pas la question sur le texte",
01:13:18 la question qui est posée à partir du moment où le 49-3 a été dégainé par Mme Borne,
01:13:22 ce n'est pas "êtes-vous d'accord, oui ou non, sur le texte que nous avons proposé de réforme des retraites",
01:13:27 c'est "êtes-vous pour ou contre la censure du gouvernement et sa démission ?"
01:13:32 Donc ça, ça ne permet pas justement cette expression majoritaire ou minoritaire sur un texte,
01:13:37 parce qu'il y a peut-être, et il y en a très certainement, des députés
01:13:41 qui ne souhaitent pas le départ du gouvernement et qui ne voteront pas la censure,
01:13:45 mais pour autant qui n'étaient pas d'accord avec le texte sur la réforme des retraites.
01:13:48 Autrement dit, c'est un biais qui empêche de répondre à la question.
01:13:51 La question qui nous était posée, c'était une question sur la réforme des retraites à la base.
01:13:54 Est-ce que nous sommes d'accord collectivement pour aller vers le choix qui a été proposé par le gouvernement ?
01:13:59 Et au final, il n'y aura pas de réponse à cette question,
01:14:01 et Mme Borne nous dit pourtant que répondre oui ou non à la motion de censure,
01:14:06 c'est répondre à la question des retraites.
01:14:08 Tout cela n'est pas vrai.
01:14:09 Francis Coelzel ?
01:14:10 Oui, mais ça, ça n'est pas lié au 49.3, ce n'est pas nouveau.
01:14:12 Ah ben si, directement.
01:14:14 Quand un gouvernement met en jeu sa responsabilité, c'est le régime parlementaire.
01:14:21 Et le 49.3, c'est le gouvernement qui dit "c'est tellement important ce sujet-là
01:14:28 que si vous ne le votez pas, je m'en vais".
01:14:32 C'est ça, c'est le chantage à la démission.
01:14:34 Mais le chantage à la démission, le 49.3 est une procédure qui a été mise en place.
01:14:38 Oui, mais ça ne vaut pas réponse à la question.
01:14:40 Mais sous la quatrième, sous la troisième, on avait également des gouvernements qui étaient renversés.
01:14:43 Alors je suis d'accord avec vous, qu'on n'est pas obligé de démissionner automatiquement
01:14:51 quand on est mis en minorité.
01:14:53 C'est la différence en fait entre le régime présidentiel et le régime parlementaire.
01:14:57 Et j'ai dit tout à l'heure qu'on était amichement entre les deux.
01:14:59 Aux États-Unis, le président des États-Unis a un ministre, il réussit ou il ne réussit pas
01:15:04 à faire passer ses textes au congrès, mais pour autant il ne démissionne pas
01:15:08 parce qu'il n'y a pas de responsabilité parlementaire.
01:15:10 Mais vous avez raison, le 49.3 est le moyen actuel pour le gouvernement de hausser l'enjeu.
01:15:19 – Il fait du chantage en fait.
01:15:21 – C'est du chantage.
01:15:22 – S'il ne suit vous ne le votez pas, vous m'enversez.
01:15:24 – Vous avez dit que j'étais spécialiste du Gaulliste à De Gaulle,
01:15:27 pour certains référendums, il disait "c'est tellement important que si vous ne votez pas,
01:15:30 je ne me sens pas de continuer comme ça".
01:15:32 – Mais vous ne donnez qu'une partie du chantage, parce qu'il ne dit pas
01:15:36 "si c'est comme ça je m'en vais", parce que tout le monde lui dirait "ben va-t'en".
01:15:39 Non, il dit "si c'est comme ça je m'en vais, je fais semblant de partir,
01:15:43 on dissout l'Assemblée et c'est vous qui partez".
01:15:46 – Non mais oui, on fait comme si c'était obligatoire.
01:15:50 Non, si la motion de censure est votée, il n'y a pas du tout obligation de dissoudre.
01:15:56 – Il n'y a même pas.
01:15:59 – Il n'y a même pas obligation de changer véritablement le gouvernement.
01:16:03 Si vous avez une censure, admettons que lundi il y a la censure,
01:16:06 le Président de la République peut très bien dire "je reçois la démission du gouvernement,
01:16:11 je renomme Mme Borne avec un gouvernement où il n'y a plus M. Dussopt".
01:16:14 – Voilà.
01:16:15 – Ou bien "je remplace Mme Borne et je refais un gouvernement avec M. Dussopt".
01:16:21 – On ne peut pas le réfléchir à ça.
01:16:22 – Il ne faut pas dramatiser.
01:16:23 – Il faut rappeler simplement…
01:16:26 – Et le chantage, vous avez vu les sondages d'aujourd'hui ?
01:16:29 – Non, je ne lis pas les sondages.
01:16:30 – Les sondages d'aujourd'hui c'est que les Républicains sont bien implantés
01:16:33 donc ils retrouveraient à peu près leur troupe, contrairement à ce qu'on disait jusqu'ici,
01:16:36 que la nuppes baisserait, que les macroniens baisseraient aussi
01:16:44 et que le Front National augmenterait un peu.
01:16:47 Ça serait en quelque sorte une dissolution qui n'aurait aucun effet,
01:16:51 un peu comme celle d'Edgar Ford sous la 4ème République, là c'était pour d'autres raisons,
01:16:56 mais le seul résultat, ça serait que le Président de la République
01:17:00 ne pourrait plus dissoudre pendant un an.
01:17:02 – Absolument.
01:17:03 – Et donc il doit y réfléchir deux fois, parce que c'est un fusil à un coup.
01:17:06 – N'oubliez pas que c'est une… oui, la dissolution c'est un an.
01:17:10 – Après il serait complètement… il n'y aurait plus.
01:17:12 – Il faut se souvenir simplement que la seule fois où une motion de censure
01:17:15 a réussi à renverser un gouvernement sous la 5ème République,
01:17:18 c'était en octobre 62, c'était Georges Pompidou qui venait d'être nommé Premier ministre
01:17:23 et le général de Gaulle a dit "vous restez en fonction, je dissous l'Assemblée"
01:17:27 et une fois une nouvelle majorité acquise au général de Gaulle cette fois,
01:17:32 il a reconfirmé, enfin Georges Pompidou…
01:17:34 – Oui mais là vous mettez le doigt sur l'essentiel, c'est-à-dire que la dissolution est possible
01:17:40 et le mécanisme du 49-3 contre l'Assemblée est possible
01:17:43 quand le Président sait qu'il a le pays derrière lui.
01:17:46 C'est un moyen démocratique de faire face à un blocage parlementaire,
01:17:50 un blocage des partis pour prendre un vocabulaire gaulliste
01:17:54 et à ce moment-là on s'adresse au peuple et donc en 62,
01:17:59 tous ceux qui ont voté la motion de censure pensaient probablement
01:18:02 qu'il serait réélu, qu'il pourrait éliminer le général de Gaulle
01:18:05 et en fait le général de Gaulle savait très bien qu'il serait soutenu,
01:18:08 il a été largement soutenu.
01:18:09 – Je crois que surtout il ne pensait pas qu'il allait dissoudre,
01:18:11 il pensait qu'il pouvait encore renverser un gouvernement
01:18:13 comme on le faisait sous la 4ème République.
01:18:15 – Peut-être aussi.
01:18:16 – Et Jeudi Bastien vous l'avez dit.
01:18:17 – Non, je crois que ce qui va être intéressant de voir dans les semaines qui viennent
01:18:20 et puis peut-être dans les mois qui viennent,
01:18:22 c'est est-ce qu'on vit une crise politique ou une crise de régime ?
01:18:25 Est-ce que c'est une crise politique comme il s'en est manifesté plusieurs
01:18:28 sous la 5ème République ou est-ce que vraiment on vit un pourrissement démocratique
01:18:32 et qui à mon avis n'est pas propre qu'à la France ?
01:18:35 C'est-à-dire que je trouve que, vous l'avez dit,
01:18:37 il y a un devenir minoritaire des démocraties,
01:18:39 c'est comment dans des sociétés extrêmement polarisées,
01:18:42 et d'ailleurs les réseaux sociaux accélèrent de façon centrifugeuse,
01:18:45 à la manière d'une centrifugeuse ces polarisations,
01:18:48 on peut encore, le système de la démocratie,
01:18:50 il y a une majorité qui se met d'accord sur un sujet,
01:18:53 peut encore fonctionner, c'est-à-dire est-ce qu'on peut encore dégager
01:18:55 des majorités, des consensus ?
01:18:57 Et dans ce climat-là, je pense que la 5ème République
01:19:00 est plutôt un atout pour la France parce que, effectivement,
01:19:05 je pense que certains pays nous envient dans un climat d'instabilité
01:19:08 où nous avons encore ces ressorts-là,
01:19:10 je ne dis pas du tout qu'il fallait utiliser le 49-3 là maintenant,
01:19:12 mais je pense que c'est une vraie question qui est devant nous,
01:19:16 de la crise de régime aux crises politiques.
01:19:18 J'ajouterais, je vous donne la parole tout de suite,
01:19:21 trouver des majorités, on y arrive parfois encore quand même,
01:19:24 mais pour combien de temps ?
01:19:25 Parce que si l'on suit par exemple les Constituants
01:19:28 ou les Gilets jaunes dans les formes qu'ils voudraient,
01:19:31 c'est qu'on puisse renverser plus facilement un gouvernement,
01:19:34 qu'on puisse révoquer plus facilement des députés,
01:19:37 et donc il est encore plus compliqué d'avoir la moindre stabilité
01:19:41 pour une majorité, quelle qu'elle soit.
01:19:43 Là, très clairement, je crois qu'on n'est pas dans une situation
01:19:45 où c'est une crise des partis.
01:19:48 On est dans ce qui est déjà une crise de régime,
01:19:51 et je vous disais tout à l'heure que j'avais regardé en janvier 2018
01:19:55 où nous en étions en termes de démocratie minoritaire.
01:19:57 Mais ce qu'il faut voir au niveau des différents pays de l'Union européenne,
01:20:00 c'est que partout où nous sommes entrés dans la démocratie minoritaire,
01:20:02 nous n'y restons pas longtemps.
01:20:03 C'est quelque chose qui ne tient pas sur le temps long.
01:20:05 On ne peut pas gouverner sur une longue période dans la démocratie minoritaire.
01:20:09 Donc tous ceux qui y sont rentrés, les premiers, les Espagnols, les Italiens,
01:20:13 Danois, Suédois, partout, ils en sortent progressivement
01:20:18 sous des formes qui peuvent être diverses.
01:20:20 La plus classique est d'abord le retour aux urnes.
01:20:22 Dans un certain nombre de pays, on est revenu aux urnes,
01:20:24 autant de fois même qu'il le fallait pour certains,
01:20:27 sur des périodes de trois ou quatre ans, jusqu'à ce qu'une majorité se dégage.
01:20:31 Pour d'autres, ça a été des changements tactiques d'alliance.
01:20:34 On peut penser à ce qui s'est passé en Italie,
01:20:36 quand on a vu des gouvernements avec le mouvement 5 étoiles et l'allégat,
01:20:39 entre le mouvement 5 étoiles et le Parti démocrate, etc.
01:20:43 Et puis des gouvernements encore plus larges.
01:20:46 Et puis, il y a d'autres endroits où on reforme des pays
01:20:49 qui ont des cultures de grandes coalitions,
01:20:51 où on reforme des coalitions extrêmement larges,
01:20:53 mais désormais extrêmement hétéroclites, dont on verra si elles tiennent ou pas.
01:20:56 Je pense à l'Allemagne aujourd'hui, qui a eu une coalition très large
01:21:00 avec le SPD, les sociodémocrates.
01:21:02 Qui lui fait changer d'avis assez régulièrement sur ce sujet.
01:21:05 Ce que je veux dire, c'est que partout, il y a une recherche du fait majoritaire
01:21:09 pour en sortir, ou en tout cas pour relancer la machine électorale.
01:21:13 L'autre aspect, et je le dis dans le mot, c'est que l'autre solution,
01:21:16 c'est qu'on peut aussi considérer que si on en arrive à cette situation
01:21:19 de blocage électoral qui conduit à la démocratie minoritaire,
01:21:23 c'est qu'à un moment donné, les citoyens font un choix en conscience aussi
01:21:26 de bloquer le système, de bloquer le système électoral.
01:21:29 Et qu'à un moment donné, il y a peut-être besoin d'une refondation populaire.
01:21:32 De redéfinir collectivement ce qui est bien pour soi et ce qui est bien pour tous
01:21:35 et quelles sont les règles du jeu de la citoyenneté.
01:21:38 Oui, je voulais ajouter, il y a aussi eu le cas de la Belgique,
01:21:41 qui pendant presque un an n'avait pas de gouvernement.
01:21:44 Plus d'un an.
01:21:45 Plus d'un an.
01:21:46 Et qui aujourd'hui a une majorité avec sept parties.
01:21:48 Mais je partagez votre diagnostic sur la crise de régime, crise politique,
01:21:55 mais je partage le constat, mais pas la fin de l'analyse.
01:22:02 Parce que la Ve République, ce n'est pas seulement d'hier
01:22:07 que le régime lui-même est remis en cause.
01:22:12 Et donc, moi, je ne suis pas si certaine que ce ne soit pas aussi une crise de régime.
01:22:16 Mais je pense qu'on est dans une situation finalement très intéressante
01:22:22 parce qu'on ne sait pas ce qui va se passer.
01:22:24 Donc, il est impossible de répondre de façon assurée,
01:22:26 à savoir est-ce qu'on est dans une crise politique et de régime.
01:22:29 Politique, assurément, en tout cas pour le contexte là, sur le court terme,
01:22:33 il y a une crise politique.
01:22:35 Oui, parce qu'il y a un échec du gouvernement qui n'est pas réussi à convaincre.
01:22:38 Sur la crise de régime, moi, je ne suis pas aussi certaine
01:22:41 que la Ve République va s'en sortir de façon indemne dans les mois qui viennent.
01:22:48 Je n'ai vraiment pas d'assurance parce que ça fait déjà pas mal de temps.
01:22:53 On a l'habitude de changer de régime très régulièrement.
01:22:56 Les deux derniers siècles ont été généralement,
01:23:00 dès qu'il y a une crise politique en France, ça se termine par un changement de régime.
01:23:03 Crise de régime, ça a l'air de dire que le régime est mauvais.
01:23:07 Moi, je dirais crise politique parce que, quand la voiture va dans le fossé,
01:23:13 ce n'est pas forcément de la faute de la voiture.
01:23:15 Mais nous, on a souvent tendance en France à accuser les anciens députés.
01:23:17 Et même assez souvent, c'est la faute du conducteur.
01:23:19 Donc, ce n'est pas une crise de régime, c'est une crise de capacité à utiliser le régime.
01:23:25 Et l'esprit central du régime, c'est que le peuple a raison.
01:23:28 Les mécanismes qu'on est en train d'étudier, ce sont des règles du jeu.
01:23:34 Mais le fond qui doit animer tous les acteurs politiques, c'est que veut le peuple.
01:23:40 Oui, c'est que veut le peuple, ça ne peut pas forcément dire que le peuple a raison.
01:23:44 Pardon ?
01:23:45 Parce que vous avez dit, l'important, c'est que le peuple a raison.
01:23:48 Je ne sais pas si j'ai dit le peuple a raison.
01:23:50 Oublions.
01:23:51 Voilà, c'est de dire que…
01:23:52 Je suis d'accord avec M. le professeur.
01:23:53 Le principe de la démocratie, c'est que le peuple a raison.
01:23:55 Oui, en tout cas, qu'on suit sa volonté.
01:23:57 On suit sa volonté.
01:23:58 On suit sa volonté.
01:23:59 Voilà, on suit sa volonté.
01:24:00 Et par conséquent, à chaque fois, il faut se demander si on est en accord avec le peuple.
01:24:07 Donc, le 49-3, là, vous l'avez presque rebondi sur la perche que je vous…
01:24:11 Enfin, vous avez saisi la perche que je vous tendais.
01:24:13 Quand je disais le 49-3, ça peut être pour passer par au-dessus les partis en tendant la main au peuple,
01:24:20 en s'appuyant sur le peuple.
01:24:22 Mais quand on ne peut pas s'appuyer sur le peuple, il faut en tirer la conséquence.
01:24:25 Quand on ne peut pas s'appuyer sur l'Assemblée, qu'on peut s'appuyer sur le Sénat,
01:24:30 mais qu'on ne peut pas s'appuyer sur le peuple, alors là, probablement que le 49-3 n'est pas légitime.
01:24:36 Chacun sa classe.
01:24:38 On pourrait même dire, quand on voit en fonction de l'actualité, que non seulement il n'est pas légitime,
01:24:42 mais ça crée une situation.
01:24:44 Donc, on pourrait presque dire que s'il y avait le vote d'une motion de censure, ça apaiserait tout.
01:24:50 Ce sera le mot de la fin, très provisoire.
01:24:53 On en reparlera certainement.
01:24:54 Je vais remercier Eugénie Bassier qui nous quitte.
01:24:57 Et on va s'intéresser à la France moche.
01:25:00 Mais d'abord, ça.
01:25:02 [Musique]
01:25:05 Voilà, merci.
01:25:07 En attendant le 16 septembre, les rassemblements se multiplient en région.
01:25:11 Comme à Nantes, 6000 personnes, selon la police.
01:25:14 15 000 d'après les syndicats, ont défilé dans les rues.
01:25:17 La tension est montée d'un cran.
01:25:19 En milieu d'après-midi, la police, cible de jets de bouteilles, a répondu par des tirs de gaz lacrymogènes.
01:25:24 La brigade anticriminalité a arrêté au moins quatre individus.
01:25:28 Le pape François a reçu Anne Hidalgo au Vatican.
01:25:32 Un entretien de 40 minutes en espagnol, durant lequel le souverain pontife et la maire de Paris ont abordé divers sujets.
01:25:39 En particulier, la situation des réfugiés, les questions climatiques.
01:25:43 Mais aussi, le chantier de restauration de Notre-Dame de Paris.
01:25:47 Et puis, cette annonce de Donald Trump sur les réseaux sociaux.
01:25:50 L'ancien président des Etats-Unis a assuré qu'il allait être arrêté mardi.
01:25:55 Donald Trump appelle à des manifestations.
01:25:57 Il pourrait être inculpé dans une affaire de paiement survenue avant la présidentielle de 2016.
01:26:03 Il aurait acheté le silence d'une actrice pornographique avec laquelle il aurait eu une liaison.
01:26:08 (Bruits de la télé)
01:26:12 — Et nous rejoins en duplex, comme on disait autrefois, Olivier Saladin. Vous êtes là, Olivier. Bonjour.
01:26:20 — Oui. Bonjour. — Vous êtes comédien. On se souvient évidemment tous de vous dans « Des chiens » sur Canal+.
01:26:26 Mais vous êtes également administrateur de l'association Paysages de France, qui est derrière La France Moche,
01:26:33 un compte Twitter qui connaît un certain succès depuis quelque temps. Alors vous allez nous dire
01:26:40 est-ce que c'était ironique au départ ? Est-ce que vous trouvez vraiment que la France est moche ?
01:26:45 Et est-ce que véritablement, notre pays est en train de devenir moche ? Voilà, il commence à être tard.
01:26:53 La parole est à vous, Olivier. — D'abord, je voudrais corriger le compte Twitter. On n'est pas de Paysages de France.
01:26:59 C'est quelqu'un qu'on ne connaît pas qui a fait ce compte Twitter, La France Moche, et qui a eu un gros succès.
01:27:04 Mais c'est indépendant de... — Ah bah je croyais que vous étiez derrière. En tout cas, vous en êtes un supporter.
01:27:08 — Non, mais il y a autre chose. C'est que l'association Paysages de France remet un prix de La France Moche.
01:27:14 — Ah ! D'où mon erreur. D'où mon erreur. — Voilà. C'est-à-dire qu'on récompense des photos que des adhérents nous envoient
01:27:23 qui sont emblématiques de ce qu'on appelle nous La France Moche. Voilà. Et donc on remet un prix, prix de La France Moche,
01:27:30 et qu'on remet au maire, là où la photo a été prise. Voilà. — Alors les photos qu'on voit à côté de vous font partie des photos
01:27:38 qu'on peut voir sur le compte Twitter de La France Moche. — Oui. — Et elles peuvent éventuellement aussi concourir
01:27:44 pour votre prix de La France Moche. Mais voilà les photos qui s'étalent et qui connaissent un certain succès.
01:27:50 Alors non pas que les gens trouvent ça beau, mais ils ont l'air d'être d'accord pour dire que La France devient moche.
01:27:56 Benjamin Olivet, vous êtes intervenu sur cette question, vous aussi, de La France Moche.
01:28:01 Vous trouvez que La France est en train de devenir moche ? — En tout cas, elle en court le risque. Et je pense que nous sommes
01:28:08 collectivement angoissés à cette idée, parce que nous savons que nous avons un pays qui est le plus beau du monde.
01:28:13 Je le dis sans chauvinisme. L'un des plus beaux du monde. Et on voit que, disons, depuis que nous sommes entrés dans l'ère de la croissance,
01:28:21 croissance de la population et croissance du niveau de vie, les aménagements immobiliers qui ont été faits pour ça,
01:28:28 donc d'abord la banlieue et ensuite le périurbain, qui répondait à des nécessités évidemment humaines et économiques,
01:28:34 ont été faits en dépit du respect du temps long et en dépit de toute beauté, notamment à cause de ce qui s'était passé
01:28:43 dans l'architecture à ce moment-là, c'est-à-dire ce qu'on appelait l'architecture moderniste. Et donc je pense que nous sommes
01:28:48 tous collectivement angoissés à l'idée qu'on perde ce qui fait encore de notre pays l'un des plus beaux du monde.
01:28:54 Alors là, il se trouve que les photos qu'on a vues là, c'était plusieurs œuvres d'art contemporain. Je pense que c'était,
01:28:59 vu que vous avez publié un livre sur l'art contemporain, c'était pour vous. Mais il y a aussi effectivement des bâtiments
01:29:04 qui sont exposés. Olivier Saladin, si vous-même vous remettez un prix de la France moche, ça veut dire que vous pensez
01:29:12 qu'il y a quand même une tendance ?
01:29:15 Oui, oui. Nous, ce qu'on appelle les Âges de France, c'est surtout ce dont on se plaint. Parce que là, les œuvres d'art qui ont été
01:29:21 présentées dans les photos, bon ça c'est de la subjectivité. C'est très difficile de déterminer ce qui est beau ou l'air. Je ne sais pas.
01:29:29 Mais il y a les deux objectifs, notamment par l'affichage publicitaire dans les entrées de villes, qui sont pour moi, pour nous,
01:29:38 assez détestables, à plein de points de vue. Le harcèlement publicitaire à l'entrée des villes, c'est une catastrophe pour nous.
01:29:48 Les centres commerciaux immondes, les boîtes à chaussures, on va se rendre à une espèce de déboîte et construction d'usines
01:29:55 sans aucune architecture, rien. On ne demande même pas ce qu'il y ait des arbres tout autour, mais des grillages qui entourent
01:30:05 ces fosses d'usines où on met des petits Père Noël qui viennent de Chine. Voilà, ça c'est une photo que j'ai prise moi.
01:30:17 Bon, je trouve ça assez laid quoi, la pizza, ces blocs-là.
01:30:21 Il y a l'architecte Rédéric Chiotti que j'avais annoncé tout à l'heure, mais pour l'instant il ne nous a pas encore rejoint en duplex.
01:30:29 Lui aussi, peut-être s'est-il endormi ou au contraire s'est-il réveillé. Pour l'instant, il n'y a pas de connexion.
01:30:38 Benjamin, vous lui ajoutez un peu.
01:30:40 Alors, si je peux introduire un léger différent au sein du parti anti-France moche, je dirais quand même que la beauté et la laideur
01:30:49 ne sont pas si subjectives qu'on veut le croire. Et notamment, il y a quelque chose qui s'est passé dans l'architecture moderne au XXe siècle,
01:30:58 même s'il y a des réalisations qu'on peut trouver belles, c'est la déconnexion complète avec du bâtiment qui exprime la subjectivité révolutionnaire
01:31:06 de l'architecte, la déconnexion du bâtiment avec le paysage autour. C'est-à-dire que par exemple, on voit des bâtiments faits par des superstars
01:31:12 de l'architecture qui pourraient être faits n'importe où. Alors qu'au contraire, dans l'architecture d'avant le XXe siècle,
01:31:18 il y avait quand même un lien entre le bâtiment et l'ensemble du paysage, l'ensemble d'une rue, les matériaux qui étaient utilisés.
01:31:24 Par exemple, à Paris, vous voyez qu'il y a une unité de couleur de la pierre qui est utilisée, ou bien les châteaux de la Loire sont faits avec du tufau de Touraine.
01:31:32 Et ça, je dirais que cette inscription du bâtiment ou des bâtiments dans le paysage a été complètement perdue.
01:31:40 C'est vrai qu'aujourd'hui, on voit à peu près partout dans le monde les mêmes immeubles en verre et en acier, par exemple, qui sont loin d'être beaux,
01:31:48 sans pour autant être moches. Mais enfin, ils ne sont rien et on les voit partout, quelle que soit la latitude, quelle que soit la température,
01:31:55 quelle que soit la météo, le climat, c'est les mêmes.
01:31:59 Exactement. Et le cri, en fait, ce qui s'est passé dans l'architecture du XXe siècle, c'est que la volonté de faire une œuvre dans laquelle des gens puissent habiter,
01:32:12 et qu'elle soit belle, ça a été remplacé par un autre critère qui était de faire moderne.
01:32:18 Et une fois qu'on a décidé que ce qui était le plus important, ce n'était pas de faire beau, c'était de faire moderne.
01:32:23 Là, il y a quelques réussites flamboyantes, spectaculaires, des architectes qu'on connaît tous.
01:32:28 Mais ensuite, à partir de là, la corporation des architectes a été laissée sans critères ou sans modèle et libre de faire ce qu'elle veut.
01:32:37 Et donc, au bas de l'échelle, quand ce ne sont pas des architectes super stars, mais juste des fabricants de hangars ou de centres commerciaux, c'est le grand n'importe quoi.
01:32:44 Olivier Saladin, du temps des déchiens, je me souviens, une des critiques qui étaient portées contre les déchiens, c'était "vous vous moquez des pauvres, vous vous moquez de la province", etc.
01:32:54 Ce qui n'était pas du tout votre cas, bien entendu. Et il ne s'agit pas de remettre ce débat sur le feu.
01:33:00 Mais dans la France moche, que ce soit chez vous ou sur ce compte Twitter qui a de plus en plus de succès,
01:33:07 est-ce qu'il ne s'agit pas là encore de désigner toujours les petites villes périphériques dont l'entrée est saccagée par les 4x3 ou par les ronds-points,
01:33:20 oubliant par la même occasion que dans Paris ou dans les grandes villes, il y a énormément de bâtiments moches aussi.
01:33:26 Mais est-ce qu'on les photographie, ceux-là, avec le même délice ?
01:33:31 Je ne sais pas, je ne pose pas cette question-là. Ce que je vois, c'est que moi qui fais des tournées dans toute la France,
01:33:41 quand on va en voiture et qu'on rentre dans les villes, les petites, les grandes, etc., on est obligé de passer par les entrées de villes qui sont absolument immondes,
01:33:50 immondes, envahies de publicités, de centres commerciaux, de bâtiments, de logistiques.
01:33:56 Et ce sont les plus pauvres qui sont rejetés des grandes villes et des centres-villes, qui vont travailler dans les centres de ces grandes villes,
01:34:03 et qui sont obligés de se pastiller cette laideur objective tous les jours.
01:34:08 C'est ce dont, moi personnellement, je condamne.
01:34:13 Je trouve ça affreux de voir ce qu'on fait subir aux gens, cette laideur permanente,
01:34:18 au point qu'ils sont obligés de prendre des avions pour aller retrouver des paysages plus calmes,
01:34:23 plutôt que dans d'autres pays où on va trouver un peu de calme paysager.
01:34:28 François Coque ?
01:34:29 Ce qui est moche pour moi, c'est ce qui nous agresse en tant qu'individus.
01:34:33 Moi, ce qui m'agresse en tant qu'individu, c'est le fait qu'on veuille m'imposer, à un moment donné, une vision, me dire ce que je dois être.
01:34:39 Me dire que je dois être un consommateur, par exemple, quand effectivement, quand je rentre dans une ville, je vois les grands panneaux publicitaires.
01:34:44 Me dire que je suis un homme monde, parce que quand j'arrive dans une métropole, je vais trouver exactement les mêmes magasins, avec les mêmes marques, avec les mêmes devantures.
01:34:53 Et puis le dernier aspect qui, pour moi, est un facteur de mocheté, et vous l'avez évoqué,
01:34:58 c'est qu'à un moment donné, il y a une perte du sens et du fil historique de ce que nous sommes.
01:35:02 Et quand on juxtapose à côté de constructions qui ont une histoire, un passé et une cohérence,
01:35:08 des bâtiments qui, à un moment donné, en sont totalement dépourvus pour différentes raisons, ça agresse.
01:35:13 Ça dépend, enfin peut-être que c'est ça qui agressait.
01:35:16 Si on se souvient de la tour Eiffel, par exemple, quand elle est érigée en face du Trocadéro en 1889,
01:35:22 elle détonne totalement avec les immeubles haussmanniens qui sont à côté.
01:35:26 Elle est d'ailleurs détestée, pas seulement par une partie de la population, par la plupart des intellectuels à l'époque,
01:35:33 et de tous ceux qui se pensent de grandes esthètes.
01:35:35 Or, aujourd'hui, on est tous d'accord pour dire qu'elle est très belle.
01:35:38 Donc il y a aussi, il y a peut-être…
01:35:40 Non, c'est un symbole.
01:35:42 Et on est habitué, on est attaché au symbole, mais si vous essayez de, comment dire, de retirer l'idée de symbole,
01:35:50 est-ce que c'est beau ? Ça écrase l'école militaire.
01:35:55 En tout cas, c'est pas dans le… Non, mais je veux dire…
01:36:00 Oui, mais enfin, là, je trouve qu'on est plus assez grave d'écraser l'école militaire.
01:36:05 Alors, qu'est-ce que vous pensez du centre Pompidou ?
01:36:07 J'aime beaucoup. J'aime beaucoup.
01:36:10 J'aime beaucoup les tuyaux, j'aime beaucoup les…
01:36:13 Mais je voudrais pas qu'il y en ait trop non plus.
01:36:16 Mais normalement, je donne jamais mon avis.
01:36:19 Je n'irai pas aussi loin que monsieur le professeur, parce que moi, je connais beaucoup la Tour Eiffel.
01:36:24 Mais cela dit, on se sert beaucoup, et vous venez de le faire, et c'est dans le même domaine,
01:36:28 le même débat dans l'art contemporain, des grands exemples des moments de rupture fracassante
01:36:33 du début des avant-gardes, où effectivement, on remettait complètement en cause
01:36:38 ce qui était acquis comme la beauté, mais où le résultat était beau,
01:36:41 pour ensuite autoriser le n'importe quoi qui est fait cent ans après.
01:36:44 Mais la Tour Eiffel, effectivement, c'était bien, l'Olympia, c'était bien.
01:36:48 La Tour Mparnas, c'est déjà beaucoup moins bien, par exemple, pour donner un exemple plus simple.
01:36:52 Oui, bien sûr.
01:36:53 Et j'aimerais revenir aussi sur la question du périurbain et de la pauvreté et de Paris,
01:36:58 puisque j'aimerais qu'on parle un tout petit peu de Paris.
01:37:00 D'abord, les riches… La beauté est un luxe aujourd'hui.
01:37:03 Et les riches, quand ils peuvent, vivent dans l'ancien et partent en vacances
01:37:08 dans des endroits où on a des paysages préservés.
01:37:09 Donc, effectivement, la beauté est un luxe.
01:37:13 Cela dit, Paris aussi est victime de graves endommagements en ce moment.
01:37:18 Je pense qu'on peut parler de ce que fait Madame Notre-Mère
01:37:21 pour rendre la rue complètement illisible par des dizaines de voies,
01:37:26 de signes, de plots, de lignes jaunes, de barrières…
01:37:30 Je ne suis pas sûr que ce soit elle, personnellement, qui choisisse.
01:37:33 Je n'ai pas encore parlé des poubelles, mais il y a quand même une sorte d'endommagement
01:37:41 de ce qui est la plus belle ville du monde, qui est Paris.
01:37:44 Et je voulais parler aussi de quelque chose qui me préoccupe,
01:37:46 qui sont les immenses bâches.
01:37:48 Je ne sais pas si tous les monuments sont en restauration en ce moment,
01:37:50 la Madeleine, l'Opéra Garnier, le Louvre,
01:37:53 et sur lesquelles on met des immenses bâches, sur lesquelles on met des pubs.
01:37:57 Des grosses pubs, Louis Vuitton, Nike, Reebok…
01:38:01 Je crois que Reebok, ça n'existe plus.
01:38:04 Et je crois que ça, c'est aussi quelque chose que j'aimerais que nos édiles
01:38:09 prennent en compte, parce que pour la ville qu'ils offrent à nos regards.
01:38:14 J'ai entendu une voix, là.
01:38:16 Oui, je crois qu'il y a quelqu'un en ligne.
01:38:18 Il y a quelqu'un en ligne, mais il apparaît.
01:38:20 Si c'est Rudi Renichetti, je suis ravi de le voir, mais est-il là ?
01:38:24 Non, il n'est pas là.
01:38:25 On a entendu la voix d'Olivier Saladin.
01:38:29 Oui, c'est peut-être moi qui suis intervenu.
01:38:31 Est-ce que vous avez des photos d'éoliennes ?
01:38:34 On a fait ce débat-là déjà, on ne va pas le refaire.
01:38:37 Olivier Saladin.
01:38:39 Non, mais ce que je voulais dire, c'était par rapport à la Tour Eiffel.
01:38:41 On ne va pas se poser la question s'il faut démolir la Tour Eiffel ou pas.
01:38:44 Elle est là, elle est là.
01:38:45 C'est comme Beaubourg.
01:38:46 Maintenant, on l'accepte complètement.
01:38:47 Enfin, ce n'est plus un débat, ça.
01:38:49 Alors que le débat de la privatisation de l'espace public par la publicité,
01:38:53 par les panneaux publicitaires de 4 mètres par 3,
01:38:55 scellés au sol, qui sont là et qui nous harcèlent,
01:38:58 avec un véritable harcèlement, ça, c'est vraiment un problème,
01:39:01 un problème moral aussi par le fait qu'on a privatisé.
01:39:04 Même ça, on nous l'enlève, on nous l'enlève.
01:39:07 La biodiversité, elle est très abîmée.
01:39:10 Les insectes, il n'y en a plus.
01:39:13 Le temps se dégrade complètement.
01:39:18 Et ce qui nous restait, c'était encore le paysage,
01:39:20 et même ça, on nous l'enlève.
01:39:22 Justement, on peut poser la question,
01:39:24 et c'est un peu ce que vous avanciez, Benjamin,
01:39:28 Olivier, en parlant de la maire de Paris.
01:39:31 Mais qui est responsable ?
01:39:33 Parce qu'on a l'impression que c'est les maires.
01:39:35 Je n'en sais rien. Est-ce que c'est les maires ?
01:39:37 Et au conseil municipal, il y a certainement des enjoints
01:39:41 à l'urbanisme, au paysage.
01:39:44 La voirie.
01:39:45 Qui est responsable de tout ça ?
01:39:48 Les gens et les phénomènes.
01:39:49 J'imagine qu'il y a des phénomènes qui sont à l'œuvre aussi, François Coq.
01:39:52 Comme beaucoup de choses en politique.
01:39:53 On voit débarquer, dès qu'il est question d'aménagement urbain,
01:39:56 des grands cabinets de conseil par qui il faut absolument passer,
01:39:59 et qui finalement ont un comportement très moutonnier,
01:40:02 qui proposent tous à peu près la même chose,
01:40:04 et le même type d'aménagement.
01:40:05 Et au final, les élus locaux décident in fine,
01:40:09 mais sur la base d'un champ de décision
01:40:12 qui a été largement réduit, restreint et préétabli
01:40:15 par ces cabinets de conseil
01:40:17 qui se font gracieusement payer pour ça.
01:40:20 Moi je pense que la responsabilité est celle des maires.
01:40:26 Il y a une législation sur les panneaux publicitaires.
01:40:31 Je pense que de ce point de vue-là, il y a plutôt eu un progrès.
01:40:34 Non, il n'y a pas de progrès.
01:40:36 Ça dépend peut-être où, mais il y a quand même eu, je pense,
01:40:39 une législation, une prise de conscience
01:40:41 qu'il faut supprimer un certain nombre de publicités.
01:40:45 Et donc si ça n'est pas le cas,
01:40:47 c'est que la municipalité l'a autorisé.
01:40:50 Tout ce qu'on voit à Paris, c'est évidemment la municipalité.
01:40:53 Qui d'autre ?
01:40:55 Ce qui se passe en ce moment, c'est que c'est vrai
01:40:57 que la réglementation est extrêmement complexe,
01:41:00 et d'ailleurs c'est inversement proportionnel
01:41:02 à la complexité des lois et des textes sur la publicité,
01:41:05 qui fait que finalement ça ne marche pas.
01:41:08 C'est-à-dire les lois, il n'y a pas d'application,
01:41:10 il n'y a pas de police, parce que le gouvernement Macron
01:41:13 va enlever, là bientôt, le pouvoir de police au préfet.
01:41:17 Donc ça va revenir aux maires,
01:41:19 qui vont avoir la pression évidemment des afficheurs
01:41:22 qui sont extrêmement puissants et qui sont toujours à Bercy,
01:41:25 avec le chantage évidemment à l'emploi et tout ce qui s'en suit.
01:41:28 Voilà, et puis ça ne marche pas.
01:41:32 Au contraire, ça va s'aggraver.
01:41:34 Même le gouvernement Macron a aussi passé un décret
01:41:38 qui va arriver malheureusement,
01:41:39 et qui va permettre de pouvoir remettre de la publicité
01:41:42 dans les petites villes de moins de 10 000 habitants,
01:41:44 ne faisant pas partie d'une unité urbaine de plus de 100 000.
01:41:47 Donc non, ça va aller dans le très mauvais sens, malheureusement.
01:41:52 Benjamin Oliven ?
01:41:53 Je crois que je connais le coupable de l'enlaidissement de la France.
01:41:56 Je vais vous le dire, mais ça reste entre nous.
01:41:59 Le coupable c'est chacun d'entre nous, c'est nous tous,
01:42:02 parce que nous voulons tous collectivement,
01:42:04 en tant que consommateurs de masse,
01:42:06 nous voulons tous nous enrichir,
01:42:08 nous voulons tous avoir accès à la consommation,
01:42:10 beaucoup d'entre nous veulent avoir accès à la maison individuelle,
01:42:13 dont le développement du pays urbain.
01:42:15 Les maires veulent que chacun ait un emploi,
01:42:17 ils sont très contents d'ouvrir un centre commercial,
01:42:19 des parkings, chacun veut avoir une voiture.
01:42:22 Et puis la population grandit,
01:42:24 il y a une croissance de la population naturelle,
01:42:26 et l'amochissement de la France
01:42:29 est l'effet malheureusement de la croissance de la population
01:42:31 qui se répand partout et qui envahit tous les espaces
01:42:36 qui étaient jusque-là préservés pour consommer.
01:42:38 Mais je crois qu'une fois que cela est dit,
01:42:40 et comme le fait que nous voulons tous consommer
01:42:43 est difficilement évitable,
01:42:45 c'est le rôle des autorités d'essayer d'orienter cela
01:42:47 de la manière la moins dommageable pour la beauté possible.
01:42:51 Et oui ?
01:42:53 Non.
01:42:54 Est-ce qu'elle veut ligner ?
01:42:56 Oui, parce que moi je trouve que ce qui est intéressant dans le débat,
01:42:59 c'est que finalement cette France moche,
01:43:01 on ne peut pas la subvertir.
01:43:03 C'est ce que vous montrez très bien avec les zones
01:43:06 où il y a toutes les publicités, etc.
01:43:08 C'est moche et ça reste moche.
01:43:10 On ne peut pas faire de l'humour dessus,
01:43:12 on ne peut pas trouver ça ringard.
01:43:14 Le ringard par exemple, on peut le subvertir,
01:43:16 le second degré, etc.
01:43:18 Le kitsch, mais là on est vraiment dans,
01:43:20 je trouve vraiment que c'est vraiment bien choisi,
01:43:22 c'est vraiment la France moche.
01:43:24 Et je pense que les images, je les ai bien regardées
01:43:26 pendant l'émission, les plus convaincantes,
01:43:28 c'est vraiment celles qui sont justement à la périphérie des villes.
01:43:30 Les entrées de villes, c'est généralement ce qui est le plus critiqué, Francis ?
01:43:34 Oui, je nuancerais un peu l'idée qu'il n'y a que les riches
01:43:37 qui ont droit à la beauté, parce que le pâtre du Larzac,
01:43:41 il a la beauté et il n'est pas spécialement milliardaire.
01:43:44 Quand on est dans la nature, c'est un raisonnement un peu urbain,
01:43:48 ou péri-urbain, mais quand on a un raisonnement rural,
01:43:51 on a quand même la beauté.
01:43:53 Et gratuite.
01:43:55 Alors évidemment, là, s'introduit l'idée de l'agriculture industrielle,
01:44:00 évidemment, qui peut abattre le bocage, les haies, etc.
01:44:07 Mais on a quand même encore des espaces naturels,
01:44:11 qui sont d'ailleurs protégés, qui sont beaux.
01:44:16 Mais je partage aussi ce que vous disiez sur les architectes,
01:44:20 qui veulent mettre en valeur leur propre création,
01:44:24 et elle sera mise en valeur si elle tranche avec le reste.
01:44:27 Alors qu'une bonne architecture, c'est celle qui s'intègre dans l'ensemble.
01:44:31 On peut discuter aussi du goût des très riches,
01:44:34 parce que aussi bien celui de Louis XIV,
01:44:37 on sait, le château de Versailles, ça a plutôt bien vieilli,
01:44:40 les gens sont contents de le visiter.
01:44:42 Je ne suis pas sûr que la maison de Bill Gates,
01:44:45 ou celle de Mark Zuckerberg, dans 300 ans,
01:44:48 on la trouve encore belle.
01:44:50 Je parlais de très riches en France.
01:44:51 Et je ne suis même pas sûr qu'elle sera encore debout,
01:44:53 parce que ce n'est pas des matériaux fantastiques, généralement.
01:44:56 C'est de la maison individuelle bas de gamme,
01:44:58 mais très grande, avec beaucoup de surface.
01:45:01 Mais je crois savoir que les très riches en France,
01:45:03 je ne parle pas des Américains qui sont presque une autre planète.
01:45:07 Que vous fréquentez régulièrement, je crois que vous y retournez dans pas longtemps.
01:45:10 Exactement.
01:45:11 Mais les très riches en France, je crois savoir,
01:45:13 vivent plutôt dans des bâtiments anciens, des hôtels particuliers,
01:45:15 du XVIIIe siècle, du Faubourg Saint-Germain.
01:45:17 Et effectivement, sur le château de Versailles, c'est drôle,
01:45:22 parce que vous vous souvenez que le Duc de Saint-Simon
01:45:24 trouvait que Versailles était absolument hideux.
01:45:26 Et il ne comprenait pas pourquoi Louis XIV faisait ça.
01:45:28 Il trouvait que c'était une dénaturation complète de la belle architecture française.
01:45:31 Et alors qu'il venait pour citer Saint-Charles-d'Ettry,
01:45:34 en fait, il nous mettait notre argent de côté.
01:45:36 Exactement.
01:45:37 Un dernier mot ?
01:45:40 Ce qu'on voit, cette uniformisation des entrées dans les villes,
01:45:45 elle n'est pas propre à la France.
01:45:47 La France est moche.
01:45:48 En fait, il y a vraiment une standardisation, une uniformisation,
01:45:52 une mondialisation des formes d'architecture dans tous les pays.
01:45:58 En fait, je pense qu'on est certains à un nombre à voyager.
01:46:02 Je ne sais pas si chacun est riche, mais en tout cas,
01:46:04 on voyage quand même de temps en temps.
01:46:06 Et on est frappés de voir cette mocheté, puisque c'est ça
01:46:11 qui est quand même largement répandu dans tous les pays.
01:46:16 Je trouve que la France est un des pays qui…
01:46:18 Olivier Salada ?
01:46:20 Oui, je trouve que la France est un des pays qui,
01:46:22 par rapport en Europe, moi qui voyage aussi un petit peu en Europe,
01:46:24 je vais en Hollande, en Allemagne, je trouve que franchement,
01:46:27 on détient le pompon quand même, côté France moche,
01:46:30 dans la laideur de ces entrées de ville.
01:46:33 Je veux dire, en Allemagne, ils en ont beaucoup moins de panneaux publicitaires,
01:46:36 la publicité est moins présente et ils ne sont pas moins consommateurs.
01:46:40 Ils ont des iPads aussi, ils ont des iPhones,
01:46:43 ils roulent en voiture, il n'y a aucun problème.
01:46:46 Donc, c'est nous qui sommes vraiment les uns de la…
01:46:51 les derniers, enfin franchement, on est très mal placés là-dessus.
01:46:56 [Rires]
01:46:58 Il n'y a qu'à voir ça.
01:47:00 Il faut avoir un moche maître.
01:47:02 [Rires]
01:47:03 François Coque ?
01:47:04 Non, je ne sais pas si on est pire que les autres pays,
01:47:08 je crois que c'est un phénomène qui est quand même beaucoup plus large
01:47:11 et ce n'est pas reluisant à quelque endroit qu'on aille,
01:47:14 on rentre dans ce phénomène urbain, périurbain,
01:47:17 et la place aujourd'hui envahissante de la publicité,
01:47:20 je l'ai dit tout à l'heure, qui vise à…
01:47:22 Vous êtes tous contre la publicité, j'ai rien contre,
01:47:25 mais parfois, vu les bâtiments qu'on voit,
01:47:27 on se dit, il voudrait peut-être presque mieux une publicité, non ?
01:47:30 Non, pour le coup, non, parce que même si une architecture
01:47:33 est désagréable à l'œil, elle ne nous attaque pas en tant qu'individus,
01:47:37 c'est ce que j'ai essayé de dire tout à l'heure.
01:47:39 Oui, je me sens agressé par la publicité en tant que telle.
01:47:42 J'entends bien que nous avons peut-être notre part de responsabilité
01:47:45 parce que nous sommes individuellement des gens qui avons un désir de consommer,
01:47:48 mais on sait aussi que ce désir de consommer,
01:47:50 il est largement proportionnel à ce qu'on nous fait miroiter.
01:47:54 Et là, pour le coup, on voit qu'on a à la fois des enseignes
01:47:58 qui nous mettent de la publicité sous le nez,
01:48:00 et on a, et c'était la question qui était posée tout à l'heure,
01:48:03 on a des élus locaux qui sont de plus en plus contraints
01:48:05 d'accepter souvent, de jouer le jeu de la publicité,
01:48:09 parce que les ressources financières des collectivités locales,
01:48:12 vous le savez comme moi, sont au pain sec depuis des années maintenant,
01:48:15 avec la baisse des dotations de fonctionnement.
01:48:19 Je vous remercie tous les cinq d'avoir participé à cette émission.
01:48:24 Merci de nous avoir suivis.
01:48:27 On se retrouve demain à 22h pour un autre numéro des Visiteurs du Soir.
01:48:32 Je vous souhaite une très bonne nuit.
01:48:34 Merci.