Les visiteurs du soir du 26/03/2023

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Frédéric Taddeï et ses invités débattent des grandes questions du XXIe siècle dans les #VisiteursDuSoir

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Transcription
00:00:00 Vous venez de voir le générique des visiteurs du soir.
00:00:04 Vous devez croire que l'émission a déjà commencé, mais non.
00:00:07 C'est d'abord le rappel des titres.
00:00:10 Isabelle Piboulot, les visiteurs du soir, ça commencera après.
00:00:13 Après les violents affrontements d'hier à Sainte-Soline,
00:00:20 un manifestant de 30 ans est entre la vie et la mort,
00:00:23 plongé dans le coma après un traumatisme crânien.
00:00:26 Selon le dernier bilan du parquet de New York,
00:00:29 les deux gendarmes blessés grièvement sont désormais en urgence relative.
00:00:33 Au total, 47 militaires ont été pris en charge par les secours.
00:00:37 Elisabeth Borne souhaite l'apaisement avec les syndicats.
00:00:40 La chef du gouvernement reste à leur disposition
00:00:43 pour les rencontrer sur d'autres chantiers que celui des retraites.
00:00:47 Dans un entretien à l'AFPE, elle déclare par ailleurs
00:00:50 ne plus vouloir recourir au 49-3 en dehors des textes budgétaires.
00:00:54 Et enfin, la première ministre a annoncé recevoir
00:00:57 les groupes parlementaires et partis d'opposition la semaine du 3 avril.
00:01:02 Pas de retraite pour les réformes, le porte-parole du gouvernement l'assure.
00:01:07 L'exécutif continuera à dérouler une feuille de route réagencée
00:01:10 au-delà de la réforme des retraites.
00:01:13 Des futurs textes pour certains impopulaires,
00:01:15 mais nécessaires à l'avenir du pays, selon Olivier Véran.
00:01:18 Une déclaration alors que la crainte de nouvelles tensions demeure.
00:01:22 Une dixième journée de manifestation se tiendra mardi.
00:01:26 (Générique)
00:01:40 - Bonsoir, bienvenue sur le plateau des visiteurs du soir.
00:01:43 On est dimanche, il est plus de 22h.
00:01:45 On peut prendre pendant deux heures un peu de recul sur l'actualité,
00:01:48 un peu de hauteur pour essayer de comprendre ce qui se passe autour de nous.
00:01:52 Par exemple, la Suède et la Finlande ont décidé de renoncer
00:01:55 à leur statut de pays neutre.
00:01:56 Elles ont demandé leur adhésion à l'OTAN
00:01:58 et ont commencé à livrer des armements à l'Ukraine.
00:02:01 Beaucoup d'entre nous s'en sont félicités.
00:02:03 Ça nous fait deux alliés de plus contre les Russes,
00:02:05 mais pas Cyril Brecht qui s'inquiète
00:02:07 que le concept de neutralité disparaisse progressivement en Europe.
00:02:12 Il va nous expliquer pourquoi.
00:02:13 Sophie Egnos-Atali nous donnera, elle, son avis également,
00:02:17 puisqu'elle travaille, elle aussi, sur les questions de neutralité
00:02:21 et les politiques de sécurité.
00:02:22 Et puis Edmond Dziembowski, qui est historien,
00:02:25 nous racontera tout à l'heure la Révolution française
00:02:27 sous l'angle du complotisme.
00:02:29 Dans son nouveau livre "La main cachée",
00:02:31 il explique que c'est à ce moment-là, pendant la Révolution,
00:02:34 qu'est né le complotisme moderne, celui que l'on connaît aujourd'hui.
00:02:38 À 23h, on sera rejoint par Stéphane Sirot et Nicolas Lecossin.
00:02:42 On va parler de l'action des syndicats.
00:02:44 Pour Emmanuel Macron, en effet, si la grève et les manifestations
00:02:47 contre la réforme des retraites continuent,
00:02:48 avec tous les problèmes que ça pose au pays,
00:02:50 c'est la faute aux syndicats.
00:02:52 Eh bien, on va voir en quoi consistent les méthodes des syndicats,
00:02:54 si ce sont les mêmes qu'il y a 30 ans et si elles sont efficaces ou pas.
00:02:58 Mais tout de suite, on commence avec un visiteur du soir
00:03:00 qui n'a jamais eu peur de confronter la philosophie aux questions d'aujourd'hui.
00:03:04 C'est André Consponville, qui publie aux presses universitaires de France
00:03:07 "La clé des champs" et autres impromptus.
00:03:10 Alors André Consponville, vous écrivez dans ce livre
00:03:12 que les optimistes sont bien plus dangereux que les pessimistes.
00:03:15 Pourquoi ?
00:03:16 Parce qu'on ne fait le mal que pour un bien.
00:03:21 Et plus le bien visé est grand, plus on va s'autoriser des horreurs.
00:03:27 On m'a dit, contrairement à ce que beaucoup de gens croient,
00:03:31 les méchants, si on entend par méchant au sens de Kant,
00:03:33 celui qui fait le mal pour le mal, sont l'exception.
00:03:37 Les salauds sont innombrables.
00:03:38 Le salaud, c'est quoi ?
00:03:39 C'est celui qui fait le mal, non pas pour le mal, mais pour son bien à lui.
00:03:43 Qui fait du mal aux autres pour son bien à lui
00:03:45 ou pour ce qu'il juge être le bien.
00:03:47 Et ce sont toujours des optimistes, d'après vous ?
00:03:50 Rêver au Reich de 1000 ans pour un nazi, c'est beaucoup d'optimisme.
00:03:54 Rêver au communisme universel pour un stalinien,
00:03:57 c'est quand même beaucoup d'optimisme.
00:03:59 Et donc, je suis sensible à la phrase d'Aragon que je cite,
00:04:02 qui dit en gros, je cite là de mémoire,
00:04:04 mais qu'il n'y a rien de plus méchant qu'un optimiste de décision.
00:04:07 Et Dieu sait qu'Aragon en a fréquenté beaucoup et longtemps.
00:04:11 Et lui-même était assez méchant d'ailleurs.
00:04:13 Oui, mais en plus, il y a autre chose.
00:04:15 Bon, là, je parle de politique, mais c'est vrai aussi en littérature,
00:04:19 c'est-à-dire les textes trop optimistes,
00:04:23 les histoires d'amour un peu en bleu et rose.
00:04:26 On a quand même du mal, notamment à y croire, mais même à s'y intéresser.
00:04:29 Trop de sucre finit par écœurer.
00:04:31 Les romans de la collection Arlequin, ce sont des romans optimistes.
00:04:35 Tous et nuls.
00:04:36 J'ai souvent dit à mes étudiants,
00:04:38 comparer les romans de la collection Arlequin à la recherche du temps perdu.
00:04:42 La collection Arlequin, c'est de la petite littérature sur de grandes amours.
00:04:47 La recherche, c'est de la grande littérature sur de petites amours.
00:04:50 C'est-à-dire sur nos amours à nous, les amours réels.
00:04:52 Ce n'est pas être pessimiste que de dire ça, c'est être lucide.
00:04:56 Mais en revanche, un discours optimiste sur l'amour,
00:04:59 sur le prince charmant ou sur la femme idéale,
00:05:02 sincèrement, je n'ai plus l'âge.
00:05:03 Vous ne le citez pas dans votre livre,
00:05:05 mais ça me rappelle une citation de Cioran qui disait
00:05:07 "seuls les optimistes se suicident",
00:05:10 puisque les pessimistes n'ayant jamais rien espéré de la vie,
00:05:14 ils n'ont aucune raison d'y mettre fin.
00:05:16 Ce qui m'amène à un autre sujet que vous abordez dans ce livre,
00:05:19 c'est le droit de se suicider.
00:05:21 On a le droit de se suicider en France.
00:05:23 Vous estimez qu'on devrait, par la même occasion,
00:05:25 avoir le droit au suicide assisté.
00:05:28 Au fond, c'est la même chose.
00:05:30 Le fait qu'on puisse demander à quelqu'un de nous aider à nous suicider,
00:05:34 un médecin en l'occurrence, ça devrait être garanti,
00:05:38 au même titre que le droit au suicide.
00:05:40 Ce n'est pas tout à fait la même chose,
00:05:42 mais il y a un peu un paradoxe que Robert Bannater
00:05:44 avait pointé un jour à la télévision.
00:05:47 Il disait "le suicide en France n'est pas un délit,
00:05:50 on a le droit de se suicider.
00:05:51 Pourquoi l'assistance au suicide en est-elle un ?"
00:05:54 Et c'est vrai que la question se pose.
00:05:56 Alors, ça n'est pas la même chose que de se suicider tout seul
00:05:58 ou de se faire, si je veux dire, aider par quelqu'un.
00:06:02 Alors souvent, les gens me disent "mais si tu veux te suicider,
00:06:04 tu as qu'à le faire".
00:06:06 D'abord, ce n'est pas si facile que ça.
00:06:08 Souvenez-vous de Gilles Deleuze, immense philosophe,
00:06:10 70 ans, souffrant d'une insuffisance respiratoire très grave,
00:06:14 qui voulait en finir.
00:06:15 La seule façon qu'il a trouvé,
00:06:17 ça a été de te jeter par la fenêtre du cinquième étage
00:06:19 où il habitait.
00:06:21 Qui a envie d'une mort pareille pour soi ou pour ses proches ?
00:06:24 Personne.
00:06:25 Mais encore faut-il pouvoir se jeter par la fenêtre.
00:06:27 Et donc, c'est vrai que tant que je suis en bonne santé,
00:06:29 je peux me suicider sans l'aide de mon médecin.
00:06:32 Oui, mais tant que je suis en bonne santé,
00:06:34 pourquoi voulez-vous que je me suicide ?
00:06:35 Moi, j'aime la vie, je n'ai aucune raison de mourir.
00:06:39 En revanche, si j'ai un AVC grave,
00:06:41 si je me retrouve paralysé incontinent,
00:06:43 que sais-je, à l'hôpital ou dans un EHPAD,
00:06:46 là, je pourrais avoir de bonnes raisons de vouloir mourir.
00:06:48 Oui, ben essayez de vous suicider dans un EHPAD ou dans un hôpital,
00:06:52 vous verrez que c'est impossible.
00:06:53 Et c'est là où je pourrais avoir besoin d'une aide,
00:06:55 en l'occurrence de l'aide de mon médecin de préférence,
00:06:58 pour mettre fin à mes jours,
00:06:59 à condition que ce soit pour de bonnes raisons, évidemment.
00:07:02 Oui, enfin vous entendez par là,
00:07:03 il suffit qu'il vous donne un médicament à poison,
00:07:06 comme on disait autrefois.
00:07:07 Voilà, c'est là où il faut faire la différence
00:07:08 entre le suicide assisté et l'euthanasie au sens strict.
00:07:13 La différence, en effet, c'est que le suicide assisté,
00:07:16 un médicament, vous prescrez un médicament,
00:07:18 que vous prenez ou pas, vous êtes libre de prendre un médicament,
00:07:21 une substance létale, ou la perfusion,
00:07:23 vous appuyez vous-même sur la pompe
00:07:25 qui envoie le produit létal dans vos veines ou vos artères,
00:07:28 alors que l'euthanasie, c'est le médecin lui-même,
00:07:30 le soignant qui vous tue, ce n'est pas du tout la même chose.
00:07:33 Vous injecte le poisson.
00:07:34 Et moi, les médecins me disent souvent,
00:07:35 je n'ai pas fait médecine pour tuer les gens.
00:07:37 Oui, je le comprends bien, bien sûr.
00:07:39 C'est vrai que de ce point de vue,
00:07:40 entre les médecins et nous, les patients,
00:07:43 s'agissant d'euthanasie,
00:07:45 on n'est pas, si j'ose dire, du même côté de la seringue.
00:07:48 Parce que nous, on demande l'euthanasie,
00:07:50 éventuellement, comme un service qu'on nous rend.
00:07:52 Oui, mais pour eux, l'euthanasie, pour eux qui poussent la seringue,
00:07:54 ce n'est pas un service, c'est un homicide.
00:07:56 Évidemment, c'est un acte moralement très lourd.
00:07:59 Et donc, ça veut dire deux choses.
00:08:00 D'abord, qu'il faudra bien sûr une clause de conscience
00:08:03 qui prévoit qu'aucun médecin, aucun soignant
00:08:05 ne soit jamais obligé de pratiquer une euthanasie
00:08:08 ou d'aider un suicide
00:08:09 si c'est contraire à ses valeurs morales ou religieuses.
00:08:11 On l'a fait pour l'IVG.
00:08:13 Il faut le faire pour ce qu'on appelle l'IVV,
00:08:14 l'interruption volontaire de vie.
00:08:16 Mais ça suppose aussi une deuxième chose,
00:08:18 c'est que dans tous les cas où le suicide assisté est possible,
00:08:21 donc tant que je suis en état de prendre la substance létale,
00:08:24 d'appuyer sur la ponte de la perfusion,
00:08:26 il vaut bien mieux, évidemment, le suicide assisté que l'euthanasie.
00:08:30 Parce que ça ne fait pas porter à un tiers
00:08:32 la charge morale de ma mort, si je veux dire.
00:08:35 Or, je pense que ce sera le...
00:08:36 C'est vrai dans 95% des cas.
00:08:38 Il faut vraiment être terriblement handicapé
00:08:40 pour ne pas pouvoir avaler une substance létale
00:08:43 ou appuyer sur la ponte de la perfusion.
00:08:44 Mais ces cas existent.
00:08:46 Et donc, je pense qu'il faut légaliser les deux
00:08:48 avec une clause de conscience pour les soignants,
00:08:50 mais en privilégiant chaque fois où il est possible
00:08:54 le suicide assisté.
00:08:55 Pour ceux, bien sûr, qui le demandent.
00:08:56 Il ne s'agit pas de pousser quiconque
00:08:58 à se suicider ou à demander une euthanasie.
00:09:00 - Cela va sans dire.
00:09:01 Vous dites que médecin, c'est le plus beau métier du monde,
00:09:04 mais c'est aussi l'un des plus difficiles. Pourquoi ?
00:09:07 - Ce n'est pas médecin, c'est pédiatre.
00:09:08 C'est un texte sur un...
00:09:09 - Oui, oui, oui.
00:09:10 - Préface...
00:09:11 - Mais c'est sur le médecin que vous dites la phrase que je viens de citer,
00:09:13 même si vous parlez des pédiatres, vous n'y parlez pas.
00:09:15 - Non, peu importe.
00:09:16 Dans mon souvenir, c'est à propos des pédiatres.
00:09:18 Mais c'est un très beau métier que d'être médecin.
00:09:21 Mais c'est vrai que sauver un enfant,
00:09:23 c'est quelque chose de plus que de trouver quelqu'un de mon âge, par exemple.
00:09:26 C'est le plus difficile parce que justement,
00:09:28 et spécialement les pédiatres sont confrontés à la mort
00:09:31 et à la mort des enfants, si vous voulez.
00:09:34 L'un de mes fils a fait médecine.
00:09:36 Et à un moment, il tendait à s'orienter vers la gérontologie,
00:09:39 le soin des vieillards.
00:09:40 Alors ça m'étonnait un peu, je trouvais ça un peu tristounet.
00:09:42 Il m'a donné deux arguments.
00:09:44 D'abord, l'avantage des vieux, c'est qu'ils ont toutes les pathologies.
00:09:47 Ils sont plus souvent malades que les jeunes.
00:09:49 Et puis il avait ajouté, quand un vieux meurt,
00:09:52 c'est quand même moins triste que quand c'est un enfant qui meurt.
00:09:54 Et je peux le comprendre.
00:09:55 Et c'est vrai que s'occuper des enfants, soigner les enfants,
00:09:58 c'est le plus beau métier du monde quand on réussit.
00:10:01 C'est quand même terriblement difficile quand on échoue.
00:10:03 Et puis ça pose des problèmes, là, pour le coup, de bioéthique
00:10:06 encore plus redoutable que s'agissant des adultes.
00:10:09 - Vous dites également dans ce livre, André Consponville,
00:10:12 que la santé n'est pas la valeur suprême.
00:10:15 Ce n'est pas une valeur du tout.
00:10:16 Vous en voulez beaucoup aux médias qui, pendant la pandémie de Covid-19,
00:10:21 ont mis la santé au-dessus de tout.
00:10:23 - Oui, alors d'abord, il faut dire qu'un mot, c'est un recueil de textes,
00:10:26 de 12 textes sur 12 sujets différents.
00:10:28 Sur beaucoup d'entre eux, les éditeurs m'ont demandé un livre,
00:10:31 notamment sur la pandémie, quand j'ai pris des positions
00:10:34 qui détenaient un peu par rapport au climat sanitairement correct de l'époque.
00:10:38 Il y a peut-être une dizaine d'éditeurs qui m'ont demandé un livre sur la pandémie.
00:10:42 Évidemment, non, écrire 300 pages sur un sujet pareil, ça me paraît très idiot.
00:10:46 Mais faire un texte de 30 pages, à peu près comme je l'ai fait,
00:10:49 pour expliquer mon point de vue, ça m'a paru utile.
00:10:52 Et en effet, je pense que la pandémie a révélé quelque chose
00:10:56 que moi, je dénonce depuis 30 ans, ce que j'appelle le pan médicaliste,
00:11:00 c'est-à-dire l'idée de faire de la santé la valeur suprême
00:11:03 et donc tout déléguer finalement à la médecine.
00:11:07 Or, mon idée, c'est un, que la santé n'est pas la valeur suprême,
00:11:10 deux, qu'elle n'est même pas une valeur du tout.
00:11:13 Elle n'est pas la valeur suprême, que je sache.
00:11:17 Il n'est pas écrit dans les évangiles, et c'est un athée qui vous le rappelle,
00:11:21 il n'est pas écrit dans les évangiles,
00:11:22 prenez soin de votre santé comme Dieu prend soin de la sienne.
00:11:26 Il est écrit, aimez-vous les uns les autres comme Dieu vous aime.
00:11:29 J'espère ne pas être le dernier dans ce vieux pays de tradition chrétienne
00:11:34 à penser que l'amour est évidemment une valeur supérieure à la santé.
00:11:38 Il n'est pas écrit au fronton de nos mairies, santé, égalité, fraternité.
00:11:42 Il est écrit, liberté, égalité, fraternité.
00:11:45 J'espère ne pas être le dernier dans notre république
00:11:48 à penser que la liberté est évidemment une valeur supérieure à la santé.
00:11:52 Mais qui plus est, non seulement la santé n'est pas la valeur suprême,
00:11:55 mais à mon sens, elle n'est pas une valeur du tout.
00:11:57 Pourquoi ? Parce que la santé est un bien.
00:12:00 Je fais une différence entre les biens et les valeurs.
00:12:02 Un bien, c'est quelque chose qui est désirable, éventuellement enviable.
00:12:06 Une valeur, c'est quelque chose qui rend estimable, voire admirable.
00:12:10 Par exemple, je peux envier quelqu'un parce qu'il est plus riche que moi,
00:12:14 ou parce qu'il est en meilleure santé que moi.
00:12:15 Oui, la richesse, la santé, ce sont des biens.
00:12:18 Mais si j'admire quelqu'un parce qu'il est plus riche que moi
00:12:21 ou en meilleure santé que moi, je suis un imbécile.
00:12:23 En revanche, je peux admirer quelqu'un parce qu'il est plus courageux que moi,
00:12:27 plus généreux que moi, plus aimant que moi, plus juste que moi.
00:12:30 Autrement dit, le courage, la justice, la générosité et l'amour, ce sont des valeurs.
00:12:35 Or, quand on soumet les valeurs aux biens,
00:12:37 autrement dit, quand on dit ce que tout le monde a répété
00:12:39 pendant des semaines, pendant la pandémie,
00:12:41 il n'y a rien au-dessus de la santé.
00:12:43 Quand on soumet les valeurs aux biens,
00:12:45 on est déjà, à mon sens, dans le nihilisme.
00:12:48 Que penseriez-vous de quelqu'un qui vous dirait
00:12:50 « il n'y a rien au-dessus de l'argent ? »
00:12:52 Vous diriez « mais c'est du nihilisme financier ».
00:12:55 Et quand quelqu'un dit « il n'y a rien au-dessus de la santé »,
00:12:57 tout le monde applaudit.
00:12:58 Mais moi, je dis « c'est du nihilisme sanitaire ».
00:13:00 Parce qu'enfin, s'il n'y a rien au-dessus de la santé,
00:13:03 nos amis ukrainiens ont bien tort de prendre des risques pour leur santé.
00:13:06 Ils devraient au contraire rester chez eux tranquilles et laisser les Russes venir.
00:13:10 Bref, s'il n'y a rien au-dessus de la santé,
00:13:12 il n'y a plus aucune raison de prendre le moindre risque,
00:13:15 plus aucune raison de mourir.
00:13:17 Alors qu'une fois, je ne tiens pas du tout à mourir,
00:13:19 mais vous voyez, cette pente de nihilisme paraît un peu insidieuse.
00:13:24 – Pardon de vous interrompre, André-Constantin Pompier,
00:13:25 mais si vous mettez la liberté au-dessus de la santé,
00:13:27 est-ce que ça veut dire que vous considérez tout à fait normal
00:13:30 de refuser de se vacciner, par exemple ?
00:13:32 – Non, pas du tout.
00:13:32 Moi, je suis pour le vaccin, je ne suis pas contre les vaccins obligatoires,
00:13:36 comme il y a beaucoup de vaccins.
00:13:37 Non, non.
00:13:38 Parce qu'il faut distinguer la santé pour soi et la santé des autres,
00:13:43 et qu'on limite ma liberté, mais de façon quand même très légère,
00:13:47 pour protéger la santé de façon importante des autres,
00:13:49 c'est évidemment légitime.
00:13:50 – Non, pas forcément, on peut y réfléchir.
00:13:52 – On peut y réfléchir, mais donc ça ne me choque pas.
00:13:54 Après, ça dépend des vaccins.
00:13:55 Il y a des vaccins obligatoires, d'autres qui ne le sont pas,
00:13:57 et je pense que c'est très bien qu'il y ait les deux niveaux, si vous voulez.
00:14:01 Mais ça ne veut pas dire que la santé en général est supérieure à la liberté.
00:14:05 Je pense évidemment le contraire.
00:14:07 – Mais qu'est-ce que vous mettez, vous, comme valeur au-dessus de la santé et de la liberté ?
00:14:12 – L'amour, la liberté, la justice, la générosité, le courage,
00:14:17 quand il est pour une bonne cause.
00:14:19 Voilà des valeurs qui méritent d'être transmises à nos enfants.
00:14:24 – Ce que vous dites également à propos de cette pandémie de Covid,
00:14:28 André Consponville, c'est ce que j'ai le plus redouté devant cette pandémie,
00:14:31 c'est qu'on sacrifie l'amour de la vie à la peur de la mort.
00:14:35 – Oui, c'est ça.
00:14:37 Les journalistes me disaient, avec cette pandémie,
00:14:40 nous redécouvrons que nous sommes mortels.
00:14:42 Tu parles d'un scoop qui avait été assez chaud pour l'oublier, si vous le voyez.
00:14:46 Et c'est vrai qu'à force de parler de mort, les gens me disaient,
00:14:48 on a la peur, la peur au ventre, que c'est une tragédie, un cauchemar.
00:14:51 Les gens oubliaient d'aimer la vie pour un virus dont il faut rappeler
00:14:55 que le taux de létalité était inférieur à 1% malgré tout.
00:14:59 Donc c'était loin d'être la peste ou que sais-je.
00:15:02 Donc c'est vrai que cette période-là, ça m'a pesé.
00:15:04 J'avais le sentiment qu'on sacrifiait les jeunes, leur avenir,
00:15:08 leurs études, leurs loisirs, leur épanouissement,
00:15:12 à la santé de leurs parents ou plus souvent de leurs grands-parents.
00:15:16 Et moi, j'avais le sentiment qu'il y avait une inversion
00:15:17 de la solidarité intergénérationnelle tout à fait inquiétante.
00:15:21 Ça fait 300 000 ans, en gros, que les parents se sacrifient volontiers
00:15:25 pour leurs enfants.
00:15:26 Mais l'idée de sacrifier les enfants pour la santé des parents ou des grands-parents,
00:15:30 je trouvais que ça devenait là encore tout à fait inquiétant.
00:15:33 Et donc je me suis permis de le dire et j'y reviens là.
00:15:36 Encore une fois, dans un article de 30 pages,
00:15:38 jamais je n'aurais voulu en faire un livre parce que je ne crois pas
00:15:41 que ça soit au fond si important que ça.
00:15:43 – Mais quand on se souvient maintenant de ce qu'on a vécu,
00:15:46 et notamment le début de la pandémie de Covid,
00:15:49 tout le monde est frappé par l'absurdité dans laquelle on s'est tous plongé
00:15:53 en nettoyant nos courses, chose qu'on a abandonnée au bout d'un certain temps.
00:15:57 Mais à ce moment-là, tout le monde y croyait très fort quand même.
00:16:00 – Moi, je n'y ai jamais vraiment beaucoup cru.
00:16:02 Alors j'ai respecté le confinement parce que je suis un républicain,
00:16:05 donc moi j'obie aux lois de mon pays, vous voyez.
00:16:07 – Vous respectez la loi, quoi qu'il arrive, même si elle vous semble absurde.
00:16:10 – Sauf quand c'est un devoir de désobéir.
00:16:12 Mais une loi absurde, quand ce n'est pas un devoir de la violer, je la respecte.
00:16:17 Mais si vous voulez, moi je suis un anxieux, c'est ce qui m'a sauvé.
00:16:19 Sauf que je suis père de famille.
00:16:21 Et dès que j'ai appris que mes enfants couraient très peu de risque
00:16:24 d'avoir une forme grave de la Covid,
00:16:27 le père anxieux que je suis était parfaitement soulagé.
00:16:30 C'est pour une fois que mes enfants couraient moins de risque que moi.
00:16:33 Parce que pour tout le reste, ils sont bien plus exposés que je ne le suis moi.
00:16:37 Et c'est aussi quelque chose que j'essaye de dire pendant la pandémie.
00:16:41 Macron disait, il faut protéger les plus fragiles, c'est-à-dire les plus vieux.
00:16:44 Alors soit en période de crise sanitaire aiguë,
00:16:47 c'est vrai que c'est les vieux qui mourraient le plus de très loin.
00:16:51 Oui, quand on fait de la santé la valeur suprême,
00:16:52 alors effectivement, les plus fragiles en termes de santé, ce sont les plus vieux.
00:16:56 Mais si on ne pense pas qu'à la santé,
00:16:58 moi je dis les plus fragiles le plus souvent, ce sont les plus jeunes.
00:17:01 Il n'y a rien de plus fragile qu'un nouveau-né.
00:17:03 Il n'y a rien de plus fragile qu'un adolescent.
00:17:05 Il n'y a rien de plus fragile qu'un jeune.
00:17:08 Moi, j'ai 71 ans.
00:17:09 À part un problème de santé,
00:17:11 que voulez-vous qu'il m'arrive de vraiment grave ?
00:17:12 Ma vie, elle est faite.
00:17:14 Mes enfants, leur vie, elle est à faire.
00:17:16 Quel est le plus grand risque ?
00:17:18 Mourir jeune.
00:17:19 La mort prématurée, disait Camus.
00:17:20 Voilà, mourir jeune, je suis tranquille.
00:17:22 Voilà un risque vis-à-vis duquel je suis invulnérable.
00:17:25 Je sais très bien que jamais je ne mourrai jeune.
00:17:27 Mes enfants peuvent mourir jeunes.
00:17:29 Deuxième risque, le chômage.
00:17:31 Je suis à la retraite.
00:17:32 Pénard, invulnérable pour le risque du chômage.
00:17:35 Mes enfants ne sont pas invulnérables pour le chômage.
00:17:37 Troisième risque, le réchauffement climatique.
00:17:39 Dans 30 ans peut-être, la vie sur Terre sera difficile.
00:17:42 À la limite, je m'en fous.
00:17:43 Dans 30 ans, je serai mort.
00:17:44 Mes enfants, j'espère bien, seront vivants.
00:17:46 Et donc, protéger les plus fragiles.
00:17:48 Oui, bien sûr, je suis pour.
00:17:49 Et donc, il fallait protéger les vieux.
00:17:51 Du temps de la pandémie, ça va de soi.
00:17:53 Mais en règle générale, les plus fragiles,
00:17:55 ce sont les plus jeunes et ceux qui ont le plus à perdre.
00:17:57 Voilà, moi, je dis, ma priorité et des priorités,
00:18:00 c'est de protéger et les plus fragiles
00:18:02 et ceux qui ont le plus à perdre,
00:18:04 c'est-à-dire les jeunes en général
00:18:05 et les enfants en particulier.
00:18:08 C'est déjà un programme.
00:18:10 Oui, c'est un beau programme.
00:18:11 C'est un beau programme, ce qui n'empêche pas,
00:18:12 évidemment, de soigner les vieux, de se faire vacciner
00:18:15 et de respecter les gestes sanitaires quand c'est pertinent.
00:18:20 Il est quand même beaucoup question de la mort
00:18:22 dans tous ces textes entre lesquels on se met en vie.
00:18:24 Ça a l'air de vous, quand même, de vous travailler un peu en ce moment.
00:18:26 Oui, mais ça travaille tout le monde.
00:18:28 Parce qu'on n'aura pas tous le Covid.
00:18:30 Moi, je l'ai attrapé en le cas où c'est assez sévèrement.
00:18:32 On va tous mourir et il est bon d'y réfléchir,
00:18:35 pas pour se mortifier.
00:18:36 Vous savez, il y a une phrase d'André Gide
00:18:38 que j'ai souvent citée dans "Les nourritures terrestres",
00:18:40 admirable livre que nos jeunes gens ne lisent plus assez.
00:18:43 Gide écrit joliment,
00:18:45 "Une pas assez constante pensée de la mort
00:18:48 n'a donné pas assez de prix
00:18:50 aux plus petits instants de ta vie."
00:18:52 Parce que, explique Gide, nous pensions plus souvent
00:18:54 que nous allons mourir.
00:18:56 Nous vivrions mieux, nous vivrions plus intensément
00:18:58 parce que chaque instant serait d'autant plus brillant,
00:19:02 plus intense qu'il se détacherait,
00:19:04 comme dit encore André Gide,
00:19:05 sur le fond très obscur de la mort.
00:19:07 Autrement dit, il faut penser la mort pour vivre mieux.
00:19:10 Voilà, c'est ça l'objet, au fond, de ces impromptus.
00:19:14 Et on fait tout de suite une pause.
00:19:20 La Suède et la Finlande ont demandé leur adhésion à l'OTAN,
00:19:27 renonçant par la même occasion à une longue tradition
00:19:29 de neutralité, 70 ans pour la Finlande,
00:19:32 200 ans pour la Suède.
00:19:34 On est porté à penser qu'il s'agit d'une bonne nouvelle
00:19:37 puisqu'ils ont rejoint notre camp.
00:19:39 Ça nous fait donc deux alliés de plus.
00:19:42 Mais ce n'est pas votre avis, Cyril Brecht.
00:19:45 Je rappelle que vous êtes chercheur à l'Institut Jacques Delors
00:19:47 et que vous enseignez à Sciences Po.
00:19:49 Vous vous inquiétez de la disparition progressive en Europe
00:19:53 du concept de neutralité.
00:19:55 Et Sophie Agneau-Sattali, qui est enseignante chercheuse
00:19:58 en sciences politiques à l'Institut catholique de Paris,
00:20:02 spécialisée dans les questions de neutralité
00:20:05 et de politique de sécurité.
00:20:08 Je vais lui poser la même question après.
00:20:10 Mais d'abord, Cyril, pourquoi vous inquiétez-vous ?
00:20:15 Tout se passe maintenant comme si être neutre,
00:20:17 c'était soit être hypocrite, soit être naïf,
00:20:21 soit même être lâche.
00:20:22 C'est-à-dire que dans l'urgence extrême où se trouve l'Ukraine,
00:20:27 qui a été une urgence vitale l'année dernière
00:20:31 et qui est encore menacée très profondément
00:20:34 dans son identité, dans son territoire,
00:20:37 tout se passe comme si on était obligé de prendre parti
00:20:39 pour ou contre,
00:20:41 quelle que soit la donne géopolitique dans son propre pays,
00:20:45 quelle que soit la tradition politique dans laquelle on se situe
00:20:48 et quelles que soient également les aspirations
00:20:51 et les intérêts nationaux des diplomaties en question.
00:20:55 Or, l'Europe n'est pas du tout composée uniquement
00:20:58 de grandes France ou de grands Royaumes-Unis qui peuvent,
00:21:01 qui ont au fil des siècles, développé des politiques de puissance,
00:21:06 ont participé à des coalitions, créé des coalitions,
00:21:10 engagé un rapport de force militaire.
00:21:12 La neutralité n'est pas à la portée de,
00:21:15 pardon, les politiques de puissance ne sont pas à la portée de tous les États.
00:21:18 Et ce qu'on perd avec la neutralité,
00:21:21 c'est évidemment ces zones tampons, ces zones médianes,
00:21:25 les artisans d'arbitrage, de compromis.
00:21:30 Évidemment, évidemment, la neutralité n'est pas acceptable
00:21:36 pour ceux qui ont, depuis le début, été des soutiens de l'Ukraine,
00:21:41 mais de deux parts, l'Europe est en train de se constituer en bloc monolithique
00:21:49 où chacun des États, et ils sont nombreux,
00:21:52 est sommé de rejoindre ce bloc, de contribuer à l'effort de guerre,
00:21:57 de contribuer à l'effort de guerre de la même façon
00:22:00 que les plus importants soutiens de l'Ukraine.
00:22:04 Et donc, en fait, on passe d'une Europe qui était géopolitiquement en miettes,
00:22:09 pulvérisée, à une Europe en bloc qui prépare ainsi une confrontation irrémédiable,
00:22:15 sans solution, sans intermédiaire, sans médiation possible pour des années et des années.
00:22:22 Et en fait, la disparition de la neutralité,
00:22:25 c'est tout simplement le projet géopolitique de la Fédération de Russie,
00:22:31 inscrite au fondement même des différentes stratégies nationales de sécurité de la Russie
00:22:36 depuis deux décennies, depuis les présidences Poutine,
00:22:39 et cette notion d'étranger proche, cette notion d'air naturel d'influence.
00:22:44 - Zone d'influence.
00:22:45 - Zone d'influence naturelle, comme si être une puissance,
00:22:49 c'était nécessairement avoir être un pôle qui met au pas ses voisins,
00:22:55 les privant ainsi de toute autonomie, de toute singularité
00:22:59 dans la définition de leur politique étrangère.
00:23:01 Donc, ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle.
00:23:04 En tout cas, qui sommes-nous, nous, Français, pour dire à la Finlande
00:23:08 que le destin national de ce pays de faire ci, etc.
00:23:11 Mon papier, ma réflexion procède du fait que c'est une des manifestations supplémentaires
00:23:18 du fait que la radicalisation des positions en présence devient irrémédiable
00:23:23 et que le retour en arrière ou des voies médianes deviennent de plus en plus impossibles.
00:23:30 Et ça, c'est particulièrement préoccupant
00:23:33 dans la mesure où, bien entendu, la politique extérieure de la Russie
00:23:38 fait l'objet d'une condamnation bien légitime de la part de l'Europe.
00:23:41 Mais on ne peut pas agir non plus comme si tous les pays étaient placés vis-à-vis de la Russie
00:23:46 dans la même situation et comme si la Russie, par cette politique de sanction,
00:23:51 allait disparaître.
00:23:51 Ça va rester notre voisin de palier.
00:23:54 Il va falloir trouver un Moïse vivain, dit.
00:23:56 C'est la disparition de la neutralité.
00:23:58 C'est un des instruments de médiation qui disparaît dans cette confrontation,
00:24:02 qui devient continentale.
00:24:03 – Alors voilà, une idée assez originale.
00:24:05 Vous êtes le seul en France à l'avoir.
00:24:07 J'imagine qu'en Suisse, on réfléchit plus à la neutralité qu'en France.
00:24:12 On en discute juste après le rappel des titres.
00:24:15 Isabelle Piboulot.
00:24:16 [Musique]
00:24:19 – Emmanuel Macron recevra demain à la mi-journée
00:24:22 Élisabeth Borne et les principaux cadres de sa majorité.
00:24:25 La Première ministre leur présentera la feuille de route des consultations
00:24:28 qu'elle compte mener, répondant ainsi à la demande du président
00:24:32 qui lui a confié le mandat d'élargir la majorité.
00:24:35 Une réunion à la veille de la dixième journée de mobilisation nationale
00:24:39 contre la réforme des retraites.
00:24:41 Et justement, en Ile-de-France, le trafic sera très perturbé mardi sur le réseau RER,
00:24:47 avec en moyenne un train sur deux sur les lignes A et B.
00:24:51 Dans le métro parisien, les fréquences de passage seront réduites
00:24:54 sur la plupart des lignes, mais aucune fermeture de station n'est prévue.
00:24:58 Du côté de la SNCF, les prévisions de circulation
00:25:01 seront connues demain.
00:25:03 Dans le reste de l'actualité, l'Union européenne menace le Belarus
00:25:07 de nouvelles sanctions si des armes nucléaires russes
00:25:09 sont déployées sur son territoire.
00:25:12 Le chef de la diplomatie européenne avertit,
00:25:14 cela constituerait une escalade irresponsable et une menace pour la sécurité.
00:25:19 Mais le Belarus peut encore arrêter cela.
00:25:22 De son côté, l'Ukraine réclame une réunion de l'ONU
00:25:25 pour mettre fin au chantage nucléaire de la Russie.
00:25:28 - Sophie Agnès Attali, vous êtes chercheuse sur le concept de neutralité,
00:25:38 sur les politiques de sécurité.
00:25:39 Ce qu'on vit là avec la demande d'adhésion de la Finlande et de la Suède,
00:25:43 c'est une rupture historique pour vous ?
00:25:46 - Pas tout à fait, selon moi, parce qu'en réalité,
00:25:50 il y avait déjà eu un tournant dans l'après-guerre froide.
00:25:55 La Suède, comme vous l'avez rappelé,
00:25:59 avait une politique de neutralité depuis le début du 19e siècle.
00:26:04 Et en réalité, à partir de la fin de la guerre froide,
00:26:07 elle a progressivement allégé sa politique de neutralité,
00:26:12 tout d'abord par l'entrée dans l'Union européenne,
00:26:17 mais surtout le partenariat pour la paix avec l'OTAN,
00:26:21 conclu avec l'OTAN en 1994.
00:26:24 Et donc, à partir de ce moment-là, la Suède,
00:26:28 à partir de ce milieu des années 90,
00:26:32 la Suède a travaillé à toujours approfondir
00:26:35 sa coopération sécuritaire régionale.
00:26:39 Et il en est de même de la Finlande, qui depuis la même période,
00:26:43 a essayé de trouver finalement dans la coopération sécuritaire
00:26:49 au sein de l'Union européenne et avec l'OTAN,
00:26:52 en partenariat avec l'OTAN,
00:26:54 un complément à sa politique de sécurité.
00:26:57 De sorte qu'en réalité, la Finlande et la Suède
00:27:00 avaient progressivement abandonné eux-mêmes
00:27:03 la référence à la neutralité.
00:27:06 La Finlande a cessé de s'y référer vraiment dans son vocabulaire
00:27:12 à la fin des années 90, au début des années 2000.
00:27:15 Quant à la Suède, quand elle l'utilisait,
00:27:17 elle l'utilisait au passé.
00:27:18 La neutralité est quelque chose qui nous a été utile.
00:27:22 Et c'est un terme qui, au fur et à mesure, avait disparu,
00:27:25 a refait un petit peu son apparition.
00:27:30 Après, à partir de 2015-2016, on l'a revu dans le discours
00:27:37 comme quelque chose qui a été un rempart utile
00:27:40 contre une attaque et qui a protégé finalement la Suède.
00:27:43 Mais en réalité, le tournant, il était déjà là
00:27:46 et il s'est approfondi après 2014.
00:27:50 Ce sont des pays qui, en 2014, la Finlande et la Suède,
00:27:54 ont noué un partenariat encore plus étroit avec l'OTAN
00:27:59 de sorte qu'il ne leur manque plus que de participer aux décisions.
00:28:05 Alors justement, vous avez dit, la Suède disait "ça nous a protégés".
00:28:09 La neutralité, c'est quelque chose qui protège
00:28:13 ou au contraire qui rend vulnérable ?
00:28:14 C'est ça la question que pose l'invasion de l'Ukraine.
00:28:18 C'est exactement ça.
00:28:20 Avant l'invasion de l'Ukraine, jusque-là,
00:28:23 y compris dans cette période intermédiaire
00:28:24 que vous soulignez, madame Enos Atali,
00:28:27 la neutralité, c'était une garantie.
00:28:28 Ça avait fait ses preuves.
00:28:30 Confédération helvétique, 1815, neutralité perpétuelle,
00:28:34 aucune invasion.
00:28:35 Personne ne vous envahit ?
00:28:36 1955, Autriche, neutralité perpétuelle.
00:28:40 L'Autriche échappe au sort de l'Allemagne fédérale,
00:28:43 n'est pas partitionnée.
00:28:44 Ça lui est imposé, comme dans, bien sûr, tous les cas.
00:28:47 Et puis, avec le cas, l'invasion de l'Ukraine,
00:28:51 et ça aurait dû être le cas déjà en 2008,
00:28:53 avec l'invasion de la Géorgie par la Russie,
00:28:57 eh bien, c'est la neutralité qui apparaît
00:28:59 comme la vulnérabilité.
00:29:00 C'est la neutralité qui n'est plus une garantie internationale,
00:29:04 même si elle reçoit la sanction d'un traité international,
00:29:07 même si elle reçoit la sanction d'un texte constitutionnel,
00:29:10 comme c'est le cas pour les pays dont on vient de parler,
00:29:12 mais aussi de la Moldavie,
00:29:14 de sorte que les pays qui ont une tradition de neutralité
00:29:21 n'accordent eux-mêmes plus crédit à cette posture stratégique.
00:29:27 Ce que vous voulez dire, c'est que si l'Ukraine et la Géorgie
00:29:30 avaient été neutres, ils n'auraient peut-être pas été envahis.
00:29:33 En fait, on ne peut plus refaire, évidemment, la chose,
00:29:36 mais ce que Kissinger ou Védrine avaient déjà posé sur le tapis
00:29:42 avant même l'annexion illégale de la Crimée,
00:29:45 c'était de prendre au mot la stratégie russe et dire,
00:29:50 très bien, vous voulez des garanties de sécurité,
00:29:52 on va vous priver du prétexte que vous cherchez.
00:29:54 On vous garantit que ni l'Ukraine, ni la Géorgie n'entrent
00:29:59 sous l'ombrelle de la garantie automatique de l'article 5
00:30:02 du traité de l'Atlantique Nord.
00:30:04 Donc, jamais, jamais, vous ne pourrez les considérer
00:30:08 comme des menaces pour votre sécurité.
00:30:10 Je ne vous dis pas que ça empêcherait l'invasion,
00:30:13 mais ça prive l'invasion d'un de ses prétextes les plus importants.
00:30:18 Et pour en revenir à votre question, c'est en fait
00:30:20 le changement de paradigme complet sur la neutralité
00:30:24 qui est en train de se faire.
00:30:26 Et avec ces deux grands neutres qui ont une empreinte,
00:30:29 un rayonnement diplomatique extrêmement important
00:30:31 depuis des décennies, du fait même de leur neutralité,
00:30:34 il y a peut-être un effet domino qui va se provoquer
00:30:38 pour d'autres neutres qu'on n'a pas encore évoqués.
00:30:40 La Moldavie.
00:30:41 La Moldavie, évidemment.
00:30:43 L'Irlande, qui n'a pas une neutralité de même type 1,
00:30:46 qui est plutôt une politique de neutralité,
00:30:49 et puis va se poser évidemment la question pour un État
00:30:52 qui est à la fois candidat à l'Union européenne
00:30:55 et qui, historiquement, ne peut pas être candidat
00:30:57 à l'adhésion à l'OTAN, la Serbie.
00:31:00 Et donc, c'est avec ces deux grands neutres
00:31:02 et le destin des neutralités de ces deux grands neutres
00:31:05 va se jouer le sort de beaucoup plus d'États
00:31:09 que simplement ceux de la zone baltique.
00:31:11 – Sophie Nios-Sateli ?
00:31:12 – Oui, alors peut-être, j'aimerais réagir sur deux points.
00:31:17 Le premier, c'est rappeler qu'un État neutre doit,
00:31:20 pour être crédible, être capable de se défendre.
00:31:22 Et donc, avoir vraiment une armée efficace,
00:31:26 un équipement, l'équipement qui va avec.
00:31:29 – C'est ce que fait la Suisse depuis toujours.
00:31:31 – Alors la Suisse de moins en moins quand même.
00:31:33 – Comment pas, il y a eu un service militaire.
00:31:35 – Oui, tout à fait.
00:31:36 – Des abris, une armée.
00:31:37 – Mais la Suisse se consacre moins de 1% de son PIB à sa défense.
00:31:42 Et en fait, la Suède consacre 1,3% de son PIB à sa défense.
00:31:48 Et elle a fait l'objet d'intimidation assez sérieuse de la part de la Russie.
00:31:54 Et elle a vu concrètement qu'elle n'était pas en mesure
00:31:57 de défendre son territoire.
00:31:59 La Finlande a certes, n'a jamais abandonné sa défense territoriale
00:32:04 et a toujours maintenu un niveau de défense plus élevé
00:32:08 que les autres, que ses comparses neutres.
00:32:11 Il n'en reste pas moins qu'elles se sentent fragiles.
00:32:15 Le second point à rappeler, c'est qu'en 2010,
00:32:19 l'Ukraine avait adopté une posture de non-alignement.
00:32:23 Disons, finalement, nous n'entrerons pas dans l'OTAN.
00:32:26 Elle l'a abandonnée quand ?
00:32:27 Elle l'a abandonnée en décembre 2014.
00:32:30 C'est-à-dire, finalement, après l'invasion de la Crimée.
00:32:34 Puisque vous annexez la Crimée, dans ces cas-là,
00:32:37 nous ne nous sentons plus en sécurité.
00:32:41 Donc, nous renonçons à notre posture de non-aligné,
00:32:45 c'est-à-dire de non-appartenance à une alliance militaire.
00:32:48 C'est vrai qu'il y a des nuances dans la neutralité.
00:32:50 Il y a les pays neutres, il y a les non-alignés,
00:32:53 il y a les États tampons, il y a les États médiateurs.
00:32:56 Vous l'avez dit, y compris la France d'ailleurs.
00:32:58 La France, pendant la guerre froide, était à la fois alliée
00:33:00 avec les pays de l'OTAN, mais avait quand même
00:33:03 une posture un peu différente des autres.
00:33:06 Là, on a l'impression que dès l'instant où on enlève
00:33:09 toutes ces nuances, on ne va plus voir qu'une tête.
00:33:12 Ah, c'est bien le mouvement qui m'inquiète.
00:33:15 La neutralité, vous avez raison, ce n'est absolument pas binaire.
00:33:18 Il y a toute une palette de neutralité,
00:33:21 avec une neutralité qu'on pourrait considérer
00:33:23 comme chimiquement la plus pure,
00:33:24 qui est celle de la Confédération helvétique,
00:33:27 neutralité perpétuelle, traitement égal et identique
00:33:32 de tous les États, non-participation
00:33:35 à une alliance militaire.
00:33:36 Mais vous avez tout un dégradé qui va jusqu'à une neutralité
00:33:39 qui n'est que de type, de définition d'une politique étrangère,
00:33:43 donc réversible sans modification, soit de traité,
00:33:45 soit de constitution, soit même de loi,
00:33:48 et qui est notamment celle de l'Irlande,
00:33:50 qui complète en plus cette particularité de la neutralité,
00:33:54 où les forces armées irlandaises sont extrêmement réduites,
00:33:59 alors même que nos deux grands neutres nordiques,
00:34:02 eux, avaient toujours entretenu des armées
00:34:06 à un certain niveau opérationnel et capacitaire.
00:34:10 Ce qui fait qu'en Europe, les différentes traditions
00:34:14 de la neutralité ne sont pas seulement des traditions stratégiques,
00:34:19 non pas seulement une portée dans l'extraversion
00:34:22 ou dans la politique étrangère.
00:34:23 Ça a également un rôle dans la définition
00:34:25 de l'identité nationale.
00:34:28 Pour nos deux Nordiques, évidemment, c'est extrêmement important.
00:34:31 C'est même quasiment, c'était même,
00:34:34 c'était même, partie intégrante de l'identité nationale.
00:34:40 La neutralité et ses faux-semblants de l'Espagne franquiste
00:34:45 durant le deuxième conflit mondial
00:34:49 a également été absolument déterminant
00:34:52 pour la définition de ce que c'était
00:34:55 qu'être espagnol sous la dictature
00:34:57 après le deuxième conflit mondial.
00:34:59 Et donc, en fait, ce qui se pose dans la question
00:35:02 "renonçons-nous à la neutralité",
00:35:03 c'est un débat qui est beaucoup plus compliqué que binaire,
00:35:07 oui ou non.
00:35:09 Et c'est un débat qui met en jeu bien autre chose
00:35:12 qu'un dossier précis, aussi dramatique soit-il,
00:35:14 de politique étrangère,
00:35:16 mais qui met également en jeu la façon dont se définit
00:35:19 comme européen et comme engagé dans la politique européenne un pays.
00:35:25 André Consponville, le concept de neutralité,
00:35:28 c'est un concept intéressant, d'autant plus qu'on voit bien là
00:35:31 que plus on entend des bruits de bottes en Europe
00:35:34 et plus, effectivement, toute neutralité est considérée,
00:35:39 vous l'avez dit, comme de la lâcheté, de l'hypocrisie ou de la naïveté.
00:35:44 Oui, parce que la neutralité, c'est un concept négatif en quelque chose.
00:35:47 C'est ne pas faire la guerre.
00:35:49 Mais tout dépend de la guerre qu'on ne fait pas.
00:35:50 Si on prend l'exemple de la Suisse,
00:35:52 qui est celui que je connais le moins mal des pays que vous évoquez,
00:35:55 leur neutralité en 1914-1918, je dirais, est enviable,
00:36:00 peut-être même admirable.
00:36:01 C'est une guerre de nationalisme, mieux vaut ne pas la faire.
00:36:04 En 1939-1945, on sent bien que la neutralité de la Suisse
00:36:08 cesse d'être comme ça globalement enviable
00:36:11 et devient un peu problématique,
00:36:12 parce qu'être neutre entre Hitler et les Alliés,
00:36:15 ce n'est pas la même chose qu'être neutre entre deux nationalismes.
00:36:18 Et donc, moi, il me semble,
00:36:19 ce n'est pas du tout mon domaine de compétence,
00:36:21 mais un, que la neutralité, c'est un peu un luxe de petits pays.
00:36:24 Vous l'avez dit en substance,
00:36:27 c'est renoncer à une politique de puissance.
00:36:29 Mais les puissances ne peuvent pas, par définition, être neutres.
00:36:32 Deux, elle change un peu de statut quand les guerres deviennent idéologiques
00:36:37 face à un admire, dans le cadre du nazisme, c'était clair,
00:36:40 mais Poutine, c'est un peu la même chose.
00:36:42 Et donc, je comprends que les Suisses soient un peu moins à l'aise
00:36:47 avec leur neutralité, non pas qu'ils aient envie de faire la guerre à la Russie,
00:36:50 mais ne pas vouloir vendre d'armes à l'Ukraine
00:36:53 parce qu'ils veulent être neutres.
00:36:55 Je comprends qu'en Suisse, ça fasse débat,
00:36:58 parce qu'effectivement, la neutralité change de contenu,
00:37:02 au moins en partie, en fonction de la guerre qu'on ne fait pas.
00:37:06 – C'est exactement ce qui se dit en ce moment.
00:37:07 Alors, qu'est-ce que vous répondez à ça, Cyril Boët ?
00:37:10 – Précisément, à quel ?
00:37:11 – Là, l'idée qu'effectivement, ce que vient de dire André Conte-Sponville,
00:37:15 la neutralité, quand c'est le grand massacre débile de la Première Guerre mondiale,
00:37:22 on veut bien, mais dès l'instant où ça commence à être idéologique,
00:37:25 où là, c'est les choses sérieuses qui commencent,
00:37:26 là, on n'a plus le droit d'être neutre, grosso modo.
00:37:28 – Je rappellerai juste deux évidences.
00:37:30 Aucun État européen, hormis l'Ukraine, n'est en guerre avec la Russie.
00:37:35 Donc, qu'il soit neutre ou qu'il ne soit pas neutre,
00:37:37 les États européens ne sont pas belligérants, ce sont des États non belligérants,
00:37:42 et on aurait tort de considérer ça comme une fiction.
00:37:45 Les États européens n'engagent pas de soldats sur le front,
00:37:50 et je ne sais pas d'ailleurs, s'ils ont vocation à le faire.
00:37:54 Et la deuxième évidence que je rappellerai,
00:37:57 c'est que, encore une fois, en matière de défense nationale,
00:38:01 c'est la souveraineté qui s'applique.
00:38:03 Or, décider d'être neutre, décider d'être belligérant,
00:38:06 ou décider d'être non belligérant,
00:38:08 est une décision qui ne peut pas être imposée de l'extérieur.
00:38:12 C'est véritablement un destin national qui se définit.
00:38:16 Quand les Suisses, à la fois très légitimes, très utiles,
00:38:19 débattent des exportations de matériel de défense,
00:38:23 mais également dans d'autres pays,
00:38:25 ils ne font que s'approprier, en fait, la destinée de leur pays
00:38:29 dans cet échiquier européen qui est en recomposition.
00:38:33 Ce que je redoute, c'est qu'avec la constitution de blocs
00:38:35 parfaitement monolithiques et automatiques,
00:38:37 placés tous sous la clause d'assistance mutuelle automatique,
00:38:42 ce soit tout simplement la possibilité de ne pas participer
00:38:45 à un conflit armé qui disparaisse.
00:38:48 Une automatisité de la guerre me préoccupe au plus haut point
00:38:53 dans cette disparition graduelle, ou en tout cas dans cette
00:38:56 démonétisation et dans cette délégitimation de la neutralité.
00:39:01 – On pourrait vous rétorquer qu'au contraire, c'est très dissuasif.
00:39:04 C'est qu'à partir du moment où l'adversaire,
00:39:06 il se trouve que c'est la Russie, mais l'adversaire est convaincu
00:39:09 qu'il n'y aura qu'une tête et que tout le monde,
00:39:12 c'est un bloc monolithique et que tout le monde défendra tout le monde,
00:39:16 il hésite à attaquer.
00:39:18 – Oui, ça peut être également une prophétie autoréalisatrice.
00:39:21 Si tout le monde s'enroule dans la même coalition
00:39:26 qui est considérée, document stratégique après document stratégique,
00:39:31 comme le principal problème de sécurité nationale en Russie,
00:39:37 c'est évidemment un aliment supplémentaire à la conflictualité.
00:39:40 Pour le moment, le conflit est circonscrit, il a deux belligérons.
00:39:47 Et la disparition des neutralités et le mouvement général
00:39:52 qui s'esquisse dans le continent, c'est que ça va devenir
00:39:55 une guerre internationale, internationale, continentale.
00:40:00 Et je ne sais pas si les Européens sont prêts d'abord à s'engager,
00:40:05 à mourir en fait pour l'Ukraine et je ne sais pas non plus
00:40:10 s'il est dans l'intérêt même de la sécurité nationale de l'Ukraine
00:40:13 que leur cause ne soit plus qu'un défront d'un affrontement plus général
00:40:19 à l'échelle du continent, voire à l'échelle transatlantique.
00:40:22 – Mais on voit bien qu'il n'y a plus de nuance possible.
00:40:25 Emmanuel Macron a essayé au début du conflit de faire entendre une autre musique.
00:40:33 Et on voit bien qu'il n'a pas pu continuer, il a fallu qu'il se range lui aussi
00:40:38 dans le concert des nations occidentales.
00:40:41 – Toutes les nuances sont encore ouvertes.
00:40:43 Ce qui a raté, c'est les canaux de communication pour dissuader de l'offensive.
00:40:47 Manifestement, c'est le cas.
00:40:50 Mais toutes les nuances de positionnement s'expriment.
00:40:52 Et c'est d'ailleurs ce qui fait à la fois la force,
00:40:56 mais également la faiblesse de la politique de sanction de l'Union européenne,
00:40:59 c'est que c'est un instrument qui est non militaire,
00:41:01 c'est un instrument qui est négatif.
00:41:03 C'est le plus petit dénominateur commun sur lequel se sont mis les Européens
00:41:07 pour ne pas entrer en guerre tout en faisant pression sur la politique étrangère russe.
00:41:12 – André Consponville.
00:41:13 – Oui, aucun État européen n'est belligérant, et pourvu que ça dure,
00:41:17 je ne suis pas du tout, je n'appelle pas la guerre, mais très peu sont neutres.
00:41:21 Si on prend l'Europe, il y a une différence,
00:41:23 il ne s'agit pas d'être belligérant ou neutre.
00:41:27 L'Europe, la France en l'occurrence, qui n'est pas un pays neutre,
00:41:30 n'est pas un pays belligérant, et c'est très bien comme ça,
00:41:32 ça n'est pas non plus un pays neutre.
00:41:34 C'est pourquoi je disais que la neutralité, c'est un peu le privilège de petits pays
00:41:38 qui pour des raisons diverses peuvent se tenir au moins un temps à l'abri des conflits.
00:41:44 Le choix, ce n'est pas belligérance ou neutralité.
00:41:48 On peut être non-neutre et non-belligérant à la fois.
00:41:54 – Sophie Agneau, CETAILI.
00:41:55 – Oui, alors, vous dites que c'est un luxe, la neutralité pour les petits pays,
00:42:01 je pense que pour certains, c'est une nécessité,
00:42:03 compte tenu de la configuration des rapports de force.
00:42:07 Et donc finalement, c'est le choix que certains pays neutres ont fait,
00:42:12 compte tenu d'un contexte géopolitique, à un moment donné,
00:42:16 et parfois, comme ça a été rappelé, ça leur a été plus ou moins imposé.
00:42:22 Donc ce n'est pas toujours vécu comme un luxe.
00:42:27 Par ailleurs, la nuance, oui, elle existe.
00:42:29 C'est-à-dire que la Finlande et la Suède ont clairement renoncé
00:42:34 à toute posture de non-alliés, et donc envoient des armes à l'Ukraine.
00:42:40 Après, les autres pays neutres de l'Union européenne,
00:42:43 donc l'Irlande, l'Autriche, Malte aussi.
00:42:48 – La Moldavie ? – Oui, alors, je parle des États de l'Union européenne.
00:42:58 Ces trois États, finalement, ils appliquent les sanctions,
00:43:02 ils apportent une aide humanitaire, de l'aide de défense civile,
00:43:11 des matériels de protection, en fait, comme des casques, par exemple,
00:43:14 pour les soldats, et ils ont tous exprimé leur soutien politique à l'Ukraine.
00:43:22 Donc on est finalement dans une… oui, il y a une forme de nuance.
00:43:27 On n'est politiquement pas neutre, mais militairement,
00:43:30 on ne veut pas faire quoi que ce soit
00:43:33 qui puisse nous lier à un belligerrant sur le plan militaire.
00:43:36 – Mais justement, ce sont ces nuances qui barquent les pays neutres,
00:43:40 qui risquent de disparaître, d'après ce que dit Cyril Breil.
00:43:42 – Je ne sais pas si elles risquent tant que ça de disparaître,
00:43:44 parce qu'en Irlande, il y a, comme ça a été rappelé,
00:43:48 un attachement très fort de la population à la neutralité.
00:43:54 C'est une chose à laquelle les Irlandais s'identifient.
00:43:58 En Autriche, il n'y a pas non plus de velléité d'abandonner la neutralité,
00:44:06 pas plus qu'à Malte.
00:44:07 En Suisse, le débat est très ouvert, mais on sent bien quand même
00:44:12 que le droit, le fait est que la neutralité de la Confédération helvétique
00:44:16 est inscrite dans des textes, et que finalement,
00:44:20 la Suisse est tenue par le droit de la neutralité.
00:44:22 D'où d'ailleurs cette décision de ne pas interdire
00:44:27 l'exportation d'armes vers l'Ukraine.
00:44:30 Donc en réalité, je ne sais pas si le risque est si grand
00:44:36 d'une disparition de la neutralité.
00:44:39 Et puis, pour faire un peu de provocation, on peut dire finalement aussi
00:44:42 que les pays neutres de l'Union européenne ne le sont peut-être plus autant,
00:44:47 dans la mesure où, depuis le traité de Lisbonne,
00:44:50 il y a une clause de solidarité, une clause d'assistance mutuelle
00:44:54 qui lie entre les pays de l'Union européenne.
00:44:58 – Est-ce qu'elle implique une assistance militaire, cette clause ?
00:45:01 – Ah oui, elle peut évidemment inclure une assistance mutuelle,
00:45:05 mais sous une forme qui est évidemment moins contraignante
00:45:08 et moins massive que l'article 5 du traité de l'Atlantique.
00:45:12 Mais je pense que pour revenir à la question des nuances,
00:45:16 entre envoyer des instructeurs, envoyer des armements,
00:45:21 envoyer des soldats combattre, soutenir politiquement,
00:45:26 dénoncer la participation d'athlètes russes à la compétition, etc.
00:45:33 il se propose aux Européens, qu'ils soient neutres ou qu'ils ne soient pas neutres,
00:45:38 et qu'ils soient tous non-belligérants, toute une palette d'interventions
00:45:42 qui correspondent bien sûr à leurs données,
00:45:46 on n'agit pas vis-à-vis de la Russie de la même façon
00:45:49 quand on est le Portugal et quand on est la Finlande, évidemment,
00:45:53 qui correspondent à différentes traditions diplomatiques,
00:45:57 certaines plus portées sur la médiation, d'autres plus portées sur le combat.
00:46:01 Et on a bien vu la différence entre la position du Royaume-Uni
00:46:05 et la position de la France, qui ne sont évidemment neutres ni l'un ni l'autre.
00:46:09 L'homogénéisation, la sommation, l'impératif d'une solidarité sans faille,
00:46:17 sous la forme militaire, est une simplification
00:46:21 qui me semble porteuse d'un élan de guerre à l'échelle du continent.
00:46:26 Et c'est pour cette raison que j'espère que j'ai tort
00:46:29 sur la disparition des neutralités.
00:46:32 Mais quand on perd sur les six neutres que composent,
00:46:36 qui sont les plus connus en Europe, quand on perd les deux,
00:46:40 qui servent de modèle dans la conduite d'une politique internationale
00:46:44 à la fois exigeante, mais scrupuleusement neutre,
00:46:47 parce que le PPP, le partenariat pour la paix,
00:46:51 oui d'accord, c'est des opérations avec l'OTAN,
00:46:54 mais c'est tout sauf le plus important dans l'OTAN,
00:46:57 l'article 5, l'assistance automatique.
00:47:00 Attaquer la Finlande n'était plus attaquer tous les membres,
00:47:06 ça n'était donc pas attaquer non plus les Etats-Unis.
00:47:09 Et avec cette nuance, ce passage du partenariat pour la paix
00:47:12 à l'adhésion pleine et entière,
00:47:14 je considère que ça n'est pas du tout un changement cosmétique,
00:47:18 mais c'est véritablement une transformation de l'espace stratégique baltique
00:47:23 qui va passer d'une zone tampon intermédiaire
00:47:25 à une zone de conflictualité,
00:47:27 qui sera traité comme tel par la partie adverse.
00:47:31 Mais la Finlande a déjà été envahie autrefois par la Russie.
00:47:35 C'est pour ça qu'elle est devenue neutre.
00:47:36 C'est pour ça qu'elle est devenue neutre,
00:47:37 et que là, peut-être parce qu'elle craint de l'être de nouveau,
00:47:41 elle veut de nouveau cesser d'être neutre.
00:47:43 Exactement.
00:47:44 Et tous ceux qui sont férocement anti-russes aujourd'hui
00:47:49 vous diront que c'est une très bonne nouvelle
00:47:50 et la Finlande a tout à fait raison de nous rejoindre.
00:47:53 C'est la meilleure garantie qu'on puisse lui donner,
00:47:54 c'est qu'on la défendra si elle est attaquée.
00:47:57 C'est ça la question.
00:47:58 Et on en revient à la question que vous posiez,
00:48:00 est-ce que les positions intermédiaires,
00:48:02 est-ce que les positions nuancées,
00:48:03 est-ce que les positions de médiation
00:48:05 sont des positions qui accroissent la vulnérabilité de l'Ukraine,
00:48:08 ou est-ce qu'elle, au contraire,
00:48:10 est une meilleure garantie de l'issue du conflit pour l'Ukraine elle-même ?
00:48:16 Sophie Niossa-Latteli.
00:48:17 Oui, en fait, c'est vrai que pendant longtemps,
00:48:20 on a vu la Finlande et la Suède comme une zone tampon.
00:48:23 Mais dans le contexte de la guerre en Ukraine,
00:48:26 il me semble qu'on a plutôt eu le sentiment
00:48:29 que là, ces pays constituaient plutôt un vide stratégique,
00:48:32 et qu'il fallait combler ce vide,
00:48:34 et que finalement, l'entrée dans la Finlande et la Suède,
00:48:37 on verra si c'est le cas,
00:48:38 mais renforcerait la protection de tout l'espace baltique au sein de l'OTAN.
00:48:45 Donc, cette notion de zone tampon a perdu de sa validité,
00:48:50 ou de sa validité aux yeux de l'OTAN, qui effectivement,
00:48:56 et même...
00:48:57 Aux yeux de l'OTAN, vous l'avez bien dit.
00:48:58 Oui, aux yeux de l'OTAN.
00:48:59 Mais...
00:49:00 Qui était un peu, excusez-moi...
00:49:01 Oui, simplement rappeler aussi que côté finlandais,
00:49:05 quand même, la neutralité n'a jamais été vécue de la même manière qu'en Suède.
00:49:09 C'est-à-dire que la neutralité pour la Finlande
00:49:13 était purement et strictement instrumentale.
00:49:15 C'était vraiment une posture adoptée par rapport à...
00:49:20 Alors, envisagée par rapport à la Russie dès l'indépendance
00:49:22 et puis adoptée par rapport à l'Union soviétique,
00:49:24 finalement, dans le contexte de la guerre froide.
00:49:27 Et finalement, je pense que le fil conducteur de la politique de sécurité de la Finlande,
00:49:33 c'est ce qui se passe chez sa voisine.
00:49:36 C'est plus ça que la neutralité.
00:49:39 Alors que la neutralité a probablement été, jusqu'à une période très récente,
00:49:43 le fil conducteur de la politique de sécurité de la Suède.
00:49:45 Une assurance vie.
00:49:46 Une assurance vie dans tous les cas.
00:49:48 Et vous avez bien raison de le souligner.
00:49:51 Elle est toujours imposée.
00:49:53 Toujours imposée. Jamais choisie.
00:49:55 Et c'est pour cette raison que c'est un équilibre très précaire.
00:49:58 Et qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui,
00:50:00 la neutralité cesse d'être une assurance vie dans tous les cas et pour tout le monde ?
00:50:06 C'est la seule question que je soulevais avec la thèse paradoxale que je vous ai posée.
00:50:10 C'est une question à laquelle on réfléchira.
00:50:13 On va changer de sujet.
00:50:16 On va bientôt s'intéresser au syndicat.
00:50:18 Mais puisqu'il nous reste quelques minutes, André Consponville,
00:50:21 je voulais vous parler de la dernière lettre que vous publiez dans votre livre,
00:50:25 celle qui concerne votre mère.
00:50:28 J'ai l'impression que celle-là, elle est spéciale pour vous.
00:50:30 Oui, elle est très spéciale parce que ce n'est plus un texte de philosophie.
00:50:34 C'est un récit, finalement.
00:50:36 Je l'ai écrit parce que j'ai été invité à une émission de télévision sur une autre chaîne.
00:50:40 Le journaliste m'interrogeait sur mon enfance.
00:50:43 J'ai répondu aux questions.
00:50:44 J'ai donc parlé de ma mère, de mon père.
00:50:48 Et à ma grande surprise, j'ai reçu beaucoup de l'aide de lecteurs et plus souvent de lectrices
00:50:51 qui me demandaient après l'émission, mais dans quel livre avez-vous parlé de ça ?
00:50:55 Et je répondais, dans aucun livre, je ne l'ai jamais écrit.
00:50:57 Et plusieurs m'ont répondu, alors écrivez-le.
00:51:00 Et ça m'a paru une espèce de défi intéressant.
00:51:04 Pourquoi ?
00:51:05 Parce que moi, au fond, ma mère était à la fois dépressive et malheureuse.
00:51:10 Ce n'est pas la même chose, mais elles étaient les deux,
00:51:12 parfois simultanément, parfois successivement.
00:51:15 Et donc moi, j'ai grandi, j'ai appris à vivre et à aimer dans le malheur de ma mère.
00:51:21 Et donc dans l'opposition à mon père,
00:51:22 puisque j'endamne mon père en partie injustement responsable du malheur de ma mère.
00:51:28 D'où une espèce de poids de gravité, de mélancolie qui est en moi.
00:51:33 Mais qui plus est, ma mère, toute dépressive qu'elle fut,
00:51:36 avait bien sûr, comme tout le monde, des moments de gaieté, de bonne humeur,
00:51:39 de bonheur au moins apparent.
00:51:41 Sauf que ces moments de gaieté, ça sonnait faux.
00:51:44 On sentait qu'il y avait une part de théâtre, de cinéma.
00:51:48 Alors qu'à l'inverse, ces moments de tristesse,
00:51:50 quand elle me pleurait dans les bras, ça sonnait tragiquement vrai.
00:51:54 Et donc j'en avais tiré dans ma petite tête d'enfant ou d'adolescent
00:51:57 l'idée que la joie était du côté de l'illusion, du semblant.
00:52:02 Et qu'à l'inverse, la vérité était du côté de la tristesse.
00:52:05 Et donc en un sens, j'étais mal parti.
00:52:07 Et heureusement que j'ai fait de la philosophie pour découvrir en gros l'inverse.
00:52:11 À savoir que c'est l'illusion qui rend malheureux,
00:52:14 parce que toute illusion amène à la désillusion,
00:52:17 on ne se tue que par déception.
00:52:18 C'est la phrase de Cioran que vous évoquez au départ.
00:52:21 C'est l'illusion qui rend malheureux.
00:52:24 Et c'est la vérité qui permet parfois d'être joyeux,
00:52:28 en tout cas de prendre sa vie à bras le corps.
00:52:31 Et j'avais reçu, après mes premiers livres, j'essayais d'expliquer ça finalement.
00:52:36 Et donc de guérir du malheur de ma mère.
00:52:38 L'une des premières lettres de lecteur que j'ai reçues en 1984,
00:52:42 pour mon premier livre, à l'époque j'en recevais très peu,
00:52:44 m'était écrite par un psychanalyste que je ne connaissais pas,
00:52:47 mais qui m'écrivait qu'il était d'accord avec ma critique de l'illusion,
00:52:51 de l'espoir que j'avais entreprise, parce que me disait-il,
00:52:54 en tant que psychanalyste, je constate tous les jours
00:52:57 que l'espérance est la principale cause de suicide.
00:53:01 On ne se tue que par déception.
00:53:04 Et bien deux ans plus tard, quand ma mère s'est suicidée,
00:53:06 je me suis dit, voilà, ce psychanalyste avait raison.
00:53:09 Maman s'est tuée par déception.
00:53:11 Elle s'est tuée parce que depuis des décennies,
00:53:13 la vie ne correspondait pas aux espoirs qu'elle s'en était fait.
00:53:17 Mais sauf que la vie ne correspond jamais aux espoirs qu'on s'en est fait.
00:53:20 S'il y a quelque chose qu'on a compris avec le temps, c'est bien ça.
00:53:24 Sauf que l'erreur de beaucoup de gens, et celle de ma mère,
00:53:27 c'est quand la vie ne correspond pas à leurs espoirs,
00:53:29 d'en conclure que c'est la vie qui a tort.
00:53:32 Mais qu'est-ce que ça peut vouloir dire que la vie a tort la vie ?
00:53:34 Elle fait ce qu'elle peut.
00:53:35 Mon idée, c'est à l'inverse.
00:53:37 Quand la vie ne correspond pas à nos espoirs,
00:53:39 ça ne veut pas dire que la vie a tort.
00:53:40 Ça veut dire que nos espoirs sont dès le départ vains, mensongers, illusoires.
00:53:44 Et donc, il s'agit d'espérer un peu moins
00:53:47 pour connaître, agir et aimer un peu plus.
00:53:52 – Je veux remercier Cyril Brett qui va nous quitter.
00:53:55 Vous avez un train à prendre.
00:53:57 Et c'est d'abord le rappel des titres, Isabelle Piboulot.
00:54:01 Et ensuite, on va s'intéresser à l'action des syndicats.
00:54:04 Emmanuel Macron l'a dit, c'est la photo syndicat.
00:54:06 On va voir.
00:54:08 [Musique]
00:54:11 – Elisabeth Borne souhaite l'apaisement avec les syndicats.
00:54:14 La chef du gouvernement reste à leur disposition
00:54:16 pour les rencontrer sur d'autres chantiers que celui des retraites.
00:54:20 Dans un entretien à l'AFP, elle déclare par ailleurs
00:54:23 ne plus vouloir recourir au 49-3 en dehors des textes budgétaires.
00:54:28 Enfin, la première ministre a annoncé recevoir les groupes parlementaires
00:54:32 et partis d'opposition la semaine du 3 avril.
00:54:36 La fin du ticket de caisse papier est de nouveau repoussée.
00:54:39 Une mesure qui découle de la loi anti-gaspillage
00:54:42 initialement prévue le 1er janvier.
00:54:44 Elle avait été décalée au 1er avril.
00:54:47 Une nouvelle date doit être annoncée en début de semaine par le gouvernement.
00:54:50 La ministre déléguée au commerce défend que le ticket de caisse
00:54:54 reste un repère pour beaucoup de Français en cette période d'inflation.
00:54:59 Et puis aux Etats-Unis, l'aide afflue dans le Mississippi
00:55:02 après le passage dévastateur de tornades vendredi.
00:55:06 Le bilan des victimes est de moins 25 morts et des dizaines de blessés.
00:55:10 Les dégâts s'étendent à perte de vue.
00:55:12 Joe Biden a ordonné le déploiement de l'aide fédérale,
00:55:15 utile notamment pour des logements provisoires,
00:55:18 alors que de nouvelles intempéries sont attendues dans la soirée.
00:55:22 Les visiteurs du soir, c'est jusqu'à minuit.
00:55:28 Le philosophe André Contesponville, qui vient de publier La clé des champs,
00:55:32 nous a accompagné toute la soirée, ainsi que Sophie Egno-Sattali,
00:55:35 qui est enseignante chercheuse en sciences politiques à l'Institut catholique.
00:55:39 L'historien Edmond Diem-Bofsky, l'auteur de La main cachée,
00:55:44 nous expliquera pourquoi c'est sous la Révolution française
00:55:47 qu'est né le complotisme tel que nous le connaissons aujourd'hui.
00:55:49 Ça sera tout à l'heure. Mais d'abord, on va s'intéresser à l'action des syndicats.
00:55:54 Pour Emmanuel Macron, si la mobilisation contre la réforme des retraites
00:55:57 ne faiblit pas avec son cortège de grèves, de manifestations
00:56:01 et les violences qui en découlent, c'est la fausse au syndicat.
00:56:04 Alors regardons d'un peu plus près en quoi consistent les méthodes employées par les syndicats.
00:56:09 Stéphane Sirot, vous êtes historien du syndicalisme et des grèves en France.
00:56:15 On vous doit notamment La grève en France, une histoire sociale chez Odi Jacob
00:56:19 et le syndicalisme, la politique et les grèves aux éditions de l'Arbre bleu.
00:56:24 Nicolas Lecossin, vous êtes le directeur de l'IREF,
00:56:27 l'Institut de Recherche économique et fiscale.
00:56:29 Et dans votre dernier livre, Les donneurs de leçons aux éditions du Rocher,
00:56:33 vous rangez le syndicaliste parmi les donneurs de leçons au même rang
00:56:37 que le journaliste ou le président de la République, Emmanuel Macron.
00:56:40 Alors première question, Stéphane Sirot, est-ce que les manifestations ont changé ?
00:56:45 Je parle à l'historien là.
00:56:47 Alors je dirais que la place des manifestations dans l'action syndicale a évolué.
00:56:51 Longtemps, le syndicalisme privilégiait la pratique gréviste,
00:56:56 la manifestation accompagnait régulièrement les grèves,
00:57:00 mais on privilégiait d'abord le rapport de force via les grèves
00:57:03 et notamment ce qu'on appelle aujourd'hui les grèves reconductibles,
00:57:06 dont on voit qu'elles fonctionnent moins qu'elles ont pu fonctionner à une époque.
00:57:10 Aujourd'hui, au travers de cette pratique qui s'est installée,
00:57:13 en tout cas dans les mouvements sociaux nationaux, de la journée d'action,
00:57:16 c'est-à-dire ces arrêts de travail et ces manifestations de 24 heures
00:57:20 à intervalles plus ou moins rapprochés,
00:57:22 on voit bien que la manifestation a pris une ampleur
00:57:25 beaucoup plus importante qu'auparavant.
00:57:26 Je dirais que d'une certaine manière, on est un peu passé, si je veux schématiser,
00:57:30 de manière un peu caricaturale,
00:57:32 de la grève qui était accompagnée de la manifestation
00:57:35 à aujourd'hui la manifestation qui est accompagnée par la grève,
00:57:39 avec, je pense, au travers de cette pratique,
00:57:42 une place croissante qui est donnée aussi au levier de l'opinion publique.
00:57:46 On voit bien que les organisations syndicales,
00:57:48 et pour moi c'est particulièrement vrai depuis une trentaine d'années,
00:57:51 depuis le milieu des années 90,
00:57:53 notamment le mouvement de novembre-décembre 95,
00:57:56 qui avait déjà comme sujet la question des retraites.
00:57:57 Contre le plan Juppé à l'époque ?
00:57:58 Contre le plan Juppé et également contre une réforme des régimes spéciaux de retraite
00:58:03 et un allongement de la durée de cotisation des fonctionnaires.
00:58:06 On a vu que le rapport à l'opinion publique était devenu un enjeu crucial,
00:58:11 crucial pour le pouvoir politique bien sûr,
00:58:14 mais crucial aussi pour les organisations syndicales.
00:58:16 Et aujourd'hui c'est un fait,
00:58:19 dans la manière dont l'intersyndicale gère ce mouvement,
00:58:22 la place accordée à l'opinion publique, on le voit bien,
00:58:25 elle est tout à fait essentielle, et y compris dans les modalités d'action.
00:58:28 Alors c'est sans doute plus vrai de la part de syndicats comme la CFDT,
00:58:31 qui, je dirais, développe un syndicalisme qui se veut davantage de partenariats sociaux,
00:58:36 qui cherche à être moins prégnante dans le rapport de force,
00:58:39 que la CGT qui, elle, fait du rapport de force le centre de ces modalités d'action.
00:58:44 Mais justement ces modalités d'action qui sont choisies par l'intersyndicale aujourd'hui
00:58:48 consistent à rechercher le moins possible de perturbations pour la vie quotidienne des Français.
00:58:53 Parce que chacun sait évidemment que le risque pris dans ces cas-là,
00:58:57 c'est de voir l'opinion publique éventuellement,
00:59:00 si ce n'est se retourner contre le mouvement syndical,
00:59:03 tout du moins effriter quelque peu le soutien qu'elle lui apporte.
00:59:06 Donc effectivement de ce point de vue-là, on voit qu'il y a eu des inflexions qui se sont produites.
00:59:10 De même la grève, la grève reconductible était un peu la tradition autrefois,
00:59:17 aujourd'hui c'est quasiment l'exception.
00:59:19 Mais en même temps ils y sont revenus, là, depuis le début du mois de mars.
00:59:23 Tout à coup les journées de débrayage, les journées d'action spectaculaires,
00:59:28 où on ne s'épuise pas dans la grève justement,
00:59:32 ont eu l'air de céder le pas à l'idée d'une grève reconductible,
00:59:35 d'autant plus que l'opinion publique la soutenait, cette grève reconductible.
00:59:39 60% des Français, d'après les sondages,
00:59:42 étaient favorables à l'idée qu'on puisse mettre le pays à l'arrêt.
00:59:45 Oui alors sauf qu'on voit bien aujourd'hui les organisations syndicales
00:59:48 dont la zone d'influence s'est réduite.
00:59:51 Les taux de syndicalisation aujourd'hui en France tournent autour de 10% au mieux,
00:59:56 alors qu'ils étaient il y a encore 30, 40, 50 ans entre 20 et 25%.
01:00:01 Donc ce qui veut dire que l'implantation des organisations syndicales,
01:00:04 s'est largement rétrécie et que les points forts qui lui restent
01:00:08 sont ceux qu'on voit aujourd'hui tenter en effet de s'engager dans des mouvements reconductibles,
01:00:13 le secteur des transports, celui des raffineries,
01:00:16 l'énergie également qui a été très active dans ce mouvement social.
01:00:20 Et je dirais que dans l'actuel mouvement,
01:00:22 on a vu en quelque sorte deux modalités d'action parallèles se développer,
01:00:26 celle portée par l'intersyndical qui appelle régulièrement à ces journées de 24 heures,
01:00:30 et puis parallèlement effectivement des tentatives de construction
01:00:35 de mouvements reconductibles avec un rapport de force de plus haut niveau,
01:00:39 qui a été tenté, alors avec plus ou moins de succès dans la durée,
01:00:43 par les secteurs que je viens d'évoquer.
01:00:46 Je dirais que plus globalement, quand on regarde y compris au niveau des entreprises
01:00:50 et des pratiques conflictuelles au sein des entreprises,
01:00:53 on voit la grève traditionnelle qui a plutôt tendance à se réduire,
01:00:56 quand je dis grève traditionnelle, c'est celle qui va durer plusieurs jours,
01:00:59 au profit de modalités d'action que je qualifierais de moins coûteuses,
01:01:02 notamment pour ceux qui les font, parce qu'évidemment la grève a un coût.
01:01:05 Celui qui arrête le travail, évidemment n'est pas payé puisqu'il arrête le travail.
01:01:09 Et donc on a moins de grèves de longue durée,
01:01:12 mais davantage de pratiques qui s'adaptent, à savoir par exemple les débrayages,
01:01:16 c'est-à-dire des arrêts de travail de quelques minutes ou de quelques heures,
01:01:19 des modalités d'action plus diversifiées en quelque sorte,
01:01:22 et beaucoup moins la tradition de la grève à l'ancienne.
01:01:24 – Et est-ce que c'est efficace, alors à la fois dans les entreprises,
01:01:28 et est-ce que c'est efficace face au pouvoir public, comme c'est souvent le cas ?
01:01:34 – Alors face au pouvoir public, on voit bien qu'il est difficile aujourd'hui
01:01:38 pour les organisations syndicales d'obtenir des résultats significatifs.
01:01:43 Quand on observe les mouvements sociaux depuis 30 ans, au fond…
01:01:47 – Depuis les grèves de 95 en fait.
01:01:48 – Depuis les grèves de 95, qui effectivement ont rencontré le succès,
01:01:53 en tout cas sur les régimes spéciaux.
01:01:55 En revanche, le plan Juppé lui, est passé d'ailleurs,
01:01:58 c'est pour ça que de mon point de vue, les grèves de 95 sont à demi victorieuses.
01:02:02 Le plan Juppé, il est aujourd'hui appliqué,
01:02:04 les agences régionales de santé par exemple en sont issues.
01:02:07 Mais en tous les cas, c'est quand même considéré comme une victoire syndicale.
01:02:10 Ensuite, on a eu au XXIème siècle toute une série de mouvements sociaux,
01:02:13 2003, 2010, 2016 la loi El Khomri, 2019-2020 la question des retraites encore une fois,
01:02:22 puis l'actuel mouvement.
01:02:23 Finalement sur tout ça, il n'y en a qu'un qui est parvenu à l'emporter,
01:02:28 c'est celui de 2006 sur le CPE, le contrat premier embauche,
01:02:31 que promouvaient Jacques Chirac et le gouvernement de Dominique de Villepin.
01:02:35 Sauf qu'en l'espèce, il s'agissait quand même avant tout
01:02:37 d'un mouvement développé par la jeunesse étudiante et lycéenne,
01:02:40 dont on sait qu'elle est entourée par les organisations syndicales unanimes,
01:02:45 qui ont appelé en soutien à ces lycéens et ces étudiants, à des journées d'action.
01:02:50 Mais c'était avant tout un mouvement de lycéens et d'étudiants.
01:02:52 Et on sait bien que cette catégorie de la société
01:02:55 est particulièrement redoutée par les pouvoirs politiques.
01:02:58 Et donc elle a obtenu satisfaction, y compris d'ailleurs après le vote
01:03:01 et même la promulgation de la loi.
01:03:04 – Le président de la République, Jacques Chirac, à l'époque, avait préféré la retirer
01:03:07 parce qu'il avait peur que les lycéens et les étudiants restent un peu trop longtemps dans la rue.
01:03:10 – Tout à fait, donc on voit bien qu'aujourd'hui, au plan national,
01:03:13 les pouvoirs politiques ont la tentation, au fond,
01:03:17 de laisser passer les mouvements, de jouer l'épuisement.
01:03:20 De jouer le pourrissement, comme dirait d'autres.
01:03:23 C'est un peu d'ailleurs le pari qu'a fait Emmanuel Macron, me semble-t-il.
01:03:26 Alors, pari qui semble en l'espèce plutôt raté.
01:03:29 Après, quand on regarde au niveau des entreprises,
01:03:31 les résultats ne sont pas forcément les mêmes.
01:03:33 Par exemple, le ministère du Travail a sorti récemment une de ses études très approfondies
01:03:39 qui montre bien que, par exemple sur la question des salaires,
01:03:42 qui est aujourd'hui une question fortement en jeu dans les relations sociales,
01:03:46 dès lors qu'il y a présence d'une section syndicale d'entreprise,
01:03:49 dès lors qu'il y a également situation de conflit,
01:03:52 puis ensuite signature d'un accord collectif,
01:03:54 en règle générale, les augmentations obtenues sont supérieures
01:03:57 à celles qui étaient proposées par la direction de l'entreprise.
01:04:00 Donc je dirais que, à cet excel-là…
01:04:01 – Et c'est signé aussi bien par la CGT que par la CFDT, ça ?
01:04:04 – Oui, parce que… Alors d'ailleurs, de ce point de vue-là,
01:04:06 il n'y a pas grande différence.
01:04:07 On a toujours cette image d'une CFDT qui est beaucoup plus conciliante
01:04:12 et d'une CGT beaucoup plus revendicative.
01:04:14 Alors, ce qui n'est pas tout à fait faux, en l'espèce, surtout au niveau national.
01:04:18 Aussi au niveau des entreprises.
01:04:19 Mais quand on regarde les accords collectifs qui sont signés,
01:04:22 la CFDT signe à peu près 95% des accords qu'elle négocie,
01:04:27 la CGT en signe à peu près 90%.
01:04:30 Donc au fond, on n'a pas un fossé aussi énorme que cela
01:04:33 dans les pratiques syndicales d'entreprise,
01:04:35 en ce qui concerne en tout cas la quantité d'accords collectifs
01:04:38 signés par les uns et par les autres.
01:04:40 Mais pour une raison assez simple, me semble-t-il,
01:04:42 c'est que les organisations syndicales doivent faire valoir leur utilité,
01:04:45 leur efficacité.
01:04:47 Or, à un moment donné, une organisation syndicale
01:04:49 qui ne signe jamais rien, qui n'accepte aucun accord,
01:04:52 elle va être sans doute à un moment donné renvoyée,
01:04:54 ou en tout cas, elle risque d'être renvoyée à son inutilité potentielle.
01:04:57 – Nicolas Lecossin, qu'est-ce que vous leur reprochez,
01:05:00 vos syndicats, ceux d'aujourd'hui ?
01:05:03 – Parce qu'on le reprochait avant aussi.
01:05:06 Il y a exactement 20 ans, on publiait un ouvrage
01:05:08 qui s'intitulait "La dictature des syndicats", c'était en 2003.
01:05:12 Et ça n'a pas changé depuis.
01:05:15 On remarque qu'ils s'opposent à tout, absolument à toute réforme.
01:05:20 – Il a l'air de dire qu'ils signent quand même beaucoup d'accords.
01:05:23 – Ils signent quand c'est acceptable,
01:05:26 quand ce n'est pas une réforme importante.
01:05:29 Je compare avec l'étranger, attention,
01:05:30 je compare avec d'autres pays étrangers
01:05:33 où les syndicats accompagnent même les réformes.
01:05:37 J'ai eu la chance de m'intéresser aux réformes des retraites en Suède,
01:05:41 et là-bas les politiques ont mis pratiquement de côté les syndicats,
01:05:47 ils ont fait la réforme, les syndicats n'ont rien dit,
01:05:49 ils ont accompagné la réforme,
01:05:51 et la réforme des retraites a été faite dans les années 90.
01:05:54 Donc ce qui se passe en France,
01:05:55 c'est qu'on ne peut pas vraiment passer une réforme qui est nécessaire.
01:06:01 Dieu sait qu'à l'IRF on n'est pas vraiment pour ce genre de réformes,
01:06:04 on veut aller beaucoup plus loin,
01:06:06 mais c'est la moindre des choses de faire celle-ci.
01:06:10 Plus vous avez donné le chiffre des syndicats en France,
01:06:14 qui est vraiment très bas,
01:06:15 c'est l'un des plus bas d'ailleurs parmi les pays membres de l'OCDE,
01:06:20 plus ce taux a baissé de syndicats,
01:06:23 plus on a vu des syndicats qui ont campé sur l'opposition,
01:06:28 qui sont devenus violents,
01:06:29 qui sont opposés pratiquement à tout.
01:06:31 95 c'est un exemple symbolique de ce point de vue.
01:06:37 Et les chiffres qu'on voit,
01:06:40 l'adresse par exemple a publié il y a quelques semaines des données
01:06:43 qui montrent que seulement 9% des ouvriers sont syndiqués en France.
01:06:47 9%.
01:06:48 Les professionnels intermédiaires c'est 11%,
01:06:50 c'est plus que les ouvriers.
01:06:51 Donc vous voyez, il n'y a aucune représentativité.
01:06:54 Donc, opposition, violence et non-représentativité.
01:07:00 Donc il n'y a aucune justification pour bloquer,
01:07:03 encore moins bloquer le pays.
01:07:05 – Stéphane Firault ?
01:07:07 – Alors, ça ne sera pas une révélation,
01:07:09 je ne partage pas tout à fait ce point de vue.
01:07:12 Je dirais que les organisations syndicales dans tous les pays
01:07:16 utilisent le pouvoir qu'on leur donne.
01:07:18 Il se trouve que nous sommes dans un pays, ou plus qu'ailleurs,
01:07:22 les organisations syndicales se sont construites
01:07:24 dans leur rapport à l'État et au patronat.
01:07:27 Or, quel est le rapport que l'État a entretenu historiquement
01:07:31 avec les organisations syndicales ?
01:07:33 L'État a longtemps considéré, je pense considère encore aujourd'hui,
01:07:37 en tout cas ceux qui détiennent le pouvoir d'État,
01:07:40 qu'au fond, en détenant le pouvoir d'État,
01:07:43 ils détiennent également l'intérêt général.
01:07:45 Et que, comme le disait au moment de la Révolution française en 1791,
01:07:50 un député qui s'appelait Le Chapelier, qui fait voter une loi
01:07:53 qui consiste à interdire ce qu'on appelait à l'époque les coalitions,
01:07:57 ce qu'on appellerait aujourd'hui les grèves et les syndicats,
01:08:00 mais ces mots-là n'étaient pas encore utilisés à cette époque
01:08:02 comme on les utilise aujourd'hui.
01:08:04 Il a un discours dans lequel il dit
01:08:07 "je souhaite vous faire voter cette loi pour interdire ces coalitions
01:08:11 parce qu'entre l'État et le citoyen, il ne doit rien y avoir".
01:08:16 Et je pense qu'on est encore très largement aujourd'hui
01:08:19 au niveau du pouvoir d'État dans cette logique.
01:08:21 C'est-à-dire qu'au fond, il y a une grande difficulté de la part des politiques
01:08:26 à accepter les contre-pouvoirs dans notre pays.
01:08:28 Et là où effectivement les organisations syndicales
01:08:31 sont dans une optique différente, c'est le cas de l'Allemagne aussi,
01:08:34 des pays scandinaves en effet, des pays d'Europe du Nord-Ouest globalement.
01:08:39 Ils sont dans une optique différente parce qu'à un moment donné,
01:08:42 l'appareil d'État s'est décidé à leur donner des outils
01:08:46 qui leur permettent de ne pas forcément utiliser des modalités d'action
01:08:49 qui sont les nôtres en France, la manifestation, la grève,
01:08:53 parce qu'on leur donne d'autres types de pouvoirs.
01:08:56 Par exemple dans les entreprises allemandes, dans les grandes entreprises,
01:08:58 vous avez dans les conseils de surveillance,
01:09:00 l'équivalent de nos conseils d'administration,
01:09:02 une représentation qui est paritaire.
01:09:04 Il y a autant de représentants des salariés que de représentants des actionnaires.
01:09:08 Chez nous, c'est tout à fait inimaginable,
01:09:09 parce que l'autre partenaire, le patronat,
01:09:12 s'est lui-même longtemps abstenu d'accepter au fond l'intercession
01:09:16 des organisations syndicales dans les rapports sociaux d'entreprises.
01:09:19 On est quand même un des derniers pays qui, avec une loi votée en 68,
01:09:23 mais parce qu'elle a été promise suite à un mouvement
01:09:26 qui a fait 8 millions de grévistes dans notre pays,
01:09:29 où là, pour le coup, Georges Pompidou à l'époque,
01:09:31 a promis de voter une loi qui permettrait enfin
01:09:34 de légaliser les activités syndicales dans les entreprises,
01:09:37 on ne l'a fait qu'en décembre 1968.
01:09:40 Alors que dans les autres pays occidentaux, de même type,
01:09:44 les organisations syndicales étaient admises depuis bien plus longtemps,
01:09:48 aux États-Unis même depuis les années 20,
01:09:50 vous voyez, ils ne sont pas considérés pourtant
01:09:52 comme un pays forcément très amène avec le syndicalisme.
01:09:56 Donc on a eu longtemps dans notre pays cette perception
01:09:59 des organisations syndicales qui est une perception d'opposition finalement.
01:10:03 Et les syndicats se sont eux-mêmes construits du coup
01:10:05 dans cette perspective-là, c'est-à-dire sur des valeurs,
01:10:08 je dirais, de rapport de force et même,
01:10:11 ce qui est la spécificité du syndicalisme français,
01:10:14 sur l'idée qu'au fond, à un moment donné,
01:10:16 le syndicalisme serait même l'organisation qui permettrait
01:10:20 de renverser le système de domination qu'est le capitalisme.
01:10:24 On est un des rares pays où s'est construit un syndicalisme
01:10:27 appelé révolutionnaire qui a prétendu prendre le pouvoir
01:10:31 à la place du pouvoir d'État et à la place des patrons du capitalisme.
01:10:35 C'est quelque chose de tout à fait inédit dans l'histoire.
01:10:39 Alors ce n'est plus aujourd'hui le cas.
01:10:40 Je pense que les organisations syndicales, de ce point de vue-là,
01:10:43 n'ont plus aujourd'hui cette perspective, y compris la CGT.
01:10:47 Tous les syndicats se disent aujourd'hui de transformation sociale.
01:10:50 Même la CFDT a dans ses statuts cette expression de transformation sociale,
01:10:56 mais qui me semble globalement être plutôt une transformation sociale
01:10:59 qui est imaginée au fond, en le disant ou en le disant moins,
01:11:03 à l'intérieur du système tel qu'il est aujourd'hui.
01:11:07 – Mais Nicolas Lecossa, c'est marrant que vous disiez les syndicats,
01:11:10 parce que je me souviens de votre livre sur la dictature des syndicats,
01:11:12 vous ne trouvez pas que les syndicats ont changé ?
01:11:14 Vous pensez que c'est exactement les mêmes ?
01:11:16 Je me souviens de Georges Séguy,
01:11:17 vous n'étiez peut-être pas encore arrivé en France à ce moment-là,
01:11:19 mais Georges Séguy et de mon maire, ça n'a plus rien à voir aujourd'hui.
01:11:23 – Non mais il y a un peu la CFDT qui a changé effectivement,
01:11:28 la CGT, je suis désolé, je ne suis pas du tout d'accord,
01:11:31 continue à manifester avec la faucille et le marteau,
01:11:34 il y a des slogans anticapitalistes.
01:11:37 Il faut quand même rappeler que la CGT c'est un syndicat
01:11:40 qui pratiquait le sabotage au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale,
01:11:43 qui a été financé par l'Union Soviétique, comme le Parti communiste français,
01:11:47 que c'est Jean Montaldo qui a révélé le financement
01:11:50 par la Banque Européenne du Nord dans les années 60,
01:11:53 et depuis on ne sait plus du tout comment est financée la CGT,
01:11:56 ce n'est pas le seul syndicat.
01:11:57 – Je précise juste que la Banque Européenne du Nord était une banque russe,
01:12:00 enfin c'était les Russes qui finançaient, mais les Soviétiques.
01:12:03 – Ils ont en tout cas transité par cette banque,
01:12:04 et ce n'est pas le Parti communiste, c'est la CGT qui était financée.
01:12:09 Il y a eu entre-temps aussi le rapport Perucho, du député Perucho,
01:12:13 qui a été mis au placard pendant un bon bout de temps,
01:12:16 il a été publié par le magazine Le Point,
01:12:19 et dans ce rapport on voit très bien qu'on ne connaît pas exactement
01:12:24 les finances des syndicats.
01:12:26 À l'heure actuelle, à mon connaissance, c'est la CFDT qui a publié ces comptes,
01:12:30 les autres syndicats, on le sait parce qu'il y a eu des enquêtes,
01:12:33 il y a eu Perucho aussi qui a continué ses enquêtes,
01:12:36 on sait qu'il y a de l'argent public,
01:12:37 on sait qu'il tire les ressources des comités d'entreprise,
01:12:42 des entreprises publiques, SNCF, RATP, EDF, La Poste,
01:12:48 qui ont des locaux à disposition donnés par les collectivités locales,
01:12:52 à titre gratuit bien sûr.
01:12:54 Donc on ne peut pas dire que c'est très légal,
01:12:56 on ne peut pas dire que c'est transparent, loin de là,
01:13:00 et vraiment aucune raison de s'en plaindre.
01:13:03 Je ne connais pas beaucoup de pays dans le monde,
01:13:04 je parle bien sûr des pays riches, démocratiques,
01:13:07 qui pratiquent ce genre de financement direct ou indirect des syndicats.
01:13:11 Il y a aussi ce qu'on appelle les mises à disposition,
01:13:13 ce sont des fonctionnaires ou des agents publics
01:13:15 qui sont mis à disposition au service des syndicats
01:13:19 et qui sont payés par leur administration d'origine
01:13:21 ou par l'entreprise publique, donc par l'argent public.
01:13:24 Donc c'est un monde complètement opaque,
01:13:27 c'est un monde qui, comme on le voit, il est agressif,
01:13:30 qui s'oppose à tout dialogue social.
01:13:33 En France, on parle pas de dialogue social tout le temps,
01:13:36 en fait c'est du monologue social.
01:13:37 Les syndicats n'acceptent pas le dialogue social.
01:13:41 – C'est ce que laisse entendre Emmanuel Macron,
01:13:43 il dit qu'ils ont refusé de négocier, ils ont refusé tout compromis.
01:13:47 – Pour une fois je suis d'accord avec lui.
01:13:49 – Non, d'ailleurs le pouvoir politique
01:13:53 n'a jamais utilisé le terme de négociation.
01:13:56 Quand on observe le vocabulaire qui a été utilisé
01:13:59 par les responsables gouvernementaux,
01:14:01 au premier chef par Elisabeth Borne,
01:14:03 puisque c'est elle qui a reçu, avec Olivier Dussopt,
01:14:06 les organisations syndicales après l'annonce du projet de loi,
01:14:11 systématiquement les expressions qui étaient utilisées
01:14:14 c'était les suivantes,
01:14:16 "consultation", éventuellement "concertation",
01:14:19 mais à aucun moment "négociation".
01:14:21 Ça n'a pas du tout le même sens.
01:14:23 "Consulter" ou "concerter", ça signifie,
01:14:26 comme ça a été fait, qu'en bilatéral,
01:14:28 vous convoquez les responsables des organisations syndicales,
01:14:32 les uns après les autres, pour entendre ce qu'ils ont à vous dire,
01:14:35 mais qu'après, une fois que vous avez fait ça,
01:14:37 vous en retenez ce que vous voulez,
01:14:39 ou vous n'en retenez quasiment rien,
01:14:41 ce qui en l'espèce a plutôt été le cas.
01:14:44 Une négociation, ça n'a strictement rien à voir avec cela.
01:14:47 Un processus de négociation signifie que vous allez
01:14:50 rassembler une série d'interlocuteurs,
01:14:52 avec des avis certes différents, autour d'une table,
01:14:56 que par ailleurs, vous ne mettez pas d'emblée
01:14:58 des lignes rouges infranchissables.
01:15:00 Une négociation, c'est un compromis qui se construit,
01:15:03 à partir d'échanges qui se font entre les différents acteurs,
01:15:07 mais si d'emblée, vous mettez des barrières infranchissables,
01:15:11 comme l'a fait le gouvernement avec ses 64 ans,
01:15:14 ça contraint tout de suite les organisations,
01:15:18 y compris la CFDT, à entrer dans une posture d'opposition.
01:15:22 Donc là, on n'est pas du tout dans une posture de négociation.
01:15:26 Dire que le dialogue social n'existe pas,
01:15:28 en tout cas, en ce qui concerne les entreprises,
01:15:31 ça me semble quelque chose qui renvoie à 50 ans en arrière.
01:15:36 En effet, au début des années 70, dans les entreprises,
01:15:38 il n'y avait que quelques centaines d'accords qui étaient signés.
01:15:41 Aujourd'hui, on en est à plus de 80 000 chaque année.
01:15:45 Alors, il y a quand même une petite différence
01:15:46 entre quelques centaines et plus de 80 000 chaque année,
01:15:50 ce qui montre bien qu'il y a quand même une dynamique
01:15:53 de négociation qui existe, alors qui certes,
01:15:56 est en grande partie la résultante des initiatives de l'État.
01:16:00 Si vous avez aujourd'hui plus de 80 000 accords signés,
01:16:03 c'est parce qu'en 1982, il y a eu une loi qui s'appelle
01:16:07 la loi Oru du 13 novembre 82, qui a obligé les patrons
01:16:11 et les représentants du personnel des syndicats
01:16:14 à négocier annuellement sur les salaires à l'époque
01:16:17 et sur l'organisation du temps de travail.
01:16:19 Puis, des années 80 à nos jours,
01:16:21 toute une série de thématiques se sont ajoutées
01:16:24 qui font qu'il existe des processus de négociation
01:16:27 beaucoup plus nourris aujourd'hui qu'il ne l'était il y a 40 ou 50 ans.
01:16:31 Donc, il y a quand même de la négociation.
01:16:33 Alors, effectivement, il y a aussi du conflit.
01:16:36 Il y a aussi du conflit, mais très souvent,
01:16:39 il se trouve également que le conflit,
01:16:41 c'est en quelque sorte la première étape
01:16:43 vers la négociation collective.
01:16:45 D'ailleurs, les études du ministère du Travail
01:16:46 sont assez intéressantes de ce point de vue-là
01:16:48 parce qu'elles montrent bien qu'au fond,
01:16:49 les entreprises dans lesquelles il y a le plus grand nombre
01:16:52 d'accords collectifs qui sont signés
01:16:55 sont les entreprises dans lesquelles il y a
01:16:56 une forte dynamique syndicale.
01:16:58 Et qu'à l'inverse, dans celles où il n'y en a pas,
01:17:01 il y a très peu d'accords qui sont signés.
01:17:03 Donc, il n'y a pas forcément d'opposition
01:17:05 si nette que cela entre la pratique du conflit
01:17:08 et la pratique de la négociation collective.
01:17:11 Souvent, c'est l'une qui déclenche l'autre.
01:17:13 Donc, les opposer radicalement,
01:17:16 ça me semble en grande partie quelque chose
01:17:19 qui n'est pas tout à fait opérant
01:17:20 quand on regarde comment se pratiquent les relations sociales.
01:17:23 S'agissant du financement, pour revenir là-dessus,
01:17:26 alors c'est vrai que les organisations syndicales
01:17:28 sont loin de s'auto-financer.
01:17:31 Évidemment, elles ne le peuvent guère
01:17:32 au regard du faible taux de syndicalisation.
01:17:35 Alors, il y a un financement public, c'est vrai,
01:17:37 les partis politiques en ont un également.
01:17:40 Cela étant, il y a quand même plus de transparence aujourd'hui
01:17:43 qu'il n'y en avait hier parce que la loi de 2008
01:17:45 qui a modifié les règles de la représentativité
01:17:47 oblige les organisations syndicales
01:17:49 qui ont un budget, je crois que c'est au-delà de 200 000 euros,
01:17:53 à publier leur compte.
01:17:54 Donc, il y a quand même, disons, un assainissement qui s'est produit,
01:17:58 comme il s'est produit d'ailleurs à un moment donné
01:18:01 dans les partis politiques.
01:18:02 Alors, ça ne veut pas dire peut-être
01:18:04 qu'il n'existe pas des pratiques ici ou là
01:18:06 qui ne sont pas forcément très catholiques.
01:18:08 Enfin, on a quand même eu très clairement
01:18:11 une forme de transparence, disons,
01:18:15 plus importante aujourd'hui dans le financement des syndicats
01:18:17 qu'elle ne l'était il y a 20 ou 30 ans.
01:18:19 – Dernière question, vous citiez les manifs contre le CPE,
01:18:24 le contrat premier embauche des jeunes, des étudiants,
01:18:28 et qui avait fait que Jacques Chirac,
01:18:31 à l'époque président de la République,
01:18:32 a finalement retiré la loi.
01:18:34 Vous disiez que c'est la seule fois où, au fond,
01:18:36 le pouvoir a reculé depuis le début du XXIe siècle.
01:18:39 Il y a quand même les Gilets jaunes aussi.
01:18:41 La mesure qui a tout déclenché a été retirée par Emmanuel Macron.
01:18:46 Alors, justement, qu'est-ce qui a fait que les Gilets jaunes,
01:18:49 où là il n'y avait pas de syndicat,
01:18:51 qu'est-ce qui a fait que ça a marché, au moins, tout du moins ?
01:18:54 C'est la peur ? C'est la violence ?
01:18:55 C'est le soutien de l'opinion publique ?
01:18:57 – Alors, Jimmy, à part les Gilets jaunes,
01:18:59 parce qu'en effet, ça n'est pas un mouvement social
01:19:02 organisé par les syndicats.
01:19:04 Au contraire, on a plutôt vu une distanciation
01:19:06 entre ces Gilets jaunes et les syndicats,
01:19:08 même si localement, il y a eu parfois des rapprochements
01:19:11 qui se sont produits.
01:19:12 Bon, c'était d'ailleurs, je pense, alors, leur force et leur faiblesse.
01:19:16 Je pense qu'une de leurs forces à ces Gilets jaunes,
01:19:18 c'était précisément l'absence d'interlocuteurs
01:19:20 avec lesquels construire un compromis.
01:19:22 Et ça, c'est quelque chose qui, forcément, est craint
01:19:25 par un pouvoir politique.
01:19:26 Parce que quand on a une crise sociale qui est d'une ampleur
01:19:28 quand même assez forte, comme le fut celle des Gilets jaunes,
01:19:31 il faut bien essayer de trouver pour l'apaiser des interlocuteurs.
01:19:35 Or, les rares fois où le pouvoir politique, on s'en souvient,
01:19:37 avait, en regardant un peu ce qui se passait sur les réseaux sociaux,
01:19:41 avait cru pouvoir dégoter deux, trois figures de proue
01:19:45 qui l'a fait venir sous les ors ministériels,
01:19:49 aussitôt, ces quelques figures de proue se sont trouvées
01:19:53 subir des attaques sur les réseaux sociaux terribles
01:19:56 et ont arrêté tout de suite de jouer les intermédiaires.
01:19:59 Donc, le pouvoir politique n'avait pas, au fond, de prise.
01:20:01 Alors qu'avec des organisations syndicales,
01:20:04 je dirais que, d'une certaine manière, il sait où il va.
01:20:06 Voilà, il sait que les organisations syndicales,
01:20:08 globalement, sont plutôt légalistes et raisonnables,
01:20:10 qu'à un moment donné, si on le veut,
01:20:12 alors, même si aujourd'hui, il ne semble pas beaucoup le vouloir,
01:20:14 mais si on le veut, le pouvoir politique peut chercher avec eux
01:20:17 à construire une sortie de conflit.
01:20:20 Avec les Gilets jaunes, ça n'était pas possible.
01:20:22 Donc, c'était une de leurs forces.
01:20:23 Après, ça a été une de leurs faiblesses parce que,
01:20:26 n'étant pas organisé, il n'y a pas non plus de suivi
01:20:28 sur ce qu'ils ont pu éventuellement obtenir
01:20:30 et ce qu'ils ont obtenu à un moment donné.
01:20:31 On voit bien que ça a été sans doute repris par la suite.
01:20:34 Il suffit de regarder le prix des carburants à la pompe.
01:20:36 Il me semble qu'aujourd'hui, c'est quasiment 50% plus cher
01:20:40 qu'au moment où s'est déclenché le mouvement des Gilets jaunes.
01:20:43 Et puis, il faut aussi constater malheureusement
01:20:46 que l'usage de la violence et que les affrontements
01:20:49 qui ont émaillé ce mouvement des Gilets jaunes
01:20:52 ont été quelque chose qui a pesé dans les concessions
01:20:56 qu'a fait le pouvoir politique.
01:20:57 Je me souviens encore de cette intervention,
01:20:59 début décembre, d'Emmanuel Macron, presque livide à la télévision,
01:21:03 revenant, je crois, d'un déplacement,
01:21:05 qui commence à annoncer qu'il va lâcher du lest,
01:21:07 mais il le fait à quel moment ?
01:21:08 Il le fait après ces événements qu'on a connus,
01:21:10 notamment le saccage de l'Arc de Triomphe,
01:21:13 ces affrontements sur les Champs-Elysées.
01:21:15 Et malheureusement, c'est un message délétère qui est envoyé
01:21:18 et qui, d'une certaine manière, est confirmé par le fait
01:21:20 qu'aujourd'hui, en dépit de manifestations qui rassemblent
01:21:23 presque à chaque fois, selon les syndicats ou selon la police,
01:21:27 entre un million et trois millions et demi de manifestants
01:21:29 et que cela ne le fait pas bouger,
01:21:31 il est bien évident que le message renvoyé
01:21:34 est un message qui peut laisser penser,
01:21:35 on voit bien que c'est le cas dans de plus en plus d'esprits,
01:21:38 qu'au fond, le pouvoir politique ne transige plus que sous la contrainte
01:21:42 et que cette contrainte peut, à un moment donné,
01:21:44 ou peut-être même, pour certains, doit, à un moment donné,
01:21:47 passer par l'usage de la violence ou de la force.
01:21:50 – Nicolas Locossin ?
01:21:52 – En fait, les Gilets jaunes, au début, c'était un mouvement spontané
01:21:55 qui était pour moins de taxes, contre la taxation de l'essence, des carburants.
01:22:00 Et malheureusement, au fur et à mesure,
01:22:03 on le sait, on a été impliqué dans ce mouvement,
01:22:07 au fur et à mesure, ils sont devenus rouges.
01:22:09 Ils ont été phagocytés par les syndicats,
01:22:11 d'ailleurs ils sont devenus de plus en plus violents,
01:22:14 au rond-point, à l'arc de triomphe.
01:22:17 Et on a remarqué le fait que les syndicats ont commencé à mettre la main dessus
01:22:23 par le changement dans leur slogan.
01:22:27 On est passé de moins de taxes, moins d'impôts,
01:22:30 on est passé à plus d'État, plus de services publics,
01:22:34 plus de dépenses publiques, plus d'aide.
01:22:36 Donc, le changement a été clair,
01:22:39 et on a vu tout de suite qu'on a pu affaire à des vrais gilets jaunes,
01:22:44 mais plutôt vraiment des gilets rouges.
01:22:47 – Un mot André Contrepondville sur tout ça ?
01:22:50 – Moi je crois que la France a une tradition étatiste,
01:22:53 Louis XIV, en passant par l'évolution française jusqu'à nos jours.
01:23:00 Souvenez-vous, Lionel Jospin disant, et en s'en excusant presque,
01:23:04 "Que voulez-vous, l'État ne peut pas tout."
01:23:07 Ça avait été une espèce de scandale à gauche,
01:23:09 c'était comme trahir la gauche,
01:23:11 c'est une évidence que l'État ne puisse pas tout.
01:23:13 Donc d'un côté il y a une tradition étatiste
01:23:15 qui forcément laisse peu de place au corps intermédiaire et aux syndicats,
01:23:18 de l'autre côté il y a des syndicats trop peu nombreux
01:23:22 et qui donc ont tendance à se radicaliser.
01:23:25 Forcément un syndicat de masse sera moins extrémiste
01:23:28 qu'un syndicat très minoritaire.
01:23:31 Et donc la leçon que moi je tire de ces débats, c'est deux leçons.
01:23:35 Un, syndiquez-vous, parce qu'on a besoin de syndicats de masse,
01:23:39 on n'a pas besoin de syndicats groupusculaires.
01:23:41 Un, syndiquez-vous.
01:23:42 Deux, inscrivez-vous sur les listes électorales.
01:23:45 Et là ça devient intéressant,
01:23:46 parce que rien ne prouve que les élections
01:23:50 aboutiront à des décisions que les syndicats approuveront.
01:23:53 Mais c'est très bien, c'est le jus d'une démocratie,
01:23:55 sauf qu'il faut rappeler bien sûr que c'est le peuple qui est souverain
01:23:58 et pas les syndicats.
01:23:59 - Eh bien ce sera le mot de la fin sur cette conversation-là.
01:24:02 On va bientôt en venir à la Révolution française.
01:24:05 Est-ce que ça a été l'origine du complotisme moderne ?
01:24:08 Mais d'abord, le rappel des titres.
01:24:10 - Plus de 3,9 millions d'euros de promesses de dons
01:24:16 pour la lutte contre le sida.
01:24:18 Le traditionnel week-end de collecte annuel
01:24:21 a atteint un montant proche de celui récolté l'an dernier.
01:24:24 D'après la directrice générale de l'association Sidaction,
01:24:27 cette stabilité souligne l'engagement et la confiance des donateurs,
01:24:32 alors que l'inflation pèse sur la situation économique des Français.
01:24:37 Après les violents affrontements d'hier à Sainte-Sauline,
01:24:39 un manifestant de 30 ans est entre la vie et la mort,
01:24:42 plongé dans le coma après un traumatisme crânien.
01:24:46 Selon le dernier bilan du parquet de Nior,
01:24:48 les deux gendarmes blessés grièvement
01:24:51 sont désormais en urgence relative.
01:24:53 Au total, 47 militaires ont été pris en charge par les secours.
01:24:58 Et puis, nouveau drama en Méditerranée,
01:25:00 trois naufrages distincts ont eu lieu au large de la Tunisie.
01:25:04 Au moins 29 migrants, originaires d'Afrique subsaharienne,
01:25:07 sont morts noyés.
01:25:08 11 ont été secourus par les gardes-côtes.
01:25:11 Depuis le discours du président tunisien le 21 février
01:25:15 sur l'immigration clandestine,
01:25:16 plusieurs dizaines de migrants sont morts dans une série de naufrages.
01:25:20 D'autres sont portés disparus.
01:25:25 Edmond Zimboski, vous êtes historien, spécialiste du 18e siècle,
01:25:30 et vous publiez "La main cachée" chez Perrin,
01:25:33 où l'on voit que la Révolution française a été hantée par le complotisme.
01:25:39 Il faut dire que pour appréhender un événement aussi considérable,
01:25:43 c'est-à-dire un régime millénaire,
01:25:45 la monarchie, l'ancien régime, c'est plus de 1000 ans,
01:25:49 tout à coup qui s'écroule comme un château de cartes
01:25:52 pendant l'été, en deux mois, sans quasiment tirer un coup de fusil.
01:25:55 Il fallait trouver une explication.
01:25:58 Et on en a trouvé quelques-unes, plusieurs même,
01:26:02 et c'était forcément un complot.
01:26:04 Il y avait forcément une main cachée quelque part.
01:26:06 Écoutez, oui, je pense qu'à l'origine de ce complotisme
01:26:12 qui surgit dès les premières semaines de la Révolution française,
01:26:16 ce qui est absolument remarquable de constater,
01:26:19 c'est qu'à partir des premiers troubles,
01:26:23 il y a déjà, pour certains Français, quelqu'un dans le collimateur.
01:26:28 Notamment c'est l'Angleterre, je reviendrai sur le nom tout à l'heure.
01:26:31 Mais il y a aussi d'autres complots.
01:26:33 - Oui, il y en a plein.
01:26:34 - Il y en a beaucoup.
01:26:36 Mais ce qui est vraiment tout à fait remarquable,
01:26:39 c'est de voir ces théories du complot surgir dès ces premières semaines
01:26:45 et prendre une ampleur considérable dès la première année de la Révolution française.
01:26:50 Et ce que vous avez dit, eh bien oui, pourquoi cela ?
01:26:54 D'abord, il est certain qu'il y avait déjà, sous l'Ancien Régime,
01:27:00 parfois, je dirais, des thèses qui circulaient.
01:27:03 Par exemple, on se méfiait des philosophes,
01:27:06 on se demandait ce qu'ils faisaient.
01:27:07 Est-ce qu'ils n'avaient pas une action concertée
01:27:11 pour, pourquoi pas, abattre la religion ?
01:27:13 Ce sont des choses que l'on pouvait lire,
01:27:16 notamment dans les écrits antiphilosophes,
01:27:20 notamment par exemple dans l'année littéraire de Fréron.
01:27:22 Donc c'est quelque chose qui n'était pas nouveau.
01:27:24 Mais ce qui est nouveau, c'est qu'à partir de 1789,
01:27:29 eh bien, confronté à ce qui est l'inouï,
01:27:34 il faut toujours imaginer, c'est ce que vous avez bien dit,
01:27:36 c'est que nous avons là un ordre qui paraissait éternel d'une certaine manière.
01:27:41 Et mettons-nous à la place de ces Français de 1789.
01:27:47 Qu'est-ce qu'ils pouvaient espérer un an avant la Révolution ?
01:27:50 Je dirais au mieux, peut-être, une réforme fiscale
01:27:53 qui aboutirait, pourquoi pas, à l'égalité devant l'impôt,
01:27:57 puisque c'était déjà débattu, notamment avec Calonne,
01:28:00 qui avait lancé ce programme.
01:28:02 Mais c'était peut-être l'objectif, peut-être le plus raisonnable en tout cas,
01:28:08 mais on ne pouvait sûrement pas imaginer qu'en l'espace de quelques semaines,
01:28:13 l'ordre social, avec notamment l'abolition des privilèges,
01:28:16 cet ordre social s'effondre.
01:28:19 On ne pouvait pas imaginer que la monarchie allait reculer
01:28:23 de la manière spectaculaire que l'on connaît,
01:28:27 face notamment à la prise de la Bastille.
01:28:30 C'est-à-dire qu'à partir de la mi-juillet,
01:28:33 le roi cesse d'être absolu tel qu'il l'était.
01:28:36 On ne pouvait pas imaginer non plus que les propriétés du clergé,
01:28:42 les biens du clergé allaient passer sous le contrôle de l'État,
01:28:45 allaient être nationalisés.
01:28:46 On ne pouvait pas imaginer, encore moins,
01:28:49 que le clergé également allait être totalement reconfiguré
01:28:52 l'année suivante par la fameuse constitution civile du clergé.
01:28:56 Alors tout ceci fait que, pour certains Français,
01:29:00 et notamment le complotisme qui surgit au début de la Révolution
01:29:05 a une teinte quand même assez nette.
01:29:07 Il s'agit de gens qui étaient attachés à l'ancien régime,
01:29:12 qui étaient attachés à l'ordre ancien,
01:29:14 qui étaient attachés à la religion.
01:29:15 Eh bien, pour ces Français,
01:29:17 ça ne peut pas être une révolution naturelle, si vous voulez.
01:29:22 Cet événement inouï, forcément,
01:29:25 a un chef d'orchestre ou plusieurs chefs d'orchestre, pourquoi pas.
01:29:31 Et eh bien, quel chef d'orchestre ?
01:29:35 J'en ai...
01:29:36 Oui, je vais vous faire la liste parce qu'ils sont ferveilleux.
01:29:39 Le premier, je trouve très beau,
01:29:40 c'est le complot des antéchopédistes plus les protestants,
01:29:45 avec Necker à leur tête, par exemple.
01:29:48 Celui-là est très beau.
01:29:49 Il y a le complot, évidemment, des francs-maçons,
01:29:53 très important aussi.
01:29:54 Il y a le complot aristocratique.
01:29:56 Alors là, on soupçonne le duc d'Orléans, qui c'est vrai,
01:30:00 souhaite la chute de Louis XVI et qui d'ailleurs votera sa mort
01:30:04 sous le nom de Philippe Égalité et dont le fils,
01:30:07 Louis Philippe, sera le dernier roi de France.
01:30:09 Orléans, finalement, il est à l'interface des différents complots.
01:30:15 Ah oui, il est dans tous.
01:30:17 Parce qu'il est à la fois...
01:30:18 Bon, c'est un homme, bien entendu, ouvert aux idées nouvelles.
01:30:21 C'est quelqu'un qui était connu pour son attirance pour la philosophie.
01:30:27 Et qui est immensément riche aussi.
01:30:28 Immensément riche, avec le Palais Royal qui était devenu
01:30:32 ce centre vraiment de débat à la veille et pendant la Révolution.
01:30:39 Et n'oublions pas non plus que Louis-Philippe-Joseph d'Orléans
01:30:45 était quand même le grand maître du Grand Orient de France.
01:30:50 C'est-à-dire que c'est l'homme, finalement, clé des...
01:30:53 Et cerise sur le gâteau,
01:30:56 il y a également les affinités de ce duc d'Orléans avec l'Angleterre.
01:31:01 C'est un homme qui était anglophile, voire anglomane.
01:31:04 Il séjournait très souvent en Angleterre.
01:31:06 Et c'est d'ailleurs très intéressant de voir que...
01:31:09 Parce qu'on peut comprendre sa politique,
01:31:15 à cet homme qui était assez brouillon, par ailleurs.
01:31:18 Mais il n'empêche que celui qui va s'appeler ensuite Philippe Egalité,
01:31:23 ce qu'il souhaitait, c'était jouer le rôle que jouaient en Angleterre
01:31:27 les princes, par exemple le prince de Galles,
01:31:30 qui très souvent était en opposition à son père.
01:31:33 Alors certes, Philippe d'Orléans est cousin de Louis XVI.
01:31:36 Il n'est pas, bien entendu...
01:31:38 Normalement, ce n'est pas lui qui devait monter sur le trône
01:31:41 si jamais Louis XVI disparaissait.
01:31:43 Mais il n'empêche qu'il a, dès avant la Révolution,
01:31:46 il a commencé à se distinguer au sein des princes du sang
01:31:50 en jouant ce rôle d'opposant numéro un à Louis XVI.
01:31:53 – Mais alors on voit que la façon dont se diffusent ces complots,
01:31:57 à l'époque, sont des livres qui paraissent
01:31:59 et qu'on laisse paraître, bien entendu.
01:32:02 Alors on va voir paraître, par exemple,
01:32:03 "La conjuration contre la religion catholique et les souverains",
01:32:07 dont le projet conçu en France doit s'exécuter dans le monde entier.
01:32:11 À l'époque, on aimait beaucoup des titres très très longs.
01:32:14 Il y a le... John Robison, c'est le complot franc-maçon, celui-là.
01:32:21 Le complot franc-maçon, alors lui, il explique que c'est...
01:32:24 Et alors là, on voit vraiment que c'est pareil
01:32:26 qu'un certain nombre de théories du complot d'aujourd'hui.
01:32:28 C'est qu'il va faire remonter ça à une vengeance des Templiers
01:32:33 cinq siècles après l'exécution de Jacques de Molay.
01:32:36 Et là, on connaît plein de théories du complot aujourd'hui.
01:32:39 Et d'ailleurs, quand on parle aujourd'hui des Illuminati,
01:32:43 on s'aperçoit que c'est né pendant la Révolution française.
01:32:45 Les Illuminati étaient déjà dans les complots
01:32:48 qu'on imaginait être à l'origine de la Révolution.
01:32:52 - Oui, alors le complot maçonnique, c'est quelque chose d'absolument extraordinaire
01:32:56 parce que vous avez Robison, donc cet écrivain britannique,
01:33:02 mais nous avons, nous, en France, notre grand spécialiste en la matière,
01:33:06 en la personne de l'abbé Augustin Barruel.
01:33:09 Barruel est...
01:33:10 - C'est quoi le titre de son livre, lui, d'élu ?
01:33:12 - "Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme".
01:33:16 Alors, c'est un ouvrage qui a été publié entre 1797 et 1798.
01:33:21 Un ouvrage monumental, puisqu'il fait presque 2000 pages,
01:33:25 cinq gros volumes, et dans lesquels Barruel s'efforce de démontrer
01:33:31 qu'il y a eu trois complots imbriqués les uns dans les autres, de telle manière.
01:33:36 Le premier de ces complots, c'est ce qu'il appelle
01:33:40 le complot des sophistes contre la religion,
01:33:43 c'est-à-dire il s'agit des philosophes.
01:33:45 Pour lui, c'est clair, la pensée philosophique était une pensée
01:33:49 qui était organisée dans le but d'abattre la religion catholique
01:33:55 et, en second lieu, ensuite, de s'attaquer également à la monarchie.
01:34:00 Et c'est là où il aborde le second complot.
01:34:03 Le second complot pour lui, c'est le complot maçonnique,
01:34:07 qui a pour objectif majeur d'abattre la monarchie.
01:34:10 Il le décrit de manière vraiment très, très détaillée.
01:34:14 Et ensuite, il en arrive au troisième complot, le pire de tous pour lui,
01:34:18 parce qu'il s'agit d'un complot littéralement anarchiste,
01:34:23 où il dénonce ce qu'on appelait à l'époque, en Allemagne,
01:34:29 les Illuminatons, les Illuminés de Bavière.
01:34:33 Alors, qui étaient ces Illuminés de Bavière ?
01:34:36 Il s'agissait d'une société, en effet, secrète,
01:34:39 société qui avait pour vocation de diffuser les lumières,
01:34:43 "Laufklärung", comme on dit en Allemagne,
01:34:45 de diffuser les lumières dans le Saint-Empire romain germanique,
01:34:49 puisqu'à l'époque, c'est ce territoire qu'on appelle le Saint-Empire.
01:34:53 Et ces Illuminatons, progressivement, pour essayer d'avoir plus d'audience,
01:34:59 se sont infiltrés dans les loges maçonniques allemandes.
01:35:02 Et de là est venue l'inquiétude chez certains observateurs,
01:35:06 et notamment Barruel, qui, à un moment donné, a vécu en Allemagne,
01:35:11 donc il connaissait très bien, finalement, la vie culturelle allemande.
01:35:15 Et de là, l'inquiétude pour ces observateurs.
01:35:22 Est-ce qu'il n'y aurait pas eu, derrière ces Illuminatons,
01:35:25 ce plan visant à abattre à la fois la religion catholique,
01:35:31 le protestantisme, mais aussi d'abattre toute forme de religion naturelle,
01:35:37 et également d'abattre purement et simplement les bases de la société ?
01:35:40 Et c'est ce que Barruel nous décrit avec force détail dans son livre.
01:35:45 Alors c'est un ouvrage aussi qu'il faut bien...
01:35:47 Parce qu'on a, dans ce livre de Barruel,
01:35:51 c'est le prototype, finalement, de l'ouvrage complotiste moderne.
01:35:54 Par exemple, dans le début du livre,
01:35:57 ce qui est vraiment très intéressant, c'est qu'il dit, voilà,
01:36:00 je n'écris pas l'histoire des Jacobins,
01:36:03 je vais écrire l'histoire du Jacobinisme.
01:36:05 Ce n'est pas du tout la même chose.
01:36:07 Le Jacobinisme, pour lui, c'est un mouvement qui a précédé
01:36:12 la création du premier club des Jacobins, celui de Paris,
01:36:17 et la multiplication de ces clubs ensuite en France.
01:36:20 Le Jacobinisme existait bien avant la Révolution française,
01:36:23 et notamment il existait dans les loges maçonniques,
01:36:26 ce qu'il appelle les arrière-loges,
01:36:28 parce que pour lui, tous les francs-maçons ne sont pas responsables.
01:36:31 Le franc-maçon moyen ne savait pas du tout ce qui se tramait.
01:36:35 Mais par un procédé de sélection très draconien,
01:36:39 les meilleurs de ces francs-maçons,
01:36:41 arrivés au stade supérieur, dans les grades supérieurs,
01:36:46 étaient enfin initiés au grand secret,
01:36:49 c'est-à-dire guerre à la religion et guerre au roi.
01:36:54 Et ce qu'essaye de montrer Barruel,
01:36:57 c'est quelle est sa méthode ?
01:36:59 Et là, on retrouve finalement ce côté obsessionnel du complotisme.
01:37:05 Pour Barruel, il faut apporter le plus de preuves possibles.
01:37:11 C'est la raison pour laquelle son livre ne s'appelle pas
01:37:13 « Histoire du Jacobinisme »,
01:37:15 c'est « Mémoire pour servir à l'histoire du Jacobinisme ».
01:37:20 C'est-à-dire que Barruel, quelque part,
01:37:22 joue un rôle d'archiviste, on pourrait dire ça de cette manière.
01:37:27 Il entend glaner toutes les preuves
01:37:32 afin que ses successeurs, d'autres historiens,
01:37:36 ensuite écriront « L'histoire du Jacobinisme ».
01:37:38 Et ces preuves, quelles sont-elles ?
01:37:40 Alors là, on est vraiment dans ce que font toujours aujourd'hui les complotistes.
01:37:44 C'est-à-dire qu'on trouve par exemple, et bien là c'est très facile,
01:37:48 vous savez, il suffit de lire Voltaire, sa correspondance,
01:37:51 les plaisanteries qu'il fait sur la religion.
01:37:54 Barruel, bien entendu, note ça scrupuleusement.
01:37:57 Il extrait cette citation de son contexte,
01:38:00 ça devient encore plus percutant, bien entendu,
01:38:02 et l'accumulation de preuves doit entraîner l'adhésion du lecteur.
01:38:09 Et il est certain que, j'imagine que le lecteur de ces années 97-98,
01:38:15 qui ne pouvait pas prendre de recul comme nous le faisons,
01:38:19 pouvait être, en effet, entraîné.
01:38:22 Il y a un très bel exemple d'ailleurs,
01:38:25 c'est ce théoricien du conservatisme britannique Edmund Burke,
01:38:30 le grand théoricien du conservatisme.
01:38:32 Burke a félicité Barruel lors de la sortie du premier tome.
01:38:37 Il lui écrit une lettre, il lui dit « Écoutez, c'est absolument fantastique,
01:38:40 je suis vraiment ravi d'avoir lu ce que vous avez écrit parce que voilà,
01:38:45 quand je suis allé en France en 1773, j'en ai vu de vos conspirateurs,
01:38:51 je les ai fréquentés.
01:38:53 À l'époque, je n'ai pas du tout réalisé ce qu'ils étaient en train de faire.
01:38:58 Mais maintenant, j'ai compris. »
01:38:59 Alors, on peut imaginer Burke, ce britannique qui,
01:39:04 comme beaucoup de britanniques, était choqué par les propos irréligieux
01:39:08 qui étaient vraiment très nombreux en France.
01:39:11 L'élite intellectuelle britannique était quand même beaucoup plus croyante.
01:39:17 Burke a dû être choqué par ses propos irréligieux.
01:39:20 Et sur le coup, il n'a rien dit, bien entendu.
01:39:22 Mais quelques années plus tard, enfin, deux décennies plus tard,
01:39:26 lorsqu'il a découvert le livre de Barruel, ça y est, tout a été…
01:39:32 - Qu'est-ce qu'il y a de commun ?
01:39:33 C'est ce qui m'a fait penser votre livre.
01:39:38 C'est qu'au fond, il y a des événements propices aux théories de la conspiration.
01:39:42 La Révolution française serait le premier événement moderne
01:39:46 propice aux théories de la conspiration.
01:39:48 On peut mettre la défaite de Carante en France,
01:39:52 l'assassinat de Kennedy, bien entendu,
01:39:55 les attentats du 11 septembre à New York et la pandémie de Covid.
01:39:59 Qu'est-ce qu'ils ont de commun, justement, je me demande,
01:40:02 à part le fait qu'ils étaient impensables, imprévisibles,
01:40:05 quelques mois auparavant, au fond, André Contrebond-Bill.
01:40:08 - C'est ça le secret.
01:40:09 D'abord, il y a quelque chose de rassurant dans ce que vous dites,
01:40:12 c'est que la sottise complotiste n'est pas réservée à notre époque.
01:40:16 J'ai tendance à le penser, donc en un sens, c'est rassurant.
01:40:19 - Et parfois, il y a du complotisme qui a raison, méfiez-vous.
01:40:22 - Mais en même temps, je comprends pourquoi.
01:40:22 C'est que quand il se passe quelque chose de spectaculaire,
01:40:25 de très compliqué, d'imprévisible, d'incompréhensible,
01:40:28 d'inexplicable en l'état, on cherche une effication.
01:40:31 La plus simple, c'est de trouver un coupable, évidemment.
01:40:34 D'où le complotisme.
01:40:35 Et le pire, il n'y a pas de complot pour la revolte française,
01:40:39 mais il y a des réseaux.
01:40:40 Parce que c'est vrai que les encyclopédistes voulaient abattre la religion.
01:40:44 Voltaire signait toutes ses lettres par "écrasons la femme".
01:40:47 Ce n'est pas un complot, c'est un réseau.
01:40:49 Et aujourd'hui, il y a encore des réseaux.
01:40:51 Mais quand on veut tout expliquer par un seul réseau et parler d'un complot,
01:40:55 on est effectivement intellectuellement dans une position d'extrême fragilité.
01:41:00 Mais voilà, face à l'incompréhensible, on cherche une effication.
01:41:03 L'explication la plus simple, c'est de trouver un coupable.
01:41:06 Et donc, on va penser que la haine sera la solution.
01:41:09 - C'est ce qu'a bien d'ailleurs dénoncé en son temps
01:41:12 quelqu'un qui était resté lucide face à cette littérature.
01:41:16 Mounier, qui était l'un des acteurs de la révolution,
01:41:19 enfin du début de la révolution.
01:41:21 Mounier était député du Dauphiné.
01:41:23 C'est lui qui a été l'initiateur du serment du jeu de paume.
01:41:30 Et en 1801, Mounier écrit un ouvrage de l'influence des francs-maçons,
01:41:36 des philosophes, des illuminés sur la révolution de France.
01:41:40 Ce livre est une réfutation de Baruelle.
01:41:42 Et il y a un passage, d'ailleurs, que je cite, mais qui est vraiment frappant pour moi,
01:41:47 parce que si on enlève Révolution française, si on extrait ce passage,
01:41:52 on a l'impression de lire le constat que l'on pourrait faire aujourd'hui
01:41:57 face à la littérature complotiste du 21e siècle.
01:42:00 Parce que que dit Mounier ?
01:42:01 Il dit, ben voilà, à des causes complexes,
01:42:06 on a substitué les causes les plus simples, les plus...
01:42:11 - Rassurantes, en fait.
01:42:13 - Bien entendu, rassurantes.
01:42:15 Et ce qu'il montre également dans ce livre, et dans ce passage, il le dit bien,
01:42:21 ce qu'il craint, lui, littéralement, c'est une sorte de régression intellectuelle.
01:42:26 Lorsqu'on lit ce genre de choses, Mounier, on peut l'imaginer,
01:42:30 c'est cet homme politique qui était assez modéré, puisqu'il a vite quitté la France,
01:42:36 parce qu'il partageait pas l'idée d'une radicalisation.
01:42:41 Mais il n'empêche que Mounier est toujours resté un grand disciple de la pensée des Lumières.
01:42:46 Et confronté à ce déluge de ces écrits complotistes,
01:42:54 Mounier se dit, mais comment le siècle qui commence
01:42:58 saura-t-il finalement un siècle aussi éclairé que celui qui s'est achevé ?
01:43:04 - Un mot, Sophie Elios, Athalie ?
01:43:08 Vous qui êtes chercheuse en sciences politiques.
01:43:11 - Il est sûr que les situations de crise nourrissent le complotisme.
01:43:18 Et effectivement, je trouve que le mot que vous venez de citer de Mounier
01:43:27 nous interpelle aujourd'hui. Que sera demain, finalement ?
01:43:31 - Alors il faut voir aussi qu'à l'époque, vous l'avez dit,
01:43:34 les communications sont réduites à très peu de choses.
01:43:38 On met des jours avant de passer de Marseille à Paris.
01:43:41 Donc il y a le temps des rumeurs, il y a le temps d'absolument tout ça.
01:43:46 - Il y a quand même une différence aussi, une différence qualitative,
01:43:52 je dirais, entre le complotisme de l'époque de la Révolution et celui d'aujourd'hui.
01:43:58 Ces gens-là, ça devait quand même écrire.
01:44:00 Barruel, c'est quand même bien écrit, même si c'est un peu rasant,
01:44:04 parce que franchement, c'est très, très long.
01:44:06 Il n'en est pas du tout le même aujourd'hui sur les réseaux sociaux.
01:44:10 On est passé, je dirais, d'un complotisme qui était un complotisme de salon,
01:44:16 de gens qui étaient quelque part les produits de leur siècle,
01:44:20 à quelque chose qui est quand même une caricature vraiment très lamentable.
01:44:23 - Ça s'est démocratisé. - Oui.
01:44:26 - Je vous remercie tous les cinq d'avoir participé à cette émission.
01:44:29 Je vous remercie de nous avoir suivis et je vous donne rendez-vous
01:44:32 samedi prochain à 22h pour un autre numéro des Visiteurs du Soir.
01:44:37 Je vous souhaite une très bonne nuit.
01:44:38 Merci.
01:44:39 Merci.
01:44:40 Merci à tous !

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