Dans son édito du 02/03/2023, Mathieu Bock-Côté revient sur la tribune publiée dans le Monde et dont les 400 signataires en appellent à une reprise en main du débat sur l'immigration.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 les « scientifiques » veulent confisquer le débat sur l'immigration.
00:03 En début de semaine, sans d'ailleurs qu'elle ne fasse débat ou ne suscite une vaste polémique,
00:08 à l'initiative d'une association qui s'appelle « Désinfox Migration »,
00:12 il y a cette tribune rassemblant 400 signataires et se réclamant de la science,
00:17 qui en appelait à une reprise en main du débat sur l'immigration.
00:21 Leur objectif, c'est le délivrer des passions dites « populaires ».
00:25 Ils proposent même de créer une nouvelle convention citoyenne sur l'immigration,
00:30 qui est semblable à celle qui a été mise en place sur le climat.
00:33 Et c'est à cette tribune que vous souhaitiez consacrer votre premier éditorial.
00:37 Oui, en fait, c'était publié dans Le Monde.
00:41 Et il faut la lire pour pénétrer dans l'esprit de ce qu'on appellera le parti immigrationniste.
00:47 Le parti immigrationniste, c'est ceux pour qui l'immigration massive et nécessaire,
00:51 heureuse, inévitable, est toujours à célébrer.
00:54 Et si vous avez quelques doutes à ce sujet, vous êtes à la fois anti-scientifique
00:56 et probablement d'extrême droite.
00:58 Bon, alors, il faut savoir cela. Pourquoi?
01:00 Parce qu'il s'agit d'une tribune qui justement prétend réinscrire le débat
01:04 sous le signe de la raison et du débat démocratique.
01:07 On comprend par là que la raison l'aurait déserté
01:09 et que le débat démocratique n'y serait pas encore.
01:12 Et c'est une tribune qui, quand on la lit, aurait pu être...
01:14 Je l'ai lu avec une forme de fascination.
01:16 J'y voyais l'équivalent d'un texte qui aurait été écrit en 1987
01:20 par l'Académie des sciences morales de l'Union soviétique
01:22 pour nous expliquer que le marxisme était l'horizon indépassable de notre temps.
01:26 Alors, je lis le premier paragraphe
01:29 qui permet ensuite de pénétrer dans l'esprit de ces gens.
01:32 « Les chercheurs de toutes les disciplines sont d'accord.
01:35 Il n'y a pas de submersion migratoire.
01:37 Les régularisations et les sauvetages en mer n'ont jamais provoqué l'appel d'air.
01:41 Et le grand remplacement de la population française est un mythe.
01:44 Sociologues, politistes, économistes, juristes, démographes, géographes,
01:49 historiens et philosophes sont unanimes sur ces questions.
01:52 Malgré leurs efforts pour se faire entendre,
01:55 les scientifiques se désolent de voir les résultats de la recherche
01:58 ignorés ou détournés dans les débats publics et les discours politiques. »
02:03 Autrement dit, nous sommes ici devant des gens qui disent
02:05 « Le débat est détourné, le débat n'est pas à la hauteur.
02:08 Les gens vivent dans la fiction, dans l'illusion, dans la paranoïa.
02:10 Mais nous allons corriger les termes du débat. »
02:14 Et là, ils disent « Nous sommes la science, nous sommes la science. »
02:16 Mais en fait, nous sommes devant, véritablement, du lysinquisme.
02:18 C'est-à-dire de l'idéologie qui se fait passer pour science.
02:21 Parmi les signataires, il y a notamment, par exemple, François Héran.
02:24 François Héran, grande figure de la démographie française, à ce qu'on dit.
02:29 Je cite un passage de François Héran, 2017, dans son livre « Avec l'immigration ».
02:34 « Puisque le témoignage direct semble faire foi pour beaucoup,
02:39 je vais donner le mien par ma seule expérience de visu.
02:42 Je suis incapable de dire si la France des années 60
02:45 recevait plus d'immigrés que la France actuelle.
02:47 » 2017, François Héran.
02:49 François Héran, aujourd'hui, dans l'I.B.
02:53 « Après avoir stagné dans les années 74 et 2000,
02:56 la part des immigrés, toutes origines confondues,
02:58 n'a cessé de progresser dans la société française.
03:01 C'est un phénomène général.
03:03 Elle a progressé de 67 % dans le monde depuis l'an 2000.
03:05 Alors, elle a progressé ou non, je ne sais plus, je ne comprends pas. »
03:09 Là, ça va encore plus loin.
03:10 Donc, il ne se passe rien.
03:11 Si, il se passe quelque chose, mais ce n'est pas ce que nous croyons.
03:15 Je cite encore.
03:16 Je cite encore, c'est important, il faut les lire au texte.
03:18 « Selon l'ONU, les migrations augmentent dans le monde.
03:22 Contrairement aux idées reçues, il n'y a pas davantage d'arrivées
03:25 dans les pays développés.
03:26 Les flux migratoires vers les pays du sud global
03:29 sont équivalents quantitativement.
03:30 Donc, ce n'est plus le sud qui remonte vers le nord,
03:33 c'est le nord qui descend aussi vers le sud.
03:35 Donc, l'africanisation de l'Europe, l'européanisation de l'Afrique,
03:38 c'est la même chose.
03:40 Il n'y a pas véritablement de mouvement migratoire
03:42 vers le nord, vers l'Occident.
03:43 Alors, nous serions tous victimes d'une forme d'hypnose collective.
03:47 Pourquoi?
03:48 Pourquoi?
03:49 Mais parce que les médias, notamment les réseaux sociaux,
03:52 les méchants partis de droite, déformeraient le débat.
03:55 Les questions en jeu sont difficiles à clarifier
03:58 dans un contexte de compétition entre médias professionnels,
04:01 réseaux sociaux et sites amateurs dans la production
04:04 et la diffusion d'informations et d'infos.
04:06 » Fin de la citation.
04:07 Toujours dans la tribune.
04:09 Alors, comment reprendre le contrôle du débat?
04:11 Comment faire en sorte de civiliser un débat public
04:14 ainsi déformé, ainsi détourné?
04:16 La proposition de la ministre de la Culture,
04:19 ce serait de fermer les chaînes info
04:20 qui traitent de cette information
04:21 autrement qu'à la manière du discours gouvernemental.
04:24 Mais bon, laissons ça de côté.
04:25 D'autres voudraient fermer les magazines.
04:27 Mais là, on a une proposition plus sérieuse.
04:29 Les scientifiques, hein,
04:31 nos scientifiques veulent reprendre le contrôle du débat
04:32 de quelle manière?
04:33 En organisant une convention citoyenne sur l'immigration.
04:37 Vous la désiriez, vous l'aurez, peut-être.
04:40 Et comment l'explique-t-il?
04:42 Il nous dit une chose toute simple.
04:43 Les citoyens méritent mieux.
04:46 Ils méritent mieux qu'un débat public
04:47 où les gens se prononcent dans les débats.
04:49 Ils ont le droit de se faire leur propre opinion
04:51 et d'exprimer un jugement éclairé
04:53 avec l'aide des scientifiques.
04:54 Une convention citoyenne sur la migration,
04:57 inspirée de la précédente sur le climat,
04:59 permettrait d'organiser un débat construit et bien informé.
05:03 Davantage qu'un référendum, un débat citoyen
05:06 a un rôle à jouer pour guider l'action publique.
05:08 Et là, tout devient clair.
05:10 C'est-à-dire que devant ce débat mal organisé,
05:13 le parti immigrationniste qui se réclame de la science
05:16 et qui dit « nous sommes la seule parole autorisée sur cette question »
05:18 dit « nous allons reprendre en main le débat,
05:21 vous n'aurez plus le malheur de vous égarer
05:23 dans des paramètres de débat,
05:24 dans des formules, des slogans qui sont mauvais,
05:27 qui sont fallacifiés.
05:28 Nous reprenons en main le débat,
05:29 vous allez nous écouter et vous débattrez dans nos paramètres. »
05:31 On appelle ça une tentative de confiscation du débat.
05:34 Alors, il y a une idée qui circule,
05:36 c'est qu'il ne faudrait plus résister à l'immigration massive,
05:39 mais l'organiser.
05:41 Mais est-ce qu'on trouve des personnes crédibles aujourd'hui
05:44 pour la soutenir, cette idée?
05:45 - Oui, c'est ça qui est étonnant.
05:46 En fait, ce sont, je dirais, moi,
05:47 des personnes crédibles intellectuellement, soyons sérieux,
05:49 que des gens qui sont crédibles socialement,
05:51 qui disposent du privilège de la respectabilité sociale.
05:54 Je cite François Gemmene dans La Croix, cette semaine.
05:57 « Mener une politique rationnelle demande du courage politique
06:01 pour considérer la migration comme une donnée structurelle
06:04 qu'il faut organiser plutôt que, lui, résister. »
06:07 Donc, vous l'aurez compris,
06:08 l'immigration massive est un phénomène naturel
06:10 sur lequel nous n'avons pas d'emprise
06:13 et qu'il faut organiser, autrement dit,
06:14 il faut l'encadrer à défaut d'être capable de le maîtriser.
06:16 C'est la logique du pacte de Marrakech
06:18 dont on parlait cette semaine,
06:19 qui consiste à créer un droit à la migration
06:22 qui vient neutraliser la souveraineté des États.
06:24 D'autres nous disent, et là, je vais reciter François Héran,
06:27 qui nous explique dans plusieurs de ses livres
06:31 que l'immigration, aujourd'hui, essentiellement, elle est légale.
06:33 Il n'y a pas tort là-dessus.
06:34 L'immigration, on parle beaucoup d'immigration illégale,
06:37 mais les changements démographiques que nous connaissons,
06:39 ils sont le fruit du droit au regroupement familial,
06:43 du droit d'asile,
06:44 et qui sont présentés toujours comme des traditions
06:47 absolument qu'on ne peut d'aucune manière déconstruire.
06:50 Ce sont les seules traditions
06:52 auxquelles on ne peut pas toucher dans nos sociétés.
06:53 Toutes les autres traditions, on les passe au marteau-piqueur,
06:56 mais le droit d'asile et le regroupement familial
06:58 ne touchent jamais.
06:59 Alors, qu'est-ce qu'on doit faire?
07:01 On doit accepter, je reprends la formule d'Héran,
07:02 qu'il faut faire avec l'immigration massive.
07:06 Et là, il nous dit, toujours Héran,
07:08 « La classe politique nous berce d'illusion
07:10 quand elle prétend détenir la clé
07:11 pour réduire drastiquement l'immigration,
07:14 comme si la France pouvait ajouter,
07:16 échapper à la dynamique mondiale. »
07:18 Et là, ça devient intéressant,
07:19 parce qu'il se prononce sur le projet de loi,
07:20 ça, c'est dans l'I.B. aujourd'hui,
07:22 il se prononce sur le projet de loi du gouvernement,
07:25 le projet de loi immigration qui viendra.
07:27 Qu'est-ce qu'il reproche à ce projet de loi?
07:28 Il dit, bon, il est beaucoup trop régalien,
07:31 mais sur les aspects sociaux, ça se défend, c'est légitime.
07:34 Et là, il critique les Républicains.
07:35 Il faut critiquer les Républicains, dit-il.
07:37 Pourquoi?
07:38 « La droite LR hurle à l'appel d'air
07:40 dès qu'elle entend parler de régularisation.
07:42 C'est raisonné à courte vue,
07:44 car si l'on ferme toute voie de régularisation,
07:47 cela augmentera le nombre d'irréguliers en France
07:49 au lieu de le réduire,
07:50 et ce, au détriment de l'ordre public
07:51 que l'on prétend défendre.
07:53 Donc, si vous voulez moins d'irréguliers
07:55 qui sont entrés illégalement,
07:56 il suffit de les régulariser,
07:58 ils ne seront plus irréguliers. »
07:59 Ça va de soi.
08:00 - Il est bon de faire.
08:01 - C'est le même argument, soit dit en passant,
08:03 qui conduit le même auteur
08:05 à nous expliquer la question du grand remplacement,
08:07 un terme que certains endossent, d'autres pas.
08:08 Moi, je laisse de côté le terme.
08:10 Mais ce qui m'intéresse,
08:11 c'est de voir son argument.
08:12 « Quant à l'obsession d'un grand remplacement,
08:15 nous dit-il,
08:16 elle repose sur plusieurs erreurs
08:17 dont la plus profonde, à mon sens,
08:19 consiste à figer les contours de la majorité
08:21 censée représenter le cœur de l'identité nationale.
08:23 »
08:24 Ce n'est pas compliqué.
08:25 Si vous expliquez qu'il n'y a plus de peuple
08:26 qui peut se faire remplacer
08:28 ou qui peut se faire transformer son identité profonde,
08:30 il n'y a plus de changement,
08:31 il n'y a plus rien à craindre.
08:33 Soit dit en passant,
08:34 c'est tout aussi l'argument de Mme von der Leyen
08:35 qui nous expliquait que
08:36 pour la meilleure manière de lutter contre l'immigration illégale,
08:38 c'est de la rendre légale encore une fois.
08:40 - Je vous retourne quand même la question.
08:41 Pourquoi le débat public ne s'apaise-t-il pas
08:43 un peu plus sur l'immigration ?
08:45 - Tout simplement parce que le commun des mortels,
08:48 le citoyen ordinaire,
08:49 celui qui n'a pas eu le privilège immense
08:51 d'avoir la révélation des scientifiques
08:53 qui prétendent expliquer désormais
08:54 à la lumière d'un savoir supérieur
08:56 et vaguement soviétique
08:57 ce qui est vrai, ce qui est faux,
08:58 continue de se voir comme un peuple,
09:00 continue de se voir comme une nation,
09:02 continue de se penser dans le langage de la culture,
09:04 continue de se penser dans le langage de l'identité,
09:07 continue de croire,
09:08 et c'est particulier, ça j'insiste là-dessus,
09:10 il croit à l'assimilation.
09:11 Quand un immigré prend les codes culturels français,
09:14 eh bien il dit c'est parfait, c'est un français.
09:16 Il croit à l'assimilation.
09:17 C'est pas une vision raciale de l'identité,
09:19 c'est une vision culturelle.
09:20 Mais si on est devant quelqu'un
09:22 qui a été naturalisé,
09:24 mais qui a pas été acculturé,
09:26 qui a pas été assimilé
09:27 sur le plan culturel ou identitaire,
09:28 eh bien on dit là, il y a un problème.
09:30 Donc il y a d'un côté français administratif
09:32 et de l'autre côté français d'identité.
09:34 Et le commun est mortel et conscient de cela.
09:37 Autrement dit, une nation,
09:38 c'est pas simplement les valeurs de la République,
09:40 c'est pas simplement un tampon administratif,
09:42 c'est pas simplement des règles de droit,
09:43 c'est une culture, une langue, une mémoire,
09:45 une identité, des moeurs.
09:46 Le commun est mortel, c'est cela.
09:48 Nos grands savants ne le savent plus.
09:50 Et voilà pourquoi je conclurai avec cette formule toute simple,
09:53 si la France était peuplée aujourd'hui de Danois,
09:56 ou de supporters britanniques,
09:58 ou de Suédois,
09:59 vous comprenez?
10:00 Est-ce que ce serait encore la France,
10:02 ou serait-ce le Danemark,
10:03 ou la Grande-Bretagne,
10:05 ou la Suède?
10:06 Est-ce qu'un pays,
10:07 c'est simplement un territoire administratif indifférent
10:08 à sa culture,
10:09 ou est-ce qu'un pays,
10:10 c'est pas d'abord son peuple et les institutions,
10:12 le pays qu'il se donne?
10:13 Je crois que c'est assez question,
10:14 le commun est mortel,
10:15 il sait comment répondre,
10:16 mais je ne doute pas que nos grands scientifiques
10:17 répondraient autrement.
10:18 [Musique]
10:21 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]