Qui n’a jamais voulu devenir un James Bond des temps modernes, avoir un faux nom et cacher sa propre identité ? Au-delà de la fiction, la réalité de ce métier est plus complexe qu’au cinéma : art de la dissimulation, questions de sécurité nationale et danger de mort font partie du quotidien.
Comment garder la tête froide lorsque l’on vit dans le secret et que l’on est face à de tels enjeux politiques ? Comment mener sa propre vie lorsqu’on est supposé sauver celles des autres ?
Pierre est venu nous raconter son histoire.
Merci à Pierre Martinet pour sa confiance et son partage d'expérience.
Retrouvez-le sur instagram : https://www.instagram.com/pmartinet180464/
Son livre : Pris en otage, un agent du Service Action raconte (Mareuil Éditions) est disponible partout.
Suivez O-Rigines le nouveau média qui s’intéresse à l’histoire des histoires.
Youtube : https://www.youtube.com/@originesmedia
Instagram : https://www.instagram.com/origines.media/
Twitter : https://twitter.com/Originesmedia
TikTok : https://www.tiktok.com/@originesmedia
Comment garder la tête froide lorsque l’on vit dans le secret et que l’on est face à de tels enjeux politiques ? Comment mener sa propre vie lorsqu’on est supposé sauver celles des autres ?
Pierre est venu nous raconter son histoire.
Merci à Pierre Martinet pour sa confiance et son partage d'expérience.
Retrouvez-le sur instagram : https://www.instagram.com/pmartinet180464/
Son livre : Pris en otage, un agent du Service Action raconte (Mareuil Éditions) est disponible partout.
Suivez O-Rigines le nouveau média qui s’intéresse à l’histoire des histoires.
Youtube : https://www.youtube.com/@originesmedia
Instagram : https://www.instagram.com/origines.media/
Twitter : https://twitter.com/Originesmedia
TikTok : https://www.tiktok.com/@originesmedia
Category
😹
AmusantTranscription
00:00 coup d'un seul, il y a des mecs cagoulés avec des ***** qui nous sautent dessus. Pierre
00:04 se retrouve à ma gauche, je le vois mettre sa main à la poche et au même moment j'entends
00:08 une détonation, donc il a été tué comme ça, à côté de moi. J'étais au lycée,
00:12 j'étais voué à une carrière de sportif et un jour j'ai vu arriver un camarade à
00:16 mon lycée, crâne rasé, alors qu'il avait une coupe normale à l'époque. Je lui ai
00:19 dit "mais qu'est-ce qui t'arrive ?" Il me dit "j'ai fait une préparation militaire
00:21 parachutiste". Je lui ai dit "quoi ? Qu'est-ce que c'est ? Je ne connaissais pas." L'idée
00:24 a fait son chemin, la semaine d'après je suis allé tout seul m'inscrire au centre
00:29 de documentation de Toulon. En janvier 1982, je fais ma première préparation militaire
00:33 parachutiste à Nice, j'ai fait mon premier saut en Corse et quand je me suis posé, j'ai
00:40 dit "c'est ce métier que je veux faire". Donc j'ai tout lâché et j'ai fait cinq
00:44 préparations militaires parachutistes d'un coup. Moi ce qui m'intéressait, déjà tout
00:47 jeune dans les lectures que j'avais, c'était voir ses parcours humains pendant ses conflits.
00:51 Ce n'est pas la guerre qui m'attire, la guerre c'est moche, ça pue, c'est sale,
00:54 les gens meurent, ça détruit les gens, ça détruit les pays, ça détruit les familles.
00:58 Mais c'est ce qu'on ressent pendant ces moments-là. Et ça c'est quelque chose qu'on
01:01 trouve nulle part ailleurs. Risquer sa vie ensemble. La première fois où je me suis
01:04 retrouvé confronté à ça, on était quatre dans un camion, on est tombé dans une embuscade
01:08 avec des russes qui nous ont interpellé, un lanceur anti-char russe, des tirs de camion.
01:14 On était quatre dans ce camion, aucun n'est mort, aucun n'a été blessé, on a riposté.
01:18 Ce qui s'est passé ce jour-là, avec ces trois autres personnes, Luc, Charlie, Dominique,
01:23 on est liés à vie. Et ça on le retrouve nulle part ailleurs. Ce sentiment de fraternité
01:28 au-delà de la fraternité. Donc tout ça c'est une vie de mouvement, une vie à se
01:33 mettre en danger entre guillemets, pour se sentir vivant, pour s'oublier et pour être
01:38 au service des autres aussi. S'oublier qu'est-ce que c'est ? C'est parfois, psychologiquement,
01:42 éviter de se poser certaines questions sur soi. Ce qu'on peut ressentir quand on a
01:46 vu des morts, ce qui m'est arrivé à 19 ans, où j'ai vu mes premiers morts, où
01:51 c'était des temps où il y a eu des attentats à Beyrouth, où on a été confrontés pendant
01:56 une semaine entière à sortir des personnes vivantes, survivantes. Donc plutôt que d'en
02:03 parler, à cette période-là, il n'y avait pas de suivi psychologique, donc on essayait
02:08 de faire abstraction de tout ça. On oubliait ça, on mettait ça de côté. Ce qu'on disait,
02:11 c'est qu'on était des parachutistes, on mettait le beret rouge sur la tête, on faisait
02:15 du sport, on picolait, on se battait, on oubliait tout ça. Mais en fait, ça ressurgit toujours
02:21 un jour ou l'autre. Donc pour mes 40 ans, j'ai eu toute cette merde qui est ressortie
02:25 et ça m'a été assez. J'ai vécu des périodes très difficiles qui m'ont valu des suivis
02:30 psychologiques, une vraie psychanalyse pour essayer de mettre des mots sur des mots, essayer
02:35 d'admettre qui j'étais réellement parce que je ne savais pas vraiment qui j'étais.
02:38 Parce que quand on passe une vie à s'oublier et à penser qu'aux autres et à partir,
02:42 le fuyer la main au Tchad, au Liban, on ne pense pas à soi. L'être humain en général
02:47 n'est pas préparé à subir de telles choses ou d'être confronté à la misère humaine
02:51 dans lesquelles on peut voir des enfants mourir. Je me souviens de l'attentat à Drakkar où
02:56 ils ont ressorti la petite fille du gardien de l'immeuble où étaient stationnés les
03:01 Français. Donc il y avait un Libanais et une famille. Et je me souviens encore du ventre
03:04 ouvert de la petite fille qu'ils ont mis dans une bassine. On n'est pas préparé à ça.
03:07 Cependant, on est entraîné durement, physiquement, psychologiquement pour aller au combat. Donc
03:13 toutes ces émotions, on n'en a pas besoin. On n'a pas besoin d'avoir d'émotions.
03:17 On n'est pas des machines, mais on est là pour faire abstraction de la partie psychologique
03:22 de notre métier. Pour vivre dans ces milieux-là, on est obligé à une période d'essayer
03:28 de faire abstraction de ça. C'est ce qu'on pensait à cette période-là. C'était une
03:31 erreur. Parce qu'avec du recul, toute cette accumulation, même si c'était inconscient,
03:38 même si on n'avait pas l'impression qu'on était en train de sombrer pour certains, il
03:43 y avait des signes. Quand tu passes tes soirées à picoler, même quand tu as 20 ans, 21 ans,
03:47 on picolait tous les soirs, on se battait tous les soirs. Tout ça, c'est quoi ? C'est
03:51 un exutoire. La p***, c'était un exutoire. Moi, la p***, ça fait partie de ma vie, donc
03:55 c'était un exutoire. À chaque fois que je sortais, je me battais. Aujourd'hui, les
03:58 armées, les forces spéciales, les forces clandestines ont mis en place un suivi psychologique.
04:03 C'est une vraie bonne chose parce que les gens, il y a des alertes et ils sont plus
04:07 performants. Le but, c'est de durer. Le but, ce n'est pas de se mettre une balle dans la
04:12 tête à la fin de notre carrière. Paradoxalement, j'avais 27 ans et j'étais déjà fatigué
04:16 parce que je n'avais pas arrêté. On n'en pouvait plus. Je me rendais compte, on en
04:20 avait marre. Je n'avais pas de chez-moi, j'avais déjà divorcé. Je n'avais pas un
04:26 sou devant moi parce qu'on dépensait tout. Après cette période djiboutienne, j'avais
04:33 rencontré quelqu'un, une femme qui était déjà à la direction générale de la sécurité
04:39 extérieure, c'est les services secrets français, et plus précisément au service
04:43 d'action de la DGSE. C'est des hommes et des femmes qui font des missions secrètes
04:47 d'élimination de personnes ou bien de destruction de bâtiments ou de bateaux par exemple.
04:53 Je m'étais dit, est-ce que je retourne dans mes régiments pour partir sans arrêt ou
04:58 est-ce que j'essaye d'aller à Orléans pour essayer de construire quelque chose de
05:02 plus sérieux ? A la fin de mon cheminement, c'était 1997,
05:06 j'étais affecté au service d'action de la DGSE où ma femme était déjà. On apprend
05:11 à mentir. C'est vraiment le béaba du métier, c'est de mentir, avoir des prétextes.
05:16 À chaque fois qu'on faisait quelque chose, il faut un prétexte. On apprend à faire
05:18 des photos sous support, à faire des films sous support. Après, j'étais amené à
05:22 surveiller des islamistes donc je n'ai fait que ça.
05:24 À la fin de cette formation, on choisit une cellule. Il y a une cellule où on fait des
05:29 sauts en parachute, où on pose des avions dans les champs, ça s'appelle les opérations
05:32 aériennes clandestines. Il y a une cellule où on apprend à faire des exploits, à construire
05:37 de l'exploit, du tir, du karaté, tout ça. C'est une cellule particulière. Il y a une
05:42 cellule aussi vidéo, photo, ouverture de porte où on apprend à ouvrir toutes les
05:47 portes du monde entier. Et il y a une autre cellule où on ne fait que de la RFA, c'est
05:52 renseignement à fin d'action. Et cette cellule-là, c'est vraiment le cœur du métier de l'agent.
05:56 C'est-à-dire qu'on a un faux passeport, on a une fausse identité. Je partais à l'étranger
06:01 pour faire des dossiers, pour éliminer des terroristes. Donc ça, c'était un truc extraordinaire.
06:05 C'était vraiment le cœur du métier. Et cette sensation-là de franchir des frontières
06:11 avec un faux passeport et d'être une autre personnalité, ce n'est pas James Bond.
06:15 C'est vraiment la réalité. On n'a pas de Ferrari ni d'Aston Martin. Il n'y a
06:19 pas de belles blondes autour de nous, mais c'est de la réalité.
06:23 Quand on arrive pendant la formation, au deuxième jour, on nous dit, le sergent-chef Martin
06:30 et Pierre, toi, tu seras Florent. L'autre, c'était Mavrick. L'autre, c'était Gérard.
06:34 L'autre, c'était machin. Chaque personne a un pseudo.
06:38 En fait, le but, c'est de dissocier la vie privée de la vie professionnelle. C'est
06:42 une sorte de sas de sécurité entre les deux. Donc au quotidien, je m'appelais Florent.
06:48 Mais quand je partais en mission, je n'étais pas Florent, parce que Florent, c'est un
06:50 pseudo. Quand je partais en mission, j'avais une légende. Et cette légende, c'était
06:54 que je m'appelais Vincent Sadan. J'en avais deux, en fait. J'étais Vincent Sadan
06:58 ou Vincent Devred. Et donc, dans cette légende, j'avais un passeport, j'avais un carte
07:01 d'identité, un permis de conduire, etc., un compte en banque.
07:04 Quand on a 33 ans, aller ouvrir un compte en banque sans passer bancaire, il faut trouver
07:09 une excuse. La banquière, elle me dit, vous étiez dans quelle banque avant ?
07:12 Je n'ai jamais eu de banque. Elle me dit, vous avez 33 ans, vous n'avez pas de banque.
07:16 Il ne faut pas alerter, il ne faut pas que ce soit.
07:18 J'ai dit, écoutez, moi, ça fait 15 ans que je vis, je suis gigolo et je vis au crochet
07:22 d'une vieille femme dans le 16e arrondissement. Et puis, elle est décédée. Et ça a fallu
07:27 une vie dehors. Donc, je n'ai pas d'argent. Aujourd'hui, j'ouvre un compte en banque
07:30 pour la première fois de ma vie. C'est un peu un métier de comédien.
07:32 Donc moi, j'étais vraiment fait pour ça. J'étais vraiment un agent de terrain. J'étais
07:36 capable de rester à la même place pendant des heures et des heures, à attendre une
07:40 très bonne filature. Et ça, c'était une vie passionnante de filature, de dossier.
07:46 Et là, j'avais 20 ans de service, donc j'avais 38 ans. J'avais fait le tour de pas mal de
07:50 choses. Même à l'aide des GSE, je commençais à trouver ça rontinier. Il faut le faire
07:54 quand même. J'ai pris la retraite en 2002. En 2002, je suis parti. Je me suis retrouvé
07:58 à travailler dans le privé chez Canal+. Mais je faisais la même chose, j'espionnais
08:01 les pirates audiovisuels. Donc ça, c'était vraiment le truc qu'il ne fallait pas faire
08:05 parce que je me suis retrouvé à faire n'importe quoi.
08:07 Quand je suis arrivé à Canal+, j'ai été recruté parce qu'ils avaient monté une cellule
08:11 pour traquer les pirates audiovisuels parce qu'à l'époque, Canal+ était piraté.
08:15 La carte Canal+ était piratée. Donc, ils perdaient beaucoup d'argent. Et de fil en
08:18 aiguille, je me suis retrouvé à espionner les salariés de la chaîne Canal+ parce que
08:21 j'étais dirigé par un mec qui était assez douteux. Et après, j'étais pris dans le
08:26 truc et je l'ai fait. J'assume ce que j'ai fait parce que j'étais condamné aussi pour
08:29 ça. Donc, petit à petit, je me suis retrouvé à faire les poubelles.
08:31 Et là, j'ai rencontré une personne qui était à l'opposé de moi. C'était une personne
08:36 qui était dans la lumière, une personne qui était lumineuse, vraiment axée sur la psychologie
08:40 et avec qui je me suis vraiment bien entendu. On a eu une relation d'amour même.
08:45 Et un jour, on est allé voir un film qui s'appelait « Le cœur des hommes ». Et à un moment
08:49 donné, je crois que Darussain dit à Gérard, à Dermot, aux autres « Et toi, qu'est-ce
08:53 que tu ferais si t'étais moins con ? » Et elle, en sortant du cinéma, elle me dit
08:56 « Qu'est-ce que tu ferais si t'étais moins con ? » Et bien, je dis « Ce que je
08:59 ferais, c'est que j'arrêterais de faire ce métier de merde parce que je deviens une
09:01 merde. Et à force de fouiller dans les poubelles, je deviens une poubelle. » Et elle m'a dit
09:05 « Qu'est-ce que tu voudrais faire ? » Et bien, je lui dis « Moi, je voudrais faire
09:07 du théâtre. » Elle m'a dit « Fais-le. » Et en fait, cette personne, sans le savoir,
09:11 elle m'a sauvé la vie. Et du jour en un, j'ai tout lâché. Je suis allé prendre
09:13 des cours de théâtre à 40 ans. J'ai fait du théâtre, j'ai fait de la peinture.
09:16 Et c'est là que j'ai fait ce long cheminement vers la lumière.
09:20 Entre-temps, j'avais rencontré une nouvelle femme qui est devenue ma troisième femme.
09:24 Et donc, là, on est dans les années 2000, 2010, 2011. Et c'est début 2011, il y a
09:30 les printemps arabes. Moi, j'avais qu'une envie, c'était de repartir dans des pays
09:33 en guerre. Et j'ai un copain qui avait une société, la première société militaire
09:37 privée en France, la société qui s'appelait Secopex. Je l'ai appelé et je lui ai dit
09:41 « Pierre, j'ai besoin de retrouver ce que j'avais avant. » Et là, il m'a dit
09:44 « Voilà, j'envisage d'aller à Benghazi en Libye pour ouvrir un bureau là-bas et
09:48 proposer nos services au Conseil national de transition. » C'est ce qui dirigeait
09:53 les rebelles qui voulaient faire tomber Kadhafi à cette période. J'ai aussi acheté une
09:57 société de taxi à Ocker pour… Ça sert de couverture. J'ai fait pas mal de trucs.
10:03 « Est-ce que t'es capable de t'infiltrer avec une équipe là-bas ? » Alors infiltrer,
10:07 c'est pas le terme, c'est franchir la frontière avec une équipe là-bas officiellement,
10:11 avec des cartes de visite de la société, avec des plaquettes commerciales de la société
10:15 pour offrir nos services aux rebelles, pour les former, etc. Et le 17 avril 2011, on est
10:23 parti en Égypte. Et moi, j'avais pour mission d'amener la preuve que derrière la révolution,
10:28 il y avait l'islamisme qui allait se mettre en place. J'avais pour mission d'acheter
10:31 une maison là-bas ou de louer une maison qui nous servait de « maison sûre », de
10:34 safe house comme on appelle dans le jargon. Donc une maison sûre, qu'est-ce que c'est ?
10:37 C'est une maison qui peut recevoir des gens de passage en toute discrétion. Et aussi,
10:43 parallèlement, Éric et Fred avaient comme mission de décrocher des rendez-vous avec
10:47 les autorités de l'époque. Et une fois qu'on avait ces rendez-vous, on devait faire
10:51 venir Pierre Marziani, le directeur de la société, pour éventuellement signer des
10:54 contrats ou avancer dans ces contrats-là. Donc on avait réussi à décrocher des rendez-vous
10:59 pour le 12 mai 2011. Donc Pierre est arrivé au Caire le 10. On décide d'aller manger
11:08 dans la pizzeria où on allait manger régulièrement, où ils faisaient des pizzas comme ça. Et
11:11 ensuite, aux alentours de 23h30, on quitte le restaurant. Ils partent devant avec Éric,
11:19 Fred, Georges et Pierre. Moi, je reste un peu en retrait. Je prends le téléphone satellite.
11:23 J'appelle l'associé de Pierre pour lui dire « c'est bon, j'ai réceptionné
11:27 le colis ». J'en profite pour appeler ma femme. Je lui dis, comme je le faisais régulièrement,
11:32 « tout va bien ». Je raccroche et je les rejoins dans cette rue sombre. Quand j'arrive
11:36 à leur hauteur, je vois arriver un pick-up avec une mitrailleuse bitube comme ça. Bitube,
11:43 c'est une grosse mitrailleuse de 14.5 soviétique, bitube comme ça. Et d'un coup d'un seul,
11:50 il y avait deux, trois voitures à côté. D'un coup d'un seul, il y a des mecs cagoulés
11:54 avec des trinoirs qui débarquent et avec des coquins qui nous sautent dessus, qui nous
11:59 mettent au sol, qui nous jettent au sol. Ils nous disent de mettre les mains derrière
12:03 la tête. Pierre se retrouve à ma gauche. Moi, je me retrouve comme ça. Je le regarde
12:06 sur le côté. Les autres sont sur la droite, mais je ne les vois pas puisque j'étais
12:09 comme ça. Et ça a été très rapide, vraiment très rapide. Et là, Pierre, il avait ce
12:14 fameux téléphone dans sa poche gauche. Il était comme ça. Je le vois mettre sa main
12:18 à la poche. Et au même moment, j'entends une détonation. Donc, il a été tué comme
12:22 ça, à côté de moi. Et là, ce qui m'est venu à l'esprit, c'est qu'on allait être
12:25 exécuté. Sur le moment, j'ai dit c'est la fin. On va mourir dans cette rue. Donc,
12:29 j'ai fermé les yeux et je me suis dit, je vais en prendre une. J'ai attendu de mourir.
12:33 Il n'y a pas eu de deuxième tir. Et à la place de ça, ils nous ont sauté dessus,
12:36 ils nous ont attaché les mains dans le dos avec des serflex et ils nous ont relevé.
12:39 Ils nous ont bandé les yeux. Avant de nous bander les yeux, ils ont pris le corps de
12:44 Pierre Marziani. Ils l'ont jeté dans le pick-up comme ça. Ils ont crié docteur,
12:47 ils ont crié l'hôpital. Ils nous frappaient, ils nous ont fait des coups de crosse. Ils
12:49 nous ont jeté dans les véhicules et là, on subissait. On ne savait pas ce qui se passait.
12:56 Ils nous ont jeté dans les véhicules et on s'est retrouvé à bout de quelques minutes
13:00 dans une sorte de caserne avec plein de mecs en armes qui gueulaient, qui nous arrachaient
13:05 ce qu'on avait sur nous, la montre, l'argent que j'avais, enfin tout. Donc là, c'était
13:10 la panique totale. Je ne savais pas ce qui se passait. On s'est retrouvé dans un couloir
13:14 éclairé par des néons. Ils m'ont mis jeté dans le premier cachot, les autres derrière.
13:19 Je me suis retrouvé comme ça dans un cachot tout noir avec une légère lumière qui passait
13:25 au-dessus de la porte. Et il y avait trois autres détenus avec moi. J'entendais tirer,
13:31 j'entendais crier, j'entendais des coups. C'est la première fois de ma vie où j'ai
13:38 eu peur. Je ne connaissais pas le sentiment de la peur. J'ai découvert la peur ce soir-là.
13:41 Et puis à un moment donné, on vient me chercher. Je me retrouve assis sur une chaise comme
13:45 ça, face à quelqu'un. Il y avait quelqu'un à ma gauche, face à quelqu'un qui était
13:49 cagoulé. Et le mec à ma gauche qui était assis sur une chaise armé, le mec cagoulé
13:55 en face de moi me dit « alors monsieur l'espion, on sait tout de toi, on sait que tu nous espionnes,
14:00 on sait que tu travailles pour Kadhafi et tu vas tout nous dire ce soir ». Alors là,
14:04 je me suis dit « putain, là on est mort ». On veut savoir où vous cachez vos armes,
14:12 on veut savoir le nom de vos contacts à Tripoli, on veut savoir le nom de vos commanditaires
14:17 à Tripoli, etc. Je faisais le mec qui ne comprenait pas. Je lui disais « on ne travaille
14:23 pas pour Kadhafi, on n'a jamais travaillé pour Kadhafi, au contraire. On vient vous
14:27 aider, je ne comprends pas pourquoi vous faites ça ». Et l'autre à côté me frappait
14:30 avec son briquet retourné, il me tapait, il me mettait des coups sur la tête. Donc
14:33 je commençais à saigner, mais vraiment vite. Et lui il me disait « de toute façon tu
14:37 vas parler ce soir, on te tuera, mais tu nous diras tout ce soir ». Au bout d'un moment,
14:43 ce que je dis régulièrement c'est qu'on devient un animal, on ne sent plus les coups.
14:46 Et au bout d'un moment, à force de prendre des coups, je ne sens plus la douleur. Et
14:49 je lui ai dit « écoute, tu peux me frapper toute la nuit, tu peux faire ce que tu veux,
14:54 je ne te dirai rien parce que je ne sais rien, donc vas-y, tu peux me tuer tout de suite ».
14:57 Et là, pendant un moment, je l'ai regardé fixement dans les yeux, je lui ai dit « vas-y
15:01 tue-moi ». Et après il a baissé les yeux et j'ai su qu'il ne me tuerait pas. Et
15:04 donc là, il m'a dit « on ne te tuera pas ce soir ». Comme ça. Et ils m'ont dit
15:08 « on va te mettre dans ta cellule, on revient te chercher dans une demi-heure et là tu
15:11 vas nous parler ». Putain, je me suis dit « ouf ». Mais j'étais prêt à mourir,
15:15 je m'en foutais, je me suis dit « de toute façon, là c'est la fin ». Ils m'ont
15:18 renvoyé dans ma cellule et ils ne sont jamais venus me chercher. Et je sais que j'avais
15:23 gagné une bataille, mais pas encore la guerre, parce qu'après ça a duré un peu plus
15:27 longtemps, ça a duré plusieurs jours comme ça. Et ça a été difficile parce qu'on
15:31 a eu des simulacres d'exécution. Je pense à Fred aussi qui était à genoux dans une
15:34 pièce torse nu, il lui jetait des sauts d'eau, il armait le pistolet et « clic ». Donc
15:42 ça, c'est vieux. Je l'ai eu aussi. Donc au bout de… ça c'était le mercredi
15:47 je crois. Le samedi soir, ils viennent nous chercher. Alors je me dis « mais vous m'emmenez
15:52 où ta gueule ? ». Et à chaque fois je me disais « mais non, moi je n'irai pas,
15:55 si tu dois me tuer, tu me tuer ici ». Je me débattais tout le temps. Et je me suis
15:59 retrouvé en fait, ils m'ont amené dans un autre bâtiment. Et là j'ai reconnu
16:03 des Français. C'était des gens du GIGN, le GIGN c'est le groupe d'intervention
16:07 de la Gendarmerie Nationale, un groupe mondialement connu, qui protégeait en fait le représentant
16:12 de l'État français, le fameux monsieur Syvain qui faisait office d'ambassadeur
16:17 à Benghazi. Et finalement on a eu de la chance parce que dans notre malheur on n'est resté
16:22 qu'11 jours. C'est peu, c'est intense, ça a été intense, mais très peu par rapport
16:26 à ceux qui sont restés de longues années, je pense à tous ceux qui sont restés un
16:29 an, deux ans ou trois ans. En fait on a été libérés grâce à la France, parce que la
16:34 France soutenait les rebelles qui voulaient faire tomber Kadhafi. Donc d'un côté ils
16:38 étaient aidés par les Français, et de l'autre côté ils détenaient des Français.
16:41 Et ils avaient tué un Français, c'est le seul mort. Donc ils se disaient « on va
16:45 peut-être pas les garder parce que sinon on va à l'encontre de ceux qui sont en
16:49 train de nous aider ». Donc on a eu cette chance-là, et au bout de 11 jours, ils nous
16:52 ont expulsés. Alors, dès l'instant où on savait qu'on allait être libérés,
16:56 c'était le 21, à peu près, le 21 au soir. Donc le 22 au matin, on était au Caire,
17:03 là le vice-consul de l'ambassade de France en Égypte nous a réceptionnés. On est
17:08 partis dans les voitures, et on a fait 20-30 kilomètres, on s'est arrêtés dans une
17:13 station de service désaffectée. Et je me souviens avoir appelé ma femme, et de l'entendre,
17:18 j'ai failli craquer et pleurer. Et je me suis ressaisi, et je me suis dit « je suis
17:23 pas en France encore ». Moi j'étais super concentré. Le lendemain, on a pris l'avion,
17:27 et donc on s'est retrouvés en fin de matinée à Paris-Charles de Gaulle. Et là, toujours
17:33 pareil, j'étais concentré, et jusqu'à ce qu'on parte de Charles de Gaulle, on
17:37 s'est retrouvés dans la voiture entre Charles de Gaulle et l'appartement qu'on
17:40 avait à Sceaux. Et là, j'ai explosé, j'ai tout lâché, j'ai chialé pendant
17:46 de longues minutes, et ça a été un soulagement intense. Ça, c'était encore un autre événement
17:54 de ma vie qui a été difficile. Donc en 2005, j'ai décidé de faire mon
17:57 premier livre et de raconter mon histoire à la DGSE. Mon premier livre s'est appelé
18:01 « DGSE, service action, un agent sort de l'ombre ». Et donc après, j'en ai fait
18:05 d'autres, un deuxième, un troisième, un quatrième, un cinquième, des romans avec
18:09 des co-auteurs. Et quand j'étais dans ma cellule à Benghazi, je me suis dit « quand
18:13 je sortirai, il faut que j'écrive, il faut que je le fasse, il faut que je raconte. Il
18:17 faut que je raconte surtout pour Pierre Margerly, parce que je savais qu'il avait été tué.
18:20 » Et ça m'a pris dix ans. Et moi, ce qui est important dans ce dernier livre, donc
18:24 « Pris en otage aux éditions Mareuille », c'est de, un, rendre hommage à Pierre Margerly,
18:29 deux, rétablir un petit peu ce qui s'est passé ce soir-là, parce qu'il y a eu beaucoup
18:34 de fausses informations qui ont été diffusées après. Et c'est surtout pour dire qu'on
18:38 peut se sortir de tout. On a la capacité en nous, quelles que soient les épreuves qu'on
18:44 traverse, on a cette capacité à rebondir, on a cette capacité à aller chercher au
18:48 fond de nous-mêmes cette puissance et cette force pour aller de l'avant. Même si on
18:52 est confronté au pire des scénarios, à des moments où on pense que c'est fini,
19:01 ou à des moments où on pense qu'on va crever, le lendemain, c'est à nouveau la
19:04 lumière, à nouveau le soleil, et on est capable d'aller de l'avant. Et ça, franchement,
19:08 c'est un truc extraordinaire.
19:09 [Générique]