"Le coût de l'inaction est supérieur au coût de la décarbonation" prévient Yamina Saheb, économiste et autrice du GIEC

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00:00 L'invité éco, Isabelle Raymond.
00:04 Bonsoir à toutes et à tous.
00:06 Travailler plus longtemps est-il compatible avec l'urgence climatique ?
00:10 Question posée ce soir à l'invité éco Yamina Saeb.
00:13 Bonsoir.
00:14 Vous êtes économiste, chercheuse à l'OFCE, docteur en énergétique et autrice du GIEC,
00:19 le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.
00:23 Dans une tribune publiée en début de mois sur le site internet de France Info,
00:27 des ONG environnementales appellent à se mobiliser contre la réforme des retraites.
00:32 Au motif, je cite, que travailler plus, c'est produire plus, c'est extraire plus, c'est polluer plus.
00:38 Est-ce que vous êtes d'accord ?
00:40 Alors moi, en tant que personne, mon avis ne compte pas tellement.
00:44 Mais je peux vous dire ce que j'ai trouvé dans la littérature scientifique.
00:47 Pour le rapport du GIEC, moi j'ai regardé la littérature sur la sobriété.
00:50 J'étais assez surprise de trouver que l'une des mesures phares de la sobriété, c'est travailler moins.
00:55 Mais ça parle plutôt de la semaine de 4 jours, du nombre d'heures travaillées par semaine.
00:59 Ça ne touchait pas à la question des retraites, avec l'argument que le bien-être des personnes,
01:04 ce n'est pas le nombre d'heures travaillées qui augmente le bien-être des personnes,
01:08 mais bien d'autres activités qui ne sont pas monétisées, qui augmenteraient le bien-être des gens.
01:13 Et donc, dégager du temps pour des choses qui ont du sens, et ça limiterait les dépressions, les arrêts de travail, etc.
01:20 Et donc, travailler deux ans de plus, puisque c'est une des mesures phares de la réforme des retraites,
01:24 passer l'âge légal de 62 à 64 ans, ça n'est pas compatible, selon vous ?
01:30 Je me permets, moi, de dire que ça ne va pas dans le sens de l'histoire.
01:37 Parce que justement, si on travaille plus, on peut faire l'hypothèse qu'on va gagner plus,
01:43 ce n'est pas tout à fait le cas apparemment de cette réforme, pour une bonne partie des citoyens qui devraient travailler plus.
01:49 Et donc, si on travaillait plus, ça veut dire qu'on gagnerait plus, et si on gagnait plus, ça veut dire qu'on dépenserait plus,
01:55 et donc on consommerait plus de ressources naturelles.
01:57 Et c'est ça, en fait, c'est ce système-là que vous pointez du doigt, en tout cas, dont vous montrez les incohérences.
02:02 Est-ce que vous pensez que c'est pour cette raison, notamment, qu'il y a de plus en plus de jeunes dans les manifestations contre la forme des retraites ?
02:08 Alors, c'est très bien que les jeunes se mobilisent contre les réformes que le gouvernement propose,
02:13 et qu'il se projette, ça se voit que les jeunes se projettent dans le futur, et ne se projettent pas dans le modèle économique dans lequel nous avons grandi.
02:21 Et dans le modèle économique qui nous est proposé par le gouvernement,
02:24 parce que finalement, cette réforme des retraites n'est rien d'autre que la continuation d'un modèle économique qui a atteint ses limites, en vérité,
02:30 et les jeunes n'en veulent pas.
02:31 Et il faut écouter les jeunes, parce qu'ils veulent un modèle différent, un modèle plus basé sur ce qu'on appelle l'économie du bien-être et du partage.
02:38 Alors, sauf que dans les arguments avancés par le gouvernement, il y a celui de l'équilibre financier du système,
02:43 et il dit que si on continue à remettre de l'argent dans ce système déficitaire, c'est de l'argent qui ne va pas aller à l'école, à la santé,
02:50 puisque le système, il sera déficitaire à terme de l'ordre de 13,5 milliards, je crois, à horizon 2030.
02:56 Alors, il y a différentes façons de combler ce déficit-là.
02:59 Le choix qui a été fait, l'outil d'équilibrage qui a été utilisé par le gouvernement, est vraisemblablement pas le bon outil,
03:07 étant donné toutes les réponses de la société à la réforme.
03:14 Mais d'une façon générale, cette réforme-là, ce qu'elle pose comme problème, et qui est lié à la question du changement climatique,
03:19 c'est qu'au lieu de revoir, on garde le même système, on essaye de garder le même système,
03:24 et on met en place des mesurettes pour… on fait du rafistolage, en fait.
03:28 Et donc, c'est ça qui ne fonctionne pas.
03:30 Et on ne peut pas… le monde a changé, mais nous, on garde le système d'avant du XXe siècle,
03:36 et on essaye d'être dans le XXIe siècle avec le système du XXe siècle, qui est, en fait, qui a atteint ses limites,
03:43 pas juste d'un point de vue planétaire, économique et sociétal.
03:46 Sauf que le gouvernement, on a l'impression en tout cas, dans le discours qu'il avance sur ses deux jambes,
03:51 le coût de la décarbonation de l'économie française, il a été chiffré à 50 milliards par an,
03:56 par plusieurs experts, par plusieurs économistes, et l'enjeu, on dirait qu'il est quand même pris en compte par le gouvernement,
04:02 qui investit quand même massivement dans la décarbonation de l'économie.
04:06 Le plan Industrie verte a été présenté pas plus tard que cet après-midi par Bruno Le Maire.
04:12 Il y a eu le plan France 2030, il y a quand même des choses qui sont faites.
04:15 Alors, quand on parle de la décarbonation, il faut prendre en compte le coût de l'inaction.
04:19 Il faut comparer le coût de l'inaction au coût de la décarbonation présentée par le gouvernement.
04:24 Dans le dernier rapport du GIEC, on montre que le coût de l'inaction, pas pour la France, mais d'une façon globale,
04:29 est supérieur au coût de la décarbonation. Et ça, ça s'appliquerait très certainement au cas de la France.
04:34 Après, lorsqu'on regarde dans le détail les investissements qui sont prévus ou qui sont faits dans le cadre de la décarbonation,
04:39 ce sont des investissements qui sont dans le techno-solutionniste,
04:42 et pas des investissements dans les transformations sociétales qu'il faut mettre en place pour décarboner nos sociétés.
04:48 Et on sait aujourd'hui, ça fait 30 ans qu'on fait ce type d'investissement, ce type de politique,
04:52 et on est dans l'échec. Nos émissions augmentent.
04:55 Donc ça ne sert à rien, par exemple, quand on voit que Bruxelles s'est fixé des objectifs de réduire de -55%
05:00 les émissions nettes de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990,
05:04 avec l'interdiction de la vente des véhicules thermiques. Ce n'est rien ?
05:08 Ce n'est pas que ce n'est rien, c'est que ce n'est pas suffisant.
05:11 Aujourd'hui, on doit accélérer l'action climatique et on doit s'attaquer aux causes du changement climatique.
05:18 Or, toutes ces mesures-là qui sont technosolutionnistes, on aura toujours besoin de technologie,
05:22 que l'on soit clair là-dessus, on aura toujours besoin d'innovation technologique.
05:25 Mais on a surtout besoin d'innovation sociétale, de l'organisation de la société.
05:30 Et ce type d'innovation-là, on n'investit pas dedans. Ce n'est pas du tout considéré dans les plans.
05:35 Un exemple peut-être, Yamina, ça y est, pour terminer, que les auditeurs comprennent bien de quoi vous parlez.
05:39 Un exemple, la France, par exemple, investit des milliards d'euros dans la rénovation du bâtiment.
05:44 Mais en fait, on investit dans des mesurettes de rénovation.
05:48 Donc le gouvernement affiche très fièrement une rénovation de 700 000 logements.
05:52 Ma prime rénov' !
05:54 Mais ce n'est pas 700 000 logements qu'on a fait avec Ma prime rénov', on a payé pour 700 000 gestes.
05:59 Et dans ces gestes-là, il y a des gestes qui vont tuer le gisement d'économie d'énergie.
06:03 Par exemple, si vous remplacez votre système de chauffage avant d'avoir isolé votre bâtiment,
06:07 c'est un investissement à perte en vérité.
06:10 Vous n'allez jamais arriver à une performance de niveau bâtiment basse consommation.
06:14 Et ça, ça a un coût pour nous, contribuables, parce que Ma prime rénov', il ne faut pas oublier que ce sont nos impôts.
06:19 Et donc, c'est une question de bonne gouvernance et de bonne gestion de l'impôt
06:24 que de réfléchir sur le long terme, les transformations sociétales que l'on doit enclencher maintenant.
06:29 Encore une fois, je reviens au rapport du GIEC, si on n'enclenchait pas maintenant les actions nécessaires,
06:34 il nous sera de plus en plus difficile de décarboner.
06:37 Surtout si on est dans une logique de décarbonation technosolutionniste,
06:41 ce qui est le cas malheureusement de la France, de l'Europe et de tous les pays occidentalisés.
06:45 Merci beaucoup Yamina Saeb, économiste, autrice du GIEC, invité ECHO de France Info ce soir.
06:52 Merci beaucoup.

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