Les visiteurs du soir du 15/04/2023

  • l’année dernière
Frédéric Taddeï et ses invités débattent des grandes questions du XXIe siècle dans les #VisiteursDuSoir
Transcript
00:00:00 Et les visiteurs du soir, c'est dans un instant, juste après le rappel des titres d'Isabelle Piboulot.
00:00:09 La réforme des retraites à peine promulguée, près de 300 personnes ont défilé dans les rues de la capitale.
00:00:18 Une ambiance calme dans le 19e arrondissement, aux cris notamment de Paris, debout, soulève-toi.
00:00:24 Les français sont en colère, et dans un souci d'apaisement, Emmanuel Macron s'exprimera lundi à 20h.
00:00:31 Arrêne, une manifestation non déclarée contre la réforme des retraites a viré à la violence.
00:00:37 Affrontements avec les forces de l'ordre, commerces détériorés, voitures brûlées.
00:00:41 Près de 1200 personnes se sont réunies cet après-midi, dont plusieurs centaines de casseurs.
00:00:47 Une gendarme et deux manifestants ont été légèrement blessés, 11 individus ont été interpellés.
00:00:53 L'exécutif déterminé à accélérer les réformes après celle des retraites,
00:00:58 s'est cassé sur Elisabeth Borne devant le Conseil national du parti Renaissance.
00:01:03 « Nous voulons bâtir la France du plein emploi, garantir l'égalité des chances,
00:01:08 agir pour la santé et l'éducation », a-t-elle martelé.
00:01:13 (Générique)
00:01:25 - Bonsoir, bienvenue sur le plateau des visiteurs du soir.
00:01:29 On est samedi, il est 22h, l'heure de prendre un peu de hauteur et de réfléchir à ce qui nous arrive.
00:01:35 Alors, quelle lecture politique faut-il faire de la décision du Conseil constitutionnel
00:01:39 de valider l'essentiel de la réforme des retraites ?
00:01:42 Qu'est-ce que ça nous dit de l'équilibre des pouvoirs publics ?
00:01:45 On va écouter à partir de 22h20 Mathilde Eizmann-Patin et Didier Moss,
00:01:50 qui sont tous les deux constitutionnalistes et très bons connaisseurs des arcanes de la Ve République.
00:01:55 Didier Moss, la même vue nette, et Mathilde Eizmann-Patin,
00:01:59 est une spécialiste de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
00:02:03 À 23h, on va débattre de la Ligue des droits de l'homme.
00:02:06 L'association Plus que centenaires se retrouve sur la brèche,
00:02:09 attaquée par Gérald Darmanin, par Élisabeth Borne,
00:02:12 qui lui reproche ses récentes prises de position sur les manifestations de Sainte-Seline.
00:02:17 Patrick Baudouin, le président de la Ligue des droits de l'homme,
00:02:20 sera là en personne à partir de 23h.
00:02:22 Face à lui, il y aura Mathieu Lefebvre, député Renaissance du Val-de-Marne,
00:02:26 ancien chef de cabinet de Gérald Darmanin.
00:02:28 À 23h30, Yann Forestier nous racontera 50 ans de débats sur l'école,
00:02:33 ramenés par la presse à un éternel affrontement entre ceux qui veulent sauver l'école d'un côté
00:02:38 et ceux qui veulent la changer de l'autre.
00:02:40 Mais tout de suite, on commence par vous, Anne de Guigny.
00:02:42 Vous êtes journaliste économique au Figaro,
00:02:45 et vous vous êtes livré à un travail tout à fait intéressant
00:02:48 dans "Ils se sont si souvent trompés".
00:02:50 Vous avez listé 10 grandes erreurs commises par des chefs d'État,
00:02:54 ayant conduit à des catastrophes économiques.
00:02:56 Mais qui s'est trompé exactement ? C'est qui, il, au pluriel ?
00:03:00 Ce sont les chefs d'État ou le chef de gouvernement qui ont commis l'erreur,
00:03:04 ou est-ce que ce sont les économistes comme vous qui les ont conseillés ?
00:03:08 J'écris sur l'économie, je ne me prétends pas à l'économie.
00:03:11 Non, ce sont ceux qui tiennent les rênes de la politique économique.
00:03:14 Et vous avez raison, c'est un petit maelstrom de tout ce monde
00:03:17 qui doit s'y générer un consensus, où on va.
00:03:19 Mais généralement, on ne dit jamais que ce sont les économistes.
00:03:22 On dit que ce sont les politiques.
00:03:24 Et c'est vrai que les politiques prennent beaucoup de conseils auprès des économistes.
00:03:27 C'est très intéressant, parce qu'on s'aperçoit que ce sont des erreurs
00:03:30 qui vont être commises ensuite, pendant toute l'histoire de l'humanité quasiment.
00:03:34 Si on commence par l'empereur dioclétien, l'empereur romain,
00:03:39 il veut lutter contre l'inflation, déjà.
00:03:42 Et qu'est-ce qu'il fait comme erreur, qu'il va se révéler une catastrophe ?
00:03:46 En fait, il va simplement, c'est la tentation d'aujourd'hui,
00:03:49 mettre un prix maximum à toutes les denrées, tous les salaires,
00:03:52 toutes les transactions, le prix des professeurs, des avocats,
00:03:55 prix maximum dans tout l'empire.
00:03:57 Donc ils se disent, c'est la tentation d'aujourd'hui.
00:03:59 Mais ça paraît logique, on veut arrêter l'inflation, on bloque les risques.
00:04:02 On bloque tout, les gens n'en peuvent plus.
00:04:04 Donc on bloque tous les prix, on régule tout, et puis on se dit, ça va repartir.
00:04:08 Sauf qu'évidemment, ce n'est pas ce qui doit se passer.
00:04:10 Pénurie, troc, tout s'effondre.
00:04:12 Et là, en fait, l'inflation est quadruplée,
00:04:15 parce que tout simplement, les gens arrêtent de produire, parce qu'ils ne peuvent plus.
00:04:17 Pourquoi ils augmentent les prix ? Parce que leurs matières premières vont augmenter.
00:04:20 Donc ils vont perdre de l'argent à produire, donc ils arrêtent tout.
00:04:23 Et au final, c'est le marché noir, et l'empire rentre dans une séquence abominable.
00:04:27 Ce qui est amusant, évidemment, les contextes sont différents,
00:04:30 mais aujourd'hui, on a vraiment la même tentation.
00:04:32 Orban a fait exactement ça, il y a un an et demi.
00:04:35 En Hongrie, vous avez tous les prix des matières premières fondamentales,
00:04:38 les pommes de terre, le beurre, la crème.
00:04:40 Il a mis un prix maximum.
00:04:42 On comprend l'idée, on a tous envie qu'on nous dise,
00:04:44 la baguette, voilà, prix maximum, on va arrêter que ça augmente.
00:04:46 Mais le problème, Orban, aujourd'hui, il a 25% d'inflation,
00:04:49 exactement comme Dioclétien, pire inflation d'Europe.
00:04:52 Ça se reproduise, toujours les mêmes conséquences.
00:04:54 Là, pour le coup, c'est assez simple.
00:04:56 Et ce qui est marrant là-dedans, mon but, c'était pas tant de dire,
00:04:58 ils sont tous nuls, mais plutôt, ça nous parle vraiment de la nature humaine,
00:05:02 on voit bien la difficulté de la politique.
00:05:05 C'était plutôt ça, de parler à la fois de la constance de la nature humaine,
00:05:08 de la tension...
00:05:09 - De la nature humaine ou de la nature des gouvernants ?
00:05:11 - Voilà.
00:05:12 - Par exemple, vous prenez le cas de Philippe le Bel, grand roi.
00:05:14 - Voilà, Philippe le Bel.
00:05:15 - Philippe le Bel, lui, il est confronté à des problèmes
00:05:18 auxquels sont confrontés tous les gouvernants à toutes les époques.
00:05:23 Il décide d'augmenter les impôts.
00:05:25 Il colle une pression fiscale au royaume de France à l'époque,
00:05:29 c'est du jamais vu.
00:05:30 - Voilà, et Philippe le Bel, en plus, c'est très intéressant,
00:05:32 parce que politiquement, il sort vraiment de la France médiévale,
00:05:35 où en fait, le roi est le chef de tous les seigneurs,
00:05:39 le seigneur des seigneurs.
00:05:40 Lui, il veut vraiment devenir le roi,
00:05:42 et on arrête cette logique de vassalisation.
00:05:44 Une des manières la plus efficaces de montrer son pouvoir,
00:05:46 c'est de récolter l'impôt partout.
00:05:48 Et donc, lui, il a enchanté de cette idée.
00:05:50 En plus, il veut vraiment redonner à la France beaucoup de pouvoir,
00:05:53 enfin, donner à la France beaucoup de pouvoir.
00:05:54 Donc, il fait des guerres partout, sur tous les fonds.
00:05:56 Il a besoin de beaucoup d'argent.
00:05:57 Et c'est vrai qu'il va rendre sa population...
00:05:59 Il est détesté, Philippe le Bel.
00:06:01 Alors que c'est quand même un grand roi.
00:06:02 Intellectuellement, c'est très impressionnant, ce qu'il fait.
00:06:04 Mais il a vraiment essoré...
00:06:06 - Il faut dire qu'en plus, il manipule la monnaie.
00:06:08 - Oui.
00:06:09 - Il se contente pas de monter les impôts.
00:06:11 - Et puis, il passe son temps à faire tout assez étonnant,
00:06:13 de faire monter la monnaie, puis la descendre.
00:06:15 Quand la monnaie devient forte, en fait, les pauvres sont...
00:06:19 En fait, grosso modo, vous avez vos loyers,
00:06:21 mettons qu'ils sont à 100.
00:06:23 Quand votre monnaie est forte, vous pouvez plus le payer.
00:06:25 Donc, il y a des émeutes partout.
00:06:27 Après, donc, il la baisse vite fait.
00:06:28 Et là, ce sont les riches qui possèdent les appartements,
00:06:32 à l'époque, les maisons, qui sont absolument furieux.
00:06:34 Et on voit qu'on a toujours les mêmes sujets.
00:06:36 Quand on augmente ou on baisse la monnaie,
00:06:37 vous pénalisez certains, d'autres sont favorisés.
00:06:40 Donc, c'est un peu la question, comment vous arbitrez.
00:06:42 C'est pas drôle, mais vous voyez, vraiment,
00:06:44 à chaque moment où il augmente la monnaie,
00:06:45 émeute immédiatement de la faim des gens
00:06:47 qui ne peuvent plus payer tous leurs loyers
00:06:51 et tous les frais fixes.
00:06:52 - Et Anne de Guigny, ça se réglait quand même autrement à l'époque,
00:06:55 puisque quand Philippe le Bel meurt,
00:06:57 son fils, Louis XVII, succède.
00:06:59 Et qu'est-ce qu'il fait ?
00:07:00 Il va pendre le ministre des Finances de son père.
00:07:03 - Le père qui avait lui-même avant tué tous les créanciers
00:07:05 quand il n'en pouvait vraiment plus.
00:07:07 Donc, en ricochet, on tue le ministre des Finances.
00:07:10 - Voilà, mais c'est à l'époque...
00:07:11 - Écoutez, voilà, des solutions efficaces.
00:07:13 - C'est comme ça qu'on réseille.
00:07:14 Alors, un cas très intéressant dans l'histoire,
00:07:16 celui de Philippe II, qui est né, alors, c'est la bénédiction.
00:07:19 Philippe II, c'est le fils de Charles Quint.
00:07:22 Il devient roi d'Espagne.
00:07:24 Et au moment même où l'Espagne est irriguée
00:07:27 par des flots d'or qui arrivent d'Amérique,
00:07:30 l'Amérique a été conquise il y a peu,
00:07:33 enfin, découverte, on aimerait dire,
00:07:36 enfin, ils sont extrêmement riches.
00:07:38 - Philippe II, qui est le souverain le plus riche
00:07:41 et le plus puissant d'Europe, va arriver à faire banqueroute
00:07:44 plusieurs fois et à ruiner le royaume.
00:07:46 - Oui, ça, c'est...
00:07:47 - Comment on arrive à une prouesse pareille ?
00:07:49 - C'est très impressionnant.
00:07:50 C'est vraiment des flots d'or, de métaux précieux
00:07:53 qui arrivent par cargo, par sévie, en permanence, tous les mois.
00:07:57 Mais en fait, on voit que cet argent,
00:08:00 vraiment, ça monte un peu à la tête de la cour d'Espagne.
00:08:03 Et c'est entièrement...
00:08:04 C'est investi dans des oeuvres magnifiques
00:08:06 dont bénéficient encore aujourd'hui
00:08:08 toutes les églises de l'époque, les palais,
00:08:10 mais aussi la vie de la cour.
00:08:11 Mais par contre, il n'y a plus aucun sujet de productivité.
00:08:14 Et l'Espagne, qui à l'époque avait encore...
00:08:16 avait des régions entières,
00:08:18 avec des débuts comme agriculture, d'industrie,
00:08:20 il y a de nouveau de la disette à ce moment-là
00:08:22 où l'Espagne est si riche,
00:08:24 parce que vraiment, la cour est entièrement...
00:08:26 est entièrement obnubilée par cette idée
00:08:28 de représentativité du pouvoir.
00:08:30 Et l'Espagne doit importer de France, des Pays-Bas.
00:08:34 Et en fait, c'est incroyable.
00:08:35 Donc l'inflation arrive avec l'argent,
00:08:38 mais il n'y a aucun sujet, aucune idée
00:08:41 de réorganiser la production.
00:08:42 Et c'est vrai que c'est fascinant.
00:08:44 Et en plus, là aussi, vous le mentionnez,
00:08:47 ces flots d'or vont créer une inflation absolument délirante
00:08:50 à croire que la totalité des richesses d'Amérique
00:08:53 va être absorbée par l'inflation.
00:08:55 Oui, mais en fait, c'est assez touchant,
00:08:57 parce qu'évidemment, nous, on commande ça
00:08:59 cinq, sept plus tard,
00:09:00 mais eux, là, ils sont à l'époque,
00:09:02 ils n'arrivent pas du tout à...
00:09:04 Ils sont complètement débordés par cet afflux d'or.
00:09:06 Et là, pour le coup, je pense que vraiment,
00:09:08 il agit complètement au jour le jour
00:09:11 et il n'y a aucune vision.
00:09:12 Mais ce qui est très intéressant,
00:09:13 c'est que vous avez un type comme Jean Baudin,
00:09:15 qui est un Français, qui lui, comprend.
00:09:16 Moi, je suis vraiment fascinée par ces gens-là.
00:09:19 Ils n'ont pas une calculette.
00:09:20 Nous, on voit bien la difficulté aujourd'hui
00:09:22 pour comprendre ce qui se passe.
00:09:23 Lui, il comprend que cet afflux d'or
00:09:25 a créé de l'inflation.
00:09:26 Et voilà, il a la théorie quasiment
00:09:28 de la création monétaire.
00:09:30 Il comprend tout.
00:09:31 16e siècle, il y a un grand débat.
00:09:32 Et vraiment, ce qu'il écrit,
00:09:34 c'est valide encore aujourd'hui.
00:09:35 - Est-ce qu'il y a eu des processus similaires,
00:09:37 par exemple, avec les flots de pétrodollars ?
00:09:40 Est-ce que les monarchies pétrolières
00:09:43 se sont retrouvées dans des situations
00:09:44 un peu similaires à celles de Philippe II, à l'époque ?
00:09:48 - Philippe II, c'est vrai que c'est dantesque.
00:09:50 Parce qu'on voit vraiment, avec du recul,
00:09:51 on voit que vraiment, rien n'est géré.
00:09:53 C'est vraiment...
00:09:54 Il laisse vraiment...
00:09:55 Il y a plus aucune industrie.
00:09:57 Il y avait un peu d'industrie, vous savez, à l'époque.
00:09:58 C'est quand même...
00:09:59 Vraiment, il laisse tout en déshérence.
00:10:00 Plus personne ne travaille en Espagne.
00:10:02 Enfin, je caricature un peu, mais...
00:10:03 - C'est un peu comme ça aussi
00:10:04 dans les monarchies pétrolières.
00:10:05 Il n'y a pas une industrie terrible et...
00:10:07 - Mais c'est plus petit, quand même.
00:10:09 Le territoire est tellement plus petit.
00:10:10 Il gère...
00:10:11 Voilà, c'est vrai qu'après, je pense qu'on ne voit pas tout.
00:10:13 Je pense qu'on ne voit...
00:10:14 Vous avez raison, il y a sans doute...
00:10:15 Mais c'est moins, voilà, c'est moins spectaculaire quand même.
00:10:18 - Un cas très intéressant, c'est celui de Churchill,
00:10:20 qui a reconnu, d'ailleurs, quelques années plus tard,
00:10:23 avoir été le pire ministre des Finances qu'il ait jamais eu.
00:10:26 Puisqu'en 1925, il prend une décision.
00:10:28 Il est ministre des Finances, il ne connaît pas grand-chose.
00:10:30 Il le reconnaît.
00:10:31 Mais il est tout content d'avoir le poste.
00:10:33 - Parce qu'il avait eu son père.
00:10:34 - Voilà, exactement.
00:10:35 Et il va prendre la pire décision de sa carrière.
00:10:38 - Oui, en fait, vous sortez de la Première Guerre mondiale
00:10:40 et l'Angleterre est quand même très meurtrie
00:10:42 de voir les États-Unis monter en puissance
00:10:45 et en train d'être vraiment dépassés.
00:10:46 Ils le voient bien.
00:10:47 Et il y a une grande fierté de la monnaie.
00:10:49 Et l'idée qu'une monnaie dévalue, une monnaie faible,
00:10:51 c'est une monnaie d'un pays vaincu.
00:10:52 Et donc, il y a une énorme pression politique
00:10:54 pour réévaluer la livre au taux précédent,
00:10:59 au taux qui datait de Newton.
00:11:01 - À l'époque, c'est convertible en or.
00:11:03 - Voilà, convertible en or.
00:11:04 De la remettre à ce niveau-là,
00:11:06 mais qui ne correspond plus du tout à la réalité économique
00:11:08 de l'Angleterre post-Première Guerre mondiale.
00:11:10 Et donc, ça va complètement laminer l'industrie.
00:11:13 - En fait, il surévalue la livre d'environ 10 %,
00:11:16 entre 10 et 14 %.
00:11:17 - Et du coup, immédiatement, l'Angleterre perd en compétitivité immédiate.
00:11:22 Donc, l'industrie est laminée, le chômage explose.
00:11:25 La City se frotte les mains,
00:11:26 parce que pour la finance, c'est pas mal.
00:11:28 Mais alors, toute l'industrie du pays, les exportations...
00:11:31 D'ailleurs, Churchill, il est quand même malin.
00:11:33 Parce qu'on voit bien, avant, il hésite énormément.
00:11:35 Il dîne avec Keynes,
00:11:36 qui lui dit que c'est la pire erreur à faire.
00:11:39 Mais il a une telle pression, pression politique.
00:11:42 Parce que vraiment, lui, il est avant tout sensible
00:11:44 à l'épopée anglaise.
00:11:46 Il faut revenir à l'âge d'or,
00:11:48 oublier la parenthèse de la guerre.
00:11:50 Et donc, il fait cette erreur,
00:11:52 mais il a quand même cette phrase, il dit
00:11:53 "Je ne veux pas sacrifier l'industrie pour la finance."
00:11:56 Bon, il y va quand même, et le résultat est exactement là.
00:11:59 - La phrase n'a pas suffi.
00:12:00 - Et ça a beaucoup, beaucoup aidé, après la crise de 1929.
00:12:03 D'ailleurs, c'est pas le seul.
00:12:04 Après la Première Guerre mondiale,
00:12:05 tout le monde évalue trop sa monnaie.
00:12:08 - Revenons un tout petit peu en arrière.
00:12:09 Il y a le cas des Tsars, au 19e siècle,
00:12:11 qui commettent tous les mêmes erreurs, d'après vous.
00:12:13 - C'est assez génial.
00:12:14 - Alors, on sait que la Russie, c'est un grand pays agricole,
00:12:17 avec des grands propriétaires terriens.
00:12:19 Avec des serfs, en plus, jusqu'en 1865, je crois.
00:12:23 - En 1865, voilà.
00:12:24 - Quelles erreurs font-ils tous, les uns après les autres ?
00:12:28 - Vous avez Nicolas Ier, qui, lui, dans son enfance, sa jeunesse,
00:12:33 il est très marqué par l'épopée napoléonienne,
00:12:35 la Révolution française.
00:12:36 On lui apprend, voilà, le libéralisme, l'effret.
00:12:38 Il vit les révolutions de 1848, vu le Russie.
00:12:42 Donc, il voit cette vague libérale qui déferle en Europe de l'Ouest.
00:12:45 Et lui, voilà, c'est le garant de l'empire de ses pères.
00:12:48 Il veut la transmettre à ses fils.
00:12:50 Et pour lui, l'empire des Tsars, c'est ce que vous avez dit.
00:12:54 C'est les serfs et la grande aristocratie.
00:12:56 Et donc, l'idée de l'industrie lui fait très peur.
00:12:59 Et il fait un lien qui, aujourd'hui, nous semble complètement absurde.
00:13:03 Il se dit, si j'industrialise mon pays,
00:13:05 ça va me faire venir toutes ces idées libérales, voire socialistes,
00:13:08 et ça va me fragiliser tout mon pays.
00:13:10 Donc, il fait des lois.
00:13:11 Il y a des lois en 1849 pour limiter l'instauration d'usines près de Moscou.
00:13:16 Donc, il limite tout ça.
00:13:18 L'horreur, c'est le chemin de fer.
00:13:19 Il a un ministre, Cancrine, qui n'est pas très clairvoyant.
00:13:22 Pour lui, le chemin de fer, c'est un espèce de truc de jet-setter,
00:13:25 des cérébrés qui veulent s'amuser avec de Moscou à Saint-Pétersbourg.
00:13:29 Donc, il limite tout ça.
00:13:30 Interdiction de faire des chemins de fer, minimum d'usines.
00:13:33 Les ouvriers, vraiment, le moyen âme, ils ont en sport.
00:13:35 Par contre, agriculture à fond.
00:13:37 Et résultat, 50 ans après, ils essayent de rattraper ça, tout va.
00:13:40 Et voilà, on sait comment ça se termine en 1905.
00:13:43 Donc, ça, c'est vrai que les pauvres, on est presque un peu émus pour eux.
00:13:46 L'idiotie du...
00:13:48 - Il y a une erreur.
00:13:50 Alors, je ne sais pas à qui on peut l'attribuer, celle-là.
00:13:52 Mais c'est l'Amérique de la fin du 19e siècle
00:13:57 qui, elle, va quasiment abandonner toute politique concurrentielle
00:14:03 et va laisser régner les trusts.
00:14:05 - Oui, et ça, c'est...
00:14:06 - Et alors, ça, ça intéresse beaucoup
00:14:07 parce que Joe Biden a l'air d'être reparti
00:14:10 dans une croisade antitrust, là, depuis 2021.
00:14:14 Lui aussi, il voudrait qu'on retrouve un peu de concurrence.
00:14:17 Qu'est-ce qui s'est passé exactement à la fin du 19e siècle aux États-Unis ?
00:14:21 - Et d'ailleurs, à Washington, on cite beaucoup en ce moment
00:14:23 les textes du 19e.
00:14:25 C'est très proche.
00:14:27 En fait, la question des monopoles,
00:14:29 vous avez un arbitrage entre, voilà, la concurrence,
00:14:31 protéger le consommateur, mais aussi l'innovation
00:14:34 parce qu'évidemment, c'est très grande boîte.
00:14:36 On voit bien aussi pour les GAFA, la chance...
00:14:38 En Europe, on rêverait d'avoir des GAFA aussi.
00:14:40 Donc, vous avez cet arbitrage qui n'est pas si facile
00:14:43 et à un moment donné, arrive au 19e...
00:14:46 Donc, il laisse au début...
00:14:47 Déjà, c'est pas la même régulation,
00:14:48 c'est les États fédéraux qui s'occupent des lois anticoncurrence.
00:14:53 Donc, il laisse se développer de plus en plus des grandes entreprises,
00:14:56 d'abord assez gentiment, puis ça, vers la fin du 19e,
00:14:59 c'est absolument incroyable.
00:15:00 Vous avez quelques dizaines de grands industriels
00:15:05 qui possèdent vraiment toute la richesse du pays
00:15:07 et ça crée d'énormes problèmes démocratiques,
00:15:09 surtout les États-Unis qui étaient si fiers d'être sortis de l'Europe,
00:15:13 d'être le nouveau pays démocratique.
00:15:15 Ils disaient, à quoi bon, voilà, va renoncer au roi
00:15:17 pour créer de nouveaux rois, avec énormément de coûts.
00:15:20 De tous côtés, évidemment, vous voyez, la politique est achetée,
00:15:22 de lobbying et puis la petite industrie est complètement tuée.
00:15:28 Vous avez toutes les petites entreprises
00:15:30 qui sont rachetées les unes après les autres.
00:15:32 Et donc, ça crée beaucoup de frustrations,
00:15:33 de problèmes politiques et puis économiques aussi,
00:15:35 parce que vous n'avez plus ces grandes entreprises.
00:15:37 Et à un moment donné, c'est Theodore Roosevelt
00:15:40 qui commence vraiment, qui va vraiment être le plus…
00:15:42 Il y a beaucoup d'étapes.
00:15:43 Vous avez le fameux Sherman Act,
00:15:45 qui est symboliquement la première loi vraiment antitrust,
00:15:49 qui est symboliquement la première loi qui affirme
00:15:51 que les grandes entreprises doivent être limitées.
00:15:55 Ensuite, il y a évidemment beaucoup de résistance.
00:15:57 Ça ressemble vraiment à ce qui se passe aujourd'hui.
00:15:59 Il y a des discours, des textes se sont passés.
00:16:01 Là, il y a eu des textes, même à la fin de Trump,
00:16:03 au début de Biden.
00:16:04 Mais il y a tant de résistance derrière qu'il faut désaler des années.
00:16:07 Et c'est même sous Reagan que le dernier monopole du 19e siècle
00:16:10 a été démantelé, le monopole des télécoms,
00:16:13 avec Itti, c'est 1984.
00:16:17 Et il y a des décennies de combats.
00:16:20 Et à un moment donné, c'est même incroyable.
00:16:22 Donc, le Sherman Act, c'est grosso modo,
00:16:24 vous ne pouvez pas être trop…
00:16:25 Une entreprise ne peut pas dépasser certaines limites.
00:16:27 Et à un moment donné, il y a un retour des républicains
00:16:30 qui ne l'applique qu'aux syndicats.
00:16:31 Et en fait, qui démantèle des syndicats.
00:16:33 Ce n'est évidemment pas du tout l'objectif de départ.
00:16:35 Donc, vous voyez, c'est assez…
00:16:36 Et là, vous voyez, la force politique qu'il faut avoir…
00:16:39 Et démanteler la Standard Oil, à l'époque,
00:16:42 qui est la grande entreprise qui a le monopole du pétrole,
00:16:45 ça a pris du temps, mais ils ont fini par le faire.
00:16:48 Exactement comme on parle de démanteler Google ou Facebook aujourd'hui.
00:16:53 Et c'est exactement le même combat.
00:16:56 Quand même, Rockefeller, c'est lui qui a apporté l'électricité partout.
00:16:59 À l'époque, on se chauffait, c'était les lampes à l'huile de baleine.
00:17:03 Donc, c'est quand même…
00:17:04 Voilà, ce qui s'est passé, c'est quand même les lampes au pétrole.
00:17:06 C'est quand même… C'est un énorme progrès.
00:17:08 Et c'est exactement le même arbitrage.
00:17:10 Entre l'innovation, pour un pays, des entreprises puissantes,
00:17:14 et en même temps, faire attention au paysage économique,
00:17:17 aussi aux plus petites entreprises,
00:17:18 et derrière, les questions démocratiques.
00:17:20 Parce que vous voyez beaucoup à Washington aussi l'idée
00:17:23 des GAFA qui paient tout le monde, du lobbying.
00:17:26 Donc, c'est vraiment… C'est exactement la même équation.
00:17:28 Ça, c'est vraiment fascinant, parce qu'on est 100 ans en arrière.
00:17:31 On est tout à fait dans les mêmes débats.
00:17:33 Justement, il nous reste une minute, Anne.
00:17:36 Est-ce que ce sont toujours…
00:17:39 Puisque les mêmes erreurs se répètent, est-ce qu'il y a quelque chose de commun ?
00:17:42 Est-ce qu'il y a une erreur d'appréciation qui est commise régulièrement
00:17:45 par ceux qui nous dirigent ?
00:17:47 Non. Moi, je pense que si on dit aussi long, c'est sur l'économie.
00:17:51 Ça peut être très quantitatif, mais c'est quand même avant tout…
00:17:53 C'est très simple.
00:17:54 C'est comment on organise la production d'une société,
00:17:57 l'épargne.
00:17:58 Et si on dit plutôt long sur les erreurs de tout un chacun,
00:18:02 la difficulté de se modérer, d'équilibrer,
00:18:06 l'envie de l'avoir toujours plus.
00:18:08 Je pense que si on dit plus long sur la nature humaine,
00:18:10 et ceux qui nous dirigent, ils sont animés par les mêmes difficultés.
00:18:14 Ils répondent aux demandes.
00:18:15 Mais voilà, c'est plutôt, je pense, une question d'équilibre
00:18:18 et puis d'accepter de la complexité,
00:18:20 parce qu'il y a des effets de bord de tous côtés.
00:18:22 C'est Tollville qui a une phrase qui dit
00:18:24 « Une idée simple et précise aura toujours plus d'effet
00:18:30 qu'une idée complexe mais vraie ».
00:18:31 Enfin, une idée simple, précise, mais fausse, évidemment.
00:18:33 Et je crois que ça, c'est très puissant.
00:18:35 D'ailleurs, tous, dans les débats complexes,
00:18:37 on adore quand quelqu'un vous explique et vous dit
00:18:39 « Mais attends, sur les retraites, en fait, ce qu'il fallait faire, c'est ça ? »
00:18:42 « Ah ouais, bah voilà, tout d'accord, on se sent mieux. »
00:18:44 On a besoin d'idées simples et précises,
00:18:46 mais la réalité, c'est que c'est très complexe.
00:18:49 On fait une pause, et ensuite, on s'intéresse à la décision
00:18:53 rendue hier par le Conseil constitutionnel.
00:18:56 À nouveau, visiteur du soir, nous a rejoint, c'est Yann Forestier,
00:19:06 l'auteur de « Changer l'école ou la sauver »,
00:19:09 une polémique, mais médiatique.
00:19:11 On en parlera tout à l'heure, à partir de 23h30.
00:19:14 Mais d'abord, le Conseil constitutionnel,
00:19:16 qui a rendu hier la décision la plus attendue de son histoire,
00:19:20 il a validé l'essentiel de la réforme des retraites,
00:19:23 une décision qui se veut uniquement juridique,
00:19:26 mais qui est aussi polémique, politique, plutôt, ma langue à forger,
00:19:30 comme on va le voir avec Maltil Detsman-Patin,
00:19:34 professeur de droit constitutionnel à l'Université du Mans.
00:19:37 Vous êtes l'auteur d'un livre sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel
00:19:41 qui s'intitule, je cite, « Les normes de concrétisation dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel ».
00:19:47 Je ne sais pas du tout ce que ça veut dire.
00:19:49 C'est, en deux phrases, la création de règles par le Conseil dans sa jurisprudence.
00:19:55 Ah ben voilà. Pourquoi pas l'avoir dit comme ça ?
00:19:57 C'est tellement simple.
00:19:58 C'est un peu plus complexe en vrai.
00:19:59 Vous en auriez vendu plein.
00:20:01 Didier Moss, vous avez été professeur de droit constitutionnel
00:20:05 et de droit parlementaire à la Sorbonne.
00:20:07 Vous avez été président de l'Association française de droit constitutionnel.
00:20:10 Et vous êtes membre du Parti radical,
00:20:12 qui est le plus ancien parti politique français en activité.
00:20:16 Alors, quelle lecture politique faites-vous du jugement rendu par le Conseil constitutionnel hier ?
00:20:21 Didier Moss.
00:20:22 Écoutez, ça dépend comment vous interprétez la lecture politique que vous énoncez.
00:20:27 Si j'en fais une lecture politique au sens politicien du terme,
00:20:30 c'est-à-dire qui a gagné, qui a perdu, et les forces politiques, c'est très compliqué.
00:20:34 Mais si vous posez la question par rapport à l'histoire du Conseil constitutionnel,
00:20:38 là on est, j'allais dire, dans la droite ligne de la politique jurisprudentielle du Conseil constitutionnel
00:20:44 telle qu'elle s'est développée depuis maintenant plus de 50 ans, 65 ans,
00:20:49 enfin disons prenons une cinquantaine d'années parce que les premières années ne comptent pas beaucoup de ce point de vue-là.
00:20:54 Et je crois qu'on est parfaitement dans la ligne.
00:20:56 Alors c'est une décision juridiquement modeste.
00:20:59 On parle de la décision sur la loi, je ne dirais pas la même chose si on était sur la décision sur le référendum d'initiative partagée.
00:21:04 On y viendra.
00:21:05 On y viendra.
00:21:06 Elle est très important.
00:21:07 Bon, elle était prévisible.
00:21:09 Il y a toute une série de gens qui l'ont prévue.
00:21:11 Voilà, et puis il y a des contents et des mécontents.
00:21:13 Mais en termes de politique jurisprudentielle, elle ne me pose pas de problème.
00:21:17 Elle ne pose pas de problème parce qu'en fait, ils ont donné une lecture, on va dire,
00:21:22 présidentialiste de la Constitution.
00:21:24 Non, ils ont donné une lecture orthodoxe de la Constitution en reprenant les points un par un,
00:21:28 notamment toute une série de procédures.
00:21:30 Il y a une très belle leçon de droit parlementaire dans la décision d'hier.
00:21:33 C'est même beaucoup plus intéressant que ce qu'ils ont dit sur le fond de la loi
00:21:36 où là les requêtes étaient assez mal argumentées, il faut être honnête.
00:21:40 Mais voilà, ils ont repris point par point et ils ont dit en fin de compte,
00:21:43 le débat a été sincère, on a eu le temps.
00:21:46 Et ce n'est pas parce qu'on ajoute des procédures constitutionnelles
00:21:50 à des procédures constitutionnelles qu'on rend l'ensemble inconstitutionnel.
00:21:54 Et à la fin, il y a cette phrase quand même, en l'espèce,
00:21:57 si l'utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel,
00:22:02 bon, et ça, certains de nos collègues avaient utilisé le terme inhabituel
00:22:06 dans leurs commentaires antérieurs.
00:22:08 En réponse aux conditions de débat, elle n'a pas eu pour effet
00:22:10 de rendre la procédure législative contraire à la constitution.
00:22:13 Donc, j'allais dire, du point de vue du classicisme, on est en plein dedans.
00:22:19 – Mathilde.
00:22:20 – Justement, en fait, si on reprend l'histoire du Conseil constitutionnel,
00:22:23 mais même à partir de 1958, c'est-à-dire que le Conseil a été créé, pourquoi ?
00:22:27 Pour contrôler que le Parlement respectait ses compétences
00:22:31 et n'allait pas plus loin que ce qu'avait fixé la Constitution.
00:22:35 L'idée, c'était d'empêcher qu'un Parlement puisse faire
00:22:38 comme sous les Troisième et Quatrième Républiques,
00:22:40 c'est-à-dire empêcher le gouvernement de travailler,
00:22:42 et qu'un Parlement avec une majorité relative, ce qui est le cas aujourd'hui,
00:22:46 ne puisse pas entraîner une instabilité gouvernementale.
00:22:48 Donc, il fallait encadrer le travail du Parlement
00:22:50 et vérifier que cet encadrement était respecté.
00:22:53 C'était le rôle du Conseil constitutionnel en 1958.
00:22:56 En 1971, il a élargi ses compétences, ce qui a été confirmé en 1974
00:23:00 avec l'élargissement des saisines, et en 2008 par la création de la QPC.
00:23:04 Donc, il y a eu une évolution.
00:23:06 Question prioritaire de constitutionnalité.
00:23:09 Et donc, il faut bien voir que, oui, il y a eu une évolution des compétences,
00:23:13 mais ça n'enlève pas au Conseil son objectif premier.
00:23:16 Et finalement, comme le disait Didier Mauss,
00:23:18 la décision d'hier est dans la droite ligne de la décision de création du Conseil,
00:23:24 des raisons de création du Conseil.
00:23:26 Alors, oui, il y a eu l'idée du caractère inhabituel,
00:23:29 et c'est vrai que la majorité des saisines se sont concentrées
00:23:31 sur des questions de procédure, et le Conseil a rendu une décision
00:23:34 finalement assez classique sur ce point.
00:23:37 C'était effectivement sur les questions de procédure que les uns et les autres
00:23:40 espéraient qu'il allait rejeter la loi, et notamment pour les questions
00:23:46 de sincérité et de clarté des débats.
00:23:50 Oui, alors ça, c'était l'accumulation de toutes les procédures
00:23:53 qui sont conformes à la constitution, qui sont prévues par la constitution,
00:23:56 ou qui sont prévues dans les règlements des assemblées,
00:23:59 qui sont les procédures qui existent, qui sont légales et constitutionnelles,
00:24:03 elles ont été utilisées de façon cumulative, et c'était cette accumulation
00:24:07 que les saisissants espéraient voir censurer.
00:24:10 Et le Conseil, dans sa décision, reprend point par point chaque élément,
00:24:14 et ensuite fait un considérant, même si on n'appelle plus ça comme ça,
00:24:18 un considérant sur la totalité, l'accumulation, en relevant certes
00:24:22 le caractère inhabituel, ce qui est surprenant, il aurait pu ne pas le relever,
00:24:26 mais la conformité à la constitution.
00:24:28 Ce qui est vrai, c'est que le Conseil a répondu à tous les arguments
00:24:31 qui ont été avancés par la requête, on a entendu un certain nombre
00:24:34 ou de requérants ou de commentateurs de nos amis dire par exemple,
00:24:39 ce qu'ont dit les ministres qui se contredisaient,
00:24:41 n'a pas permis d'éclairer suffisamment le Parlement.
00:24:44 Vous savez, M. Dussopt, on a tant de milliers de bénéficiaires de cette chose.
00:24:49 Et le Conseil le reprend, il dit à un moment par exemple,
00:24:52 la circonstance que certains ministres auraient délivré, etc.,
00:24:55 "L'estimation initialement erronée sur le montant des pensions
00:24:58 qui sont renversées, et sans incidence", ça c'est le vocabulaire juridique,
00:25:02 "sur la procédure d'adoption, dès lors que ces estimations ont pu être débattues".
00:25:06 Donc ce qu'on voit bien, c'est que l'essentiel c'est qu'on débatte.
00:25:09 – Ils ont pu se tromper sur le montant des pensions,
00:25:12 du moment qu'on a pu en débattre, ça marche.
00:25:14 – Et quand quelqu'un a pu dire le contraire, et qu'il y a eu un dialogue là-dessus,
00:25:18 eh bien le Parlement a été honnêtement, sincèrement et pleinement éclairé.
00:25:22 Comme en tout cas personne n'a pas arrivé à se mettre d'accord
00:25:25 sur le nombre de personnes concernées,
00:25:27 je trouve que la formulation est assez astucieuse.
00:25:31 Mais voilà, on ne va pas refaire l'histoire,
00:25:34 mais si on regarde les paris, il y a 8 jours, sur ce point-là,
00:25:39 j'ai dit exactement la même chose.
00:25:41 [Rires]
00:25:42 – Un autre rappel des titres, Isabelle Piboulot,
00:25:45 et on reprend cette conversation sur le Conseil constitutionnel,
00:25:47 il y a beaucoup à dire.
00:25:49 [Musique]
00:25:51 – Après la promulgation expresse de la réforme des retraites,
00:25:55 Emmanuel Macron s'adressera aux Français lundi à 20h,
00:25:59 dans une logique d'apaisement,
00:26:01 l'occasion de faire le bilan des trois mois de crise,
00:26:03 et de regarder ce qui a avancé à côté des retraites,
00:26:07 indique le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran,
00:26:10 cite notamment la baisse du chômage et des impôts,
00:26:13 ou encore l'augmentation du nombre d'apprentis.
00:26:16 – En Seine-Saint-Denis, un incendie a ravagé le chantier
00:26:19 de l'école maternelle Jules Ferry, de Montfermeil,
00:26:22 aucune victime n'est à déplorer,
00:26:24 le feu s'est déclaré en fin d'après-midi,
00:26:27 près de 200 sapeurs-pompiers sont intervenus,
00:26:30 et les nouvelles sont encourageantes,
00:26:32 les enfants fréquentant l'établissement pourront être accueillis dès lundi.
00:26:36 Et puis toujours en région parisienne, après trois ans de travaux,
00:26:40 l'église Saint-Germain-Lauceroy de Pantin rouvre ses portes,
00:26:44 il s'agit du plus vieil édifice de la commune,
00:26:47 sa construction remontant à 1664,
00:26:50 le toit, la charpente, les murs, le clocher, tout a été refait,
00:26:54 un chantier d'envergure à près de 6 millions d'euros
00:26:58 pour préserver ce patrimoine.
00:27:00 – On est toujours sur la décision rendue hier par le Conseil constitutionnel,
00:27:08 imaginons, soyons fous, après tout il est l'heure,
00:27:11 on peut tout se permettre,
00:27:13 si le Conseil avait annulé la loi sur des motifs,
00:27:16 tiré des procédures suivies en invoquant par exemple
00:27:20 le manque de clarté ou de sincérité des débats,
00:27:23 il aurait donc adopté une sorte de lecture parlementariste de la Constitution ?
00:27:28 – Non, je ne crois pas, il aurait adopté une lecture juridique,
00:27:32 mais emporté une appréciation différente sur les conditions concrètes du débat,
00:27:35 il faut toujours se dire, voir les choses sérieusement et concrètement en droit,
00:27:40 il nous arrive assez souvent d'avoir deux solutions possibles,
00:27:43 une solution A et une solution B, et laquelle faut-il choisir ?
00:27:46 Est-ce que c'est au juge en réalité de choisir entre les deux solutions
00:27:50 si elles ont la même portée juridique ?
00:27:54 Non, c'est à l'auteur de la décision de le faire,
00:27:57 et en l'espèce, il ne le répète pas de manière très claire,
00:28:00 mais si les députés, en fin de compte,
00:28:02 avaient considéré que le débat n'avait pas été sincère, clair, etc.,
00:28:06 et bien ils n'avaient qu'à renverser le gouvernement,
00:28:08 il en a manqué neuf pour que le gouvernement soit renversé,
00:28:11 ce n'est pas beaucoup, alors est-ce que ce sont neuf qui ont hésité,
00:28:14 ou neuf qui se sont dit, je n'ai pas envie qu'il y ait une dissolution derrière,
00:28:18 mais ce n'est pas beaucoup neuf,
00:28:20 donc si vous voulez, le Parlement avait la possibilité de ne pas accepter la loi,
00:28:25 bon, il a débattu pendant 150 heures,
00:28:27 selon des procédures dont chacune d'entre elles est correcte,
00:28:32 et à la fin, et bien voilà ce qui s'est passé,
00:28:34 mais c'est vrai qu'on aurait pu pencher dans l'autre sens,
00:28:37 mais ça aurait peut-être été plus difficile à argumenter.
00:28:40 – Alors moi je me disais juste, si la loi avait été annulée,
00:28:44 quelles conséquences ça aurait eu pour le Président de la République,
00:28:46 qui a quand même mis toute sa légitimité dans la balance,
00:28:48 en disant, j'ai été élu l'année dernière,
00:28:52 avec la proposition de faire la réforme des retraites,
00:28:56 donc c'était une part de sa légitimité qu'il mettait dans la balance.
00:29:00 – C'était surtout une gifle, sûrement et simplement,
00:29:02 une gifle politique, évidente,
00:29:04 et une gifle pour ceux qui lui avaient conseillé de prendre cette procédure,
00:29:09 parce que quand même, il n'est pas tout seul.
00:29:11 – Mathilde H. Patin.
00:29:13 – Justement sur l'utilisation de la procédure,
00:29:15 c'était l'un des arguments de nombreux saisissants,
00:29:17 c'est de dire, utiliser une procédure de loi de financement rectificatif
00:29:21 de la Sécurité Sociale pour une telle réforme,
00:29:25 et bien ce n'est pas adapté, et donc c'est contraire
00:29:27 à l'esprit des lois de financement rectificatif de la Sécurité Sociale.
00:29:31 Et le Conseil constitutionnel nous dit,
00:29:34 "Moi ce que je vérifie, c'est qu'il y a bien les dispositions obligatoires
00:29:37 à ce type de loi, et après, je n'ai pas à substituer mon appréciation
00:29:42 à celle du Parlement quant à la possibilité de faire autre chose
00:29:45 que les dispositions obligatoires à partir du moment
00:29:47 où ça concerne le financement de la Sécurité Sociale".
00:29:50 Et donc là, il met en avant une de ses politiques jurisprudentielles
00:29:53 qui date de 1975, de la décision sur l'interruption volontaire de grossesse,
00:29:57 c'est "moi en tant que juge constitutionnel,
00:29:59 je n'ai pas un pouvoir d'appréciation de même nature que celui du Parlement".
00:30:03 Alors ce qui est assez cause-case, c'est que justement,
00:30:05 dans le contexte de cette décision, il y a deux sens au Parlement,
00:30:09 il y a l'institution parlementaire, et puis il y a à l'intérieur
00:30:12 l'opposition majorité, aussi relative qu'elle soit,
00:30:15 et opposition qui est elle-même divisée.
00:30:18 Yann Forestier, vous vouliez vous emmêler ?
00:30:20 Oui, je remercie. Moi je ne suis pas constitutionnaliste,
00:30:24 je suis professeur d'histoire-géographie en lycée
00:30:27 et professeur d'enseignement moral et civique,
00:30:30 et nous étudions la démocratie avec nos élèves,
00:30:34 et nous parlons de l'importance de la délibération,
00:30:38 de l'importance des contre-pouvoirs dans une démocratie.
00:30:41 Et je crois que là, le Conseil constitutionnel a rendu un avis,
00:30:44 ce qui est son rôle, sur...
00:30:45 Une décision.
00:30:46 Pardon.
00:30:47 Une décision.
00:30:48 Une décision.
00:30:49 Une décision qui détermine la constitutionnalité de la loi
00:30:57 de réforme des retraites, et en cela je crois qu'il est dans son rôle
00:31:00 de dire si c'est conforme ou non à la constitution.
00:31:03 Mais on en a beaucoup attendu du Conseil constitutionnel,
00:31:06 parce que justement, la nécessité de délibération,
00:31:09 d'intervention des contre-pouvoirs dans cette procédure,
00:31:12 ont été clairement gênées, empêchées.
00:31:16 Et donc, je crois que là, la décision, c'est bien cela,
00:31:21 du Conseil constitutionnel, montre bien qu'effectivement,
00:31:25 il a conformité avec la constitution,
00:31:27 mais je crois que ça nous révèle en même temps les limites
00:31:30 de la constitution de la Ve République,
00:31:32 qu'on peut utiliser pour faire adopter une décision
00:31:36 comme on l'a fait, c'est-à-dire en accumulant
00:31:38 toutes les procédures pour limiter au maximum
00:31:41 les débats parlementaires, comme ça a été fait cette fois-ci,
00:31:43 mais ça pose un réel problème d'appropriation
00:31:48 des institutions démocratiques par la population.
00:31:51 Et là, je sors de la question du droit de l'individu.
00:31:53 Non, pas du tout, vous êtes en plein dedans,
00:31:54 parce qu'on est tous d'accord là-dessus, j'allais dire.
00:31:56 Ce n'est pas parce que le Conseil constitutionnel a dit
00:31:58 que cette loi est juridiquement bonne, qu'elle est politiquement bonne.
00:32:01 Bon, moi j'ai entendu des syndicalistes, hier, toute la journée,
00:32:04 dire, même s'il dit oui, nous, nous disons non.
00:32:07 Et ça me paraît tout à fait logique, on est sur deux plans différents.
00:32:11 Et quant à l'interprétation de la cinquième obéissance,
00:32:14 on en discute depuis toujours, comme on va fêter ses 65 ans à l'automne,
00:32:17 on va encore avoir l'occasion d'en discuter pas mal.
00:32:20 Mais il y a un article que j'aime bien dans la Constitution,
00:32:23 c'est l'article 20, "le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation".
00:32:28 Et ça, on oublie même le Conseil constitutionnel ne l'a pas cité,
00:32:31 il le dit en pointillé, mais bon, qu'est-ce que ça veut dire ?
00:32:34 Ça veut dire que les objectifs politiques sont fixés par le gouvernement,
00:32:37 et en espèce le Président de la République, mais ça fait un tout.
00:32:40 Et qui est-ce qui conduit ? C'est le gouvernement.
00:32:43 Et quand le gouvernement, pour conduire la politique,
00:32:46 c'est-à-dire arriver à un objectif, à le choix entre la solution A et la solution B,
00:32:52 il l'avait, car nous sommes tous d'accord sur dire
00:32:54 qu'on pouvait faire la réforme des retraites avec une loi ordinaire,
00:32:57 ça, il n'y a pas de difficulté là-dessus, mais quand vous avez le choix entre A et B,
00:33:01 qui est-ce qui prend la bonne décision ?
00:33:03 Celui qui a à la prendre pour des raisons politiques.
00:33:06 Il faut vraiment qu'il y ait une erreur juridique monumentale et évidente
00:33:11 pour qu'on puisse dire le contraire.
00:33:13 – Adeline Nier ?
00:33:14 – Oui, moi ce qui m'a frappée dans la séquence,
00:33:16 je ne suis pas constitutionnaliste non plus, donc je vais être plus superficielle,
00:33:19 c'était tous ces boucliers anti-émeutes autour de…
00:33:22 – Ah c'est effroyable, autour du Conseil constitutionnel même.
00:33:25 – Là aussi il y a ce truc qui ne va pas, et donc je me posais deux questions,
00:33:28 est-ce que c'est lié à la nature des membres du Conseil constitutionnel,
00:33:33 est-ce que c'est normal d'avoir deux anciens ministres,
00:33:36 deux anciens premiers ministres, des anciens ministres de…
00:33:38 Voilà, moi journaliste, j'entendais toutes ces dernières semaines,
00:33:40 "mais attention, Fabius est capable de tout",
00:33:42 mais c'est comme ça qu'on traite le…
00:33:44 Non mais j'en sais rien, c'est ce qu'on entendait quand même tous.
00:33:47 Et on se dit quand même, le débat, c'est…
00:33:49 Est-ce que ça c'est normal ?
00:33:50 Et ensuite, est-ce que c'est le bon, les saisines ?
00:33:52 Est-ce qu'après tout, il y a eu un débat aussi compliqué,
00:33:54 est-ce qu'il ne faudrait pas le faire soit avant, soit carrément un an après,
00:33:58 mais dans ce moment d'immense tension politique…
00:34:00 Vous savez, vous allez attendre encore…
00:34:02 Non mais je sais pas…
00:34:03 Mais on avait une solution.
00:34:04 Mais de refiler à ce moment-là au Conseil, ça pose quand même des questions.
00:34:06 Deux mots pour une…
00:34:08 Moi j'ai été très choqué, je dois dire, par les grilles anti-ME devant le Conseil constitutionnel,
00:34:11 je le dis franchement, ça m'a gêné d'un point de vue démocratique,
00:34:15 mais ceci étant, qu'est-ce qu'on aurait dit si les manifestants avaient envahi le Conseil constitutionnel ?
00:34:20 Le préfet de police, il sautait.
00:34:22 Bon, donc il a eu raison en termes de maintien de l'ordre de le faire,
00:34:26 du point de vue de l'image démocratique, moi ça me gêne, je le dis.
00:34:29 Moi ça me gêne, je le dis franchement.
00:34:31 Bon, quant au problème de la nomination des uns et des autres,
00:34:33 c'est un problème absolument insoluble,
00:34:36 il n'y a pas un seul pays où on se fasse d'accord sur la manière dont il faut nommer les juges constitutionnels,
00:34:41 et là, on nous dit qu'il y a des anciens premiers ministres,
00:34:43 enfin il y en a un qui a été nommé par François Mitterrand et l'autre par Jacques Chirac,
00:34:46 a priori, même s'ils se ressemblent du point de vue profil intellectuel,
00:34:51 ils ne sont pas du même côté politique.
00:34:53 On ne viendra pas sur l'impartialité ou la partialité,
00:34:56 on a déjà fait un débat sur ce sujet.
00:34:58 Restons sur l'aspect politique de la décision qui a été rendue hier.
00:35:03 Certaines dispositions de la loi ont été rejetées,
00:35:06 comme l'index senior, comme le CDI senior,
00:35:09 qui avait été ajouté les deux par la majorité au Sénat,
00:35:13 ou le compte pénibilité, ce qu'on appelle les cavaliers sociaux,
00:35:17 qui étaient en fait des compensations censées adoucir la loi,
00:35:21 et qui ont toutes sauté.
00:35:23 - C'est justement tout le caractère assez cocasse de ce type de décision,
00:35:28 c'est que là le Conseil se pose une question particulièrement et strictement juridique,
00:35:34 c'est-à-dire quels sont les types de dispositions
00:35:36 qui peuvent figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale,
00:35:39 et en l'occurrence, ces dispositions n'avaient pas d'impact suffisant
00:35:43 sur le financement de la sécurité sociale pour pouvoir rentrer dans ce type de loi.
00:35:47 Donc là on a une contradiction entre la globalité de la loi
00:35:51 qui a été mise dans une loi spécifique de financement de la sécurité sociale,
00:35:55 cette question ne se serait pas posée dans les mêmes termes
00:35:59 si ça avait été une loi ordinaire.
00:36:01 - Absolument.
00:36:02 La loi pouvait se trouver dans la loi de rectification de financement de la sécurité sociale,
00:36:07 la loi de réforme des retraites, mais pas ces cavaliers sociaux.
00:36:09 - Mais pas ces dispositions spécifiques,
00:36:11 et c'est toute la difficulté d'utiliser ce vecteur pour des réformes assez générales,
00:36:15 c'est qu'on se retrouve restreint sur le choix des dispositions.
00:36:19 - Vous êtes d'accord Didier Maus ?
00:36:20 - Oui, oui, mais honnêtement ça n'a aucune espèce d'importance.
00:36:24 - Non, non, je ne dis pas ça.
00:36:25 En fait ça durcit la loi.
00:36:26 - Oui, mais tout le monde le prévoyait.
00:36:28 Honnêtement pourquoi mettre l'index senior dans une loi sur la réforme des retraites ?
00:36:32 C'était pour faire plaisir à je ne sais plus quel groupe politique, peu importe.
00:36:36 Ça n'a aucune espèce d'importance, on le remettra dans une loi nouvelle.
00:36:39 Et le Conseil constitutionnel prend toujours soin dans ces cas-là
00:36:42 de dire qu'il censure au nom de la procédure du mauvais emplacement
00:36:46 mais qu'il ne se prononce pas sur le fond.
00:36:48 D'ailleurs ce qui est assez intéressant,
00:36:50 c'est qu'il a été un peu plus loin que les requérants là-dessus.
00:36:53 Car si on fait la somme des articles signalés comme étant des cavaliers par les requérants,
00:36:58 il y en a moins que ce qui a été censuré par le Conseil constitutionnel.
00:37:01 Donc il s'est saisi d'office comme on dit d'un certain nombre d'articles.
00:37:05 Mais ça il le fait à chaque fois.
00:37:06 - Pour les cavaliers c'est automatique.
00:37:08 - Il n'y a aucune originalité alors vraiment sur cette jurisprudence, aucune.
00:37:11 - Non, c'est le contexte politique qui met le doigt dessus
00:37:13 parce que c'était des dispositions qui dans le cadre de la réforme des retraites,
00:37:16 comme vous l'avez dit, adoucissait la réforme.
00:37:18 - Donc le Conseil a également rejeté le référendum d'initiative partagée
00:37:24 qui avait été proposé par la gauche.
00:37:27 - Alors le RIP, ça existe depuis 2008.
00:37:33 Dans la Constitution a été ouverte la possibilité de faire un référendum d'initiative partagée.
00:37:37 En deux mots c'est un cinquième des parlementaires qui propose une loi.
00:37:41 Soutenu ensuite si le Conseil constitutionnel a vérifié les critères
00:37:47 par 4,8 millions d'électeurs inscrits.
00:37:51 - 4,8 non ? 5,8 ?
00:37:53 - 4,8 oui, 10%.
00:37:56 Le Conseil va devoir vérifier un certain nombre de critères
00:38:00 dont l'un d'entre eux est que le thème de la proposition de loi
00:38:04 soit bien un des thèmes prévus par l'article 11.
00:38:07 Quels sont-ils ?
00:38:08 Ce qui nous intéresse là c'est une réforme relative à la politique économique ou sociale de la nation.
00:38:12 Parmi tous les thèmes il y a réforme relative à la politique économique et sociale de la nation.
00:38:16 La question qu'a dû se poser le Conseil constitutionnel c'est
00:38:20 est-ce que la proposition de loi est une réforme ?
00:38:24 Or que proposait la loi, la proposition c'était d'instituer à plafond
00:38:31 d'âge de retraite de 62 ans, donc une limite.
00:38:34 Or en réalité le Conseil a dit mais il n'y a pas de changement de l'état du droit
00:38:38 parce que à la date de la saisine c'était déjà 62 ans.
00:38:43 Et le Conseil avait d'ores et déjà...
00:38:46 - Donc c'était une erreur de la part de l'opposition, ils auraient dû dire 63 ans.
00:38:50 - Alors, pas forcément, justement,
00:38:55 est-ce que ça aurait été 62 ans et un jour ça aurait suffi ? Peut-être pas.
00:38:59 C'est ce qu'ont voulu faire les saisissants qui ont saisi d'une deuxième proposition de RIP
00:39:03 avant-hier. Donc le 13 avril, le Conseil a été saisi d'une proposition de loi
00:39:10 qui va donner lieu d'ici 15 jours à la décision RIP 5.
00:39:13 Mais cette fois-ci ils ont ajouté une disposition,
00:39:16 ils interdisent un âge de la retraite postérieur à 62 ans
00:39:21 et en plus ils modifient un taux de participation des revenus des capitaux
00:39:27 au paiement des retraites, je résume,
00:39:30 en augmentant un taux de 4 à 19 % pour dire là il y a une réforme.
00:39:36 Sauf que le Conseil constitutionnel dans sa décision RIP 3
00:39:42 avait été saisi d'une proposition de loi qui proposait une modification,
00:39:47 une création de taxes.
00:39:49 Et le Conseil a dit oui, certes, c'est une réforme relative à la politique économique,
00:39:53 mais ce n'est pas une modification suffisamment importante
00:39:56 pour revêtir le caractère de réforme au sens de l'article 11.
00:39:59 Et donc là on retrouve toute la compétence d'interprétation du Conseil
00:40:03 sur qu'est-ce qu'une réforme au sens de l'article 11.
00:40:06 Et donc la question est, est-ce que le futur RIP 5 sera,
00:40:11 cette proposition est une réforme, une modification suffisante de l'état du droit ou pas ?
00:40:16 Écoutez, moi j'ai un regret sur le RIP 4,
00:40:20 parce que j'aurais aimé que cette procédure fonctionne,
00:40:26 pour différentes raisons, notamment parce que je crois que c'était,
00:40:29 même politiquement au sens propre du terme, une sortie de prise possible de lancer le RIP.
00:40:35 Et je ne suis pas totalement convaincu, je le dis franchement,
00:40:38 par le raisonnement du Conseil constitutionnel.
00:40:40 Bon c'est bien argumenté, c'est bien rédigé,
00:40:44 et la phrase essentielle, vous l'avez rappelé, c'est de dire,
00:40:47 la proposition de loi visant à affirmer que l'âge légal de départ à la retraite
00:40:50 ne peut être fixé au-delà de 62 ans, n'emporte pas de changement de l'état du droit.
00:40:55 Et donc s'il n'y a pas de changement de l'état du droit dans le texte proposé,
00:40:58 ce n'est pas une réforme, j'allais dire, ça n'importe qui le comprend.
00:41:02 Mais ils auraient pu se placer dans le changement qui venait de voter,
00:41:06 de voter d'adopter, parce qu'en réalité, si j'ai bien regardé,
00:41:09 la décision sur le RIP a été adoptée, en tout cas publiée,
00:41:12 après la décision sur la loi sur les retraites, en tout cas dans l'annonce du Conseil constitutionnel.
00:41:18 Donc on venait de valider la retraite à 64 ans,
00:41:22 et on aurait peut-être pu faire un effort, comme on dit, pour aller au-delà.
00:41:26 – Mais il aurait fallu que le Conseil revienne sur sa jurisprudence,
00:41:30 alors je crois que la série 2, sans vouloir faire d'erreur,
00:41:33 où il a dit qu'il se prononçait à la date d'enregistrement de la saisine.
00:41:36 – Oui, non mais il faut bien voir que sur le RIP,
00:41:40 on aurait fait un initiative partagée, on est dans quelque chose de complètement nouveau.
00:41:46 Bon, la jurisprudence n'est pas vraiment stabilisée,
00:41:49 on n'a pas de bons précédents auxquels se raccrocher.
00:41:53 – Et on ne risque pas d'en avoir un jour, parce qu'il y a 4,8 millions de signatures.
00:41:57 – Si, si, alors là, tout le monde nous a dit "on les a".
00:42:00 Moi j'ai entendu tous les politiques de gauche et tous les syndicalistes nous dire
00:42:04 "on n'a aucun problème, il n'y a qu'à compter les gens qui sont dans la rue, on les a".
00:42:07 Bon, il aurait fallu voir, c'est une autre…
00:42:09 Mais c'est vrai que la procédure, je vois les choses comme elles sont,
00:42:13 elle est bonne dans son principe, moi je suis très favorable à ce type de référendum,
00:42:17 d'autant que ça a été inventé dans le comité Vedel il y a 30 ans,
00:42:20 dont je faisais partie, et que j'ai voté pour ça, donc ça me plaît.
00:42:24 Mais la manière dont on l'a construit en 2008 et dans la loi organique suivante,
00:42:29 ça a été fait pour que ça ne fonctionne jamais,
00:42:31 il faut voir les choses comme elles sont, avec des verrous partout.
00:42:34 Et donc d'ailleurs, Emmanuel Macron, lorsqu'il avait encore des ambitions
00:42:37 de réforme constitutionnelle, qui n'ont plus du tout d'actualité,
00:42:40 avait dit qu'il fallait changer ça,
00:42:42 et rendre le référendum d'initiative partagée beaucoup plus facile.
00:42:45 – Il l'avait redit au moment des Gilets jaunes, au moment du grand débat.
00:42:49 – Il va nous le redire au mois de septembre,
00:42:51 s'il reprend la parole sur l'aspect constitutionnel,
00:42:53 puisque théoriquement on a un rendez-vous constitutionnel à l'automne,
00:42:55 et c'est ce qu'il nous a annoncé jusqu'à présent,
00:42:57 je serai prudent à sa place en ce moment.
00:42:59 Mais enfin bon, qu'est-ce qu'on peut faire, j'en sais rien,
00:43:02 mais on a une vraie difficulté, alors on ne va pas faire trop de pronostics,
00:43:06 mais le RIP5 du 3 mai risque d'être un peu semblable au RIP4 du 14.
00:43:11 – Je disais au départ que c'était la décision la plus attendue
00:43:16 de l'histoire du Conseil constitutionnel, mais peut-être me suis-je avancé,
00:43:20 je voulais avoir avec votre longue mémoire dans ce domaine.
00:43:23 – Oui j'ai une longue mémoire, mais c'est un peu dommage d'avoir une longue mémoire,
00:43:26 il faut faire appel à la mémoire des plus jeunes,
00:43:28 parce que je ne me souviens plus de rien comme disait l'autre.
00:43:31 Non, il y a eu de très grandes décisions,
00:43:33 la décision sur la nationalisation en 1982 a eu de très grandes décisions.
00:43:37 – Et on l'avait attendue de la même manière ?
00:43:39 – Oui, il n'y avait pas de manifestation dans la rue,
00:43:41 mais politiquement elle était extrêmement attendue,
00:43:43 et en plus c'était une décision de censure à l'époque,
00:43:45 donc il a fallu refaire la loi derrière,
00:43:47 le climat politique était très tendu, le climat social beaucoup moins,
00:43:51 on a eu la loi Toubira sur le mariage entre personnes du même sexe,
00:43:55 il y a régulièrement des lois de ce type, mais c'est normal,
00:43:59 on sait très bien, tous les gouvernements, toutes les majorités,
00:44:03 savent très bien que quand on propose une loi politiquement sensible,
00:44:07 et là ça l'était, ça va se terminer devant le Conseil constitutionnel,
00:44:10 et d'ailleurs le Conseil constitutionnel l'anticipe,
00:44:13 car il commence à nourrir son dossier dès le dépôt du projet de loi,
00:44:17 ils ont un dossier comme ça, tout ce qu'on a pu écrire les uns et les autres,
00:44:20 dire etc. c'est dans le dossier,
00:44:22 toutes les contributions qu'il a reçues c'est dans le dossier etc.
00:44:25 parce que quelquefois on trouve un argument original au détour d'une phrase,
00:44:30 c'est relativement rare mais ça peut arriver.
00:44:32 - Mathilde ?
00:44:34 - Je voulais juste revenir sur le référendum d'initiative partagée en deux mots,
00:44:38 d'abord comme vous l'avez souligné, même si on avait les 4,8 millions de personnes,
00:44:43 il y a une condition ensuite, c'est que pendant 6 mois après,
00:44:46 le Parlement n'examine pas, examine, j'ai pas dit adopte ou rejette,
00:44:50 n'examine pas le texte, donc c'est une longueur inouïe,
00:44:54 et pour que un simple examen puisse faire tomber le référendum.
00:44:58 La proposition de réforme constitutionnelle qui va peut-être revenir,
00:45:01 c'est un dixième des parlementaires moins, et seulement un million d'électeurs inscrits,
00:45:07 mais de la même manière, un million on les a eus pour le RIP ADP,
00:45:11 l'aéroport de Paris, mais est-ce que derrière il n'y aura pas d'autres conditions aussi strictes ?
00:45:15 - Oui, pour l'instant on est tous d'accord pour dire que c'est fait pour que ça ne marche pas.
00:45:19 - C'est fait pour que ça ne marche pas.
00:45:21 - Ce qui me frappe, c'est la difficulté de trouver d'autres solutions.
00:45:25 Je fais partie d'un groupe de réflexion qui a été mis en place par notre collègue
00:45:29 Jean-Philippe Dorosier sur la réforme de la Ronde.
00:45:31 - Qui était ici il y a une semaine ou deux.
00:45:36 - C'est le grand circuit.
00:45:39 On n'a pas encore abordé le référendum d'initiative partagée,
00:45:42 parce que comme on sait que c'est difficile, on le laisse pour la fin de nos travaux.
00:45:45 Mais je suis frappé, pour ce qu'on a vu jusqu'à présent,
00:45:49 par l'absence d'imagination qu'ont mes petits camarades,
00:45:52 beaucoup plus jeunes que moi, globalement,
00:45:55 pour trouver des solutions qui recueillent un relatif consensus
00:45:59 parmi 10, 20, 30 ou 40 éminents professeurs de droit,
00:46:04 il faut se lever tous si on veut que ce soit quelque chose de tout à fait nouveau.
00:46:07 Je ne parle pas de la 6ème République, parce qu'il y a zéro là-dessus.
00:46:12 - Comment ça il y a zéro là-dessus, qu'est-ce que ça veut dire ?
00:46:14 - Non, mais ça veut dire que personne dans ce groupe n'y pousse.
00:46:19 Mais sur ce type de questions, si vous voulez,
00:46:21 on va certainement avoir des discussions extrêmement difficiles,
00:46:25 car on aura toujours, et ça c'est normal, ceux qui disent
00:46:29 "il faut d'abord que ce soit le Parlement" et "on a peur du peuple".
00:46:33 La démocratie représentative à la française n'aime pas beaucoup le peuple.
00:46:37 On l'a vu sur la 3ème République, on ne voulait jamais dissoudre, jamais.
00:46:41 Parce que les électeurs, ce sont des gens sympathiques quand il s'agit de faire une campagne.
00:46:45 Mais une fois qu'on est élu, on n'a pas envie de retourner les voir.
00:46:48 - Mais c'est aussi la question des juristes, on peut proposer différents cas de figure,
00:46:53 le choix politique n'appartient pas aux juristes.
00:46:55 Après nous chacun on a peut-être un axe qui va plus nous plaire,
00:46:59 mais c'est un choix politique.
00:47:01 - On voit bien que depuis quelques temps, les Français, et les Français ne sont pas les seuls,
00:47:05 sont de plus en plus fâchés avec la démocratie représentative.
00:47:08 C'est quelque chose d'assez récent.
00:47:10 Ce n'était pas du tout remis en cause, on a pu discuter sur l'élection
00:47:14 du président de la République au suffrage universel direct,
00:47:16 mais on ne discutait pas de la démocratie représentative.
00:47:19 - Et pour autant, le président de la République a mis en place plusieurs éléments de démocratie
00:47:23 qu'on appelle aujourd'hui participative, avec le grand débat, la conférence sur le climat,
00:47:28 l'Assemblée citoyenne sur le climat, et on voit que tous ces...
00:47:31 Oui, enfin la fin de vie plus récemment.
00:47:33 Alors la fin de vie on a un peu moins de recul, mais sur les autres,
00:47:35 on voit que dans l'ensemble, ceux qui ont participé sont assez déçus des résultats.
00:47:39 - Oui, parce que c'est à la fin, c'est quand même le président de la République.
00:47:41 - C'est le moins qu'on puisse dire.
00:47:42 - C'est le président de la République qui décide.
00:47:44 - Parce que voilà, pour l'instant, la Constitution ne prévoit pas de mécanisme
00:47:47 permettant de faire rentrer ces procédures dans le processus décisionnel.
00:47:52 - Non, on a une vraie difficulté, c'est comment mieux associer
00:47:56 un certain nombre de segments de l'opinion, je prends une formule de sciences politiques,
00:48:00 à l'élaboration d'un certain nombre de décisions difficiles.
00:48:03 Dans le cas d'espèces, les retraites, moi je l'ai dit,
00:48:06 je regrette beaucoup qu'on n'ait pas utilisé le Conseil économique, essentiel et environnemental.
00:48:10 On aurait pu lui dire au moment du projet de loi,
00:48:12 on a un projet de loi, on vous donne un mois pour avoir un avis là-dessus.
00:48:15 Je ne sais pas sûr qu'il y serait arrivé, mais on n'aurait pas le reproche,
00:48:18 on a consacré la démocratie sociale, parce que le Conseil économique,
00:48:21 l'aide environnementale pour l'instant, est fait pour ça, si vous voulez.
00:48:25 Et c'est très, très difficile d'arriver à trouver des mécanismes.
00:48:27 Vous évoquiez le Grand débat simplement d'un mot.
00:48:29 Moi j'étais maire d'une commune au moment du Grand débat,
00:48:32 j'ai organisé des débats, ça a été d'ailleurs passionnant, très, très bien.
00:48:35 La chose la plus étonnante, c'est que j'ai reçu une circulaire du préfet,
00:48:39 15 jours avant la fin des débats, nous demandant quelles étaient déjà nos conclusions.
00:48:44 Bon, alors je lui ai répondu aimablement, j'ai encore des réunions,
00:48:47 parce que ce n'est pas lui le préfet, il était pourri,
00:48:50 c'est M. Macron qui avait envie, le lendemain de la clôture du Grand débat,
00:48:53 de dire voilà ce qu'il en sort.
00:48:54 Bon, moi j'ai dit tant que je n'ai pas fini la dernière réunion,
00:48:56 je ne peux pas vous en envoyer un bilan.
00:48:58 Yann Forestier ?
00:49:00 Oui, je crois qu'une démocratie, ce sont des institutions,
00:49:03 et ce sont aussi des pratiques.
00:49:05 Et je crois qu'on a une constitution, ou des institutions en général,
00:49:10 qui comprennent beaucoup de dispositions,
00:49:12 de dispositions pour limiter les débats parlementaires,
00:49:15 comme on vient de le voir, mais aussi pour donner la parole
00:49:18 à pas forcément des contre-pouvoirs, mais tout du moins à la société civile,
00:49:23 à travers le Conseil économique, social et environnemental par exemple,
00:49:26 où on a même beaucoup innové, comme vous le citiez,
00:49:29 la Convention citoyenne sur le climat par exemple,
00:49:31 et là sur la fin de vie, qui finit ses travaux en ce moment.
00:49:34 Mais le résultat de tout cela, c'est qu'on constate que
00:49:39 certaines pratiques sur-utilisent certaines dispositions de la constitution
00:49:45 au point, on peut se demander si ce n'est pas au point d'en trahir l'esprit,
00:49:50 et que d'autres dispositions, alors pas forcément de la constitution,
00:49:53 mais de nos institutions, sont sous-utilisées,
00:49:56 et vous citiez le Conseil économique, social et environnemental,
00:49:58 c'est l'exemple type.
00:49:59 Et au moment où on constate justement l'impasse,
00:50:02 et qu'il y a un décalage entre l'esprit des institutions et les pratiques,
00:50:06 au moment où on constate l'impasse, vous nous dites que
00:50:09 dans une commission dont vous faites partie, on manque terriblement d'imagination.
00:50:12 Et moi je crois que là, quand on trouve autant d'attention
00:50:19 par rapport aux travaux du Conseil constitutionnel,
00:50:21 au point que la tension se concentre sur le Conseil constitutionnel,
00:50:27 au point qu'on est obligé de le faire garder par des centaines de CRS,
00:50:30 que ça faisait la une du New York Times hier par exemple,
00:50:34 la démocratie française a manifestement un problème,
00:50:38 c'est le signe d'un échec du fonctionnement des institutions ordinaires,
00:50:42 et le fait qu'aujourd'hui les constitutionnalistes les plus éminents
00:50:46 n'aient pas de proposition à faire...
00:50:48 - Peut-être, mais on verra.
00:50:50 - Anne de Villiers ?
00:50:51 - Juste sur la crise de la démocratie représentative,
00:50:54 moi ce qui m'étonne, c'est qu'en fait le Parlement,
00:50:58 notamment l'Assemblée nationale, elle est compliquée,
00:51:01 mais elle a rarement été aussi représentative.
00:51:03 Quelque part, sans arriver à l'Assemblée,
00:51:05 beaucoup de personnes qui avant n'y allaient pas,
00:51:07 vous aviez quand même beaucoup de professions,
00:51:11 de milieux sociaux qui n'étaient pas,
00:51:12 vous aviez une femme de ménage...
00:51:15 - Et de tendances politiques.
00:51:17 - Et de tendances politiques, et donc là c'est étonnant,
00:51:19 parce qu'on pouvait se dire que cette Assemblée,
00:51:21 bon ça allait être compliqué, mais au moins les gens allaient être contents,
00:51:24 tout le monde était représenté,
00:51:26 et en fait on voit que ça ne résout absolument rien,
00:51:28 on ne s'est plus bloqué de jamais,
00:51:30 et c'est assez étonnant, parce qu'on se dit "qu'est-ce qu'il faut faire ?"
00:51:32 - En dépit de la représentativité dont ça parlait de l'Assemblée,
00:51:36 il y a quand même beaucoup d'abstentions.
00:51:39 - Oui, il y a quand même des petits groupes parlementaires,
00:51:42 c'est le plus qu'on n'a jamais vu,
00:51:44 bon il y en a qu'on aime, il y en a qu'on n'aime pas,
00:51:45 ça c'est pas le problème,
00:51:47 mais ce qui est frappant si vous voulez,
00:51:49 c'est que nous n'arrivons pas à intégrer dans nos analyses politiques,
00:51:53 et à commencer par le Président de la République,
00:51:55 le fait qu'il n'y a pas de majorité.
00:51:57 Sous la 4ème République, qui est une république onie maintenant,
00:52:01 ce type de situation aurait été parfaitement classique.
00:52:04 Dans l'Assemblée élue en 1951,
00:52:07 sur grosso modo 600 députés,
00:52:09 il y en avait 220-230 qui ne servaient à rien pour faire une majorité.
00:52:13 D'un côté on avait un gros groupe communiste,
00:52:15 de l'autre côté un gros groupe RPF,
00:52:16 et on savait qu'on ne pouvait pas travailler avec eux,
00:52:18 donc il fallait obliger à ce qu'il y ait une concentration des centres.
00:52:21 Et là on n'est pas encore du tout entrés dans cette logique,
00:52:24 pour des raisons politiques.
00:52:26 La non-majorité a été une surprise,
00:52:28 il faut quand même voir les choses comme elles sont,
00:52:30 donc on n'y est pas préparés en psychologie politique.
00:52:34 – Réinventer la 3ème force.
00:52:36 – Pardon ?
00:52:37 – Réinventer la 3ème force.
00:52:39 – Non mais pourquoi pas,
00:52:40 mais c'était l'objectif de Macron très honnêtement.
00:52:43 Mais est-ce qu'on peut, est-ce qu'on ne peut pas,
00:52:46 tant qu'il y a M. Mélenchon, on ne peut pas, ça c'est clair.
00:52:50 – Pourquoi ?
00:52:51 – Il n'est plus député, mais on ne peut pas.
00:52:53 – Parce qu'il ne veut pas ?
00:52:55 – On ne peut pas parce qu'il bloque tout le système,
00:52:58 enfin Mélenchon et ses amis, je veux dire,
00:53:00 lui est plutôt bon dans son genre.
00:53:03 Donc on est dans une situation,
00:53:06 et Mme Borne n'a pas tort quand elle dit qu'il faut une majorité par projet,
00:53:11 encore faut-il arriver à la faire cette majorité,
00:53:13 et il faut trouver des gens pour la faire.
00:53:16 Alors le malheur veut pour elle que du côté de la gauche,
00:53:20 il y a ce blocage de la nuque qui est très très lourd,
00:53:23 et que donc le seul groupe vers lequel elle peut aller,
00:53:26 ce sont les Républicains,
00:53:27 qui n'ont pas intérêt à aller trop loin avec M. Macron,
00:53:30 parce qu'ils risquent de perdre leur âme et sinon leur siège,
00:53:34 d'abord leur âme et ensuite leur siège, lors de l'élection suivante.
00:53:38 Or leur première ambition c'est d'être réélu.
00:53:41 Alors ceci étant, je vais m'arrêter,
00:53:43 moi j'ai été très frappé il y a quelques semaines
00:53:45 par un long article dans le journal du dimanche,
00:53:48 on peut le citer, où il y avait un très beau portrait
00:53:51 de Jean-Louis Bourlange, le président de la commission
00:53:53 d'affaires étrangères de l'Assemblée, qui est un des garçons,
00:53:56 non seulement de Strathevenie, mais c'était quelqu'un
00:53:58 de remarquablement intelligent.
00:53:59 Et il disait "le problème des députés Renaissance",
00:54:03 le gros bongo patroniste, c'est qu'ils n'ont plus de pilote,
00:54:06 ils ne savent pas quel va être leur parrain pour les élections de 2027.
00:54:12 – Bien parce qu'Emmanuel Macron ne peut pas se représenter.
00:54:16 – Il ne peut pas se représenter.
00:54:18 Le personnel politique de base, militant, élu intermédiaire, etc.,
00:54:22 a besoin d'écurie, il a besoin de savoir quel est le leader
00:54:26 autour duquel on va s'organiser, notamment pour les investitures.
00:54:30 Or là honnêtement, moi je suis incapable de vous dire
00:54:32 qui donnera les investitures dans Renaissance,
00:54:34 si Renaissance existe encore, en 2027, c'est impossible.
00:54:38 – Et c'est ce qui causerait…
00:54:40 – Ça cause, à ma lettre, évident à l'Assemblée,
00:54:44 parce qu'il n'y a personne avec qui discuter non plus.
00:54:47 – Ils ne savent pas qui est le chef.
00:54:48 – Ils ne savent pas qui est le chef, il n'y a pas de chef.
00:54:50 – Mais Dyl, un dernier mot ?
00:54:52 – Sur cette question, pas spécialement, mais oui,
00:54:56 sur le vote la majorité par projet,
00:54:59 ce serait finalement revenir au fonctionnement hanté 5ème République,
00:55:03 mais faut-il faire des compromis à chaque fois
00:55:06 et réussir à réunir autour de soi ce qui, pour l'instant,
00:55:09 est complètement bloqué en raison de ce qui s'est passé avant,
00:55:12 d'un point de vue politique.
00:55:13 – Yann Forestier, un dernier mot ?
00:55:15 – Oui, je crois qu'effectivement, une majorité par projet,
00:55:17 c'est très logique dans un système parlementaire,
00:55:19 si tant est que la 5ème République puisse être considérée
00:55:21 comme un régime parlementaire, mais ça serait effectivement très logique,
00:55:25 mais pour cela, encore faut-il ne pas avoir fâché les partenaires éventuels.
00:55:30 Je crois que là, on a accumulé toutes les conditions
00:55:35 pour rendre totalement impossible le moindre rapprochement avec qui que ce soit.
00:55:38 Et je me demande même s'il ne va pas y avoir des députés de Renaissance
00:55:41 qui vont quitter le navire, d'ailleurs, plusieurs ont exprimé
00:55:44 quand même des doutes sérieux.
00:55:46 Donc, une majorité par projet, me paraît.
00:55:48 – Anne de Guigny ?
00:55:49 – Peut-être juste pour compléter, mais du coup,
00:55:51 je pense que là, tout est tellement immobilisé,
00:55:53 je pense que le président, il semble ne pas avoir envie,
00:55:55 mais moi, j'ai l'impression qu'il n'a quand même pas le choix
00:55:57 de changer de Premier ministre, et puis il faut qu'il sorte,
00:56:01 il faut qu'il trouve un projet, qu'il redonne envie de le suivre,
00:56:05 là, tout est tellement enlisé, je ne vois pas comment il peut avancer,
00:56:08 là, projet par projet, sans bouger Matignon.
00:56:11 – Même s'il change de Premier ministre, ça reste lui le super Premier ministre.
00:56:16 – Mais il faut, voilà, il change de Premier ministre,
00:56:18 et puis qu'il y ait un projet précis, qu'il nous montre une nouvelle direction.
00:56:20 – Merci Anne de Guigny, je vous remercie parce que vous nous quittez maintenant.
00:56:23 – Merci beaucoup.
00:56:24 – Ça va être le rappel des titres avec Isabelle Piboulot,
00:56:28 et juste après, on se retrouve et on discute de la Ligue des droits de l'homme
00:56:32 avec le président de la Ligue des droits de l'homme, qui sera là.
00:56:36 [Générique]
00:56:39 Les quatre syndicats représentatifs de la SNCF
00:56:42 appellent à une journée d'expression de la colère cheminote jeudi,
00:56:46 une étape de préparation aux manifestations du 1er mai,
00:56:50 peu après la promulgation de la réforme des retraites.
00:56:53 "Nous ne passerons pas à autre chose tant que cette loi n'est pas abandonnée",
00:56:57 affirment les syndicats.
00:56:59 L'Allemagne ferme ses trois derniers réacteurs nucléaires.
00:57:02 Ils seront déconnectés du réseau électrique peu avant minuit,
00:57:06 une sortie de l'énergie atomique qui reste controversée
00:57:09 dans le contexte d'urgence climatique.
00:57:12 Le gouvernement allemand avait accordé un sursis de quelques semaines.
00:57:16 L'arrêt était initialement fixé au 31 décembre.
00:57:20 En Iran, la police sévit contre les femmes non voilées,
00:57:24 des sanctions à l'aide de technologies intelligentes
00:57:27 pour aider à identifier les personnes qui enfreignent la loi,
00:57:31 que ce soit sur les voies publiques, dans les véhicules
00:57:34 ou dans les sites où le hijab est parfois retiré.
00:57:37 Endurcissement des mesures au moment où de plus en plus de femmes
00:57:40 défient le code vestimentaire obligatoire dans le pays.
00:57:44 Bienvenue, si vous nous rejoignez maintenant,
00:57:49 les visiteurs du soir, c'est de 22h jusqu'à minuit.
00:57:52 Mathilde Elsman, Patin et Didier Mosse, tous les deux constitutionnalistes,
00:57:57 nous ont accompagnés toute cette émission,
00:57:59 ainsi que Yann Forestier qui nous racontera tout à l'heure
00:58:02 50 ans de débats sur l'école, résumés dans les médias,
00:58:05 à un éternel affrontement entre ceux qui veulent sauver l'école
00:58:08 et ceux qui veulent la changer.
00:58:10 Mais d'abord, la Ligue des droits de l'homme,
00:58:12 le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin,
00:58:14 puis la Première ministre Elisabeth Borne
00:58:16 s'en sont pris récemment à la Ligue des droits de l'homme.
00:58:18 Le premier a menacé de regarder de plus près
00:58:21 les subventions publiques dont elle est bénéficiaire.
00:58:24 Quant à Elisabeth Borne, elle a dit de plus comprendre
00:58:26 certaines de ses prises de position concernant
00:58:29 la manifestation de Sainte-Seline ou l'islam radical.
00:58:32 Un appel au soutien à la Ligue a été publié depuis,
00:58:35 en une du quotidien l'Humanité.
00:58:37 Alors, quel droit de l'homme défend la Ligue des droits de l'homme ?
00:58:41 On en débat avec Patrick Baudouin,
00:58:44 le président de la Ligue des droits de l'homme,
00:58:46 association créée en 1898 pendant l'affaire Dreyfus,
00:58:50 et Mathieu Lefebvre qui est député Renaissance du Val-de-Marne,
00:58:53 membre de la commission des finances de l'Assemblée nationale
00:58:56 et ancien chef de cabinet de Gérald Darmanin
00:58:59 au ministère de l'Action et des Comptes publics.
00:59:02 Patrick Baudouin, la Ligue des droits de l'homme s'est-elle radicalisée ?
00:59:05 Est-elle devenue une association d'extrême gauche
00:59:08 comme le dit Bruno Retailleau ?
00:59:10 Manuel Weiss, celui l'accuse de ne plus être du côté de l'ordre républicain.
00:59:15 Qu'est-ce que vous répondez à toutes ces accusations ?
00:59:17 Je réponds que j'en suis relativement stupéfait
00:59:20 parce que je ne crois pas que la Ligue des droits de l'homme
00:59:23 est sombrée dans cet extrémisme de gauche qu'on lui reproche.
00:59:28 Je crois qu'elle est toujours sur la même ligne en réalité,
00:59:31 ce n'est pas nouveau.
00:59:32 Qu'est-ce qu'on nous reproche aujourd'hui principalement ?
00:59:35 C'est d'avoir pris des positions, en particulier au regard,
00:59:40 il faut le dire, puisque c'est ce qui a déclenché,
00:59:42 des violences policières.
00:59:45 Sur les violences policières, notre position n'est pas nouvelle.
00:59:49 C'est une position qu'on a déjà manifestée par exemple
00:59:52 sans remonter à des temps beaucoup plus anciens,
00:59:55 au moment de la crise des gilets jaunes.
00:59:57 Pourquoi ?
00:59:58 Tout simplement parce que nous considérons que les méthodes utilisées
01:00:03 au titre du maintien de l'ordre, du schéma de maintien de l'ordre
01:00:06 et de son application, sont des méthodes excessives et disproportionnées.
01:00:11 Et je voyais en attendant cette émission,
01:00:15 un article qui est paru dans Le Monde d'Aujourd'hui, je crois,
01:00:18 par Ariane Chemin, qui fait la comparaison
01:00:21 entre le système du maintien de l'ordre à la française
01:00:24 et le système du maintien de l'ordre dans des pays voisins.
01:00:27 Et en particulier l'Allemagne, la Grande-Bretagne et les pays scandinaves.
01:00:32 Et on voit que les méthodes ne sont pas les mêmes.
01:00:35 Alors qu'est-ce que nous avons contesté ? Je le redis ici,
01:00:37 je ne crois pas que ça nous qualifie d'extrême-gauchiste.
01:00:40 On est en bonne compagnie.
01:00:42 Il y a la défenseur des droits de l'homme qui prend la même position.
01:00:45 La défenseur des droits.
01:00:46 La défenseur des droits, plus exactement.
01:00:48 Vous avez raison.
01:00:49 Claire et don.
01:00:50 La défenseur des droits, Claire et don.
01:00:52 La Commission nationale consultative des droits de l'homme.
01:00:56 À l'échelle internationale, la haut-commissaire
01:01:00 au droit de l'homme du Conseil de l'Europe.
01:01:03 Les rapporteurs spéciaux des Nations Unies.
01:01:05 Je pourrais en énumérer beaucoup,
01:01:07 qui font la même analyse et le même constat que nous.
01:01:10 C'est-à-dire qu'on a pu observer, en particulier depuis le 16 mars,
01:01:15 c'est-à-dire jour de l'adoption de la loi retraite au 49.3,
01:01:21 on a vu un changement à nouveau.
01:01:23 Parce que c'est vrai que les premières manifestations s'étaient bien passées.
01:01:26 Jusque-là, un changement et un retour aux méthodes que nous dénoncions.
01:01:31 Les interpellations abusives avec des gardes à vue
01:01:35 qui privent les manifestants de la possibilité de rester dans la manifestation,
01:01:39 mais qui ne débouchent sur rien.
01:01:41 Ça a été vraiment...
01:01:42 C'est avéré.
01:01:44 Le recours à ce qu'on appelle la NAS.
01:01:46 La NAS peut être légale, c'est encadré par le Conseil d'État.
01:01:50 La NAS, ça veut dire qu'on enserre les manifestants dans un cercle bien déterminé.
01:01:56 Le Conseil d'État dit que c'est possible
01:01:58 quand vraiment c'est absolument nécessaire,
01:02:00 ça ne doit pas durer longtemps, on doit permettre aux gens de sortir.
01:02:03 Ce n'est pas ce qui s'est passé.
01:02:04 On a utilisé des NAS, au contraire, d'une manière tout à fait illégale.
01:02:08 Et puis, ce qu'on conteste peut-être de façon la plus active,
01:02:13 c'est le recours à ce qu'on appelle des armes de guerre,
01:02:17 c'est-à-dire les LBD, d'une part, les lanceurs de balles de défense,
01:02:22 et d'autre part, des grenades extrêmement dangereuses,
01:02:26 qui sont les GM2L,
01:02:28 qui ne présentent pas seulement la caractéristique d'aveugler,
01:02:32 d'être assourdissante, mais aussi de pouvoir blesser par les éclats.
01:02:37 Et il y a eu de très nombreux blessés.
01:02:39 Donc, ce qu'il faut bien voir, si vous voulez,
01:02:41 c'est pour ça que j'essaye de me faire comprendre,
01:02:43 parce que j'ai répété ça sur de nombreux plateaux
01:02:45 et lors de nombreuses émissions récemment,
01:02:48 évidemment que nous condamnons les violences qui sont faites par les manifestants.
01:02:53 C'est de la délinquance.
01:02:55 Ce sont des délinquants qui doivent être traités comme tels.
01:02:58 Donc, il va de soi qu'en aucun cas, je le dis ici, je l'ai redit,
01:03:02 je ne sais pas, je voudrais être entendu,
01:03:04 qu'on ne nous qualifie pas d'extrême-gauche,
01:03:06 comment dire, contre ce que nous pensons et ce que nous proposons.
01:03:11 Donc ça, bien évidemment, nous le condamnons absolument.
01:03:14 Mais pour autant, il faut bien voir que c'est l'État
01:03:17 qui a une responsabilité particulière,
01:03:20 qui est celle d'assurer des libertés.
01:03:23 Et parmi les libertés, parmi les droits, il y a le droit de manifester.
01:03:26 Ce qui veut dire que la plupart des manifestants étant pacifiques,
01:03:30 on doit pouvoir leur laisser cette liberté de manifester
01:03:34 sans que ces manifestants encourtent des risques excessifs
01:03:38 pour leur intégrité physique, voire pour leur vie.
01:03:41 C'est tout ce que nous disons.
01:03:43 Et nous disons, je termine juste sur ce point
01:03:45 parce que je veux être compris, nous souhaitons une désescalade.
01:03:49 Et là, on voit que la violence, et je pense que ce qui se passe,
01:03:53 je crains que le pouvoir ne comprenne pas
01:03:55 qu'à maintenir cette position de violence excessive des forces de l'ordre,
01:04:00 on va vers une escalade qui deviendra incontrôlable.
01:04:04 Et je crois qu'il faut réconcilier la police avec la population,
01:04:08 avec les manifestants, en respectant les droits,
01:04:11 tout en protégeant les forces de l'ordre.
01:04:13 Mais pourquoi la France a-t-elle besoin de ces moyens aussi excessifs
01:04:17 que n'ont pas nos voisins qui sont confrontés aux mêmes manifestations violentes ?
01:04:21 Je pose la question.
01:04:22 Monsieur Lefebvre.
01:04:23 Écoutez, il y a les mots que vous décrivez, puis il y a les actes.
01:04:26 Vous avez attaqué l'arrêté de la préfète des Deux-Sèvres
01:04:29 qui interdisait le transport d'armes par destination.
01:04:32 Est-ce que c'est bien pacifique ?
01:04:33 Il faut rappeler ce que c'est les armes par destination,
01:04:35 c'est tout objet qui peut blesser quelqu'un.
01:04:37 Et notamment des forces de l'ordre.
01:04:39 Et un arrêté préfectoral avait été pris avant la manifestation de Sainte-Solide.
01:04:43 Et vous l'avez effectivement, alors, attaqué ou simplement contesté ?
01:04:47 Ah non, vous l'avez attaqué.
01:04:49 Si vous me permettez de répondre tout de suite sur ce point seulement.
01:04:51 Très vite.
01:04:52 Je vous laisse parce que je n'aime pas vous priver de parole.
01:04:54 C'est pour le contradictoire.
01:04:56 Non, simplement qu'on nous comprenne bien là-dessus.
01:04:59 On prend des arrêtés qui interdisent le port d'armes.
01:05:02 Évidemment qu'on n'est pas pour que les manifestants portent des armes.
01:05:05 Ça ne sert à rien puisque de toute façon, le port d'armes, c'est un délit.
01:05:08 Et c'est normal.
01:05:09 Mais ce qu'on conteste, c'est la suite.
01:05:11 C'est-à-dire tout projectile qui est susceptible de constituer une arme par destination.
01:05:15 Ça veut dire que ça peut être un casque, ça peut être des lunettes, ça peut être...
01:05:19 Et le Conseil constitutionnel, je suis désolé,
01:05:22 le Conseil constitutionnel dans une décision qui date de 1995,
01:05:27 a dit que c'était excessif.
01:05:29 Alors on conteste.
01:05:31 C'est vrai qu'on a perdu.
01:05:32 Au cas d'espèce, vous avez perdu en effet.
01:05:34 Mais on gagne plus souvent qu'on perd.
01:05:36 Je vous rassure.
01:05:37 En gros, vous avez perdu.
01:05:39 On a perdu devant le tribunal administratif de Poitiers.
01:05:41 Vous avez défendu le fait que des casseurs, des gens extrêmement violents,
01:05:44 puissent amener des armes dans une manifestation interdite.
01:05:47 C'est manifestement un petit peu loin de vos positions en faveur du pacifisme.
01:05:51 Et puis surtout, vous dressez un signe égal entre de supposées violences policières,
01:05:55 qui seraient systémiques, et la violence de casseurs.
01:05:58 Mais ne renversez pas les choses, monsieur.
01:06:00 S'il y a un maintien de l'ordre, c'est parce qu'il y a des professionnels du désordre en face.
01:06:04 Et les forces de l'ordre ont eu besoin de se protéger face à des gens qui ne respectaient absolument rien.
01:06:09 On a fait face à un déferlement de violence inouï à Saint-Sauline,
01:06:12 à une manifestation à laquelle vous avez d'ailleurs souhaité avoir un statut d'observateur autoproclamé.
01:06:17 Statut qui vous a d'ailleurs été refusé parce que vous n'aviez rien à y faire.
01:06:20 Mais il ne faut pas renverser les choses dans la vie.
01:06:23 S'il y a des forces de l'ordre qui se défendent, c'est parce qu'elles sont attaquées,
01:06:27 et attaquées violemment.
01:06:28 Le schéma national du maintien de l'ordre que vous évoquez, monsieur,
01:06:31 il a été validé par le Conseil d'État.
01:06:33 Les tactiques d'encerclement que vous évoquez, elles ont été validées par le Conseil d'État.
01:06:37 On vit dans un État de droit.
01:06:39 Et moi, je regrette que la Ligue des droits de l'homme, depuis ses combats initiaux,
01:06:42 se perde aujourd'hui dans des combats qui sont totalement fantasmagoriques.
01:06:45 Quand vous nous dites qu'il y a une dérive autoritaire de la part de l'État, c'est n'importe quoi.
01:06:49 Les forces de l'ordre sont là précisément pour permettre aux Français de manifester,
01:06:53 de manifester en toute liberté.
01:06:55 J'observe d'ailleurs de ce point de vue que les 8 premières journées d'action se sont passées absolument sans heurts.
01:06:59 Quand une manifestation est légale, quand elle n'est pas sauvage ou interdite,
01:07:02 quand elle n'est pas infiltrée par des casseurs qui n'ont d'ailleurs rien à faire de la réforme des retraites
01:07:07 ou des bassines à Saint-Céline,
01:07:09 elle se passe très bien, les manifestations.
01:07:11 Il y en a 15 à 30 dans les week-ends et on n'en entend pas parler.
01:07:14 On en entend parler quand elles sont sauvages et interdites.
01:07:16 Et quelque part, monsieur, quand vous contestez les arrêtés de la préfète,
01:07:20 vous cautionnez cette forme de violence.
01:07:22 Et quand vous mettez un signe égal entre de supposées violences policières
01:07:25 et des casseurs qui viennent avec des haches, avec des machettes, avec des boules de pétanque.
01:07:29 Et quand, par ailleurs, monsieur, vous laissez supposer que le SAMU et les forces de secours
01:07:34 n'auraient pas pu rentrer à Saint-Céline de la faute des forces de l'ordre,
01:07:37 ce qui est totalement faux, et d'ailleurs la LICRA s'est désolidarisée de votre prise de position.
01:07:41 C'est la seule ?
01:07:42 Oui, c'est totalement sans doute.
01:07:44 C'est la seule, là.
01:07:45 Vous avez fait un reportage extrêmement éloquent démontrant que c'était faux.
01:07:48 Complément d'enquête aussi. Complément d'enquête à faire un très très bon reportage.
01:07:52 Ça a apporté atteinte très gravement à l'honneur de nos forces de l'ordre.
01:07:55 Minute par minute, le ministre de l'Intérieur a pu démontrer à quel point ce que vous aviez dit était faux.
01:08:00 On voit bien que la Ligue des droits de l'homme, aujourd'hui, est extrêmement éloignée de ses combats initiaux.
01:08:05 Ce qu'a dit le ministre de l'Intérieur, il n'a pas dit qu'il fallait interdire la Ligue des droits de l'homme,
01:08:08 il n'a pas dit qu'il fallait arrêter les subventions à la Ligue des droits de l'homme.
01:08:11 Il n'a pas dit qu'il n'y avait pas de droit à vie à subvention à la Ligue des droits de l'homme.
01:08:14 La question, ce n'est pas de subventionner quelqu'un avec qui on n'est pas d'accord.
01:08:17 L'État, évidemment, finance le pluralisme des associations.
01:08:20 La question, c'est quand vous êtes en retrait de l'État de droit, à l'opposé de l'État de droit,
01:08:24 évidemment, on peut s'interroger et on doit s'interroger.
01:08:26 Et moi, à titre personnel, je n'ai pas envie de mettre un euro de mes impôts dans le financement d'une association
01:08:31 qui défend le port d'armes qui aurait pu tuer des policiers.
01:08:33 Bon, cette caricature est vraiment... Je crois que vous ne m'entendez pas, mais vous ne voulez surtout pas m'entendre.
01:08:39 M. Darmanin, il n'a pas dit tout à fait ce que vous dites. Il faut être très précis.
01:08:43 Il a dit qu'il faut examiner les subventions et les finances de la Ligue.
01:08:47 Et ça, c'est tout à fait normal.
01:08:49 Et heureusement que nos finances sont examinées et contrôlées par la Cour des comptes.
01:08:53 On reçoit des subventions, on est contrôlés et c'est parfaitement normal.
01:08:57 C'est la suite qui est dangereuse, monsieur.
01:08:59 C'est quand il dit "dans le cadre des actions qu'elle a menées".
01:09:02 Ça sera examiné dans le cadre des actions qu'elle a menées.
01:09:05 Vous rendez-vous compte de ce que ça signifie ?
01:09:07 Bien sûr.
01:09:08 Eh bien, ça nous renvoie à des régimes comme M. Orban. Je suis désolé, ça ne vous plaît pas.
01:09:12 Mais certes, ils procèdent de la même manière.
01:09:14 C'est-à-dire, si vous avez des actions qui plaisent au prince, le prince va vous subventionner.
01:09:20 Ce n'est pas une question de prendre le prince. C'est une question d'être soit dans l'état de droit, soit en dehors de l'état de droit.
01:09:23 Non, non. Ça veut bien dire ça. On examinera les actions que vous menez.
01:09:27 Si elles nous plaisent, on vous donnera peut-être... On continuera à vous donner les subventions.
01:09:31 Sinon, non. Je pense que ceci étant que ça... Je vais vous accorder ceci.
01:09:35 Je pense que ça a dépassé sa pensée et je pense que ça ne sera pas fait.
01:09:38 Et fort heureusement, parce que figurez-vous, monsieur, toujours, que nous collaborons beaucoup avec l'État,
01:09:44 avec l'Éducation nationale en termes de formation, avec la Mivilut pour les dérives sectaires.
01:09:51 On a plein d'actions conjointes avec l'État. Et je l'ai dit aussi, je l'ai écrit dans Le Monde.
01:09:56 Vous avez peut-être lu mon interview d'hier. Nous ne sommes pas des ennemis de l'État.
01:10:00 Et pas plus de l'État que vous représentez.
01:10:01 Je l'ai lu, moi.
01:10:02 Nous sommes des amis de l'État de droit.
01:10:04 Je l'ai lu, Patrick Baudouin, et vous dites que les libertés publiques sont en péril en France, aujourd'hui. Pourquoi ?
01:10:10 Mais je pense que ce n'est pas propre à la France. Je le dis vraiment.
01:10:13 Je pense que depuis, on va dire, le terrorisme, le point de départ est là.
01:10:18 Et sans vouloir penser que le 11 septembre 2001 et l'alpha et l'oméga de tout, c'est une date clé.
01:10:26 Parce qu'à compter de cette date, on a voulu réagir, ce qui était légitime, contre le terrorisme.
01:10:31 Et au nom de cette lutte antiterroriste, et pas seulement en France, mais même un pays comme la Grande-Bretagne,
01:10:36 qui est pourtant le pays le plus respectueux de l'Habeas corpus, on a perdu de vue un certain nombre de libertés.
01:10:44 Alors, a priori, c'était pour sanctionner, évidemment, les terroristes, ce qui est une lutte tout aussi légitime que celle contre les casseurs,
01:10:52 contre les black blocs, contrairement à ce que vous vouliez me faire dire.
01:10:55 Mais on a, à ce niveau-là, pris des lois de plus en plus sécuritaires et restrictives de liberté.
01:11:01 On est allé d'état d'urgence en état d'urgence. Ensuite, il y a eu la crise sanitaire qui n'a pas simplifié les choses.
01:11:06 Et moi, je vois tout de même, je l'ai dit, je sais que vous n'êtes pas d'accord, mais c'est légitime qu'on ait ce débat.
01:11:12 Et je suis heureux de l'avoir. La liberté associative, avec la loi séparatisme, qui visait une catégorie d'associations,
01:11:20 des associations musulmanes, ça peut partir d'une intention louable.
01:11:24 Non, pas d'associations musulmanes, c'est pas vrai, mais dites pas non.
01:11:26 Principalement.
01:11:27 C'est pas vrai ?
01:11:28 Mais ensuite, vous êtes allé avec le contrat d'engagement républicain à imposer...
01:11:31 Je me fais manifestement du mal avec l'engagement républicain.
01:11:34 Non, pas du tout. La Ligue des droits de l'homme, elle fait partie du paysage de la République française depuis 125 ans.
01:11:39 Mais qu'est-ce qu'il y a de choquant dans cette disposition ?
01:11:41 Ce qu'il y a de choquant, c'est que vous nous imposez ce que vous appelez un contrat,
01:11:45 qui n'en est pas un puisqu'il est imposé, un contrat, jusqu'à preuve du contraire.
01:11:48 Ce sont les valeurs de la République, maintenant, si vous vous y opposez.
01:11:50 Les valeurs de la République.
01:11:51 Je suis désolé, il ne peut pas y avoir un euro d'argent public pour une association qui ne respecte pas les valeurs de la République.
01:11:55 Laissez-moi terminer.
01:11:56 Où est passé votre universalisme ?
01:11:58 Notre universalisme, c'est effectivement de respecter les droits et libertés,
01:12:03 parmi lesquelles la liberté d'association.
01:12:06 Et quand vous commencez à imposer à une association de ne pas prendre des positions,
01:12:10 ça figure dans un des sept contrats d'engagement, d'engagement du contrat, pardon.
01:12:15 Quand vous, pas d'action politique, syndicale, religieuse, qui puisse porter atteinte à l'ordre public,
01:12:22 on sait que cette notion d'ordre public, elle ouvre la voie.
01:12:25 Vous êtes pour le désordre public.
01:12:27 Vous pensez qu'une association qui nous dit, qui mettra en péril l'ordre public,
01:12:31 doit être subventionnée par de l'argent public ?
01:12:33 Non mais écoutez, je vous dis...
01:12:35 Pardon, excusez-moi, dites-moi ce qu'il y a derrière votre pensée.
01:12:38 Non mais à chaque fois, je crois que vous travaillez...
01:12:40 Je ne suis pas en train de vous dire que je suis pour le désordre public,
01:12:42 je dis simplement que la référence, et tous les juristes le savent,
01:12:45 je ne sais pas si je suis entouré de juristes ici,
01:12:47 mais la référence à l'ordre public est partout une référence quelque peu dangereuse à manier avec précaution.
01:12:53 Je n'explique pas que c'est une notion si vague qu'on peut l'interpréter comme un trouble à l'ordre public.
01:12:58 Et le résultat en est...
01:12:59 En plus, vous êtes validé par le Conseil constitutionnel par ailleurs.
01:13:01 Le résultat en est...
01:13:02 Moi, je ne parle pas seulement pour la Ligue des droits de l'homme, ne me faites pas...
01:13:05 D'ailleurs, pourquoi vos critiques visent la Ligue quand la défenseur des droits,
01:13:09 l'ASEN, CDA, je ne vais pas redire ce que je viens de dire, disent la même chose que nous ?
01:13:13 Pourquoi vous visez la Ligue plus ? J'aimerais que vous m'expliquiez ça.
01:13:16 Parce que la Ligue des droits de l'homme, depuis maintenant une vingtaine d'années,
01:13:19 elle a attaqué toutes les lois qui ont conforté la République.
01:13:22 Vous avez, par exemple, été en 2004 opposé aux exclusions scolaires
01:13:27 dans le cadre de la loi sur les signes religieux ostentatoires.
01:13:29 Vous avez, en 2007, vous êtes opposé à l'interdiction du burkini.
01:13:33 Vous êtes opposé à la loi qui interdit de dissimuler son visage dans l'espace public.
01:13:39 Vous êtes opposé à la loi sur le séparatisme.
01:13:42 Toutes ces lois-là, vous vous y êtes opposé.
01:13:44 Et donc, toutes ces lois qui confortent la République, vous parliez des attentats terroristes,
01:13:48 vous étiez la seule association absente au procès Charlie Hebdo.
01:13:52 Ça a été remarqué d'ailleurs par les avocats.
01:13:54 Il est vrai que vous préfériez défendre le collectif contre l'islamophobie en même temps
01:13:58 et Tariq Ramadan, ce collectif d'ailleurs qui a été dissous
01:14:02 par le ministre de l'Intérieur et cette dissolution qui a été validée par le Conseil d'État.
01:14:06 C'est donc pour cette raison, monsieur, que je vous dis que vous attaquez la République
01:14:09 et que vous n'avez plus rien à voir avec vos combats historiques
01:14:12 qui sont des combats ô combien importants pour la République.
01:14:14 Le combat contre l'antisémitisme.
01:14:16 Aujourd'hui, vous défendez des gens qui sont des islamistes radicaux
01:14:20 et qui font preuve d'un antisionisme notoire.
01:14:22 Vous défendiez le droit des femmes et aujourd'hui, vous allez vous opposer à ces lois
01:14:28 qui empêchent de mettre un voile intégral sur la tête des femmes.
01:14:31 Vous étiez pacifiste et vous prenez aujourd'hui le désordre
01:14:34 en prenant la liberté de transporter des hommes par destination.
01:14:38 Voilà pourquoi, pas qu'on s'en prend à la Ligue des droits de l'homme,
01:14:41 mais on ne comprend plus vos prises de position, monsieur.
01:14:43 Alors moi, je vais vous les expliquer, mes prises de position,
01:14:45 puisqu'il semble que la première ministre ne les comprenne pas non plus.
01:14:48 Alors les amalgames et les caricatures, là, c'est le florilège que vous venez de déployer.
01:14:53 Un vrai florilège, je vous félicite.
01:14:55 Parce que le voile, monsieur, c'est vrai qu'on n'est pas d'accord.
01:14:59 Pour nous, c'est la liberté.
01:15:01 Et la liberté, c'est la liberté de porter le voile ou de ne pas le porter.
01:15:05 Et je vous signale qu'on soutient, par exemple, les femmes iraniennes
01:15:08 dans des combats aussi internationaux, parce qu'on ne se limite pas au cadre national.
01:15:12 Et pour nous, c'est la liberté.
01:15:13 Et évidemment, on n'est pas obligé, les femmes, à porter le voile.
01:15:17 C'est évident.
01:15:19 Non, mais vous êtes contre la loi qui évite de dissimuler son visage dans l'espace public.
01:15:23 Non.
01:15:24 Vous vous êtes exprimé contre, monsieur.
01:15:26 Dans la Ligue, en tout cas.
01:15:27 Dans l'espace public, on considère qu'il doit y avoir une liberté.
01:15:30 Alors après le procès que vous nous faites sur l'antisémitisme,
01:15:33 et cette petite rumeur qui circule...
01:15:35 Sur l'antisionisme, monsieur.
01:15:37 Sur l'antisémitisme.
01:15:39 Vous venez d'évoquer, vous avez évoqué à l'instant même, le mot antisémitisme.
01:15:43 Oui.
01:15:44 On laisse entendre, monsieur.
01:15:45 Et bien sûr, parce que la Ligue est née de la perdure de justice, monsieur.
01:15:48 Non, on laisse entendre qu'on serait sélectif et qu'on serait contre l'islamophobie.
01:15:53 Et vous choisissez vos combats manifestement.
01:15:54 On est contre l'islamophobie, ce qui est vrai.
01:15:56 On est contre l'islamophobie, ça je le confirme.
01:15:58 Et quand on a pris le parti qui n'a pas pris déjà...
01:16:03 Qui n'a pas plu à monsieur Darmanin d'intervenir dans la procédure contre cet imam l'été dernier,
01:16:08 et que Hussein, c'était pas, j'ai dit à multiples reprises,
01:16:11 à quel point nous condamnions les propos de cet imam antisémite.
01:16:15 Donc l'antisémitisme, c'est l'ADN de la Ligue.
01:16:20 Et je dois vous dire, moi, à titre personnel, que je n'en dévierais pas.
01:16:23 Mais j'en serais heureux, monsieur.
01:16:24 Et que c'est un combat essentiel.
01:16:26 Et on a contesté, on conteste.
01:16:27 Alors vous nous dites, on n'était pas à tel procès.
01:16:29 C'est vrai qu'on n'est pas à tous les procès.
01:16:30 Oui, mais celui-là était peut-être un peu symbolique quand même.
01:16:32 Il était important.
01:16:33 On était dans la rue à Je suis Charlie, en tête des manifestations.
01:16:37 Vous étiez aussi avec le CCIF en 2020.
01:16:38 Oui, on est aussi contre Dieu Donné, monsieur.
01:16:40 À chaque fois où Dieu Donné, il est là-dessus, il y va, sur l'antisémitisme.
01:16:45 On y est.
01:16:46 Alors vraiment, mais arrêtez de nous faire des procès d'intention.
01:16:49 Justement, Patrick Baudouin, pour qu'on comprenne bien cet imam, vous étiez opposé à son expulsion,
01:16:56 en dépit du fait qu'il était accusé d'avoir proféré des propos antisémites.
01:17:01 Tout à fait, je peux en dire deux mots, s'il vous plaît.
01:17:04 Pour qu'on comprenne.
01:17:05 Rapidement.
01:17:06 Pourquoi vous le défendez ?
01:17:07 Alors, on ne l'a pas défendu, s'il vous plaît.
01:17:08 C'est-à-dire qu'il avait une excellente avocate au demeurant.
01:17:10 Et on avait gagné devant le tribunal administratif et perdu devant le conseil d'État.
01:17:13 Mais il y a eu une procédure au fond.
01:17:14 Mais pourquoi ?
01:17:15 Cet imam a toujours vécu en France.
01:17:18 Il avait toute sa vie familiale, privée, en France.
01:17:21 En 2014, il a tenu des propos antisémites odieux.
01:17:25 Mais profondément odieux.
01:17:27 Sauf qu'il n'a pas été poursuivi.
01:17:29 D'ailleurs, je pense que ce n'était pas vous qui étiez aux manettes à ce moment-là.
01:17:33 Mais je pense qu'il aurait été bon que le parquet poursuive.
01:17:36 Ça n'a pas été fait.
01:17:37 Les propos étaient odieux.
01:17:38 Il a récidivé sur les femmes en 2019, tout aussi odieux.
01:17:42 Et là-dessus, vous vous doutez bien.
01:17:44 Sauf qu'il y a eu un arrêté d'expulsion qui a été pris fin juillet 2022 par M. Darmanin,
01:17:51 qui faisait quand même beaucoup d'agite propre durant l'été dernier,
01:17:54 qu'on voyait beaucoup sur les médias pour occuper l'espace médiatique et politique pendant les vacances d'été.
01:18:00 Il a pris soudain cet arrêté d'expulsion en prenant pour cible l'imam Hikyusen.
01:18:05 Ce que nous avons dit, c'est que cet imam aurait dû être poursuivi.
01:18:09 Il aurait dû d'ailleurs certainement être condamné.
01:18:12 Mais pourquoi l'expulser alors qu'il avait toute sa vie en France
01:18:16 et que sa portée atteinte à d'autres droits,
01:18:20 et notamment le droit au respect de la vie privée et familiale ?
01:18:23 C'est ce qu'a retenu le tribunal administratif, qui donc a suivi ce raisonnement.
01:18:27 Le Conseil d'État ne l'a pas fait.
01:18:29 Il faut dire qu'il était sous une pression très forte.
01:18:31 Mais moi, j'accepte les décisions.
01:18:33 Après, c'est un débat.
01:18:34 Mais qu'on ne nous dise pas que le débat n'est pas légitime.
01:18:37 Qu'on ne nous dise pas que vous êtes du côté de l'imam Hikyusen
01:18:42 parce que vous êtes intervenu à cette procédure.
01:18:44 Je redis ici que j'ai condamné, que nous avons condamné,
01:18:47 et dans les écrits que nous avons pris devant le tribunal, nous l'avons dit.
01:18:50 Nous avons condamné ses propos,
01:18:52 mais estimé qu'il ne devait pas faire l'objet de cette mesure d'expulsion
01:18:56 parce qu'il avait toujours vécu en France.
01:18:58 Point.
01:18:59 Est-ce que c'est si choquant ?
01:19:01 Je note que vous choisissez vos combats.
01:19:02 Voilà, manifestement, il faut l'assumer.
01:19:04 Vous avez aussi défendu un islamiste radical qu'on a expulsé en Russie en 2018.
01:19:09 Vous étiez présent, la Ligue des droits de l'homme était présente en 2015
01:19:12 quand M. Ramadan, encore une fois, disait que les principaux adversaires de l'islam,
01:19:18 c'était à 80% des associations pro-sionistes.
01:19:22 Bon, il y avait le président de la Ligue des droits de l'homme à côté.
01:19:24 Moi, je suis désolé, ça me choque.
01:19:25 Et aujourd'hui, on nous dit,
01:19:27 est-ce qu'il faut continuer à subventionner la Ligue des droits de l'homme ?
01:19:29 Je pense que ces prises de position-là interrogent.
01:19:32 Vous avez, par exemple, sur la lettre de Scharbe, vous y êtes opposé.
01:19:36 Vous l'avez vertement critiqué.
01:19:38 Je pense que vous êtes un petit peu, aujourd'hui, à côté du cadre républicain
01:19:42 et sous couvert d'un droit de l'homisme qui n'est plus du tout universel dans votre bouche.
01:19:46 Vous aboutissez à des combats qui sont purement des combats sélectifs et partisans.
01:19:50 Moi, je me battrai pour que vous puissiez continuer à avoir le droit de mener ces combats.
01:19:54 Mais je n'ai pas envie, monsieur, de verser un euro d'argent public dans ces combats.
01:19:58 - Non. - Didier Moss, vous...
01:20:00 - J'apprécie, mais je ne veux pas vous interrompre là, parce que...
01:20:02 - Excusez-moi de vous interrompre un instant.
01:20:04 Droit de l'homisme, vous savez que c'est une expression, vous savez qui utilise cette expression.
01:20:08 Dans quel pays ? Non ?
01:20:10 Non, mais je n'en dis pas plus.
01:20:12 Je renvoie aux gens qui utilisent cette expression à notre égard.
01:20:15 - Didier Moss. - Je ne vais pas me lisser dans le débat, parce que je ne reconnais pas ce qui est dans la bouche.
01:20:19 J'ai de très vieux souvenirs de la Ligue des droits de l'homme,
01:20:22 parce que je me souviens avoir été dans leur loco pour participer à une réunion en mai 68.
01:20:27 Tout ça est un peu vieux.
01:20:29 Et que j'ai eu pas mal d'amis, voilà.
01:20:32 Mais peu importe.
01:20:33 Ce qui m'étonne un peu dans ce que vous venez de dire,
01:20:36 c'est l'état des libertés fondamentales en France en ce moment.
01:20:40 Alors, on peut avoir sur l'instant un certain nombre de réactions,
01:20:44 et on en a tous aujourd'hui.
01:20:46 On vient de passer trois quarts d'heure à parler du Conseil constitutionnel et des retraites,
01:20:49 on n'est pas tous d'accord là-dessus, c'est évident.
01:20:51 Mais ce qui est quand même important, et vous y avez fait presque allusion,
01:20:55 à propos de l'épidémie de l'état d'urgence,
01:20:58 c'est qu'il y a 50 ans, il n'y avait aucun contrôle sur les lois de l'état d'urgence.
01:21:06 Et qu'en réalité, on a quand même eu un progrès sur le fait que toutes les lois,
01:21:10 sauf la première, sur l'état d'urgence sanitaire, ont été soumises au Conseil constitutionnel,
01:21:14 et qu'on a pu les valider.
01:21:16 Alors, les valider, parce que certains auraient voulu qu'elles ne le soient pas, c'est évident,
01:21:20 mais vous le savez encore mieux que moi, puisque vous plaidez.
01:21:24 Bon, moi je n'ai fait qu'enseigner.
01:21:26 Mais vous jugez que dans certains cas, en matière de liberté publique,
01:21:32 individuelle ou collective, on est en permanence dans la confrontation entre deux droits.
01:21:38 Et le problème, c'est de savoir où on met le curseur.
01:21:41 Le législateur le met d'un côté, le juge le met d'un autre,
01:21:44 et je ne citerai pas qui est l'auteur de la formule, parce que paix à son âme,
01:21:48 mais un jour j'évoquais avec un membre du Conseil constitutionnel, qui était un de mes amis,
01:21:52 et je lui ai dit "mais comment vous faites pour substituer,
01:21:55 quand vous dites que telle mesure est disproportionnée, erreur manifeste etc."
01:21:59 Il me dit "en fin de compte c'est assez simple, nous substituons notre appréciation
01:22:02 à celle de l'auteur, à celle du Parlement".
01:22:05 Bon, ce qui est impossible à enseigner à des étudiants, parce que ça n'a aucun…
01:22:08 Mais c'est la réalité, et quand vous citez effectivement le droit à la vie familiale normale,
01:22:13 qui est garanti, c'est au nom de ça qu'on a fait le rassemblement familial.
01:22:17 Bon, et la lutte contre le terrorisme, où faut-il mettre le curseur ?
01:22:21 Moi je n'en sais rien, et je crois qu'il appartient, je le dis franchement,
01:22:25 aux autorités sous contrôle d'un juge, Conseil d'état dans un cas,
01:22:28 Conseil constitutionnel dans l'autre, Consecours européennes des droits de l'homme,
01:22:31 en fin de compte, de savoir où le mettre.
01:22:33 Bon, et il est logique que certains disent "priorité à la vie familiale",
01:22:38 d'autres disent "priorité à la répression ou à la lutte contre le terrorisme",
01:22:43 dont tout le monde reconnaît que dans son principe, vous venez de le dire d'ailleurs,
01:22:46 c'est légitime comme objectif, le tout de savoir comment on fait.
01:22:49 Et alors ça, c'est presque aussi compliqué que le sexe des gens.
01:22:52 Mais tu l'as fait, mais, pardon, mais personne ne pourrait croire qu'on vit dans un pays
01:22:56 dont les libertés fondamentales sont menacées.
01:22:58 On est un état de droit et on est un ingrat à l'état de droit.
01:23:01 Et Saint-Sauline est un bon exemple dans le fond.
01:23:03 Saint-Sauline, qu'est-ce qui a été défendu ?
01:23:05 C'est le droit de propriété qui a été défendu et l'autorité de la chose jugée,
01:23:09 puisque précisément ces projets ont fait l'objet de décisions de justice.
01:23:12 Et qu'est-ce que voulaient les manifestants dans cette manifestation totalement illégale ?
01:23:15 Ils voulaient remettre en cause le droit de propriété
01:23:17 et remettre en cause cette décision de justice, précisément pour s'y installer.
01:23:21 Et moi je crois que...
01:23:22 Ils ont envie de...
01:23:23 Ils voulaient aussi casser du flic, vous avez parfaitement raison.
01:23:25 Ils veulent casser quelque chose.
01:23:27 Une partie d'entre eux.
01:23:29 Non, pas une partie d'entre eux, monsieur.
01:23:32 Il y a eu 24 000 véhicules qui ont été arrêtés avec des armes dedans.
01:23:35 Une partie d'entre eux, on l'a très bien vu dans les images.
01:23:38 Mais surtout, c'est cette petite musique que vous faites monter
01:23:40 qui consisterait à faire croire que nous sommes dans un régime illibéral.
01:23:42 Nous sommes dans un régime qui permet de manifester et manifester pacifiquement.
01:23:45 Regardez ce qui s'est passé sur la réforme des retraites.
01:23:47 Il y a eu des millions de personnes dans la rue et ça s'est très bien passé.
01:23:49 Beaucoup de blessés aussi.
01:23:50 Mais monsieur, il y a eu des millions de personnes dans la rue et ça s'est très bien passé.
01:23:53 Parce que les services d'ordre, précisément des syndicats, sont extrêmement compétents.
01:23:58 Vous êtes le seul à le dire, mais bien sûr.
01:23:59 Mais monsieur, monsieur, vous arrivez à nous faire croire quand même, par un tour de force extraordinaire,
01:24:03 que s'il y a du désordre dans notre pays, c'est du fait des forces de l'ordre.
01:24:06 Mais non, c'est pas ça.
01:24:07 Vous parlez des arrestations que vous utilisez.
01:24:08 C'est pas ce que je vous dis.
01:24:09 Vous avez évoqué le mot "arbitraire".
01:24:10 Ça veut dire beaucoup, des arrestations arbitraires dans un pays, monsieur.
01:24:13 Mais je vous ferai remarquer que toutes ces interpellations, elles ont lieu dans un cadre juridique,
01:24:17 qui est celui du régime de la garde à vue, et qu'elles sont menées sous l'autorité d'un magistrat.
01:24:21 Pour l'ensemble de ces interpellations.
01:24:23 Donc vous ne pouvez pas dire tout est son contraire.
01:24:25 On est dans un état de droit.
01:24:26 On ne peut pas monter sa queue de musique.
01:24:28 La décision du Conseil constitutionnel hier, pour reprendre le débat que vous avez eu tout à l'heure,
01:24:32 elle est incontestable.
01:24:34 C'est une décision qui est aujourd'hui contestée par des partis politiques.
01:24:37 Quand j'entends le Rassemblement national nous dire "les personnalités du Conseil constitutionnel sont pas les bonnes,
01:24:42 elles sont pas là, elles sont pas indépendantes",
01:24:44 quand j'entends l'extrême gauche nous dire "c'est pas une bonne décision",
01:24:47 mais dans quel monde vivons-nous ?
01:24:49 C'est pas une bonne ou une mauvaise décision, c'est une décision en droit.
01:24:51 Et on doit respecter nos institutions.
01:24:53 Et surtout, ne faites pas monter cette petite musique.
01:24:55 On vit dans un grand pays libéral et dans un grand pays démocratique.
01:24:58 Tout est parfait, monsieur. J'ai bien compris.
01:25:00 Je vais simplement rebondir sur ce que vous avez dit, parce que je vous rejoins.
01:25:04 Je vous rejoins, s'il vous plaît.
01:25:06 Non mais vraiment, je le dis sans...
01:25:08 Heureusement, il y a encore des juridictions, et en particulier...
01:25:13 Nous, on a saisi, on a fait une statistique avec Metz Spinozzi, qui est notre avocat principal au Conseil d'État.
01:25:19 On a gagné dans 75% des affaires.
01:25:22 Alors, on nous montre celles où nous avons perdu, bien sûr.
01:25:25 C'est de bonnes...
01:25:26 Déjà beaucoup comme d'autres.
01:25:27 C'est de bonnes guerres.
01:25:28 Donc, c'est la preuve qu'il y a quand même, effectivement, un État de droit qui subsiste à ce niveau-là.
01:25:32 Ce que je dis simplement...
01:25:34 Très vite.
01:25:35 Les libertés sont quand même, me semble-t-il, en voie de dégradation.
01:25:38 Je reviens sur la liberté d'association.
01:25:40 Je sais qu'on n'est pas d'accord, on a bien compris.
01:25:42 La liberté de manifestation, où il y a quand même ces problèmes avec le maintien de l'ordre.
01:25:47 Et ça ne veut pas dire du tout que tout est...
01:25:50 Qu'il n'y a plus aucun droit.
01:25:52 Et dans l'ensemble des lois...
01:25:55 Je pense par exemple à la loi qui vient d'être votée sur les Jeux olympiques, avec la surveillance accrue, etc.
01:26:04 Il y a beaucoup de dangers qui sont sous-jacents dans ces lois.
01:26:07 Parce que je n'ai pas le temps d'évoquer les lois sécuritaires successives.
01:26:10 Mais ça aussi, c'est préoccupant.
01:26:12 Donc, je ne vous dis pas qu'on est dans un régime dictatorial.
01:26:15 Je dis qu'on va progressivement vers un glissement de régime plutôt illibéral.
01:26:20 On n'y est pas encore.
01:26:21 Mais je pense qu'il faut faire attention.
01:26:23 Voilà, c'est tout ce que je...
01:26:24 Ce sera le mot de la fin.
01:26:25 On fait une pause.
01:26:27 C'est le rappel des titres.
01:26:28 Et on s'intéresse à l'éternelle querelle de l'école que va nous raconter Yann Forestier.
01:26:33 L'exécutif déterminé à accélérer les réformes après celle des retraites,
01:26:39 c'est ce qu'a assuré Elisabeth Borne devant le Conseil national du parti Renaissance.
01:26:44 "Nous voulons bâtir la France du plein emploi, garantir l'égalité des chances,
01:26:49 agir pour la santé et l'éducation", a-t-elle martelé.
01:26:53 AREN, une manifestation non déclarée contre la réforme des retraites,
01:26:57 a viré à la violence.
01:26:59 Affrontement avec les élus,
01:27:00 commerce détérioré, voitures brûlées.
01:27:03 Près de 1 200 personnes se sont réunies cet après-midi,
01:27:06 dont plusieurs centaines de casseurs.
01:27:08 Une gendarme et deux manifestants ont été légèrement blessés.
01:27:12 11 individus ont été interpellés.
01:27:15 Et puis dans le reste de l'actualité,
01:27:17 31e journée de Ligue 1 au Parc des Princes.
01:27:20 Le PSG a écrasé son dauphin Lance 3 buts à 1.
01:27:24 Grâce à Kylian Mbappé,
01:27:25 Vittini,
01:27:26 puis Messi,
01:27:27 les lançois diminuées après le carton rouge d'Abdoul Samed
01:27:31 ont résué le score sur un pénalty de Frankowski.
01:27:34 Les Parisiens ont profité du déséquilibre
01:27:37 et prennent donc 9 points d'avance dans le championnat.
01:27:41 "Le sourd, c'est regrettable."
01:27:44 Yann Forestier,
01:27:45 vous êtes professeur agrégé d'histoire-géographie au lycée Le Verrier de Saint-Lô
01:27:49 et chargé de cours en histoire contemporaine.
01:27:51 Vous avez fait un excellent travail.
01:27:53 Le lycée Le Verrier de Saint-Lô est chargé de cours en histoire contemporaine
01:27:57 à l'université de Caen, à l'université Rennes 2.
01:27:59 Et vous venez de publier "Changer l'école ou la sauver",
01:28:03 une polémique médiatique aux presses universitaires de France.
01:28:07 Donc d'après ce que j'ai bien compris dans votre livre,
01:28:09 ce serait toujours le même débat qui se répéterait depuis 50 ans,
01:28:13 au bas mot, entre ceux qui veulent sauver l'école
01:28:16 et ceux qui veulent la changer.
01:28:18 Du moins, c'est comme ça que les médias le présentent
01:28:21 depuis au moins mai 68.
01:28:22 C'est ce que j'ai bien compris.
01:28:24 Oui, c'est un peu l'idée que je défends dans ce livre.
01:28:28 On est impressionné, quand on fait l'histoire de l'éducation,
01:28:32 du retour cyclique des mêmes débats, des mêmes sujets,
01:28:36 qui rendent beaucoup plus difficile la construction de politiques scolaires
01:28:42 qui permettraient d'être débattues dans l'espace public
01:28:45 et de construire un vrai projet pour l'école
01:28:49 ou de mettre en débat des projets pour l'école
01:28:52 qui soient adaptés, qui répondent aux enjeux quotidiens
01:28:56 qui se posent à l'école.
01:28:58 Parce qu'en fait, à chaque fois, les médias s'en mêlent
01:29:00 et résument ça à l'éternel débat entre ceux qui veulent changer l'école
01:29:05 et ceux qui veulent la sauver.
01:29:07 Oui, c'est ça.
01:29:08 L'idée, c'est ce qu'on constate, en tout cas,
01:29:10 c'est ce que j'ai constaté en étudiant la presse
01:29:12 sur une cinquantaine d'années,
01:29:14 en étudiant systématiquement un corpus de coupure de presse
01:29:18 qui est soumis à une analyse de statistiques.
01:29:23 J'ai constitué une base de données
01:29:25 et on constate que les débats finissent toujours par être captés
01:29:29 par la même polémique qui, ensuite, est celle qui parvient à faire la une.
01:29:34 C'est la condition pour que les questions scolaires fassent la une,
01:29:37 sans quoi les questions scolaires auront beaucoup de mal à faire la une.
01:29:40 Si c'est le cas, qu'est-ce qui plaît à la presse ?
01:29:42 Parce que c'est la presse, nous vous parlez,
01:29:44 ce n'est pas les chaînes de télé, ce n'est pas les radios.
01:29:46 J'ai étudié la presse, je ne pouvais pas étudier les médias.
01:29:50 Il arrive assez souvent que la radio et la télé s'inspirent de la presse écrite.
01:29:53 Mais grosso modo, votre corpus à vous, c'est la presse écrite.
01:29:56 Qu'est-ce qui fait que la presse écrite veut toujours en revenir à ce débat-là ?
01:30:00 Qu'est-ce qui lui plaît là-dedans ?
01:30:02 Ce débat qu'on appelle souvent, on lui donne plusieurs noms,
01:30:05 on dit "républicain contre pédagogue",
01:30:08 "conservateur contre innovateur",
01:30:12 "progressiste contre ancien et moderne".
01:30:15 Et ce débat revient beaucoup parce que,
01:30:18 ce que j'ai essayé d'identifier justement,
01:30:20 j'ai essayé de comprendre pourquoi il avait cette capacité
01:30:24 de capter toutes les polémiques qu'il peut y avoir sur l'école.
01:30:28 Parce que je crois qu'il correspond parfaitement à ce que la presse attend.
01:30:34 La presse a besoin de pouvoir incarner les prises de position.
01:30:39 C'est-à-dire qu'il faut des personnalités.
01:30:41 Et là, ça tombe bien, on a un débat qui est mené par de grandes personnalités.
01:30:45 En 1971, c'est l'historien Pierre Gaxotte
01:30:48 qui fait un article à Sensation dans le Figaro,
01:30:50 qui s'appelle "Le français condamné".
01:30:52 Et voilà, ça devient la position de Pierre Gaxotte.
01:30:54 En 1999, c'est Alain Finkelkraut
01:30:58 qui dénonce ce qu'il appelle "la révolution cuculturelle à l'école".
01:31:03 En 1984, c'est Jean-Claude Milner.
01:31:06 Et puis en face, dans une logique qu'on essaie de présenter comme binaire,
01:31:12 on arrive aussi à incarner le camp de ce qu'on appelle les pédagogues,
01:31:15 ceux qui veulent changer l'école.
01:31:17 Alors c'est Philippe Mérieux.
01:31:19 Ça a été Claude Allègre, même si lui-même, il a été très difficile de le classer.
01:31:23 Mais Philippe Mérieux est le meilleur exemple.
01:31:26 Aujourd'hui, on a des gens comme Philippe Ouattrelot, par exemple,
01:31:28 des cahiers pédagogiques qui sont toujours mis en avant.
01:31:31 Ce qui fait qu'on peut incarner le débat.
01:31:33 Et ça, ça plaît à la presse.
01:31:34 De même, on peut le présenter comme un débat binaire.
01:31:36 Même si je montre justement dans mon livre que ce n'est pas un débat symétrique.
01:31:40 Mais on peut facilement le présenter comme un débat symétrique.
01:31:43 Et ça aussi, ça plaît beaucoup aux médias.
01:31:45 On aime les débats un contre un,
01:31:48 où on essaie de présenter toujours les choses comme symétriques et parfaitement binaires.
01:31:54 Ceux qui veulent sauver l'école, c'est comme ça que vous le résumez, vous.
01:31:58 C'est les républicains.
01:32:00 Ils se qualifient de républicains en général, de partisans de la sélection et souvent de la discipline.
01:32:07 C'est comme ça. On les range dans cette case-là en général.
01:32:09 Et en face, on va mettre ceux que vous appelez les…
01:32:12 Alors, dans le jargon, on appelle les pédagogues ou les pédagogistes.
01:32:15 Ce sont leurs adversaires qu'ils appellent comme ça.
01:32:18 Ce sont leurs adversaires qui constituent leur camp, en fait.
01:32:21 Voilà. Ça consisterait à refuser toute contrainte, tout programme, toute sanction et tout risque d'échec.
01:32:28 Oui. Alors, ça, c'est effectivement la caricature que l'on fait de leur position.
01:32:32 C'est la caricature. D'accord.
01:32:33 Quand je dis que ce n'est pas un débat symétrique, c'est parce que ce ne sont pas deux projets qui s'affrontent,
01:32:39 deux projets équivalents qui répondraient à la même question et qui proposeraient de réponses différentes opposées,
01:32:44 et qui seraient un débat tout à fait légitime et dont il est bon que les médias se saisissent et qu'on le politise.
01:32:49 C'est un débat qui oppose toujours une accusation et derrière une défense.
01:32:54 Et le camp de ceux qui se défendent se constitue pour essayer de se défendre précisément parce qu'on les a accusés.
01:33:03 Donc, il s'agit d'un débat qui est toujours lancé par un discours d'accusation.
01:33:07 Et alors, ceux qu'on appelle les Républicains, on les appelle comme ça depuis 1984.
01:33:12 Parce qu'avant 1984, les camps existaient, mais n'avaient peut-être pas le degré de cristallisation qu'ils ont aujourd'hui.
01:33:20 Donc, on ne leur donnait pas forcément de nom. On parlait des conservateurs, par exemple.
01:33:24 Mais les conservateurs, à partir de 1984, leur discours fait l'objet d'une approfondie très forte par le ministre du moment,
01:33:34 qui est Jean-Pierre Chevènement. Et à partir de là, on ne peut difficilement traiter Jean-Pierre Chevènement,
01:33:40 qui à l'époque représentait la gauche du Parti Socialiste, de conservateur.
01:33:44 Comme quoi c'est plus compliqué qu'on ne nous dit.
01:33:46 Voilà, exactement. Ce n'est pas un débat droite-gauche, en apparence du moins.
01:33:49 Et Jean-Pierre Chevènement a dit "moi je défends l'élitisme, oui, mais l'élitisme républicain".
01:33:55 Et depuis, on les appelle les Républicains.
01:33:57 Alors que les historiens, Pierre Kahn par exemple, a très bien montré, les historiens ont montré,
01:34:02 que les positions que défendent aujourd'hui ceux qu'on appelle les pédagogistes ou les pédagogues,
01:34:07 sont en fait très proches d'arguments qui ont été portés par Jules Ferry, par Ferdinand Buisson, par Henri Marion,
01:34:14 c'est-à-dire par les fondateurs de l'école républicaine de la Troisième République.
01:34:18 Mais est-ce que ça a toujours la même actualité aujourd'hui ?
01:34:23 Je ne sais pas, la dernière fois qu'on s'est un peu écharpé sur l'école, c'était avec Najat Vallaud-Belkacem, notamment en 2015.
01:34:30 Alors justement.
01:34:31 Est-ce que les positions ont été, comme d'habitude, dans les médias, toujours dans la presse, c'est ce que vous dites,
01:34:36 ont été résumées à une bataille éternelle entre celles qui voulaient changer l'école, en l'occurrence Najat Vallaud-Belkacem,
01:34:44 et ceux qui voulaient la sauver ?
01:34:46 Alors j'ai consacré justement une partie du livre à la réforme du collège de 2015-2016 de Najat Vallaud-Belkacem,
01:34:53 parce que ça a été l'occasion d'un débat intéressant.
01:34:55 Et on voit que le débat a été capté, en une fois encore, par cette polémique.
01:35:01 Et on a retrouvé les mêmes camps, et c'est à la condition de reprendre ce même type, ce même régime argumentaire,
01:35:10 et ce même régime rhétorique, c'est à cette condition que le débat parvient à faire la une de la presse,
01:35:17 et parvient à avoir accès aux interviews, aux pages d'ouverture des journaux, et aux grandes tribunes.
01:35:23 Là, on revient à la semaine dernière, il y a un nouveau livre qui est paru, qui s'appelle "Ecole, le crépuscule du savoir".
01:35:30 Bon, ça rejoint les... Alors avant, on avait eu "La fabrique du crétin", on avait eu...
01:35:33 Oui, mais ça dérive, il y en a tous les ans.
01:35:35 Pourquoi ça nous donne eu aussi con, etc.
01:35:36 Il y en a énormément.
01:35:37 Et donc le débat continue à exister. Il a quand même perdu une grande partie de son actualité,
01:35:43 d'abord parce que la presse a fini par s'en détourner un peu, parce que depuis Internet,
01:35:48 il est beaucoup plus difficile pour la presse de fonctionner de la même façon.
01:35:51 En fait, la presse écrite doit réussir à trouver un autre moyen de se distinguer,
01:35:59 et l'avenir de la presse écrite est beaucoup plus dans le reportage, dans l'établissement des faits,
01:36:03 dans le reportage, dans le fact-checking, c'est-à-dire établir les faits et vérifier ce qui est dit dans l'espace public,
01:36:09 et beaucoup plus que dans simplement le commentaire.
01:36:15 Et par conséquent, le débat s'est déplacé beaucoup plus sur les blogs, dans les réseaux sociaux,
01:36:20 où là, ça touche souvent des communautés discursives, c'est-à-dire des groupes de personnes
01:36:26 qui sont d'accord entre eux, c'est le propre des réseaux sociaux,
01:36:29 que de mettre en relation les gens qui pensent de la même façon,
01:36:31 et qui ont l'impression d'ailleurs que tout le monde est d'accord avec eux,
01:36:33 parce qu'ils ne fréquentent que ces gens-là.
01:36:35 Donc, on assiste à une fragmentation de l'espace public,
01:36:38 et c'est un débat qui désormais se développe surtout dans des espaces publics partiels,
01:36:43 et communique beaucoup moins à l'échelle de l'espace public.
01:36:46 Alors Yann Forestier, vous avez étudié la façon dont ces débats,
01:36:49 qui par ailleurs existent au sein de l'éducation nationale,
01:36:53 ont des bases pour savoir comment on va éduquer nos enfants,
01:36:57 on propose des réformes, on fait des réformes, etc.
01:37:00 Mais, si je vous ai bien compris, ce qui en ressort dans la presse,
01:37:04 c'est toujours le même éternel débat, celui qui plaît à la presse.
01:37:08 Et est-ce que cette opposition existe vraiment ?
01:37:11 C'est-à-dire entre ceux qui voudraient,
01:37:13 alors peu importe s'ils veulent sauver l'école ou la changer,
01:37:17 mais entre ces pédagogistes, ou ceux qui voudraient une école sans contraintes,
01:37:21 sans obligation de résultat, et les autres qui au contraire…
01:37:26 Est-ce que cette opposition existe vraiment ou est-ce qu'elle est purement fictive ?
01:37:31 C'est une opposition essentiellement discursive et idéologique.
01:37:38 C'est-à-dire que dès qu'on arrive au niveau de la classe
01:37:41 et qu'on parle des pratiques et de la façon dont on travaille,
01:37:44 on se rend compte que chacun de ceux que l'on classe dans tel ou tel camp,
01:37:48 au fond, peuvent avoir des désaccords, mais il est assez difficile,
01:37:52 on y arrive parfois à les relier à ses camps, de les ranger dans tel ou tel camp,
01:37:58 mais au fond c'est assez difficile et on se rend compte qu'en discutant avec les enseignants,
01:38:02 alors il y a une partie du livre qui concerne justement la réception de ce débat par les enseignants,
01:38:07 j'ai fait une enquête par entretien auprès de 46 professeurs de collège
01:38:11 et au moment de la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem,
01:38:15 et encore une fois on a pu constater le très grand écart
01:38:20 entre les préoccupations véritables des enseignants,
01:38:23 la façon dont ils perçoivent leur métier, leur pratique, les questions qu'ils se posent,
01:38:27 les problèmes bien réels qu'ils ont au quotidien
01:38:30 et les débats tels que les médias les portent, les développent et les promeuvent dans l'espace public.
01:38:40 Et il y a un exercice que j'ai fait lors de chacun de ces entretiens,
01:38:44 c'était d'apporter des extraits de textes qui ont beaucoup circulé sur les réseaux sociaux,
01:38:50 qui ont été mis à la une de certains journaux,
01:38:52 et de le représenter et de demander à des enseignants de collège
01:38:55 « est-ce que vous pouvez commenter, qu'est-ce que vous en pensez,
01:38:57 est-ce que ça correspond aux questions que vous vous posez ? »
01:38:59 Et j'ai fait face à un scepticisme, à des hésitations, des contradictions extrêmement nombreuses.
01:39:07 C'est un débat qui existe dans les médias, qui existe dans l'édition.
01:39:11 Quand on lit un de ces livres ou un de ces articles et qu'on est enseignant,
01:39:15 on peut effectivement se sentir très concerné parce qu'il y a de la passion,
01:39:21 il y a le verbe « eau », il y a des dénonciations très vives.
01:39:26 Et quand on est dans une situation d'inquiétude et de malaise comme beaucoup d'enseignants,
01:39:30 on peut se sentir conforté et rassuré par le discours de certains qui disent
01:39:35 « c'est pas votre faute, c'est parce que les pédagogistes ont voulu changer l'école et il faut la sauver ».
01:39:40 « Je disais la dernière fois, c'était Najat Balo Belkacem, mais non, il est arrivé la même chose avec Jean-Michel Blanquer.
01:39:46 On a résumé sa réforme du bac à une bataille entre les pédagogistes et les… »
01:39:52 « Beaucoup moins quand même. Dans les médias, on a beaucoup moins vu, on l'a vu ça en effet.
01:39:56 On l'a beaucoup moins vu parce que le problème, enfin Jean-Michel Blanquer a été assez à droit de ce point de vue,
01:40:02 c'est que lui-même s'est rangé dans le camp des anti-pédagogistes, ceux qui veulent sauver l'école.
01:40:07 Il avait compris que c'est comme ça que ça allait marcher. »
01:40:10 « Voilà, mais il ne l'a pas manifesté non plus avec beaucoup de force.
01:40:13 Et avant lui, d'autres comme Xavier Darkos ou même Luc Ferry l'avaient fait à partir de 2002
01:40:18 et ça a rendu l'anti-pédagogisme beaucoup plus…
01:40:22 enfin ça a donné à l'anti-pédagogisme beaucoup plus de mal à être entendu
01:40:27 parce que c'était une position idéologique qui était fondée sur un discours contestataire.
01:40:33 Et si le ministre commence lui-même à s'approprier ce discours, c'est beaucoup plus difficile de contester.
01:40:38 Il faut contester sur des propositions et le propre du discours anti-pédagogiste,
01:40:42 c'est qu'il fait très très peu de propositions parce que c'est un discours essentiellement protestataire.
01:40:47 Et d'ailleurs, la plupart des livres ou des articles de cette tendance sont de l'ordre de ce qu'on appelle des pamphlets.
01:40:55 Il s'agit d'un cri de colère, d'un cri d'alarme, d'ailleurs ce sont les termes qu'ils utilisent eux-mêmes.
01:41:00 Alors qu'en face, ceux qu'ils appellent les pédagogistes en général sont des gens qui sont investis depuis longtemps dans l'enseignement,
01:41:07 l'innovation pédagogique, qui expérimentent des choses sur le terrain,
01:41:11 parfois s'embarquent dans des passions idéologiques aussi et tentent des aventures pédagogiques.
01:41:19 Ça fait partie du jeu quand on est enseignant.
01:41:22 Et eux-mêmes, très souvent, sont pris un peu au dépourvu par ce débat
01:41:27 parce qu'ils ont le sentiment qu'on les accuse de choses qui n'ont rien à voir avec ce qu'ils écrivent.
01:41:31 Dédé Mauss.
01:41:32 Écoutez, moi je suis fasciné par ce que dit Yann Forestier, parce que j'appartiens à une tradition politique,
01:41:37 vous l'avez rappelé au début de cette émission, qui est le Parti Républicain Radical et Radical Socialiste.
01:41:42 Je le sais toujours en entier pour des raisons qui me tiennent à cœur et qui est extraordinairement attachée à l'école.
01:41:48 Moi-même, je suis un pur produit de l'école de la République.
01:41:50 Je n'ai jamais passé 24 heures dans un établissement autre que l'école communale, le lycée,
01:41:55 et puis évidemment ensuite l'enseignement supérieur.
01:41:58 Donc ça m'intéresse énormément.
01:42:00 Mais il y a quand même, si vous voulez, une ou deux choses qu'il faut évoquer là-dessus.
01:42:05 C'est d'abord que c'est le seul sujet sur lequel tous les Français ont un avis.
01:42:09 Parce que tous les Français ont été élève, sont parents d'élèves, éventuellement grands-parents, etc.
01:42:16 Moi je suis passé par tous les stades. J'en suis au stade de grand-père.
01:42:20 L'introduction de mon précédent livre s'appelait "67 millions de spécialistes de l'école".
01:42:24 C'est le sujet. Il y a deux ou trois sujets très polémiques en France.
01:42:27 Je laisse de côté les joueurs de foot.
01:42:29 Mais l'école, tout le monde a un avis.
01:42:32 Donc il faut tenir compte.
01:42:34 Et on le voit, de mon temps, c'était différent.
01:42:39 Voilà, et c'était comme ça.
01:42:40 Ça c'est la première chose.
01:42:41 La deuxième chose, c'est que moi je suis quand même très frappé par l'évolution des erreurs.
01:42:48 On avait tout à l'heure quelqu'un qui parlait des erreurs économiques, des erreurs pédagogiques.
01:42:52 On a eu quand même, je sais pas si c'est les années 50, 60, 70,
01:42:56 on a eu quand même de très grandes erreurs pédagogiques.
01:42:58 Il faut voir les choses comme elles sont, notamment dans l'école primaire,
01:43:02 pour apprendre à lire, à écrire et à compter, comme aux gosses.
01:43:06 Et on en a vu quand même un certain nombre qui sont sortis de ce système sans savoir quoi que ce soit.
01:43:11 Enfin en tout cas avec un coefficient d'erreur un peu grave quand on les retrouvait.
01:43:16 Après ça a abouti un jour, quand j'étais maître de confins à Sciences Po,
01:43:19 à ce que le directeur de Sciences Po, qui était un monsieur extrêmement digne,
01:43:22 nous a dit de ne tenir plus compte des fautes d'orthographe dans les copies à Sciences Po,
01:43:26 ce qui était quand même un peu difficile.
01:43:28 Donc là on est revenu dessus, etc.
01:43:31 Mais il y a eu vraiment des difficultés à ce moment-là.
01:43:34 Alors qu'est-ce que ça oppose ?
01:43:36 Moi j'ai une position extrêmement originale, curieuse politiquement.
01:43:41 Je regrette le déclin de l'école publique, je le dis franchement.
01:43:44 Je regrette que l'école de la République ne soit plus l'école de la promotion sociale que l'on a connue.
01:43:51 Et quand je vois un certain nombre de gens qui me disent
01:43:53 "J'ai réussi les très grandes écoles parce que je suis un fils du peuple"
01:43:58 en réalité, et même j'en connais aux plus hautes fonctions de l'État qui l'ont dit, bravo.
01:44:02 Est-ce que ça existera encore dans 20 ou 30 ans ? J'ai un peu de doute.
01:44:06 Mais vous citiez 84, et le grand projet porté par François Mitterrand et Alain Savary
01:44:12 du grand service public unifié de l'éducation, et où la droite honnêtement s'est mobilisée.
01:44:17 Entre Versailles et Paris, qu'est-ce qu'il y a eu ?
01:44:19 Mes amis politiques, qui étaient un peu moins républicains qu'ils ne l'avaient été,
01:44:23 ont manifesté dans ce courant parce que nous appartenions à l'UDF, et voilà, donc c'était logique.
01:44:28 Moi je leur dis "J'y vais pas, j'attends que vous fassiez, au nom de notre tradition,
01:44:32 une manifestation pour sauver le service public de l'éducation".
01:44:35 Je n'ai eu aucun écho, aucun, il faut être clair là-dessus.
01:44:38 Parce que non, non, c'est pas le bon camp, et donc on était dans des…
01:44:42 et j'étais assez anti-pédago, vous l'avez compris.
01:44:45 Mais on était tellement clivés là-dessus que l'idée qu'il fallait que des modérés manifestent
01:44:52 pour la restauration presque, la rénovation de l'école publique, était politiquement inacceptable,
01:44:58 et qu'il fallait que l'on cède à la mode ambiante de l'époque.
01:45:02 Alors, ceci étant, je termine là-dessus, il ne faut pas croire que l'école a été un sujet de consensus
01:45:07 en France de manière permanente.
01:45:09 Vous reprenez les années 1890-1890, c'est un sacré conflit.
01:45:14 Vous reprenez l'après-guerre, le plan Langevin-Vallon, on l'en sens maintenant…
01:45:18 On peut monter même en 1902, la querelle sur le latin…
01:45:21 Non, non, mais voilà, voilà, je veux dire, ça a toujours été un sujet de polémique politique,
01:45:27 c'est un peu dommage.
01:45:29 Bon, et il y a toujours eu ce partage entre, effectivement, deux ou trois types d'éducation,
01:45:36 mais moi, je souhaite, je veux dire, du fond de mon cœur, qu'on arrive à ce que l'école publique soit la meilleure.
01:45:44 Et ça, je crois qu'on le souhaite tous.
01:45:46 Et la Ligue aussi.
01:45:48 Et la Ligue aussi.
01:45:50 Et la Ligue aussi.
01:45:51 Mais je crois qu'une chose qu'on remarque dans ces débats, qui effectivement sont très anciens,
01:45:56 moi j'ai commencé à l'étudier à partir de 1958-68, mais en fait, la réforme de 1902, comme vous le citez, est intéressante.
01:46:02 La querelle des vers latins dans les années 1870 est passionnante.
01:46:06 Voilà, il y en a beaucoup.
01:46:08 Mais ce que j'ai trouvé révélateur et préoccupant, c'est que cette question de l'éducation et de la pédagogie
01:46:18 ne fait jamais l'objet d'une appropriation par les principales forces politiques qui structurent nos débats.
01:46:25 C'est-à-dire que tout le monde défend l'école, effectivement,
01:46:28 alors certains, plutôt l'école publique ou l'école privée, ça de ce point de vue, ça fait l'objet d'une vraie appropriation.
01:46:33 Et vous citez en 1984, voilà, c'était un combat droite-gauche, on était pour le privé ou pour le public, là c'était clair.
01:46:40 En revanche, sur les questions pédagogiques, le débat droite-gauche, on n'a jamais réussi à l'avoir.
01:46:44 La meilleure illustration, c'est le fait qu'au Parti Socialiste, par exemple, on se soit tout à fait accommodé d'avoir Alain Savary d'abord,
01:46:50 et juste après, Jean-Pierre Chevènement, qui a construit sa communication autour du désaveu de ce qu'avait fait son prédécesseur,
01:46:59 alors qu'en fait, il a beaucoup continué sa politique.
01:47:01 Mais par bien des côtés, les principaux partis politiques ont toujours eu énormément de mal à se construire une doctrine et un projet autour de cela.
01:47:11 La seule évolution que l'on voit, c'est récemment, je dirais depuis environ 2007, c'est un peu Nicolas Sarkozy qui a relancé ça,
01:47:18 la droite fait de l'école une sorte de laboratoire pour sa refondation idéologique.
01:47:24 Là, il y a quelque chose qui se passe, il y a une doctrine qui se construit.
01:47:28 Mais elle accuse au même moment la gauche de l'avoir toujours fait.
01:47:32 Oui, mais la gauche n'a jamais voulu se donner justement de doctrine, de projet sur la question de la démocratisation de l'enseignement.
01:47:42 Dans les années 80, le parti socialiste qui était au pouvoir avait un grand projet, c'était en faire la première priorité nationale.
01:47:49 Et de fait, c'est devenu le premier poste budgétaire de l'État.
01:47:52 Mais au fond, on s'est bien gardé de prendre position sur un certain nombre de sujets.
01:47:56 Ce qui est révélateur, par exemple, c'est un grand projet, une réforme fondamentale qui a été celle des zones d'éducation prioritaires.
01:48:05 En 1982, décidée par Alain Savary, ça faisait partie du projet préparé par le parti socialiste dans les années 70.
01:48:12 Or, le parti socialiste n'a pas du tout communiqué là-dessus, alors que c'était peut-être son projet le plus ambitieux.
01:48:18 Et ça n'a été adopté que par Circulaire, ce qui est le texte juridique le plus modeste.
01:48:25 Le plus normal en éducation nationale.
01:48:28 Voilà, mais alors que ça aurait dû faire l'objet d'une loi parce que ça agissait d'un véritable changeant paradigmatique.
01:48:33 Et il y a eu, et l'historien Claude Le Lièvre a très bien montré, qu'il y a eu très peu de lois sur l'école depuis les années 1880.
01:48:40 Très très peu parce que c'est un sujet dont on a peur de débattre à l'Assemblée et dans le public.
01:48:46 Et le résultat, c'est que les questions scolaires et éducatives sont récupérées non pas par des hommes politiques ou des femmes politiques,
01:48:54 mais par des personnalités du monde intellectuel, universitaire, qui considèrent qu'ils sont les plus éminents pour représenter ces 67 millions de spécialistes de l'école.
01:49:06 Parce qu'ils représentent la réussite, ils sont allés jusqu'au plus haut sommet de tout ce parcours.
01:49:14 Et ces débats se développent dans les médias en dehors de références aux forces politiques qui existent.
01:49:21 - Mathieu Lefèvre, vous qui êtes à l'Assemblée nationale, vous avez l'impression que c'est des sujets comme ça où on a un petit peu peur d'y toucher ?
01:49:27 - Je ne sais pas si on a peur d'y toucher en tout état de cause. - On sait que c'est dangereux, on sait que c'est risqué.
01:49:31 - Oui, en tout état de cause, l'école charrie avec elle un imaginaire qui est très important.
01:49:35 Vous avez évoqué le service public de l'éducation, la loi de Vaquet, ça rappelle des souvenirs politiques très importants.
01:49:41 Et je ne dirais pas qu'on y touche d'une main tremblante, mais le législateur aussi sait que ce n'est pas une loi qui va résoudre la crise de vocation des professeurs.
01:49:49 Il sait que ce n'est pas une loi qui va résoudre la crise d'autorité à laquelle fait face l'école aujourd'hui.
01:49:54 Nous, on essaie de mettre les moyens, de rémunérer mieux nos professeurs, de rendre plus attractifs ces professions.
01:50:01 Mais changer le service public de l'éducation, ça ne se fait pas d'un claquement de doigts, c'est une mentalité.
01:50:07 Donc pour répondre à votre question, on n'a pas peur, mais on sait que ça charrie un imaginaire collectif qui est très important et autour duquel on ne doit toucher que d'une main tremblante.
01:50:15 Un mot sur le sujet, Patrick Oudoin ?
01:50:19 Sur le sujet, on a des contacts, notamment avec le ministre de l'Éducation nationale, qui nous reçoit assez bien d'ailleurs.
01:50:25 Mais j'ai l'impression qu'il a un peu de mal à faire passer toutes ses idées.
01:50:30 Il a qu'à les résumer.
01:50:34 Le ministre, on a rencontré le ministre, enfin des contacts, on ne le voit pas tous les jours, mais je l'ai rencontré récemment et j'ai échangé longuement avec lui.
01:50:41 Il a qu'à les résumer entre sauver l'école ou la changer et il fera les grands titres des journaux d'après ce que nous dit.
01:50:47 Je crois qu'effectivement, il faut sauver l'école et tout le monde y tient parce que l'école va mal et qu'il y a des problèmes importants et que, comme vous le dites, il ne suffit pas d'une loi.
01:50:56 Je crois que ce qu'il faut, ce qu'il manque à l'école, c'est un imaginaire, mais un imaginaire qui a la même force que celui de l'école de la République des années 1880.
01:51:05 La grande force des républicains fondateurs des années 1880, c'est qu'ils avaient un projet politique qui se déclinait en de multiples aspects, que ce soit le mobilier scolaire, les constructions scolaires, le tableau Rossignol.
01:51:18 Et voilà, et on peut trouver plein d'exemples. Aujourd'hui, il faudrait inventer un imaginaire de la démocratisation.
01:51:24 Et le dernier mot est à Mathilde Heitzman-Patin.
01:51:27 Une petite transition parce que l'école n'est pas mon sujet premier, parce que je suis à l'université, mais justement, ça a un lien.
01:51:34 Et donc sauver l'école permettra certainement de sauver l'université, qui, elle aussi, a besoin de beaucoup de moyens et en manque.
01:51:39 Donc il y a une continuité entre nos deux mondes.
01:51:42 Merci à tous les cinq d'avoir participé à cette émission. Merci de nous avoir suivis. Et rendez-vous demain pour le prochain numéro, demain, 22h.
01:51:53 Les visiteurs du soir, bonne nuit.
01:51:55 Merci.