Manon Loizeau : "J’avais envie de filmer l’exil à hauteur d’enfant"

  • l’année dernière
Transcription
00:00 *Ti ti ti ti ti ti*
00:02 *Musique*
00:08 France Culture, Olivia Ghespert, bienvenue au club.
00:12 *Musique*
00:17 Bonjour à tous, un ciné-club du documentaire, ce midi avec les sœurs Loiseau, Manon Loiseau est journaliste, réalisatrice,
00:23 prix Albert Londres en 2006 pour la malédiction de Netre fille. Émilie Loiseau est musicienne, compositrice, révélée en 2006
00:30 avec un premier album, L'autre bout du monde, retrouvée il y a deux ans avec IKAR.
00:35 Elles ont réuni leur talent pour un film, La vie devant elle, diffusé le 17 mai sur France 2,
00:41 le journal intime d'une jeune afghane de 14 ans qui a fui son pays avec sa famille.
00:45 Elle s'appelle Elaha Iqbali. Avec une petite caméra, elle a filmé les routes chaotiques de l'exil,
00:50 la vie dans les camps de réfugiés comme à Lesbos et les espoirs de sa fratrie,
00:55 trois filles, deux garçons, ses parents, comment avoir la vie devant soi, on en parle jusqu'à midi et demi.
01:01 *Musique*
01:04 Celui qui n'a pas émigré ne peut pas comprendre la notion de survie, de rester en vie.
01:08 *Musique*
01:18 Quand on migre, on devient plus fort, on prend confiance.
01:22 *Musique*
01:37 J'ai pris confiance en moi, j'ai beaucoup appris. Je ne suis plus celle que j'étais en Afghanistan.
01:43 *Musique*
01:59 On est des migrants et on doit poursuivre notre chemin.
02:03 *Musique*
02:09 Impossible de dire, on ne peut pas, on doit avancer.
02:13 *Musique*
02:31 - Et on vient d'entendre la voix de votre héroïne Elaha à l'instant. Bonjour Manon Loiseau.
02:36 - Bonjour.
02:37 - Et bonjour Émilie Loiseau.
02:38 - Bonjour.
02:39 - Bonjour. Extrait de votre film "À toutes les deux", "La vie devant elle" qui sera diffusé le 17 mai sur France 2.
02:46 Comment avez-vous rencontré cette jeune femme, Elaha Iqbali, narratrice de sa propre histoire, héroïne de ce film Manon Loiseau ?
02:55 - Alors avec France 2, on cherchait une histoire d'enfance et d'exil.
03:01 Et j'avais très envie de faire un film à hauteur d'enfant, que une enfant ou un enfant raconte son destin, raconte grandir sur la route.
03:09 Et j'ai rencontré Elaha sur les cendres du camp de Moria, à Lesbos.
03:13 Le camp avait brûlé deux jours avant.
03:15 Et je vois cette silhouette comme ça, gracile au milieu des cendres, et qui avait cette petite caméra et qui filmait.
03:22 Et elle filmait les restes de son école que son papa avait construit avec une ONG où elle enseignait.
03:26 C'est un peu l'anglais, elle connaît un petit peu l'anglais, donc elle enseignait à 600 gamins tous les jours là-bas.
03:31 Et elle filmait.
03:32 Et elle avait fait un petit atelier de cinéma, une ONG lui avait prêté une caméra.
03:36 Et je lui ai dit "Est-ce que tu pourrais me montrer ce que tu as filmé avant ?"
03:40 Et ce qui était incroyable, c'est que dans cet enfer où il y a 25 000 migrants pour un camp de 3 000 places,
03:44 elle n'avait filmé, au milieu de l'enfer, du Covid, c'était en plein Covid, elle n'avait filmé que la vie.
03:48 Elle avait filmé la résilience des enfants, les jeux des enfants, les lâchés de cerveau dans l'école.
03:52 Et c'est là que je me suis dit qu'il y a une possibilité de filmer justement à hauteur d'enfant,
03:56 comment un enfant perçoit la route, perçoit aller vers son rêve mais avec tous les obstacles.
04:02 Et c'est là qu'on est partis sur cette longue aventure.
04:05 Cette petite caméra, elle lui a été prêtée, elle lui a été donnée, elle ne va plus la quitter.
04:09 Elle est à la fois réalisatrice, co-réalisatrice du film avec vous, et face caméra.
04:16 Elle assume complètement d'ailleurs de se voir à l'image, elle se raconte, c'est son journal.
04:21 C'est son journal intime.
04:23 C'est un journal intime de l'enfance qui grandit sur la route, d'une jeune fille qui est adolescente
04:27 et qui sait aussi son regard sur sa famille, sait aussi son regard sur tous les enfants qu'elle croise sur cette route.
04:35 Et c'est vrai qu'au début, quand on l'a rencontrée, elle commentait tout ce qu'elle filmait, très news.
04:41 Elle s'inspirait un peu de ce qu'elle avait vu en Afghanistan, où elle commentait chaque image.
04:44 Et puis petit à petit, alors que nous, on allait à des moments très précis pour poursuivre un peu ce filmé en cinéma du réel.
04:51 Elle voyait comment les chefs opérateurs, type Delavigne et Laurence Toupe, filmaient et elle s'en inspirait.
04:56 Elle m'a envoyée, elle me disait "tu sais, maintenant j'aime m'exprimer par le cadre".
05:00 Et petit à petit, on l'a vu vraiment sur un an devenir cinéaste.
05:03 C'était extraordinaire.
05:05 Filmer me permet de respirer, de vivre et d'avancer.
05:10 Et ce film, vous l'avez fait à deux.
05:13 Et on voit effectivement une cinéaste en herbe, une cinéaste en train de naître, à travers le plaisir qu'elle a.
05:20 A tenir aussi cette caméra et la manière dont elle apprend petit à petit.
05:25 On imagine aussi à travers vous, avec vous, Manon Loiseau, à filmer.
05:29 Elle est beaucoup, elle, dans un désir de transmission, à la fois de sa propre histoire,
05:32 mais aussi, comme vous le disiez, dans ce camp avec l'anglais qu'elle apprend aux autres enfants.
05:37 Son envie, à elle, de redevenir une élève, c'est-à-dire de retourner à l'école, ce qu'elle ne pouvait pas faire en Afghanistan.
05:42 Et en venant en Europe, cette envie de pouvoir apprendre, d'avoir aussi une éducation, donc de rechanger le rôle.
05:50 Comment vous lui avez transmis, vous, votre regard, votre savoir-faire ?
05:54 Ça a vraiment été une rencontre, Elaha.
05:56 Quand elle filmait, je lui ai demandé "mais pourquoi tu filmes ?"
05:59 Elle me disait "parce que je veux que le monde entier se rende compte de ce qui se passe dans ces îles grecques,
06:04 où les rêves des enfants de l'exil qui fuient la guerre se fracassent, parce qu'en fait, ce sont devenus des prisons à ciel ouvert.
06:10 Et ils ont fait parfois des milliers de kilomètres, ils sont tombés des montagnes, ils ont failli se noyer sur des bateaux.
06:16 Et ils arrivent en Europe, et finalement, c'est un mur.
06:20 Et elle voulait raconter ça. Et puis, petit à petit, elle a...
06:23 Je lui ai dit "mais raconte ta route".
06:25 Et au début, elle ne voulait pas faire de selfie. Elle me disait "non, moi, je ne m'exprime pas par le cadre, je ne veux pas faire de selfie", alors qu'elle est ado.
06:30 Elle était a contrario, et finalement, elle a compris.
06:33 Et je crois qu'on... Elle me demandait parfois, on ne pouvait pas y retourner à cause du Covid,
06:36 et elle me disait "mais qu'est-ce que tu aimerais que je filme aujourd'hui ?"
06:39 Alors je dis "c'est pas moi qui dois décider, il faut que toi tu... Est-ce que...
06:42 Elle me dit "je ne me sens pas de filmer mes parents aujourd'hui".
06:44 Je dis "bah filme peut-être ce que tu vois par la fenêtre".
06:46 Parce que c'était le confinement, donc elle ne pouvait pas ressortir.
06:48 Et c'est là qu'elle filme ces moments incroyables, où la pluie tombe comme ça sur les arbres,
06:53 et elle dit "filmer me permet de rester en vie, je laisse ma tristesse dans la caméra".
06:57 Et elle est venue d'elle. Donc on a vraiment cheminé ensemble,
07:00 et puis après avec Émilie, qui est devenue la deuxième voix du film,
07:04 ça a été cette rencontre et ce chemin à trois.
07:09 Et c'est une autre écriture que vous apportez, Émilie Loiseau,
07:12 sur ce film documentaire réalisé par Manon.
07:16 La musique, ici, on l'entendait dans cet extrait, cet extrait du film "La vie devant elle",
07:22 qui fait penser bien sûr à la vie devant soi.
07:24 On l'entendait, la musique apporte autre chose.
07:28 Sur ces vies cabossées, sur ces parcours, sur ces histoires,
07:31 sur ce voyage de l'exil, ces routes extrêmement compliquées,
07:35 vous avez pris le parti, vous, avec votre musique,
07:39 et on vous connaît pour vos balades plutôt oniriques,
07:41 d'apporter de la poésie, d'apporter peut-être cet espoir
07:44 d'une route qui peut s'ouvrir et amener quelque part.
07:48 Oui, il y a évidemment la mélancolie et la part de tristesse
07:55 d'une jeune adolescente de 14 ans qui pense à son pays,
08:00 à ce qu'elle a laissé derrière, avec des moments de tristesse,
08:06 mais il y a aussi, comme le disait Manon, tous ces moments de joie,
08:08 tous ces moments vers le dessein, et puis il y a sa détermination aussi,
08:13 sa colère parfois, mais l'effet d'être debout.
08:16 Moi, ce qui m'a frappée chez Lara, c'est sa force intérieure,
08:21 et sa détermination, et cette chose solaire,
08:24 qui est propre aussi à son âge, tout devant elle,
08:28 mais il faut se battre pour ça.
08:30 Donc j'ai essayé, effectivement, par ma musique,
08:33 d'être à la fois dans une certaine pudeur,
08:36 parce que c'est délicat de mettre trop de sons ou des mots
08:40 sur des mots qui sont... comment dire...
08:43 Je n'ai pas vécu le quart de ce qu'elle a...
08:45 Le huitième, le dixième, je ne sais quoi,
08:47 de ce qu'elle a vécu à cet âge-là, à 14 ans, par l'exil.
08:51 Comment rester à sa place par rapport à ça ?
08:54 Et aussi mettre en lumière ces mots,
08:56 et j'ai choisi, comme Manon m'a glissé soit sa deuxième voix,
09:00 je me suis dit "mais je vais m'appuyer sur ces mots, en fait".
09:02 Et donc il y a des mots qu'elle formule,
09:04 "si seulement nous étions des oiseaux, on pourrait aller où on veut".
09:07 Il y en a plusieurs.
09:09 À un moment donné, elle dit à son amie Rosna, je crois,
09:12 "il faut que je sois debout, il faut qu'on reste debout, sinon on va tomber".
09:15 Ça a inspiré "Strong Enough", cette chanson,
09:18 il faut qu'on soit assez fort pour tenir debout.
09:20 Donc il y a beaucoup des mots d'Elara qui m'ont permis,
09:24 ensuite, d'en écrire davantage.
09:27 Et c'était une manière de respecter sa parole
09:30 et de rester dans ce journal intime, de son intimité.
09:34 - Voilà, donc c'est une musique intime, c'est vrai aussi.
09:37 Dans le message qu'elle véhicule, et vous vous êtes inspirée de ces mots,
09:40 dites-vous peut-être aussi des images qu'elle a prises,
09:44 qu'elle a captées, et Manon également,
09:46 et des dessins, parce qu'elle dessine beaucoup.
09:48 Et c'est des dessins qui, à la fois racontent,
09:51 à hauteur d'enfant, comme vous le disiez,
09:53 ce qu'elle a pu traverser, les dangers qu'elle a rencontrés,
09:56 elle et sa famille, sur cette route de l'exil.
09:59 Et puis il y a les sons, parce que ce voyage,
10:02 il l'est, et on a en tête tous les sons de cette traversée,
10:07 à la fois des montagnes, et aussi de la mer, de la Méditerranée.
10:12 On peut les imaginer.
10:14 Vous ne les avez pas totalement incorporés à la bande-son.
10:18 Vous ne les avez pas mixés.
10:20 C'est vraiment une musique que vous avez vous apportée.
10:22 - Oui, par contre, la volonté que j'ai eue avec Chabapaleta
10:27 et le guitariste qui a travaillé avec moi sur cette bande originale,
10:31 c'est de ne pas être juste dans un piano-voix
10:34 qui, effectivement, pourra rester plutôt mélancolique.
10:37 - Et en surface. - Oui, ou même juste discret et joli.
10:41 Il y a cette poésie, il y a la fragilité de l'enfance,
10:44 mais il y a aussi sa force et les chaos du chemin de l'exil.
10:49 Et donc on est allé transformer, comme je le fais beaucoup en ce moment,
10:52 les sons non-piano avec des pédales d'effet,
10:55 la guitare de Tchabas et Boîte à rythme
10:57 qui amènent des choses, des ruptures, des cassures ou des souffles.
11:03 On est aussi allé vers ça, pour essayer, dans une certaine discrétion évidemment,
11:08 d'amener cette part de modernité et de violence aussi qu'il y a dans ce chemin-là.
11:14 - Des montagnes rocheuses, dangereuses, Manon Loiseau, à la mer,
11:19 avec cette vague qui, à un moment, submerge le bateau, l'embarcation.
11:23 Quelle route va prendre cette famille pour arriver là, premier point d'appui à Lesbos ?
11:30 - Alors ils sont partis de Kaboul, vraiment en fait,
11:33 ils sont partis avant l'arrivée des talibans à Kaboul,
11:36 parce qu'il y avait déjà des attaques de talibans sur l'école des trois filles.
11:39 Et la décision des parents, ça a été "on veut que nos filles aient un avenir,
11:42 on veut qu'elles deviennent des femmes indépendantes".
11:44 Et ça c'était assez incroyable.
11:45 La maman, Fatana, elle avait un salon de beauté qui a été aussi attaqué par les talibans.
11:49 Donc ils ont pris cette décision de prendre fuite,
11:52 de prendre la route et d'emmener leurs cinq enfants avec le petit Resvan qui avait deux ans à l'époque.
11:56 Ils ont quand même parcouru 7000 kilomètres.
11:59 Et ils sont passés par l'Afghanistan, le Pakistan,
12:03 à la frontière du Pakistan et de l'Iran, ils ont failli être tués par des passeurs.
12:08 Ensuite ils ont gravi les montagnes entre l'Iran et la Turquie.
12:11 Le papa et la petite tombent d'une montagne,
12:13 et là ils racontent ça quand elles décilent la montagne.
12:15 D'ailleurs, en fait, moi je suis allée souvent en Afghanistan,
12:17 les Afghans regardent toujours demain.
12:19 C'est-à-dire qu'ils n'aiment pas être...
12:22 Ils ne voulaient pas parler des obstacles,
12:23 ils ne voulaient pas parler de l'horreur qu'ils avaient vécue.
12:25 C'était vraiment se projeter toujours demain, mais elles le dessinaient.
12:28 Elles dessinaient les drames qu'ils ont vécu.
12:30 Et donc on a essayé de raconter ça à travers ses dessins.
12:33 Et donc finalement, elle a supplié le passeur.
12:35 Le passeur a rattrapé son papa avec sa petite sœur qui avait six ans à l'époque.
12:38 Ils ont dormi dans des fossés pendant huit mois en Turquie.
12:42 Ils ont essayé dix fois de traverser.
12:44 Et la deuxième fois, ils ont réussi, mais aucun enfant ne s'est nagé, personne ne s'est nagé.
12:48 Et les embarcations étaient empêchées par les gardes-frontières turques de passer,
12:54 parfois trouées, parfois...
12:55 Elle raconte cette scène où le capitaine...
13:00 Le bateau turc arraisonne le bateau et frappe les gens sur l'embarcation.
13:05 Le capitaine notamment.
13:06 Voilà.
13:07 Donc il y a tous ces obstacles.
13:08 Et puis elle s'est arrivée à Lesbos, sur le sable de Lesbos.
13:12 Elle avait dans une barque à moitié trouée.
13:14 Et puis elle a survie dans le camp où ils arrivent.
13:16 Il y avait 5000 personnes.
13:18 Et puis après arrive le Covid.
13:20 Et puis pendant le Covid arrivent les attaques de Hope Doré,
13:22 le parti nationaliste fasciste grec.
13:26 Et puis l'incendie.
13:28 Et en fait, malgré tout ça,
13:30 elle est debout.
13:32 Et cet objet, cette caméra lui a donné cette force.
13:35 Elle allait partout dans le camp.
13:36 Elle allait interviewer.
13:37 Son père était un peu inquiet, puisqu'au début, il voyait ça.
13:39 Il ne le disait pas d'un bon oeil, puisqu'il avait un peu peur pour elle.
13:40 Elle allait partout dans le camp.
13:41 Il y avait beaucoup d'hommes seuls.
13:43 Et elle y allait.
13:44 Elle disait "mais non, en fait, il me respecte".
13:45 Et puis elle disait "ah, the girl with the camera".
13:47 La fille à la caméra.
13:48 Et elle a trouvé son moyen de survie.
13:49 Et cette famille, elle dit aussi "je suis libre parce que ma famille est libre".
13:52 Ils survivent ensemble.
13:54 Ils sont vraiment très, très, très soudés.
13:55 C'est incroyable cette famille.
13:57 Et dès qu'il y en a un qui flanche, l'autre le rattrape.
13:59 Ce qui est intéressant, c'est que tous ces maillons
14:01 importants, centraux, sur ces routes de l'exil,
14:05 ces acteurs que sont à la fois les passeurs,
14:08 les humanitaires, la police
14:11 et les responsables aussi.
14:14 Après, ils sont à Athènes, les responsables publics
14:17 qui vont peut-être à la fois les aider ou les desservir,
14:20 les violenter dans ce parcours.
14:22 Ils restent hors champ.
14:23 Ce n'est pas un film en quête que vous avez réalisé.
14:25 Pas du tout.
14:26 Je crois que l'intention, c'était vraiment
14:28 d'être au plus près de son vécu.
14:30 Et quelque part, elle a guidé la route.
14:33 Moi, j'avais...
14:34 Alors, France 2 m'a donné la possibilité de faire un film sans commentaire.
14:37 J'ai été accompagnée merveilleusement par
14:39 les boîtes de production Zadig et Babel
14:41 parce que ça a mis presque trois ans à faire ce film.
14:43 Donc, c'est compliqué.
14:44 Et puis, on a une heure et demie,
14:46 "Solidarité publique", c'est assez formidable d'avoir ce temps-là,
14:49 Andarie avec "Les merveilleuses chansons d'Emini",
14:52 la narration de Elaé.
14:53 Et elle a un peu guidé la route de justement,
14:57 et moi, je voulais dire de l'intime de la route,
14:59 mais aussi de l'intime de sa famille.
15:01 Et c'est vrai qu'en fait,
15:03 à chaque fois qu'il y avait un déconfinement,
15:05 on arrivait à se frayer un passage et aller les retrouver.
15:07 Mais ils nous ont pris, on faisait partie d'eux à la fin.
15:10 Ils ont dit "En fait, vous faites partie de la famille".
15:11 Et donc, parfois, ils nous disaient "Mais pourquoi vous n'êtes pas là ?"
15:13 Ils étaient trimbalés de foyer en foyer.
15:15 On essayait de voir où ils étaient,
15:16 on envoyait la géolocalisation.
15:17 Donc, on était en permanence en contact.
15:19 Et c'est vrai qu'on a...
15:21 Je crois que ça a été vraiment ce parti pris-là,
15:23 de raconter l'intime de ce que la route fait
15:25 aux enfants, et puis aux parents et à cette famille.
15:29 Et voilà, c'est ce vers quoi on est allés.
15:31 - Et l'Afghanistan est où dans votre film ?
15:33 Parce que là encore, c'est un film qui nous parle de ce pays,
15:36 de ce pays meurtri par la durloi aussi des talibans
15:39 qui sont arrivés juste après.
15:41 En réalité, vous n'avez tourné aucune image là-bas ?
15:44 - Non, on n'a pas tourné là-bas.
15:45 Mais on avait la grand-mère.
15:46 La grand-mère est restée à Kaboul.
15:48 Et c'était aussi un des fils du film.
15:53 C'est-à-dire qu'on vit l'arrivée des talibans à Kaboul
15:55 à travers ces conversations par FaceTime avec la grand-mère
15:59 qui racontent qu'ils prennent tel village, tel autre village,
16:02 qu'ils n'ont pas de nouvelles des voisins.
16:04 Et donc, en fait, ça c'est aussi l'intime de ce que vivent
16:07 les gens, les familles, les hommes, les femmes, les enfants en exil.
16:10 C'est ceux qui sont restés là-bas.
16:12 Donc on entend en filigrane l'arrivée des talibans
16:16 et on la vit avec cette grand-mère qui est restée à Kaboul.
16:19 - France Culture, il est 12h18 avec Manon et Émilie Loiseau
16:23 à l'occasion de la diffusion la semaine prochaine sur France 2
16:26 de leur film.
16:28 Le film que vous avez réalisé, Manon Loiseau, et dont vous signez la BO.
16:31 Émilie Loiseau, Dans les bacs, dès demain.
16:33 On en écoute un extrait.
16:35 C'est "Litres of Blue".
16:37 ...
16:54 ...
17:23 ...
17:33 ...
17:53 ...
18:13 ...
18:33 ...
18:53 Extrait de la bande originale de La Vie, devant elle,
18:56 Dans les bacs, dès demain.
18:59 ...
19:03 - Émilie Loiseau, il y a eu IKAR et aujourd'hui, La Vie, devant elle.
19:08 C'est un projet, un prolongement, finalement un pont que vous avez dressé,
19:11 vous, entre ces deux projets.
19:14 - Oui, je crois que, effectivement, le thème de l'exil fait partie
19:19 de mes disques et de mes chansons, particulièrement sur celui-là, sur IKAR.
19:25 Déjà, dans le disque "Mothers and Tigers", après un reportage de Manon,
19:31 les premières images qui venaient de série, cette première chanson qui parle de l'exil,
19:35 de l'exil, le chagrin des oiseaux, a été un marqueur pour moi d'oser
19:41 aborder certaines thématiques dans les chansons, parce que je trouve que la chanson
19:45 est d'une forme si courte que c'est très facile d'enfoncer des portes ouvertes.
19:49 Et j'ai toujours été rétive à ça.
19:51 - C'est quoi ces thématiques sur lesquelles vous étiez plus en retenue auparavant ?
19:55 - Je pense que tout ce qui est des dérèglements climatiques,
19:58 de mes engagements personnels en tant que citoyenne de l'exil,
20:02 a priori, avant, j'étais dans quelque chose.
20:05 Pour moi, une chanson, c'est quelque chose qu'on écrit parce qu'on a besoin de le dire
20:09 pour mieux respirer. Et donc, il fallait que je me sente légitime à dire certaines choses
20:14 pour que cette chanson ait du sens et tienne debout.
20:19 Et au fil de la vie, et au fil, je pense, du monde et de ses chaos
20:24 et des prises de conscience plus ténues, ça s'est emparé de moi.
20:27 Et puis évidemment que quand on travaille sur la musique d'un film comme celui-ci,
20:31 on se sent emparé par ces images et par l'histoire de cette jeune fille.
20:38 Donc il y a un lien, oui, évidemment, dans ce disque d'Icard,
20:42 qui est un disque vraiment d'engagement, d'un regard sur le monde
20:47 et de ce que les chaos du monde font sur nos âmes,
20:51 ce qu'ils provoquent en nous comme tristesse, comme remous, comme fractures,
20:55 comme pertes d'espoir. Et ce film et tout ce qu'il évoque,
21:00 je suis vraiment dans ça en ce moment.
21:03 Donc ça a été un prolongement pour moi de travailler sur ce film, c'est sûr.
21:08 Vous disiez tout à l'heure, Manon Loiseau, vouloir faire un film avec la vie devant elle,
21:12 à hauteur d'enfant. Mais ce n'est pas la première fois.
21:14 Vous avez fait "Les enfants de Tchernobyl", "Grandir sous camisole".
21:17 Ce n'est vraiment pas la première fois que vous filmez à hauteur d'enfant.
21:21 Qu'est-ce qui vous attire toutes les deux ?
21:23 Parce qu'on sent aussi qu'avec votre musique, Émilie Loiseau,
21:26 il y a cette envie de renouer avec une part d'enfance.
21:29 On sent pour l'une comme pour l'autre que vous avez gardé un lien très fort à l'enfance.
21:37 Très certainement. Et on a eu une belle enfance.
21:41 Il faut avoir eu une enfance heureuse pour comprendre ce dont on prive,
21:46 ces enfants que vous filmez.
21:48 Moi, très tôt, je crois, que ce soit quand j'ai vécu 10 ans en Russie,
21:51 j'allais beaucoup en Tchétchénie. Ensuite, en Afghanistan, j'ai fait un film sur les enfants des rues.
21:55 Je me suis très vite rendue compte de la justesse du regard de l'enfance,
21:59 de l'enfance sur le monde qui l'entoure, le monde qui devient fou, la guerre.
22:03 Et de sa capacité de trouver, où que ce soit, dans quelles conditions que ce soit,
22:09 même sous un bombardement, un moyen de survie, un moyen de rester enfant,
22:15 en continuant de jouer malgré tout ce qui tombe autour.
22:18 Et je crois que c'est effectivement quelque chose qui me touche profondément
22:23 et que j'ai voulu raconter et essayer de montrer au fil des ans.
22:30 Et là, j'ai franchi le mot, je me suis dit que j'ai envie que cet enfant se raconte elle-même,
22:34 que ce ne soient plus mes mots qui cheminent avec l'enfant,
22:39 mais que ce soit cet enfant ce qui se raconte de l'intérieur.
22:42 Et moi, ça m'inspire, ça me bouleverse, ça me fait progresser aussi en narration filmique.
22:50 Je trouve qu'ils ont un... On montre parfois le film à des enfants,
22:54 il y a plein de regards de création chez les enfants, je trouve ça génial en fait.
22:58 - Et vous la regardez aussi avec votre regard d'enfant ? - Absolument.
23:01 - Je ne sais pas quel âge a votre regard de réalisatrice ou de journaliste dans ces situations-là.
23:05 - Entre temps, je suis devenue maman, j'ai un petit garçon de 8 ans qui, en plus,
23:08 tout le long de la route a fait des dessins pour Elaha, qui ont fait des face time.
23:11 Et maintenant, on a dû faire des retakes, on est parti en Allemagne et l'a rencontré,
23:14 elle sait que c'est sa grande sœur d'Afghanistan.
23:16 Donc c'est assez génial et moi, je ne sais pas, j'ai besoin de cette part d'enfance.
23:21 - Et pour vous, Émilie Boiseau ?
23:24 - J'ai besoin de cette part d'enfance très fortement aussi.
23:27 Elle a toujours été une source d'inspiration pour moi, c'est sûr.
23:30 Je trouve que dans le conte, dans la manière de raconter les choses aux enfants,
23:34 il y a une forme de vérité et parfois à la fois de poésie, de fausse légèreté,
23:40 de fausse lumière, d'une lumière ombragée.
23:42 Et puis les enfants ont un accès direct à une forme de justesse, de justice.
23:49 Ils sont choqués par des choses de manière très directe et ils ont parfois des mots
23:54 d'une grande poésie, d'une grande simplicité sur ça, sans barrière,
23:57 sans être lissé par une éducation.
24:00 C'est un accès qu'on essaie de préserver en soi en tant qu'adulte, mais ce n'est jamais très simple.
24:04 - Et puis un mot qui revient beaucoup dans vos bouches, à l'une et à l'autre,
24:08 à propos de votre enfance et de ce que vos parents vous ont transmis.
24:12 Puisqu'il est aussi, d'ailleurs, question vraiment, on le disait, de transmission dans ce film,
24:15 c'est ce sens de l'engagement.
24:17 Manon Loiseau, avec ce film, vous marchez dans les pas de l'écrivain-journaliste Christophe de Ponfy,
24:21 aussi l'ami du commandant Massoud.
24:23 Sur l'Afghanistan, il a écrit plusieurs livres de référence et il a réalisé des documentaires,
24:26 dont Massoud, l'Afghan.
24:28 Vous vous souvenez de ses premiers mots dans ce documentaire ?
24:31 - Afghanistan, le pays dans le monde. - Pays lointain, en guerre,
24:34 dont tout le monde se fout, ou presque.
24:37 Dans le tumulte d'images et de sons du monde moderne, tenir une caméra a-t-il encore un sens ?
24:42 Il répond, lui, à la question, et vous, vous répondriez quoi, Manon Loiseau ?
24:46 - Christophe, c'est lui qui m'a donné envie de faire du documentaire.
24:50 Et cette phrase, elle est...
24:52 Je réponds que ça a encore un sens, c'est qu'on trouve...
24:55 Là, je reviens d'Ukraine et je...
24:58 Dans la barbarie, on se dit, c'est la répétition de la barbarie.
25:01 Surtout que j'ai vécu cette barbarie de l'armée russe en Tchétchénie pendant plus de 15 ans,
25:05 et revoir la répétition de ça, on se dit parfois, à quoi bon ?
25:09 Mais il y a toujours cette lumière, ces gens qu'on rencontre, qui sont debout,
25:13 qui se disent que si, raconter ensemble, faire sortir des voix, ça a un sens.
25:19 Donc, oui...
25:22 - De les rapporter et de les confier.
25:24 - De les rapporter et de les confier, de les transmettre, de faire sortir ces voix.
25:28 Et Christophe, dans ses films, avait beaucoup transmis cet immense talent.
25:35 - Il y a beaucoup d'autres pays dont on se fout, la Syrie, la Tchétchénie,
25:39 vous avez beaucoup pété.
25:40 "Aller voir, mettre la lumière", c'est le sens que vous donnez, vous, à votre métier.
25:44 Hervé Chabalier, le fondateur de Capa, avait une très belle formule vous concernant
25:48 pour vous définir une excellente enquêtrice, mais pas une mercenaire de l'info.
25:52 Cette idée que tous les coups ne sont pas permis.
25:54 Sur ce film-là, encore, quelles règles vous vous êtes fixées ?
25:57 C'est quoi ? C'est d'abord de préserver la sécurité des personnes que vous rencontrez ?
26:00 De préserver la confiance qu'ils vous ont accordée ?
26:02 - Avant tout, d'être dans la confiance.
26:06 Elle n'a pas trop compris faire un film, qu'est-ce que ça voulait dire.
26:09 C'était ne jamais les mettre en danger, c'est pour ça qu'on n'a pas filmé non plus les scènes
26:13 quand il y avait les autorités, parfois la police, etc.
26:15 Parce que, à partir du moment où la caméra attire le regard, et donc on disparaissait
26:19 dès qu'il y avait une présence comme ça qui pouvait les mettre en difficulté
26:23 alors qu'ils n'avaient pas de papier.
26:24 Donc c'était vraiment, avant toute chose, la confiance, le respect,
26:27 se dire toujours que s'il y a une scène ou quelque chose qui peut les mettre en danger
26:30 parce que la situation évolue toujours, eh bien on ne la mettra pas dans le film.
26:34 Voilà, ça c'est un principe que j'ai parce que c'est trop dangereux.
26:37 Parce qu'en plus, aujourd'hui, avec l'ère des réseaux sociaux, tout, on ne peut plus dire,
26:41 on ne le verra pas chez vous parce qu'on le voit toujours.
26:43 Donc il faut redoubler de vigilance.
26:45 Mais c'est vraiment tout ce moment où on ne filme pas,
26:47 tous ces moments passés à se rencontrer, à s'adopter et à se dire,
26:52 on chemine ensemble et on essaye, et ne jamais promettre que ça va changer les choses.
26:56 Parce qu'en fait, on ne peut pas dire qu'un film ne changera jamais quelque chose
27:02 dans une direction ou autre, mais peut-être un petit peu, ça peut faire
27:06 que les voix soient entendues et que parfois les lignes bougent un petit peu.
27:10 - Voilà, et elle le dit, votre héroïne dans ce film, on a l'impression qu'on est trimbalé
27:14 comme des colis par bateau, par car ou à pied.
27:16 Ils ne savent jamais où ils vont, là où on les envoie.
27:19 Et ce film raconte une quête et il ouvre un horizon.
27:24 Merci beaucoup à toutes les deux.
27:26 "La vie devant elle", votre film, Manon Loiseau, sera diffusé le 17 mai sur France 2
27:30 avec Ella Iqbali et votre bande-son, la bande originale du film,
27:36 sort dans les bacs demain, Émilie Loiseau.
27:38 Merci beaucoup à toute l'équipe.
27:40 - Merci à Camille Berne et Laura Dutèche-Pérez avec Henri Leblanc et Sacha Mathéi.
27:43 Réalisation Sam Bakhiast, Félicie Fauger avec Noé Chaban.

Recommandations