Thomas Cailley, cinéaste : "Avec mon film, je veux réenvisager notre rapport au vivant"

  • l’année dernière
Transcript
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
00:04 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoir.
00:08 - Notre rencontre quotidienne, c'est donc une conversation à trois avec notre invité.
00:14 Ce midi, il est réalisateur et scénariste.
00:17 Il écrit et réalise ses propres films, mais écrit aussi pour les autres.
00:20 Il trouve dans cette double activité une forme de complémentarité et surtout un moyen
00:25 d'assouvir son envie, raconter ses propres histoires.
00:29 Il a 26 ans, il passe la FEMIS, une école de cinéma, réalise des courts-métrages.
00:33 Et puis un long-métrage, en 2014, "Les combattants", primé à Cannes et consacré au César avec
00:38 trois statuettes.
00:39 - Bonjour Thomas Caillé.
00:40 - Bonjour.
00:41 - Bienvenue dans les midis de culture.
00:43 - Alors vous venez nous présenter ce midi, Thomas Caillé, votre second long-métrage,
00:47 "Le règne animal" qui sera sur les écrans demain.
00:50 Le projet a débuté il y a longtemps pour vous, c'était avant la pandémie, le chemin
00:56 a été long.
00:57 Entre votre premier long-métrage en 2014 et 2019, je crois le début de l'écriture,
01:04 qu'est-ce qui s'est passé ? Quel a été le déclic qui vous a permis de vous lancer
01:08 dans cette seconde aventure du long-métrage ?
01:10 - Et bien entre les deux, j'ai réalisé une série pour Arte qui s'appelle "Ad vitam"
01:15 et qui explorait la question de l'immortalité.
01:18 Évidemment, quand on parle de l'immortalité, on parle beaucoup de la mort.
01:23 C'était passionnant à faire, mais c'est vrai qu'à la sortie de cette série, j'ai
01:28 eu envie d'aller exactement dans l'autre direction, de chercher un projet qui aille
01:33 vers la vie et même vers le vivant en général.
01:37 Et c'est ça qui m'a attiré dans cette idée des transformations entre l'homme et l'animal
01:41 qui est à l'origine de cette histoire, de "Le règne animal".
01:45 - C'est aussi une rencontre avec une scénariste et un scénario.
01:49 Ça aussi c'est important pour avoir le bon support, en tout cas la bonne idée pour se
01:55 lancer dans une aventure qui est assez longue et difficile à mener parfois aussi j'imagine.
02:01 - Oui, c'est ça.
02:03 C'est moins un support qu'une rencontre.
02:06 C'est-à-dire que j'ai rencontré en 2019 une élève scénariste à la Femis, Pauline
02:12 Munier, qui est devenue ma co-scénariste sur ce film et qui avait créé un projet
02:17 dans lequel il y avait cette question d'hybridation entre l'homme et l'animal.
02:22 Et c'est une idée, c'est une métaphore qui m'a tout de suite frappé.
02:25 J'ai eu l'impression que c'était au carrefour de tout ce que j'avais envie d'écrire sur
02:30 l'état de notre monde, sur le rapport entre un père et un fils, une intrigue de transmission
02:38 qui est impactée par cette question de transformation homme-animal.
02:42 Et donc on est parti ensemble, on a travaillé ensemble à quatre mains pendant deux ans
02:46 pour trouver une histoire et écrire ce scénario.
02:49 - Donc vous aviez envie de travailler sur la vie et donc après votre thème sur la
02:55 mort, mais vous n'aviez pas forcément pensé aux animaux ?
02:58 - Si, ça arrivait assez vite en fait, cette question de la transformation entre l'homme
03:07 et l'animal.
03:08 C'était au tout début de ce projet.
03:10 En fait, on a eu l'impression que ça permettait d'explorer des choses qui nous tenaient à
03:17 cœur.
03:18 D'abord la question de l'émancipation, de la liberté qui est au cœur du sujet parce
03:23 qu'on a un jeune homme de 20 ans qui va devoir aussi s'émanciper.
03:27 Et on a aussi toute une intrigue autour de cette famille qui est impactée par cette
03:36 grande révolution.
03:37 On est dans un monde où, pour une raison mystérieuse, certains humains commencent
03:41 à se transformer en animaux et ça dérègle tout.
03:45 Ça change tout de la cellule familiale à la société dans son ensemble.
03:48 - Tiens, mets ça.
03:51 - Non papa, ça pue le vieux poulpe, je mets pas ça.
03:57 - Ah non, écoute, tu fais un effort.
03:58 Pour une fois que tu viens, t'as vu le retard qu'on a déjà ?
04:01 - Je t'avais dit que j'avais un truc à faire aujourd'hui.
04:03 - Quel truc ?
04:04 - Je veux aller à la console avec tes deux potes débiles.
04:06 - Ecoute, t'avais dit que j'étais pas obligé de venir.
04:08 Sans moi, tu seras à l'heure, donc c'est ta faute.
04:11 - Attends, tu te fous de moi ? Alors, primo, tu savais parfaitement qu'aujourd'hui, on
04:14 avait un rendez-vous hyper important à l'hôtel et ensuite...
04:18 Attends ! Emile, qu'est-ce que tu fous ? Putain ! Merde ! Emile ! Tu remontes dans la voiture
04:26 ! Emile ! Emile, t'arrêtes ton circuit.
04:30 - Il y a quoi ton problème ? - Écoute, on a un rendez-vous tous les deux,
04:32 on y va tous les deux.
04:33 - Non, j'ai pas envie de...
04:34 - Thomas Cahiers, on est plongé dans le fantastique, dès la scène d'ouverture de votre film
04:55 "Le règne animal" qu'on vient d'entendre.
04:57 Donc, pourquoi avoir voulu tout de suite nous mettre dans cette ambiance fantastique alors
05:02 qu'on est dans une scène qui semble très banale, dans un embouteillage, coincé avec
05:07 les deux personnages principaux ? On a reconnu Romain Duris qui joue François et Paul Kircher
05:11 qui joue son fils Emile.
05:13 - Eh bien justement parce que ça permettait de s'affranchir quelque part du strict film
05:19 de genre et de pouvoir mélanger les registres.
05:21 Parce que je tenais vraiment à ce que le film soit à la fois intime et spectaculaire,
05:26 à la fois réaliste et fantastique, qu'on puisse aller de la comédie au drame.
05:29 Je voulais qu'il y ait ce mélange des genres dans le film et pour ça il fallait montrer
05:33 les créatures dès le début, dès la première scène.
05:35 Sinon l'histoire aurait réservé ça comme un long mystère, comme un suspense et ça
05:39 aurait sans doute écrasé un peu le dispositif du film.
05:42 Donc là, ce qui m'intéresse c'est d'être au plus près des personnages et de vivre
05:45 les émotions avec eux dans un monde qui a changé.
05:48 On est deux ans après les premières apparitions de ces étranges mutations et la société
05:54 fait avec, essaie de se débrouiller avec.
05:56 Ils font avec, évidemment, ils essaient de s'adapter.
06:00 C'est quoi ? C'est comme une sorte d'épidémie, évidemment on a ça en tête après avoir
06:04 vécu tous ensemble l'épidémie de Covid.
06:08 C'est une épidémie qui au fur et à mesure touche certains humains, qui donc se transforment
06:12 en animaux.
06:14 C'est le cas de la mère d'Emile et la femme de François dans le film.
06:19 Et c'est ça qui va effectivement bouleverser ce duo du père et du fils.
06:24 Oui absolument, c'est une mutation et ça a transformé la maman d'Emile avant, quand
06:37 l'histoire commence.
06:38 Et ça change tout dans leur famille.
06:40 Ils vont devoir se déplacer pour la suivre parce qu'elle va être transférée dans
06:44 un centre qui s'occupe d'essayer de guérir, d'essayer de soigner ces personnes malades.
06:50 Et il va s'en suivre une aventure parce qu'évidemment rien ne va se passer comme prévu.
06:56 Vous l'avez dit, le duo du père et du fils est au cœur de cette histoire puisqu'il
07:04 y a effectivement l'idée de devoir faire avec le fait que la mère soit en train de
07:11 se transformer.
07:12 Et toutes ces questions que ça pose, comment est-ce qu'on accepte cette différence ? Comment
07:17 le père gère son fils qui lui aussi est en train de grandir ? Ils vont tous les deux
07:23 évoluer au fur et à mesure du film.
07:26 C'était l'idée aussi d'en faire des héros et de les transformer en héros de
07:30 cette façon-là ?
07:31 Oui, moi ce qui m'intéresse au cœur de ce film c'est vraiment des questions qui
07:36 sont je pense universelles.
07:38 C'est qu'est-ce qui se passe entre un parent et un enfant ? Comment la transmission peut
07:42 se dérouler dans les deux sens ? C'est-à-dire qu'effectivement évidemment Emile apprend
07:45 et évolue aux côtés de son père mais François va devoir totalement changer de regard sur
07:49 son fils parce qu'il y a quelque chose d'inattendu qui va se passer également avec lui.
07:52 Et c'est la transformation de ce rapport qui structure le récit.
07:58 Qu'est-ce que ça veut dire en tant qu'enfant d'hériter un monde ? Qu'est-ce que ça
08:04 veut dire léguer un monde quand on est parent ? Comment on peut réinventer un monde ensemble
08:08 ? Qu'est-ce que ça veut dire accueillir la différence ? Et qu'est-ce que c'est
08:12 peut-être aussi réenvisager un rapport différent avec tout ce qui est vivant autour de nous
08:18 même hors humain ?
08:19 Il y a évidemment dans ce monde qui est en train de changer parce que même si vous
08:26 l'avez dit ça fait déjà dans l'histoire deux ans qu'il se passe ces choses, ces
08:31 mutations d'êtres humains en animaux, une idée de monde en crise.
08:36 Alors évidemment ça peut nous parler puisqu'on retrouve des similitudes avec ce qu'on a
08:40 pu vivre, je parlais de l'épidémie de Covid tout à l'heure quand le médecin parle
08:45 au fils et à son père en lui disant "bah oui on essaie de trouver des solutions, ça
08:51 fait deux ans d'expérience médicale que l'on a à présent avec ces créatures,
08:56 on a des choses qui peuvent nous revenir à l'esprit, on a aussi des images dans ce
09:01 monde qui change, l'idée de frontière, l'idée de mettre les gens à l'écart,
09:09 notamment ces nouvelles créatures, comment est-ce qu'on s'adapte, comment on gère
09:12 ça, l'état d'urgence aussi, l'armée qui est appelée à la rescousse puisqu'on
09:17 ne peut plus gérer la situation.
09:20 Est-ce qu'il y a là aussi dans ce réalisme que vous prenez des choses que vous avez piquées
09:26 en quelque sorte au monde dans lequel nous sommes nous ?
09:29 Alors on a commencé à écrire en 2019, c'était vraiment un an avant l'arrivée
09:34 de la pandémie et le confinement etc.
09:35 Et pour être tout à fait honnête, sur le tout début de l'arrivée de cette crise
09:39 en France, on s'est même dit qu'on allait arrêter d'écrire cette histoire parce
09:42 qu'il y avait tellement de ponts, tellement de parallèles avec ce qu'on était en
09:45 train de vivre et c'était tellement réel, palpable, physique qu'on le vivait au quotidien,
09:50 qu'on s'est dit finalement voilà, la réalité est plus forte que la fiction, arrêtons-la,
09:53 passons à autre chose.
09:54 Et puis c'est redevenu intéressant quelques semaines, quelques mois plus tard, quand la
09:57 société est retombée sur ses pattes quelque part et qu'on a commencé tous ensemble
10:00 à jouer un peu à un jeu de tout va bien, le fameux retour à la normale dont on entendait
10:04 beaucoup parler à ce moment-là, alors qu'en fait quelque chose s'était déplacé et
10:10 ça avait vraiment changé durablement beaucoup de choses très structurantes.
10:14 Et là c'est vraiment ça le point de départ et la conviction qu'on avait à l'écriture,
10:19 c'est qu'il faut, c'est plus intéressant d'être juste après, pas dans la panique
10:22 et dans la course permanente du patient zéro, mais après, une fois qu'on a l'impression
10:27 qu'on a compris comment tout ça allait s'organiser, alors que ça change évidemment
10:31 tout de manière existentielle dans cette société.
10:33 Est-ce que vous pensez que ça a changé aussi votre manière d'écrire ou d'appréhender
10:39 l'histoire que vous vouliez mettre sur les écrans, Thomas Caillé ? C'est-à-dire la
10:42 pandémie de Covid, la manière dont on a réagi, la manière dont tout de suite on s'est
10:46 dit il faut absolument l'éradiquer avant de dire que peut-être on allait devoir vivre
10:52 avec.
10:53 Est-ce que ça, ça vous a fait dire, prendre une option un petit peu différente ? Parce
10:56 que dans votre film, l'idée c'est peut-être pas forcément d'opposer, mais au contraire
11:01 de dire comment on fait avec ça ?
11:02 C'est toute la question du film.
11:05 C'est vraiment autour de ça que les personnages se positionnent.
11:09 Il y a certains personnages chez qui ça va réveiller des instincts d'accueil, d'hospitalité,
11:16 on va avoir des gestes d'amour absolu, même parfois jusqu'au sacrifice, et d'autres
11:21 chez qui ça va réveiller autre chose, de la peur, des pulsions de rejet, voire même
11:26 de la haine, de la violence.
11:27 Et cette société, elle passe effectivement d'un premier élan qui est d'essayer de
11:33 comprendre, de soigner, de guérir, et puis ça change, ça bascule, ça glisse en tout
11:38 cas plus exactement, et on passe plutôt à quelque chose qui est de l'ordre du contrôle
11:42 ou de la surveillance, jusqu'à même la question du rejet.
11:46 Donc ça effectivement, ça parle aussi de beaucoup de thématiques qu'on observe dans
11:53 notre monde à nous.
11:54 - Une desquelles on n'a pas forcément réagi de la même manière que dans votre film,
11:57 c'est-à-dire qu'on peut avoir plus de la peur au quotidien, on veut se protéger,
12:02 d'ailleurs l'idée pendant le mot d'ordre pendant le Covid c'était quand même de rester
12:06 chez soi, alors que là, vivre avec c'est tout le contraire en fait dans votre film,
12:10 c'est au contraire, qu'est-ce qu'on fait avec ça ?
12:11 - Ça c'est mon naturel optimisme, j'ai l'impression que cette histoire, moi j'avais
12:19 un intérêt à la raconter parce que justement c'est l'exploration d'une nouvelle frontière,
12:23 j'y vois quelque chose du topique, c'est un nouvel horizon, il y a quelque chose de
12:26 profondément optimiste là-dedans.
12:28 Je pense que tout le sujet du film au fond c'est la question de l'obéissance, de la
12:35 désobéissance et d'essayer de recharger, de réinventer une façon de vivre ensemble.
12:39 Donc moi je suis très optimiste par rapport à ça, je pense qu'on n'est qu'au début
12:44 d'un changement mais qu'on va trouver des solutions pour mieux vivre ensemble.
12:49 - Ce qui est très intéressant et vous l'avez dit, c'est que dans votre film, on est donc
12:53 projeté directement dans ce monde avec ces créatures qui sont là, qui existent, qui
12:58 sont de plus en plus nombreuses et on parlait tout à l'heure de retour à la normale avec
13:02 le Covid, dans votre film il n'y a pas de retour à la normale qui est envisagé, on
13:05 est dans ce monde et on suit les personnages qui vont donc devoir trouver leurs solutions
13:11 parce qu'en fait on a l'impression que les solutions elles sont… il n'y a pas une
13:15 solution globale, il y a des solutions pour chacun des personnages qu'on suit.
13:18 - Oui exactement, on a essayé de… disons qu'il y a cette grande biodiversité des
13:24 créatures dans le film et à cette biodiversité des créatures répond aussi une biodiversité
13:27 des réactions humaines donc je pense que c'est à chacun et c'est aujourd'hui je crois
13:32 qu'on en est là aussi, c'est à chacun de savoir, je ne sais pas par exemple sur
13:35 la question de l'urgence climatique, on voit bien que c'est aussi à chacun de se
13:39 positionner, de décider si on fait quelque chose ou si on continue tout droit comme on
13:47 le fait depuis des années. - On a décidé que les 10 millions d'autres
13:53 espèces qui sont nos parentes appartiendraient à un autre règne qu'on allait appeler
13:57 la nature, qu'il allait constituer essentiellement un décor pour nos tribulations humaines,
14:02 un stock de ressources, un endroit où se ressourcer mais que fondamentalement on ferait
14:07 passer une ligne de partage entre une espèce d'un côté et les 10 millions d'autres
14:11 espèces avec lesquelles on a co-évolué. Il y a ce paradoxe assez fascinant que c'est
14:16 simultanément nos parents et ce sont aussi les formes de vie qui assurent l'habitabilité
14:22 de la Terre, qui nous font vivre à chaque instant, qui nous permettent de respirer et
14:26 que nous avons réussi à projeter dans une sorte de trou noir philosophique, politique,
14:32 économique en refusant de leur donner une place dans la question fondamentale de la
14:38 construction de notre monde commun. - Le philosophe Baptiste Morisot dans la Grande
14:43 Erythrée, c'était en mai 2020 justement, qui expose l'une des thématiques aussi de
14:48 votre film, c'est-à-dire ce rapport de l'espèce humaine aux autres espèces, à l'idée
14:54 que les humains ont depuis tant d'années essayé de dominer la nature et aujourd'hui
15:00 le monde a changé, dans votre film en tout cas, les choses se sont renversées et il
15:05 va falloir recréer du lien avec ces espèces et cette nature.
15:10 - Oui, c'est tout ce qui nous a intéressé dans ce concept d'une mutation qui est progressive
15:14 et qui ne se fait pas en un clin d'œil.
15:17 Ce n'est pas une histoire de loup-garou en fait, c'est que justement la frontière dont
15:20 parle Baptiste Morisot, qui est une frontière qui est parfaitement artificielle, inventée
15:24 par l'homme, théorique, avec cette idée de la mutation qu'on voit très progressive
15:30 dans le film, on l'efface, on va l'effacer, on va la troubler et donc ça finit par poser
15:36 des questions qui sont intéressantes, on se rappelle cette ascendance dont Baptiste Morisot
15:41 part, cette ascendance commune qu'on partage avec tout ce qui est vivant autour de nous
15:46 et puis au bout d'un moment, à partir de quel moment on n'est plus le semblable de
15:49 l'autre, à partir de quel moment on n'appartient plus à cette société, donc nous on regarde
15:54 ces créatures et dans le film, elles aussi elles nous regardent.
15:56 - Évidemment l'image, vous disiez c'est intéressant, ce n'est pas un film de loup-garou,
16:00 effectivement les humains ne deviennent pas des créatures la nuit au moment où le soleil
16:04 se couche et au moment où dans notre imaginaire on a la lune, la forêt, le brouillard et
16:09 les loups-garous qui viennent frapper à la porte, on n'est pas du tout dans cela, on
16:13 est dans cette véritable cohabitation et on insiste effectivement à ces interrogations,
16:19 tous les personnages s'interrogent, qu'est-ce que je fais face à cette personne qui était
16:25 ma voisine, ma mère et qui est devenue en quelque sorte un monstre aussi ?
16:29 - Un monstre, non justement, la question c'est de faire disparaître cette altérité absolue,
16:38 il n'y a plus de l'autre côté de la frontière, on est ensemble et les degrés sont différents.
16:43 Souvent dans le film de genre on a exploré ça, il y avait d'un côté les monstres,
16:48 de l'autre côté les super-héros, c'est à chaque fois des formes d'altérité absolue
16:51 qui nous rassurent quelque part sur la place qu'on occupe nous en tant qu'humains, cette
16:54 espèce qui s'est affranchie de tout le reste et qui est en dehors.
16:57 Là, on est obligé de faire partie de cette grande cosmogonie et là-dedans, c'est un
17:05 projet hospitalier, accueillant.
17:07 - Ce qui est intéressant dans l'archive de Baptiste Morisot, c'est aussi qu'il dit que
17:10 la nature a été créée complètement artificiellement, a été reléguée en arrière-plan, mais presque
17:14 comme un décor.
17:15 Comment vous, en tant que réalisateur, vous avez donc mis en scène non plus cette nature
17:19 comme un fond, mais vraiment comme un personnage à part entière ? Pour que les auditeurs
17:24 et auditrices se figurent bien, peut-être, vous pouvez nous dire quelle forme ça prend
17:30 sur les individus qui se transforment et comment la nature n'est pas seulement un endroit de
17:35 mise en scène, mais vraiment peut-être un personnage à part entière ?
17:37 - Oui, il y a toute une dimension du film.
17:40 Il y a même un filet conducteur tout le long du film, c'est la transformation de cette
17:46 forêt.
17:47 C'est-à-dire que j'ai filmé une région que je connais bien, dans laquelle j'ai grandi,
17:50 c'est l'élan de Gascogne.
17:51 L'élan de Gascogne, c'est la plus grande forêt d'Europe, mais c'est la plus grande forêt
17:53 plantée d'Europe.
17:54 C'est une forêt qui est industrielle, c'est une forêt artificielle, c'est un champ d'arbre
17:58 planté en ligne, nourri aux pesticides.
18:02 Quand on se déplace dans cette forêt, souvent on est surpris par le silence, on n'entend
18:07 pas d'oiseaux, on n'entend pas d'insectes.
18:08 Donc il y a quelque chose d'assez triste et d'inhabité dans cette forêt.
18:12 Et pourtant, à quelques endroits, il faut les repérer, il faut les chercher, il faut
18:15 leur faire la chasse presque à ces endroits-là.
18:17 Il reste des poches d'espèces d'oasis naturelles, des photographies de ce à quoi cet espace,
18:25 ce territoire ressemblait avant l'implantation du pin, il y a quelques centaines d'années.
18:28 On a des dernières poches de forêts primaires, des forêts qui vivent avec ses propres cycles
18:33 de plusieurs centaines d'années.
18:35 - Et là on entend des oiseaux ?
18:36 - Et là, quand on arrive là-dedans, ce qui est étonnant, c'est que ça devient très
18:40 difficile d'accès.
18:41 La végétation est hyper dense, très variée.
18:43 - Il n'y a pas de route, tu imagines ?
18:45 - Il n'y a évidemment pas de route, mais même c'est un maquis très dense, très compact.
18:48 Et ça hurle, littéralement.
18:50 La vie est grouillante, on entend énormément des champs d'oiseaux, de grenouilles, d'insectes.
18:55 Et le trajet qu'on fait pour aller d'une forêt à l'autre, de cette forêt industrielle
18:59 à la forêt primaire, ce trajet est hyper émouvant quand on le fait soi-même à pied,
19:05 sur quelques centaines de mètres, de voir la transformation de ce monde.
19:07 Et c'est vraiment le parti pris du film, c'est d'essayer de montrer un monde qui se réactive,
19:12 qui se revitalise, qui devient de plus en plus vivant, de plus en plus habité.
19:15 - Et comment vous avez fait pour filmer très concrètement la vache ? Pour accéder avec
19:18 toute une équipe technique dans ces endroits-là ? Et justement, avec cette idée de préserver
19:25 aussi le lieu, de ne pas complètement l'abîmer en y filmant des scènes ?
19:30 - De toute façon, il s'agit de ne pas l'abîmer puisqu'on veut le filmer, et qu'on veut le
19:35 filmer dans tout ce qu'il y a de beau et riche.
19:37 Donc ce qu'on fait, c'est qu'on trace un tout petit chemin et qu'on passe à la queuleuleu
19:42 avec tout le matériel.
19:43 Donc ça prend des heures et des heures, c'est un vrai calvaire.
19:46 Mais l'équipe a partagé avec moi cet émerveillement.
19:51 On était tous, je pense, très touchés par ça.
19:53 Il y avait quelque chose d'un privilège en fait.
19:55 C'est comme si on était transporté d'un coup soit dans un passé très lointain, la
20:00 forêt dans laquelle on a tourné n'a pas été...
20:01 Et intouché depuis le 12e siècle au moins.
20:04 Ou dans le passé ou dans le futur, on sait pas.
20:08 Mais en tout cas, on est très clairement dans un autre présent dans lequel la nature
20:12 a ses cycles, a ses règles.
20:13 Et c'est ça qui est hyper émouvant dans le film.
20:17 - Puisqu'on parle aussi de l'industrie du cinéma, Thomas Caillé, ça veut dire que
20:20 vous avez dû imposer aussi de tourner dans ces décors naturels et qu'on ne vous dise
20:25 pas "eh bien on mettra des fonds verts et on inventera ce décor sur ordinateur".
20:32 - Alors c'est vrai pour les décors, mais c'est totalement vrai aussi pour toutes les
20:35 créatures et les personnages du film.
20:36 C'est-à-dire qu'il y a un moment, ça aurait été beaucoup plus simple de tout faire en
20:40 studio, sur fond vert, etc.
20:41 Et on se l'est interdit dès le début parce qu'on trouvait que c'était d'une tristesse
20:44 totale de faire un film sur le vivant, dans toute sa diversité, en inventant tout sur
20:51 ordinateur.
20:52 Donc pas de fond vert, pas d'acteur bardé de capteurs.
20:54 Et les technologies qu'on a utilisées pour donner vie à ces créatures sont toujours
21:01 elles-mêmes hybrides.
21:02 C'est-à-dire qu'il y a toujours du vivant devant la caméra.
21:04 Il y a toujours un acteur, un corps.
21:06 Les interactions sont réelles.
21:07 Et c'est ça qui donne cet aspect organique.
21:10 Je pense que ce film n'était pas irréalisable en effets spéciaux.
21:13 - Il y a une des créatures qui s'appelle Fix, qui est incarnée par Tom Mercier.
21:17 Donc pas d'effets spéciaux non plus pour le créer, pour vous en tant que créateur
21:24 de cette créature, de cet animal.
21:26 Mais du coup, des heures de maquillage pour un résultat qu'il faut bien le dire, ceux
21:33 qui n'ont pas encore vu le film, est très probant.
21:36 On n'a pas l'impression de voir des créatures.
21:39 On a l'impression d'être vraiment face à ce que vous avez imaginé.
21:43 - Il y a des effets numériques.
21:45 Simplement, ils sont toujours en dernier recours pour prolonger le travail qu'on fait en réel.
21:51 Pour prendre l'exemple de Fix, cet homme oiseau, Fix, c'est d'abord un acteur, Tom
21:56 Mercier, qui s'est énormément entraîné, qui a appris à parler différemment, à parler
22:00 l'oiseau.
22:01 Il a appris à créer un vrai lexique.
22:02 - Il a rencontré des chanteurs d'oiseaux.
22:04 - Absolument.
22:05 Il a passé des mois avec des chanteurs d'oiseaux qui lui ont appris ce truc un peu particulier
22:09 de produire des sons en aspirant de l'air.
22:13 Parce que les oiseaux n'ont pas un larynx comme les humains.
22:17 Donc il a totalement inversé son conflux et appris à déployer tout un vocabulaire
22:23 d'oiseau très émouvant d'ailleurs, mais aussi assez spectaculaire à écouter.
22:29 Donc Fix, c'est ce corps, c'est cet acteur, c'est Tom Mercier.
22:33 Et Tom Mercier, on l'aide avec du maquillage, des prothèses.
22:37 Il y a tout un exosquelette avec des plumes articulées pour prolonger ses bras et faire
22:44 ses ailes.
22:45 Il est aidé également par des câbles, par toute une machinerie de cinéma, comme on
22:48 le pratique depuis l'origine du cinéma.
22:50 Et effectivement, en dernier recours, pour des mouvements amples d'ailes qui sont impossibles
22:54 à faire autrement, il y a aussi du VFX.
22:57 On s'est obligé à chaque fois à mélanger toutes ces technologies.
23:00 Il n'y a jamais une technologie exclusive.
23:02 VFX, c'est le nom anglais pour effet spéciaux.
23:04 Oui, VFX, c'est les effets numériques.
23:07 Comment vous avez travaillé aussi, pour que ce soit là aussi réaliste dans votre souci
23:12 du réalisme, pour que cet homme oiseau n'apparaisse pas, pardon du terme, mais ridicule à l'écran.
23:18 Est-ce que vous le saviez tout de suite en le filmant que ça allait fonctionner ou est-ce
23:24 que vous aviez aussi peut-être un doute ?
23:25 Est-ce que ce que je suis en train de faire ne va pas paraître un peu décalé ?
23:28 Bricolé presque.
23:29 Oui, ça m'a terrifié pendant des mois, mais la chance est que ça va beaucoup mieux.
23:34 Je suis très content de ce qu'on a fait ensemble et de l'apparence de ces personnages.
23:40 La différence avec un film classique, c'est que la préparation, la phase qui précède
23:47 le tournage sur un film classique, c'est de 2 à 4 mois.
23:49 Sur ce film-là, c'est un an et demi.
23:51 Ce qu'on a fait, c'est que tout simplement on est parti de ce que le cinéma sait faire,
23:55 c'est-à-dire de filmer les acteurs.
23:57 Ça vient vraiment de l'acteur.
23:58 Il y a d'abord toute une invention qui vient de là.
24:01 Il y a un travail d'observation, d'imitation des animaux au début, puis très rapidement
24:04 on est passé à un travail d'exploration d'autre chose, c'est-à-dire d'un langage
24:06 corporel pour les acteurs.
24:09 Chacun a inventé sa propre façon d'incarner cette mutation, d'incarner un animal.
24:15 Ensuite, tout le travail de prostétique, de maquillage, tout le travail technique est
24:20 arrivé là-dessus.
24:21 On a prolongé le travail de l'acteur.
24:23 Il y a comme ça qu'on peut rencontrer une forme de grâce dans cette animalité.
24:29 Il y a au fond de chaque personnage quelque chose de très organique.
24:32 Ils ont été faciles à convaincre, les acteurs, de les embarquer dans cette aventure, de leur
24:37 demander tout ce que vous venez d'expliquer, de se muer en animal.
24:42 Je crois que c'était le truc le plus simple sur ce projet.
24:46 Parce que cette question de la transformation, de jouer à être autre, d'inventer son
24:51 propre animal, de se mouvoir différemment, d'interagir différemment, je pense que ça
24:57 résonne avec le principe premier du jeu.
24:59 Je pense qu'il y a même quelque chose de l'enfance.
25:02 Les acteurs tous, de Adèle Hexarchopoulos à Tom Mercier, de Paul Kircher à Romain
25:08 Duris, ils voulaient tous en faire partie.
25:10 Ils voulaient tous se transformer.
25:12 Ils ont choisi leur animal ?
25:13 Non, ce n'est pas aussi simple.
25:16 On a étudié, travaillé, discuté de ça ensemble.
25:20 Il fallait avoir un bestiaire assez diversifié.
25:24 Ça, dès le scénario, on a essayé d'aller taper dans toutes les strates du vivant, toutes
25:29 les branches de la classification.
25:30 On a autant d'arthropodes que de reptiles, de mammifères que de volatiles.
25:35 Il y a de tout.
25:36 Mais après, c'est venu aussi beaucoup du casting.
25:39 Quand on rencontre quelqu'un qui a un corps particulier ou une façon de se mouvoir particulière,
25:42 ça nous inspire.
25:43 Du coup, on s'est dirigés ensemble vers des destinations inconnues.
25:46 Les midis de culture jusqu'à 13h30.
25:52 Géraldine Mossna Savoie, Nicolas Herbeau.
25:56 Et tu fais des études ?
26:00 J'ai un master en modélisation économique.
26:02 Et concrètement, ça sert à quoi ?
26:05 En fait, l'idée, c'est de prévoir les mouvements futurs et de pouvoir s'adapter
26:09 dans le présent.
26:10 Mais comme les mouvements futurs, il n'y en aura pas, ça ne sert à rien.
26:13 J'ai arrêté cette année, en fait.
26:15 Je comprends.
26:16 S'engager dans des années d'études sans déboucher, avec la crise, le chômage, tout
26:21 ça, ce n'est pas drôle.
26:22 Je n'ai pas peur du chômage et de la crise.
26:24 Il y a bien pire qui se prépare.
26:25 Mais comme on se focalise sur des choses minimes, on ne le voit pas arriver.
26:28 Je ne comprends rien.
26:29 Qu'est-ce qu'on ne voit pas arriver ? La fin.
26:32 La fin de quoi ? La fin.
26:37 L'extinction.
26:38 Ah oui, carrément.
26:39 Et alors, on doit se méfier de quoi ? Il y a le choix pour tout foutre en l'air.
26:43 Les émeutes de la faim, la guerre de religion, la sécheresse, les dérèglements climatiques,
26:47 le basculement des pôles, les centrales nucléaires qui pètent.
26:50 Ou les épidémies.
26:51 Tu sais, les trucs respiratoires, tu ne peux pas soigner.
26:54 Les coronavirus.
26:55 Non, mais ça, je ne crois pas, parce que la prévalence est déjà en train de baisser.
26:58 Ça va, on a la paix.
26:59 Vous étiez, Thomas Caillat, un peu moins optimiste dans votre premier long-métrage
27:03 « Les combattants ». C'était en 2014.
27:05 Surtout, un peu prophète.
27:06 Et un peu prophète, oui, avec ce coronavirus présent dans cette discussion entre Adèle
27:11 Hénel, son personnage, une jeune survivaliste qui partage sa vision très sombre de l'avenir
27:17 avec le personnage d'Arnaud, joué par Kevin Assayes.
27:20 Qu'est-ce qui vous intéressait dans cette idée de fin du monde, d'extinction de
27:27 l'espèce humaine, déjà dans une forêt, à l'époque, plutôt hostile ?
27:32 C'est une rencontre.
27:36 Et ce qui est intéressant, c'est que les contraires s'attirent, comme souvent dans
27:39 la vie.
27:40 Madeleine, elle avait ses prophéties apocalyptiques.
27:43 Elle attend la fin du monde et elle tombe sur Arnaud, qui lui offre quelque part le
27:48 recommencement d'un monde.
27:49 Donc, ce qui m'intéressait, c'était ça, c'était de confronter une idée d'un
27:53 certain fatalisme avec la possibilité d'un renouveau, d'une rencontre.
27:56 Qu'est-ce que c'est que l'éveil amoureux ?
27:58 Qu'est-ce que c'est que faire monde ensemble, réinventer quelque chose ?
28:00 C'est le nouveau qui vous intéresse.
28:03 Vous avez employé le terme qui m'a un peu frappée de « revitaliser ». Est-ce que
28:07 vous pensez qu'il y a quelque chose qui est en train de mourir en ce moment et qu'en
28:10 fait, on n'arrive pas à dire de manière assez optimiste, faisons naître quelque
28:15 chose de neuf à partir de ça au lieu de vouloir à tout prix préserver, rester en
28:20 arrière, regretter un passé ?
28:23 Oui, je crois qu'il n'y a rien de pire que la nostalgie.
28:25 Ça peut être beau la nostalgie.
28:28 Je trouve que la mélancolie c'est assez beau, la nostalgie j'ai plus de mal.
28:31 Mais en dehors de ce conflit sémantique, je dirais que le…
28:40 Oui, moi j'ai grandi dans un monde qui s'appauvrit.
28:43 J'ai l'impression que la biomasse s'effondre.
28:45 C'est pas une religion, c'est des faits.
28:52 C'est des faits et on le sait aujourd'hui.
28:54 Je trouvais ça intéressant de proposer non pas un énième récit fataliste ou post-apocalyptique
29:00 avec des personnages qui tirent des caddies au milieu d'un désert venteux.
29:04 Je me suis dit que c'est plus intéressant de proposer l'inverse, de se dire que dans
29:08 ce monde-là, la mutation va créer autre chose, va d'un coup nous obliger à faire
29:13 face à la diversité, à une prolifération de vie.
29:16 Et qu'est-ce qu'on fait avec ça ? Comment on l'accueille ? Est-ce qu'elle nous terrorise
29:20 ou est-ce qu'on lui ouvre les bras ?
29:21 Je trouvais que c'était joyeux comme perspective.
29:25 On parle très souvent aujourd'hui de cette anxiété des jeunes générations, notamment
29:30 vis-à-vis du changement climatique, du dérèglement.
29:32 J'oublie toujours ce terme, c'est "sola-nostalgie" ?
29:35 "Sola-nostalgie" !
29:36 "Sola-nostalgie", voilà, puisqu'on était dans cette idée de nostalgie aussi, pour
29:40 rebondir.
29:41 Il y a dans vos films à chaque fois un portrait de la jeunesse, un portrait d'une génération
29:46 qui est marquée par ces changements, mais qui donne aussi de l'espoir.
29:51 C'est ça aussi l'idée de dire que les jeunes de notre société aussi peuvent nous
29:55 amener des solutions ?
29:56 Oui, absolument.
29:57 Je crois qu'il ne faut pas désespérer de la jeunesse.
30:01 J'ai l'impression qu'ils sont souvent beaucoup plus visionnaires que nous.
30:05 Ils vivent déjà dans le monde d'après.
30:07 Il y a beaucoup de choses qui sont encore à l'état de question ou de débat dans les
30:11 anciennes générations et qui ne le sont plus du tout.
30:13 Que ce soit sur le réchauffement climatique ou plein d'autres sujets.
30:17 J'ai l'impression que leur donner une voix, et qui n'est pas celle de la fatalité,
30:25 c'est ultra important.
30:27 Sur ce terme de revitalisation, vous apportez aussi celui d'adaptation.
30:32 On est vraiment là dans un lexique, on revient sur des mots, sur un lexique presque d'évolution
30:39 naturelle.
30:40 Comment on peut s'adapter ? Comment on peut accueillir l'autre ? Comment l'autre n'est
30:42 pas l'autre, mais peut devenir une partie de nous-mêmes ?
30:45 Est-ce que le terme d'adaptation peut aussi être un peu problématique ?
30:50 Parce que c'est aussi un terme qui est beaucoup utilisé par le néolibéralisme.
30:54 Toujours s'adapter, toujours suivre les nouvelles, être de plus en plus flexible.
30:57 Comment vous avez peut-être joué avec ce terme-là, qui est quand même assez ambigu
31:03 dans notre monde ?
31:04 Je crois que s'adapter, ça veut dire aussi à un moment changer d'avis quand on voit
31:09 qu'on n'a pas le bon cap.
31:10 Le néolibéralisme, c'est une espèce de flexibilité d'esprit qui permet de ne rien
31:15 changer à tout ce qui est fondamental en essayant de faire croire à des petits bouleversements
31:20 qui sont à chaque fois des sauts de puce, mais on est tout le temps dans le même train
31:24 et on fonce dans le mur exactement à la même vitesse.
31:27 Donc, je pense que l'adaptation des personnages dans le film, c'est...
31:32 Si on prend par exemple l'exemple de François, il change complètement de logiciel entre
31:38 le début de l'histoire et la fin de l'histoire, il passe d'un instinct de protection et presque
31:42 de déni, d'inhibition, à quelque chose qui est un regard de...
31:48 Comment dire ?
31:50 Une relation de partage, d'écoute, de compréhension, d'entraide.
31:54 Donc, c'est totalement autre chose.
31:55 Donc, j'ai l'impression qu'il faut être peut-être plus radical dans l'adaptation.
32:00 Sur cette idée d'espoir aussi, vous pensez que dans le cinéma aujourd'hui, ou dans
32:05 d'ailleurs toutes les autres créations que l'on peut voir, on ne montre pas assez ce
32:11 nouveau monde possible, cette idée un peu de...
32:14 Pour rester positif, effectivement, là, vous nous donnez presque une solution.
32:20 En tout cas, le spectateur s'interroge sur "Et moi, qu'est-ce que j'aurais fait dans
32:25 cette situation-là ?"
32:26 Oui, voilà, je crois que c'est plutôt une question qu'une solution.
32:28 D'ailleurs, le film...
32:29 Je ne vais pas spoiler quoi que ce soit, mais la fin est ouverte, je crois.
32:33 Je pense qu'on a différents instincts humains face à cette situation, différentes convictions,
32:41 différentes façons d'agir.
32:42 Et je pense que c'est ça qui est beau, d'ailleurs, en l'être humain.
32:48 C'est qu'il y a à la fois cette faculté d'adaptation et puis il y a sa morale, quoi.
32:53 Il y a sa façon de son libre-arbitre.
32:55 Donc, non, moi, j'essaie de ne pas trancher.
32:59 Mais en tout cas, je suis un naturel optimiste.
33:01 Je pense qu'il est encore temps de prendre des décisions.
33:06 Est-ce que vous pensez qu'un film comme le vôtre, Thomas Caillé, ça peut faire changer,
33:11 en fait, justement ?
33:12 Est-ce que ça peut avoir un impact où l'art reste un plus, une aide, mais ne pourra jamais
33:20 être aussi forte que des discours politiques, que des prises de décision politiques, qui
33:27 devraient peut-être avoir cours ?
33:28 À court ou à moyen terme.
33:29 Je pense qu'effectivement, l'action politique, l'action publique, c'est ça qui change le
33:34 monde.
33:35 Après, la fiction, l'écriture, ça travaille quelque chose de plus long, sur le plus long
33:40 terme.
33:41 C'est la fabrication des mythes, en fait.
33:43 Il y a un texte que j'encourage tout le monde à lire d'une autrice américaine qui s'appelle
33:47 Ursula Le Guin, qui parle de ça.
33:49 Elle dit que, je vais essayer de le faire court, mais elle raconte que probablement
33:56 à l'origine de l'humanité, le premier outil qu'on a inventé, c'était probablement le
34:01 panier.
34:02 Et que la lance est arrivée dans un deuxième temps.
34:06 Mais la première histoire, c'est celle du panier.
34:07 Le panier, il permet de collecter, il permet de réunir.
34:10 La lance, elle permet de détruire, elle permet de tuer.
34:12 Et un soir, à la lumière d'une lampe à l'huile de yak, on se serait raconté des histoires.
34:20 Qu'est-ce que tu as fait aujourd'hui ? J'ai cueilli ceci, j'ai cueilli cela.
34:22 Et puis un jour, quelqu'un a raconté cette histoire de la lance.
34:24 Cette histoire de chasse, elle a passionné tout le monde.
34:27 Aujourd'hui, il n'y a pas de scène de cueillette sur les parois des grottes.
34:30 Il n'y a plus que des scènes de chasse.
34:31 Et cette histoire de la lance, qu'elle appelle Ursula Le Guin, l'appel d'Histoire qui tue,
34:35 elle a façonné tous les mythes d'aujourd'hui.
34:37 Et ça va jusqu'à la bombe atomique.
34:38 Donc peut-être qu'il y a une histoire du panier à réinventer et qui pourrait ancrer
34:44 un nouveau mythe, qui serait celui de la cohabitation avec nos semblables, déjà, pour commencer.
34:52 Peut-être au-delà de ça.
34:53 En tout cas, on n'est peut-être pas obligé de se diriger toujours vers l'Histoire qui tue.
34:56 Donc vous faites un film panier ?
34:58 J'espère que j'ai fait un film panier.
35:00 J'en suis pas sûr, il faudra me le dire.
35:02 Mais j'espère que j'ai fait un film panier.
35:03 Et ce film s'appelle Le Règne animal.
35:06 Il sort demain dans les salles avec au générique, on l'a dit, Romain Duris, Paul Kircher, Adèle
35:10 Exarchopoulos et Tom Mercier notamment.
35:13 Merci beaucoup, Thomas Caillet.
35:15 Merci à vous.
35:16 D'être venu nous parler de votre film dans les médias de culture.
35:18 Pour terminer, vous avez une dernière mission.
35:21 Vous devez faire un choix.
35:22 On vous propose un choix musical, surprise, entre l'oiseau ou le loup.
35:27 Entre une chanson.
35:28 Vous voyez, c'est une chanson.
35:29 J'ai dit un choix musical.
35:30 Vous voyez, un choix musical, souvent c'est une chanson.
35:33 Le loup ou l'oiseau ?
35:35 Allez, l'oiseau.
35:36 Fait comme l'oiseau, sa vie d'air pur et d'eau fraîche.
35:57 Un oiseau, d'un peu de chasse et de pêche.
36:03 Un oiseau, mais jamais rien ne l'empêche.
36:09 L'oiseau, d'aller plus haut.
36:13 Mais je suis seul dans l'univers.
36:16 J'ai peur du ciel et de l'hiver.
36:19 J'ai peur des fous et de la guerre.
36:22 J'ai peur du temps qui passe.
36:24 Dis, comment peut-on vivre aujourd'hui ? Dans la fureur et dans le bruit ?
36:30 Je ne sais pas, je ne sais plus, je suis perdu.
36:35 Fait comme l'oiseau, sa vie d'air pur et d'eau fraîche.
36:43 Un oiseau, d'un peu de chasse et de pêche.
36:49 Un oiseau, mais jamais rien ne l'empêche.
36:55 L'oiseau, d'aller plus haut.
37:00 Vous avez donc reconnu Michel Fuguin, fait comme l'oiseau.
37:02 Merci beaucoup Thomas Caillé d'être venu dans les Medi-Culture.
37:04 Une émission qui se fait préparer tous les jours par Aïssa Touendeuil,
37:07 Anna Isisberg, Cyril Marchand, Zora Vignier, Laura Dutèche-Pérez et Manon Delastel.
37:11 L'émission est réalisée ce midi par Louise André et à la prise de son, Timothée Hubert.
37:16 Merci Géraldine.
37:17 A demain Nicolas.
37:18 Je n'y crois pas.

Recommandée