Le journaliste Mikaël Corre a passé une année en immersion au commissariat de Roubaix. De cette expérience relatée dans La Croix, il en publie aujourd'hui un récit dans "Le Central" (Bayard). Il est l'invité de 9H10.
Retrouvez "L'invité de Sonia Devillers" sur
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10
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00:00 Et 9h08, Sonia De Villere, votre invité journaliste, il a passé un an au Commissariat
00:05 Central de Roubaix.
00:07 C'est là que travaillaient Manon, Paul et Steven, policiers âgés de 24 à 25 ans,
00:13 ces trois policiers à qui la France rendra un hommage national.
00:17 Bonjour Michael Khor.
00:18 Bonjour.
00:19 Vous êtes journaliste au quotidien La Croix, ce reportage au long cours, un an passé en
00:23 immersion au Central.
00:25 Vous l'avez d'abord publié dans La Croix et aujourd'hui c'est devenu un livre qui
00:29 paraît chez Bayard.
00:30 Ces trois policiers sont arrivés juste après votre départ.
00:34 On imagine la puissance du choc qui s'abat sur un commissariat quand meurent sur le coup
00:43 trois policiers à peine sortis de l'école de police.
00:46 Oui, ce drame, cet accident de la route, puisque d'après les premiers éléments communiqués
00:51 par la procureure, ils auraient été percutés par une voiture de plein fouet.
00:55 En fait, ça actualise et ça concrétise une idée que j'ai essayé de développer,
01:00 c'est l'omniprésence du rapport à la mort quand on est dans un commissariat.
01:03 Alors là, c'est la mort réelle, mais c'est évidemment la mort aussi à laquelle
01:08 sont confrontés les collègues de ces trois jeunes, mais aussi la mort que l'on constate
01:13 parce que souvent sur ces scènes, que ce soit des accidents ou des suicides, on en
01:17 parle beaucoup, les primo-arrivants sont des policiers.
01:19 Là en l'occurrence, le primo-arrivant c'est un policier roubaisien qui n'était pas
01:23 encore en service, c'était sa route pour aller au travail.
01:26 Et puis il y a aussi tous les policiers qui ont travaillé sur l'enquête.
01:29 Alors heureusement, ce ne sont pas des policiers de Roubaix, ce sont des policiers de Lille,
01:32 étant donné la dimension géographique.
01:34 Et puis évidemment, on n'allait pas saisir le commissariat de Roubaix là-dessus, mais
01:37 la police technique et scientifique qui a fait les relevés, etc.
01:40 Et en fait, durant cette année, j'ai eu la chance de ne pas vivre de drames comme
01:46 celui-ci lorsque j'étais à Roubaix, mais voir cette omniprésence de la mort, c'est-à-dire
01:51 les découvertes de cadavres, les autopsies, j'ai pu voir la première autopsie d'un
01:55 jeune de 25 ans, la mort qu'il faut annoncer aux familles aussi, parce que là il y a les
01:58 trois policiers qui ont trouvé la mort, mais il y a aussi le conducteur d'en face, son
02:03 passager, etc.
02:04 Ça sur les morts qu'il faut annoncer.
02:05 - C'est-à-dire dans ces séquences d'autopsies que vous racontez, en détail, puisque c'est
02:12 la police vue à hauteur d'homme, votre travail, donc vous n'épargnez aucun détail, vous
02:17 dites "il y a un moment où vient le mort de trop".
02:19 - Oui, moi ce que je voulais faire comprendre, c'était ce qu'une psy de la police m'avait
02:24 dit, c'est vraiment ce moment où les experts, parfois, ils ont une petite phrase qui vous
02:29 fait comprendre ce que vous voyez, qui vous donne la clé.
02:32 Elle me disait "en fait, ce rapport omniprésent à la mort, il est effractant pour le psychisme".
02:35 Comme si en fait, ils venaient cambrioler le psychisme des policiers.
02:39 Puis il y a notamment un policier qui me raconte, alors il est au CAR, c'est ce service qu'on
02:42 connaît mal dans un commissariat, ce sont les urgences judiciaires.
02:45 Et dès qu'il y a une découverte de cadavres, c'est eux qui se déplacent.
02:48 Et il y a un jour, un policier qui me dit "j'arrive devant la maison et puis je vois
02:54 à l'intérieur, par l'embrasure, une famille, une femme qui est pleurée, etc.
02:58 Et là, je n'ai pas pu entrer.
02:59 Il a fallu qu'ils changent de service, etc.
03:02 Pour un autre, ça a été une autopsie où c'était un jeune enfant qui avait le même
03:06 pyjama que son fils.
03:07 Voilà, vraiment ce mort de trop.
03:09 Mais je pense qu'il y a quelque chose de plus large, c'est aussi la mort potentielle,
03:13 sa mort potentielle, la mort de son collègue, etc.
03:15 Qui au bout d'un moment, fabrique des policiers polytraumatisés.
03:19 On écoute Frédéric Vaud, directeur de la police nationale.
03:22 Nos trois collègues décédés aujourd'hui étaient des policiers jeunes, volontaires,
03:27 enthousiastes, comme celles et ceux que nous avons l'habitude de rencontrer à l'occasion
03:31 des cérémonies de sortie d'école de police.
03:34 Et c'est vraiment pour nous une tragédie totale de subir ce que nous subissons aujourd'hui.
03:42 Et je veux vraiment dire à tous, ici à Roubaix, à quel point toute la communauté police
03:49 nationale est engagée pour les soutenir dans l'épreuve et aussi dans tout le travail
03:54 difficile qu'ils conduisent ici à Roubaix avec beaucoup de courage, de détermination
04:00 et d'indégation.
04:01 - Michael Khor, dans ce livre que vous publiez sur le commissariat de Roubaix, sur cette
04:07 année que vous avez passé en immersion, vous avez eu l'autorisation d'assister à
04:13 des auditions, à des interrogatoires.
04:15 Et vous assistez à un interrogatoire qui va très très mal tourner.
04:20 C'est-à-dire que le gardé a vu au moment où il doit être ramené, va tenter de s'évader,
04:26 il y a un coup de feu qui va être tiré et il y a un jeune flic qui va manquer de mourir
04:31 ou qui aurait pu être blessé.
04:32 Et vous racontez justement l'état de choc qui suit le lendemain où tous les policiers
04:37 quel que soit leur âge, quel que soit leur grade, se regroupent et discutent du moment
04:41 où ça est arrivé dans leur carrière.
04:43 - Oui, la voiture s'était avancée devant le portail qui à Roubaix était un jour sur
04:49 deux dysfonctionnel.
04:51 Et puis le gardé a vu, s'était échappé de la voiture, il avait réussi à se démenoter
04:54 parce qu'il avait les poignets très fins.
04:57 Et puis il avait réussi à se saisir dans la bagarre d'une arme.
05:01 Et c'est vrai que le jeune policier, j'ai eu l'occasion de tourner après avec lui,
05:05 c'était assez imperceptible parce qu'il y a aussi quelque chose dans la police,
05:08 il y a une sorte de tabou des émotions.
05:10 Que ce soit la peur, la peur de la mort, mais aussi parfois la peur de son arme, la peur
05:14 de donner la mort, la gestion de l'adrénaline.
05:17 On pourrait évidemment parler de plein de sujets à partir de cette question des émotions.
05:21 Et il y avait en fait, ce qui m'avait beaucoup marqué, c'est que tout le commissariat bruisait
05:26 de cette histoire, de cette mort potentielle, de ce danger, mais sans en parler, en en parlant
05:30 de manière détournée.
05:31 On parlait de la taille des menottes, on parlait du fait de mettre son arme dans telle ou telle
05:35 holster, etc.
05:36 Parce que même s'il y a de plus en plus, notamment depuis 1995, de psychologues dans
05:40 la police, il y a encore une culture où parler de ces émotions, revenir sur ces émotions,
05:46 sur ce qu'on a subi, sur ce qu'on a vécu, c'est quelque chose qui peut être difficile.
05:48 Qu'est-ce qu'on appelle l'effet tunnel ? C'est une des premières constatations que vous faites
05:52 sur le terrain et qui vous donne envie justement, précisément, de poursuivre cette enquête.
05:57 Alors ça, c'était un policier qui était formateur de brigade anticriminalité qui
06:01 m'en parle parce que je lui posais plein de questions sur le menottage, sur la clé de
06:05 coup.
06:06 Donc à l'époque, l'étranglement, à ce moment-là, l'étranglement était encore autorisé, la
06:09 clé de coup.
06:10 Puis à un moment donné, il m'amène sur une sorte de tatami et puis il me dit "je vais
06:15 te mettre dans la nasse", comme nous on peut l'être parfois.
06:17 Donc il me met des gants de boxe et puis il se met à me taper, etc.
06:20 Il vous matraque le visage.
06:21 Voilà, il me fait entrer dans l'effet tunnel.
06:23 Et en fait, l'effet tunnel, m'explique-t-il, en tout cas, c'est comme ça que moi aussi
06:27 j'ai pu un peu le vivre à Minima.
06:29 C'est vraiment ce moment où le champ de vision se rétrécit et où les seuls gestes
06:33 que va accomplir un policier sont des gestes réflexes.
06:36 Donc évidemment, il va le faire avec ce qu'il a entre les mains, c'est-à-dire un taser,
06:39 c'est-à-dire un LBD, c'est-à-dire son arme de poing, etc.
06:42 Et à ce moment-là, en fait, ce qui fera son action et ce qu'il va faire, c'est les décisions
06:47 qu'il aura prises dans les secondes auparavant et qui vont tenir à quoi ? À sa formation,
06:54 à sa déontologie, etc. à son entourage aussi, aux conseils de personnes, d'autres policiers
06:59 qui avaient peut-être un champ de vision plus large.
07:01 Et ce qui est très intéressant, c'est que là, ça va me permettre de comprendre une
07:03 chose, c'est qu'on se focalise beaucoup sur la formation initiale des policiers.
07:06 Elle ne serait pas assez longue, etc.
07:08 Moi, ce que j'ai vu, c'est des jeunes fonctionnaires qui arrivent en école de police, qui ne sont
07:12 pas si mauvais.
07:13 En tout cas, c'est ce que j'ai pu constater pendant cette année.
07:15 Par contre, j'ai vu quand même un besoin, un petit peu comme des pilotes d'avion, des
07:19 policiers qui auraient besoin d'être recyclés, c'est-à-dire sortir du commissariat deux,
07:24 trois jours par an pour justement réapprendre la technicité des gestes et puis aussi la
07:28 gestion des émotions.
07:29 Et vous racontez aussi que dans le premier reportage que vous publiez, vous avez probablement
07:37 mal anonymisé un gardien de la paix, c'est-à-dire un jeune policier très, très peu gradé
07:43 de premier niveau, qui déconnait complètement, qui était sur la voie publique, qui ramenait
07:49 de plus en plus d'outrages à la rébellion.
07:52 On sent très bien que c'est un mec qui joue aux cow-boys, qui s'en vante sur les réseaux
07:55 sociaux et qui va finir par être rappelé à l'ordre.
07:58 Et il se reconnaît dans votre reportage.
08:00 Et il vous dit mais au fond le problème, c'est que où est l'encadrement ? Quand est-ce
08:04 qu'on m'a rappelé à l'ordre ? Quand est-ce qu'on m'a dit les choses en face ? Et vous,
08:07 vous dites, ben oui, mais des encadrants, il y en a très peu en réalité.
08:10 Simplement d'un point de vue quantitatif.
08:12 À Roubaix, quand j'y étais, il y avait un taux d'encadrement de 7%, c'est-à-dire qu'il
08:16 y avait très, très, très peu de commandants pour le nombre de fonctionnaires.
08:20 Ce jeune qui a été reconnu sur les réseaux sociaux, je lui ai laissé la parole aussi
08:26 dans le livre, parce qu'on a pu discuter après cette mauvaise anonymisation.
08:31 Et ça m'a permis aussi de comprendre.
08:33 Il m'a expliqué le contexte dans lequel il avait commencé à déraper.
08:36 Par exemple, il avait fait des contrôles hors service avec un ami pompier, etc.
08:42 Hors service, c'est-à-dire sur son temps libre.
08:44 Sur son temps libre, c'est ça.
08:45 Donc, il m'avait expliqué le contexte personnel dans lequel il a pu faire ça.
08:49 Effectivement, ce manque d'encadrement, moi ce que j'ai pu observer, c'est que des encadrants
08:52 sur le terrain, ça change tout.
08:54 Notamment, c'est l'un des problèmes de certaines unités parisiennes qui sont très
08:57 jeunes et qui restent très jeunes.
08:59 Où il n'y a pas d'encadrant pour justement…
09:01 Moi, j'ai vu des chefs BAC qui me racontaient, à un moment donné, dans une manifestation
09:05 par exemple, un jeune qui partait tout droit, justement l'effet tunnel, pour interpeller
09:10 quelqu'un qui avait sans doute vraisemblablement commis une infraction.
09:13 Mais là, il perdait de vue le fait que son action allait peut-être causer plus de dommages
09:17 qu'elle n'allait en réparer.
09:18 Et le chef BAC qui le récupérait et qui lui disait "tu vas comme avec un enfant,
09:22 tu vas dans la voiture pendant une demi-heure et puis tu reviendras quand tu seras calmé".
09:25 En fait, cet encadrement-là, donc là on est sur de la pure gestion des émotions,
09:28 il est important.
09:29 Et il est aussi important parce que quelqu'un qui a de l'expérience, et notamment une
09:33 expérience au niveau judiciaire, donc des gens, c'est aussi quelqu'un qui va se
09:37 dire "ok, peut-être que là, cette interpellation, on ne va pas insister, ça mènera à rien,
09:41 peut-être qu'on va plutôt mobiliser nos forces sur telle autre opération parce qu'elle
09:46 sera plus importante".
09:47 Et ça, c'est l'expérience.
09:48 Il est 9h18, vous écoutez France Inter, Michael Kors, journaliste à la Croix, est
09:52 mon invité.
09:53 Je vous rappelle qu'il a passé un an dans ce commissariat de Roubaix, dont trois jeunes
09:56 policiers viennent d'être tués dimanche matin.
09:58 Beaucoup trop d'herbe dans ce jouet hindouïde, même le plus fort des hommes est loin d'être
10:21 invincible, et je me demande si on n'approche pas, la perfection, on accepte tant qu'on
10:26 l'ait pas.
10:27 Angine, ou survête noire d'Arsenal, salut des gens qui portent bien plus qu'un seul
10:30 masque, nos émotions sont réduites au néant.
10:33 Tu pensais être quelqu'un, t'es qu'une larme en plein milieu de l'océan, forcément,
10:37 y'a des requins dans leur camp, je le ressens, je suis différent.
10:39 Hier, ça jouait contre moi, aujourd'hui c'est une force de pas rentrer dans les rangs,
10:43 je resterai toujours tolérant.
10:44 Des âmes sensibles au bord du suicide, des invisibles qui ont du mal à trouver leur
10:48 place.
10:49 Le monde est petit et qu'aujourd'hui c'est comme un sas.
10:56 Est-ce, devenir celui que je dois être ? Est-ce, devenir celui que je dois être ? Est-ce,
11:08 devenir celui que je dois être ? Est-ce, devenir celui que je dois être ?
11:14 Beaucoup trop d'alcool dans le verre en plastique, même la plus forte des femmes est loin d'être
11:18 invincible.
11:19 Et je me demande si on n'approche pas, hein, vu le savoir.
11:22 En sachant qu'on sait rien, toi et moi c'était bien, mais bien c'est pas suffisant.
11:25 Il nous faut que des grands moments, des surprises à chaque jour, donc désolé pour ces larmes
11:30 qui ont coulé sur nos joues.
11:31 Demain tu m'en voudras plus, t'auras que des meilleurs jours, tout cela à ce qu'on
11:34 parait, donc on vit sous pression parfois.
11:36 Pour monter haut c'est vrai qu'on doit toucher le fond, tu peux pas gagner sans accepter
11:39 que tout s'effondre.
11:40 Mille jours pour construire, puis tout peut brûler en quelques secondes.
11:43 Si c'était si simple que ça, on aurait tous des vies de fous, des sourires sur nos
11:46 lèvres, déjà abîmés par le froid.
11:48 Laisse-moi mes jambes et change le monde, je répondrai à mes questions avec de multiples
11:52 réponses.
11:53 Etre, devenir celui que je dois être.
11:58 Etre, devenir celui que je dois être.
12:02 Etre, devenir celui que je dois être.
12:07 Etre, devenir celui que je dois être.
12:14 Et voilà Giorgio, Etre.
12:18 France Inter, le 7 9 30, l'interview de Sonia De Villers.
12:23 Sur ces photos, les cellules sont pleines de moucherons, des déchets bouches et sanitaires,
12:27 mais ce qui a marqué le plus cette avocate, venue pour une visite surprise, c'est l'odeur.
12:32 On a observé un état déplorable, des conditions vraiment indignes de garde à vue, avec des
12:37 locaux qui n'étaient ni ventilés ni aérés, avec également une douche avec des extraments
12:42 par terre.
12:43 Les policiers eux-mêmes en sont conscients et sont aussi résignés.
12:46 Il faut savoir que toute l'électricité à terre fer, il y a pour plus d'un million
12:49 d'euros en devis, qui pour l'instant on peut encore accepter.
12:52 Il y a tout le système incendie qui n'existe pas actuellement à Roubaix.
12:57 Ça pose beaucoup de problèmes, c'est vrai que travailler à Roubaix, c'est pas évident.
13:00 Dès qu'on arrive, déjà les conditions de travail sont pas bonnes, en tout cas, et
13:04 optimales pour un fonctionnaire de police, pour qu'il soit bien dans sa tête.
13:06 Un reportage signé de nos confrères de BFM Lille de juillet 2022.
13:11 Mon invité s'appelle Michael Khor, il publie le Central chez Bayard.
13:14 Il avait publié ce long reportage en immersion au commissariat de Roubaix auparavant dans
13:21 La Croix.
13:22 Et d'ailleurs, dès le départ, c'est une volonté affichée de ne pas faire de ce commissariat
13:26 de Roubaix un décor de cinéma.
13:28 Donc la puanteur, la merde séchée dans les geôles et dans les cellules des gardés à
13:34 vue, vous les racontez.
13:35 Oui, ce qui m'a marqué, c'est que ce qu'on a entendu dans le reportage, c'est souvent
13:40 des avocats ou des associations qui viennent et qui constatent l'état des geôles.
13:46 Et en l'occurrence, à Roubaix, elles sont quand même régulièrement absolument immondes.
13:50 Mais ce que moi, j'ai pu constater, c'est aussi ces associatifs parfois qui prennent
13:54 le premier policier venu, en l'occurrence le geôlier, donc qui est ce policier qui
13:59 est dans ce petit bureau en plexiglas avec un regard panoptique sur toutes les cellules.
14:04 Et vous, vous faites plusieurs portraits de geôliers.
14:05 Parce que pour le coup, voilà des flics dont on connaît très mal le métier et dont on
14:09 n'entend jamais parler.
14:10 Et voilà, je le dis, c'est mon policier préféré.
14:12 Je vais vous expliquer pourquoi.
14:13 Et souvent, ces associatifs, en fait, elles s'en prennent au geôlier comme s'il était
14:16 responsable au nom de toute la police de l'état de ces geôles.
14:20 Alors qu'en fait, le geôlier, c'est ce police secours.
14:22 Donc, c'est exactement les mêmes missions que les trois jeunes qui sont décédés dans
14:26 l'accident de voiture, qui, en fait, alternativement, sont sur la voie publique et puis sont dans
14:30 les geôles à garder les gardés à vue.
14:34 Et en fait, ce qui est intéressant, c'est qu'ils vivent totalement les conditions de
14:38 vie des gardés à vue.
14:39 Ils ne sont évidemment pas en cellule, mais ils doivent manger à cet endroit là.
14:42 Ils ont aussi beaucoup de pression parce qu'il ne faut pas les perdre parce que des évasions
14:45 existent.
14:46 Ils sont insultés en permanence, menacés en permanence.
14:49 Ils vous racontent qu'ils se sentent les pulapices du commissariat, les moins que rien
14:54 du commissariat.
14:55 Pulapice, c'est normalement un terme fleuri qui est utilisé par certains policiers pour
14:59 qualifier les zadistes et les militants d'extrême gauche.
15:02 Donc là, c'est un policier qui l'utilisait pour lui-même en tant que geôlier pour dire
15:06 voilà, on est en bas de l'échelle alimentaire.
15:08 Et là, ce que je trouve assez intéressant, c'est que...
15:09 - Les flics, ils appellent les zadistes les pulapices.
15:12 - Exactement.
15:13 Et ça, j'ai pu l'observer.
15:15 Et moi, quand on me demande maintenant comment mesurer l'action de la police, je réponds
15:19 souvent.
15:20 Mais parce que je trouve que c'est intéressant, il faudrait mettre, comme dans les aéroports,
15:23 vous voyez, les petites choses pour dire si on est content ou pas content, la sortie
15:26 des toilettes, il faudrait faire pareil à la sortie de la gare des vues.
15:28 Parce qu'en fait, un bon geôlier, un geôlier qui est calme, qui a une sorte de langage
15:33 corporel, qui est capable de faire descendre un schizophrène en rupture de traitement,
15:37 qui est capable de faire se calmer une personne alcoolique qui vient de casser un abribus
15:42 avec sa tête.
15:43 Parce que c'est quelqu'un qui...
15:45 C'est du service public, en fait.
15:47 C'est quelqu'un qui fait que dans les geôles, ça va bien se passer, ça va s'apaiser.
15:51 Les situations ne vont pas partir à volo.
15:54 Et moi, j'ai vu des situations partir dans des niveaux de violence absolument incroyables.
15:57 J'ai vu une femme aller jusqu'à réussir à casser la porte de sa cellule.
16:01 Ça a fini avec un taser sortie, etc.
16:03 Mais un bon policier qui a ce regard humain...
16:06 - Et K.L.Corp, vous avez vu aussi des jeunes, voire des très jeunes, arriver en garde à vue.
16:13 Il y a eu aussi, il y a quelques jours, une excellente enquête dans Le Monde sur l'âge
16:18 de plus en plus jeunes des petites mains du trafic de drogue dans les quartiers nord de Marseille.
16:24 12, 13 ans, parfois, interpellés par la police.
16:26 Vous avez fait récemment un reportage au Monde qui raconte la même chose.
16:30 C'est-à-dire cette extrême jeunesse d'une délinquance qui arrive dans les commissariats
16:34 et les problèmes que ça pose.
16:35 - En fait, les rues de Roubaix, le soir, c'est vraiment un livre de Dickens.
16:39 La raison, c'est que dans cette ville de 100 000 habitants, il y a 75 points d'île.
16:43 C'est-à-dire que Roubaix est globalement cet endroit-là.
16:46 Et l'île sud, c'est l'un des points d'entrée de drogue venue des Pays-Bas
16:51 et qui va alimenter tout le quart nord-est de la France.
16:53 Ça, c'est pour le contexte.
16:55 Et ensuite, les réseaux de trafic en drogue, en fait, ils utilisent notre option préférentielle
17:02 au niveau judiciaire, pour l'éducatif, au niveau des mineurs, pour en fait mettre des mineurs
17:07 à vendre et à guetter en bas des points d'île et notamment des mineurs précaires.
17:12 Donc moi, j'ai rencontré énormément de gamins sortis de l'ASE, l'Aide sociale à l'enfance
17:16 ou des mineurs non accompagnés.
17:17 Là, c'était pas à Roubaix, c'était au Mans.
17:19 Mais on avait vu sur les points d'île avec ma collègue Marie Boéton avec qui on a travaillé.
17:22 - Des mineurs non accompagnés, c'est quoi ? C'est des migrants ?
17:24 - C'est des migrants.
17:25 Là, c'était un jeune afghan de 16 ans qui était en formation sur un point d'île.
17:29 Et en fait, on se retrouve, ce qui est intéressant, c'est que le commissariat de Roubaix, mais
17:34 c'est comme ça dans tous les commissariats, concentre toutes ces problématiques sociales
17:38 qu'on n'arrive pas à gérer par ailleurs.
17:39 Donc tous ces mineurs, en fait, ils se retrouvent une fois interpellés.
17:42 Alors pourquoi ? Parce qu'ils ont commis un outrage, ils ont insulté le policier qui
17:45 passait, etc.
17:46 Ils se retrouvent avec des gamins, je me souviens de deux gamins de 14 et 16 ans qui avaient
17:52 été interpellés à 23h45.
17:53 Donc ils arrivent au CAR, qui sont ces urgences judiciaires.
17:57 L'officier de police judiciaire du CAR prend son téléphone et appelle le parquet pour
18:01 trouver une solution pour ces gamins qui sont mineurs, qui sont dans les rues, on est en
18:04 pleine semaine, ils n'ont rien à faire là, etc.
18:06 Au parquet, on essaie de trouver un peu une solution.
18:09 Alors en fonction des départements, ça change, mais normalement, ce serait à l'État, donc
18:14 par différentes structures, de venir les chercher, de les amener dans un foyer, etc.
18:17 Ils ne peuvent pas rester dans les rues.
18:18 Sauf qu'il n'y a personne pour venir les chercher.
18:20 Ils ne vont quand même pas dormir au commissariat parce qu'on ne va pas les placer en gardé
18:23 à vue, il n'y a pas matière.
18:24 Et du coup, je revois ces deux gamins qui partent et c'est un policier qui me dit "mais
18:28 viens voir, viens voir les deux gamins qu'on a embarqués tout à l'heure, regarde-les".
18:30 Et on voit deux gamins de 14 et 15 ou 16 ans qui partent comme ça dans la nuit, tout
18:34 seul dans les rues.
18:35 Et le policier qui me dit "on n'a pas de solution en fait".
18:38 - Alors vous avez mis des mois à obtenir la confiance de ces hommes et ces femmes qui
18:45 peuplent le commissariat de Roubaix.
18:47 Vous n'étiez pas forcément le bienvenu, même si vous avez eu l'autorisation.
18:51 Vous avez choisi d'anonymiser et les garder à vue et les flics en exercice, à l'exception
18:58 du commissaire divisionnaire dont le nom est public.
19:01 Est-ce que c'est ce qu'on appelle du journalisme embarqué ?
19:03 - Alors c'est du journalisme autorisé en tout cas.
19:07 J'ai mis deux ans à obtenir ces autorisations parce qu'il fallait les obtenir côté ministère
19:11 de l'intérieur, côté police, mais aussi côté justice.
19:15 En fait, pourquoi j'ai demandé ces autorisations ? Déjà parce que des immersions police,
19:20 en se faisant passer pour un policier ou en devenant policier, ça a déjà été fait.
19:24 - C'est-à-dire que l'année dernière, il y a eu le livre de Valentin Gendreau qui est
19:27 paru aux éditions de la Goutte d'Or qui s'appelait "Flics".
19:29 Donc immersion, infiltration dans un commissariat.
19:31 Il s'est fait passer pour un faux flic.
19:33 Méthode qui a été énormément décriée et résultat, il se retrouve aujourd'hui témoin
19:37 assisté dans des affaires de faits de violence, de faux et d'écriture de faux.
19:41 Parce qu'il a assisté à des dérives extrêmement graves.
19:43 Mais il y a assisté sous couvert d'être un flic.
19:46 - Disons-le clairement, une méthode, ça permet de voir des choses différentes.
19:49 - Sa méthode lui a permis de voir des situations de violence.
19:51 Et on peut imaginer que moi, c'est arrivé que des policiers refusent de tourner avec
19:56 moi et dans ce cas-là, parce qu'ils savaient que j'étais journaliste, dans ce cas-là,
19:58 je n'ai pas tourné avec eux.
19:59 Après, moi, ce que ma méthode permettait de faire, c'était d'avoir accès aux décisions
20:05 qui étaient prises.
20:06 Alors déjà, je tiens quand même à dire qu'il n'y a eu aucune relecture de mon travail.
20:09 Ni côté police, ni côté ministère de l'Intérieur, ni côté justice, etc.
20:12 Et que ça, ça a été deux ans de négociations.
20:14 Ça a été long.
20:15 Mais en fait, j'aurais pu devenir commissaire et passer les concours pour faire cette immersion.
20:20 Parce que j'ai jugé que c'était un petit peu long.
20:22 Parce qu'après, les personnes qui font des immersions en police, en devenant policier,
20:25 ils deviennent gardiens de la paix.
20:26 C'est quand même pas exactement la même chose.
20:28 Moi, je voulais avoir accès aux réunions avec la proc, avec la procureure de l'île.
20:32 Je voulais avoir accès aux discussions avec la préfecture.
20:34 Je voulais par exemple, quand on parle de racisme et de policiers qui harcèlent des
20:39 jeunes, je voulais voir aussi comment la procureure, elle décide "ok, vous allez me harceler
20:42 ce point de deal".
20:43 Et elle prend un 78-2 qui est un article du Code qui permet de regarder l'identité
20:49 des personnes sur un temps donné, dans un quartier donné.
20:51 Je voulais avoir accès aux ordres.
20:52 Qu'est-ce qu'on leur demande ?
20:53 Et ça donne le central et c'est paru chez Bayard.
20:57 Merci Michael Khor.
20:58 Merci.
20:59 Et merci à vous Sonia De Villers.