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L'enquêteur judiciaire Raphaël Nedilko publie "L'obstiné" aux Éditions Studiofact. Il est l'Invité de 9H10.

Retrouvez "L'invité de Sonia Devillers" sur
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10

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Transcription
00:00 Le 7 9 30 sur France Inter.
00:06 Il est 9h08 Sonia De Vilaire. En 2008, votre invité fait son entrée à la police judiciaire de Dijon.
00:13 Il y restera 8 ans et y résoudra les deux affaires de sa vie.
00:18 Bonjour Raphaël Nédilco.
00:20 Bonjour Sonia De Vilaire.
00:21 Et quand vous arrivez à Dijon en 2008, il y a ce qu'on appelle le triangle de la peur.
00:27 Oui, effectivement, il est question à mon arrivée du quai des Orfèvres de prendre
00:33 connaissance de plusieurs crimes anciens et non résolus que les journalistes ont appelés
00:37 effectivement les disparus de la cis ou le triangle de la peur.
00:40 C'est entre Chalon et Montsolémine.
00:44 Exactement, suivant plus ou moins le tracé de l'autoroute du soleil, l'autoroute à cis.
00:49 Il est question de meurtres de plusieurs jeunes filles assassinées dont les meurtres ne sont
00:53 pas résolus allant de 1986 à 2005.
00:56 Et vous vous expliquez que, comment dire, il y a un piège quand les cas, les "cold
01:03 case" comme on les appelle, ces affaires classées, ces affaires non résolues, abandonnées
01:07 par la justice, s'accumulent.
01:08 C'est l'idée que derrière rôderait un tueur en série.
01:13 Effectivement, c'est un petit peu le réflexe que l'on a de nos jours.
01:18 C'est cette approche très hollywoodienne du tueur en série, à savoir tenter d'expliquer
01:22 que des crimes ne sont pas résolus parce qu'on a fait un tueur en série plus intelligent
01:25 que les enquêteurs.
01:26 C'est ça.
01:27 Vous venez de signer Raphaël Nédilco "L'obstiné" qui sort aux éditions Studio
01:33 Fact.
01:34 Je recommande ce livre, vous l'avez co-écrit avec Catherine Siguret qui est vraiment une
01:38 plume très fiable et très fine connaissance des rouages de la justice.
01:43 Je recommande ce livre parce que c'est vraiment la police vue de l'intérieur.
01:47 C'est vraiment le décodage d'une institution et c'est aussi une quête humaine, profondément
01:53 humaine.
01:54 Quand vous allez vous emparer, parce que le mot…
01:57 C'est exact.
01:58 C'est ça, c'est vraiment vous vous emparer de l'affaire Christelle Maheri.
02:02 Christelle Maheri avait 16 ans.
02:05 Elle n'est pas rentrée déjeuner à la maison.
02:08 Elle a été retrouvée poignardée de 31 coups de couteau.
02:11 Vous vous emparez immédiatement, vous sentez comme une forme de résonance entre cette
02:17 jeune fille disparue il y a 25 ans et vous-même.
02:20 Oui, effectivement, c'est ce que ce livre tente de raconter.
02:22 C'est cette mise à nu de mon propre parcours puisque les policiers sont avant tout des
02:27 êtres humains.
02:28 Et le parcours de cette jeune fille qui a été tuée sans absolument aucune raison.
02:33 Et ça rentre en résonance surtout avec la souffrance d'une famille de victimes qui
02:37 est laissée pour compte très peu de temps après la commission des faits et a le droit
02:41 en tout et pour tout à à peine trois ans d'enquête avant de déboucher sur une ordonnance
02:46 de non-lieu.
02:47 C'est ça, mais ce qu'on comprend aussi, c'est que quand un flic comme vous s'entête
02:51 à résoudre une affaire, il y a aussi comme une sorte de lien intime et fantomatique qui
02:56 se noue entre vous et cette jeune fille, que vous traitez comme une sœur, que vous traitez
03:01 comme une amie.
03:02 Il vous arrive d'aller vous recueillir sur sa tombe.
03:04 Aucun collègue à la PJ de Dijon ne comprend qu'un flic puisse aller se recueillir sur
03:10 la tombe d'une victime.
03:11 Effectivement, parce que je suis confronté à une difficulté qui est celle de l'oubli
03:14 et puis il y a un vide judiciaire sidéral.
03:16 D'autant que les scènes judiciaires ont été détruites de façon totalement inacceptable
03:21 et l'enquête est restée très très longtemps au point mort.
03:24 Donc il a fallu que j'aille puiser dans tout ce que j'avais reçu moi dans mon éducation
03:30 et puis que j'aille puiser dans tout ce que cette famille ressemblait à la mienne pour
03:33 pouvoir trouver la force de continuer.
03:34 Voilà.
03:35 Un deuxième cold case va être rouvert dans cette équipe de Dijon.
03:42 Au départ, vous ne vous en occupez pas personnellement, c'est un collègue qui s'en occupe, mais
03:46 vous allez très vite collaborer.
03:47 Et là, étrange coïncidence, il s'agit aussi du meurtre d'une jeune femme, elle
03:52 s'appelle aussi Christelle.
03:53 Oui, effectivement.
03:54 Christelle Blétry.
03:55 Christelle Blétry assassinée de 123 coups de couteau le 28 décembre 1996 à Blanzy.
04:01 Et là, c'est à partir de là qu'en fin de compte, la mise en marche pour lutter
04:06 contre les cold cases a lieu, puisque la maman de Christelle Blétry, toute sa famille est
04:13 traitée avec beaucoup de dédain par la justice et cela a conduit à la création d'une
04:18 association qui s'appelle l'association Christelle, qui est composée de gens absolument
04:21 formidables qui étaient déterminés à se battre, à se battre par tous les moyens
04:26 pour être l'aiguillon faisant avancer la justice.
04:29 Écoutez les voix de Marie Pichon et de Marie-Rose Blétry qui sont les deux mères de ces deux
04:35 jeunes femmes assassinées.
04:36 Les gens y croient.
04:38 C'est ça l'association 20 ans, moi ça fait 30 ans.
04:41 Au bout de 30 ans, j'ai quand même l'assassinat fique en prison.
04:45 Marie Pichon et Marie-Rose Blétry symbolisent ce qui caractérise l'association Christelle,
04:50 solidarité et ténacité.
04:52 Et même quand la vérité finit par arriver, elle n'enlève rien à la souffrance.
04:56 Nul n'est mieux placé que Marie-Rose Blétry pour décrire cela.
05:00 J'ai beaucoup de colère parce que plus le temps passe et plus c'est douloureux.
05:05 J'étais beaucoup entourée par l'association et elle, elle va déjà être entourée par
05:11 sa petite famille.
05:12 Plus l'association sera là encore pour elle, comme eux, ils ont été pour moi.
05:17 La sororité de ces deux mères au sein de cette association.
05:21 Et on a reçu à ce micro Raphaël Nédilco, Jacques Hiculic, le père d'Élodie Hiculic
05:26 qui s'est battu pendant 20 ans pour connaître l'assassin de sa fille.
05:29 Et à travers son récit aussi, on découvre le poids des associations de parents de victimes.
05:35 Et c'est extrêmement important en réalité dans le rouage entre les flics, les magistrats
05:41 et ces familles.
05:43 Oui, effectivement, on se rend compte que ces affaires ont pu être résolues grâce
05:46 à un alignement de planète.
05:47 Vous avez l'association portée par leurs avocats, Didier Seban et Corine Hermann.
05:52 Vous avez aussi la mise au travail de magistrats formidables, le magistrat d'instruction.
05:58 Et puis, je n'ai été que le fer de lance sur le terrain, mais sans leur action, sans
06:02 leur soutien, je n'aurais absolument rien pu faire.
06:05 J'aimerais que vous nous parliez de ces mères.
06:07 Elles sont très différentes ces mères.
06:09 Mais dans le livre, quand vous les rencontrez l'une et l'autre, ce sont des moments déterminants
06:15 de ce qui va devenir chez vous plus qu'une obstination, une obsession à résoudre.
06:20 D'abord, la maman de Christelle Maheri.
06:23 Oui, je me souviens très bien du jour où je l'ai rencontrée en compagnie de sa fille
06:27 aînée, Pascale.
06:29 D'abord, cette rencontre était nécessaire puisqu'il fallait que je me replonge totalement
06:33 dans la vie de Christelle pour essayer de trouver des éventuels éléments qui auraient
06:36 échappé à mes prédécesseurs.
06:37 Mais surtout, c'était une question de devoir de transparence et puis surtout de leur redonner
06:42 le statut de victime qui leur avait été enlevé.
06:44 Donc, j'ai leur ai...
06:46 Vous vous sentez minable face à elle.
06:48 Pourquoi ?
06:49 C'est même pire que ça.
06:50 C'est-à-dire que je suis investi d'une mission républicaine.
06:54 Je suis porteur d'une carte tricolore, d'une arme de service.
06:57 Mais quand vous êtes confronté à une souffrance empreinte d'une telle injustice, vous n'avez
07:01 aucune légitimité à leur donner des leçons.
07:03 Oui.
07:04 Vous avez face à vous une mère qui a tout oublié de sa fille, comme une sorte de choc
07:10 traumatique.
07:11 Alors, pour vraiment remettre les choses dans leur contexte, Marie a perdu sa fille et
07:16 son père en l'espace de 24 heures.
07:19 Donc, elle assiste aux obsèques de son enfant et de son papa.
07:22 Et de tout ce qui s'est passé ces jours-là, tout est écrasé.
07:26 Donc, sa fille, en plus, on ne lui a pas permis de la voir sur son lit de mort.
07:30 Donc, pour elle, elle est incapable d'en parler.
07:32 Et ça a été très, très dur pour moi de lui rappeler ces moments.
07:35 Voilà.
07:36 Alors que l'autre mère, celle de Christelle Blétry, elle vit hantée, justement, par
07:41 ce moment du meurtre.
07:42 Oui, il est encore très important de marteler le traitement qui lui a été infligé dans
07:47 la façon dont elle est avisée de la disparition de sa fille.
07:50 Elle apprendra le lendemain, par voix de presse, comment sa fille a été tuée.
07:54 Elle apprendra des détails de l'enquête par voix de presse.
07:57 Donc, elle a été vraiment maltraitée.
07:59 C'est le mot qu'il faut souligner par les institutions.
08:02 Alors, Raphaël Nédilco, vous allez vous jeter à corps perdu dans cette première enquête,
08:07 celle de l'affaire Maheri, puis petit à petit dans la seconde enquête, celle de Christelle
08:11 sur le cas Christelle Blétry.
08:13 Et puis, très rapidement, vous vous rendez compte que c'est incompatible avec le quotidien
08:17 d'un policier.
08:19 C'est incompatible.
08:20 C'est très difficile de mener vos investigations sur un col-case alors que le quotidien vous
08:28 déborde déjà.
08:29 Oui, et c'est un travail qui reste à accomplir.
08:32 Quand bien même on a eu la création du pôle de magistrats dédié à Nanterre le 1er mars
08:36 2022, je suis dans un service de poli judiciaire interrégional qui doit gérer une actualité
08:41 brûlante et imprévisible.
08:42 Et les col-cases, ce sont des dossiers en plus dont on ne sait à la limite pas quoi
08:46 faire, mais pour lesquels on a des ordonnances judiciaires et il faut continuer à avancer.
08:50 Donc, il m'arrivait dans mon quotidien d'avoir à gérer en même temps une disparition inquiétante,
08:56 la découverte d'un nouveau-né dans une poubelle ou un féminicide tué par son mari à coups
09:01 de tabouret et continuer à reprendre le flambeau des col-cases.
09:04 Donc, moi je le dis haut et fort, les col-cases doivent être traités par des enquêteurs
09:09 dédiés à cette matière-là.
09:11 Sinon, ce n'est pas possible.
09:12 Parce que c'est aussi la colonne vertébrale de ce livre, c'est l'exaspération qui,
09:16 petit à petit, naît autour de vous, de la part de votre hiérarchie, de la part de
09:20 vos collègues.
09:21 Oui, effectivement, puisqu'il y a toujours cet effet miroir.
09:24 Alors que ce n'était pas dans mon intention primaire d'opposer un jugement de valeur
09:27 de quelque manière que ce soit sur le travail fait par mes prédécesseurs.
09:30 Mais il faut bien reconnaître que si col-case il y a, ça veut dire qu'il y a eu manquement
09:34 dans une enquête.
09:35 Alors, est-ce une insuffisance ? Est-ce un manque ? Ce n'est pas la question.
09:38 La question c'est d'analyser de façon objective le dossier, le reprendre à zéro et le mener
09:43 le plus loin possible.
09:44 Et puis l'obstiner, puisque c'est le titre de votre récit, devient l'emmerdeur.
09:48 Oui, mais c'est dans ma nature, c'est biologique, je n'arriverai pas à me changer.
09:51 Peut-être un emmerdeur.
09:52 Exactement.
09:53 Il est 9h18, vous écoutez France 1 Inter, Raphaël Nédilco est face à moi, ce flic
09:58 obstiné.
09:59 On va voir comment vous allez y perdre beaucoup de vos plumes, de votre couple, de votre vie
10:04 de famille, de votre santé aussi.
10:06 Et puis comment vous allez les alpaguer, ces deux meurtriers.
10:09 La nouvelle est tombée.
10:15 La nouvelle est tombée.
10:23 T'as eu vent.
10:33 T'as eu vent.
10:43 C'est tombé.
10:51 Ça y est, c'est tombé.
10:56 La nouvelle est tombée.
11:02 T'as eu vent.
11:10 T'as eu vent.
11:18 Vous avez eu vent.
11:30 Vous avez eu vent.
11:40 Vous avez eu vent.
11:50 Vous avez eu vent.
12:00 Vous avez eu vent.
12:10 Vous avez eu vent.
12:20 On fait un boulot bizarre quand même.
12:32 On interroge les gens, on fouille dans leurs affaires, on écoute leurs conversations et
12:36 on écrit des rapports, des rapports, des rapports.
12:40 On sait ça.
12:41 On combat le mal en rédigeant des rapports.
12:44 Non, on ne combat rien du tout.
12:45 On n'a pas une pistolite, pas une preuve et on n'est même pas foutu d'avoir une photocopie
12:48 de ce qui marche.
12:49 C'est le combat du bien contre le mal mais avec une photocopie de ce qui marche pas.
12:53 Dialogue de flics, dialogue au cinéma, la nuit du 12 de Dominique Molle qui est sorti
13:00 cette année et vous l'avez vu Raphaël Nédilco ?
13:03 Oui, j'ai eu le plaisir de le voir.
13:05 Et vous m'avez dit pendant le disque "j'ai pleuré".
13:07 Oui, j'ai pleuré.
13:08 Ces histoires de Colcaïs, l'obstiné que je vous recommande qui sort aux éditions
13:14 Studio Fact, c'est votre histoire Raphaël Nédilco.
13:17 C'est une histoire racontée sans concession.
13:20 C'est-à-dire que vous avez perdu beaucoup dans ces enquêtes et vous avez gagné beaucoup.
13:26 D'abord ces liens extrêmement puissants que vous avez noués avec ces mères et ces
13:31 familles qui attendent 20 ans, 30 ans pour connaître ce qui s'est passé la nuit du
13:38 12, la nuit du meurtre évidemment.
13:40 Il va apparaître des suspects.
13:43 Ce qui est très intéressant c'est qu'il va falloir les confronter ces suspects.
13:47 Il va falloir les interroger.
13:49 Vous avez des intuitions, il va falloir prouver.
13:52 D'abord dans l'affaire Maheri, une lettre anonyme fait ressurgir un nom d'un homme
13:58 qui a déjà été en garde à vue il y a des années, qui aujourd'hui est en hôpital
14:02 psychiatrique.
14:03 Vous attendez des mois avant de pouvoir l'interroger.
14:05 Et vous racontez comment vous abordez ces suspects.
14:08 Que c'est que pour vous un interrogatoire ?
14:10 Oui c'est avant tout, avant de procéder à cette audition, tout savoir.
14:15 Absolument tout savoir sur cette personne.
14:17 Effectivement j'attends des mois et des mois avant de pouvoir l'interroger.
14:20 Et je n'attends pas les bras ballants.
14:22 Je profite de cette période pour traverser la France dans tous les sens et essayer de
14:25 retracer le fil de sa vie, tout savoir sur lui avant de lui poser la première question.
14:29 Oui c'est ça.
14:30 Vous dites que c'est un moment extrêmement, humainement extrêmement fort, extrêmement
14:34 tendu parce que l'idée c'est d'obtenir des aves.
14:36 Oui effectivement.
14:37 Et puis j'ai, comme le dispose le Code de dentologie policière, cette façon de traiter
14:41 à égalité aussi bien les familles de victimes que les familles de mises en cause.
14:45 Et il en va de même pour les victimes et les mises en cause.
14:48 Donc je le prends en valeur absolue.
14:50 Je le prends tel qu'il est et j'écoute absolument tout ce qu'il a à me dire.
14:54 Avec les contradictions qui vont apparaître très, très, très rapidement.
14:59 C'est ce qui va faire la différence dans ce dossier effectivement.
15:01 C'est ça.
15:02 Dans l'autre affaire, celle de la famille Blétry, Christelle Blétry, c'est un ADN
15:09 qui est retrouvé.
15:10 Oui alors effectivement, là il est question de scellées judiciaires qui existent toujours.
15:15 Contrairement à l'affaire Maheri où ils ont tous été détruits à la fin des années
15:19 90, il était question avec Elsa Osavi, la magistrate alors en charge du dossier, de
15:27 demander de nouvelles analyses puisque la science avait évolué depuis 2005 et 2007,
15:31 les deux années au cours desquelles les scellées avaient été analysées et n'avaient pas
15:35 permis de découvrir un ADN.
15:36 La science ayant progressé, il était important de pouvoir renvoyer ces scellées à l'analyse.
15:41 C'était coûteux, certes, mais je pouvais me prévaloir d'une avancée significative
15:46 dans un autre colcaise prétendument désespéré pour pouvoir décider les autorités judiciaires
15:51 à faire ce sacrifice financier et ça a apporté ses fruits.
15:54 Et ça a apporté ses fruits.
15:56 Au terme de ces enquêtes, il y aura des procès.
16:01 Mais entre la fin de ces enquêtes et les procès, il y a un flic, celui qui est face à moi,
16:08 vous Raphaël Nélicot, qui s'est littéralement écroulé.
16:11 Oui, parce que reprendre ces dossiers, c'est comme se présenter face à des familles,
16:20 porteurs d'un chèque en blanc signé par un autre que vous et qu'on vous demande d'honorer.
16:25 Donc il en revient à un moment où, face à cette impossibilité de faire simplement
16:28 votre métier de flic, vous vous effondrez puisque vous en arrivez à endosser de façon
16:32 totalement inconsciente la souffrance des gens qui sont en face de vous.
16:36 Donc vous êtes confronté à ce sentiment d'impuissance.
16:38 Moi j'ai eu du mal à partager ça avec mes co-religionnaires, j'ai eu du mal à partager
16:42 ça avec mon entourage, donc avec ma première épouse, dont j'ai fini par me séparer.
16:46 Et puis surtout, c'est que vous vous épuisez, puisque j'ai dû multiplier mon temps de travail,
16:50 y compris sur mon temps personnel, pour pouvoir avancer ces dossiers, puisque je devais traiter
16:55 ces colcaises en plus d'une actualité.
16:57 Et j'ai fini par faire un burn-out.
17:00 Et puis lorsque j'ai renoncé à traiter les colcaises, puisque sur place on ne tirait
17:05 leçon qu'on aurait dû tirer, j'ai changé d'affectation, mais j'ai été rattrapé
17:09 par un infarctus à l'âge de 44 ans.
17:11 C'est ça.
17:13 Et vous quittez Dijon finalement, face à une équipe qui considère que vous avez eu du bol,
17:21 que si ces affaires sont résolues c'est le fruit du hasard, c'est un coup de chance,
17:26 qui a du mal à reconnaître la valeur de votre investissement.
17:31 De la même pour la hiérarchie, c'est-à-dire qu'en réalité vous n'avez pas du tout gagné
17:35 d'étoiles ni de galons dans cette histoire.
17:37 Absolument pas.
17:38 Vous vous retrouvez à Châlons-sur-Saône, vous n'avez absolument pas progressé dans
17:43 la hiérarchie de la police.
17:44 Oui, ça fait à peu près 18 ans que ça dure et d'aucuns vous diraient que je n'ai même
17:50 pas eu une simple lettre de félicitation pour avoir résolu l'affaire Maheri, effectivement.
17:54 Mais ça n'a aucune importance, puisque là je ne suis redevable de rien et totalement
17:58 libre de porter le message des familles des victimes aujourd'hui.
18:01 Quel souvenir vous gardez de ces procès ?
18:04 Je pense que c'est la libération provoquée par la confirmation en appel de chacun de
18:09 ces procès, au moment où avec Marie et Marie-Rose on est passé du…
18:14 Oui, parce qu'il y a deux jeunes femmes assassinées qui s'appellent Christelle
18:17 et Christelle et deux mamans qui s'appellent Marie et Marie.
18:20 Oui, Marie et Marie-Rose, oui, effectivement.
18:22 Et ça a été le moment où, parce que j'ai dû conserver cette distance professionnelle
18:26 avec elles jusqu'à ce que les affaires aient atteint l'autorité de la chose jugée,
18:30 et c'est ce moment où j'ai enfin pu appeler Madame Pichon Marie et Madame Blétry Marie-Rose
18:36 et qu'on a pu se prendre, tomber dans les bras l'un de l'autre en pleurs et se féliciter
18:40 de ce travail accompli, oui, effectivement.
18:42 Aujourd'hui, à Chalons-sur-Saône, comment ça se passe ? Et qu'est-ce que vous voudriez
18:48 qu'il change pour que d'autres colcaises émergent ? Puisque vous dites, on est piégé
18:53 par les clichés cinématographiques sur les colcaises.
18:56 Oui, effectivement, il y a d'abord l'ADN, dont on avance l'intérêt exclusif.
19:03 Non, c'est un concours majeur, mais pas un intérêt exclusif.
19:05 Il y a aussi le problème du tueur à série, dont on a une approche, je le répète, absolument
19:09 hollywoodienne.
19:10 Il est important de reprendre chaque affaire non résolue en valeur absolue et de le réétudier
19:14 pour voir déjà ce qui, au départ, a manqué.
19:16 Donc là, il y a un travail à faire et la chose dont on a le plus besoin, donc là,
19:21 aujourd'hui, on a un pôle de magistrats à Nanterre, il est unique, je pense, mais
19:25 encore une fois, c'est un avis technicien, qu'il ne suffira pas avec la montée en puissance
19:30 du nombre de dossiers qui leur arrivera prochainement.
19:33 Mais on a aussi besoin d'enquêteurs sur le terrain, puisque sur un colcaise comme
19:37 sur un autre dossier, le travail de police, c'est un travail de terrain.
19:40 Donc moi, je préconise, mais encore une fois, c'est mon avis personnel, la création
19:45 de pôles d'enquêteurs dédiés, mixtes, de policiers et de gendarmes et des gens chevronnés,
19:52 des gens expérimentés.
19:53 - C'est ça, et des gens formés, c'est-à-dire que vous, vous avez à cœur, aujourd'hui,
19:57 de former les jeunes policiers au colcaise qui traîne dans les commissariats.
20:01 Comment on les aborde ? Comment on les ouvre ? Comment on les tient ? Comment on poursuit ?
20:05 - Alors, il faut aussi souligner quelque chose qui est très important, c'est qu'un
20:09 colcaise, au départ, ça n'en est pas un.
20:11 Donc déjà, lorsqu'on prend un dossier criminel, il faut savoir faire des constatations, il
20:14 faut savoir faire des auditions de témoins, des enquêtes de voisinage.
20:17 Ce n'est pas un jugement de valeur que j'oppose, c'est simplement venir à l'encontre
20:21 de la peur que peuvent ressortir certains OPJ qui n'ont ni l'appétence, ni l'expérience
20:25 pour pouvoir traiter ce genre de dossier-là.
20:27 Il nous revient de les former, les encadrer, et il en va de même pour les jeunes auditeurs
20:31 de justice qui deviendront magistrats, pour qu'ils aient cette conscience du bienfait
20:36 du tandem magistrats-policiers de terrain.
20:39 - Merci beaucoup Raphaël Nédilco, l'obstiné au micro de France Inter.

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