La chaine Arte diffuse ce mercredi soir "Adeptes, de l'emprise à la déprise", un documentaire consacré aux victimes de sectes. Parmi les témoins, Julie Baschet, ex-membre de l'université de la nature et de l'écologie de la relation raconte comment elle s'en est sortie. Elle est l'invitée de 9H10.
Retrouvez "L'invité de Sonia Devillers" sur
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10
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00:00 Bonjour Julie Bachet.
00:01 Bonjour.
00:02 Soyez la bienvenue, merci pour ce témoignage.
00:05 Avisage découvert d'abord sur Arte, dans un film magnifique qui s'appelle Adepte de
00:11 l'emprise à la déprise, qui est signé Karine Dufour et qui est diffusé ce soir
00:15 à 22h35.
00:16 Témoignage, avisage découvert, témoignage ce matin à notre micro.
00:21 Quand vous entrez en contact pour la première fois avec les membres de l'Université de
00:26 la Relation, quel âge avez-vous ?
00:27 J'ai 31 ans.
00:29 Vous êtes diplômée ? Oui, des Arts décoratifs de Paris.
00:33 Voilà.
00:34 Vous venez d'un milieu éduqué, bourgeois.
00:36 Tout à fait.
00:37 C'est un moment difficile dans votre vie ? Quand j'ai 31 ans, oui, je me retrouve au
00:45 carrefour de plusieurs éléments de vie plutôt intimes et pas qu'intimes d'ailleurs, puisque
00:51 j'ai rompu six mois plus tôt, je crois, quelque chose comme ça, avec mon amoureux.
00:58 Il se trouve que le propriétaire de l'appartement que je loue cesse le bail, on est à la fin
01:07 d'un bail, donc je me retrouve sans plus d'appartement et donc je prends mes valises
01:11 et je les emmène chez mon père sans trop savoir où je vais.
01:15 Il se trouve que professionnellement, étant illustratrice indépendante, il faut retourner
01:20 à chaque fois sur la guerre du marché au travail et là, à ce moment-là, il n'y
01:23 a plus grand-chose qui se passe.
01:24 Et il se trouve aussi que ma psy avec laquelle j'étais depuis cinq ans en analyse déménage
01:31 et me dit "voilà, c'est fait".
01:33 Et vous laisse tomber ? Oui, sans me remettre aux mains d'un autre professionnel.
01:37 Et donc je me retrouve en fait dans le vide, sans mesurer véritablement à quel vide
01:43 j'ai affaire.
01:44 J'aimerais que vous nous racontiez comment les stages proposés par l'Université de
01:49 la Relation se transforment petit à petit en emprise.
01:53 Parce qu'au départ, le programme est plutôt alléchant et sympathique.
01:58 On parle beaucoup d'écologie, on parle d'attention à l'autre, on parle d'entraide, on parle
02:03 au fond de développement personnel.
02:05 Oui, de développement personnel, mais aussi d'une fondation qui serait une fondation
02:13 qui permettrait de subventionner des projets humanitaires.
02:16 Mais aussi toute une dimension vraiment humanitaire qui fait que du coup j'accroche parce qu'il
02:23 n'y a pas qu'une dimension individuelle en fait.
02:25 Il n'y a pas que du développement personnel.
02:27 Et c'est ça en fait qui est très séduisant.
02:29 C'est que les deux sont liés et que ça ouvre sur des perspectives beaucoup plus grandes
02:34 que son petit soi-même.
02:35 C'est ça, il y a un vrai projet social, un vrai projet collectif.
02:38 Alors comment vous décidez de partir en stage avec l'Université de la Relation au Maroc ?
02:42 Par le biais d'une personne qui y est déjà, qui est déjà disciple sans se le dire à
02:47 lui-même.
02:48 Il ne se sent pas disciple en fait, il se sent faire partie d'un collectif.
02:50 Il est en pleine tombée amoureuse, il est en pleine love bombing, il est bourré d'amour
02:57 de ce collectif qu'on lui a renvoyé et dont il reçoit en fait l'énergie.
03:03 Et du coup, quand je le rencontre, il est hyper attendrissant, hyper touchant.
03:10 J'ai l'impression qu'on est amis très vite, qu'on peut parler de tous les sujets.
03:14 J'y trouve une écoute que j'ai rarement trouvé ailleurs.
03:18 Et même, oui j'ai l'impression en fait au sortir peut-être du deuxième rendez-vous,
03:25 du premier rendez-vous qu'on se donne, d'avoir jamais été comprise autant que ça.
03:30 Et au Maroc, quel genre d'exercice on vous fait faire ?
03:35 Et donc au Maroc, on a des journées pleines en fait.
03:41 On se lève avant le lever du soleil, on se retrouve à crapauter sur des reliefs, à
03:47 regarder le soleil se lever avec des exercices particuliers, ne pas sciller les yeux, respirer
03:52 d'une certaine manière, se tenir, etc.
03:54 Et on enchaîne avec des exercices physiques pendant un bon moment.
03:57 Et en fait, on se retrouve à 9h, 10h à grignoter quelque chose.
04:03 Et puis ensuite à ingurgiter des thèses jusqu'à très tard le soir.
04:10 Extrait du film "Un autre des témoins dans une autre secte".
04:15 Le Kung-Fu, c'est lui qui enseigne.
04:19 La thérapie, c'est lui qui fait.
04:21 L'intime, c'est lui qui s'en occupe.
04:23 Les êtres et les mains ensemble.
04:24 Comment tu t'habilles, ton prénom, c'est lui qui le choisit.
04:28 Et bien quand tu mets tout ça ensemble, là il y a l'emprise.
04:32 Et l'emprise c'est aussi un groupe.
04:34 Quand je te dis qu'on est dans un cocon, c'est qu'on est pris dans quelque chose
04:39 où on sait qu'on pourrait compter sur les êtres si on a un problème.
04:41 C'est une grande famille.
04:42 Et c'est notre famille.
04:43 C'est notre famille de cœur, c'est notre famille de tout.
04:46 C'est notre famille.
04:48 Sans eux, qu'est-ce qu'on va faire de notre vie ?
04:51 Ce que je voudrais comprendre, Julie Bachet, c'est comment se fait l'emprise du gourou.
04:58 Je précise que le patron de l'université de la relation aujourd'hui est en prison.
05:04 Et il sera même en prison pour de très nombreuses années.
05:08 Il est beaucoup plus âgé que vous.
05:10 Comment il arrive à pénétrer votre cerveau ? Comment il arrive à pénétrer votre corps ?
05:17 Comment il arrive à faire de vous une chose qui lui appartient ?
05:20 Comment il arrive à rentrer en possession de vous ?
05:23 En fait, l'emprise, elle se passe sur plusieurs niveaux et sur plusieurs domaines de l'humain.
05:31 David le dit très bien.
05:33 En fait, il est avec plusieurs casquettes.
05:35 Il a la casquette du sachant, mais d'un sachant qui a plusieurs casquettes.
05:39 Il est philosophe, il est anthropologue, il est médecin, il est thérapeute.
05:42 Et en même temps, il est ami.
05:44 C'est-à-dire qu'il accroche tout aussi bien sur le plan intellectuel que le plan émotionnel.
05:48 Et je pense que si on ne comprend pas l'emprise, si on ne met en jeu,
05:53 ou on essaye de comprendre qu'une seule part de l'humain.
05:56 En fait, je dirais même que c'est sur le plan émotionnel que tout le tissage,
06:02 toute l'accroche se fait profondément, mais en occupant le mental
06:09 et en le fascinant par des biais, par des ressources scientifiques qui paraissent fondées.
06:17 Et en fait, l'occupation du mental permet aux prédateurs d'avoir beaucoup plus
06:22 et éminemment énormément de prise sur le plan émotionnel.
06:25 Évidemment.
06:26 D'ailleurs, un autre membre d'une secte dit
06:29 "mais on est absolument libre de ses mouvements dans une secte".
06:32 Et c'est ça que l'extérieur ne comprend pas.
06:34 On est libre de ses mouvements, on pourrait partir quand on veut.
06:37 Et en fait, on ne part pas parce que la tête est enfermée.
06:40 Donc le corps est enfermé.
06:42 Julie, vous le dites vous-même de manière très crue et très simple.
06:46 Vous dites "j'étais dans son lit tous les soirs, le lit de ce vieil homme tous les soirs".
06:50 Oui, parce qu'au fur et à mesure que l'accroche a été faite,
06:56 qu'il y a une accroche qui pousse à l'engagement,
06:59 c'est-à-dire que ce qui se retrouve, je pense, dans la plupart des enprises sectaires,
07:03 des dérives sectaires, c'est le fait qu'on est poussé à s'engager
07:07 et qu'on est des gens au départ ayant le syndrome du bon élève,
07:11 ayant l'envie de participer à une collectivité, au bien-être, etc.
07:17 Et donc on est capable de dépassement.
07:19 En fait, le prédateur, il va utiliser cette chose-là extraordinairement.
07:23 Sauf que l'engagement, c'est un coup.
07:25 C'est énorme d'engager toute sa personne quand c'est sur un plan philosophique,
07:29 mais aussi émotionnel et aussi intime à un moment donné.
07:33 Et donc, du coup, c'est très difficile de se rétracter.
07:35 En plus, la bascule peut se faire très rapidement.
07:40 En trois semaines, la bascule s'est faite.
07:42 Mais après, c'est un travail.
07:44 En fait, je dirais même que le travail du gourou, c'est un travail d'endurance.
07:47 Il va tous les jours amener quelque chose qui va permettre de nourrir un espoir,
07:53 de nourrir cet élan-là.
07:54 Après, tout son jeu, c'est de ne pas se retirer.
07:57 Et donc, c'est très dur.
07:58 Et en effet, il y a un moment donné où mon intime est touchée,
08:01 comme l'intime de tous les gens de la secte.
08:04 Je ne suis pas la seule, sauf que...
08:06 - Avoir subi des relations sexuelles.
08:08 - Oui.
08:08 Alors, entre nous, avec lui,
08:11 sauf que moi, il se trouve qu'il construit un mythe,
08:15 il construit une histoire qui fait que je vais prendre une place particulière
08:19 par rapport aux autres du groupe et je vais être sa dite "pare dame".
08:23 Quelque chose qu'il invente.
08:24 Alors, évidemment que s'il me l'avait dit du jour au lendemain,
08:27 comme ça, de but en blanc, quand je débarque au Maroc,
08:30 j'aurais peut-être ricané ou en tout cas, j'aurais été étonnée.
08:33 Mais là, évidemment, les choses se font très graduellement.
08:37 On a accepté certaines idées.
08:38 En ayant accepté certaines idées ou été convaincue par certaines idées,
08:43 petit à petit, en fait, il est possible d'accepter d'autres idées
08:48 et du coup, par exemple, que certaines pratiques sexuelles peuvent libérer, etc.
08:53 - On écoute Johan, il a dix ans de moins que vous et il a fait partie de la secte.
08:57 - Un jour, au Costa Rica,
09:02 les nouveaux adeptes arrivent avec leurs filles pour faire une cérémonie missiatique.
09:06 Donc là, cette jeune femme, c'est une jeune femme,
09:09 c'est bon pour nous, c'est une jeune femme à 14 ans.
09:13 Et bien, elle part avec eux pendant deux semaines.
09:16 Et du coup, c'est à ce moment là où,
09:18 une fois qu'il n'y a plus les parents, qu'il n'y a plus personne autour,
09:22 c'est à ce moment là, en fait, qu'il va lui expliquer
09:26 qu'en gros, il faut qu'elle apprenne à faire des défilations, tout ça.
09:32 Enfin, il faut qu'elle devienne une femme.
09:33 Et du coup, il faut qu'elle apprenne à servir l'homme.
09:36 Et c'est pour ça que plus tard,
09:38 le gorro et Julie sont arrêtés pour viol sur mineurs.
09:42 - Johan qui raconte l'épartouze auquel il a participé.
09:47 Johan qui raconte des scènes sexuelles très violentes
09:51 où il a été frappé, insulté, humilié par les femmes de la secte.
09:56 Johan qui raconte cette dérive jusqu'à entraîner une jeune fille,
10:02 une petite fille, elle a 14 ans.
10:04 Et vous qui dites "j'étais devenue une machine de guerre"
10:10 parce que tous les jours, il fallait être plus forte,
10:11 il fallait être plus résistante, au point qu'on n'a plus un gramme d'empathie,
10:17 qu'on comprend plus ce que vit l'autre.
10:19 - Oui, en fait, le système d'un gourou, c'est de nous faire rentrer dans sa tête.
10:25 Alors, pas au point de le comprendre, bien sûr.
10:28 En tout cas, l'idée, c'est qu'on devienne des mini-gourous.
10:33 Et en fait, on a fini par être ce qu'il est,
10:36 c'est-à-dire que c'est quelqu'un qui est dangereux parce qu'il est pervers.
10:41 C'est-à-dire la perversité, c'est l'incapacité à pouvoir ressentir la souffrance de l'autre
10:46 et même utiliser cette souffrance.
10:48 Et il arrive à nous dépersonnaliser au point qu'on ne peut plus se mettre à la place de l'autre.
10:53 Alors qu'au départ, on rentre pour ça.
10:55 On ne rentre pas parce qu'on se met à la place de l'autre,
10:57 parce qu'on ne supporte pas les inégalités sociales,
10:59 parce que c'est insupportable d'imaginer qu'on va saccager le monde et qu'on ne va rien faire.
11:04 Et donc, du coup, c'est terrible parce qu'on se dédouble à un point
11:11 auquel il n'est plus possible d'avoir un retour au moment où il faudrait.
11:17 Au moment où il faudrait un stop, ce n'est plus possible.
11:19 Les choses sont trop engagées et on est rentré dans une mécanique mentale
11:24 qui, en fait, est celle du gourou.
11:26 - Mais en fait, heureusement que la police est intervenue.
11:30 Heureusement que vous avez été arrêté parce qu'il aurait pu vous entraîner toujours plus loin.
11:35 En réalité, il n'y avait plus rien en vous qui résistait.
11:38 - Oui, en fait, quand je me dis que ça s'est arrêté brusquement,
11:43 voilà, je me dis que ça a duré six ans.
11:46 Mais je ne sais pas jusqu'où ça aurait été.
11:49 En fait, la logique, en tout cas, dans la logique d'où ça allait,
11:53 je pense que j'aurais pu succomber.
11:55 En fait, j'ai failli déjà succomber aux trois semaines de jeûne très dures.
11:58 - Oui, vous racontez un stage où il faut apprendre à se passer d'eau et de nourriture
12:02 et vous racontez qu'à un moment, vous êtes vraiment dans un état limite.
12:05 C'est-à-dire que vos muscles ont fondu, vous êtes totalement anémié,
12:10 d'une maigreur totale, vous ne pouvez plus vous lever.
12:13 Et surtout, vous dites "on a inhibé en moi la peur de mourir".
12:17 - Oui, parce qu'en fait, quand on doit sauver le monde,
12:20 on passe dans un autre état nécessairement.
12:21 Alors, ce n'est pas parce qu'on dit à quelqu'un qui va sauver le monde
12:24 qu'il y passe, évidemment, du jour au lendemain.
12:27 On est passé par des heures et des heures de soffros, d'hypnose, de marche, de régime.
12:33 - Vous vous dites "on a inhibé en moi la peur de mourir",
12:36 mais pour entraîner une petite fille dans un viol,
12:38 c'est qu'on a inhibé en vous l'idée que cette jeune fille
12:41 pouvait avoir peur de mourir à ce moment-là aussi.
12:43 C'est ça qu'on a cassé.
12:47 - Oui, à partir du moment où on n'a plus les codes,
12:50 on n'a plus les marqueurs intérieurs qui nous disent qu'il y a des limites,
12:54 c'est très compliqué de les avoir pour les autres, évidemment.
12:57 Et après, ça se fait sur un air de fête.
12:59 Tout ça, c'est mis dans une espèce de théâtre de la joie, de l'extase.
13:06 En fait, ce qu'il faut imaginer, ce n'est pas que c'est l'ambiance sordide.
13:11 En fait, ce qui est compliqué à comprendre, c'est que ça avait presque un air de fête.
13:15 Tous les temps de collectif sont presque des espèces de mise en scène bacchanales de joie, de liberté.
13:25 - On va en venir justement à ce mécanique de la déprise que Karine Dufour raconte très bien
13:29 dans ce film qui s'intitule "Adepte de l'emprise à la déprise".
13:33 Et ce soir, c'est sur Arte, c'est à 22h35.
13:35 On a adoré ce film, il fait 52 minutes.
13:37 Il est extrêmement sobre, extrêmement simple.
13:40 Il n'y a pas d'effet de manche.
13:42 Les cinq témoins sont extrêmement attachants et très intelligents dans leur manière de raconter.
13:49 Vous en faites partie, Julie, quand vous êtes arrêtée, au lieu qu'il y ait un déclic.
13:55 Mais vous êtes prête à tout pour continuer à le défendre, le gourou.
13:59 Prête à tout.
14:00 Et il aura vraiment fallu d'abord une garde à vue.
14:03 Qu'est-ce qui s'est passé en garde à vue pour qu'il y ait quelque chose qui ne se passe pas immédiatement,
14:06 mais quand même quelque chose qui se débloque dans votre cerveau ?
14:09 Oui, alors au moment où il y a une garde à vue,
14:13 nous, on est conditionnés pour que les reptiliens, les méchants,
14:17 tous ceux qui ne font pas partie de notre monde,
14:19 en fait, on est dans un exotérisme,
14:21 en fait, on est un groupuscule qui avant la vérité, donc tous les autres ne l'ont pas.
14:25 Et tous les autres sont ou complices ou victimes.
14:29 En fait, ça renforce.
14:30 C'est-à-dire qu'on est programmé pour à un moment donné passer au commando.
14:33 Ce qui fait qu'au moment où les flics arrivent,
14:35 en fait, je passe en mode commando.
14:36 C'est trop programmé en moi depuis si longtemps qu'en fait, je suis prête à me sacrifier.
14:41 En fait, je suis en mode sacrificial.
14:42 Je n'ai pas peur de mourir.
14:44 En fait, je suis fanatisé.
14:45 En fait, je vais mourir pour sauver Jésus.
14:47 Donc voilà, la mission, elle va même se faire à ce moment-là.
14:52 Donc, j'ai d'abord un premier temps de renforçage, en fait, de l'emprise.
14:58 Et après, il se trouve qu'en garde à vue,
15:02 alors je suis en Espagne, c'est la gardia civile qui l'a fait, en fait.
15:05 Mais comme on est dans des alliances Interpol et donc la France peut avoir un droit de regard
15:12 à un moment donné sur ce moment-là précisément,
15:15 il y a un officier de police qui peut venir.
15:17 Donc, lui ne me fait pas la garde à vue.
15:19 En fait, c'est un espace très particulier où en fait, il peut avoir un échange avec moi,
15:23 mais ça ne va pas être une déposition.
15:26 Ça ne va pas être un document juridique.
15:27 Mais au moment de cet échange-là, en fait, il se trouve que ce policier,
15:31 ce n'est pas n'importe lequel.
15:32 Il fait partie d'une cellule très particulière qui s'occupe des dérives sectaires
15:37 et donc il connaît parfaitement le dossier.
15:39 Et lui, il est pour la défense des familles, en fait, des humains.
15:44 Donc, il parle d'humain à humain.
15:46 Et il se trouve que de parler d'humain à humain, ça me trouble énormément.
15:52 Parce que ça n'existe plus depuis six ans dans ma vie.
15:55 - Et donc, c'est très beau dans le film.
15:57 C'est-à-dire que vous dites, il me parle comme à une victime.
16:02 Au lieu de me faire la guerre, puisque vous êtes programmé pour faire la guerre
16:04 à ceux qui vous font la guerre, il me parle comme à une victime.
16:08 Et surtout, il y a un moment, vous allez être mis face à face avec la jeune fille de 14 ans.
16:12 Et elle aussi, elle vous regarde comme quelqu'un qui a souffert.
16:16 Et ça, ça va casser quelque chose dans la construction du gourou.
16:20 - En fait, cette humanité qu'il appelle en ne faisant aucun effet,
16:26 c'est-à-dire qu'en fait, lui, il est humain.
16:29 Il reste humain, en fait, et il laisse sa casquette d'autorité un peu impressionnante,
16:37 en fait, pour me parler, en fait, comme un véritable enquêteur.
16:41 En fait, il me pose des questions sans jugement,
16:44 pour essayer de comprendre vraiment ce qui se passe.
16:46 En fait, ça, on ne me pose plus de questions pour savoir ce qui se passe en moi.
16:50 Depuis six ans, c'est impossible.
16:52 Et donc, du coup, tout d'un coup, la toute petite faille qu'il met
16:56 me permet d'entendre quelque chose de l'autre côté,
16:59 parce que je ne vois pas la jeune victime, en fait, mais il me la fait entendre.
17:03 Et ça fait réémerger en moi cette capacité à ressentir la souffrance qu'elle a pu sentir tout d'un coup.
17:10 Mais je ne peux pas l'élaborer. C'est-à-dire que ce n'est pas un miracle, malheureusement.
17:14 C'est quelque chose qui se fait dans l'infime.
17:16 - Et d'ailleurs, vous dites, il faudra une année de prison pour que petit à petit,
17:21 ça fasse son effet, que petit à petit, ça casse la carapace dans laquelle vous êtes.
17:27 On écoute l'un des autres témoins.
17:29 Ils ont tous quelque chose en commun.
17:32 C'est-à-dire de dire que le moment de la déprise, c'est-à-dire le contraire de l'emprise,
17:35 c'est un moment d'une telle violence et on se sent tellement seul
17:39 qu'heureusement que quelqu'un dans votre entourage a gardé le contact avec vous.
17:43 - Quand on veut sortir quelqu'un d'un mouvement sectaire qui est dedans
17:46 et qui est entouré de cet amour factice, méconditionnel,
17:50 c'est le seul message, je dirais, à faire passer de façon répétée, appuyée à Charley.
17:56 C'est "je t'aime, toujours et pour toujours,
17:59 que tu sois dans ce mouvement ou pas, de façon inconditionnelle,
18:03 je serai toujours là pour toi".
18:05 - Gardez le contact, gardez le contact.
18:08 Et vous, il y a des séquences avec votre père,
18:13 qui vous a pas lâchés.
18:16 Il vous a pas lâchés.
18:16 - Mon père, ma mère et ma soeur.
18:18 Mes trois liens les plus proches ne m'ont jamais lâché.
18:22 - La Sainte Trinité pour vous.
18:24 - C'est vrai. Mais quand ils sont venus au Parc Noir,
18:26 ça a été très dur pour eux parce qu'ils ont vu un mur.
18:29 Et je leur ai dit clairement que moi, je ne vivais pas pour eux
18:32 et qu'il fallait qu'ils m'abandonnent.
18:33 En fait, presque, j'avais rien à voir avec eux.
18:37 Donc, eux, ils étaient parisiens.
18:38 Ils devaient aller à Nantes.
18:39 Ils bousillaient une ou deux journées pour me voir.
18:42 Ils prenaient sur eux avec des contraintes.
18:46 Enfin, c'est très impressionnant d'entrer dans une prison.
18:48 C'est très impressionnant de se dire que l'un de ses proches
18:50 n'est pas accessible au quotidien et qu'on n'a pas la main dessus
18:53 et qu'on ne peut pas reprendre justement un lien affectif véritable.
18:57 Et je les rejetais, mais vraiment avec une froideur.
19:02 - D'ailleurs, votre père dit, et c'est très joli,
19:05 "J'ai compris que ça y est, on remontait la pente le jour où elle m'a réappelé papa".
19:11 - Et oui, parce que ces phénomènes de dépersonnalisation,
19:15 ils vont jusque là, en fait.
19:18 Quand David dit qu'on n'a plus de manière de s'habiller,
19:22 tout est codifié.
19:24 Donc en effet, il n'y a plus de parents.
19:26 À un moment donné, les autres n'existent plus et les proches surtout.
19:31 - Alors, il faut reprendre possession de son corps.
19:33 Il faut retravailler.
19:34 Il faut se réinsérer dans la vie.
19:36 Pour vous, ça a mis combien de temps ?
19:38 - Ça a mis dix ans.
19:39 - Dix ans.
19:40 Il s'appelle bien Gabriel Loison, c'est ça ?
19:46 Le gourou.
19:47 Il est en taule.
19:48 Encore récemment, il a pris 15 ans.
19:50 - Alors, il a pris 15 ans, qu'il avait déjà bien entamé.
19:55 Donc normalement, il sort fin 2023.
19:58 Donc il est au bout d'une peine qu'il a commencé à purger depuis un certain moment.
20:04 - Il reste des adeptes de l'université de la relation
20:07 qui n'ont, malgré le jugement, malgré le verdict en justice,
20:12 malgré la peine, malgré la presse,
20:16 qui restent des adeptes fanatisés ?
20:20 - Oui, complètement.
20:21 Il y en a.
20:21 Il n'y en a pas des masses.
20:24 Il y en a quelques-uns, mais c'est normal parce que quelque part,
20:28 ils sont dans une extériorité de ce qui se passe.
20:30 Ils n'ont pas accès à tous les débats qu'il y a eu,
20:33 ni à toutes les dépositions.
20:34 Moi, en fait, ce qui a permis ma déprise,
20:36 alors déjà, j'en parle pas dans le reportage,
20:39 mais il faut quand même que je donne hommage aussi à l'avocat,
20:42 à l'époque qui me soutient et qui fait un énorme travail pédagogique.
20:46 Mais vraiment gigantesque et psychologique même,
20:48 qui a vraiment une compréhension lui-même aussi de l'emprise
20:52 et qui va beaucoup m'aider.
20:53 Mais c'est que j'ai accès à des données contradictoires.
20:58 Et jusqu'ici, je n'avais aucune donnée contradictoire.
21:00 Eux n'en ont pas, en fait.
21:02 Et quand ils assistent au procès,
21:05 ça peut être possible qu'ils ne l'entendent toujours pas
21:08 parce qu'en fait, ils n'ont pas accès aux subtilités
21:12 qui, moi, vont être des bombes à l'intérieur de moi.
21:14 Et donc, moi, j'y pense tout le temps.
21:18 C'est difficile.
21:19 D'ailleurs, dans le reportage, il y a un des garçons qui dit
21:22 à un moment donné, on arrête de penser à eux, on fait pour nous.
21:25 C'est vrai que c'est difficile, ça aussi.
21:27 En fait, ça demande vraiment un travail de se détacher d'eux
21:29 parce qu'on a envie de leur prouver.
21:34 Et puis aussi de faire qu'ils s'en sortent aussi.
21:39 Merci, Julie Bachet.
21:40 Je trouve très, très courageux votre témoignage.
21:43 Adepte de l'emprise à la déprise à voir absolument à 22h35 sur Arte ce soir.