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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 3 Mars 2023)
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Transcription
00:00 *Musique*
00:04 Les Matins de France Culture, Jean Lemary.
00:07 - Georges Pérec était un écrivain total.
00:10 Il est mort il y a 41 ans, jour pour jour.
00:13 Le 3 mars 1982, il allait avoir 46 ans.
00:18 Par quels livres commençait ?
00:20 Les choses, la vie mode d'emploi, W ou le souvenir d'enfance.
00:24 Georges Pérec voulait tout écrire.
00:27 - Je voudrais écrire toutes les sortes de livres possibles.
00:31 Je ne voudrais jamais écrire deux fois le même livre.
00:34 Je voulais écrire des livres courts, je voulais écrire un livre très gros.
00:38 Je voudrais écrire un livre autobiographique, un roman de science-fiction, des pièces de théâtre.
00:43 - C'est vouloir tout faire.
00:44 - Dans le domaine de l'écriture.
00:46 - Et ce n'est pas de la vanité, c'est simplement explorer tous les arts.
00:48 - Explorer pas tous les arts, tous les arts d'écriture.
00:52 - Georges Pérec avec Jacques Chancel dans Radioscopie en 1978.
00:56 Bonjour Claude Burgelin.
00:58 - Bonjour.
00:59 - Professeur émérite de littérature à l'université Lyon II, vous étiez l'ami de Georges Pérec.
01:04 - Un ami.
01:05 - Il en avait beaucoup parce que vous en parlez aussi dans la très belle biographie que vous venez de publier.
01:10 Elle paraît chez Gallimard.
01:12 Vous avez connu Pérec en 1959.
01:15 Tous les deux, vous étiez jeunes.
01:16 Savait-il à l'époque qu'il allait écrire ?
01:19 - Il savait qu'il allait écrire.
01:21 Il affirmait qu'il voulait écrire.
01:24 Il le disait, alors que c'était un garçon un peu hésitant et un peu amlétien sur les bords,
01:28 il le disait avec une espèce de force tranquille, d'une assurance,
01:32 "J'écrirai, je serai écrivain."
01:34 Il est rare de rencontrer un type d'une vingtaine d'années qui dise cela de façon aussi simple.
01:40 - Quel homme était-il lorsqu'il avait, comme vous, une vingtaine d'années ?
01:46 - Il était absolument charmant.
01:48 Il était d'une drôlerie extraordinaire.
01:52 Il laissait filer des jeux de mots, des bits, des mots d'esprit à une vitesse frénétique.
01:58 Et il était étonnamment souriant.
02:03 J'ai su très vite quels avaient été ses malheurs originels,
02:08 c'est-à-dire la mort de son père en 1940 et surtout la disparition de sa mère à Auschwitz en 1943.
02:14 Il l'énonçait et puis, une fois cela dit, on passait à autre chose.
02:19 - Les jeux de mots, les jeux avec les mots, avec la langue,
02:24 c'est souvent l'image superficielle qu'on a de Pérec et c'est une partie de sa réalité humaine et de sa réalité littéraire.
02:30 Mais il y a évidemment derrière cela des dimensions importantes, de profondeur, de déchirements.
02:37 Quel est le Pérec que vous avez le mieux connu ?
02:43 - Justement, le Pérec multiple, vous avez fait allusion au jeu.
02:49 Chez lui, toujours, il y a eu l'esprit d'enfance, mais l'esprit d'enfance au sens profond du mot.
02:55 D'ailleurs, quelques-uns de ses meilleurs lecteurs, je pense à Bolaño ou à Paul Auster,
03:01 ont vu en lui une espèce de wunderkind, d'enfant merveilleux.
03:04 Et effectivement, qu'est-ce que ça veut dire l'esprit d'enfance ?
03:07 Revenir toujours à l'origine des questions qui agitent le monde et qui agitent tout être humain.
03:14 C'est le moment où on pose des questions essentielles quand on a six ans.
03:17 - Et le faire de toutes les façons possibles, il se comparait à un paysan qui cultiverait plusieurs champs.
03:23 Manière aussi d'expliquer qu'il a écrit des types de livres et des livres extrêmement différents.
03:28 Par où faut-il commencer, Claude Burgelin ?
03:31 - Moi, c'est ma pente. Alors, je dirais l'autobiographie, parce qu'il en a renouvelé les données.
03:38 Il a réussi avec W, le souvenir d'enfance, à relater avec exactitude le fait que tous ses souvenirs d'enfance avaient disparu
03:49 et que ceux qu'il pouvait avoir étaient tous faux.
03:52 Et comment il était devenu un enfant fou, littéralement, quand il est arrivé dans le Vercors à l'âge de six ans,
03:59 comment il s'est reconstruit ?
04:01 Il s'est reconstruit par le jeu et par l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.
04:07 - Et on l'entendra tout à l'heure évoquer plus longuement ce livre qui est fondamental dans l'œuvre de Pérec.
04:12 Essayons de cerner encore davantage cette œuvre protéiforme.
04:17 Vous employez dans votre livre, Claude Burgelin, le mot « dislocation ».
04:21 Quelle est la dislocation au cœur de l'œuvre de Pérec ?
04:25 - Il a donné toujours… Il y a deux mots qui sont fondamentales chez lui.
04:32 C'est le mot de « manque » et le mot « faux ».
04:38 Toute son existence a été construite sur le manque et sur le faux.
04:43 Et c'est à partir du manque et du faux qu'est dit la vérité.
04:46 C'est un paradoxe assez étonnant, mais c'est ça le fondement de l'œuvre de Pérec.
04:51 - Pendant longtemps, il a écrit « Sans trouver le succès » et puis en 1965, « Les choses » rencontre le succès.
05:00 Roman sur l'époque, même s'il y a eu un malentendu, c'est certainement pas un livre de sociologie.
05:06 C'est un roman, mais c'est un livre aussi qui parle de l'époque, des choses précisément,
05:12 de ce qui nous entoure, de ce monde qui change. Est-ce que vous l'aimez ce livre ?
05:16 - Beaucoup. Il manifeste une finesse de regard et d'écoute absolument extraordinaire.
05:23 Son grand maître en écrivant « Les choses », au fond, il a eu deux maîtres, Roland Barthes et Gustav Loeber.
05:29 Et c'est avec « La rencontre des deux » qu'il a écrit « Les choses »,
05:33 qui reste un livre formidable sur ce que c'est que la société de consommation.
05:37 Alors, effectivement, on l'a étiqueté sociologue et il a voulu sortir de cette étiquette qui lui convient des guerres,
05:44 mais ça reste un très beau et grand roman.
05:46 - Et vous posez la question s'agissant de Perret, comment faire parler les choses communes ?
05:51 Quelles étaient les choses communes qui l'intéressaient ?
05:53 - Toutes. Toutes. Mais effectivement, celle en particulier qui l'évoque dans l'espèce d'espace,
05:59 l'espace où l'on vit, la rue, la chambre, le quartier.
06:04 Et ces espaces, justement, on parlait de cloisonnement et de dislocation, ils sont tous un peu disloqués.
06:10 Et nous avons une expérience de nous-mêmes et du monde différente suivant qu'on est dans la chambre ou dans la rue.
06:15 - Perret, observateur, observateur attentif des choses, des détails et aussi des lieux.
06:23 Nous sommes également en direct avec Denis Kosnard. Bonjour.
06:26 - Bonjour.
06:27 - Journaliste au Monde. Vous publiez aussi un autre beau livre, là c'est tout récent, c'était il y a quelques mois,
06:33 "Le Paris de Georges Perrec" aux éditions Paris Gramme, sous-titré malicieusement "La ville, mode d'emploi".
06:40 Et vous explorez une grande partie des lieux de Perrec. Quels étaient ces lieux, Denis Kosnard ?
06:46 - Ils étaient multiples. Moi, je me suis attaché à reconstituer effectivement ce Paris de Georges Perrec.
06:54 Il y a celui qu'on connaît, les lieux où il a vécu, la rue de Quatrefages, la rue Villain où il est né,
07:01 la rue de Quatrefages qui apparaît dans pas mal de ses livres, la place Saint-Sulpice qui est connue parce qu'il y a...
07:08 Il a décrit malicieusement là aussi cette place pendant trois jours consécutifs, la rue Linné où il a écrit "La vie, mode d'emploi".
07:18 Et puis des lieux pérriciens, un Paris pérricien qu'on connaît moins.
07:24 J'ai retrouvé par exemple la trace de l'épicerie de sa grand-mère Rose qui est le cadre de son premier souvenir d'enfance,
07:31 qu'il fait laborieusement remonter dans W.O. le souvenir d'enfance.
07:35 J'ai retrouvé aussi la trace d'un de ses oncles un peu voyous, comme on disait dans la famille,
07:43 et qui a été emprisonné à la santé pour vol avant d'être déporté, exterminé à Auschwitz.
07:49 Donc voilà, des lieux connus et des lieux un peu plus inattendus comme cette prison de la santé qu'on n'imaginait pas dans le décor de la vie de Georges Pérec.
07:59 Des lieux où il venait et où il revenait beaucoup. C'est le principe aussi de ce livre inachevé paru il y a quelques mois,
08:06 lieu avec un principe de retour, de travail sur la mémoire où les lieux sont visités et revisités en fonction de ce qu'ils sont devenus
08:14 et de ce que l'auteur est devenu aussi, Denis Kossnar.
08:17 Oui, Paris a été une ville, a été évidemment la ville où Pérec a vécu à peu près toute sa vie, à quelques parenthèses, quelques exceptions près.
08:28 Ça a été évidemment le cadre de ses romans qu'on retrouve dans à peu près tous ses livres, mais c'est plus qu'un décor.
08:37 Paris est effectivement un terrain de jeu pour lui, un terrain d'expérimentation, un matériau d'écriture.
08:43 Ça se voit évidemment dans "La vie, mode d'emploi", qui est un roman où il prend un immeuble des beaux quartiers parisiens,
08:49 il enlève la façade et il décrit ensuite ce qui se passe dans chaque pièce.
08:53 Mais ça se voit aussi de façon très évidente dans ce livre, le terme livre n'est pas tout à fait approprié.
09:00 Ce chantier immense qui a fini par aboutir à un livre il y a quelques mois qui s'appelle "Lieux",
09:07 Pérec, à la fin des années 60, avait choisi effectivement une douzaine de lieux dans Paris, des lieux qui lui parlaient,
09:14 des lieux où il avait vécu, des lieux où il avait eu des amis, des lieux où il avait eu des amours.
09:19 Et ces douze lieux, il avait décidé d'y aller chaque mois, une fois, chaque mois dans un de ces lieux, il décrivait ce qu'il voyait, les façades, les magasins, etc.
09:33 Une autre fois, il écrivait les souvenirs qui étaient rattachés à ce lieu.
09:40 À chaque fois qu'il écrivait, une fois que son texte était écrit, il le mettait dans une enveloppe qu'il cachetait à la cire.
09:46 Et puis, il avait l'ambition de renouveler cette expérience tous les douze ans.
09:52 Et au bout de douze ans, il aura eu 288 textes, d'écrivants, d'après ce qu'il espérait,
10:01 d'écrivants Paris, d'écrivants ses souvenirs et montrant le vieillissement des lieux, le vieillissement de sa mémoire,
10:08 le vieillissement de ses souvenirs et le vieillissement aussi de son écriture.
10:11 C'était un chantier extraordinaire, complètement dingue, il faut bien dire, il n'y a que Pérec pour imaginer un truc comme ça.
10:17 Vous faites sourire Claude Burjola qui vous écoute, Denis Kossner.
10:21 Oui, bien sûr, il n'y avait que Pérec, il pouvait imaginer une mécanique aussi prodigieuse.
10:30 Et puis, il n'y avait que Pérec qui pouvait effectivement la suivre parce que pendant plusieurs années,
10:35 il s'est astreint tous les mois à écrire ses deux textes, un sur place, un dans son bureau.
10:43 Et puis, à faire ses textes, à les mettre dans ses enveloppes, etc.
10:49 Chantier, chantier titanesque, Claude Burjola.
10:52 Oui, et chantier inachevable, bien sûr.
10:56 Et au bout d'un certain temps, il s'est quand même dépris du projet.
11:00 D'une part parce qu'il écrivait sur des autobiographies, c'était ça qui lui importait.
11:04 Et d'autre part parce qu'il s'est bien rendu compte que vieillissement de son écriture, vieillissement des lieux, eh bien non.
11:11 Il y a un lieu qui a vieilli de façon saisissante, c'est la rue Villain qui a été détruite pendant ce temps-là.
11:16 Le lieu de son enfance, vraiment.
11:18 Et les autres lieux, ça changeait peu et donc il se répétait lui-même et donc il s'embêtait à le faire.
11:24 Arrêtons-nous un instant sur un livre qui n'est pas le plus connu, qui est un livre fondamental.
11:29 Un homme qui dort, écrit à la deuxième personne du singulier.
11:33 Le récit d'un retrait, d'une solitude.
11:36 Un étudiant à l'écart du monde et en même temps au cœur de la ville, au cœur de Paris.
11:40 C'est un livre et puis c'est un film en 1974, écrit avec Bernard Cazanne.
11:46 Tu as 25 ans et 29 dents.
11:48 Trois chemises et huit chaussettes.
11:51 500 francs par mois pour survivre.
11:53 Quelques livres que tu ne lis plus.
11:55 Quelques disques que tu n'écoutes plus.
11:57 Tu n'as pas envie de te souvenir d'autre chose.
12:00 Tu es assis et tu ne veux qu'attendre.
12:02 Attendre seulement jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à attendre.
12:06 Tu ne revois pas tes amis.
12:11 Tu n'ouvres pas ta porte.
12:13 Tu ne descends pas chercher ton courrier.
12:15 Tu ne rends pas les livres que tu as empruntés à la bibliothèque de l'Institut Pédagogique.
12:19 Tu n'écris pas à tes parents.
12:23 Tu ne sors qu'à la nuit tombée comme les rats, les chats et les monstres.
12:28 Tu traînes dans les rues.
12:31 Tu te glisses dans les petits cinémas crasseux des grands boulevards.
12:35 La voix de Ludmila, Michael, Un homme qui dort.
12:41 Claude Burgelins, ce que paraît qu'a été cet homme qui dort ?
12:45 La réponse est oui, clairement.
12:47 Il a vécu, il est arrivé à l'âge adulte, dans un état de désarroi et de détresse très grand.
12:55 Il me semble que la force du livre vient de ce qu'on ne peut pas exactement étiqueter, cet état.
13:00 On pourrait dire dépression, mais c'est un peu facile.
13:03 C'est une expérience du renoncement très saisissante.
13:08 Et qui dit très bien dans quel marasme ont pu se trouver ces jeunes gens issus de la Shoah.
13:18 Le mot ne se prononçait pas encore alors.
13:21 Mais qui avaient tout perdu, qui avaient perdu toute racine.
13:25 Une des choses les plus saisissantes de la vie de Pérec, c'est qu'au fond, ce qu'il nous donne à entendre, sans le dire clairement,
13:32 c'est que l'enfant qu'il fut auprès de sa mère a disparu en même temps que sa mère.
13:39 Il y a donc un second Georges Pérec qui a pris racine au-dessus du premier,
13:43 mais ce premier, il ne l'a jamais perdu.
13:46 Et il est là tout le temps, dans l'arrière-fond.
13:49 On entend aussi Denis Coznart, l'errance.
13:53 L'errance est mon propos essentiel, a écrit Pérec également.
13:58 Errait-il dans Paris, dans ce Paris que vous connaissez très bien aussi, Denis ?
14:03 Écoutez, oui, il errait.
14:05 C'était un grand marcheur.
14:07 Il n'a jamais eu son permis de conduire, mais il utilisait beaucoup à la fois le bus et surtout il marchait.
14:13 Alors à l'époque d'un homme qui dort, il était plutôt dans une forme d'errance, de dérive,
14:20 comme disaient à l'époque les situationnistes ou les pré-situationnistes du type de Guy Debord.
14:26 Donc effectivement, il dérivait, il marchait, il traversait Paris de long en large.
14:31 Et on le retrouve dans ce livre merveilleux, "Ce diamant noir", qui est "Un homme qui dort".
14:38 Ensuite, il a imaginé des déplacements un peu plus codifiés, organisés, réglés,
14:45 ceux de ce chantier de lieux dont on parlait, effectivement,
14:48 où il avait choisi d'aller dans 12 lieux précis à tel moment de l'année.
14:53 Et puis les déplacements qu'il avait imaginés pour les jeux qu'il a inventés pour un certain nombre de journaux.
15:02 Il avait par exemple imaginé, un des jeux consistait à trouver un trajet
15:09 qui permettrait de traverser tout Paris en ne passant que par des rues dont le nom commence par la lettre C.
15:17 Alors voilà, il faut imaginer qu'on commence à rue de Courcel, qu'on passe par la rue de Chevaleret,
15:23 qu'on trouve une autre rue qui commence par la lettre C.
15:26 Voilà, c'était le genre de jeu, le genre de dérive ou de déplacement dans Paris que Perrec était capable d'imaginer.
15:33 - Claude Burgelin prenait-il ces jeux au sérieux lui-même ?
15:36 - Oui. Relatif, non, avec juste quand même l'humour qu'il fallait.
15:41 Mais il se disait dans cet appétit, ce goût du jeu,
15:45 je voudrais redonner ces lettres de noblesse, plutôt les lui donner, au verbe déconner.
15:51 Perrec adorait déconner.
15:53 Et déconner c'est quelque chose qui fonde la grande littérature, Rabelais déconne à plein tube.
16:00 Et Perrec aussi.
16:01 Et ce qui est très passionnant chez Perrec, c'est justement cet art de l'errance et de la dérive.
16:07 C'est pas simplement l'errance au milieu des rues, c'est l'errance au milieu des pensées,
16:11 c'est l'errance au milieu des mots, c'est trouver à la fois des règles de jeu précises,
16:18 et puis s'en aller au Dieu sait où.
16:21 Au fond c'est allier les deux mots anglais, le game, le jeu, aux règles bien précises,
16:29 et le play, c'est-à-dire on avance, on fait n'importe quoi délicieusement.
16:35 Le rapport entre la contrainte qu'on se donne et la liberté qu'on déploie,
16:41 ça c'est vraiment le cœur de l'œuvre de Perrec.
16:43 On va continuer à en parler, en s'arrêtant encore plus précisément sur son écriture,
16:48 sur ce qui fait aussi qu'elle nous touche tant aujourd'hui.
16:51 41 ans jour pour jour après sa disparition.
16:54 Vous restez avec nous, tous les deux, Claude Burgelin, Denis Kosnard,
16:57 on se retrouve dans une vingtaine de minutes pour continuer à évoquer le grand Georges Perrec.
17:03 *7h-9h, les Matins de France Culture, Jean Lemarie*
17:10 A 8h22, nous retrouvons nos deux invités autour de Georges Perrec,
17:14 41 ans jour pour jour après la mort de l'écrivain.
17:17 Toujours en studio avec nous, Claude Burgelin, qui publie "Georges Perrec, biographie" chez Gallimard,
17:24 et à distance mais en direct également, Denis Kosnard, l'auteur du "Paris de Georges Perrec, la ville, mode d'emploi" chez Paris Gramme.
17:31 Je voudrais qu'on s'arrête encore plus précisément sur la langue de Perrec.
17:36 Sur la langue de Perrec, quelle langue écrit-il finalement, Claude Burgelin ?
17:40 Si vous deviez la définir en quelques mots.
17:43 La langue la plus simple, la vôtre, la nôtre, mais avec des usages très particuliers.
17:52 Je vais prendre un exemple.
17:54 Il essaye de répondre à "qu'est-ce que c'est pour lui que d'être juif ?"
17:59 La réponse est "ce serait plutôt un silence, une absence, une question, une mise en question, un flottement, une inquiétude."
18:11 Chacun de ces mots est parfaitement limpide.
18:14 Ce qui est intéressant, c'est la façon dont il se côtoie les uns les autres,
18:18 et qu'aucun ne répond à lui seul tout à fait à la question.
18:22 La langue de Perrec, c'est des énoncés d'une simplicité enfantine.
18:28 C'est le cas de le dire quand il dit par exemple "je fus comme un enfant qui jouait à cache-cache
18:32 et qui ne sait pas ce qu'il craint ou désire le plus, rester caché, être découvert."
18:37 Un enfant de 7 ans comprendrait cette phrase.
18:40 Perrec s'est voulu... il n'emploie pas les mots de littérature, il n'emploie pas le mot "oeuvre".
18:48 Il s'est défini comme un artisan, pas comme un artiste.
18:52 Et il y a là des renversements extrêmement importants dans la figure de l'écrivain aujourd'hui.
19:01 Denis Coznart, diriez-vous les choses de la même façon ?
19:04 L'artisan aussi, pour reprendre le mot que Claude Burgelin reprenait lui-même.
19:08 Oui, alors Perrec effectivement s'est défini comme un artisan,
19:12 ou effectivement comme un paysan qui travaille sur plusieurs champs.
19:17 C'est ça qui est formidable avec l'écriture de Georges Perrec,
19:20 c'est une écriture relativement simple.
19:23 Et puis c'est comme un oignon, on peut lire, relire et on trouve des choses nouvelles à chaque fois.
19:31 On découvre derrière le jongleur de lettres, l'athlète de la contrainte,
19:37 le joyeux farceur capable effectivement d'écrire un livre entier sans la lettre E, par exemple, la disparition.
19:44 On découvre à force de relire ces textes, combien derrière tout ça il y a effectivement une tragédie fondatrice,
19:52 la Shoah, Claude Burgelin en a parlé.
19:55 Et ça donne effectivement une richesse prodigieuse à ces textes,
19:59 parce que les mêmes textes, les mêmes phrases, les mêmes mots qu'un enfant de 7 ans peut effectivement comprendre,
20:05 on peut les comprendre de façon différente et on peut mesurer la richesse de ces propos.
20:14 Et on voit combien effectivement la Shoah a profondément marqué cette écriture.
20:21 C'est une écriture du manque, Claude Burgelin a parlé du manque et du faux,
20:26 qui étaient les deux piliers, si je puis dire, ou des piliers bien fragiles,
20:31 mais les deux piliers de l'écriture de Perrec.
20:34 Voilà, c'est la Shoah qui a effectivement été à l'origine de tout cela.
20:39 Et l'écriture grave cela, presque physiquement dans la page elle-même.
20:44 Écoutons Perrec encore une fois sur la disparition, précisément.
20:48 Ce livre, qui se présente a priori comme un jeu, aussi un jeu littéraire, écrit sans la lettre E.
20:55 Le schéma est extrêmement simple.
20:57 Quand on écrit, on fait en général attention aux phrases, on essaye de moduler ces phrases.
21:04 On fait attention aux mots, on choisit ces mots, mais on ne fait pour ainsi dire pas attention aux lettres,
21:09 c'est-à-dire aux supports graphiques de l'écriture.
21:12 Et si on décide de se priver, de faire disparaître un élément dans cet alphabet,
21:18 si au lieu de 26 lettres on va seulement en avoir 25,
21:22 on va avoir une véritable catastrophe qui va se produire,
21:25 pour peu que la lettre que l'on choisisse soit une lettre importante.
21:28 Et j'ai décidé de me priver de la lettre la plus importante en français, qui est la lettre E.
21:33 Alors, ce qui a été pour moi fascinant, c'est qu'une fois donnée cette contrainte,
21:40 le livre est sorti, je dois dire, tout seul.
21:44 Il y a eu une espèce d'automatisation de l'écriture et de l'invention qui n'a jamais cessé.
21:49 Et qui en plus s'est mise à raconter tous les problèmes que je me posais moi à propos de l'écriture.
21:57 Elle contribue à inventer l'histoire, d'abord très simplement parce que l'histoire que l'on va raconter
22:02 va évidemment être l'histoire de cette disparition.
22:05 Un entretien avec Roger Grenier en 1969.
22:09 De quelle disparition s'agit-il finalement, Claude Burgelin, au-delà de la disparition d'une lettre ?
22:16 Bien sûr, c'est une parabole sur la disparition des Juifs, la disparition des siens.
22:22 Qu'est-ce que ça veut dire le génocide ?
22:28 Vouloir arracher des civilisations fondatrices de notre civilisation à nous, la civilisation juive.
22:36 Mais on ne l'a pas lu comme ça au début.
22:38 On a vu surtout d'abord le jeu, qui est éblouissant.
22:42 Parce que ça signifie une richesse, une vivacité dans l'appropriation de la langue extraordinaire.
22:52 Parce qu'il se supprime quand même 83% des mots de la langue.
22:55 On ne peut plus dire "le", "ne", "que", "de", "je", etc.
23:00 Des mots outils fondamentaux.
23:02 Et ça fait entendre autrement la musique de la langue.
23:05 La musique secrète du français, elle réside dans l'existence du "e" muet.
23:10 En l'arrachant et en renouvelant la langue elle-même.
23:14 Vous parlez aussi dans votre livre consacré à Pérec de ce qui serait une langue perdue.
23:21 Quelle langue ? Qu'est-ce qui est perdue finalement ?
23:25 Il a baigné dans le Yiddish quand il était tout petit.
23:30 Autour de lui, dans la rue Villain, la majorité de ses voisins parlaient Yiddish.
23:37 Les grands-parents ne parlaient que Yiddish.
23:41 Je ne sais pas en quelle langue les mots de la tendresse lui étaient dits par sa maman.
23:46 Mais il est possible que ce fût le Yiddish.
23:49 Et avec son départ pour Villard de Lens en 1943, la disparition de la mère,
23:54 le Yiddish disparaît de sa vie.
23:56 Mais il est quand même frappant qu'il y ait tout le temps le fantasme ou le fantôme
24:02 d'une langue disparue, perceptible dans son oeuvre.
24:06 Le lien toujours entre la manière d'exprimer les choses, le souvenir et les lieux.
24:13 Encore une fois, vous mentionnez la rue Villain.
24:15 Denis Kossnar, vous êtes retourné autant qu'on peut encore le faire parce que ce quartier
24:18 de Belleville a été ravagé, vraiment transformé bien après.
24:23 Et vous avez retrouvé tout de même des traces de l'enfance de Pérec et même de sa naissance.
24:30 Vous avez découvert que Pérec s'était trompé sur des aspects de sa propre biographie.
24:35 Oui, effectivement, Pérec dans "W" ou "Le souvenir d'enfance" est à la fois très précis
24:41 sur certains points.
24:43 Par exemple, effectivement, sur sa naissance, il explique qu'il est né 19 rue de l'Atlas en 1936.
24:50 Et puis, à la fois, il est très précis et très flou aussi sur certains points
24:56 et sur ses souvenirs, en particulier de ce belle ville, de ce petit ghetto juif de Belleville
25:02 des années 30, il explique que les souvenirs qu'il a sont des souvenirs largement faux.
25:07 Et cette précision du 19 rue de l'Atlas, de son lieu de naissance, effectivement,
25:14 il n'y avait pas de clinique de maternité aux 19 rues de l'Atlas.
25:19 Pérec, une fois de plus, qui était pourtant très attentif aux chiffres et aux nombres,
25:25 s'est trompé, la maternité était juste à côté.
25:31 Il y a tout un jeu, c'est ça que je trouve très fort et très touchant dans l'œuvre de Georges Pérec,
25:40 c'est qu'effectivement, il écrit sur du vide, il écrit sur cette rue vilain qui a totalement disparu.
25:46 Plus personne n'habite rue vilain, c'est devenu un tout petit bout d'un grand square, d'un grand parc public.
25:53 Il écrit sur du vide, avec des bribes de souvenirs qu'il a réussi laborieusement à faire remonter à la surface.
26:03 Et pourtant, c'est hyper émouvant, c'est hyper fort, parce que derrière cette expérience, qui est la sienne,
26:11 c'est aussi l'expérience de millions de personnes qui ont été, comme lui, déracinées,
26:19 puisque lui, voilà, Lachoix a coupé ses racines, il parle de l'histoire avec sa grande hache.
26:24 Cette histoire avec sa grande hache a haché menu les racines, il a été doublement déraciné,
26:30 c'est-à-dire qu'effectivement, quand il est revenu de Villars-de-Lens, juste après la guerre,
26:35 il n'avait plus ni évidemment la Pologne de ses parents, ni le Yiddish, sa langue maternelle,
26:45 ni même le belle ville de son enfance, puisqu'il a été transplanté, déplacé dans les beaux quartiers,
26:54 puisque ses parents étaient morts tous les deux.
26:57 Voilà, de ce double déracinement est né un besoin d'ancrage très profond,
27:05 et cet ancrage, il le trouve à la fois dans Paris, dans cette attention incroyable qu'il a au lieu parisien,
27:11 et en particulier à la rue Villain de son enfance, et puis dans l'écriture.
27:16 Il arpente Paris, il écrit, il arpente pour écrire, comme il le dit, "j'écris pour me parcourir".
27:23 C'est une très jolie formule.
27:25 Et c'est la place de l'enfance, la place singulière dans la vie et dans l'œuvre de Pérec,
27:31 mais aussi la place de l'enfance chez tout un chacun.
27:34 Écoutons-le encore parler cette fois de son rapport à l'enfance.
27:38 Il y a eu, d'une certaine manière, un combat,
27:42 qui se traduit par un livre, pour moi, très important,
27:49 qui est une autobiographie, à la fois une autobiographie et une fiction,
27:54 qui est "W. ou le souvenir d'enfance", que j'ai publié il y a trois ans,
28:00 et qui est la recherche de ce...
28:07 - De ses racines. - L'enquête sur cette existence, sur cette enfance,
28:13 sur ces attaches dont j'ai été privé.
28:16 Et d'une certaine manière, c'est la recherche de ses parents, qui étaient morts,
28:24 dont je n'avais même pas... Le problème, d'une certaine manière,
28:30 c'était de retrouver la douleur que j'aurais eue,
28:34 qui m'avait été dérobée, parce que finalement,
28:38 quand mon père est mort, j'étais trop petit pour m'en rendre compte.
28:41 Quand ma mère est morte, je ne l'ai pas su. C'était en 1943.
28:44 J'étais dans les Alpes.
28:47 Et il a fallu que je les enterre, d'une certaine manière.
28:54 - C'est Georges Pérec, ici, en 1978, dans "Radioscopie",
28:59 toujours avec Jacques Chancel.
29:02 "Retrouver la douleur que j'aurais eue", dit Pérec, Claude Burgelin.
29:07 Chaque mot est pesé, on entend les silences, on entend les hésitations.
29:11 - La tragédie de Pérec, c'est justement qu'il n'a pas pu exprimer cette douleur
29:16 de 43 à 45 ans. On n'a rien pu lui dire de sa mère,
29:20 parce que personne n'en savait rien.
29:22 Donc, il a eu à faire face à une disparition,
29:24 est-ce que ça a de plus horrible que d'œil cernable ?
29:29 Et d'autre part, il a perdu le souvenir de sa mère,
29:33 le souvenir des gestes de sa mère,
29:35 les souvenirs de la voix de sa mère.
29:37 Il n'a plus rien qui lui signifie qui était sa mère.
29:41 Et en plus de sa mère, on n'a pas pu lui dire grand-chose.
29:44 La famille Biedenfeld, celle qu'il a accueillie,
29:48 l'a accueillie très généreusement et efficacement,
29:51 mais en même temps, elle ne lui a pas dit grand-chose de cette mère
29:56 qui était dans un autre environnement culturel que l'était, la Biedenfeld.
30:01 - Quel est le rôle de l'écriture face à cet abîme ?
30:03 Est-ce que l'écriture, pendant un temps, cache ce qu'on devine sans vraiment le savoir ?
30:09 Est-ce que l'écriture révèle ? Est-ce qu'elle réveille aussi quelque chose ?
30:13 Les deux, bien sûr, elles cachent et elles révèlent et elles réveillent,
30:17 mais l'écriture, il en revient toujours aux gestes fondamentaux que ça représente.
30:22 Tracer des signes, il dit quelque part dans "Espèce d'espace",
30:30 écrire, arracher quelques brilles précises ou vides qui se creusent,
30:35 laisser quelque part un sillon, une trace, une marque ou quelques signes.
30:41 Sa mère n'a laissé ni marque ni signe.
30:45 Donc écrire, c'est d'abord ce geste qui est le geste immémorial de l'homme des cavernes,
30:52 laisser des traces, des marques, quelques signes.
30:55 - Vous dites immémorial et en même temps, vous avez une expression dans votre ouvrage,
31:00 vous évoquez un mémorial en vrac pour parler de Pérec.
31:04 - Oui, mémorial en vrac, mémorial,
31:08 puisque tout est référé aux souvenirs, à la mémoire,
31:11 et d'une certaine façon, l'immeuble de la vie mode d'emploi
31:14 qui est bourré d'objets, de signes, de bouquins, de traces de journaux,
31:20 un grand fatras, un grand n'importe quoi.
31:23 Mais c'est un mémorial quand même, c'est de la mémoire en miettes.
31:30 Et peut-être, c'est ce que nous pouvons nous approprier aujourd'hui, de la mémoire en miettes.
31:35 - Et c'est peut-être aussi une des raisons pour lesquelles Pérec nous touche tant,
31:39 c'est ce morcellement aussi que vous nous décriviez tout à l'heure,
31:43 et la manière dont il essaie de bâtir quelque chose à partir de ce morcellement.
31:48 - Tout à fait, ce qui est fondamental chez lui, c'est de faire fond sur la cassure.
31:53 Ce qui est exactement le contraire de ce qu'on attend en général d'un livre,
31:56 qu'il soit bien organisé, avec une flèche directrice.
31:59 - Et pourtant ces livres étaient "on ne peut plus organiser", à l'extrême.
32:04 - Et à la fois la grille, et tout le temps l'échappée de cette grille.
32:09 - Denis Kosnar, parlons encore davantage de "W" ou "Le souvenir d'enfance",
32:13 ce livre extraordinaire bâti avec deux récits en parallèle.
32:17 Un récit qui se dit autobiographique, même si là aussi il faut ajouter d'énormes nuances.
32:23 Et puis un récit de fiction dystopique, terrifiant.
32:26 Vous pouvez nous en parler en quelques instants, pour ceux qui ne l'auraient pas encore découvert ?
32:31 - Oui, c'est un livre qu'il faut lire, parce que c'est une autobiographie à nul autre.
32:36 Une autobiographie qui met le lecteur en tension, qui le met à l'épreuve.
32:43 On a envie de suivre soit la partie autobiographique, les chapitres autobiographiques,
32:50 où Perrec essaie de faire remonter les bribes de son enfance,
32:54 les souvenirs de la rue Villain, les souvenirs de la guerre,
32:57 qui remontent petit à petit, ou on aurait envie de suivre les autres chapitres.
33:02 Ce fantasme enfantin qu'il a développé quand il était gamin,
33:07 d'une île avec des Jeux Olympiques un peu bizarres, la recherche d'un enfant.
33:16 Et puis, en fait, ce que Perrec nous propose, c'est d'être confronté à ces deux chapitres,
33:27 ces chapitres qui alternent cette fiction et cette autobiographie,
33:30 qui se cognent, qui rentrent l'un dans l'autre.
33:34 - Cette fiction, c'est un monde terrifiant.
33:36 - C'est un monde, bien sûr, qui devient de plus en plus terrifiant au fil du livre.
33:41 - Sans tout dévoiler, dites-nous quelques mots de ce qu'est cette fiction, Denis.
33:44 - Au fur et à mesure, on comprend que cette fiction, ces Jeux Olympiques,
33:49 ce monde est un monde qui se rapproche d'un camp de concentration, évidemment.
33:54 Donc, ces deux récits, autobiographiques et fictionnels,
33:58 ont des tas de points communs, des petits points communs,
34:02 et de plus en plus de points communs.
34:04 Mais c'est une épreuve, c'est à la fois un grand plaisir de les lire,
34:08 Perrec s'y dévoile comme jamais il ne s'était dévoilé,
34:11 et en même temps, on fait l'apprentissage de la douleur.
34:14 C'est en ça que c'est un livre qui est vraiment à nul autre pareil,
34:18 et qui est un grand livre qui mérite absolument d'être lu.
34:21 - Claude Burgelin ?
34:22 - Ce qui est extraordinaire, c'est qu'il soit arrivé à intriquer
34:25 le récit de la vie d'un gamin, pauvre, en événement,
34:30 à la catastrophe absolue qu'a connue l'Europe pendant ces années-là.
34:36 Et la façon dont il intrigue l'un dans l'autre est magistrale.
34:40 - On a beaucoup décrit tout à l'heure, vous l'avez fait tous les deux,
34:43 le Perrec observateur, attentif à la vie quotidienne,
34:47 à l'infraordinaire comme il le disait,
34:49 mais quel était son rapport à la fiction comme lecteur,
34:53 et comme écrivain finalement, Claude Burgelin ?
34:55 - Comme lecteur, il adorait un certain nombre de romans,
34:59 mais sa palette était très variée,
35:02 puis c'est aussi bien Alexandre Dumas ou Agatha Christie
35:05 que Flaubert, Joyce, Kafka.
35:08 J'aime les livres, je lis les livres que j'aime,
35:12 et j'aime les livres que je lis.
35:14 C'est définir un univers, il y a des tas d'univers littéraires
35:18 qui étaient hors de son champ visuel.
35:21 - Mais la fiction, comme écrivain, le moment qu'elle est pour vous,
35:29 tel que vous l'avez vu aussi et fréquenté,
35:32 le moment où on passe de la part autobiographique,
35:36 même remaniée, à la part réellement fictionnelle ?
35:40 - Je ne sais pas s'il y a un moment,
35:42 mais c'est toujours là le goût de la fiction,
35:44 et il parle des romans qu'on lit à plat ventre sur son lit quand on est gamin,
35:49 et effectivement, une de ses références c'est Jules Verne,
35:52 puisqu'il a écrit l'Utopie W à partir du roman de Jules Verne,
35:58 et qu'au fond la fiction est pour lui un moyen de dire la vérité.
36:03 - Denis Kosnard ?
36:06 - Oui, bien sûr, Pérec adorait un certain nombre de livres,
36:10 et il les adorait tant qu'il les a utilisés, qu'il en a fait...
36:14 Lui qui écrivait sur du vide, il écrit aussi sur...
36:18 Il s'est appuyé sur l'écriture des autres,
36:22 et donc il a un jeu, notamment dans la vie mode d'emploi,
36:26 un jeu avec les citations de tous ces grands livres
36:29 qui l'ont marqué, qui ont marqué son enfance, son entrée dans l'âge d'homme,
36:33 qui l'ont tellement aidé à survivre, à vivre,
36:37 que son œuvre est aussi un senton, un mélange de plein de citations,
36:47 et il se sentait effectivement avec tous ses auteurs,
36:50 une fraternité retrouvée.
36:53 Lui qui manquait tellement d'avoir eu une famille
36:57 dont à la fois la petite sœur et les deux parents étaient morts en quelques années,
37:04 il s'était retrouvé une famille, une famille de papiers,
37:07 une famille d'écrivains, y compris avec d'ailleurs ses amis membres de Loulipo.
37:12 - C'est ce que j'allais vous dire, Loulipo, l'ouvoir de littérature potentielle,
37:16 l'un des groupes, l'une des bandes importantes de Georges Pérec,
37:19 parce que depuis tout à l'heure, on souligne aussi les failles, les abîmes, la douleur de Pérec.
37:24 Rappelons quand même, et vous commenciez aussi par là, tout à l'heure, Claude Burgelin,
37:28 vous qui l'avez bien connu, rappelons qu'il était aussi et infiniment un homme d'amitié,
37:34 de lien, de fraternité.
37:36 - C'était un type incroyablement affectueux et rieur.
37:41 Et effectivement, il y avait au fond une sorte de complicité qui s'établissait avec lui
37:46 dans un "veux-tu jouer avec moi ?"
37:49 Puisque l'un de ses sujets de conversation préférés, c'était les projets qu'il avait en tête.
37:55 Ce serait formidable si on pouvait écrire un bouquin qui est que,
37:59 qui serait écrit avec telle contrainte.
38:01 Et donc on commençait à délirer là-dessus.
38:04 Et c'était un code de jeu absolument délicieux.
38:08 - Vous pensez à lui tous les jours, Claude Burgelin ?
38:11 - Je crois. Je crois que je pense à lui tous les jours.
38:16 C'est une présence fraternelle que je ne sais pas bien cerner.
38:22 Je ne sais pas très bien ce qu'il m'a apporté.
38:24 Mais je sais qu'il est là pour moi très fort.
38:29 Et que c'était pour moi une tâche essentielle que d'essayer de parler de lui
38:34 et de lui rendre justice si tant est qu'il a eu besoin qu'on lui rende justice.
38:37 - Et c'est ce beau livre, cette belle biographie, Georges Pérec,
38:41 qui paraît donc chez Gallimard.
38:43 À lire aussi, je le recommande vivement,
38:46 "Le Paris de Georges Pérec", "La ville, mode d'emploi" de Nick Osnar.
38:50 Et puis évidemment à découvrir ou à redécouvrir les livres de Pérec dans leur diversité.
38:56 Vous le dites d'ailleurs aussi, Claude Burgelin,
38:58 dans votre biographie, il ne se passe maintenant pas d'année
39:01 sans que paraissent des textes retrouvés ou remis en perspective.
39:06 Il y a évidemment aussi dans les éditions de la Pléiade, les œuvres de Pérec.
39:11 Vraiment, retournez-y si vous en avez un souvenir lointain.
39:15 Merci à tous les deux, Claude Burgelin, Denis Cosnard.
39:18 On retrouve cet entretien sur l'appli Radio France et franceculture.fr.

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