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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 17 Mai 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

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Transcription
00:00 Alors que l'OMS vient de lever il y a quelques jours, le 5 mai dernier, l'alerte maximale sur la pandémie de Covid-19,
00:07 avons-nous définitivement tourné la page du virus, trois ans après son apparition.
00:12 Bonjour Karine Lacombe.
00:14 Bonjour.
00:15 Vous êtes infectiologue, chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Saint-Antoine à Paris
00:20 et membre du comité scientifique du CIDACTION.
00:25 C'est un peu une émission que l'on avait envie de faire depuis de nombreuses semaines
00:30 puisqu'on a énormément parlé du Covid, Karine Lacombe,
00:35 et aujourd'hui, eh bien, semble-t-il, si le virus n'a pas définitivement disparu,
00:41 en tout cas, on voit que l'alerte mondiale est levée.
00:44 Bref, on peut être quand même un peu soulagé à ce stade.
00:48 Oui, on est clairement soulagé.
00:50 Après trois ans de pandémie, on voit quand même qu'on sort d'un état d'exception.
00:54 Effectivement, comme vous l'avez dit, ce n'est plus une urgence de santé publique de portée internationale.
01:00 Le directeur de l'OMS l'a bien rappelé, mais il a aussi rappelé que ça restait une menace mondiale.
01:06 Et ça, c'est bien important de le garder en tête parce que ce n'est pas parce que ce n'est plus un état d'exception
01:13 qu'on n'est pas encore dans une urgence sanitaire.
01:16 Et là où est l'urgence sanitaire, eh bien, c'est sur le plan thérapeutique, sur le plan également épidémiologique,
01:22 parce qu'on n'est pas à l'abri de l'émergence de nouveaux variants.
01:24 Donc, on doit rester concentré sur la lutte contre cette infection.
01:28 Alors, pas à l'abri de nouveaux variants, ça veut dire quoi ?
01:31 Ça veut dire que soudainement, dans une perspective indéterminée, Karine Lacombe,
01:37 on pourrait se retrouver à nouveau avec un variant qui poserait des problèmes ?
01:41 Tout à fait, rien n'est exclu.
01:43 Parce que le gros problème, c'est qu'on ne sait toujours pas d'où vient ce nouvel agent pathogène,
01:48 même si on a des idées, il y a des pistes qui sont explorées.
01:52 Mais tant qu'on ne sait pas exactement d'où vient cet agent pathogène,
01:55 il est extrêmement difficile de lutter contre l'émergence de nouveaux variants,
02:00 de nouveaux variants pathogènes.
02:02 Parce que si on le savait, qu'est-ce que l'on pourrait faire que l'on ne fait pas aujourd'hui ?
02:04 On prendrait des mesures pour que ça ne se reproduise plus
02:06 et on comprendrait beaucoup mieux le principe qui a prévalu à l'émergence de ce virus.
02:12 Mais les mutations qui se poursuivent ou se poursuivraient aujourd'hui,
02:16 j'imagine qu'elles sont surveillées,
02:20 cela signifie qu'il y a une forme d'immunité collective,
02:24 parce qu'on a longtemps attendu l'immunité collective.
02:26 Est-ce qu'aujourd'hui, on peut parler d'une immunité collective
02:29 par rapport aux variants auxquels on est déjà habitué, Karine Lacombe ?
02:34 Oui, ça c'est clair.
02:35 Tout le monde a été exposé.
02:37 La très grande majorité de la population mondiale a été exposée d'un côté au virus,
02:42 mais également a été vaccinée, pour sa grande majorité en tout cas dans les pays du Nord.
02:47 Donc on a une immunité qui est mixte, une immunité d'exposition naturelle à la maladie
02:51 et une immunité secondaire à la vaccination.
02:54 Donc il est clair pour l'instant que quand on a un bon système immunitaire,
02:57 on répond de façon favorable à l'exposition au virus,
03:02 ce qui est un peu différent pour les personnes immunodéprimées.
03:05 Est-ce que le Covid va devenir une grippette désormais ?
03:10 C'est difficile de dire ça.
03:12 C'est sûr que les symptômes actuellement dans la grande majorité des personnes infectées
03:17 sont relativement mineurs.
03:19 De là à dire que ça devient une grippette, certainement pas,
03:22 parce que comme on l'a dit tout à l'heure,
03:25 on peut avoir un nouveau variant qui émerge et qui est potentiellement plus pathogène.
03:31 Mais en tout cas, c'est évident qu'on n'est plus maintenant,
03:33 trois ans plus tard, dans la situation où on était en mars 2020.
03:36 Ça veut dire aussi, Karine Lacombe, qu'on ne peut rien faire
03:38 pour empêcher l'avènement d'un nouveau variant ?
03:43 On ne peut pas faire grand-chose, parce qu'en fait, l'émergence des nouveaux variants,
03:46 c'est aussi la confrontation entre le système immunitaire de chacun d'entre nous
03:50 et le virus qui se propage.
03:52 Donc non, il n'y a pas grand-chose à faire,
03:53 en dehors de surveiller pour prévenir la diffusion de variants
03:58 qui seraient éventuellement plus pathogènes.
04:00 Quel est l'avenir de la vaccination contre le Covid ?
04:03 Eh bien, l'avenir de la vaccination contre le Covid va concerner principalement
04:10 les personnes qui sont les plus à risque de faire des formes graves.
04:13 Donc on sait que ce sont les personnes qui sont âgées,
04:17 plus de 70, 75, 80 ans,
04:19 personnes qui ont des maladies associées,
04:22 qui les prédisposent à décompenser ces maladies associées.
04:25 Par exemple, tout ce qui est insuffisance cardiaque,
04:27 insuffisance respiratoire, diabète, etc.
04:30 Mais également les personnes immunodéprimées,
04:31 qui restent vraiment le cœur de cible de la lourdeur des soins actuellement.
04:40 Donc il y a une portion de la population
04:41 qu'il va falloir continuer à vacciner tous les six mois.
04:44 Quelle échéance selon vous, Karine ?
04:47 Ça, c'est difficile à dire.
04:48 On espère maintenant pouvoir coupler la vaccination contre le Covid
04:52 avec celle contre la grippe,
04:54 c'est-à-dire une vaccination annuelle,
04:56 parce qu'on voit que le Covid n'a pas vraiment encore,
05:00 pour l'instant, une dynamique saisonnière.
05:03 Mais peut-être que, comme beaucoup de virus respiratoires,
05:06 ça s'installera dans le temps avec une dynamique qui va suivre les saisons.
05:10 Alors, c'est la fin, en tout cas, de l'alerte maximale
05:12 sur cette pandémie de Covid-19.
05:14 Karine Lacombe, quelles sont les leçons qu'on peut tirer ?
05:17 Tout d'abord, qu'est-ce que l'on a mal fait ?
05:19 Si on devait se retrouver, vous et moi, en mars 2020,
05:25 au début de la pandémie,
05:27 est-ce qu'il y a d'autres choses, d'autres décisions que vous prendriez
05:30 ou alors des décisions qu'on a prises que vous ne prendriez pas ?
05:34 C'est sûr que la pandémie,
05:36 quand elle nous est tombée dessus en mars 2020,
05:38 est tombée sur un système de soins qui était déjà en grande souffrance.
05:42 Une difficulté d'articulation entre la médecine de ville,
05:45 la médecine ambulatoire et la médecine hospitalière.
05:47 Et on l'a vu d'ailleurs très rapidement,
05:49 c'est la médecine hospitalière qui a pris le devant
05:51 et avec une disparition quasi complète de l'implication de la médecine de ville.
05:55 Ça, ça a été une grosse erreur.
05:58 Il y a eu ensuite une primauté du soin individuel sur la santé publique,
06:02 mais ça aussi, c'était antérieur à la pandémie.
06:05 Mais on l'a vu pendant la pandémie, combien ça s'était exacerbé.
06:08 C'est-à-dire que la santé publique, la santé globale de la population
06:13 et tous les mécanismes qui incluent, par exemple, l'épidémiologie,
06:16 la surveillance virologique, etc.
06:20 Ça n'a jamais été, les politiques de prévention,
06:22 ça n'a jamais été vraiment l'apanacée en France.
06:25 On sait qu'on a un gros déficit de politiques solides de santé publique
06:30 et ça a encore été bien plus exacerbé au moment de la pandémie.
06:34 On a ensuite vu que malheureusement,
06:36 même si on avait des mécanismes de démocratie sanitaire,
06:39 on n'a pas su les activer.
06:41 C'est-à-dire qu'on n'a pas assez impliqué la population
06:43 dans les choix qui les ont concernés.
06:46 Il y a surtout eu des méthodes assez coercitives d'obligation.
06:52 On en a trouvé.
06:53 On n'a pas repris la suite des obligations qui ont été faites,
06:58 mais si on commence chronologiquement,
07:01 est-ce que le confinement, si c'était à refaire,
07:04 est-ce que vous le préconiseriez ?
07:07 Est-ce que vous le préconiseriez avec cette rigueur ?
07:10 Je parle du premier confinement, Karine Lacombe.
07:12 Je ne crois pas qu'on en a trop fait.
07:13 Je pense qu'on a fait de la meilleure façon qu'il fallait
07:17 dans le système où on était en mars 2020,
07:20 c'est-à-dire un système de soins qui était un peu à bout de soule,
07:24 avec un hôpital qui était malade.
07:27 On n'avait pas assez de lits d'hospitalisation,
07:30 on n'avait pas assez de soignants,
07:32 on n'avait pas assez de moyens pour faire face très rapidement
07:36 à un danger sanitaire majeur.
07:37 Vous vous souvenez, à l'époque, on en avait beaucoup parlé.
07:40 On disait, par exemple, les Français n'ont pas le droit
07:42 de se promener seul en forêt,
07:44 tandis que les Suisses ont ce droit sur ces mesures-là.
07:47 Oui, vous avez raison.
07:50 Quand on parle de mécanisme global, on a bien fait,
07:53 parce qu'on a vu d'ailleurs que les Anglais,
07:54 qui ont pris 15 jours de retard,
07:55 ont eu une mortalité plus élevée que la nôtre.
07:59 Après, c'est sûr que dans les détails,
08:01 on se rend compte maintenant que ça a été un peu absurde,
08:03 les histoires des plages où on ne pouvait pas se promener,
08:05 les forêts, etc. Oui, vous avez raison.
08:07 - La question des masques, alors, on n'avait pas assez de masques au début.
08:10 Ensuite, les masques sont devenus obligatoires.
08:13 Ils sont même parfois devenus obligatoires
08:15 à certaines périodes dans la rue.
08:17 Que sait-on aujourd'hui de sciences certaines,
08:20 Karine Lacombe, sur les masques ?
08:22 - C'est toujours très compliqué de revisiter les décisions
08:24 qui ont été prises à l'époque, à l'aune,
08:27 des connaissances que l'on avait à ce moment-là.
08:30 Au tout début, janvier-février,
08:32 je dirais jusqu'au début du mois de mars,
08:34 on n'avait aucune certitude sur
08:38 les modalités majeures de transmission du virus.
08:40 Par exemple, il a fallu attendre la fin du mois de février
08:43 pour comprendre qu'en fait, même début du mois de mars,
08:45 il fallait comprendre que le virus se transmettait
08:48 principalement avant qu'on ait des symptômes.
08:50 Donc là, à ce moment-là, effectivement,
08:53 à partir du moment où on l'a su, il était logique de mettre des masques.
08:56 Alors qu'on pensait que c'était beaucoup plus proche
08:58 d'autres virus respiratoires, où le pic de transmission se passe
09:02 quand on commence à avoir des symptômes.
09:03 Et c'est pour ça que l'histoire des masques, au tout début,
09:05 a été aussi hésitante.
09:07 Il y a probablement eu aussi cette histoire de pénurie de masques
09:10 dont on n'avait pas conscience, qu'on a su au début du mois de mars.
09:15 Et effectivement, là, probablement qu'il y a eu un problème de gestion
09:19 de cette information sur la pénurie de masques
09:23 suite à des décisions qui avaient été prises plusieurs mois auparavant.
09:26 - Alors maintenant, les a-t-on, ces masques ?
09:28 - Ah oui, oui, maintenant, on en a beaucoup.
09:31 On en a beaucoup.
09:31 - Alors on est reparti dans l'autre cycle.
09:33 C'est-à-dire bientôt, on va dire qu'on en a trop,
09:34 on va les détruire.
09:35 - J'espère que non.
09:36 Après, c'est vraiment une politique de gestion de masques.
09:38 On sait qu'on peut perdre de l'argent à stocker des masques.
09:41 Mais en tout cas, au moment où on en a besoin,
09:43 on est plutôt content de les avoir en nombre.
09:46 - La vaccination, est-ce que là aussi, si c'était à refaire,
09:50 est-ce qu'il fallait vacciner tout le monde,
09:52 y compris des personnes qui ne sont pas des personnes à risque ?
09:55 - Ah oui, oui, oui, absolument.
09:57 Vous avez parlé tout à l'heure de l'atteinte de cette immunité collective
10:00 quand on est face à un virus qui était aussi dangereux.
10:03 Parce qu'il faut savoir que même si ce sont majoritairement
10:06 des personnes avec des pathologies particulières qui en sont décédées,
10:11 beaucoup ont été très malades.
10:12 Il ne faut pas négliger, par exemple, tout le phénomène de Covid long,
10:16 qui est un phénomène qui n'existe quasiment plus maintenant
10:19 chez les personnes vaccinées, mais qui prévaut vraiment
10:24 avant qu'on ait accès à la vaccination large.
10:26 - Est-ce que ça veut dire qu'une personne qui a été vaccinée
10:29 ne connaît pas ce phénomène de Covid long ?
10:32 - Enfin, en tout cas, une proportion beaucoup, beaucoup moins importante.
10:36 - Et la question donc, à la fois de la vaccination du personnel soignant
10:39 et de la réintégration du personnel soignant non vacciné,
10:44 votre point de vue à ce sujet, Karine Lacombe ?
10:46 - Alors, moi, j'étais vraiment pour l'obligation vaccinale
10:50 au moment où on était au plein cœur de la pandémie.
10:53 Parce que vous savez, quand on discute d'une obligation vaccinale,
10:56 on ne prend pas ce type de décision à la légère.
10:59 On prend en compte plusieurs facteurs qui sont d'abord
11:01 la gravité potentielle de la maladie, la propension à transmettre cette maladie,
11:06 et en particulier pour les soignants, à les transmettre aux patients,
11:09 la propension d'être soi-même infecté, donc du patient vers le soignant,
11:13 ça, c'est pas négligeable, ce qu'on appelle aussi les transmissions nosocomiales,
11:17 et puis également la disponibilité ou pas des vaccins
11:19 et le bénéfice-risque des vaccins.
11:21 À l'époque, en plein cœur de la pandémie,
11:23 tous les voyants étaient au vert pour une obligation vaccinale
11:27 d'une population qui était à risque d'être infectée,
11:30 mais également qui était à risque de transmettre à des patients fragiles.
11:33 Maintenant, même si...
11:36 C'est vrai que c'est difficile actuellement parce qu'il faut se départir
11:39 de ce côté émotionnel de la vaccination obligatoire
11:43 comme de la réintégration des soignants.
11:45 Je pense que tout se discute.
11:47 Lever l'obligation vaccinale maintenant,
11:51 de ce qu'on sait sur la Covid-19,
11:54 qui est très malade, etc., voilà, ça se discute.
11:57 - Ça se discute, ça veut dire que c'est une décision
11:59 qui est plus politique que sanitaire, selon vous, Karine Lacombe ?
12:03 - Alors, c'est d'abord les recommandations
12:06 qui ont été mises en faveur de l'obligation ou pas de la vaccination.
12:10 D'ailleurs, pas que de la Covid-19.
12:11 Vous savez que l'HAS s'est également positionné
12:15 sur la diphtérie thétanos polio et l'hépatite B.
12:18 Donc, c'est d'abord une proposition sanitaire.
12:23 Ensuite, c'est sûr que c'est une décision politique.
12:25 - Je vais le dire autrement, puisque c'est une décision politique.
12:28 Ce qui a pu surprendre certains,
12:30 c'est que cette vaccination n'empêchait pas la transmission du virus.
12:35 Dès lors, on ne comprenait pas, certains, en tout cas,
12:38 ne comprenaient pas pourquoi il fallait être vacciné,
12:40 puisque même en étant vacciné, on transmettait le virus.
12:44 On pouvait donc le transmettre, en l'occurrence,
12:46 aux patients, à des patients hospitalisés pour d'autres maladies.
12:50 - Mais c'est pour ça que la vaccination n'est pas la seule arme de prévention.
12:54 Le port du masque en milieu de soins, par exemple, est extrêmement important.
12:58 Et c'est pour ça aussi qu'à un moment donné,
13:00 on a pesé le pour et le contre de la vaccination obligatoire
13:04 avec tout ce caractère coercitif
13:06 qui, dans les mesures de santé publique, n'est jamais la panacée.
13:09 - Autre urgence mondiale qui n'est plus,
13:12 c'est celle de l'épidémie de variole du singe.
13:14 Et là aussi, Karine Lacombe, qu'est-ce que l'on a appris à ce sujet ?
13:18 Est-ce que ça veut dire aussi que ce type de pandémie d'urgence sanitaire,
13:25 elle peut survenir, elles vont survenir sous d'autres formes dans les mois qui viennent ?
13:31 - Ce qu'on a appris à ce sujet, c'est qu'il ne faut jamais négliger
13:35 les épidémies d'où qu'elles partent.
13:37 Et la grosse responsabilité qu'ont à nous, les pays du Nord,
13:40 c'est que pendant plusieurs années,
13:44 les pays du Sud et en particulier le Nigeria,
13:46 a appelé à l'aide pour une épidémie de variole du singe
13:49 qui n'arrivait pas à contenir.
13:50 Et c'est probablement à partir de foyers africains
13:54 que le virus est arrivé en Europe
13:56 et n'est devenu une priorité de santé mondiale.
13:59 Donc une nouvelle, également urgente de santé publique de portée internationale,
14:04 comme on en avait parlé avec le Covid, ça a été le cas avec le Mpox,
14:08 et bien ça, ça a été négligé.
14:09 Et ça a été négligé pourquoi ?
14:11 Probablement parce que, comme souvent quand on a des épidémies dans les pays du Sud,
14:16 les pays du Nord qui n'ont pas toujours un intérêt personnel en termes de santé,
14:21 en termes également d'investissement financier,
14:24 n'y portent pas attention.
14:25 Et si on avait été plus prudent,
14:29 probablement que cette épidémie n'aurait pas été mondialisée.
14:32 Donc là aussi, il y a des leçons à tirer.
14:36 Tout à fait, il y a des leçons à tirer
14:38 sur l'importance de l'investissement en termes de recherche,
14:42 sur des pathologies qu'on dit négligées,
14:44 l'investissement en termes de prévention également,
14:49 et puis l'investissement en termes moraux.
14:55 Et puis, dernier élément, mais pas des moindres,
14:58 Karine Lacombe, pour cette actualité des pandémies,
15:01 le Sida, on va commémorer les 40 ans de la découverte du virus cette année.
15:07 Là aussi, on a fait de nombreux progrès,
15:09 mais la vaccination se fait toujours attendre ?
15:14 Alors oui, effectivement, c'est le cas de le dire.
15:16 Ça fait 40 ans qu'on court après un vaccin.
15:19 Il y a eu de très nombreuses désillusions.
15:21 Heureusement que la lutte contre la pandémie
15:23 ne passe pas que par la recherche d'un vaccin.
15:25 La lutte contre la pandémie passe surtout par la recherche
15:29 de meilleurs moyens de prévention, de meilleurs moyens thérapeutiques,
15:33 d'une meilleure inclusion des personnes vivant avec le VIH dans la société,
15:37 donc de lutte contre la discrimination, la ségrégation.
15:41 Et ça, c'est extrêmement important en matière de santé publique.
15:44 Quelles sont les prochaines étapes en matière de recherche contre le Sida ?
15:49 C'est sûr que ce sera la recherche,
15:52 si ce n'est d'éradication, au moins d'élimination du virus.
15:55 Donc il y a un gros investissement en termes de ce qu'on appelle la guérison du VIH,
16:00 donc HIV Cure, dont le vaccin est une des composantes, mais pas la seule.
16:06 Karine Lacombe, vous êtes infectiologue,
16:08 chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Saint-Antoine à Paris.
16:15 On va continuer d'évoquer la pandémie avec,
16:17 cette fois-ci, les réponses des laboratoires pharmaceutiques.
16:21 Nous serons en compagnie de Maurice Cassier dans quelques instants.
16:25 Il est sociologue au CNRS et il publie "Il y a des alternatives, une autre histoire"
16:30 des médicaments aux éditions du Seuil,
16:34 une manière d'interroger notamment le rôle des laboratoires pharmaceutiques
16:39 et la propriété sur un certain nombre de médicaments et de vaccins.
16:42 En attendant, il est 8h sur France Culture.
16:45 * Extrait de "Il y a des alternatives, une autre histoire" de Maurice Cassier *
16:50 Et pour parler du Covid, nous sommes en compagnie de l'infectiologue Karine Lacombe.
16:55 Vous êtes chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Saint-Antoine à Paris.
16:59 On a évoqué avec vous les différentes étapes de cette pandémie,
17:04 ce que l'on aurait pu faire si l'on avait su, mais à l'époque, on ne savait pas.
17:09 Et justement, pour évoquer la manière dont cette épidémie de Covid a évolué,
17:16 notre perception des laboratoires pharmaceutiques, notamment au travers de la question des vaccins,
17:20 je vous ai invité, Maurice Cassier, bonjour.
17:23 Vous êtes sociologue au CNRS, vous êtes spécialiste des questions de santé
17:27 et vous publiez un ouvrage passionnant "Il y a des alternatives, une autre histoire"
17:32 des médicaments aux éditions du Seuil.
17:34 Et je vais lire un extrait de cet ouvrage qui est l'introduction
17:38 où vous évoquez la manière dont les vaccins ont enrichi les sociétés de médicaments,
17:46 les laboratoires pharmaceutiques, avec des chiffres qui donnent le tournis.
17:50 Vous évoquez notamment la société de biotechnologie Moderna,
17:53 qui a perçu 12 milliards de dollars de profit avec une capitalisation boursière de plus de 100 milliards.
18:01 Vous évoquez l'entreprise BioNTech, qui a réalisé 9 milliards d'euros de bénéfices nets
18:06 pour une capitalisation de 39 milliards d'euros.
18:09 Bref, des sommes qui donnent absolument le tournis,
18:12 qui ont d'ailleurs été utilisées par beaucoup de complotistes
18:16 pour évoquer le fait que ces profits montraient bien
18:21 qu'il y avait un intérêt absolu à vouloir vacciner le monde entier.
18:26 Maurice Cassier, le fait que ces laboratoires aient inventé ces vaccins,
18:32 breveté les formules qui ont permis de réaliser ces vaccins,
18:37 est-ce la seule solution ou bien il y a-t-il des alternatives ?
18:41 Il y a des alternatives.
18:43 Peut-être qu'on pourrait relever les nouveautés de la pandémie de Covid.
18:47 La nouveauté, d'abord, c'est les deux laboratoires dont vous venez de parler,
18:51 puisque Moderna et BioNTech, avant la pandémie de Covid, n'avaient pas vendu de vaccins.
18:58 Moderna n'avait pas vendu un seul vaccin avant 2021.
19:04 Donc c'est un surgissement dans le paysage pharmaceutique.
19:08 Donc ces nouveaux laboratoires, des sociétés de biotechnologie
19:12 qui ont beaucoup travaillé avec la recherche publique américaine,
19:17 parce qu'on dit que les laboratoires ont inventé les vaccins.
19:19 En fait, les universités américaines et les laboratoires publics de recherche,
19:25 des organismes publics de recherche aux États-Unis, les NIH,
19:28 travaillaient dessus depuis une quinzaine d'années
19:31 et avaient largement publié et collaboré d'ailleurs avec Moderna et avec BioNTech.
19:36 BioNTech a recruté en 2013 une des universitaires qui est une des clés de ces nouvelles inventions.
19:45 Donc les inventions, d'ailleurs, dans le domaine pharmaceutique en général
19:48 et dans le domaine ici de ces vaccins, notamment les vaccins ARN que nous avons reçus en France,
19:54 c'est une aventure collective avec des universités,
19:58 des laboratoires publics et des sociétés de biotechnologie.
20:01 Mais de fait, ces laboratoires qui ont développé ces vaccins,
20:08 qui étaient d'une grande efficacité et qui ont développé avec une rapidité remarquable,
20:15 du fait justement d'un soutien public massif aussi des États-Unis
20:20 et également de l'Europe, de l'Allemagne, pour développer rapidement
20:24 et industrialiser rapidement puisqu'il fallait faire face à la pandémie.
20:27 Alors c'est l'un des mythes que vous déconstruisez dans votre livre
20:30 "Il y a des alternatives aux éditions du seuil", Maurice Cassier.
20:33 L'idée qu'il y aurait donc une création comme ça à l'intérieur d'une société privée,
20:37 puisqu'un laboratoire est une société privée,
20:39 et qu'il est donc normal que cette création lui appartienne,
20:44 tout simplement parce que cette société aurait financé les investissements,
20:49 la création et les recherches nécessaires à cette trouvaille.
20:54 Mais alors dans cette perspective,
20:57 y a-t-il effectivement une possibilité d'imaginer d'autres formes de propriété de ces vaccins
21:07 ou bien en général de ces formules qui soignent
21:11 et qui permettent à ces laboratoires de réaliser d'importants bénéfices ?
21:14 Alors la deuxième nouveauté de la pandémie de Covid pour moi,
21:19 c'est la position du président des États-Unis en mai 2021,
21:23 de dire il faut lever les brevets pour faire face à la pandémie,
21:26 il faut vacciner le plus rapidement possible la population mondiale
21:30 pour éviter que de nouveaux variants surgissent,
21:32 et notamment Joe Biden avait été alerté par le surgissement du variant Omicron en novembre 2021,
21:40 et il rappelle une deuxième fois qu'il faudrait lever les brevets.
21:44 Donc Joe Biden est quelqu'un dont on ne peut pas supposer complotiste,
21:54 et donc s'il réclame la levée des brevets,
21:57 c'est la première fois que les États-Unis d'ailleurs se prononcent
22:00 pour l'usage des flexibilités de la propriété intellectuelle pour raison de santé publique.
22:04 C'est-à-dire, ça veut dire quoi lever les brevets ?
22:07 On va suspendre la propriété intellectuelle pendant les années de pandémie,
22:13 pendant deux ans, trois ans, quatre ans,
22:16 pour pouvoir produire le plus massivement possible,
22:19 dans tous les laboratoires compétents dans le monde,
22:22 suffisamment de vaccins pour traiter efficacement la population
22:25 et pour répartir suffisamment la production de vaccins.
22:28 Puisqu'on n'a jamais produit autant de vaccins d'ailleurs que pendant cette pandémie,
22:33 puisqu'on a produit 13 milliards de vaccins.
22:35 L'un des problèmes, c'est que la répartition est inéquitable.
22:40 Et donc l'idée, qui a surgi aussi d'ailleurs lors de cette pandémie, c'est une nouveauté,
22:45 il faut produire localement, il faut produire dans toutes les régions du monde.
22:48 Et si on veut produire dans toutes les régions du monde,
22:51 il serait bien qu'il n'y ait pas de restriction de propriété intellectuelle.
22:55 - Karine Lacombe, les différentes étapes de ces débats,
22:58 qui ont été évidemment très largement médiatisés à l'époque,
23:02 sur le plan sanitaire, comment les avez-vous vécu ?
23:04 Vous avez rappelé il y a quelques instants que, selon vous,
23:08 cette pandémie a été vaincue,
23:12 notamment par, bien sûr, la diffusion très large de ces vaccins.
23:17 - C'est sûr que ce que vient de dire Maurice Cassier est vraiment fondamental.
23:22 On voit par exemple, si on fait une analogie avec la pandémie de VIH/SIDA,
23:28 si on a pu juguler l'extension de cette pandémie,
23:32 en particulier améliorer l'espérance de vie des personnes qui vivent avec le VIH,
23:36 c'est parce qu'on a pu augmenter l'accès aux antirétroviraux.
23:40 Et si on a pu le faire, c'est parce qu'à un moment donné,
23:42 on a eu une fabrication massive d'antirétroviraux par le biais des génériques,
23:47 et qu'il y a de nombreux pays du Sud, dont le Brésil,
23:51 et vous en avez parlé dans des livres antérieurs, M. Cassier,
23:55 c'est cet effort-là et ces décisions politiques-là qui ont permis ces grandes avancées.
24:00 Et donc, c'est sûr que dans un climat de pandémie mondiale d'urgence sanitaire,
24:06 tout ce travail-là sur la propriété intellectuelle est absolument fondamental.
24:10 Alors, ce qu'il ne faut quand même pas perdre de vue,
24:12 c'est qu'on peut parler de lever la propriété intellectuelle
24:16 pour fabriquer ces médicaments ou ces vaccins génériques,
24:21 à partir du moment où ils sont développés.
24:23 Le problème qu'il y a, en fait, et c'est tout le temps cette controverse,
24:29 c'est qu'effectivement, le principe actif des médicaments ou des vaccins,
24:35 c'est souvent la recherche publique qui les finance.
24:39 Il faut donc investir massivement dans la recherche publique,
24:41 mais ensuite, le développement d'un médicament,
24:43 ça coûte tellement d'argent, des dizaines, des centaines de millions d'euros,
24:47 que la recherche publique ou les États ont du mal à faire face à ces dépenses.
24:52 Et malheureusement, ce sont souvent les laboratoires
24:54 qui ont cet argent massif et qui peuvent investir.
24:57 - Oui, mais alors là, je dirais que pour la pandémie de Covid,
25:01 peut-être c'est l'exception qui confirme la règle.
25:03 Parce que lors de la pandémie de Covid, au début de l'année 2020,
25:07 pour inciter les laboratoires justement à développer le plus rapidement possible
25:11 les vaccins qui étaient dans les tuyaux déjà,
25:14 très rapidement, ils ont été développés,
25:16 puisqu'on avait les technologies de base qui étaient là.
25:20 Donc, les États-Unis, notamment, ont investi massivement.
25:25 - Oui, parce qu'il faut rendre hommage aussi à Donald Trump.
25:28 - Absolument. - Là-dessus, Maurice Cassier,
25:30 expliquez... - Pour le programme,
25:32 avec notamment le programme Warp Speed,
25:35 qui a débloqué environ 18 milliards de dollars
25:42 pour à la fois favoriser les essais cliniques,
25:46 mais aussi pour payer les premières usines,
25:49 pour coordonner aussi les travaux des laboratoires académiques
25:53 et des laboratoires industriels pour qu'on sorte le plus rapidement possible.
25:56 Donc, dans le cadre de la pandémie de Covid,
25:58 les économistes ont calculé que 70% de la recherche clinique
26:02 a été financée par les États.
26:04 Donc, c'est ce qui justifia aussi Joe Biden dans son désir de lever les brevets,
26:09 puisque c'était la puissance publique qui avait joué un rôle exclusif,
26:13 bien entendu, les laboratoires et les chercheurs dans les laboratoires
26:16 sont d'une grande compétence.
26:18 Et évidemment, ils travaillent de concert avec leurs collègues de l'académie.
26:22 Mais ça justifiait la levée des brevets,
26:24 puisque la puissance publique avait joué un rôle si important
26:28 pour garantir, y compris les investissements des laboratoires privés.
26:33 - Et c'est là aussi, Boris Cassier, quelque chose qui avait été,
26:38 en quelque sorte, préparé lors de la pandémie de Sida,
26:41 parce que, comme vous le rappelez dans votre livre,
26:43 "Il y a des alternatives aux éditions du seuil",
26:46 finalement, le débat autour du médicament perçu comme un bien mondial
26:52 ne pouvant pas être réservé à quelques-uns,
26:55 c'est déjà un débat qui a été au cœur du Sida.
26:59 Je rappelle que cette semaine, ce sont les 40 ans de la découverte du virus.
27:03 Donc, on a deux épisodes qui sont finalement à mettre en perspective.
27:09 - Oui. Donc, j'ai dit que la pandémie de Covid avait produit des innovations,
27:12 des nouveaux laboratoires, la position des États-Unis en faveur de la levée des brevets,
27:17 cet investissement public massif, y compris pour développer.
27:20 Mais la pandémie de... l'épidémie de Sida,
27:23 a, elle, produit un changement politique majeur des politiques de santé,
27:29 en mettant l'accent sur l'accès aux médicaments.
27:33 Et là, c'est le rôle, notamment des associations de patients dans le monde entier,
27:37 des associations, à la fois aux États-Unis, en Europe,
27:40 mais aussi au Brésil, en Afrique du Sud, en Inde,
27:43 qui ont mis cet impératif d'accès aux médicaments à la première place, en priorité.
27:50 Et donc, lors de cette pandémie, j'ai suivi particulièrement les chimistes brésiliens
27:56 qui copiaient les molécules des antirétroviraux
28:02 pour pouvoir les revendre au ministère de la Santé du Brésil,
28:06 qui les distribuait gratuitement, donc, aux patients,
28:09 et qui a pu ainsi reprendre le contrôle de l'épidémie au Brésil,
28:13 alors que l'OMS et la Banque mondiale étaient assez alarmantes à la fin des années 90.
28:20 Donc, le Sida a joué un rôle majeur sur l'accès aux médicaments
28:23 et sur les questions de propriété intellectuelle,
28:25 et pour expérimenter les formes de production générique,
28:29 de faire monter, d'ailleurs, des laboratoires de générique,
28:32 j'ai vu au Brésil se constituer de nouvelles capacités,
28:35 de nouvelles capacités aussi de recherche, de production efficaces,
28:41 et en Inde, c'est encore une autre échelle,
28:44 puisque l'Inde, et notamment on l'a retrouvé pour le Covid,
28:47 puisque l'Inde, c'est un des principaux producteurs de vaccins Covid.
28:51 Donc, on a des nouvelles puissances émergentes,
28:54 et ces puissances émergentes ont joué un rôle très important
28:57 dans l'accès aux médicaments au moment du Sida.
28:59 - Alors, la combinaison des deux, Maurice Cassier,
29:02 c'est-à-dire l'idée, finalement, qu'on ne peut pas breveter un vaccin ou un médicament
29:08 comme on le ferait d'un objet quelconque.
29:12 L'autre idée, qui est finalement l'idée selon laquelle
29:15 les États doivent apporter la santé à ceux qui les composent,
29:22 c'est une idée dont vous faites la généalogie dans votre livre "Il y a des alternatives",
29:26 et vous expliquez que c'est une idée qui peut notamment remonter à Marx,
29:30 ce qui veut dire qu'on a une sorte de court-circuit un peu étonnant de Marx à Donald Trump,
29:35 avec d'un côté le philosophe économiste,
29:39 et de l'autre, Trump qui n'hésite pas à investir massivement dans les vaccins.
29:45 - Je pense qu'on peut remonter, y compris au début de la propriété intellectuelle
29:50 et au début des lois sur le brevet à la fin du 18e siècle.
29:54 Et déjà, le médicament, à cette époque, quand on a inventé les brevets,
30:00 il est apparu aux législateurs que le médicament pouvait nécessiter un sort spécial,
30:05 que notamment l'État pouvait être fondé à racheter les inventions de remèdes aux pharmaciens,
30:11 pour les mettre ensuite dans le domaine public pour que les pharmaciens puissent les produire et en élargir l'accès.
30:18 Et cela, c'est un décret qui a été pris, y compris pendant le Premier Empire en France.
30:25 Donc on a, de la part des États,
30:27 et c'est là où on rejoint à la fois Marx, mais aussi Foucault, sur la biopolitique.
30:33 - Le philosophe Michel Foucault.
30:35 - Le philosophe Michel Foucault qui a développé cette notion de biopolitique,
30:39 c'est-à-dire le souci des États de protéger les populations, de les préserver.
30:43 Et là, les préserver, ça veut dire notamment intervenir sur l'idée de la propriété des remèdes.
30:49 L'idée que le remède ne peut pas être que la propriété d'un seul.
30:53 - Mais alors ça quand même, Karine Lacombe, c'est un peu étonnant,
30:55 parce que vous êtes un infectiologue, je le rappelle,
30:58 et on voit apparaître de plus en plus de médicaments extraordinairement coûteux.
31:03 Il y a par exemple cette polémique qui a été faite autour du médicament qui soigne une hépatite.
31:09 Et il y a l'idée que finalement, les laboratoires vendent des traitements à des prix de plus en plus élevés.
31:17 L'hépatite, c'est aux environs de 50 000 euros par an pour le coût d'un traitement.
31:22 Alors vous, en tant qu'infectiologue, comment voyez-vous les choses ?
31:25 D'un côté, vous utilisez ces traitements, de l'autre, on voit bien qu'ils font la fortune de ces laboratoires.
31:32 - C'est vrai que ce dont vous parlez, c'est l'exemple de l'hépatite C,
31:37 dont le traitement a apporté une vraie révolution dans la prise en charge.
31:41 Parce qu'il faut savoir qu'avant l'apparition des antiviraux directs,
31:46 on guérissait très peu de l'hépatite C, en tout cas avec des médicaments qui avaient beaucoup d'effets secondaires,
31:51 qui étaient très mal tolérés, puis avec une efficacité très moyenne.
31:55 Et l'hépatite C était devenue une des causes majeures de décès par maladie du foie dans le monde.
32:01 Donc l'arrivée des antiviraux directs, ça a été une révolution sanitaire majeure
32:06 qui a permis en 2, 3 ou 6 mois de traiter une maladie dont avant,
32:11 on avait la quasi-certitude de mourir ou en tout cas d'avoir des conséquences importantes sur son état de santé.
32:16 Donc il y a vraiment eu un changement total de paradigme.
32:20 Évidemment, ce changement total de paradigme, ça avait un coût.
32:24 C'est que les laboratoires qui avaient participé au développement de ces molécules,
32:29 qui avaient financé le développement de ces molécules, a voulu à un moment donné en tirer un bénéfice.
32:35 Et effectivement, ce qu'on a vu, c'est qu'il s'est tout de suite installé ce déséquilibre habituel entre pays du Nord et pays du Sud.
32:41 Ce sont les pays du Sud qui étaient extrêmement touchés par la maladie.
32:45 Les médicaments étaient vendus à des prix importants dans les pays du Nord avec des bénéfices très importants pour le laboratoire.
32:51 Mais très rapidement, la société civile, par l'intermédiaire d'organisations non gouvernementales,
32:56 MSF, Médecins du Monde, etc. et d'autres organisations, se sont massivement investies, la société civile,
33:02 et a fait en sorte qu'on aille vers un accès aux génériques.
33:07 Mais ça, ça a été une bataille féroce.
33:09 Et on a quelque part gagné cette bataille parce qu'il y a eu un accès à des génériques,
33:15 mais à un prix social extrêmement fort.
33:20 - Maurice Cassier. - Peut-être juste un complément sur ces médicaments
33:24 et sur l'innovation et le prix du médicament.
33:27 Les médicaments contre l'hépatite C, en fait, ils ont été développés au départ
33:32 par une petite société de biotechnologie aux États-Unis qui était proche d'une université.
33:37 Et ils ont développé cette molécule pour environ 300 millions de dollars.
33:45 300 millions de dollars, c'était une société qui gagnait très peu d'argent, mais qui a développé.
33:52 Au moment où les essais cliniques sont devenus favorables et effectivement apportaient la promesse de traitement réellement très efficace,
34:01 la société de biotechnologie a revendu ces brevets pour 11 milliards de dollars.
34:10 Donc entre 300 millions et 11 milliards.
34:12 Donc, si vous voulez, ce qui s'est passé ensuite, et la société qui a racheté les brevets a ensuite également demandé une rentabilité particulière.
34:23 Donc, d'un effet mécanique, si vous voulez.
34:27 D'abord, il y a une plus-value sur les brevets.
34:31 Ensuite, il y a une plus-value sur le médicament.
34:33 Donc, on se retrouve mécaniquement.
34:35 Et c'est d'ailleurs pas le seul traitement.
34:37 Beaucoup de traitements anticancéreux bâtissent, si on veut, de ce modèle,
34:41 c'est-à-dire où le brevet, moi je ne suis pas opposé au brevet,
34:45 l'important c'est l'usage qu'on fait du brevet.
34:47 Mais là, le brevet devient un actif financier.
34:50 Et donc, à ce moment-là, ça joue aujourd'hui pour l'inflation des thérapies, notamment dans le domaine du cancer.
34:58 Et c'est un effet mécanique.
35:00 Donc, il faut traiter cet effet mécanique.
35:02 - Bon, mais alors, la question qui se pose, Maurice Cassier, est comment supprimer les effets pervers de ces brevets ?
35:08 Puisque l'on voit bien qu'il y a aujourd'hui des prix délirants des médicaments
35:14 qui n'ont pas de rapport avec le coût de leur développement.
35:18 Donc, comment supprimer ces effets pervers,
35:20 tout en encourageant les chercheurs et les laboratoires à trouver des médicaments ?
35:24 Parce que si on oublie les incentives, les motivations, comme on dit en anglais,
35:29 on risque d'avoir une industrie qui va baisser les brins.
35:32 - Tout à fait.
35:33 Je pense qu'il faut conjuguer incitation et accès.
35:37 Et notamment, lorsqu'il s'avère que des médicaments sont jugés essentiels ou stratégiques
35:44 pour la santé publique et pour la protection de la population.
35:49 Donc, on devrait avoir la possibilité, justement, d'une levée partielle de ces brevets,
35:54 simplement pour ces médicaments essentiels,
35:57 pour pouvoir les produire plus largement sous une forme générique.
36:01 Dans ce cas-là, on traiterait l'aspect de santé publique.
36:06 On ne détruit pas non plus l'incitation, parce que le médicament, par exemple,
36:10 si on avait levé les brevets sur les vaccins Covid,
36:13 Moderna, dont on parlait, et BioNTech auraient continué à produire efficacement.
36:18 Et en plus, ils avaient de l'avance par rapport aux autres laboratoires,
36:22 donc ils auraient aussi engrangé beaucoup d'argent.
36:25 Simplement, on aurait pu multiplier et répartir plus équitablement la production.
36:30 Donc, c'est cette espèce de balancement entre la propriété intellectuelle et la santé publique
36:35 qu'il faut arriver à aménager,
36:37 pas pour tous les médicaments, mais pour les médicaments essentiels.
36:41 - Karine Lacombe, vous opinez du chef ?
36:43 - Oui, oui, oui, on ne peut qu'acquiescer dans des urgences de santé publique.
36:48 C'est clair que c'est l'accès aux médicaments qui est un peu le nerf de la guerre.
36:52 - Mais alors, justement, dans les différents comités scientifiques qui ont été mis en place,
36:57 est-ce qu'aujourd'hui, puisque les infectiologues ont un rôle central
37:02 dans, justement, la politique sanitaire menée en France,
37:06 est-ce que ça peut faire partie des choses discutées avec les laboratoires ou avec les pouvoirs publics ?
37:12 - Alors, oui, oui, c'est sûr que...
37:18 C'est évident que dans une politique de santé publique au niveau national,
37:23 ça devrait être un élément prépondérant de discussion.
37:26 On a, par exemple, en ce moment en France, un vrai enjeu autour de la pénurie de médicaments.
37:32 Pourquoi manque-t-on de médicaments dans un pays du Nord aussi développé que le nôtre ?
37:37 Ça devrait être un élément central de discussion.
37:41 - Maurice Casquier, alors, là aussi, c'est étonnant,
37:43 parce que les laboratoires gagnent de l'argent seulement s'ils vendent des médicaments.
37:47 On a aujourd'hui des ruptures dans un certain nombre de produits.
37:52 Normalement, ça doit leur déplaire.
37:54 - Alors, ces ruptures, tout d'abord, c'est quelque chose d'assez structurel
37:58 depuis une quinzaine d'années ou une vingtaine d'années.
38:01 L'Académie de pharmacie, en 2011, déjà alertait sur les ruptures
38:05 et en disant « il y a une crise de la mondialisation ».
38:09 En fait, ce qui a été fait, c'est sur les médicaments, notamment,
38:12 qui arrivent à une certaine durée de vie, donc ils deviennent moins rentables,
38:17 et les laboratoires délocalisent la production, particulièrement en Asie, en Chine et en Inde,
38:23 pour pouvoir faire produire le principe actif et le récupérer au moindre coût.
38:28 Donc, évidemment, les chaînes de fabrication et la division du travail deviennent très fragiles,
38:35 et il suffit d'un problème pour qu'on ait une rupture d'approvisionnement.
38:38 Donc, là aussi, il y a un effet mécanique de la construction économique.
38:42 Alors, il y a eu plusieurs rapports qui ont été faits, y compris au gouvernement, en 2019, en 2020.
38:51 Une des suggestions qui est faite pour les médicaments, encore une fois,
38:55 les médicaments essentiels, qui sont des médicaments de base,
38:57 et qui ne seraient pas suffisamment rentables.
39:00 Alors, il y a deux types d'aide.
39:03 Il y a soit inciter localement les laboratoires à développer une production sur place,
39:09 soit créer des établissements publics à l'échelle européenne,
39:13 qui puissent produire ces médicaments sans profit.
39:16 - On voit qu'il y a un certain nombre de débats essentiels qui sont abordés dans votre livre, Maurice Cassier.
39:21 Il y a des alternatives. Une autre histoire des médicaments, c'est aux éditions du Seuil.
39:26 Merci également à vous, Karine Lacombe, infectiologue et chef de service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Saint-Antoine,
39:33 de nous avoir accompagné. Le point sur l'actualité dans quelques secondes.

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