Quarante ans après sa mort, lire Raymond Aron pour penser la guerre

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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 20 Octobre 2023)
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00:00 Vous avez entendu un tout petit peu de la voix de De Gaulle, mais rassurez-vous, on va l'entendre plus longuement,
00:05 car c'était une sorte de face à face, le face à face entre Raymond Aron et le général de Gaulle.
00:11 Aron qui était surnommé "le prof", il était à la fois sociologue, philosophe,
00:15 il appartenait à une génération qui avait connu la guerre, il était allé à Londres.
00:20 Puis, il avait été l'incarnation même de ce grand professeur
00:27 qui expliquait à une génération d'étudiants comment il fallait lire les grands textes.
00:32 Aron était aussi journaliste, ou en tout cas il se livrait à du commentaire d'actualité
00:38 pour rendre hommage et pour savoir ce qu'Aron aurait pensé de la période actuelle.
00:43 Nous sommes en compagnie de Jean-Vincent Hollindre, bonjour.
00:45 Bonjour.
00:46 Vous êtes professeur de sciences politiques à l'université Paris 2, Panthéon-Assas.
00:50 Vous êtes aussi directeur du centre Tussidide.
00:52 Tussidide était cher également à Aron.
00:55 Le grand historien grec était aussi un personnage qu'on voyait très souvent sous la plume d'Aron.
01:03 Et puis Périne Simon-Naoum, bonjour.
01:05 Vous êtes directrice de recherche au CNRS, professeur attachée au département de philosophie de l'école normale supérieure.
01:12 Si vous deviez me présenter Raymond Aron, que diriez-vous en quelques mots pour nous présenter cet homme, Périne ?
01:19 Pour le présenter, je dirais que c'est à la fois un parcours dans le siècle et un esprit singulier.
01:26 Un parcours dans le siècle puisque Aron est né en 1905 et il a partagé notamment ses années d'école normale et d'études philosophiques avec Sartre et avec Nisan.
01:36 On a beaucoup parlé du dialogue qu'il a eu avec Sartre.
01:42 Un esprit singulier parce que dès ses années étudiantes et dès la soutenance de sa thèse, dont vous nous avez avoué dans un couloir que vous aimiez particulièrement cet ouvrage, et vous avez raison,
01:56 Aron tranche avec les idées de son époque.
01:59 C'est-à-dire qu'Aron explique que d'une part, les démocraties peuvent ne pas toujours l'emporter et que la raison n'est pas infaillible.
02:09 Et donc, il dit, dès cette époque-là, dès 1938, avant la Seconde Guerre mondiale, il faut armer la sagesse.
02:16 Et Aron va travailler toute sa vie à armer la sagesse.
02:20 Il va le faire de différentes façons, vous l'avez très bien rappelé en présentation de cette émission, à savoir à la fois en poursuivant son œuvre de philosophe.
02:31 Il a pensé l'histoire toute sa vie.
02:33 Il a pensé la guerre.
02:35 Il a pensé les relations internationales à un moment où en France, au début des années 1960, Pierre Renouvin enseignait encore l'histoire diplomatique,
02:44 ce qui était déjà un peu dépassé, mais en agissant dans le monde.
02:48 C'est-à-dire que Aron se situe finalement, et c'est pour ça qu'il nous est aussi précieux aujourd'hui, au croisement, je dirais, de notre liberté d'acteur historique et des déterminismes qui nous entourent,
03:00 en nous montrant que nous avons toujours le choix, le choix des valeurs que nous défendons, mais à condition d'exercer notre jugement.
03:08 Alors, on peut apprendre à lire grâce à Raymond Aron.
03:11 Les étapes de la pensée sociologique est un livre où il présente un certain nombre de grandes figures de la sociologie.
03:16 C'est un homme qui était, on va faire vite, plutôt classé à droite, mais qui a lu, énormément lu, Marx.
03:22 Ses cours sont d'ailleurs publiés aujourd'hui en poche, et c'est cet éclectisme, le fait que c'était un homme extrêmement ouvert, l'esprit d'ouverture, c'était un peu lui, Périne Simon Nahoum,
03:33 et le fait d'être un grand pédagogue, lire Marx est très compliqué, le lire grâce à Aron, c'est déjà beaucoup plus clair.
03:41 Oui, Aron a été l'un des meilleurs lecteurs de Marx au XXe siècle, et effectivement, vous avez raison, si vos auditeurs veulent comprendre quelque chose à Marx,
03:50 c'est chez Aron qu'ils doivent le chercher.
03:53 L'ouverture, je dirais que d'une certaine façon, ça participait de son éthique philosophique,
04:01 ça participait de cette intégrité intellectuelle qui était le fond de sa pensée, à savoir,
04:07 sa thèse, donc l'introduction à la philosophie de l'histoire, était sous-titrée, et c'est sur les limites de l'objectivité.
04:13 Qu'est-ce que c'est la philosophie de l'histoire, Périne Simon Nahoum ?
04:16 Alors, la philosophie de l'histoire, c'est une pensée de l'histoire, mais dont Aron montre précisément
04:22 qu'elle ne doit pas être entièrement déterminée par l'idée que l'histoire a un sens déterminé à l'avance.
04:28 Et oui, parce qu'il faut se rappeler qu'Aron écrivait dans les années 30 cette thèse,
04:32 et celle-ci se déroulait à une époque où les marxistes étaient en quelque sorte la pensée dominante,
04:39 on considérait qu'il y avait des lois dans l'histoire, des lois du devenir historique.
04:45 Et Aron s'est inscrit en faux en disant que l'histoire relevait plus, peut-être, je ne sais pas, vous diriez du chaos,
04:50 que diriez-vous, Périne Simon Nahoum, pour expliquer ce qu'Aron a apporté à la pensée de l'histoire ?
04:58 Je reprendrai une de ses formules, l'histoire est un drame sans unité.
05:02 A savoir que l'histoire est faite par les hommes, mais que dans cette histoire interviennent des hasards,
05:09 interviennent des événements que les hommes ne contrôlent pas toujours.
05:17 Ce qui fait que, d'une part, on ne peut pas prédire une fin de l'histoire,
05:21 c'est-à-dire qu'on ne peut pas prédire un mouvement de l'histoire,
05:27 et d'une certaine façon, on ne peut pas non plus effacer le rôle que jouent les individus dans l'histoire,
05:34 et on ne peut pas non plus, ce qui est très important et ce qui le distingue des marxistes,
05:38 sacrifier le présent pour le futur.
05:42 Et alors, ce tragique de l'histoire, puisque Aron enjoignait notamment les politiques de ne pas l'oublier,
05:48 il se traduisait notamment il y a 56 ans dans cette guerre des Six Jours,
06:01 qui a donné lieu à un discours du général de Gaulle, qu'on va entendre,
06:06 auquel Raymond Aron a répondu.
06:09 On écoute donc la succession de Gaulle, Aron.
06:12 L'établissement d'un État d'Israël soulevait à l'époque un certain nombre d'appréhensions.
06:21 On pouvait se demander si l'implantation de cette communauté sur des terres
06:26 qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables,
06:30 et au milieu des peuples arabes qui lui sont foncièrement hostiles,
06:34 n'allait pas entraîner d'un cessant, d'un terminable friction et conflit.
06:42 Et certains mêmes redoutaient que les juifs, jusqu'alors dispersés,
06:48 mais qui étaient restés ce qu'ils avaient été de tout temps,
06:52 c'est-à-dire un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur.
06:59 Il est bien entendu que la conférence de presse du général de Gaulle,
07:04 "Le peuple juif sûr de soi et dominateur", "Peuple d'élite sûr de soi et dominateur", m'a blessé.
07:11 Et je ne suis pas le seul à avoir été choqué et blessé par une formule de cet ordre.
07:20 Il y avait quelque chose de profondément choquant à l'époque,
07:24 si peu de temps après l'assassinat industriel de millions de juifs,
07:31 a parlé des juifs comme d'un peuple sûr de soi et dominateur.
07:36 N'oubliez pas qu'à l'époque, l'ancien commissaire aux affaires juives a illuminé,
07:42 il a retrouvé des termes qui avaient été utilisés pendant la guerre
07:47 et dont les Français non juifs rougissent aujourd'hui.
07:52 Les voix de De Gaulle et Haron, Jean-Vincent Hollande, vous êtes professeur de sciences politiques.
07:56 Je me suis dit que c'était particulièrement important de faire entendre ces deux voix.
08:00 La voix de De Gaulle qui est un jalon dans l'histoire de la politique de la France vis-à-vis d'Israël.
08:07 La voix d'Haron qui est aussi une voix parmi les juifs de France, parmi les juifs français.
08:14 Vous qui réfléchissez à la géopolitique, à la manière dont les pays se font la guerre.
08:20 Quelques commentaires sur ce que l'on vient d'entendre.
08:24 D'abord, ce n'est sans doute pas le meilleur discours du général De Gaulle.
08:27 Dans le sens où effectivement, le terme qu'il emploie pour caractériser le peuple juif
08:31 est un terme à un minima maladroit qui a blessé Raymond Haron.
08:35 Je parle ici sous le contrôle de Périne Simon-Dahoum qui a beaucoup travaillé sur cette question.
08:39 Blessé Raymond Haron en tant que citoyen français juif.
08:44 Évidemment, on voit que là ici, la raison et les passions se combinent.
08:50 Raymond Haron a consacré toute sa vie à l'analyse rationnelle de la politique.
08:54 Mais là ici, il est touché comme citoyen français, par ailleurs proche du général De Gaulle.
09:00 Il faut rappeler que Raymond Haron a été auprès du général De Gaulle à Londres pendant la période de la résistance.
09:07 Et puis, il a construit avec lui le Rassemblement populaire français, le RPF, qui était le parti du général De Gaulle.
09:14 Donc c'est vrai qu'il était d'autant plus blessé qu'il a été proche.
09:18 Et c'est vrai que c'est un texte de réaction dans lequel il essaie à la fois d'analyser,
09:24 comme il le fait habituellement, les choses de façon rationnelle,
09:28 tout en exprimant sa blessure à la fois personnelle et politique.
09:32 Mais au-delà de cette formule sur les juifs, Jean-Vincent Hollindre,
09:36 ce que De Gaulle cherche à faire, c'est finalement d'être un non-aligné vis-à-vis d'Israël à une époque.
09:42 Donc là, on est en 1967, l'époque de la guerre des six jours,
09:46 où la question finalement, c'est de savoir comment Israël va se composer aux États-Unis,
09:52 en URSS ou en France, quels pays vont s'aligner sur la position de l'État hébreu.
09:58 Oui, parce que Raymond Haron dit toujours sur ce conflit, d'ailleurs, vous avez donné la citation tout à l'heure,
10:04 c'est que s'agissant du conflit israélo-arabe, israélo-palestinien,
10:09 au fond, c'est une tragédie, au sens où, en effet, pour le coup, la raison a disparu.
10:16 Ou d'une certaine façon, les passions s'expriment de façon tellement vive,
10:21 que la paix, considérée non pas simplement comme un idéal ou comme une morale,
10:26 ne peut être un débouché politique à envisager. C'est tout le problème.
10:30 Raymond Haron pense la paix et la guerre qui la précède.
10:34 On ne peut pas penser la paix sans penser la guerre qui la précède.
10:36 Et donc, au fond, sur ce conflit-là en particulier, la question est de savoir
10:40 quelles peuvent être les conditions d'une paix durable.
10:43 Et ce ne sont sans doute pas les termes qu'emploie le général de Gaulle,
10:46 quand bien même il exprime une voix indépendante dans la France
10:49 qui pourrait ici contribuer à apaiser les tensions.
10:52 Perrine Simon-Naoum sur cet échange.
10:55 Oui, cet échange a marqué une évolution très nette dans la pensée de Daron.
10:59 Et Jean-Vincent l'a rappelé, notamment dans ses relations avec le général de Gaulle.
11:03 Il fera deux reproches à de Gaulle.
11:06 Il dira effectivement que de Gaulle n'est pas antisémite,
11:08 mais il donne prise à une résurgence de l'antisémitisme.
11:13 Et d'autre part, il fait une faute éthique.
11:15 C'est-à-dire que dans ce livre qui paraît en 1968,
11:18 donc très rapidement après le discours du général de Gaulle,
11:23 il explique que de Gaulle a mal analysé la situation politique internationale.
11:29 Et ce qu'il veut montrer, c'est qu'en réalité,
11:32 la France et Israël reposent sur la défense des mêmes valeurs.
11:37 Il le rappellera d'ailleurs en 1972, alors qu'ils sont les valeurs de la raison,
11:42 les valeurs de la liberté et la défense de la démocratie.
11:45 Alors il faut rappeler qu'à l'époque, il y avait parmi les adversaires d'Israël, Nasser.
11:51 Et Nasser, pour Haron, n'était pas le seul évidemment,
11:55 incarnait à la fois une forme de politique de non-aligné, de tiers-mondisme,
12:01 mais aussi un tiers-mondisme qui pouvait dériver vers,
12:04 Haron osait le mot, une forme de nazisme.
12:07 Oui, absolument. C'est-à-dire que Haron,
12:10 il ne faut pas considérer que le livre "De Gaulle, Israël et les Juifs"
12:14 est en fait un événement à part dans le parcours d'Haron.
12:20 En réalité, ça s'inscrit dans la défense,
12:23 l'attaque des idéologies et l'attaque du marxisme.
12:27 On se retrouve dans une vingtaine de minutes pour évoquer la mémoire de Raymond Haron
12:32 et ce qu'il aurait pensé du monde actuel, du monde en guerre.
12:38 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
12:42 Un intellectuel hors norme, Raymond Haron, philosophe, sociologue.
12:48 Il était aussi commentateur d'actualité,
12:51 tout simplement parce qu'il écrivait dans Figaro, dans l'Express.
12:55 On en parle avec Jean-Vincent Hollinde,
12:57 professeur de sciences politiques à l'Université Paris 2, Panthéon, Assas,
13:00 directeur du Centre Thucydide, Périne Simon-Naoum,
13:04 directrice de recherche au CNRS et professeure attachée
13:06 au département de philosophie de l'Ecole Normale Supérieure.
13:10 Périne Simon-Naoum, on vient d'entendre le biais de Jean Lemarie, le biais politique.
13:14 Raymond Haron s'exprimait sur la politique.
13:17 Oui, Raymond Haron s'exprimait en permanence sur la politique,
13:21 puisque, vous l'avez dit tout à l'heure, il était à la fois intellectuel et journaliste,
13:27 ou journaliste parce que intellectuel.
13:30 Alors, il y a une chose que vous avez dit tout à l'heure,
13:33 avec laquelle je ne suis pas tout à fait d'accord.
13:36 Vous avez dit Raymond Haron était un homme de droite.
13:38 Eh bien non, Raymond Haron n'était pas un homme de droite.
13:41 Vous savez, c'est pas grave.
13:42 À part, ça connote les choses.
13:46 Et justement, je crois que Raymond Haron échappait à cette classification droite-gauche.
13:53 Il faut quand même se souvenir que l'un des premiers,
13:57 il a annoncé la nécessité de donner son indépendance à l'Algérie
14:01 et il en a analysé les causes tout à fait sans patience.
14:04 Beaucoup de gens de droite, comme Jean-Jacques Servan-Schreiber, par exemple,
14:08 faisaient campagne pour l'Algérie indépendante.
14:10 Absolument, mais Haron, c'était dès 1957.
14:14 D'autre part, c'est quand même l'un des premiers,
14:18 et c'est pour ça qu'on continue à le lire aujourd'hui,
14:21 qui pose des questions auxquelles nous n'avons toujours pas su répondre.
14:25 Dès la fin des années 60, le problème des inégalités économiques.
14:29 Dès le début des années 60, le problème de la circulation des élites,
14:34 notamment dans nos sociétés démocratiques.
14:38 Donc je dirais que Haron était un observateur avisé de la politique
14:44 et qu'il prenait en compte aussi bien les actions politiques que les émotions,
14:49 qui en sont souvent à l'origine,
14:52 mais pour inclure ces émotions elles-mêmes dans une analyse intellectuelle.
14:58 Lorsque je le classais à droite, Périne Simon-Naoum,
15:00 c'était d'une manière beaucoup plus pragmatique.
15:03 Par exemple, il a appelé à voter Valéry Giscard d'Estaing.
15:06 C'est, je dirais, son deuxième engagement.
15:09 Jean-Vincent Hollande rappelait tout à l'heure le RPF.
15:14 Ça n'était pas quelqu'un qui était encarté.
15:17 Ça n'était pas quelqu'un qui donnait un blanc-seing
15:22 à des partis politiques ou des dirigeants politiques.
15:25 Jean-Vincent Hollande.
15:26 Oui, la question du positionnement politique de Raymond Haron,
15:29 c'est compliqué, comme on dit sur les réseaux sociaux.
15:31 C'est-à-dire que, pour l'essentiel, il s'est prononcé pour des candidats plutôt à droite,
15:36 notamment dans la deuxième partie de sa vie.
15:38 Mais effectivement, il est issu du socialisme.
15:39 Il a commencé sa soutenance de thèse de doctorat en disant "pourquoi je suis socialiste".
15:44 Il faut le rappeler, c'est important.
15:45 C'est un itinéraire compliqué.
15:47 Je voudrais réagir à la chronique, parce que même si le lien peut sembler lointain avec...
15:54 Il n'a pas écrit sur Karim Benzema.
15:55 Non, il n'a pas écrit sur Karim Benzema,
15:58 qui est né en 87, bien après la mort de Raymond Haron.
16:01 Mais je voudrais évoquer cette question des gentils et des méchants.
16:05 Quand on a un responsable politique, en effet, qui dit,
16:07 qui fait cette distinction en disant "je suis gentil avec les gentils,
16:09 et méchant avec les méchants",
16:10 c'est le degré zéro de l'analyse politique, pardon de le dire.
16:14 Parce qu'en effet, en politique, c'est plus compliqué que ça.
16:18 Ce n'est pas aussi simple.
16:19 C'est ça, Raymond Haron.
16:20 C'est la complexité et le fait qu'en effet,
16:23 en mettant Karim Benzema dans cette situation de stigmate, en quelque sorte,
16:29 et bien, tout simplement, ça ne fait qu'entretenir
16:32 un espèce de vent mauvais, de passion triste au sein de la démocratie française.
16:37 C'est-à-dire que même s'il y a des problèmes liés au djihadisme,
16:39 le fait de prendre Benzema comme symbole de tout ça,
16:42 ça ne fait qu'entretenir, pardon de le dire, la haine entre les Français.
16:45 Il n'y a pas d'autre mot.
16:47 Je vous propose d'entendre un autre extrait de la voix de Raymond Haron.
16:51 Haron s'exprimant sur l'avenir d'Israël.
16:55 Je dirais que pour l'instant, l'existence d'Israël n'est pas menacée.
17:02 Pour un ensemble de raisons que vous connaissez,
17:04 les pays arabes ne sont pas unis.
17:07 La force militaire d'Israël est considérable.
17:10 La protection américaine continue à être assurée à Israël.
17:14 Donc, dans l'avenir prévisible de quelques années,
17:17 il n'y a aucune raison d'éprouver une inquiétude.
17:20 Si vous me dites sur la très longue durée,
17:23 est-ce qu'un État hébreu de quelques millions d'hommes
17:29 pourra se maintenir tel qu'il est aujourd'hui
17:32 au milieu d'une région essentiellement peuplée par des Arabes ?
17:37 Je vous dirais que de toute évidence, la question se pose.
17:41 Mais tellement de transformations peuvent intervenir.
17:44 Les États arabes modernisés peuvent découvrir
17:47 que l'existence de 3 ou 4 millions d'Hébreux en Palestine
17:51 ne représente pas pour eux une menace, mais peut-être une chance.
17:55 Nul ne peut savoir ce que sera l'avenir de la région.
17:59 Il faut rappeler qu'Haron parlait de l'avenir de la région en 1976, Périne Simon-Nahoum.
18:05 Oui, il reviendra d'ailleurs à plusieurs reprises sur cette analyse.
18:11 C'est-à-dire que chaque fois qu'Haron est invité
18:14 à se prononcer sur le Proche-Orient,
18:17 il a, je dirais, la même attitude,
18:20 qui est de développer une analyse à la fois économique, démographique,
18:25 et une analyse en replaçant les choses dans le paysage géopolitique.
18:30 Et en même temps, je dirais, un mot quand même
18:35 pour dire que là, il n'est pas tout à fait, lui, objectif,
18:40 et qu'en tant que Français juif, il a quand même un attachement.
18:44 Un attachement sur lequel lui-même, d'ailleurs, ne va cesser de s'interroger
18:48 depuis ce livre de 1968 jusqu'à sa mort.
18:53 Je voudrais juste, si je puis me permettre, rebondir sur mes deux prédécesseurs.
19:00 Une des choses qui me choquent depuis mardi,
19:02 donc depuis ce 17 octobre 2023 et les 40 ans de la mort d'Haron,
19:08 c'est la récupération dont il fait l'objet.
19:11 Une récupération, on l'a vu chez Éric Zemmour,
19:14 on l'a vu sur certaines télévisions.
19:18 Je veux dire, c'est quelqu'un qui ne peut à aucun moment être classé dans un camp.
19:23 C'est pour ça que je réagissais un tout petit peu vivement à votre qualificatif d'homme de droite.
19:30 Absolument, mais je crois qu'il faut le dire...
19:32 On pourrait même peut-être le classer ailleurs qu'à droite, Éric Zemmour, vous voyez ce que je veux dire.
19:37 Absolument.
19:39 Précisément, c'est-à-dire que la récupération à l'extrême droite est d'autant plus scandaleuse que Raymond Haron.
19:46 Non mais là, ce n'est pas vraiment sérieux de le réagir à l'extrême droite.
19:49 En attendant, on associe effectivement...
19:51 Haron, il faut quand même se rappeler qu'il a été beaucoup critiqué à l'époque où justement la gauche intellectuelle
19:57 dominait le paysage politique et intellectuel pour être à droite, voire très à droite,
20:03 être le conservateur de services.
20:05 Il était marginalisé dans l'université française et dans la politique.
20:09 Il écrivait dans le Figaro, donc ça le discréditait immédiatement aux yeux de ses collègues.
20:13 Il était ostracisé.
20:14 Et il faut rappeler aussi qu'il est rentré à l'université à 50 ans après beaucoup d'efforts,
20:19 alors même que son dossier scientifique, comme on dit, était excellent.
20:23 Donc il faut aussi rappeler cette atmosphère d'Omerta avec la domination du Parti communiste,
20:28 la domination d'une gauche qui n'était pas prompte au débat.
20:32 Pour autant, en effet, Raymond Haron était dans le dialogue.
20:36 Il a toujours cherché à dialoguer avec Sartre alors que Sartre l'a insulté.
20:41 Et qu'en termes de jugement politique, à l'aune du recul historique, on peut penser que Raymond Haron,
20:48 je ne sais pas s'il avait raison sur tout, mais en tout cas, son jugement politique était plus pondéré que celui de Sartre.
20:52 Donc Raymond Haron, c'était un homme de la modération, de la prudence, de l'équilibre.
20:57 Et c'est ça, au fond, qui manque aujourd'hui dans notre débat politique et qui explique pourquoi Raymond Haron
21:01 est si précieux.
21:03 - Périne Simon-Naoum ?
21:04 - Oui, je crois que c'est l'émission de ce matin en est le symbole.
21:07 Si on revisite maintenant depuis quelques années la pensée de Raymond Haron,
21:11 c'est précisément parce qu'il remplit un rôle qui manque, qui manque parmi les politiques,
21:17 qui manque parmi les intellectuels, notamment à travers ce rapport dépassionné qu'il avait avec la réalité,
21:24 c'est-à-dire la nécessité de se confronter à la réalité et la nécessité de l'analyser.
21:29 - Alors là, je pense qu'il est important d'expliquer ce que la raison voulait dire pour Raymond Haron,
21:34 parce que lorsqu'on parle de raison et notamment de raison dans la guerre ou de raison en politique,
21:39 on a tendance à dire que la politique n'est pas purement rationnelle, qu'elle est émotionnelle.
21:44 Et il faut expliquer que pour Haron, c'était une forme de méthode de pensée,
21:48 c'est-à-dire qu'il savait bien qu'il y avait une part d'irrationalité dans les hommes, dans les hommes agissant.
21:54 Mais lui considérait que les sciences sociales, puisqu'il était à la fois sociologue et philosophe,
21:58 lorsque celle-ci devait avoir un discours sur cette réalité, il fallait que ce discours soit rationnel.
22:05 Et c'est pour ça qu'il tenait à ce point la raison Jean-Vincent Hollande.
22:08 - La politique est une chose sérieuse, on ne peut pas en parler en s'autoproclamant spécialiste de la politique.
22:15 Raymond Haron était très attentif à la chose économique, à la chose militaire, à tous les aspects de l'action humaine.
22:22 Et il appuyait ses analyses d'une connaissance empirique tout à fait fondée,
22:27 à l'époque où justement les passions étaient tellement dévorantes, les passions politiques,
22:30 qu'elles faisaient perdre la raison au sens strict, c'est-à-dire où les analyses étaient tellement marquées par l'idéologie,
22:37 qu'elles n'étaient plus efficientes, qu'elles n'étaient plus valables.
22:41 Donc bien sûr, Raymond Haron était quelqu'un d'engagé.
22:43 Bien sûr, Raymond Haron avait des opinions.
22:45 Bien sûr, Raymond Haron était plus proche des États-Unis que de l'URSS,
22:48 parce qu'il considérait que la liberté politique, la liberté démocratique avait plus de valeur que l'asservissement et les régimes totalitaires.
22:55 Bien sûr qu'il opérait un jugement politique, mais pour autant, ce jugement politique s'opérait à la lumière des faits,
23:02 à la lumière d'une analyse pondérée des faits et des différentes opinions qui pouvaient s'exprimer dans une société.
23:07 Ça, aujourd'hui, ça nous manque véritablement.
23:10 Le débat est strident, le débat est fou en quelque sorte, là où Raymond Haron apportait de la raison.
23:16 Et puis l'autre aspect de l'œuvre d'Haron, c'est la manière dont il s'est exprimé sur les conflits, sur la guerre.
23:22 Là aussi, c'était un lecteur, il ne faut pas oublier qu'on le surnommait le prof.
23:26 Il a beaucoup lu, il a lu par exemple Klaus Witt.
23:28 Il a donné un ouvrage qui est republié d'ailleurs en poche sur Klaus Witt.
23:33 On écoute Raymond Haron, toujours en 1976, s'exprimer sur le conflit,
23:39 sur la manière dont les conflits, et notamment celui du Proche-Orient, pouvaient durer.
23:46 Pour l'instant, je ne vois pas comment une nouvelle guerre au sens conventionnel du terme pourrait recommencer.
23:52 D'abord, la guerre n'a pas cessé. La guerre continue.
23:56 Mais pour avoir de grandes opérations militaires, il faudrait,
24:00 ou bien que les troupes israéliennes puissent franchir le canal de Suez.
24:05 Je crois qu'elles ne le peuvent pas, et qu'en tout cas les dirigeants ne le veulent pas.
24:10 Ou bien il faudrait que l'armée égyptienne eut une telle capacité offensive
24:15 qu'elle pût, elle, traverser le canal de Suez pour livrer une grande bataille.
24:19 Donc si l'on exclut l'hypothèse où les puissances extérieures à la région
24:24 fourniraient aux belligérants des armes à longue portée,
24:28 la petite guerre peut continuer pendant des mois, peut-être même des années,
24:33 mais je ne crois pas à la répétition d'opérations comme celle de 1967.
24:37 Mais en fait, il n'y a pas de paix.
24:39 Je pense que c'est l'exemple typique de ce que Mao Tse-Tung appelle le conflit prolongé.
24:45 Le conflit prolongé au Proche-Orient.
24:46 Je rappelle à nouveau que c'est une interview de 1976, Jean-Vincent Hollindre.
24:53 Qu'est-ce qu'Aron peut nous permettre de penser dans la situation actuelle ?
24:57 D'abord, faire le pari pour la raison.
25:00 Le pari pour la raison, c'est-à-dire l'idée qu'en effet, la guerre fait partie de l'expérience humaine,
25:05 mais que la paix est toujours possible, considérée comme un acte politique.
25:08 Non pas considérée comme une morale détachée de toute situation historique,
25:13 non pas comme un idéal pacifiste, mais comme un traité, en quelque sorte, comme un acte politique.
25:18 C'est ça aujourd'hui qui est difficilement envisageable entre les Ukrainiens et les Russes,
25:22 ou entre les Israéliens et les Palestiniens.
25:25 La paix politique n'est pas à l'ordre du jour, parce que la guerre est en quelque sorte au milieu de nous,
25:32 d'une certaine façon, avec un risque d'escalade qui n'est pas négligeable.
25:36 Donc quand Raymond Aron dit "Oui, il n'y aura peut-être pas d'opération majeure",
25:41 voilà, évidemment, il ne le sait pas, personne ne le sait,
25:43 on sait ce qu'a réservé la suite, avec un certain nombre de conflits d'importance,
25:48 combinés à une guerre irrégulière.
25:49 Quand il parle de "petite guerre", c'est en fait le quotidien aujourd'hui des guerres,
25:53 c'est-à-dire des conflits irréguliers, opposant des acteurs non étatiques à des acteurs étatiques.
25:59 On le voit aujourd'hui avec le Hamas, par rapport à Israël.
26:02 Le Hamas, ce n'est pas un État, c'est un acteur armé non étatique,
26:07 qui attaque un État et qui utilise un mode d'action qui est terroriste.
26:11 Donc ça, effectivement, il y a une sorte de combinaison aujourd'hui dans la scène guerrière,
26:15 entre des guerres majeures qui reviennent,
26:19 Ukraine, Russie étant l'exemple typique,
26:21 et ces conflits irréguliers qui pullulent,
26:24 et qui font qu'aujourd'hui, la majeure partie des morts à la guerre,
26:27 ce sont des civils, parce que dans les guerres irrégulières,
26:29 ce qui trinque, c'est d'abord les civils.
26:32 - Perrine Simon-Naoum.
26:33 - Oui, on voit bien sa volonté de prendre ses distances par rapport à l'événement.
26:39 Raymond Aron savait que la raison a ses limites,
26:42 et que c'est pour ça qu'elle est précieuse.
26:45 Ce qui ressort, je crois, de l'extrait que vous avez passé,
26:48 c'est la différence qu'il fait entre la politique et la morale.
26:52 La politique n'est pas la morale.
26:54 Ce qui ne veut pas dire qu'on ne puisse pas l'analyser,
26:57 mais il faut l'analyser, je dirais, de façon scientifique,
27:01 comme l'avait fait avant lui Max Weber.
27:03 - Qui était Max Weber ?
27:05 - Max Weber est un sociologue allemand du début du XXe siècle,
27:10 qui avait cette particularité qui séduisait beaucoup le jeune Raymond Aron,
27:14 d'être aussi intervenu dans la vie politique allemande.
27:17 Mais il décède très rapidement, il décède en 1920.
27:20 Donc, si vous voulez, sa carrière politique s'est interrompue très rapidement.
27:25 La différence d'Aron par rapport à Weber,
27:28 c'est qu'Aron pense qu'il faut appliquer l'analyse,
27:31 même aux circonstances irrationnelles, même aux pensées irrationnelles.
27:36 Et donc, il a cette particularité de considérer chaque fois
27:41 les motifs des différentes parties.
27:43 Ce qui ne veut pas dire qu'au bout du compte, lui-même ne prenne pas partie.
27:48 - C'est-à-dire en fait, recomposer ce qu'on appelle la subjectivité des acteurs,
27:51 y compris Périne Simon Nahoum,
27:53 lorsqu'on considère que cette subjectivité nous échappe,
27:57 par exemple, dans le cas d'exactions particulièrement terribles,
28:02 où on a tendance à rejeter l'autre dans l'animalité et la monstruosité,
28:07 alors qu'il peut y avoir, même si cela nous choque en première analyse,
28:11 une rationalité dans ces actes terribles.
28:14 - Oui, je vois bien ce qu'il y a en filigrane de votre question,
28:18 et je me la suis posée moi-même.
28:20 C'est-à-dire que c'est vrai que pendant toute la Seconde Guerre mondiale,
28:23 Aron, qui était le rédacteur en chef de la France Libre,
28:26 donc la revue Gaulliste à Londres, en résistance,
28:30 ne s'est pas prononcé sur les atrocités nazies.
28:33 Il a maintenu ses analyses sur les institutions politiques, le régime de Vichy.
28:37 Il l'a d'ailleurs un peu regretté par la suite.
28:40 Qu'est-ce que dirait Aron aujourd'hui ? Personne ne peut le savoir.
28:44 Mais une chose, je crois, dont on peut être sûr,
28:48 c'est que la reconstitution des motifs d'action d'un acteur politique
28:53 ne valide pas ses actes.
28:55 C'est-à-dire qu'on peut trouver les motifs,
28:57 mais ce n'est pas pour ça qu'on leur donne quittus.
29:00 - Jean-Vincent Hollindre, vous avez utilisé ce terme de terrorisme,
29:05 de terroriste, pour qualifier le Hamas,
29:08 qui est d'ailleurs le terme qui est universellement appliqué,
29:13 validé par les instances internationales.
29:16 Mais justement, qu'est-ce qu'il signifie dans une guerre ?
29:19 Lorsqu'on a un acteur, vous l'avez qualifié de non étatique,
29:22 d'aucuns disent que le Hamas est un acteur para-étatique.
29:26 Lorsqu'on a affaire à ce type d'acteur,
29:28 et qu'il se livrerait à des actes terroristes,
29:31 comment analyser cela dans les cadres habituels d'analyse de la guerre ?
29:36 - Le Hamas n'a pas de légitimité d'État, c'est ça que je veux dire,
29:38 par rapport à Israël.
29:41 Ce qui est très important en matière de conflit,
29:47 c'est de considérer que la guerre...
29:53 Votre question c'était sur...
29:54 - Sur le mot terrorisme, et sur le fait d'avoir affaire à des stratégies
29:59 qui relèvent les indices du crime de guerre.
30:02 - En fait, Raymond Aron a une définition du terrorisme
30:04 dans "Paix et Guerre entre les Nations".
30:05 Il dit "terroriste, une action dont les effets psychologiques
30:08 sont hors de proportion avec les effets matériels et physiques".
30:12 Donc là, on a tout un tas de débats sur
30:14 est-ce que le Hamas est terroriste ou pas,
30:16 qui sont des débats très chargés d'émotion, très chargés de politique.
30:18 - C'était là-dessus que je voulais vous donner.
30:21 - Mais effectivement, alors que le terrorisme, c'est un mode d'action.
30:26 On ne fait pas, par exemple, la guerre au terrorisme.
30:28 Cette doctrine américaine de la guerre au terrorisme,
30:31 de la guerre à la terreur, c'est quelque chose qui n'est pas pertinent,
30:36 parce qu'on ne fait pas la guerre à un mode d'action,
30:37 on fait la guerre à des groupes.
30:39 Donc oui, il y a une dimension de guerre, évidemment, à l'évidence,
30:41 entre des acteurs non-étatiques ou des acteurs para-étatiques
30:45 comme le Hamas et Israël.
30:47 Il y a une guerre au sens où il y a un duel des volontés politiques,
30:49 pour citer Clausewitz, que Raymond Aron a beaucoup étudié.
30:52 La dimension politique de la guerre,
30:54 c'est l'idée d'un affrontement entre des acteurs politiques
30:57 et qui utilisent des moyens qui peuvent être conventionnels
31:00 ou des moyens qui peuvent être non-conventionnels,
31:02 recourir en quelque sorte, par exemple, au mode d'action terroriste,
31:06 qui consiste à attaquer en priorité les civils.
31:08 Et donc là, ça contrevient aux droits de la guerre,
31:11 ça contrevient à un certain nombre de normes internationales.
31:14 Et là, effectivement, on caractérise le terrorisme.
31:16 Et pour continuer à présenter la pensée de Raymond Aron,
31:19 Perrine Simon-Naoum, il faut quand même dire, en tout cas,
31:22 c'est mon sentiment, qu'il y avait une forme de pessimisme chez Aron.
31:26 Il a écrit, par exemple, "Les désillusions du progrès",
31:28 qui est un texte important où il explique,
31:31 il est l'un des premiers à se rendre compte que le progressisme,
31:35 alors même qu'il se considérait comme étant dans le camp des progressistes,
31:38 eh bien, ce progressisme, il n'apporte probablement pas le bonheur,
31:43 il n'apporte pas aux individus ce qu'ils attendaient de lui.
31:46 Alors, je ne voudrais pas paraître vous contredire en permanence,
31:50 pessimiste...
31:51 C'est sûr que vous alliez dire qu'il n'était pas pessimiste.
31:54 Pessimisme historique, peut-être,
31:57 et en même temps, une croyance en la raison,
32:00 vous l'avez rappelé, et en l'humanité.
32:03 Et Aron s'inscrit là, dans la suite de la philosophie de Kant.
32:08 Il a cette idée que, effectivement, nous sommes des êtres finis,
32:11 nous sommes des êtres mortels, nous allons mourir,
32:15 mais au-delà de nous, il y a des choses qui nous animent,
32:20 des valeurs en lesquelles nous croyons,
32:22 et parmi ces valeurs, celle du perfectionnement de l'humanité,
32:26 celle d'une possible émancipation de l'homme,
32:28 et je crois que, pour sa part, c'est ce qu'il a recherché toute sa vie.
32:31 Mais vous en faites un religieux,
32:34 vous en faites un croyant dans les lois de l'histoire,
32:36 alors même qu'il s'était appliqué à détricoter ces lois de l'histoire,
32:39 et c'est pour ça, ils sont tragiques dans l'histoire.
32:41 C'est une position très pessimiste et finalement assez mélancolique.
32:45 C'est une position mélancolique dans la mesure où il explique
32:49 qu'effectivement, nous passons notre temps à chercher une rationalité dans l'histoire
32:53 et que celle-ci nous échappe, mais ça n'a absolument rien de religieux.
32:57 D'ailleurs, il y a ce terme dans les mémoires qu'il a publié quelques semaines
33:01 avant sa mort, "faire son salut laïque".
33:04 C'est quand même l'idée que, d'une certaine façon,
33:08 nous devons continuer à courir après cette raison,
33:12 même si elle nous échappe en dernier lieu.
33:14 - Jean-Vincent Hollande.
33:16 - Haron a écrit un très beau texte,
33:17 il s'appelle "L'aube de l'histoire universelle",
33:19 dans lequel il explique qu'il y a au fond deux grandes notions,
33:22 le procès et le drame.
33:23 Le procès, c'est l'histoire qui se déroule
33:26 et la construction, par exemple la construction de la démocratie.
33:29 Raymond Haron était vraiment attaché à l'idée de défendre la démocratie.
33:35 Aujourd'hui, la démocratie est attaquée de toutes parts,
33:37 aussi bien au plan interne qu'au plan international.
33:40 Et à côté de ce procès, de la construction des normes,
33:44 la construction du droit, la construction politique,
33:46 la construction démocratique, il y a les drames et la guerre.
33:49 C'est par excellence le drame.
33:51 - Et peut-être en quelques mots, Périne Simon-Naoum,
33:54 finir sur les mémoires d'Haron, c'est un très beau texte.
33:56 Moi, je trouve que c'est un texte très mélancolique.
34:00 Il revient sur ses amitiés passées avec Sartre, avec Bourdieu.
34:03 Bourdieu a été son assistant.
34:05 Il dit qu'humainement, il a été déçu par Bourdieu.
34:08 Il y a là une vision quand même assez, je trouve, un peu triste.
34:14 - Oui, il y a une nostalgie certaine.
34:16 On le rappelait tout à l'heure,
34:17 Haron a été ostracisé toute une partie de sa vie
34:20 après la Seconde Guerre mondiale pour ne pas avoir pris parti,
34:25 comme l'ensemble des intellectuels français, pour le marxisme.
34:29 Il dit des choses effectivement très belles dans ses mémoires.
34:32 Il raconte sa jeunesse, il raconte le poids de l'affaire Dreyfus,
34:35 il raconte sa famille.
34:37 Mais d'une certaine façon, si vous voulez,
34:40 il conclut quand même sur cette idée de l'émancipation de l'individu
34:45 en montrant finalement tout ce que cette sagesse,
34:47 vous aviez commencé sur le terme de sage et sur le terme de prof.
34:52 Haron ne donnait pas des leçons,
34:53 mais je crois qu'il voulait montrer à travers ses mémoires
34:57 comment on peut quand même traverser un siècle.
35:00 Perrine Simon-Naoum, Jean-Vincent Hollinde,
35:02 merci de nous avoir parlé de Raymond Haron.

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