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Art et designTranscription
00:00 *Musique*
00:18 Merci de commencer cette nouvelle semaine avec l'équipe du Club de lecture de France Culture.
00:22 Depuis quelques jours, ces sculptures restaurées ont repris leur place au milieu de la Fontaine
00:27 Stravinsky à Paris, juste à côté du Centre Pompidou.
00:30 A côté des œuvres de Jean Tingely, son mari, les personnages colorés en résine
00:34 de Nikit Sinfal brillent d'un nouvel éclat.
00:37 Cet artiste hors du commun a imaginé le rossignol, la sirène, l'oiseau de feu.
00:42 Ils seront remis en eau dans les prochains jours.
00:45 C'est à cette plasticienne franco-américaine qui est consacrée ce bout de club, à l'occasion
00:50 notamment de la réédition d'une lettre à sa fille, où l'artiste raconte un secret
00:55 enfoui durant des décennies.
00:57 Son père l'a violée à l'âge de 11 ans.
01:00 Ce drame, cette inceste, dit-elle, a joué un rôle déterminant dans sa vie.
01:05 Alors on va essayer de comprendre comment, de vous le raconter avec nos invités bien
01:09 sûr, avec la communauté du bout-club et avec la voix de Nikit Sinfal.
01:13 L'enfer est là.
01:15 Je me suis promenée dans l'enfer.
01:18 L'enfer c'est l'histoire.
01:21 Je suis l'histoire.
01:23 Les journaux sont le miroir de l'enfer.
01:26 Je suis miroir.
01:28 L'enfer c'est la tête isolée du corps.
01:31 Je suis une tête sans corps.
01:34 L'enfer c'est la culpabilité.
01:37 Je suis coupable.
01:39 L'enfer accouche du péché.
01:41 Je suis le péché.
01:43 L'enfer c'est le plein.
01:46 J'étouffe.
01:47 L'enfer c'est le monstre.
01:49 Je suis le monstre.
01:51 L'enfer c'est la fin.
01:53 Je suis la mer dévorante.
01:55 L'enfer c'est un cri sans réponse.
01:58 Je suis sans réponse au cri.
02:00 L'enfer c'est le froid.
02:03 Je suis l'œil de glace.
02:05 L'enfer c'est la peur.
02:07 J'ai peur de l'enfer.
02:09 L'enfer c'est l'exagération.
02:12 Je suis l'exagération.
02:15 L'enfer c'est moi.
02:17 Je suis l'enfer.
02:19 Je suis l'enfer.
02:21 Le book club.
02:23 Nicolas Herbeau.
02:25 Nicolas Herbeau.
02:27 Tu es le crocodile.
02:30 Tu es le daphné.
02:34 Tu es l'LSD.
02:37 Tu es le Starsun.
02:40 Un gros bisou de ta mère.
02:43 Un gros bisou de ta mère.
02:46 Un gros bisou de ta mère.
02:49 Un gros bisou de ta mère.
02:53 * Extrait de « La chanteuse pop » de Soko et sa Love Letter *
03:04 Bonjour Christine Villeneuve.
03:05 Bonjour.
03:06 Vous êtes la co-directrice des éditions des femmes Antoinette Fouque et vous venez
03:10 nous présenter cette nouvelle publication de « Mon secret » de Niquide Saint-Phalle
03:14 en coédition avec Le Rayon Blanc.
03:16 C'est une réédition de cette lettre publiée initialement dans les années 90, en 1994.
03:23 C'est ça, Niquide Saint-Phalle raconte donc qu'elle a été victime à l'âge de
03:26 11 ans d'un inceste.
03:28 Elle va garder le silence pendant plus de 50 ans et c'est à l'âge de 64 ans qu'elle
03:33 réussit à écrire et à se délivrer.
03:35 Tout à fait.
03:37 Je pense qu'elle a mis beaucoup de temps parce qu'elle ne voulait pas être considérée
03:44 comme une victime et qu'elle avait tout à fait pressenti qu'à partir du moment
03:49 où elle révélerait publiquement cet inceste, que par ailleurs on pouvait lire et je pense
03:53 qu'on y reviendra dans d'autres créations et notamment dans son film « Daddy »,
04:01 que ça prendrait peut-être le dessus et que tout son art serait interprété à partir
04:08 de cet inceste.
04:09 Je pense qu'en fait elle était quand même une victime mais qu'elle souhaitait ne pas
04:13 être considérée comme telle et c'est vrai qu'elle a dans son œuvre, je pense,
04:19 fait beaucoup pour surmonter ce drame et notamment en créant des femmes, notamment la série
04:28 des nanas, qui sont des femmes puissantes, girondes, enceintes, libres, en mouvement,
04:37 pour justement dire « vous ne me détruirez pas, on a voulu me détruire mais ce n'est
04:41 pas possible, je serai la plus forte ». Cela dit, ça a été tout un travail puisqu'elle
04:46 a quand même connu, et c'est ce qu'elle dit, c'est ce qu'elle raconte dans « Mon
04:50 secret », des épisodes graves, de dépression grave, elle a fait de l'opioïdal psychiatrique.
04:56 On va parcourir évidemment toute sa vie en commençant par l'enfance qui tient une
05:00 place très importante puisqu'il y a ce drame dans l'enfance et elle écrit dans
05:05 cette quatrième de couverture sur ce livre « Mon texte est le cri désespéré de la
05:09 petite fille ».
05:10 Pour en parler, on a convié également Gwenaëlle Aubry.
05:13 Bonjour.
05:14 Bonjour.
05:15 Merci beaucoup d'être avec nous.
05:16 Vous êtes philosophe, écrivaine et vous avez publié « Saint-Phale, montée en enfance
05:21 ». Le thème de l'enfance, on va évidemment en parler.
05:23 C'était suiti chez Stock en 2021 et l'ouvrage vient d'être réédité au livre de poche.
05:28 C'est en quelque sorte une biographie romancée de la plasticienne.
05:33 Je ne sais pas si vous serez d'accord avec ça mais vous allez m'expliquer.
05:35 On parle de l'enfance parce que d'abord cette enfance a été saccagée, comme vous
05:41 le dites.
05:42 Est-ce qu'on peut dire qu'elle porte ce fardeau tout au long de sa vie ?
05:46 Elle l'abrite très certainement et son œuvre abrite une enfance fellée.
05:51 Mais en même temps, ce que vous l'avez dit très bien, je pense que ce n'est pas
05:54 une clé et qu'elle ne le livre pas.
05:56 Elle ne livre pas cette histoire comme une clé.
05:59 Elle l'a dit haut, fort et cash dans « Mon secret », mais son œuvre n'a rien d'un
06:05 aveu, d'une confession.
06:06 Son œuvre n'est pas chuchotée.
06:08 Au contraire, ce qu'elle fait symphale, c'est qu'elle est sortie de l'intime,
06:10 elle est sortie de la chambre, elle a envahi l'espace public.
06:14 Elle installe l'inceste d'emblée sur une scène politique.
06:19 « Dans mon secret », elle dit qu'elle a cherché à inverser la misérable rébellion,
06:27 ce sont ces mots de son père, en une vraie révolte et qu'elle a aussi décidé de
06:31 passer du côté des dominés, de quitter le côté des dominants.
06:35 C'est l'héritière de… Elle porte un patronyme quand même assez fou, symphale,
06:40 un patronyme qui articule le masculin et le religieux, qu'elle a fait jouer d'ailleurs
06:43 dans son œuvre entière.
06:44 Elle hérite aussi de ce lourlet.
06:49 Et en même temps, elle code, elle montre l'enfance comme monstre.
06:55 On l'entendait le dire tout à l'heure, elle montre l'enfant comme monstre et en
07:00 même temps elle la code, elle code cette enfance-là, elle code cette enfance fêlée
07:04 dans son œuvre entière.
07:05 Elle la code avec d'ailleurs un langage enfantin, mais qui est un langage cruel.
07:09 L'enfance n'est pas qu'un verre-paradis, rarement un verre-paradis d'ailleurs.
07:13 Elle code ça à travers des baigneurs démembrés, à travers des jouets agglomérés, à travers
07:23 le langage des comics, mais aussi celui des mythes et des légendes.
07:26 C'est quelque chose qui m'intéresse chez elle, c'est que d'une certaine façon,
07:29 pour réparer, sutirer cette enfance fêlée, elle va plus loin encore que l'enfance.
07:34 Elle remonte vers le mythe, vers l'archaïque et du même coup vers l'impersonnel, vers
07:38 quelque chose qui est au plus loin de l'intime et de la confession.
07:41 - Moi ce que je voudrais dire, c'est que c'est vrai que c'est une lettre politique.
07:45 Alors c'est aussi un texte très littéraire, quand on le lit, et si on le lit à voix
07:49 haute, on voit la beauté de cette lettre qui est en même temps très intime et très
07:53 politique puisque c'est quand même un acte.
07:54 Il faut quand même se rappeler que c'est en 1994.
07:58 Là on vient de parler de la commission indépendante constituée sur l'incesté dans le journal.
08:04 Donc là on est en 2021, cette commission a été mise en place il y a deux ans seulement.
08:07 On a donné les chiffres, votre journaliste a donné tous les chiffres.
08:12 Et il y a trente ans, le sujet n'était absolument pas traité de la même façon sur le plan
08:18 sociétal.
08:19 Enfin, il était beaucoup moins prémignant, il n'y avait pas eu de mouvement #MeToo.
08:22 Cette question de l'inceste, elle était traitée beaucoup dans des cercles militants.
08:26 Il y avait eu le livre d'Eva Thomas en 1986 qui était quand même une bombe sur le viol
08:30 du silence.
08:31 Mais donc il faut quand même voir le contexte dans lequel elle rend publique cette inceste.
08:35 Et je pense que pour elle, en plus c'est incroyable la manière dont elle décrit les
08:41 symptômes en fait.
08:42 C'est-à-dire qu'on a vraiment quasiment un cas clinique.
08:45 Je ne suis pas psychanalyste, mais enfin quand on lit tout ce qu'elle décrit entre l'amnésie,
08:52 les symptômes post-traumatiques, etc., l'asthmatisation, c'est extrêmement fort et bouleversant.
08:59 Et c'est aussi une lettre très politique puisque c'est vrai, vous le dites, elle
09:03 sort du champ des dominants pour aller vers les dominés.
09:05 Et notamment, elle est très sensible à la question du racisme.
09:08 Et je dirais qu'elle prend parti pour les enfants, contre les violences faites aux
09:12 enfants, contre tous les abus dont ils sont victimes de la part de leurs parents, mais
09:17 aussi des institutions, puisqu'elle raconte comment elle n'a pas été crue par les psychiatres,
09:22 etc.
09:23 Ça c'est très intéressant et vous le disiez, ce qui est d'autant plus fort de republier
09:28 aujourd'hui, on va y revenir, c'est que c'est très actuel.
09:31 On a l'impression que ce texte a pu être écrit il y a quelques mois, à peine.
09:36 C'est très actuel.
09:37 Et elle dit, là où vous dites que c'est une démarche politique, elle l'assume totalement,
09:41 elle dit j'ai écrit ce livre d'abord pour moi-même, pour me tenter de me délivrer
09:45 enfin de ce drame qui a joué ce rôle déterminant dans ma vie.
09:49 Et comme elle s'adresse à sa fille, elle lui écrit aussi qu'elle veut écrire,
09:54 un jour je ferai un livre pour apprendre aux enfants comment se protéger.
09:58 Alors Marie, notre lectrice, a lu « Mon secret » de Nikit Sainfald.
10:02 On va écouter ses impressions de lecture.
10:04 « Mon secret » pour moi, c'est un beau livre, dans tous les sens du terme beau.
10:09 Un livre objet d'art, on trouve à l'intérieur une reproduction de l'écriture de Nikit
10:15 Sainfald, des grandes lettres naïves, parfois dessinées comme des serpents, des mots qui
10:19 s'envolent sur la page, qui forment des arabesques.
10:21 Donc visuellement déjà, c'est un ouvrage marquant, touchant dans l'écriture même,
10:25 qui évoque l'art, l'enfance.
10:27 C'est de son enfance dont Nikit Sainfald va parler, sous la forme d'une lettre à
10:30 sa fille Laura.
10:31 Un épisode terrible de l'été de ses 11 ans où elle a été victime d'inceste
10:35 infligée par son père.
10:36 Une lecture bouleversante donc.
10:38 Des mots simples, directs, où on perçoit toute l'horreur de ce qu'a vécu cette
10:41 petite fille, mais aussi sa force.
10:43 Sa volonté de briser le silence, un silence qui a duré trop longtemps, à une époque
10:47 où le sujet était tabou, surtout dans certains milieux, où on n'écoutait pas la parole
10:51 des enfants.
10:52 On perçoit sa résilience tout au long de sa vie, alors même que les psychates qu'elle
10:55 a vues défendaient son père.
10:57 Donc toutes ses révoltes quotidiennes, ses premiers poèmes, son premier geste de contestation.
11:01 C'est vraiment un texte fort, essentiel pour comprendre la femme et l'artiste,
11:06 qui sont indissociables.
11:07 Comment l'art l'a aidé à surmonter le traumatisme, comment l'écriture devient
11:10 un double moyen d'expression, dans le fond, dans la forme, et lui permet d'en parler
11:14 à sa propre fille, pour conjurer tout ce qui pèse sur la parole des femmes, pour dénoncer,
11:19 pour ne pas permettre que les abus se reproduisent.
11:21 Un texte éclairant et nécessaire.
11:24 Et j'aurais aimé connaître d'ailleurs l'origine de ce projet d'édition, où
11:27 et quand est née l'envie de republier ce texte, "Mon secret qu'on ne trouvait plus".
11:32 - Christine Villeneuve, on ne trouvait plus ce livre publié en 1994, pourquoi l'avoir
11:37 réédité ?
11:38 - Alors en fait c'est un projet qui est venu à nous, parce que Arianna Senz Espinoza,
11:43 qui est donc la directrice du Rayon Blanc avec qui ce livre est réalisé, en co-édition,
11:49 travaillait à l'époque aux éditions de La Différence, où la première édition
11:52 de "Mon secret" avait eu lieu.
11:54 En 1994, le livre avait d'ailleurs fait l'objet d'une seconde édition en 2010, je crois.
11:59 Et elle était en relation avec Boumkarne Ennas, la petite fille de Nikit Sinfal, qui
12:04 dirige la fondation Nikit Sinfal.
12:07 Et elles avaient eu ce projet de rééditer "Mon secret" parmi d'autres projets de
12:13 réédition, et on en parlera peut-être autour de Nikit Sinfal, enfin d'écrit de Nikit
12:17 Sinfal.
12:18 Et puis les éditions de La Différence se sont arrêtées.
12:21 Arianna est quelqu'un qu'on connaît très bien, puisqu'elle a travaillé trois ans
12:24 au sein de l'équipe éditoriale des éditions des femmes, avant de monter maintenant sa
12:27 propre maison d'édition.
12:29 Et compte tenu du sujet, et par ailleurs, il se trouve qu'Antoinette Fouque, qui a
12:34 créé les éditions des femmes et qui est aussi l'une des cofondatrices du mouvement
12:37 Libération des femmes en 68, a toujours eu des relations avec Nikit Sinfal.
12:42 Elles se sont rencontrées, elle l'a exposée dans la galerie des femmes qu'elle a aussi
12:47 créée en 1980.
12:48 Elle a également acquis des œuvres pour un musée des femmes dont elle avait le projet,
12:51 dont elle a toujours le projet, disons.
12:54 Et elle était très, très… elle aimait beaucoup le travail de Nikit Sinfal au sens
13:00 où justement tout ce travail créatif autour de la… comment dire… de la générosité
13:07 du… elle parle de corps hospitalier des femmes, Antoinette Fouque.
13:11 Et ça, on retrouve ça dans l'œuvre de Nikit Sinfal.
13:14 D'ailleurs, elle a souvent fait des sculptures dans lesquelles on entre, etc.
13:18 Et donc, c'était tout à fait logique que ce projet arrive chez nous.
13:24 Évidemment, on était totalement enthousiastes pour rééditer ce livre, sachant qu'on
13:28 avait quand même un impératif qui était de respecter complètement le livre parce
13:34 que ce livre a été conçu par Nikit Sinfal elle-même, de son vivant.
13:37 Et elle a vraiment tout pensé, c'est-à-dire non seulement la couverture…
13:42 On va l'écrire, mais simplement, vous me disiez tout à l'heure aussi qu'on
13:46 ne le trouvait plus en vente, mais surtout on pouvait le trouver à des prix exorbitants.
13:50 Et donc, il y avait aussi l'idée de le redonner de façon un peu universelle et accessible
13:55 à tous pour que le texte soit connu.
13:56 C'est ça, c'est-à-dire qu'on était un livre.
13:57 Nikit Sinfal a fait un livre, un livre très engagé, qui est un livre aussi pour le faire
14:02 circuler… enfin, un livre c'est fait pour être lu et circuler.
14:04 Et donc, c'était devenu un objet "collector" et qui était donc vendu à des prix énormes
14:11 sur Internet.
14:12 Donc, c'est vrai que Blumgardner ne se souhaitait pas.
14:15 Nikit Sinfal aurait détesté faire d'un livre, d'une œuvre d'elle, puisque c'est
14:20 une œuvre, un objet mort.
14:23 Voilà.
14:24 - Alors, Marie l'a dit, notre lectrice, c'est un beau livre au sens où c'est
14:28 un livre de grande taille.
14:29 On retrouve évidemment tout l'esprit de Nikit Sinfal dedans.
14:33 Gwenaëlle Aubry, j'imagine que vous l'avez lu, parcouru, reparcouru.
14:36 Qu'est-ce qu'il a de particulier ? C'est son écriture à l'intérieur.
14:39 C'est ça d'abord qui est marquant.
14:42 - Elle enlumine, elle enlumine comme un moine médiéval et particulièrement les mots terrifiants,
14:47 les mots de d'alliés ou de viols, elle les fait serpenter.
14:51 - Vous dites que des mots lourds, des mots écrasants, comme la honte, la peur, l'angoisse.
14:57 On lit cette lettre presque comme on écouterait un témoignage.
15:03 Justement, c'est fort aussi visuellement.
15:05 - Oui, c'est-à-dire que l'écriture n'est pas d'abord son langage.
15:11 Son langage est un langage optique.
15:16 C'est pour ça que l'un des enjeux pour moi, moi je suis écrivaine,
15:19 je ne suis pas historienne de l'art ni biographe.
15:21 L'un des enjeux pour moi était de donner une traduction stylistique de son langage optique.
15:26 Donc là, elle parle dans une langue finalement qui n'est pas la sienne
15:28 et qui est en quelque sorte renforcée ou appuyée par son langage propre,
15:35 qui est ce langage visuel.
15:37 Mais c'est précisément parce que, oui, c'est l'un des premiers livres,
15:40 je pense que j'ai lu quand j'ai commencé à préparer "Symphale montée en enfance".
15:45 Et ça a été évidemment, cette lecture m'a confortée dans l'idée
15:49 qu'il n'y avait pas, justement, effectivement,
15:51 mon livre n'est pas une biographie.
15:53 Je ne déroule pas les faits de la naissance à la mort.
15:58 Ça, ça ne m'intéressait pas vraiment.
16:01 Et de plus, à quoi bon ?
16:03 Dès lors qu'elle a elle-même raconté sa vie et ça n'est pas non plus romancé
16:06 puisque je n'ai pas souhaité dire à sa place ce qu'elle ne dit pas.
16:09 Je n'ai pas voulu fictionner ou romancer dans les blancs.
16:11 Ça, ça ne m'intéressait pas.
16:12 Ce qui m'intéressait, c'était de proposer une forme nouvelle.
16:15 C'est toujours ce qui m'intéresse quand j'écris.
16:18 J'écris plutôt des romans.
16:20 Voilà, donc inventer la forme libre d'une rencontre.
16:25 Donc, en fait, je joue...
16:26 - C'est ça l'aspect romancé, c'est que vous nous accompagnez.
16:29 On y viendra dans un instant, mais dans un jardin
16:32 où elle a elle-même créé, où elle a créé des sculptures.
16:34 Et vous nous la faites quasiment rencontrer, en fait.
16:38 C'est ça l'aspect un peu romancé de votre biographie ?
16:40 - Oui, il y a deux files.
16:41 Ce n'est pas romancé, mais il y a deux files narratifs.
16:43 Il y a une double quête sur cette trace monumentale et triomphale.
16:47 Elle est triomphale malgré tout.
16:49 Et sur celle plus fugitive de l'enfance, y compris de ma propre enfance.
16:55 - Ce que je trouve absolument extraordinaire chez Niki Sainfald,
16:57 je pense que c'est vraiment quelqu'un qui peut inspirer,
17:00 enfin, je veux dire, qui peut faire du bien pour des personnes,
17:03 pour des enfants victimes d'inceste et de violences sexuelles.
17:05 C'est que justement, elle a réussi à ne pas être happée par la destruction,
17:09 parce qu'elle dit bien que le viol, c'est la mort.
17:11 Elle écrit ça et d'ailleurs, cette lettre, elle est assez radicale,
17:14 mais elle n'est pas du tout haineuse.
17:16 Ce n'est pas du tout une lettre haineuse.
17:18 C'est une lettre, je dirais, qui ne fait que dire des choses, des faits
17:23 et les dire avec énormément de sincérité et de simplicité en même temps.
17:29 Alors, effectivement, il y a tout le travail,
17:31 parce que c'est quelqu'un qui a eu aussi un rapport à la psychanalyse,
17:34 à l'inconscient, très fortement.
17:36 Et c'est vrai qu'elle fait des enluminures, mais des dessins,
17:40 alors ce n'est pas toujours les mêmes.
17:41 Il y a des serpents, mais il n'y a pas que des serpents.
17:42 - Ça s'appelle "L'été des serpents".
17:44 - Voilà.
17:44 - C'est le titre de cette période et de ce qu'elle raconte.
17:48 - C'est parce qu'en fait, elle raconte justement qu'elle était en vacances.
17:51 Vous savez, elle vivait aux États-Unis avec sa famille,
17:53 son père, un historiocrate, banquier, etc.
17:56 Et cet été-là, il y avait des serpents.
17:58 Ils avaient loué une maison et il y avait des serpents dans le jardin,
18:00 des serpents dangereux, etc.
18:02 Donc, on a mis des produits pour les tuer.
18:03 C'est ce qu'elle raconte.
18:05 Et son père, qui avait un cabanon dans le jardin, etc.
18:09 a dit, et c'est cet été-là que son père a, comme elle dit,
18:14 mis sa main dans sa culotte pour la première fois.
18:17 Voilà.
18:18 C'est pour ça que ça s'appelle "L'été des serpents".
18:20 - "L'été des serpents", mais clairement, "L'été des serpents",
18:22 je suis celui de mon père, son banquier, cet aristocrate,
18:24 avait mis aussi son sexe dans ma bouche.
18:26 Cette figure du serpent, qui évidemment,
18:30 vient de l'anecdote des vacances, mais qui va au-delà.
18:33 Gwenaëlle Aubry, qui représente aussi ce qu'elle a vécu.
18:37 - Ah oui, les serpents sont nombreux,
18:40 sous toutes les formes, dans le jardin des tarots,
18:42 comme ailleurs.
18:44 Mais là encore, elle convoque la mythologie aztèque.
18:48 Elle convoque aussi bien la lime.
18:55 À chaque fois, elle installe ça sur une grande scène,
18:59 sur une scène faite de combats de dieux et de géants.
19:04 Peut-être que l'enfance, quand elle a été très profondément abîmée,
19:08 ne peut en effet, tant soit peu, se réparer
19:12 qu'à travers cette très grande scène-là.
19:14 Peut-être que l'art individuel, le roman familial,
19:17 le récit intime, etc. ne suffisent pas.
19:20 - Elle raconte dans la lettre, évidemment,
19:22 ses consultations avec le psychiatre,
19:24 le fait qu'elle a été aussi internée en hôpital psychiatrique.
19:28 Ses tentatives de suicide aussi.
19:31 Et c'est là, en quelque sorte, que débute l'art de Niki de Saint-Phalle.
19:34 C'est là qu'elle commence à peindre, qu'elle commence à imaginer
19:38 sa façon de faire de l'art.
19:42 Et vous, Gwenaëlle Obris, qui vous a intéressée particulièrement,
19:46 c'est ce jardin des tarots.
19:47 Donc, on est en Toscane.
19:48 C'est là où vous nous emmenez.
19:50 On va écouter Marianne, qui a lu votre livre.
19:52 Et on se retrouve juste après pour commenter, bien sûr.
19:56 « Niki Saint-Phalle n'est pas tombée, mais montée en enfance »,
19:59 nous dit Gwenaëlle Obris dans son dernier roman.
20:01 En construisant une œuvre extravagante, engagée et féministe,
20:05 l'artiste plasticienne s'est libérée par l'art d'une enfance monstrueuse.
20:09 Violée par son père, maltraitée par sa mère,
20:11 elle fuit un mariage raté pour rejoindre Jean Tingueli à Paris.
20:15 L'art devient son arme de résistance.
20:17 Au fil des descriptions enchantresses des différentes parties
20:20 du jardin des tarots en Toscane,
20:22 un site pour lequel Niki a consacré 20 ans de sa vie,
20:25 Gwenaëlle Obris brosse le portrait d'une femme,
20:28 mêlant sa vie et son œuvre.
20:30 Elle peint ainsi son extravagance, mais pointe aussi sa fragilité.
20:35 Saint-Phalle s'est longtemps protégée au sein de l'impératrice,
20:38 une déconstruction du jardin symbolisant sa mère.
20:40 Ce roman est une très belle évocation
20:43 de celle que l'auteur ne nommera que Saint-Phalle,
20:46 comme pour lui épargner la fragilité féminine de Niki.
20:51 - Appelle-t-on Picasso-Pablo ou Gaudi-Anthony ?
20:54 Mais Saint-Phalle est une femme, alors on s'autorise à la désigner par son prénom,
20:57 comme on le fait pour les mannequins, les actrices, les autrices.
21:00 Ce sont vos mots, Gwenaëlle Obris.
21:02 - En effet.
21:03 Oui, ce Niki enfantin dans lequel on n'entend plus résonner
21:07 le grec Niké, Victoire en fait.
21:09 Elle porte à plein de titres la Victoire dans son nom.
21:12 - C'est pas son vrai prénom, il faut quand même le préciser,
21:14 parce que les gens le savent, elle s'appelait Marie Agnès.
21:16 - Son père lui avait donné le prénom de l'une de ses maîtresses.
21:20 D'une façon générale, le leg est lourd.
21:23 Et puis Saint-Phalle, je le disais tout à l'heure,
21:25 ce patronyme fou, comment fait-on pour s'approprier un nom pareil ?
21:30 Alors précisément, elle ne cesse d'articuler le politique, le religieux.
21:38 Très tôt, je crois qu'elle le dit précisément dans "Mon secret",
21:41 elle est déterminée à voler le feu aux hommes.
21:44 - Et à faire la révolte.
21:46 - Et à faire la révolte, absolument, parce qu'elle est née d'une telle,
21:48 dans le mauvais milieu pour elle.
21:50 Et je crois que c'est peut-être la formule de son féminisme,
21:54 c'est-à-dire vaincre les hommes sur leur propre terrain,
21:57 ou sur le terrain qu'ils se sont réservés,
21:59 le politique, le religieux, l'espace public,
22:02 et en même temps, perturber sans cesse les frontières entre les différents terrains,
22:09 les frontières entre les genres, aller contre toute forme d'assignation.
22:13 Combattre, en fait, combattre et vaincre sur tous les terrains,
22:17 et en extraire toutes les puissances.
22:19 Ce qu'elle formule de façon assez drôle en disant
22:21 "construire des monuments plus gros et porter des beaux chapeaux".
22:24 Donc effectivement, elle fait jouer, dans tous les sens du terme, son patronyme.
22:29 Elle construit des tours plus hautes que celles de Gaudi dans "La Sagrada Familia",
22:36 à Barcelone, plus hautes que celles de Simon Rodia.
22:39 Ces modèles sont souvent des modèles masculins.
22:41 Simon Rodia, l'architecte alcoolique et fou des White Towers de Los Angeles.
22:46 Des tours qui sont tantôt, effectivement, turgescentes, tantôt flaccides.
22:50 Et pour autant, très vite d'ailleurs, elle conquiert les attributs qui sont supposés être ceux du patriarcat.
23:03 La puissance et la gloire, Saint-Phalle n'est pas une maudite.
23:05 Elle a été très tôt célèbre et célébrée.
23:08 Elle a énormément séduit, ce qui la rend d'ailleurs suspecte aux yeux de beaucoup.
23:11 Mais précisément, elle continue aussi à engager les armes dites féminines dans son combat.
23:19 Et elle mélange, y compris quand elle montre le corps féminin dans des états à la fois glorieux et ravagés.
23:25 Mais même quand elle crée des accouchées sanglantes, elle suspend entre leurs cuisses des nourrissons phalliques.
23:30 Elle dit d'elle qu'elles ne sont ni père ni mère.
23:32 Et je pense que cette façon de perturber les rôles et les genres, c'est sans doute aussi la clé de son alliance gemellère, indéfectible avec Tinguely.
23:44 Tinguely dit quelque part, le tout féminin est complètement idiot, le tout masculin est tout aussi bête.
23:50 La seule solution, qu'on le veuille ou non, c'est l'hermaphrodisme.
23:53 Et l'hermaphrodisme, c'est sans doute quelque chose qui les soude l'un et l'autre.
23:58 Cette façon de vouloir être tout, de ne se couper d'aucun possible.
24:04 Et je pense qu'on ne crée, qu'on écrit, qu'on ne peint, qu'on ne sculpte, qu'on ne chante, etc.
24:08 qu'à condition que sous cette espèce de désir monstre, là encore, et un peu fou, vouloir être tout.
24:16 Alors moi je pense aussi que ce sont des artistes qui ne se sont pas pris au sérieux.
24:21 Précisons juste Jean Tinguely qui est son second mari qu'elle rencontre au début des années 50.
24:26 Ils se sont mariés après s'être séparés.
24:28 Et ensemble, ils sont donc couple à la ville et dans l'art. Allez-y Christine Vidal.
24:33 Oui, je voulais juste dire que Niki Tzinfal est autodidacte, c'est une créatrice autodidacte
24:38 et qui a été très inspirée par l'art brut, par des artistes qui n'avaient pas forcément fait des études artistiques.
24:49 Et je pense qu'il y a, vous le dites très bien dans votre livre, une partie de jeu, d'expérimentation de jeu.
24:55 Et c'est ça aussi qu'elle partageait avec son mari, avec Tinguely, qui était sculpteur également.
25:00 Mais qui lui aussi ne pensait pas que ces machines etc. étaient forcément des œuvres au sens où on allait les reconnaître.
25:07 Et d'ailleurs, je pense qu'elle a aussi ce goût de la liberté partagée qui fait qu'ils ont sculpté dans un jardin,
25:19 dans des lieux libres, dans des lieux ouverts au public, pas enfermés dans un musée.
25:25 Et je pense que c'est quand même une démarche artistique assez singulière et tout à fait incroyable aussi.
25:33 Néanmoins, je voudrais dire que Niki Tzinfal, dans cette lettre, explique que son premier geste artistique est antérieur à cet épisode
25:43 où elle s'est découverte, où elle s'est dit qu'elle serait artiste, puisqu'elle raconte de manière assez drôle d'ailleurs,
25:50 puisque ça n'est pas dénué de passages un peu humoristiques, qu'elle était élève chez les Bonnes Sœurs
25:57 et que ça ne se passait pas très bien dans un milieu très très catholique, c'est une famille très très catholique,
26:03 on imagine toute l'hypocrisie, puisqu'il se passait aussi ce drame d'inceste,
26:09 qu'elle a commencé à recouvrir des statues grecques, à peindre leur sexe en rouge.
26:15 Et donc elle avait quel âge ? Elle était petite, c'était bien avant.
26:19 Donc je pense qu'en fait c'est quelque chose qui est arrivé comme ça d'une manière...
26:23 Et c'est important puisqu'elle enracine quand même aussi son adolescence.
26:31 Pour en revenir peut-être à Jean-Tingueli, vous le citez, pardon Gwenaëlle Aubry,
26:38 il parle de Niguide Saint-Phalle et il dit "elle est l'artiste enfant, tout ce qu'elle fait reste enfantin,
26:43 elle reste un artiste primitif, c'est quelque chose que j'admire énormément".
26:47 Qu'est-ce que ça veut dire ?
26:49 Ça veut dire le jeu, peut-être avant tout, le jeu J.E.U.
26:53 Ça veut dire aussi l'enfance comme conquête, l'enfance peut-être une destination.
27:04 Mais le jeu oui, très certainement, c'est ça qui les soudait, je l'ai dit tout à l'heure.
27:08 C'est ça aussi qui préside finalement à ce livre "Saint-Phalle, mon thé en enfance"
27:14 puisque je joue avec elle au sens où je tire.
27:17 Elle a tiré, elle, à la carabine sur des tableaux immaculés pour faire saigner la peinture.
27:23 Là je tire des cartes, je tire les arcades majeurs du tarot qu'elle a semé dans les sentiers de ce jardin,
27:30 dans les plis de cette colline toscane.
27:32 Je les tire et comme le disait très bien l'actrice qu'on a entendue tout à l'heure,
27:37 j'hybride carte après carte des éléments de son oeuvre, des éléments de sa vie
27:44 pour lire en fait son oeuvre comme un geste de survie, comme un instrument, un rituel même,
27:50 un rituel de conjuration.
27:53 Et là il y avait pour moi un enjeu aussi littéraire qui était important,
27:56 prendre les tarots comme matrice combinatoire.
27:59 Comment fait-on ? Italo Calvino s'était proposé de le faire dans un roman qui s'appelle "Le château des destins croisés"
28:06 que Saint-Phalle a sans doute lu parce que Calvino était membre de l'Oulipo,
28:10 comme Harry Matthews son premier mari qui était grand ami de Pérec, que Pérec a traduit.
28:15 Bon, Calvino lui tire toutes les cartes du tarot et a cru de ce fait devenir fou
28:20 parce que la combinatoire était infinie.
28:22 Moi je tire simplement uniquement certaines des cartes que Saint-Phalle a semées.
28:28 Un itinéraire s'est imposé au début pour moi de façon très intuitive de la force à l'impératrice,
28:35 l'impératrice dans laquelle elle a vécu, c'est-à-dire qu'elle a passé...
28:38 - Décrivez-nous, on est donc dans ce jardin, c'est difficile à décrire.
28:42 - On est dans un jardin qui est caché dans les pieds d'une colline en Toscane, dans la Maréma,
28:49 et où elle a semé, coulé en fait, solidement coulé dans du béton,
28:55 les arcades majeurs du tarot qu'elle a recouverts de miroirs, de céramique.
29:00 Il n'y a pas de sens de promenade, il n'y a pas de sens de visite.
29:03 Elle a passé 20 ans de sa vie, non seulement à travailler à ce chantier, mais à y vivre,
29:08 ce qui évidemment m'a fascinée.
29:10 Elle a vécu au sein de l'impératrice, on l'entendait tout à l'heure parler de mère dévorante.
29:16 Elle a vécu dans cette sorte de matrice hypnotique, entièrement dans les parois,
29:22 sont entièrement l'impératrice, c'est une immense finxe noire,
29:25 et l'intérieur est entièrement tapissé d'éclats de miroirs,
29:30 et bien que l'image est complètement, elle parlait de miroirs aussi tout à l'heure,
29:34 on l'entendait, est complètement diffractée.
29:36 Elle a vécu là, elle s'est construite cette espèce de forteresse,
29:40 jusqu'au moment où elle a eu le sentiment d'être elle-même dévorée par cette mère,
29:46 cette matrice qui devait la protéger.
29:49 Donc j'ai passé une semaine en mai 2019 dans ce jardin,
29:53 j'ai été accueillie, adoptée d'une certaine façon par les artisans,
29:58 les ouvriers qui y ont travaillé avec elle,
30:01 et qui maintenant l'entretiennent comme une armée,
30:06 une tribu de grands prêtres en salopette,
30:08 l'entretiennent comme si elles devaient revenir,
30:11 et qui m'ont ouvert leurs mémoires, leurs albums de photos de famille,
30:17 et qui m'ont aussi ouvert les lieux cachés, les pièces secrètes du jardin,
30:23 la main du magicien, les chambres de la tour de Babel.
30:30 Donc oui, elle a vécu à l'intérieur de son œuvre,
30:36 et cette œuvre dans laquelle elle l'a vécu,
30:43 a en même temps opéré pour elle très certainement comme un moyen de survie.
30:47 - Elle dira que pendant cette période, elle n'a jamais été malade,
30:50 qu'angoisse et idée noire s'étaient effacées.
30:52 On dit aussi que ce jardin des tarots, c'est son grande œuvre,
30:55 c'est une forme d'œuvre signature.
30:58 Aussi peut-être, si on va un peu plus loin,
31:01 une forme de soulagement aussi, de sortir,
31:05 de se soigner de ce qu'elle a pu vivre durant son enfance.
31:08 - Son œuvre entière peut être lue comme ça.
31:12 Mais c'est vrai que le jardin la donne à lire tout entière.
31:18 Tout s'y trouve repris, récapitulé, réinventé.
31:25 C'est ce qu'il faut dire quand même,
31:28 l'étonnante puissance de renouvellement et de métamorphose
31:32 qui gouverne cette œuvre.
31:35 Cette œuvre est d'une certaine façon un peu occultée
31:37 par ce qui d'elle est le plus visible,
31:39 c'est-à-dire par les nanas qu'on a évoquées tout à l'heure,
31:41 par les crampopes bariolées, apparemment inoffensives,
31:44 elles ne sont pas tant que ça des nanas.
31:46 Elles sont aussi impénétrables, ce qu'on ne note pas,
31:50 mais ce qui évidemment n'est pas indifférent.
31:54 Et les nanas font suite aux mariés,
31:59 qui sont entièrement longés de tulle blanc,
32:01 qui elles-mêmes viennent à la suite des accouchés
32:03 que j'évoquais tout à l'heure.
32:04 Elles sont un carnage, c'est vraiment un chant de massacre, les accouchés.
32:09 Encore avant, on a les tableaux tir,
32:11 encore avant, on a les toutes premières œuvres
32:13 qui sont très étonnantes, parce qu'elles clouent à même la toile
32:17 tout l'arsenal létal qu'elle a porté sur elle en permanence,
32:21 dans son sac et en double sous son matelas.
32:23 À l'époque de l'internement à Nice,
32:27 elle portait en permanence sur elle des armes blanches,
32:31 pour pouvoir en… couteaux, etc.,
32:34 de rasoir, pour pouvoir en finir si l'envie lui en prenait.
32:38 C'est comme si elle-même s'était métamorphosée avec les tirs.
32:42 Elle-même s'est métamorphosée en arme blanche.
32:45 Elle a inventé une sorte de rituel,
32:47 une sorte de magie noire, finalement, de rite vaudou,
32:49 qui en passe par le blanc,
32:51 qui en passe par le blanc de cette combinaison d'Amazon ou de Catwoman
32:54 dans laquelle elle a été moulée,
32:55 qui en passe par le blanc immaculé dont elle revêt les tableaux tir,
32:59 dont elle revêt de la sauce tomate, des brèdes spaghettis, des ézétheras,
33:03 et sur lesquels elle tire à la carabine.
33:05 Je pense aussi à propos de cette lettre "Mon secret",
33:07 puisqu'elle avait 64 ans quand ce livre a été publié.
33:11 Elle l'avait écrit un peu avant.
33:13 C'est aussi un livre assez apaisé en réalité
33:16 par rapport à ce que vient d'écrire Benaël.
33:19 - C'est la fin de sa vie quasiment.
33:21 - Oui, et en fait, parce qu'il faut quand même parler des symptômes,
33:25 elle raconte dans cette lettre que son père, à un moment donné,
33:28 lui a écrit une lettre pour s'excuser de l'avoir violée.
33:32 Et en fait, elle avait une espèce d'amnésie, comme souvent,
33:35 donc elle avait refoulé ce traumatisme.
33:39 Et elle a été complètement réveillée par l'arrivée de cette lettre.
33:43 Elle raconte dans ce livre que pendant des années,
33:46 elle a reçu cette lettre un vendredi après-midi.
33:48 Pendant des années, tous les vendredis après-midi,
33:51 elle avait un début de migraine.
33:53 Elle tenait au lit pendant 24 heures.
33:56 Et qu'elle se mordait tellement la lèvre supérieure,
33:58 on n'imagine même pas, parce que c'était une beauté,
34:00 c'était une femme qui avait une double lèvre,
34:03 qu'elle a finalement opérée par chirurgie esthétique.
34:06 Ce qui montre quand même qu'elle était...
34:09 Enfin, je veux dire que c'était quand même quelque chose d'extrêmement violent,
34:12 dont elle a réussi à s'extraire, à surmonter.
34:16 - Et la façon de la surmonter, ça a été aussi d'écrire, évidemment, "Mon secret".
34:21 - De créer et aussi d'écrire, parce que je pense aussi qu'elle dit
34:25 que ce livre, elle le dédie à tous les enfants,
34:27 et qu'il y a la seule réponse à l'inceste, c'est la loi.
34:30 Pardon. - Non, non, je vous en prie.
34:32 - Ça sera la fin de cette émission, même si évidemment, on renvoie vers ce livre,
34:37 et il faut absolument lire cette lettre de Niki de Saint-Phalle,
34:40 "Mon secret", édité aux éditions des femmes Antoinette Fouque,
34:44 en coédition avec Le Rayon Blanc.
34:47 Merci beaucoup, Christine Villeneuve, d'être venue nous en parler.
34:50 Merci à vous, Gwenaëlle Aubry. Je rappelle le titre de votre livre,
34:53 "Saint-Phalle, montée en enfance", qui vient de sortir,
34:56 qui est réédité au Livre de Poche.
34:59 Et puis je vous renvoie aussi vers l'application Radio France
35:02 pour réécouter l'émission "A voix nue", où on entend Niki de Saint-Phalle.
35:05 C'était l'extrait au début de l'émission. Merci à toutes les deux.
35:07 - Merci, merci.
35:09 * Extrait de "Saint-Phalle" *
35:11 - L'épilogue dans un instant, d'abord, les quadritèmes de Charles Dantzig.
35:14 - Dans ce quadritème, je vais parler de quatre livres géniaux,
35:17 des fictions, des fictions comme j'aime, des fictions non narratives.
35:21 La narration me semble souvent une perpétuation des contes pour enfants
35:25 à des adultes restés enfants.
35:28 Et des enfants qui ne sont pas les meilleurs.
35:30 Vous me direz pour vous-même, mais pour moi, enfant,
35:33 dès l'âge des contes passés, les narrations m'ont éprouvé.
35:37 Et les dieux de la scolarité savent si on nous l'inculque.
35:40 Il faut raconter, décrire, expliquer,
35:43 comme si la littérature n'avait de justification qu'historique et sociale.
35:49 Le premier de ces livres non narratifs
35:52 est celui d'un auteur de la fin du XIXe siècle,
35:55 un auteur qui a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
35:59 C'est un auteur qui a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
36:02 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
36:05 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
36:08 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
36:11 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
36:14 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
36:17 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
36:20 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
36:23 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
36:26 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
36:29 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
36:32 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
36:35 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
36:38 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
36:41 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
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36:47 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
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37:02 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
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37:08 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
37:11 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
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37:32 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
37:35 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
37:38 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
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38:32 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
38:35 Il a été élu parmi les plus nombreux écrivains du monde.
38:38 L'angle droit veut me tuer. L'angle droit est un assassin.
38:43 L'angle droit est un couteau. L'angle droit, c'est l'enfer.
38:47 Elle l'a dit haut, fort et cash.
38:49 "Vous ne me détruirez pas. On a voulu me détruire, mais ça n'est pas possible. Je serai la plus forte."
38:53 Elle a cherché à inverser la misérable rébellion, ce sont ces mots de son père, en une vraie révolte.
38:59 J'aime la vie.
39:02 France Culture, l'esprit d'ouverture.