Le Déclic - Magazine de l'écologie

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Interview confession de personnalités politiques et médiatiques sur des sujets environnementaux

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Transcription
00:00 [Générique]
00:29 Bonjour ! Bonjour François !
00:31 François de Rugy, ancien ministre de la transition écologique et ancien président de l'Assemblée nationale,
00:36 est un homme très engagé qui entend désormais agir sur le terrain.
00:39 Conseiller régional des pays de la Loire et président d'honneur du Conseil d'orientation stratégique du mouvement Symbiote,
00:45 syndicat qui se consacre à la transition énergétique du bâtiment.
00:49 Il s'investit dans la vie citoyenne pour soutenir des projets entrepreneuriaux dédiés au développement durable.
00:54 Son expertise sur les sujets écologiques comme l'énergie ou l'eau font de lui une voix inspirante et incontournable
01:01 pour construire un avenir plus responsable.
01:03 Et si on parlait écologie autrement, bienvenue dans le Déclic !
01:06 Qu'est-ce que ça a été ton déclic concernant l'écologie ?
01:10 Moi je peux dire que mon premier souvenir, et ce qui m'a beaucoup marqué,
01:14 c'est une marée noire qui avait eu lieu, une petite marée noire, mais qui avait eu lieu sur la plage de mon enfance,
01:19 sur l'île d'Houessant, à la pointe de la Bretagne.
01:21 Et quand j'ai vu toutes ces personnes, notamment des militaires, ramasser le pétrole,
01:25 je crois que c'est ça qui a été mon premier déclic pour l'écologie.
01:28 Ça a été lié avec une vocation politique ?
01:31 À l'époque j'étais un petit enfant, donc il n'y avait pas du tout cette dimension politique.
01:39 Mais c'est vrai que mes parents étaient par ailleurs assez sensibilisés aux questions d'écologie,
01:43 donc c'est sans doute eux qui, progressivement, tout au long de l'éducation,
01:46 nous ont amené, les trois enfants, à être beaucoup plus conscients des enjeux écologiques,
01:50 et moi, à basculer vers la politique.
01:52 D'accord. Et est-ce que justement l'écologie est décorrélée de la politique ou pas du tout ?
01:58 Comment vous voyez les...
01:59 Les deux. Elle est à la fois dans la vie de tous les jours, et ça concerne tout le monde,
02:03 et ça, ça n'a pas forcément de dimension politique.
02:06 Et aussi, c'est évident, si on veut relever le défi du climat, le défi de la biodiversité,
02:11 aujourd'hui la question de l'eau avec l'adaptation au réchauffement climatique,
02:14 on ne peut pas faire ça sans action politique.
02:16 On est bien d'accord. Pour se connaître un peu plus, moi j'aimerais bien qu'on fasse un petit quiz.
02:22 Quand vous étiez enfant, première question très simple, qu'est-ce que vous rêviez de devenir ?
02:28 Je rêvais d'être capitaine de bateau.
02:30 Peut-être que j'en rêve encore un peu aujourd'hui, mais c'est trop tard,
02:33 mais quand j'étais enfant, c'était vraiment ça mon ambition.
02:36 Est-ce que vous vous souvenez de votre premier geste lié à l'écologie ?
02:40 Je pense que c'était le geste de tri des déchets.
02:44 D'ailleurs, tous ceux qui me connaissent ou qui ont vécu avec moi ou qui vivent avec moi
02:47 savent que c'est un peu obsessionnel. Chez moi, je veux toujours trier les déchets.
02:51 Est-ce qu'il y a un péché en écologie ?
02:53 Oui, je pourrais reconnaître, j'ai toujours fait du bateau à moteur plutôt que du bateau à voile.
03:00 J'ai quand même évité les très gros bateaux à très gros moteurs,
03:03 mais c'est vrai que je préfère le bateau à moteur au bateau à voile.
03:06 Est-ce qu'il y a un sentiment d'inachevé ?
03:09 Oui, le fait d'avoir été ministre de l'écologie seulement un an.
03:14 Je sais que j'aurais pu faire beaucoup plus de choses
03:17 si j'avais pu rester à ce poste, à cette responsabilité plus longtemps.
03:22 Est-ce que vous seriez le père d'une avancée sociale, d'une grande invention ?
03:29 D'une grande invention, non, mais en revanche, en tant que responsable politique,
03:35 j'ai été à l'origine de loi, et quand j'étais ministre,
03:38 j'ai été responsable de deux lois, une sur l'énergie et le climat,
03:41 et une autre justement sur le traitement et le recyclage des déchets.
03:46 François, première petite surprise, c'est ça.
03:50 Donc on est en 1991, avec un premier engagement, un premier déclic.
03:57 Le logo n'était pas le même à l'époque.
03:59 Juste après mon bac, alors que j'avais déjà été engagé dans une association
04:03 de défense de l'environnement à Nantes,
04:05 je décide de m'engager pour la première fois dans un mouvement politique,
04:08 Génération écologique, qui avait été créé par Brice Lalonde,
04:11 qui était à l'époque ministre de l'écologie de François Mitterrand,
04:14 de Michel Rocard, et je trouvais sa démarche intéressante
04:17 justement parce que c'était un engagement aux responsabilités,
04:20 d'essayer de changer les choses en prenant, partout où on peut,
04:24 ses responsabilités, ce que Brice Lalonde avait fait au niveau national,
04:27 ce que d'autres faisaient au niveau local.
04:29 Et ça vient d'où ? C'est une rencontre ? C'est à l'université ?
04:33 Oui, alors c'était plus par le biais de l'adjoint au maire de Nantes
04:36 en charge de l'environnement de l'époque,
04:38 qui participait à ce mouvement, que je connaissais un peu,
04:41 que j'avais croisé par l'action associative,
04:45 et cette démarche écologiste pragmatique.
04:48 Le slogan de Génération écologie à l'époque, c'était "Agir, pas gémir".
04:52 Et je trouve que c'est toujours un bon slogan.
04:55 C'est toujours un bon slogan.
04:56 Et en remontant le temps, est-ce qu'aujourd'hui,
04:58 on pourrait dire qu'il y a plusieurs écologies, ou pas du tout ?
05:01 Oui, je pense qu'il y a plusieurs façons de parler de l'écologie,
05:06 plusieurs façons d'en faire.
05:08 Mais plutôt une écologie radicale, une autre progressiste.
05:11 Disons qu'il y a des visions très catastrophistes.
05:14 On a l'impression qu'on va tous mourir demain,
05:16 que la planète va exploser.
05:18 Il y a des visions qui sont très radicales, en effet,
05:21 qui disent qu'il faut tout changer tout de suite, sinon ça ne sert à rien.
05:24 Je pense d'ailleurs que souvent, ceux qui disent ça,
05:26 sont les meilleurs alliés de ceux qui ne veulent rien faire,
05:28 car il y en a aussi.
05:29 Et donc, moi, j'ai toujours souhaité
05:32 qu'on essaye de faire avancer les choses de façon pragmatique,
05:35 c'est-à-dire en partant des réalités, et progressivement,
05:37 et de le faire tout de suite.
05:38 Est-ce qu'on pourrait dire qu'il y a aujourd'hui une écologie plus à gauche,
05:42 et peut-être une écologie plus à droite ?
05:44 Oui, il y a, là aussi, des sensibilités.
05:48 Alors, le parti Europe Écologie Les Verts
05:51 a l'ambition, la prétention de rassembler tout le monde,
05:53 mais en réalité, eux, ils sont sur une ligne qui est quand même très à gauche,
05:57 très radicale, alors que d'autres peuvent être plus centristes,
06:00 et peut-être d'autres, en effet, se reconnaissent dans des visions plus à droite,
06:03 ou même, tout simplement, ne pas forcément vouloir avoir
06:06 une catégorie gauche-droite, centre-extrême-gauche-extrême-droite,
06:10 et en se disant, on peut faire de l'écologie de façon pragmatique.
06:14 Pour que ce soit peut-être le plus large possible,
06:17 et le plus accepté par les Français,
06:19 est-ce qu'il ne faudrait pas que ce soit un peu plus modéré, peut-être ?
06:22 Je pense qu'en effet, ceux qui sont trop radicaux
06:25 dans leur approche finissent par décourager
06:28 les Françaises et les Français, les citoyens,
06:31 de s'engager pour l'écologie, soit en votant pour des partis écologistes
06:35 qui ne font pas beaucoup de voix à cause de ces discours radicaux,
06:39 soit aussi, tout simplement, s'engager dans leur entreprise,
06:42 dans leur collectivité locale, pour faire avancer les choses.
06:45 J'ai une autre petite surprise, François.
06:48 Qu'est-ce que ça peut bien être ? Ah, je reconnais, bien sûr !
06:52 Le château des Ducs de Bretagne.
06:54 Exactement. Et donc, ça m'amène tout simplement
06:57 à vous poser la question,
07:00 qu'est-ce que Nantes évoque aujourd'hui pour vous ?
07:03 Nantes, c'est ma ville de cœur, c'est là où je suis né.
07:07 Bon, ça, je ne l'ai pas choisi, mais ensuite,
07:10 chaque fois dans ma vie que j'ai eu l'occasion de partir,
07:13 notamment pour mes études à Paris, ou quand j'étais député,
07:16 j'allais évidemment à Paris toutes les semaines,
07:18 j'avais toujours envie de revenir à Nantes.
07:20 Pour moi, Nantes, c'est du coup ma ville de cœur,
07:23 celle que je préfère en France, où je me sens bien
07:26 et où j'ai toujours eu mes attaches,
07:28 où mes enfants, d'ailleurs, vivent toujours.
07:30 C'est mes racines et c'est aussi une ville de qualité de vie,
07:34 qui parfois se dégrade un peu, malheureusement,
07:37 mais objectivement, les villes de l'Ouest,
07:40 la douceur de vivre, le climat tempéré de la Bretagne
07:44 est quelque chose que j'ai toujours trouvé très agréable.
07:47 - Nantes, qui est une capitale de région,
07:50 si je ne dis pas de bêtises,
07:52 quels leviers, aujourd'hui, les régions disposent
07:55 pour agir sur l'écologie et pour justement préserver le climat ?
07:59 - Les régions, comme les autres collectivités locales,
08:02 ont pas mal de leviers, mais la région a une vision
08:04 un petit peu plus large des choses qu'une mairie ou un département.
08:07 Alors, elle a des compétences qui sont très importantes
08:09 pour l'écologie, comme les transports.
08:11 C'est les régions qui s'occupent des transports en commun,
08:13 les TER, les trains express régionaux, c'est bien connu,
08:16 mais c'est aussi les régions qui s'occupent des lycées.
08:19 Les lycées, c'est bien sûr l'éducation,
08:21 mais c'est aussi des bâtiments qu'il faut rénover,
08:23 qu'il faut construire sur des normes écologiques.
08:26 Puis c'est surtout une politique d'aide aux entreprises,
08:28 c'est une compétence des régions, le soutien au développement économique.
08:31 Et aujourd'hui, l'écologie peut être un levier
08:34 de développement économique sur tous nos territoires.
08:36 - Quand on est aussi secrétaire régional,
08:38 comment on peut arriver à justement avoir
08:41 une stratégie de bâtiment bas carbone ?
08:43 - Le logement, les bâtiments en général,
08:45 c'est un des leviers principaux,
08:47 si ce n'est le levier principal d'une action pour le climat.
08:50 Puisque aujourd'hui, dans un pays comme la France,
08:52 les émissions de gaz à effet de serre,
08:54 elles viennent à plus d'un tiers des logements,
08:57 des bâtiments, de bureaux, de travail.
08:59 Donc c'est vraiment le sujet numéro un.
09:01 Alors, il y a des normes nationales,
09:03 la réglementation énergétique 2020 est vraiment un bon en avant,
09:08 mais il y a aussi en effet des initiatives locales.
09:10 Dans ma région, par exemple, il y a une entreprise
09:13 qui a mis au point un nouveau béton,
09:16 un nouveau ciment qui est réellement bas carbone.
09:19 Mais il y a aussi toute la filière bois et forêt.
09:22 Là aussi, dans chaque région,
09:23 il y a des territoires forestiers dans lesquels
09:25 on peut mieux valoriser la ressource en bois
09:27 que l'on peut mettre dans la construction.
09:29 - Est-ce qu'il y a une pertinence à végétaliser,
09:32 à votre sens, tous ces logements,
09:34 de façon à arriver peut-être à avoir une empreinte négative ?
09:37 - Alors, quand je me suis engagé il y a plus de 30 ans maintenant,
09:41 on en parlait déjà des bâtiments passifs ou à énergie positive
09:45 ou à consommation négative, ça revient au même.
09:47 Bon, c'est vrai que parfois, quand on se dit que 30 ans après,
09:50 on est encore en train de dire
09:52 "Ah, il faudrait expérimenter, il faudrait travailler",
09:54 bon, objectivement, il y a quand même eu des progrès de fait,
09:56 beaucoup de progrès dans les normes de construction.
09:58 Les logements d'aujourd'hui consomment beaucoup moins d'énergie
10:01 que ceux qui ont été construits il y a 30 ans,
10:03 et à fortiori ceux qui ont été construits il y a 50 ans.
10:05 Mais il y a encore des progrès à faire,
10:07 et moi, je trouve que c'est stimulant.
10:08 C'est des progrès pour l'écologie,
10:10 pour la qualité de vie sur la planète,
10:14 mais c'est aussi des progrès pour la qualité de vie
10:16 des gens qui habitent dans ces logements.
10:18 C'est quand même ça le plus important.
10:19 C'est ce qu'on appelle le biomimétisme,
10:20 c'est-à-dire finalement, on observe dans le vivant
10:23 des choses qu'on peut ensuite utiliser,
10:25 que nous, les êtres humains, on comprend parfaitement,
10:28 et que l'on peut utiliser dans les techniques de construction,
10:31 sur l'isolation par exemple.
10:33 Je ne sais pas si les gens savent par exemple
10:34 que c'est grâce aux techniques développées par les araignées,
10:37 les toiles d'araignées, qu'on a beaucoup amélioré
10:39 la construction d'un certain nombre d'ouvrages
10:41 qui sont du coup beaucoup plus fins
10:43 et donc beaucoup plus économes en matière première.
10:46 Et l'eau, François ?
10:47 L'eau, sujet éminemment politique.
10:49 Je ne sais pas si les gens savent que en 1974,
10:53 René Dumont, qui a été le premier candidat
10:55 à l'élection présidentielle pour les écologistes,
10:57 disait, il avait soulevé son verre d'eau,
10:58 et il avait dit "ceci est un sujet politique".
11:00 Il y a eu un projet aussi,
11:01 qui est remonté jusqu'à certains conseillers de l'Élysée,
11:04 qui était d'échanger de l'eau douce contre des hydrocarbures.
11:08 Est-ce que vous pensez qu'aujourd'hui,
11:09 on en a les moyens ?
11:10 Et est-ce que ce projet n'est pas un petit peu fou ?
11:12 Alors, c'est vrai que l'idée d'avoir
11:14 presque des échanges internationaux,
11:16 comme il y a en effet des échanges autour de l'énergie,
11:18 qu'il y en ait demain autour de l'eau,
11:20 en fait il y en a déjà aujourd'hui dans certains pays
11:22 qui ont des déficits en eau
11:23 et qui peuvent se ravitailler chez les voisins.
11:26 On a donc suffisamment assez d'eau douce aujourd'hui
11:29 pour se permettre de réfléchir à des coopérations ?
11:32 Aujourd'hui, non, on n'en a pas toujours assez.
11:34 Et dans un pays comme la France,
11:36 sans être catastrophiste,
11:37 on va avoir des pénuries d'eau potable,
11:40 potentielles, si on ne fait rien,
11:42 dans un certain nombre de régions
11:43 comme le Grand Sud-Ouest par exemple.
11:44 Et donc on a à réinventer les usages de l'eau
11:48 et aussi du stockage de l'eau, de la gestion de l'eau,
11:50 le recyclage de l'eau,
11:51 ce qu'on ne fait pas du tout en France aujourd'hui.
11:53 En tant que ministre, François,
11:55 vous auriez-vous accepté une telle proposition,
11:58 à savoir d'envoyer de l'eau douce dans des pays,
12:01 un échange d'hydrocarbures par exemple ?
12:03 Je pense que quand on est ministre,
12:05 quand on est responsable politique,
12:07 la première responsabilité,
12:08 c'est d'assurer la sécurité d'approvisionnement
12:11 des habitants de son pays.
12:12 Donc la sécurité d'approvisionnement en eau,
12:14 ce qui est déjà un gros défi.
12:16 Région par région,
12:17 c'est différent selon les régions bien sûr,
12:19 et aussi la sécurité d'approvisionnement en énergie
12:21 et par ailleurs les hydrocarbures,
12:23 le but c'est quand même d'en sortir.
12:25 Donc si on doit faire des échanges demain,
12:27 je pense qu'il faudrait anticiper plutôt
12:29 des échanges autour de l'électricité
12:31 ou de l'hydrogène par exemple.
12:32 Donc la réponse est plutôt non.
12:34 Je pense qu'aujourd'hui,
12:36 transporter de l'eau dans des bateaux par exemple,
12:38 sur des très longues distances,
12:39 ce n'est pas très rationnel.
12:40 Vous parliez d'évolution de comportement,
12:42 est-ce que par exemple,
12:43 on ne peut pas se dire qu'avoir de l'eau douce
12:45 et de l'eau potable,
12:46 notamment dans les toilettes,
12:47 c'est quelque chose qu'il faut remédier ?
12:49 Voilà, ça c'est des choses
12:51 qui sont entre guillemets assez simples à faire.
12:53 Évidemment, il faut quand même prévoir
12:55 deux circuits d'eau dans son logement,
12:58 mais dans des immeubles,
12:59 dans des maisons, c'est faisable,
13:00 en réutilisant l'eau de pluie.
13:02 Parfois, on dit aussi l'eau qui sort de l'évier
13:06 ou qui sort de la douche,
13:08 on pourrait l'utiliser pour arroser par exemple,
13:10 ou pour nettoyer les rues.
13:11 Pas forcément évidemment,
13:12 pour ensuite être mise dans les circuits d'eau potable.
13:17 Mais il y a des solutions assez simples
13:19 de réutilisation de l'eau.
13:20 Réutilisation, recyclage de l'eau.
13:22 Aujourd'hui, c'est des choses
13:23 que l'on ne fait quasiment pas en France,
13:25 parce qu'on a été habitué
13:26 à l'accès assez facile et peu cher à l'eau potable.
13:29 Alors, ça me fait une transition parfaite.
13:32 Hop là !
13:33 Ah !
13:34 A priori, c'est une cravate.
13:37 Ça, c'est une cravate.
13:38 Le ciel.
13:39 On parlait d'eau, de sécheresse, de canicule.
13:43 Vous étiez président de l'Assemblée nationale.
13:47 Qu'est-ce que cette cravate vous remémore ?
13:51 Alors en fait, dès 2008,
13:53 où il y avait déjà eu une année très chaude
13:55 et qui était la deuxième année
13:57 de mon premier mandat de député,
13:59 j'avais demandé si on pourrait être dispensé
14:02 de porter la cravate quand on est un homme,
14:05 car les femmes en ont toujours été dispensées.
14:07 A l'Assemblée nationale, jusqu'en 2017,
14:10 pour un homme, il était obligatoire
14:12 d'avoir un costume-cravate
14:13 pour rentrer dans l'hémicycle de l'Assemblée.
14:15 Et j'avais vu qu'au Japon,
14:17 il y avait une directive qui avait été donnée
14:19 du plus haut niveau du gouvernement,
14:20 du Premier ministre jusqu'à toute l'administration,
14:22 tous les agents publics,
14:23 y compris les politiques,
14:25 d'enlever la cravate lors des périodes de forte chaleur
14:28 pour moins utiliser la clim
14:30 et donc moins consommer d'énergie.
14:32 Et donc en effet, j'ai ensuite été dans ce sens
14:36 quand j'étais président de l'Assemblée nationale,
14:37 avec l'accord du Bureau de l'Assemblée nationale.
14:40 Est-ce qu'on peut dire aujourd'hui
14:41 que le gouvernement s'est inspiré de vous,
14:43 sur le col roulé notamment ?
14:44 Indirectement, oui,
14:45 parce que quand j'étais ministre,
14:46 ensuite en 2019,
14:48 il y a eu aussi des très fortes chaleurs.
14:50 On l'a oublié, mais il a fallu annuler
14:52 les épreuves du brevet des collèges par exemple.
14:54 Donc j'avais dit, moi au reste du gouvernement,
14:56 j'ai dit écoutez, on peut montrer l'exemple de façon simple.
14:58 On enlève la cravate,
15:00 on met un peu moins de clim
15:02 que si on reste engoncé dans sa veste et sa cravate.
15:05 À l'époque, j'étais le seul,
15:06 je n'avais pas été suivi.
15:07 J'ai vu qu'ensuite, avec plutôt le froid
15:10 et les pénuries d'énergie,
15:12 on a dit, bah oui, en effet,
15:13 si on met le col roulé,
15:14 c'est un moyen simple de chauffer un peu moins.
15:16 Alors pour rester sur la cravate, François ?
15:20 Oh là !
15:21 Alors là, il va falloir me donner des explications.
15:24 Est-ce que si demain je suis député,
15:26 je peux venir à l'Assemblée nationale
15:28 avec une cravate comme ça ?
15:30 Oui, mais c'était déjà le cas avant.
15:32 Parce que comme avant,
15:33 ce qui était obligatoire, c'était la cravate,
15:34 on ne disait pas quelle forme
15:36 ou quelle couleur elle devait avoir en thé.
15:39 OK, oui.
15:40 Il y a aujourd'hui une liberté vestimentaire.
15:42 Il est quand même marqué
15:43 qu'il faut avoir une tenue correcte.
15:45 Voilà, il ne s'agit pas de venir en maillot de bain.
15:47 Il y a déjà 29 communes, François,
15:49 qui sont en restriction d'eau sur le mois d'avril.
15:52 Qu'est-ce qu'on peut faire concrètement ?
15:54 Il y a deux dimensions.
15:55 Il y a l'urgence dans des communes,
15:57 et il va y en avoir beaucoup plus que 29.
15:59 Dès qu'on va avancer dans la saison vers l'été,
16:01 il va y avoir en France des milliers de communes
16:04 dans lesquelles il y aura des mesures de restriction d'eau.
16:06 J'espère que ça n'ira pas jusqu'à des coupures d'eau.
16:09 L'urgence, ça sera de gérer l'eau
16:11 en disant qu'il y a des périodes
16:12 où il faut consommer beaucoup moins.
16:14 On ne lave évidemment pas sa voiture,
16:15 on n'arrose pas le jardin,
16:16 on ne remplit pas une piscine,
16:17 et on doit la laisser remplie toute l'année
16:19 si on en a une, et ainsi de suite.
16:21 Et puis il y aura aussi,
16:22 et surtout des mesures de long terme,
16:24 et là qu'il faut prendre dès maintenant,
16:26 mais qui vont s'étaler sur 5 ou 10 ans.
16:28 Pour moi, c'est un des grands chantiers prioritaires de l'écologie.
16:30 Des méga-bassines,
16:31 est-ce que c'est pour vous un sujet de long terme ?
16:34 Malheureusement, en France,
16:35 on adore s'affronter,
16:37 y compris au sens physique du terme, malheureusement,
16:40 autour de symboles.
16:41 Donc, en effet, les méga-bassines,
16:43 c'est devenu le symbole.
16:44 Personne n'en parlait,
16:45 il y a encore 3-4 ans,
16:47 moi quand j'étais ministre,
16:48 j'ai été aller dans les 2 CFs d'ailleurs,
16:50 et on avait signé un accord avec les agriculteurs,
16:52 avec les élus locaux,
16:53 pour gérer l'eau ensemble.
16:54 C'est ça qu'il faut retenir,
16:55 c'est qu'il faut gérer l'eau ensemble.
16:57 Il faut se la répartir,
16:58 parce que si chacun fait ce qu'il veut,
16:59 évidemment, on va aller droit à la pénurie.
17:01 Et puis il faut du stockage.
17:03 Donc les bassines en font partie,
17:05 c'est une des techniques de stockage,
17:07 mais il y a plein d'autres techniques,
17:08 le stockage souterrain,
17:09 le stockage dans des petits barrages, etc.
17:11 Et ça, il faudra en faire,
17:13 sinon on aura évidemment des pénuries.
17:15 - Quand on parle de gérer l'eau ensemble,
17:20 on peut avoir la même politique aujourd'hui
17:22 pour des zones rurales
17:23 que ce qu'on peut avoir
17:24 dans des grandes villes françaises ?
17:25 - C'est surtout qu'il faut une solidarité,
17:27 parce que l'eau,
17:28 elle est plutôt en général à la campagne.
17:31 Les grosses consommations pour les particuliers,
17:33 mais aussi parfois des entreprises industrielles,
17:35 elle est plutôt en ville.
17:36 C'est un peu comme l'énergie d'ailleurs,
17:38 c'est un peu comme l'alimentation.
17:39 Si on croit qu'on va y arriver chacun dans son coin,
17:41 ça ne marchera pas.
17:42 Il faut absolument avoir,
17:44 un, une vision d'ensemble,
17:45 et ça, c'est quand même l'État qui doit le porter,
17:47 qui doit le garantir,
17:48 parce que c'est un enjeu tellement vital,
17:50 on ne peut pas laisser chacun
17:51 faire sa petite cuisine dans son coin.
17:53 Et en revanche,
17:54 ensuite, les moyens seront évidemment différents
17:56 selon qu'on est en zone de montagne,
17:57 en zone côtière,
17:58 qu'on est au bord de la Méditerranée,
17:59 ou qu'au contraire,
18:00 on est dans le nord de la France.
18:01 - Est-ce que, François, dans le fond,
18:04 une des solutions,
18:05 ce n'est pas la décroissance, peut-être ?
18:08 - C'est ce que pensent un certain nombre
18:10 de militants écologistes,
18:11 un peu radicaux.
18:13 Je ne le crois pas.
18:14 La décroissance, ça veut dire, en fait,
18:17 que la production baisse.
18:19 Alors, c'est vrai que ça ferait
18:20 moins d'impact sur l'environnement,
18:22 si la production baissait,
18:23 mais ça veut dire aussi
18:24 qu'on aurait moins de ressources
18:25 pour financer les transformations
18:27 dont on a besoin.
18:28 Moi, je crois beaucoup plus
18:29 au fait qu'il faut trois choses
18:30 pour avancer dans l'écologie.
18:32 De la recherche scientifique,
18:34 qui permet de trouver des solutions,
18:36 qui donne lieu à des innovations technologiques,
18:39 et du développement économique.
18:40 Et c'est quand on a les trois,
18:41 la recherche scientifique,
18:42 l'innovation technologique
18:43 et le développement économique,
18:45 qu'on arrive à vraiment changer
18:47 les choses pour l'écologie.
18:48 - Nicolas Hulot a dit que tout se jouait
18:51 dans les 10 ans à venir.
18:53 C'est quelque chose qu'il a dit en 2018.
18:56 - J'allais dire, en quelle année
18:57 l'a-t-il dit, car souvent,
18:58 ça a été dit il y a plus de 10 ans.
19:00 - En 2018, donc il nous reste 5 ans.
19:02 Est-ce qu'il nous reste vraiment
19:03 5 ans, François ?
19:05 - Moi, je ne crois pas à ces discours
19:07 un peu catastrophistes.
19:08 Qu'on veuille frapper les esprits
19:10 pour dire qu'il faut agir.
19:11 Oui, mais ce qu'il faut surtout,
19:12 c'est agir.
19:13 Et donc, si on passe son temps
19:14 uniquement à annoncer la fin du monde,
19:17 je crois qu'en fait,
19:18 on finit par s'habituer à ces discours
19:20 et à dire, elle ne se produit pas,
19:22 cette fin du monde,
19:23 heureusement d'ailleurs.
19:24 Et donc, on pourrait finalement
19:26 ne rien changer.
19:27 Je crois beaucoup plus au fait
19:29 d'agir ici et maintenant,
19:31 mais alors en effet, de façon continue,
19:33 de façon déterminée, volontariste.
19:35 Car si on ne le fait pas,
19:37 ce n'est pas qu'on va tous mourir,
19:38 c'est que nos conditions de vie sur Terre
19:40 vont se dégrader.
19:41 Et on le sent déjà aujourd'hui.
19:42 - Un autre petit clin d'œil,
19:44 qui est vraiment pour moi,
19:45 un élément clé de votre carrière,
19:49 c'est cette photo.
19:51 - C'est une photo qui, en effet,
19:54 pour moi en tout cas,
19:55 est chargée d'un peu d'émotion,
19:56 puisque c'était pour la réunion du Congrès,
20:00 le Parlement réuni en Congrès à Versailles.
20:02 Et donc, le président de l'Assemblée nationale
20:04 que j'étais à l'époque,
20:05 préside la séance.
20:07 - À ce moment-là, à quoi on pense ?
20:08 - Eh bien, on se dit qu'il faut être à la hauteur
20:10 de la fonction.
20:11 C'est une fonction qui, évidemment, nous dépasse,
20:13 qu'on n'exerce qu'un temps.
20:14 Une séance de l'Assemblée nationale,
20:16 même peut-être du Parlement réuni en Congrès,
20:18 mais surtout à l'Assemblée nationale,
20:20 ça peut déraper à tout moment.
20:21 Et malheureusement, on le voit encore plus aujourd'hui.
20:24 - Alors justement, j'ai quelque chose aussi
20:26 dans cette petite boîte
20:28 qui va vous rappeler, je pense,
20:30 une grande partie de la fonction.
20:33 Ah, c'est unique.
20:35 - Ah oui, oui, c'est vrai.
20:37 - C'est votre dossier cuir.
20:39 - Tout à fait.
20:40 - De président de l'Assemblée nationale.
20:42 - Oui, oui, oui.
20:43 C'est en effet la tradition d'avoir
20:46 ce type de pochette, si on peut dire,
20:49 avec marqué "Dossier du président".
20:52 - Et est-ce que vous vous souvenez du premier dossier
20:54 qu'il y a eu à l'intérieur de ce dossier ?
20:57 - Alors, ce que je sais, en tout cas,
20:59 et je pense que c'était à la fois
21:01 le premier dossier et la première séance
21:03 que j'ai présidée, en fait,
21:05 quand on est élu président de l'Assemblée nationale,
21:07 on fait un petit discours, c'est la séance inaugurale,
21:09 mais on rentre vraiment en fonction.
21:11 La première séance, dite d'installation,
21:13 on doit mettre au vote
21:15 l'élection des vice-présidents, etc.
21:17 On était rentrés dans la séance en se disant
21:19 "ça va être fait en cinq minutes"
21:20 parce qu'il y avait un accord entre les groupes.
21:22 Et puis, quand je rentre dans l'hémicycle,
21:24 on me dit "maintenant, en fait,
21:25 il n'y a plus d'accord entre les groupes
21:27 et il va falloir passer au vote, etc."
21:29 Et en fait, on est rentrés à 15h,
21:31 on est sortis à minuit,
21:33 alors que c'était prévu pour durer quelques minutes.
21:35 Donc, je me souviens bien de cette première séance.
21:37 - Qu'est-ce qui vous gêne, François, aujourd'hui
21:39 dans l'Assemblée nationale et dans l'hémicycle ?
21:41 Est-ce qu'il y a trop de broies ?
21:43 - C'est surtout le fait qu'on a l'impression
21:45 que pour un certain nombre de députés,
21:47 extrémistes, populistes,
21:49 l'Assemblée n'est pas là pour voter des lois,
21:51 elle n'est pas là pour décider,
21:53 elle est là pour organiser des débats
21:55 les plus violents possibles,
21:57 les plus durs,
21:59 avec des insultes,
22:01 avec des menaces,
22:03 avec aussi des vidéos virales
22:05 comme si c'était un plateau de télévision,
22:07 comme si c'était une émission de télé-réalité,
22:09 alors que l'Assemblée nationale,
22:11 ça devrait vraiment être le cœur
22:13 de la démocratie parlementaire française,
22:15 c'est-à-dire que l'endroit où on débat
22:17 et où on vote.
22:19 Or, il y a des gens, ils voudraient que ce soit le débat permanent,
22:21 mais qu'il n'y ait jamais de vote et qu'il n'y ait jamais de décision.
22:23 Or, l'Assemblée est un lieu de décision.
22:25 - Deux petites questions.
22:27 La première, elle est plus personnelle.
22:29 Est-ce que vous êtes heureux aujourd'hui ?
22:31 - Moi, je suis heureux
22:33 de ce que je fais aujourd'hui,
22:35 je me suis un petit peu éloigné
22:37 des responsabilités politiques nationales.
22:39 C'est un choix de travailler
22:41 plutôt avec des entreprises privées
22:43 dans le monde économique, toujours sur les enjeux écologiques,
22:45 car je crois que c'est ce que je sais
22:47 le mieux faire, et c'est quelque chose
22:49 qui me plaît beaucoup, c'est une autre façon de faire.
22:51 Mais moi, je ne suis pas non plus de ceux
22:53 qui, après avoir fait de la politique pendant des années,
22:55 crachent sur la politique. Je trouve ça d'ailleurs
22:57 assez dommage.
22:59 J'ai aussi beaucoup aimé
23:01 les années de responsabilité
23:03 politique. - La politique,
23:05 François, est-ce que c'est réellement terminé ?
23:07 - Alors, c'est pas totalement terminé
23:09 parce que j'ai un mandat local
23:11 de conseiller régional dans ma région.
23:13 - Mais pour vous, plus d'ambition
23:15 nationale ?
23:17 - À ce stade, et pour l'instant, non, parce que
23:19 je crois qu'il faut, quand on s'engage,
23:21 je me suis toujours engagé à fond. Je me suis engagé à fond
23:23 dans la politique pendant 25 ans. J'ai fait ça
23:25 matin, midi et soir, 7 jours sur 7, quasiment,
23:27 vraiment parce que pour moi, c'était
23:29 quelque chose qu'on ne faisait pas à moitié. J'avais pas
23:31 un autre job à côté,
23:33 ou j'avais pas une entreprise, ou que sais-je encore.
23:35 Et maintenant, je suis
23:37 engagé dans la vie économique,
23:39 toujours sur l'écologie, mais du point
23:41 de vue des entreprises privées, j'ai aussi
23:43 envie de le faire assez à fond.
23:45 Après, l'avenir peut toujours nous réserver,
23:47 évidemment, des rebondissements,
23:49 des surprises. Après tout,
23:51 à 49 ans, on peut encore imaginer
23:53 beaucoup de choses. - Merci beaucoup,
23:55 François de Rugy, d'être venu.
23:57 - Merci pour l'invitation.
23:59 (Générique)
24:01 ---

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