Avec Anne-Cécile Mailfert, fondatrice de la Fondation des femmes, ancienne Porte-parole d’Osez le féminisme.
Retrouvez "En toute subjectivité" sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/en-toute-subjectivite
Retrouvez "En toute subjectivité" sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/en-toute-subjectivite
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 7h21 en toute subjectivité ce vendredi avec la présidente de la Fondation des femmes,
00:05 Anne-Cécile Maïfer, bonjour.
00:07 Bonjour Nicolas.
00:08 Ce matin vous adressez une lettre à la mère de Naël.
00:11 « Cher Mounia, je vous ai vu hier lors de la marche à Nanterre, perché en haut d'un
00:15 camion de blancs vêtus, le point levé, le visage fier.
00:17 Je vous ai vu le menton déterminé, devant une foule digne et populaire, sconder « justice
00:22 pour Naël ». La scène pourrait surprendre et d'aucuns pourraient se demander « comment
00:26 est-ce possible qu'une mère qui vient de perdre son fils ne soit pas recroquevillée
00:29 ? ». Vous le sentez déjà, votre deuil ne vous appartient plus.
00:32 Vous l'avez décidé.
00:33 Il sera public, collectif, politique.
00:35 Vous ne vous en cachez pas, vous ne comprenez pas tout ce qui vous arrive, mais vous avez
00:39 décidé de relever la tête.
00:40 Et plus rien ne vous retient.
00:41 Vous êtes née ici, vous travaillez ici.
00:43 Vous êtes une mère isolée, d'un enfant racisé, d'un quartier défavorisé, mère
00:48 d'un enfant dont un policier d'une balle dans le cœur vient de vous déposséder.
00:51 Votre vie, il faut la vivre pour la comprendre.
00:53 À 44 ans, vous faites partie de cette génération de femmes précaires, oui, mais modernes,
00:57 fortes et décidées.
00:58 Depuis qu'il est né, c'est vous qui avez la charge de Naël et de votre foyer.
01:01 Et c'est pas simple de joindre les deux bouts et de payer votre loyer.
01:04 Vous avez mis entre parenthèses votre vie pour lui, pour lui dire bonjour le matin
01:08 et bonne nuit le soir et pour l'entendre vous répondre « je t'aime maman ». Vous
01:13 voulez le meilleur pour lui dans un territoire où les services publics sont défaillants
01:15 et l'offre éducative mauvaise.
01:17 C'est rien de dire qu'ici ce n'est pas un territoire propice à la réussite.
01:20 Vous avez su dès les premiers jours où il a pointé le bout de son nez que ça allait
01:23 être compliqué.
01:24 Mais quand la vie vous fait des croche-pieds, Naël vous a donné une raison de vous accrocher.
01:28 Vous êtes constamment tiraillé entre vouloir le voir s'épanouir et la peur qu'il se
01:32 fasse trop remarquer.
01:33 Ce qui lui est arrivé mardi matin, c'est ce que craignent toutes les mamans du quartier.
01:37 Vous comme les autres, vous vous êtes relevés parfois au milieu de la nuit pour aller les
01:40 chercher au milieu de la cité.
01:41 Vous les grondez fort quand ils font des bêtises.
01:44 Parce que vous savez que rien ne leur sera jamais pardonné.
01:47 Ailleurs on dit « il faut que jeunesse se fasse », pas quand on est né dans un quartier.
01:51 Ici les enfants n'ont pas le droit d'être des enfants.
01:54 Il leur faut filer droit et c'est aux mères que revient le sale boulot d'apprendre à
01:57 leurs enfants à baisser la tête.
01:59 C'est pas la même chose qu'apprendre la politesse, c'est tout à fait différent.
02:02 On leur demande aux mères d'enfants racisés de les garder au sein du foyer, de les contrôler,
02:07 de s'assurer qu'ils ne remettront jamais en cause ni le pouvoir ni sa police ni ses
02:10 injustices.
02:11 Les mères dans ces quartiers sont tiraillées parce qu'elles sentent bien que pour protéger
02:15 leurs enfants, pour passer entre les gouttes et les balles, elles doivent leur apprendre
02:19 à ne pas trop exister.
02:20 Vous l'avez perdu alors vous n'avez plus rien à perdre.
02:23 De votre peine, vous n'en êtes qu'au début.
02:25 Mais vous avez décidé que vous n'irez plus jamais dire à un jeune homme de baisser
02:28 la tête.
02:29 Vous ne jouerez plus le rôle de la mère qui tempère la colère.
02:31 Vous ne pouvez plus.
02:33 Vous ne voulez pas de la guerre, vous voulez la paix, Mounia.
02:35 Mais la tête haute, vous exigez la justice.
02:38 Car sans justice, comment espérer la paix ?