• l’année dernière
Alors qu'elle passe des examens importants, Cécilia apprend le jour de son anniversaire que son père s'est donné la mort. Ayant quitté la France pour l'île Maurice en espérant y développer un buisness, il ne laisse derrière lui qu'une lettre et des proches endeuillés. 8 ans après, Cécilia n'arrive pas à comprendre ce geste, incompatible selon elle avec l'amour que l'on peut porter à son enfant. Comment se débarrasser de la colère que l'on a en soi quand elle prend tant de place ? Elle est venue nous raconter son histoire dans l'espoir de se libérer de ce poids qu'elle porte depuis tant d'années.

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Personnes
Transcription
00:00 Aujourd'hui, je vais vous parler du fait que mon père s'est suicidé le jour de mon anniversaire.
00:04 J'avais une super relation avec mon père, surtout quand j'étais petite,
00:08 jusqu'à ce qu'on voyage avec mes parents à l'île Maurice.
00:12 Mon père a adoré vraiment ce pays et il était agent immobilier.
00:16 Il y a eu une opportunité de business, il a du coup commencé à même habiter là-bas.
00:23 Je faisais moins attention à lui et puis surtout, j'avais aucune envie d'aller habiter à l'île Maurice.
00:29 À partir de ce moment-là, mes relations avec mon père sont un peu dégradées,
00:32 dans le sens où il me reprochait de ne pas l'appeler.
00:35 Je le voyais de moins en moins souvent.
00:37 Quand j'allais là-bas, lui, il bossait tout le temps.
00:39 Je trouvais vraiment que ça ne servait à rien d'aller le voir,
00:42 parce qu'au final, je ne passais pas de temps avec lui.
00:44 Le 19 juin 2015, le lendemain de mon anniversaire,
00:48 c'était le jour de l'épreuve du bac de français.
00:51 Je sors de l'épreuve et je vois que j'ai des appels en absence de ma maman.
00:55 Je l'appelle et je lui dis "ouais, qu'est-ce qu'il y a ?"
00:57 Je sens dans sa voix qu'il y a un truc qui ne va pas du tout.
01:00 Donc ma mère vient me chercher et elle refuse de m'expliquer.
01:03 Elle me dit "non mais je ne te dis rien tant qu'on n'est pas à la maison".
01:06 Ma mère attend d'être à l'intérieur et là, elle me dit
01:10 "en s'effondrant dans mes bras, ton père est mort, il s'est suicidé".
01:14 Donc moi, là, sur le coup, je ne réalise absolument pas.
01:18 Moi, tout de suite, je lui demande "il s'est passé quoi ?"
01:20 et elle me dit "il s'est pendu".
01:21 C'est quand mon copain est arrivé.
01:24 Vraiment pas longtemps après, 10 minutes après, il sonne à la porte.
01:27 J'ai fondu en larmes totalement.
01:28 J'étais déboussolée, j'étais trop perdue.
01:30 Je ne comprenais rien de ce qui m'arrivait.
01:32 Ça m'émeut encore d'en parler.
01:35 Bien sûr, je l'aimais.
01:36 Il a tout fait pour moi, il m'a tout donné.
01:38 Malgré qu'il avait des défauts, bien sûr, comme tout le monde.
01:41 Mais pour moi, c'était le meilleur papa du monde.
01:44 En plus, il était beaucoup plus...
01:45 Il exprimait quand même beaucoup son amour pour moi.
01:48 On se faisait tout le temps des câlins,
01:50 il me disait tout le temps qu'il m'aimait.
01:52 Il y avait beaucoup d'amour, c'est sûr.
01:54 C'est quelque chose qui me manque, cet amour.
01:56 Et cette démonstration d'amour aussi.
01:59 Ce côté rassurant du fait qu'il était là pour moi,
02:04 et que dans ses bras, il ne pouvait rien pas arriver.
02:07 Personne n'aurait prédit ce qui s'est passé.
02:11 On savait qu'il avait des problèmes avec son projet à Lille-Maurice,
02:16 mais on ne pensait pas qu'il en arriverait à ce point-là.
02:19 Ce à quoi je pensais, c'était à toutes les choses qu'il n'allait pas voir,
02:23 qu'il n'allait pas assister dans ma vie.
02:24 J'ai instantanément pensé à quand j'aurai mon permis,
02:27 quand j'aurai mon diplôme, quand je me marierai,
02:30 quand j'aurai des gosses.
02:31 Tout ça, je me suis dit, tout ça, il ne le verra pas.
02:34 Et du coup, j'ai trouvé ça extrêmement dégueulasse.
02:37 C'est la haine qui a prédominé en premier, plus que la tristesse.
02:41 C'est vraiment la haine envers lui, envers sa décision.
02:43 La haine aussi qu'il n'en ait jamais parlé.
02:45 Comment il pouvait oser dire qu'il m'aimait autant
02:48 et de m'abandonner comme ça ?
02:49 C'est vraiment cet abandon que tout de suite, je me suis dit,
02:53 c'est la pire chose qu'on peut faire à sa fille.
02:55 Et ces émotions-là, forcément, elles s'apaisent avec le temps,
02:58 mais elles sont quand même toujours là.
03:00 Et surtout, le fait d'avoir choisi cette date-là,
03:03 c'était encore pire.
03:04 Et ça a été fait exprès.
03:05 Qui ferait ça à son enfant,
03:07 de se suicider le jour de son anniversaire ?
03:09 Deux jours après, on prend l'avion avec ma mère
03:12 pour aller le chercher.
03:13 Je n'arrivais pas à dormir.
03:15 Normalement, ma mère m'a donné des somnifères
03:18 parce que ce n'était pas possible.
03:21 Je ne mangeais pas. J'étais vraiment très, très triste.
03:24 Le jour où j'arrive,
03:26 que mon mi-frère vient nous chercher, etc.,
03:28 il me donne une lettre que mon père avait écrite.
03:31 Cette lettre disait que je comprendrais son geste.
03:35 En fait, on avait raison.
03:36 Vous aviez raison, toi et ta mère,
03:38 je n'aurais pas dû partir habiter là-bas.
03:41 Un jour, tu comprendras, la douleur passe avec le temps.
03:44 Il me dit que tu as été la plus belle chose
03:46 qui ne me soit jamais arrivée dans ma vie.
03:47 Je sais que ce n'est pas facile pour toi avec ton anniversaire
03:50 et tes examens,
03:53 mais ça va aller.
03:54 Je serai toujours près de toi d'une manière ou d'une autre.
03:59 Qu'il m'aime, et c'est à peu près tout.
04:00 En fait, il n'y avait pas vraiment d'explication
04:02 de pourquoi ce geste.
04:04 C'était vraiment une lettre d'amour.
04:06 C'est pour ça que je ne comprends pas
04:08 comment il pouvait autant m'aimer
04:10 et en même temps me faire la pire chose
04:12 que tu peux faire à quelqu'un.
04:14 Donc voilà, juste ça.
04:16 Et puis surtout, ce qui m'a vraiment énervée,
04:18 c'est le "tu comprendras"
04:19 ou "tu verras que la douleur passe".
04:22 Mais ce n'est pas vrai.
04:23 C'est vraiment un abandon
04:24 et ce n'est pas un abandon réparable.
04:28 C'est un truc hyper définitif.
04:31 Donc voilà, je lis cette lettre
04:33 et sur le coup, j'ai envie de la brûler.
04:36 Enfin, je me dis sur le coup,
04:37 mais pour qui il se prend pour dire des choses comme ça,
04:41 de "ça va passer",
04:43 d'essayer de me rassurer.
04:45 Moi, j'étais vraiment juste en mode
04:47 "mais juste, il ne fallait pas faire ça".
04:48 "Pourquoi tu as fait ça ?
04:51 Pourquoi tu as fait ça ?"
04:53 Il fallait en parler.
04:54 En fait, sur le coup,
04:54 je m'en ai tout de suite voulu aussi
04:56 de ne pas avoir fait l'effort
04:58 de dire que ça n'allait pas
04:59 parce qu'en fait, il y avait mille possibilités.
05:01 Pourquoi on arrivait là ?
05:03 Je veux dire, le projet, on s'en fout.
05:05 L'argent, on s'en fout.
05:06 En plus, ça m'a rendu encore plus folle
05:08 parce que je...
05:09 Effectivement, moi, je le voyais bosser
05:11 comme un malade.
05:13 Mon père, il n'a pas eu le bac.
05:14 Il a quand même bien réussi sa vie
05:17 parce que c'était quelqu'un qui en voulait,
05:19 qui avait l'aniaque,
05:21 qui avait la détermination
05:22 de faire plein de choses.
05:24 Mais par contre, il n'a pas eu la détermination
05:26 de rester en vie.
05:27 Donc, c'est fou.
05:28 C'est assez...
05:29 Ce n'est pas logique, en fait.
05:30 Se contenter des fois de pas grand-chose,
05:33 c'est mieux que de voir trop grand.
05:36 En fait, voilà, en voulant toucher le soleil,
05:38 il s'est brûlé les ailes
05:39 et je me refuse absolument
05:41 à ressembler à cet aspect-là de lui.
05:42 Et surtout, je voudrais me contenter
05:45 des choses que j'ai
05:47 et me rendre compte aussi
05:49 de la chance que j'ai d'avoir ces choses-là,
05:51 plutôt que de me concentrer sur le négatif
05:54 et d'en venir à un point
05:55 où, justement, tu te concentres tellement
05:58 sur tout ce qui ne va pas
05:59 que tu as complètement oublié
06:01 toutes les autres choses
06:02 qui étaient juste là auprès de toi.
06:05 Donc, on va au funérarium,
06:07 je crois, le lendemain.
06:08 En plus, voilà, j'ai un peu fait l'erreur
06:10 de vouloir aller le voir dans le cercueil.
06:12 C'est vraiment le pire truc à faire, en fait,
06:14 parce que c'est forcément une image
06:16 que tu garderas toute ta vie
06:17 et qui me hante beaucoup.
06:20 Mais en même temps,
06:21 comme la dernière fois que je lui avais parlé,
06:22 c'était à mon anniversaire.
06:25 Il m'avait appelé, il m'avait dit
06:27 "Joyeux anniversaire, ma fille, je t'aime."
06:31 Il me l'a répété deux, trois fois.
06:32 Et voilà, c'est la dernière fois
06:34 que je lui avais parlé.
06:34 Donc, du coup, j'avais vraiment...
06:35 Enfin, j'avais un peu ce besoin
06:36 du coup d'aller voir quand même.
06:38 En fait, pour me rendre compte aussi
06:39 que c'était vrai.
06:40 Donc voilà, je passe mes jours à pleurer.
06:42 Il se fait incinérer.
06:44 On ramène l'urne en France.
06:46 En fait, ce voyage, je l'ai un peu vu
06:47 comme justement la transition
06:49 entre le déni et la réalité.
06:51 Pareil, ça, c'était fou.
06:53 Vraiment, ma mère a se trimballé
06:54 avec l'urne dans le sac dans l'avion.
06:56 Tu te dis "Voilà, il y a ton père
06:57 dans une boîte, sur un meuble."
06:59 C'est...
06:59 Ça n'a aucun sens.
07:00 Aujourd'hui, ça fait huit ans
07:02 et effectivement, je le ressens
07:04 totalement dans mon comportement
07:06 de tous les jours.
07:07 Il y a eu en fait un énorme positif,
07:09 bizarrement, là-dedans,
07:10 et un énorme négatif.
07:12 Le positif, c'est que cette envie
07:14 de jamais baisser les bras,
07:16 de jamais rien lâcher,
07:17 et de toujours donner le meilleur
07:19 de moi-même et puis surtout
07:20 de croquer la vie à pleines dents,
07:22 quoi, littéralement,
07:23 parce que la vie vaut la peine
07:24 d'être vécue.
07:25 Des fois, je regarde, je sais pas,
07:26 un coucher de soleil
07:27 ou un truc comme ça et je me dis
07:29 "Franchement, c'est vraiment dommage
07:31 d'avoir fait le choix
07:32 d'arrêter ta vie."
07:33 Mais justement, le négatif,
07:34 c'est que le négatif,
07:35 je le ressens aussi très fort
07:37 maintenant et par exemple,
07:38 j'ai très peu confiance en moi.
07:40 Je pense une peur de l'abandon,
07:42 clairement.
07:42 Peur de la mort aussi,
07:44 de mes proches, du coup.
07:45 J'ai vraiment...
07:46 J'ai été traumatisée.
07:47 Des fois, je me fais des films.
07:49 En fait, ça m'a fait grandir
07:50 d'un coup de dix ans, quoi.
07:52 J'ai dû apprendre à relativiser,
07:54 d'avoir une maturité sur le sujet,
07:56 justement, le sujet du deuil
07:58 et de la mort de manière générale.
07:59 Je lui en veux énormément
08:01 d'avoir osé me dire
08:03 que ça allait aller,
08:04 alors que huit ans après,
08:07 ça va toujours pas, quoi.
08:08 Il y a des choses
08:09 que je pourrais apprécier,
08:10 mais il y a toujours ce petit truc
08:11 à côté qui dit "Ah bah tu vois, ça,
08:14 bah du coup, mon père
08:15 est pas là pour le voir, quoi.
08:16 Il est pas là pour être fier de moi
08:18 et il est pas là, quoi."
08:19 Il y a une partie de moi
08:19 qui a envie de le plaindre
08:20 et de me dire que voilà,
08:22 s'il a fait ça,
08:22 c'était pour une raison
08:23 et d'essayer de le comprendre.
08:26 Mais j'y arrive pas.
08:26 Des fois, je m'en veux aussi
08:27 d'avoir ces sentiments-là,
08:29 mais j'y arrive pas.
08:29 J'y arrive pas à le comprendre.
08:30 Alors depuis huit ans, du coup,
08:32 mes anniversaires,
08:33 c'est très compliqué.
08:34 Tous les ans, à la même date
08:35 où justement, je "ressombre",
08:37 entre guillemets,
08:38 j'ai vraiment un moment très triste.
08:41 Alors que oui, c'est censé être
08:42 une journée hyper festive, etc.
08:44 Donc je les célèbre, évidemment.
08:47 Mais il y a toujours ce truc,
08:48 soit le lendemain,
08:49 soit le surlendemain,
08:50 où en fait, je réalise
08:52 que ça fait une année de plus sans lui.
08:54 Je me fais cette rétrospective
08:56 de l'année, de ce que j'ai fait,
08:57 de tout ce qu'il a pas vu.
08:59 Ça me rend extrêmement triste, ouais.
09:00 Bah moi, je suis fière de moi, en fait.
09:02 Je suis fière de ce que j'ai fait
09:04 ces huit dernières années
09:05 et j'aurais vraiment aimé
09:06 qu'il soit là pour me dire
09:07 qu'il était fière de moi,
09:08 qu'il est fier de moi aussi.
09:09 En fait, c'est ça qui me rend triste,
09:10 c'est le fait qu'il soit pas là pour moi
09:12 et que...
09:13 Et surtout qu'il voit pas, en fait,
09:14 tout ce que je fais.
09:15 Donc là, on peut vraiment
09:16 parler de tristesse, ouais.
09:17 C'est trop bizarre
09:18 parce qu'on célèbre ma vie
09:19 et je célèbre, du coup,
09:20 sa mort en même temps.
09:21 Et tous les ans,
09:22 je me dis la même chose.
09:23 Tous les ans, je me dis
09:24 "Mais je guéris pas
09:26 mentalement et il faudrait vraiment
09:28 que j'aille voir un psy, quoi."
09:29 J'aurais aimé qu'on me laisse pas le choix
09:31 et qu'on m'accompagne aussi là-dedans
09:33 parce que j'ai eu des parents
09:34 qui pensaient que les psys,
09:36 en gros, tu vas voir un psy, t'es fou, quoi.
09:38 Après tout ça,
09:39 j'ai décidé d'en parler 8 ans après.
09:41 Si ça peut faire du bien
09:43 à quelqu'un d'autre
09:43 d'entendre mon histoire
09:44 et de se dire "Ah ouais, moi aussi,
09:46 j'ai vécu ça, je ressens les mêmes émotions."
09:48 En fait, c'est ça,
09:49 c'est vraiment cette entraîne
09:50 de comprendre et de processer
09:53 aussi les émotions qu'on a.
09:55 J'aimerais, en fait,
09:56 via cette interview,
09:57 que des personnes,
09:58 si elles en connaissent,
10:01 partagent des groupes de paroles
10:03 ou même, je n'en sais rien,
10:04 des psychologues spécialisés dans le suicide,
10:06 de parler aussi après le suicide.
10:09 Créer un groupe
10:10 où tout le monde pourrait
10:12 parler librement de ça
10:13 et surtout quand ça ne va pas,
10:14 d'avoir quelque part ou quelqu'un
10:16 où tu as envie d'exposer si tu as envie.
10:19 On n'est vraiment pas prêts en charge.
10:21 Donc si on peut se prendre en charge nous-mêmes,
10:23 c'est bien aussi.

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