L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 30 Août 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
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00:00 * Extrait de la vidéo *
00:06 C'est un empire immobilier en Chine.
00:09 Evergrande est un nom qui ne vous dit probablement rien et qui pourtant est dans la presse depuis
00:17 quelques semaines tout simplement parce que cet empire donne des signes d'effondrement.
00:23 Pourquoi cet empire nous concerne-t-il ? Pourquoi ce qui est en cours en Chine, autrement dit
00:29 une crise immobilière mais pas uniquement une crise immobilière est aujourd'hui la
00:34 question que regardent toutes les chancelleries internationales.
00:38 Bonjour Agatha Kratz.
00:39 Bonjour.
00:40 Vous êtes directrice au Rhodium Group.
00:42 Qu'est-ce que le Rhodium Group ?
00:43 Le Rhodium Group est une entreprise de recherche indépendante sur la Chine et sur le climat
00:47 et l'énergie mais je suis évidemment dans la partie Chine.
00:49 Et vous êtes donc effectivement spécialiste de l'économie chinoise.
00:53 Vous allez nous expliquer Agatha Kratz ce que sont ces entreprises immobilières chinoises
00:58 de véritable empire et pourquoi le fait que ces entreprises aillent mal nous inquiète.
01:06 Tout d'abord une présentation d'Evergrande.
01:08 Écoutez Evergrande c'est l'un des plus grands développeurs immobiliers chinois.
01:12 On le connaît nous dans notre milieu évidemment depuis très longtemps parce que c'est l'une
01:19 des entreprises majeures dans le secteur.
01:21 Ce sont des monstres comme vous le dites parce qu'en fait le secteur de l'immobilier chinois
01:25 c'est à peu près 25% de l'économie chinoise.
01:27 Donc en fait si on est le leader sur ce marché même avec 7-8% de part de marché on peut
01:33 avoir une dette de la taille de la Grèce qui était le cas d'Evergrande quand ils
01:36 ont commencé à avoir des problèmes il y a deux ans.
01:38 Donc on parle d'entreprises qui sont monumentales.
01:41 Combien d'employés par exemple pour cette entreprise ?
01:44 Écoutez des millions.
01:45 Ces entreprises sont les développeurs mais en fait il y a en amont et en aval évidemment
01:52 des centaines et des centaines d'entreprises et de travailleurs qui sont liés à leurs
01:55 activités et donc du coup les effets secondaires peuvent être aussi énormes.
01:59 Alors lundi dernier le géant immobilier chinois Evergrande a connu une chute de près de 87%
02:06 pour son retour à la bourse de Hong Kong.
02:08 Là aussi c'est un chiffre qui paraît très théorique mais ça veut dire Agatha Kratt
02:12 que d'après les bourses cette entreprise n'a presque plus de valeur.
02:17 Pourquoi presque plus de valeur ?
02:18 Et bien parce que le secteur de l'immobilier en Chine va très mal.
02:22 Comme je vous le disais avant la crise qui a commencé à se manifester il y a deux ans
02:27 en fait au troisième trimestre 2021.
02:29 Comme je vous le disais le secteur de l'immobilier représentait 25% de l'économie chinoise
02:34 et donc une entreprise de ce type là avait une importance énorme.
02:39 Depuis on a un secteur qui a diminué de moitié.
02:43 C'est à dire que les nouvelles constructions, les nouveaux projets de construction se sont
02:47 complètement cassés la figure.
02:48 On est à -30, -40, -50% par rapport à l'année dernière qui était déjà une mauvaise année.
02:53 Et donc du coup à des niveaux qui sont extrêmement bas.
02:56 C'est fondé sur le fait qu'il y avait une bulle immobilière.
02:59 Tout le monde le savait.
03:00 Alors une bulle immobilière c'est à dire quoi ? C'est à dire qu'en fait les Chinois,
03:05 la population chinoise avait beaucoup spéculé sur les prix de l'immobilier ? Parce que
03:09 ça on le comprend, c'est arrivé en France, c'est arrivé dans beaucoup de pays.
03:12 En fait il y avait deux facteurs principaux.
03:14 Le premier c'est qu'il y avait beaucoup trop de crédits disponibles pour la construction
03:17 immobilière et qu'en fait des entreprises comme Evergrande en ont pris avantage.
03:23 Et on continuait de construire alors que la demande n'était pas là.
03:25 On estime qu'au début de la crise, il y a deux ans, les niveaux des constructions
03:29 annuelles étaient probablement deux fois trop élevés par rapport à ce que représente
03:33 la demande des ménages.
03:34 On construisait trop.
03:35 Donc on construisait une bulle et on le savait depuis très longtemps.
03:37 Le problème c'est qu'il y avait une fuite en avant avec beaucoup trop de crédits qui
03:39 étaient accordés à ces entreprises là.
03:41 Et des ménages chinois qui détiennent à peu près 80% de leurs ressources et de leurs
03:46 épargnes dans l'immobilier.
03:47 Parce qu'en fait il n'y a pas beaucoup d'autres choses qu'on peut faire avec son
03:52 argent quand on est en Chine.
03:53 Le marché financier, les marchés financiers ne sont pas développés.
03:56 On ne peut pas investir à l'étranger, aux Etats-Unis, en Europe aussi facilement.
03:59 Et donc on met tout son argent dans l'immobilier.
04:01 Donc ces deux facteurs ont vraiment alimenté la crise et la bulle.
04:05 Et alors il n'y a pas qu'Evergrande qui a des problèmes.
04:08 Il y a aussi un autre promoteur.
04:10 Il a un nom qui peut sembler un peu romantique.
04:15 C'est un "Country Garden" s'appelle-t-il.
04:16 Alors lui aussi il a des problèmes et ça nous concerne.
04:20 Même si c'est très loin de nous à Gatacrat.
04:22 Absolument.
04:23 Tous les acteurs du secteur de l'immobilier aujourd'hui ont des soucis et des problèmes.
04:28 On va le voir.
04:29 On va avoir probablement une restructuration extrêmement importante.
04:32 On va voir des entreprises qui vont faire des fous.
04:34 On va voir des entreprises qui vont sortir complètement du marché et qui vont partir
04:37 en faillite.
04:38 C'est évident et c'est incontournable.
04:40 C'est quelque chose auquel on s'attendait.
04:42 Alors la bonne nouvelle c'est que comme je vous le disais, on est déjà à peu près
04:45 en termes de construction, de nouvelles constructions, à la moitié du niveau du début de la crise.
04:50 Et donc en fait les choses vont commencer à se stabiliser probablement en début 2024.
04:54 Mais d'ici là on a une croissance chinoise qui est en berne.
04:56 On a 3% de croissance l'année dernière que beaucoup de personnes ont pensé être
05:01 liées à la crise du Covid.
05:02 Enfin les politiques chinoises de zéro Covid qui était extrêmement contraignante pour
05:08 la consommation.
05:09 En fait les 3% l'année dernière étaient très liés à l'immobilier aussi.
05:12 En 2023 on aura une croissance qui sera très faible.
05:16 2024 ça pourrait se relancer un tout petit peu.
05:18 On a l'impression à Gatacratz que l'économie chinoise est une économie en grande partie
05:22 planifiée.
05:23 C'est le parti qui décide de la manière dont les choses vont se dérouler.
05:26 Et alors évidemment le financement du secteur immobilier par le biais de la dette était
05:32 une manière de soutenir les emplois puisque vous l'avez dit ce sont des millions d'emplois.
05:36 Donc ça veut dire qu'on construisait des emplois pour occuper les gens ?
05:40 Non ça veut dire qu'on tolérait cette fuite en avant tant qu'elle n'était pas
05:49 systémique.
05:50 Et en fait ce qui s'est passé, ce qui a causé la crise c'est une réalisation et
05:53 des actions prises par le gouvernement pour remettre un peu d'ordre dans le secteur
05:58 de l'immobilier et justement éviter que la bulle n'explose trop violemment.
06:01 Et effectivement la bulle n'est pas en train d'exploser violemment, elle est en
06:04 train d'exploser doucement et c'est pour ça qu'on parle aujourd'hui d'une crise
06:07 qui a commencé il y a deux ans.
06:08 Mais le gouvernement a dit à un moment c'est plus possible d'avoir ce niveau de construction
06:13 par rapport à la demande fondamentale.
06:16 Et donc il y a trois ans on a resserré l'accès aux traités.
06:19 C'est ça qui a causé le début de la crise.
06:21 Mais avec cette idée de gérer une bulle qui diminue doucement plutôt que très violemment.
06:28 Alors ça c'est un problème financier mais les problèmes financiers deviennent bien
06:32 souvent des problèmes sociaux.
06:33 C'est le cas parce que ça veut dire concrètement qu'il y a des ménages chinois qui ont
06:38 acheté des logements.
06:40 Même si c'est en partie financé par crédit, il y a aussi un apport, il y a aussi des économies
06:45 qui sont allées parfois dans les premiers remboursements.
06:47 Et pour l'instant ces ménages n'ont rien.
06:49 Ils n'ont pas été livrés, leur appartement n'existe pas.
06:55 Alors la politique actuelle du gouvernement chinois est très consciente de ça évidemment.
06:58 Donc ce qu'on voit se dérouler de politiques publiques à l'heure actuelle, c'est des
07:03 politiques qui vont vraiment se concentrer sur le fait de livrer ce qui a été commandé
07:08 mais d'empêcher ou de diminuer les nouvelles constructions.
07:11 Et donc c'est ce que je disais sur cet effet couperet sur les nouvelles constructions qui
07:15 ont diminué de moitié.
07:16 Mais par contre les projets qui ont déjà été commencés, il y a eu énormément d'efforts
07:19 faits par les leaders chinois à l'heure actuelle pour s'assurer qu'ils soient livrés
07:23 parce qu'on sait très bien, ils savent très bien que ça peut créer une crise sociale.
07:27 Et puis ça veut dire aussi que l'économie chinoise est une économie qui finalement
07:32 apparaît de plus en plus fondée sur de la dette.
07:35 Parce qu'il y a donc l'endettement de ces gigantesques entreprises immobilières
07:40 mais il y a aussi l'endettement des pouvoirs locaux à gâte à crates.
07:43 Expliquez-nous ce que ça veut dire.
07:44 Alors le secteur de l'immobilier représente à peu près un quart de l'économie chinoise.
07:49 L'investissement des localités, des gouvernements locaux dans le rail, dans des infrastructures
07:56 dont on parle énormément, tout le monde parle du fait que le train à grande vitesse
08:00 en Chine a explosé sur les dernières années par exemple.
08:02 Ça c'est à peu près 15% de l'économie chinoise.
08:05 Et en fait ça a été le modèle de croissance, ce modèle basé sur l'investissement, le
08:09 modèle de croissance depuis la crise financière de 2008 parce que la Chine qui a eu un gros
08:14 coup d'arrêt sur l'exportation à ce moment-là a relancé la croissance avec de l'investissement
08:18 et c'était de l'investissement immobilier, c'était aussi de l'investissement par les
08:20 gouvernements locaux.
08:21 Cet investissement a été financé énormément par la dette des gouvernements locaux et
08:26 donc on est aujourd'hui à une dette des gouvernements locaux et centraux, mais locaux
08:30 à peu près de 100% du PIB chinois, donc des niveaux extrêmement élevés, qui plus
08:36 est dans un contexte où en fait les projets que cette dette finance ont presque pas de
08:41 retour sur investissement.
08:43 Donc on a des taux d'intérêt à 5%, un retour sur investissement à 1% et donc des gouvernements
08:47 locaux qui se retrouvent incapables de continuer cette pratique.
08:51 Mais ça, est-ce que c'est complètement nouveau à Gatacratz ? Parce qu'on a souvent l'impression
08:55 qu'en Chine, il y a eu une politique de grands projets qui étaient des projets, alors vous
08:59 dites fuite en avant pour permettre à l'économie de continuer à fonctionner ou pour éviter
09:06 par exemple qu'il y ait du chômage, mais on a l'impression que désormais, le roi est
09:12 nu et qu'on s'en aperçoit que tous ces projets n'ont pas de rentabilité économique intrinsèque.
09:19 On s'en aperçoit, on le savait depuis longtemps et on savait que quelque chose devrait se
09:23 passer, la vraie question était quand ? Et quand est-ce que le coup d'arrêt serait
09:28 sommé ? Là, c'est vraiment la crise du Covid sur l'aspect gouvernement loco.
09:33 Pourquoi ? Qu'est-ce qui s'est passé avec la crise du Covid ?
09:35 Parce qu'en fait, avec la crise du Covid, les gouvernements locaux ont été mis à
09:39 contribution, ont dû réduire les taxes sur les entreprises pour leur permettre de survivre
09:43 la crise du Covid, ont dû augmenter les dépenses évidemment de santé et autres.
09:47 Et donc du coup, cela a augmenté d'autant plus leurs difficultés budgétaires.
09:52 Et donc dans ce contexte-là, elles se sont retrouvées face à des difficultés de paiement,
09:58 on voit des défauts qui commencent à se concrétiser au niveau des gouvernements locaux.
10:01 Et donc le Covid a un peu accéléré un destin qu'on savait scellé depuis longtemps.
10:07 Oui, parce que l'économie a ralenti, on a vu des villes entières à l'arrêt,
10:10 là aussi des millions de personnes et donc finalement, la Chine est en train de payer
10:14 ça ? Absolument.
10:15 Et en fait, la grande question au milieu de ça, c'est que tout le monde pensait,
10:21 les leaders chinois, le monde, que la consommation allait prendre le relais de l'investissement.
10:25 C'était vraiment l'histoire qu'on se disait de la Chine et qu'on se dit depuis
10:29 dix ans qu'en fait, ce modèle drivé par l'investissement que tout le monde connaît
10:34 et que tout le monde reconnaît, allait être remplacé un jour par un modèle qui serait
10:39 tiré par la consommation.
10:40 Le problème, c'est que la consommation des ménages après deux ans de Covid est extrêmement
10:43 faible en Chine.
10:44 Pourquoi ? Parce que les gens n'ont plus d'argent ?
10:45 Parce que les gens ont peur pour l'économie, parce que les gens ont souffert énormément
10:50 de la crise du Covid, parce que l'emploi dans le secteur des services, dans le secteur
10:54 de la consommation est en berne, parce que le gouvernement a pris certaines mesures
10:58 pour mettre des fers très forts sur le secteur de la tech les deux dernières années.
11:03 Et tout ça se combinant, la consommation ne prend pas le relais.
11:05 Si la consommation avait pris le relais, ce serait moins grave finalement qu'il y ait
11:08 une crise de l'immobilier, mais ce n'est pas le cas.
11:10 Oui, parce que pour terminer ce tableau qui est un tableau noir de l'économie chinoise,
11:14 il faut dire que le chômage est élevé.
11:17 Il est même camouflé, c'est-à-dire qu'il est tellement important que le gouvernement
11:21 a décidé de truquer un peu les statistiques.
11:23 Absolument, avec une excuse qui est celle du besoin de travailler sur les chiffres et
11:29 de revoir sa méthodologie, mais très clairement c'est l'une des...
11:31 Oui, parce que ça veut dire que le gouvernement ne publie plus de chiffres du chômage.
11:35 Voilà, depuis le mois dernier, le gouvernement ne publie plus les chiffres du chômage, qui
11:37 étaient déjà très mauvais parce que c'était des chiffres partiels, c'était des chiffres
11:40 sur le chômage urbain, enfin il y avait plein de problèmes avec ce chiffre-là.
11:42 Mais c'était le chiffre qu'on avait, si vous voulez, pour avoir un étalon.
11:45 Et en fait, il ne le publie plus et il ne le publie plus très certainement parce que
11:49 c'est l'une des séries les plus sensibles, socialement.
11:52 Mais vous, Agatha Kratz, vous l'avez recalculé, ce chiffre du chômage ?
11:56 Alors non !
11:57 Je voulais vous prêter quelque chose, mais les spécialistes disent 20% de chômage chez
12:05 les jeunes.
12:06 À vrai dire, il y a un chercheur chinois qui, il y a à peu près deux semaines, a fait
12:10 sa propre estimation à 40%.
12:11 40% ? Vous voyez, ça a encore doublé.
12:13 Vous voyez que vous l'avez, le chiffre ?
12:14 Oui, parce qu'en fait, il y a 20% qui sont enregistrés dans cette série qui a été
12:18 discontinuée.
12:19 Puis il y a 20% qui sont considérés comme des jeunes qui habitent chez leurs parents,
12:24 ne cherchent pas encore du travail, patientent avant de se mettre à leur recherche, etc.
12:29 40% c'est faramineux ?
12:30 Ce qui serait faramineux, évidemment.
12:32 Alors, c'est une grande question, on ne sait pas.
12:36 Mais ce serait faramineux, absolument.
12:37 Ça veut dire aussi qu'il y a des jeunes chinois qui ne peuvent pas entrer dans l'économie
12:44 ou peut-être aussi ne veulent pas d'ailleurs y entrer ?
12:46 Absolument, c'est un peu des deux.
12:48 Mais qui ne peuvent pas, avant tout.
12:50 C'est vrai que la création d'emplois aujourd'hui en Chine, surtout pour les jeunes, surtout
12:53 pour les jeunes diplômés, est extrêmement tendue.
12:55 Agatha Karat, on se retrouve dans une vingtaine de minutes.
12:59 Vous allez nous expliquer, vous qui êtes directrice au Rodium Group et spécialiste
13:04 de l'économie chinoise, en compagnie de Sébastien Jean, qui va nous rejoindre, qui
13:07 est professeur d'économie au CNAM.
13:10 Comment ces situations distinctes, mais ce tableau assez médiocre de l'économie chinoise
13:17 pèsent sur l'économie mondiale et quelles pourraient être les répercussions de tout
13:22 cela sur notre économie, l'économie française, l'économie européenne ?
13:27 En attendant, il est 7h56 sur France Culture.
13:37 8h22, Agatha Karat, vous êtes directrice au Rodium Group.
13:41 Avec vous, on a expliqué comment de gigantesques entreprises immobilières chinoises qui concentrent
13:47 25% du PIB chinois, des millions d'emplois, eh bien, celles-ci aujourd'hui, sont dans
13:54 le cadre d'une bulle immobilière.
13:56 Il y a de plus en plus de chômeurs en Chine.
13:58 On dit qu'il peut y en avoir jusqu'à 40% chez les jeunes.
14:02 Tout cela pourrait avoir des répercussions sur nos économies.
14:06 A nous, pour en parler, nous sommes également en compagnie de Sébastien Jean, que j'accueille.
14:12 Bonjour, vous êtes professeur d'économie au CNAM, vous êtes titulaire de la chaire
14:16 d'économie industrielle et on vous doit notamment la folle histoire de la mondialisation.
14:21 Aux arènes, une BD co-écrite avec Isabelle Benzindoun et Enzo.
14:27 Et puis, la Chine est au cœur aujourd'hui de l'actualité, notamment de l'actualité
14:32 économique, avec des révélations du Financial Times.
14:35 Un scandale de grande ampleur puisque le Financial Times, en une, nous apprend que Goldman Sachs
14:42 a acheté aux États-Unis et au Royaume-Uni des compagnies sensibles dans le domaine de
14:52 l'informatique, de la cybersécurité, en utilisant des fonds chinois.
14:57 Cela mérite quelques explications, Agatha Kratt.
15:00 Oui, absolument.
15:01 L'article du Financial Times met en lumière le fait que Goldman Sachs a fait l'acquisition
15:07 au Royaume-Uni, notamment, d'entreprises dans des secteurs très sensibles, que sont
15:11 l'intelligence artificielle, certains secteurs de production de drones, de surveillance
15:17 aussi et de cybersécurité.
15:18 Le problème ici étant pas tant qu'on ne savait pas qu'il y avait des coopérations
15:22 si vous voulez entre les fonds souverains chinois et Goldman Sachs.
15:26 C'était tout à fait clair en 2017 qu'un fonds de coopération avait été créé par
15:30 exemple.
15:31 Et ce n'est pas que Goldman Sachs, il y a beaucoup de banques internationales qui se
15:34 sont engagées dans ce type de partenariat, notamment parce que le fonds souverain chinois
15:39 voulait apprendre de ces grandes banques comment faire de l'investissement plus efficacement.
15:44 Donc, ça on le savait.
15:45 Ce qui est problématique c'est le fait que 1) Goldman Sachs n'ait pas rendu public
15:51 le fait que certains de ces fonds-là aient été utilisés pour acquérir ces entreprises.
15:54 Et deuxièmement, évidemment, les secteurs qui sont en question ici, qui sont des secteurs
15:58 qui aujourd'hui sont considérés extrêmement sensibles dans le cadre de l'investissement
16:03 chinois en Europe.
16:04 Oui, parce qu'il faut dire Sébastien Jean que l'inquiétude, alors à tort ou à raison
16:08 vis-à-vis de la Chine, est telle qu'on peut lire par exemple dans le Wall Street Journal
16:12 le fait que les Américains suspectent les grues chinoises sur les chantiers lorsque
16:21 ces grues sont utilisées dans les ports d'être porteuses de systèmes d'espionnage à tort
16:26 ou à raison.
16:27 Un commentaire selon vous ?
16:28 Pour moi, ces deux affaires spécifiques sont très emblématiques d'une époque dans laquelle
16:34 il y a une interdépendance économique extrêmement étroite, un enchevêtrement qui est d'une
16:38 complexité folle et extrêmement difficile à décrypter, sur un fond de tensions politiques
16:43 montantes, de défiance.
16:44 Et donc il y a des tensions, on parle beaucoup de découplage, on va y revenir sans doute,
16:48 de décroissance des risques.
16:49 Mais en fait, tout ça, c'est un discours politique qui a du mal à se mettre en pratique
16:54 étant donné ce contexte si complexe, si enchevêtré.
16:59 Oui, vous avez raison parce que si je continue à lire la presse du matin, la Une de Libération,
17:03 cette fois-ci, elle ne concerne plus la manière dont l'économie chinoise s'introduit dans
17:08 nos économies à nous, mais la manière dont le conflit entre Taïwan et la Chine pourrait
17:13 avoir des répercussions via les microprocesseurs.
17:16 Expliquez-nous pourquoi ce conflit, qui n'existe pas encore, mais dont on pressent la possibilité,
17:23 pourquoi ce conflit pourrait-il avoir des répercussions sur nos ordinateurs ?
17:27 L'ombre portée de ces tensions autour du détroit de Taïwan est majeure sur l'économie
17:33 mondiale parce que la Chine est le berceau de l'électronique, en tout cas d'une partie
17:39 de l'électronique et de l'assemblage notamment, et Taïwan de son côté est le pays qui possède
17:45 l'entreprise phare dans les microprocesseurs, les semi-conducteurs de haute gamme.
17:52 Et donc l'entreprise TSMC est le leader mondial incontesté qui joue un rôle crucial pour
17:58 les semi-conducteurs qui sont partout aujourd'hui.
18:00 Et oui, quand on parle de leader mondial, c'est 90% du marché, 10 à 12 ans de retard.
18:05 Sur le haut de gamme, c'est-à-dire que la Chine fait beaucoup de semi-conducteurs aussi,
18:08 mais elle ne fait pas les plus sophistiqués d'entre eux.
18:11 C'est ce que j'allais ajouter, 10 à 12 ans de retard dit-on pour le reste du monde
18:15 par rapport aux productions de TSMC, ce qui signifie Sébastien Jean que dans l'hypothèse
18:20 d'un conflit avec Taïwan, on pourrait avoir différents risques, le fait que les approvisionnements
18:26 soient coupés, le fait que la Chine se procure ces microprocesseurs et nous empêche d'en
18:32 bénéficier ?
18:33 Oui absolument, tout ça c'est des risques qu'on est obligé de plus en plus de prendre
18:40 en compte, sur fond de rivalités sino-américaines croissantes, sur fond aussi de cette guerre
18:45 en Ukraine qui nous a appris à nos dépens en Europe à quel point on était quand même
18:50 soumis aux aléas politiques et parfois complètement imprévisibles et même qui nous semblent
18:55 irrationnels a priori.
18:56 Et donc il y a de plus en plus une instrumentalisation de relations de dépendance économique à
19:01 des fins politiques ou un rejaillissement de tensions politiques ou de conflits sur
19:05 l'économie.
19:06 Et là ça serait vraiment le cœur de l'économie mondiale, du moteur de l'économie mondiale
19:10 qui serait touché avec des répercussions potentiellement gigantesques sur le reste
19:14 de l'économie.
19:15 Agatha Kratt.
19:16 Sur ce sujet là, on avait fait une étude qui est sortie il y a un an, qui a mis un
19:23 chiffre sur un blocus de Taïwan par la Chine, qui venait aux mêmes conclusions si vous
19:29 voulez avec les semi-conducteurs qui étaient vraiment le cœur du problème à cause de
19:33 cette dépendance à TSMC et en fait le fait que des industries complètes et des chaînes
19:38 de valeur complètes seraient mises à l'arrêt si le blocus avait été...
19:41 NICOLAS ROCHE.
19:42 Qu'est-ce que c'est une chaîne de valeur ?
19:43 NICOLE LACROIX.
19:44 C'est-à-dire la chaîne de production d'une voiture qui démarre avec l'électronique
19:47 qui va dans la voiture et ensuite tous les composants qui sont mis ensemble.
19:49 NICOLAS ROCHE.
19:50 Et alors le problème c'est que comme une chaîne si on n'a pas un microprocesseur,
19:53 il est possible qu'on ne puisse plus construire des voitures éventuellement.
19:58 Mais aussi tout ce qui nous entoure finalement des ordinateurs, des équipements hospitaliers
20:05 qui pourraient venir à manquer ou qui pourraient avoir de gros problèmes de ravitaillement.
20:09 NICOLAS ROCHE.
20:10 De ravitaillement, d'approvisionnement en pièces détachées.
20:14 Mais alors Sébastien Jean, le monde n'est pas inerte.
20:17 Aux Etats-Unis, TSMC est en train de construire une gigantesque usine.
20:21 Les investissements se comptent évidemment en milliards de dollars.
20:23 C'est très compliqué.
20:24 L'Europe a beaucoup de mal à suivre.
20:26 Mais on essaye de s'adapter quand même à cette hypothèse où la politique chinoise,
20:34 la géostratégie nous empêcherait de poursuivre le développement, la production d'un certain
20:40 nombre d'objets.
20:41 SÉBASTIEN JEAN.
20:42 Absolument.
20:43 On essaie de s'adapter mais c'est extrêmement difficile.
20:45 C'est long et c'est coûteux parce qu'on parle d'industries qui sont extraordinairement
20:49 sophistiquées.
20:50 Et donc, il ne suffit pas de construire une entreprise ou d'implanter une usine.
20:53 En fait, c'est tout un écosystème qu'il faut créer parce qu'il y a une spécialisation
20:57 des tâches qui est poussée à l'extrême.
20:58 Ça prend beaucoup de temps.
20:59 Ça prend beaucoup d'argent.
21:00 Vous l'avez dit, ça se compte en milliards.
21:01 Ça se compte en fait en dizaines de milliards d'euros assez facilement.
21:05 Et donc, par exemple, les différents grands pays ont passé leur CHIPS Act pour reprendre
21:10 le nom américain.
21:11 Il y avait plus de 50 000.
21:12 NICOLAS ROCHEFORT.
21:13 CHIPS, donc ce sont les puces ?
21:14 SÉBASTIEN JEAN.
21:15 Pour les puces électroniques.
21:16 Donc, c'est un peu comme un appéritif.
21:19 Et plus de 50 milliards de dollars aux États-Unis, des montants qu'on essaie de rendre à peu
21:23 près comparables en Europe.
21:25 Et donc, il y a cet effort.
21:27 Mais c'est extrêmement long et difficile.
21:30 C'est coûteux aussi.
21:31 C'est-à-dire qu'il y a un moment où il faut choisir nos priorités.
21:33 Si on fait la politique industrielle, on ne pourra pas tout faire à la fois.
21:35 Donc, est-ce qu'il vaut mieux rattraper notre tas là où on est faible, où on est dépendant ?
21:39 Est-ce qu'il vaut mieux essayer de consolider sur d'autres secteurs où on a des situations
21:43 plus solides ?
21:44 C'est une question assez stratégique à se poser.
21:45 - Agatha Kratt.
21:46 - Oui, et qui plus est, je voudrais ajouter deux choses.
21:48 La première, c'est qu'évidemment, on a une relocation des capacités de production
21:52 de ce milieu conducteur aux États-Unis.
21:54 L'Europe peut faire la même chose avec des milliards sur la table également.
21:58 Taïwan s'assurera qu'elle garde les joyeux de la couronne à la maison.
22:05 C'est-à-dire qu'on ne va jamais bouger ce qui est le plus avancé de Taïwan.
22:07 Parce que Taïwan sait que c'est sa garantie de sécurité.
22:10 Donc, du coup, il ne faut pas penser qu'on puisse tout bouger.
22:12 Et un conflit à Taïwan sera, quoi qu'il arrive, pour toujours extrêmement disruptif
22:16 pour le monde.
22:17 Ce que je voulais ajouter aussi, c'est qu'on voit par exemple, et c'est très intéressant,
22:21 que dans cet effort de ramener la production de semi-conducteurs aux États-Unis, ce sont
22:25 certains bouts et certains segments de la chaîne de valeur qui sont bougés.
22:28 Une fois de plus, on revient à cette notion.
22:30 Et donc, les intrants sont produits en Chine, sont produits dans le reste du monde, sont
22:34 amenés aux États-Unis pour la constitution d'un microprocesseur.
22:38 Mais ensuite, il y a un process qui s'appelle le packaging, dans lequel la Chine a la plus
22:42 grande part de marché mondial.
22:43 Et donc, en fait, oui, on peut ramener un segment de la chaîne de valeur aux États-Unis.
22:46 Mais il est très probable que pour très longtemps encore, on renvoie ces semi-conducteurs
22:50 en Chine pour être « packagé » comme on le dit, et ensuite revendu.
22:54 Et donc, de tout redéplacer, c'est un autre ordre de valeur et un autre ordre de coût.
22:59 Et c'est extrêmement coûteux et difficile.
23:03 Oui, cette combinaison de haute technologie et de segments avec beaucoup de main-d'œuvre,
23:08 en fait, c'est vraiment très caractéristique des semi-conducteurs.
23:13 Et il faut rappeler que cette délocalisation en Asie de la partie la plus intensive en
23:17 main-d'œuvre, elle date des années 60.
23:18 C'est extrêmement ancien.
23:20 Et c'est extrêmement ancien.
23:21 Et ça veut dire que ce n'est pas seulement, comme vous le dites, une question de coût
23:24 de main-d'œuvre.
23:25 C'est aujourd'hui une question de compétence, d'écosystème.
23:28 Donc, c'est difficile à rattraper, j'allais dire.
23:31 Irrattrapable.
23:32 Mais véritablement, l'enchevêtrement fait aussi qu'un certain nombre d'entreprises
23:37 mondiales américaines, notamment Apple, est très dépendant de la Chine.
23:42 Bref, cet enchevêtrement, il explique aussi que les situations économiques qu'on a
23:48 décrites il y a quelques instants avec une faillite de grands investisseurs, de grands
23:55 promoteurs immobiliers, avec un chômage important en Chine, tout cela nous fait redouter Sébastien
24:02 Jean des conséquences pour nos économies.
24:04 Absolument.
24:05 Dans la mesure où il y a interconnexion, il y a des conséquences possibles.
24:10 Maintenant, je pense qu'il ne faut pas se laisser impressionner par l'arithmétique
24:15 de l'impact de la baisse de croissance de la Chine sur la croissance mondiale.
24:18 Une chose est de dire la Chine est grosse et donc quand elle ralentit, la croissance
24:22 mondiale dans son ensemble ralentit.
24:23 Et une chose différente est de se demander comment ce ralentissement a des impacts sur
24:27 nous en France.
24:28 Il a des impacts.
24:29 Il a des impacts via plusieurs canaux.
24:31 Nos exportations, la demande adressée à nos exportations, les marchés mondiaux de
24:36 matières premières notamment, l'inflation et puis la politique globalement.
24:40 Sur l'exportation, il ne faut pas… enfin je veux dire, elle est finalement quand même
24:45 d'un ordre de grandeur dont il faut rappeler qu'il est assez limité.
24:48 C'est-à-dire que les exportations françaises vers la Chine, l'ordre de grandeur, c'est
24:50 30 milliards d'euros.
24:52 Si on prend toutes les exportations, le contenu en valeur ajoutée, y compris via d'autres
24:56 pays où on envoie des pièces, il les envoie en Chine, ça fait au maximum 2% de prix.
24:59 Au vu de notre déficit commercial, ce n'est pas non plus 30 milliards, ce n'est pas
25:03 une somme complètement négligeable.
25:05 Non, c'est… alors justement au niveau… j'allais y venir mais au niveau… le problème,
25:10 c'est aussi la direction par rapport au commerce.
25:12 C'est-à-dire que quand on exporte 30 milliards, on en importe 80 milliards.
25:15 Donc la Chine est une source majeure de déséquilibre.
25:18 Et donc c'est pour ça que de mon point de vue, ce qui compte dans l'impact de la
25:21 Chine sur l'économie mondiale, ce n'est pas tant la vitesse de son avancée que la
25:24 direction et ses déséquilibres.
25:26 L'export, au fond, c'est déséquilibre.
25:28 Ça a été dit tout à l'heure dans votre première partie, la Chine a un modèle de
25:30 croissance très déséquilibré dans lequel l'investissement, l'offre a une importance
25:36 démesurée et dans laquelle il y a une faiblesse structurelle de la demande et de la consommation
25:42 des ménages.
25:43 En dépit de discours politiques sur le fait qu'on voudrait rééquilibrer, ça fait
25:46 des années qu'on parle de ça et que ce rééquilibrage ne se fait pas probablement
25:51 parce que ce n'est pas seulement une question économique, c'est aussi une question politique.
25:54 J'ajouterais que ce déséquilibre et ce déficit commercial, il met en lumière quelque
26:00 chose de plus profond qui est qu'en fait la Chine a progressivement sur la dernière
26:05 décennie ramené sur son territoire énormément de chaînes de valeur une fois de plus et
26:10 de capacités de production.
26:11 Donc il y a dix ans, s'il y avait eu une crise en Chine, on aurait été très affecté
26:14 parce qu'en fait on envoyait en Chine énormément des machines qui servaient à construire de
26:18 l'énergie, énormément d'équipements qui lui servaient à construire ces chemins de
26:24 fer.
26:25 Aujourd'hui, parce que la Chine a développé ses capacités à la maison d'une certaine
26:30 façon, on est moins affecté.
26:31 Les pays qui seront le plus affectés s'il y a un ralentissement chinois sont les pays
26:34 qui sont extrêmement exportateurs, notamment de matières premières en Chine, qui nourrissent
26:38 le secteur de l'immobilier, qui nourrissent le secteur de l'investissement en infrastructures
26:42 et ce sont surtout les pays émergents, un peu l'Australie et le Canada au sein des
26:46 pays de l'OCDE si vous voulez, mais c'est plutôt les économies émergentes.
26:49 Et c'est là où on en vient au point politique que vous mentionnez.
26:53 C'est-à-dire que ce qu'on reproche à la Chine c'est effectivement d'avoir récupéré
26:56 pas mal de capacités de production et ça, ça se voit, mais on est moins lié du coup
26:59 et on est moins à risque d'un ralentissement de l'économie qu'on ne l'était il y a
27:03 dix ans.
27:04 Alors ça, ça se voit par exemple Sébastien Jean pour les voitures électriques.
27:08 Toute la politique qui est menée aujourd'hui pour encourager la voiture électrique pour
27:13 des raisons climatiques évidentes, eh bien cette politique, elle profite, elle profite
27:19 aussi en France d'ailleurs à l'importation de modèles chinois parce que les Chinois
27:23 sont par exemple très agressifs sur ce type de produits.
27:27 Oui, c'est un secteur complètement emblématique à la fois de ces déséquilibres, mais surtout
27:33 de la transition qui est en train de s'amorcer et qui doit se réaliser le plus vite possible.
27:38 La transition climatique, la décarbonation de l'énergie et de nos consommations qui
27:43 est une véritable révolution industrielle, c'est à dire que sur l'automobile, on a
27:47 rompu une chaîne technologique vieille de plus d'un siècle d'amélioration progressive
27:51 pour changer complètement de modèle.
27:52 Et finalement, le modèle, les technologies de la voiture électrique, elles empruntent
27:55 beaucoup aux batteries, aux portables, à des choses qui ont été beaucoup développées
27:59 en Chine, enfin en Asie d'une part et d'autre part, elles ont fait l'objet d'une politique
28:03 extrêmement volontariste, très lourdement subventionnée en Chine depuis plus de dix
28:07 ans.
28:08 Et donc aujourd'hui, dans une situation dans laquelle il y a une vraie avancée technologique,
28:13 en tout cas des performances extrêmement élevées du côté chinois et puis une politique
28:19 qui en Europe est très volontariste, surtout du côté de la demande.
28:21 On veut subventionner la demande avec la crainte, effectivement, que tout ça n'attire
28:26 et n'aspire des importations chinoises et finalement nous contribue à l'effaiblissement
28:30 de notre secteur industriel, en l'occurrence sur l'automobile.
28:33 Mais c'est vrai de toute une série de secteurs de ce type.
28:35 On parlait par exemple des panneaux solaires de la même façon.
28:39 Et c'est aussi ce que disait un peu Donald Trump.
28:41 Il disait finalement la transition énergétique, elle profite aux industries chinoises.
28:48 Alors on n'est pas obligé d'être d'accord avec tout ce que dit Donald Trump, mais là-dessus,
28:50 il avait raison ou tort ?
28:51 Bon, Donald Trump, il est difficile de dire qu'il avait raison dans ses analyses économiques.
28:57 Je ne parlais pas de l'analyse, je parlais d'amnésie.
29:00 Je comprends bien, mais j'allais dire, en revanche, là où il y a eu un instinct politique,
29:04 c'est dans le fait qu'il y a une sensibilité politique forte.
29:06 Et c'est évidemment vrai dans le cas présent.
29:10 Et donc, je pense que ça met l'Europe devant un double défi, qui est à la fois de prendre
29:17 ce virage de la transition écologique, mais de le faire en gardant, en conservant une
29:24 industrie forte et en même temps, sans rendre cette transition trop coûteuse.
29:30 Donc, on est face à un dilemme.
29:34 On voit bien aujourd'hui que notamment en termes de prix, les voitures électriques
29:38 chinoises sont très coûteuses.
29:40 En même temps, elles ont été très subventionnées.
29:41 Donc, comment est-ce qu'elles réagissent ?
29:42 Très peu coûteuses.
29:43 Elles sont très peu coûteuses.
29:44 Elles ont un très fort avantage de coût par rapport à leurs concurrents, notamment
29:48 en Europe.
29:49 Que les moins chères, d'ailleurs, en France, elles sont fabriquées en Chine, une bonne
29:54 partie d'entre elles.
29:55 Donc, comment on fait par rapport à ça ? Est-ce qu'il ne faut pas ajuster avec des
30:02 mesures qui compensent ?
30:03 Augmenter les barrières douanières.
30:05 Mais alors, il y aurait des répercussions, évidemment, sur d'autres exportations françaises,
30:09 sur le secteur du luxe, sur le secteur des spiritueux.
30:12 C'est une possibilité.
30:14 Mais on est dans un cas qui est, au fond, prévu dans les accords internationaux, dans
30:19 les règles qu'on s'est données sur le commerce national.
30:21 C'est-à-dire quand il y a un influx d'investissement, mais qui est fortement subventionné par
30:25 le pays exportateur, ça justifie qu'il y ait des mesures d'ajustement en face.
30:30 Donc, on n'est pas nécessairement dans une approche délibérément protectionniste.
30:35 Elle a aussi ses justifications.
30:36 Absolument.
30:37 Et là où je voudrais revenir sur le thème du jour, qui est celui du ralentissement
30:41 de la croissance chinoise, le danger ici, c'est qu'en fait, en ralentissant, l'économie
30:45 chinoise crée des surcapacités.
30:46 C'est-à-dire que le niveau de capacité de production de panneaux solaires, de voitures,
30:51 et de beaucoup de choses en Chine aujourd'hui, est un niveau qui prend comme hypothèse une
30:56 croissance de 5%.
30:57 Aujourd'hui, si la croissance baisse à 3%, 2,5%, on pourrait se retrouver dans une situation
31:00 qui était celle de 2014 avec les panneaux solaires, de 2013-2012 avec l'acier international.
31:06 Donc une guerre des prix.
31:07 Une guerre des prix.
31:08 Et dans un contexte où nous, on essaie de créer en Europe, par nous, j'entends les
31:12 européens, on essaie de créer des filiales et des industries vertes au dépend de la
31:20 Chine, qui est très très forte à ça, si tout d'un coup les prix mondiaux se baissent
31:25 fortement pour 2 ans, 3 ans, tous ces investissements qu'on aura faits pourront être annulés et
31:30 nos entreprises feront des faux.
31:32 D'autant qu'il y a des risques directs et indirects Sébastien Jean, parce que vous
31:36 évoquez le commerce entre la France et la Chine, alors celui-ci concerne un certain
31:40 nombre de produits, peu de produits, vous le relativisiez disiez-vous, mais il y a aussi
31:45 les risques indirects, puisque les économies étant parfaitement enchevêtrées, l'économie
31:51 américaine étant très liée à l'économie chinoise, là aussi ici il y a un ralentissement
31:55 chinois et un ralentissement américain, on se souvient qu'en 2008 tout avait débuté
31:59 avec le secteur immobilier américain qui est a priori très éloigné de nos préoccupations
32:03 et pourtant on avait été touché par les conséquences de cette crise.
32:07 Oui, je pense que la nature des mécanismes de transmission est très différente de celui
32:11 de 2008 parce que c'était de nature principalement financière en 2008 et la Chine est connectée
32:17 mais de façon beaucoup plus limitée, elle est beaucoup moins dépendante du reste du
32:21 monde financièrement, d'ailleurs c'est un peu la seule grande économie dans ce cas
32:25 aujourd'hui et ça se manifeste par le fait que les tensions inflationnistes sont partout
32:31 dans le monde occidental mais la Chine elle est plutôt face à des tensions déflationnistes
32:35 aujourd'hui.
32:36 Tensions déflationnistes, qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que les prix
32:38 baissent ?
32:39 Oui, ça veut dire que les prix baissent, c'est-à-dire ce qu'on a décrit tout à
32:41 l'heure par rapport au déséquilibre du modèle chinois, c'est un modèle dans lequel
32:44 il y a peu de demandes internes, c'est une économie de basse pression si vous voulez,
32:47 il n'y a pas assez de demandes, donc finalement on a ce qui vient d'être décrit, c'est-à-dire
32:51 un excès d'offres souvent, d'ailleurs il y a un pouvoir qui est obsédé par l'offre,
32:55 par le fait de renforcer sa capacité industrielle, sa capacité d'offres, en fait il n'y a
33:00 pas assez de demandes donc ça crée des pressions à la baisse des prix, des pressions déflationnistes.
33:04 Donc c'est tout à fait le contraire de ce qu'on a nous, pour autant ce n'est pas
33:07 nécessairement un soulagement de notre point de vue parce que c'est aussi une concurrence
33:13 très forte sur nos industries et donc une gêne pour arriver à ce qui est notre défi
33:17 aujourd'hui, à réduire l'inflation, à faire de la désinflation sans trop de douleur
33:21 en termes de croissance et de chômage.
33:23 Un mot de conclusion Agatha Kratz, donc on a vu qu'il y avait effectivement une bulle
33:28 qui était en train d'éclater, elle se dégonfle lentement, disiez-vous il y a aussi
33:32 un risque social lié au mécontentement, lié au chômage important chez les jeunes,
33:38 tout cela fait un certain nombre de variables qui peuvent provoquer malgré tout une déflagration.
33:44 Sur nos économies ?
33:46 En Chine d'abord.
33:48 En Chine d'abord et écoutez ce qu'on va voir probablement en Chine sur les prochaines
33:52 années c'est simplement un taux de croissance qui est plus bas, un nombre d'entreprises
33:56 qui font des fois qui est plus élevé, plus de chômage effectivement, certains secteurs
34:02 qui sont en berne, ça aura un effet sur notre capacité à exporter en Chine, comme je le
34:07 disais surtout sur la capacité des pays émergents à exporter en Chine, ça aura probablement
34:10 un effet sur les exportations chinoises aussi avec des prix qui baisseront, mais évidemment
34:15 on est sur une période et une ère de croissance chinoise beaucoup plus limitée que par le
34:20 passé.
34:21 Un mot de conclusion Sébastien Jean ?
34:22 Oui, je pense que ce qu'on discute aujourd'hui c'est assez représentatif de l'entrée
34:27 dans une nouvelle ère où les relations économiques ont une dimension politique de plus en plus
34:31 forte avec une grande complexité à gérer cette instrumentalisation politique des relations
34:38 économiques, les voyages qui vont être faits par des représentants européens en
34:42 Chine à la fin du mois sont assez représentatifs, on veut essayer d'expliquer à la Chine
34:45 que non on ne veut pas se découpler mais en fait on veut quand même réduire les risques
34:48 et ça c'est une situation nouvelle et complexe.
34:53 Sébastien Jean, professeur d'économie au CNAM, on vous doit notamment la folle histoire
34:57 de la mondialisation, c'est au Zaren, Agatha Kratz, directrice au Rodeungroupe, merci de
35:04 nous avoir accompagnés.