Serge Joncour : "Aujourd'hui, la documentation sur le réel est un maquis indéchiffrable"

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00:00 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
00:04 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
00:08 La seconde partie des midis de culture, c'est une rencontre, une discussion à trois voix
00:13 avec celui qui vient de s'installer dans notre studio.
00:16 Il ne rechigne jamais à venir parler de ses livres ici à la radio, mais surtout dans
00:20 les librairies.
00:21 Alors qu'il publie son 15ème roman, notre invité sait que sans eux, les libraires,
00:26 il n'y aurait pas d'écrivain, pas de possibilité de s'emparer du monde dans lequel il vit,
00:31 des crises traversées, des humains rencontrés, de la nature qui nous entoure pour imaginer
00:37 une histoire, une famille et des personnages.
00:40 Des personnages auxquels notre invité est si attaché qu'il les soumet à rude épreuve.
00:45 Parfois, on a découvert la famille Fabrié dans Nature Humaine, on les retrouve dans
00:50 Chaleur Humaine que vous publiez aux éditions Albain Michel.
00:54 Bonjour Serge Joncourt, bienvenue dans les Midi de Culture.
00:58 Vous pouvez reprendre votre souffle.
01:00 Reprenons notre souffle.
01:01 On a le temps jusqu'à 13h30 pour discuter et échanger.
01:05 Notre première question Serge Joncourt est la suivante.
01:07 Est-ce que vous vous souvenez où vous étiez le mardi 17 mars 2020 ?
01:13 Oui, ça je m'en souviens très bien.
01:17 C'est la date.
01:18 N'en dites pas plus.
01:19 C'est con.
01:20 Elle représente quoi cette date ? Et pour vous et pour tout le monde presque ?
01:23 D'une certaine façon, de mon point de vue, une forme de soulagement, un soulagement inquiet
01:34 parce que je fais partie de ceux qui l'attendaient ce confinement.
01:40 Et en même temps, j'étais un peu gêné de me retrouver inscrit dans un discours qui
01:46 montait depuis plusieurs semaines de fermeture des frontières, de se préserver de l'autre,
01:51 etc.
01:52 C'était difficile de se l'admettre que j'appelais moi à ce confinement d'une certaine façon,
01:59 comme le faisaient trois mois avant les éleveurs du Lot et de Dordogne, surtout face à la
02:05 tuberculose bovine qui s'éviscait à ce moment-là, fin 2019.
02:11 Et tout ça m'inscrivait en même temps dans ce schéma, ce regard sur le monde qui est
02:17 celui du monde de l'élevage, de ceux qui élèvent des animaux.
02:20 Moi, je parle de petits élevages pour ceux que je connais, ce n'est pas des élevages
02:23 industriels, mais ce langage-là, confinement, quarantaine, mise en quarantaine, test, enfin
02:29 bon, c'est quelque chose que j'avais déjà entendu.
02:32 Alors, se l'appliquer à nous humains, ça me semblait quand même assez fou, à la limite
02:37 improbable.
02:38 Le 17, en tout cas, je ne pensais pas que tout le monde le respecterait, finalement.
02:44 Ça, c'était quand même une sacrée surprise.
02:46 Enfin, voilà, j'en étais là.
02:48 - Tout le monde se souvient de cette date, de là où il était.
02:52 Et pourtant, on a tendance plutôt à vouloir oublier cette période de crise du Covid,
02:58 d'enfermement, de signer des autorisations pour sortir.
03:03 Toute cette période-là, on a plutôt envie de l'oublier.
03:05 C'est une épreuve pour tout le monde.
03:07 C'est aussi pour ça que vous avez écrit ce roman dont on va parler ?
03:10 - Je l'ai écrit pour qu'on essaie de ne pas oublier cette fois-ci.
03:14 Enfin, je n'ai pas de problème avec la résilience, simplement, il ne faut pas qu'à l'aigle
03:20 de paire avec l'oubli.
03:21 Et d'une certaine façon, les épidémies, on se croyait définitivement affranchis en
03:27 tant qu'humanité.
03:28 Comme si d'une certaine...
03:29 Voilà, on était passé à autre chose ailleurs.
03:31 Une fois l'an 2000 conquis, on était dégagé de toutes ces bassesses.
03:37 En fait, non.
03:38 - Qu'est-ce que ça veut dire ne pas oublier dans ce cas-là ?
03:41 Ne pas oublier la manière dont on a obéi, la manière au contraire dont on a été solidaire ?
03:46 - Ce n'est pas oublier tout ça.
03:50 Et en même temps, ce sont des expériences très différentes.
03:52 Vous parliez de librairie, je circule en ce moment.
03:55 J'étais au Havre-Antillais, je suis demain à Dijon.
03:58 Et des lecteurs, j'en rencontre par chance, il y en a un peu quand même.
04:01 Et c'est toujours très délicat de parler du confinement parce que si j'en parle dans
04:07 un sourire, ça va froisser ceux qui l'ont vécu d'une façon atroce.
04:10 Et pour d'autres, hier soir, dans une petite librairie à Paris, à la Bicyclette Bleue,
04:14 il y a quelqu'un qui s'est mis à parler de son confinement et qui choquait les autres
04:18 presque parce qu'elle parlait d'une forme de grande vacances sublime avec son mari où
04:23 se sont retrouvés à marcher dans les chemins.
04:25 - Ça a marqué aussi une forme d'inégalité pour les gens.
04:29 - Totalement.
04:30 Social.
04:31 Et en même temps, ce clivage qui moi m'intéresse entre Paris et...
04:35 Enfin Paris, non.
04:36 La ville et la campagne.
04:37 Le rural et l'urbain qui est une grande ligne de fracture personnelle mais enfin qui nous
04:43 traverse tous plus ou moins.
04:44 Et là, elle était marquée, marquante, à tel point qu'on voyait dès le 16 mars, des
04:49 gens s'éruver vers les gares avec les valises, la plante verte, les enfants s'ils ne les
04:54 avaient pas oubliés.
04:55 Enfin bon, il y avait comme une forme d'exode là.
04:57 La campagne comme si c'était le territoire de liberté à reconquérir.
05:01 Alors qu'en ville, ça serait l'enfermement.
05:04 - Information coronavirus.
05:06 - L'avion ramenant 200 français de Wuhan, l'épicentre en Chine de l'épidémie de coronavirus,
05:12 a atterri à midi et demi.
05:13 Les passagers ont été transportés vers un centre de vacances à Kari-le-Roué.
05:17 - C'est inadmissible au milieu des 6 villes, avec des cars qui montent les vitres ouvertes,
05:21 qui contaminent tout le monde.
05:22 - La meilleure façon de se protéger, ça n'est certainement pas de se précipiter en
05:26 pharmacie pour acheter des masques.
05:27 C'est même assez fortement déconseillé.
05:29 - Ce virus n'est pas un virus de la grippe, mais on peut s'en protéger exactement de
05:34 la même façon qu'on se protège contre le virus de la grippe, en se lavant les mains.
05:39 - Toussé ou éternué dans votre coude.
05:41 - J'ai donc décidé, jusqu'à nouvel ordre, la fermeture à compter de ce soir minuit,
05:48 de tous les lieux recevant du public, non indispensable à la vie du pays.
05:52 - Utilisez des mouchoirs à usage uni, puis jetez-les.
05:55 - Il y a vraiment une ruée vers tout ce qui est produit non-food on va dire,
05:59 donc papier toilette, mouchoirs.
06:01 Moi je pense que ça vire un peu à la paranoïa.
06:03 La ruée dans les supermarchés, quelle bonne tenue à adopter face au Covid, la fermeture
06:10 des lieux publics, les discours des politiques, notamment Edouard Philippe du Premier ministre,
06:14 et les messages de prévention qui nous ont envahi dans ces quelques semaines qui sont
06:19 le cadre temporel de votre roman Serge Joncourt entre janvier et mars 2020.
06:25 Vous dites de votre roman qu'il serait comme un essai de science-fiction, c'est-à-dire
06:32 que même vous qui écrivez depuis tant d'années, vous n'auriez jamais osé imaginer ce que
06:37 l'on a vécu durant ces mois ?
06:39 - Oui, enfin moi je ne me suis jamais osé à la science-fiction en tant qu'auteur.
06:43 Ça me semble un territoire tout à fait inaccessible pour moi.
06:48 Et finalement, en prenant des notes à partir de janvier 2020, j'avais le sentiment d'écrire
06:53 une science-fiction, sachant que j'avais déjà en tête le fait d'écrire là-dessus.
06:58 Avec cette dimension-là qu'on a, évidemment aujourd'hui on a deux ans et demi de recul,
07:03 mais en mars 2020, on ne savait pas bien jusqu'où ça irait cette histoire.
07:06 Est-ce qu'on ne confinerait qu'un jour, plus qu'un jour, plus qu'un jour, plus six mois ?
07:10 Les Chinois déjà déconfinaient, alors qu'en fait ils ont très vite reconfiné pendant
07:15 deux ans.
07:16 Il y avait une forme d'incertitude qui nous gagnait tous, qui est assez vertigineuse.
07:20 Et de voir, oui pour moi, je pense qu'un auteur de science-fiction, peut-être aurait pu imaginer
07:26 un premier ministre faisant des apparitions solennelles à 20h pour dire de se laver les
07:31 mains et de se moucher dans un mouchoir, ou d'éternuer dans son coude.
07:35 J'ai trouvé ça extraordinaire.
07:38 On revenait aux fondamentaux.
07:39 Le discours politique était vraiment...
07:41 D'une certaine façon, c'était presque rassurant de se dire, on en revient à ça.
07:47 On est un peu réconciliés avec notre statut, notre condition animale.
07:52 Vous dites qu'on a oublié, qu'on a failli oublier, presque volontairement, on oublie
07:58 ces moments qui ont été parfois difficiles pour certains.
08:00 Pourquoi ? Est-ce que vous les réveillez dans votre roman ? Est-ce que vous vous dites que
08:05 les lecteurs ont besoin de revivre cette période ? Puisqu'on suit presque jour après jour
08:12 ces annonces dans votre récit, les prises de parole politiques, on l'a dit.
08:17 Et puis, on est effectivement, et on va en parler dans cette famille Fabrié qu'on retrouve
08:22 avec plaisir.
08:23 Mais est-ce que vous aviez envie de projeter, en tout cas chez vos lecteurs ?
08:28 C'était aussi, d'une façon très personnelle, tenir une forme de journal de bord collectif,
08:37 mais sur le long terme.
08:38 Je veux dire, pas uniquement sur le 15, le 16, le 17, comme certains auteurs se sont
08:42 lancés assez vite dans ce qu'on appelait les cahiers de confinement ou des choses comme
08:46 ça, qui, bon, finalement, en fait, étaient intéressantes dans la mesure où ça permettait
08:50 de voir que chacun vivait cette expérience, pourtant commune, de façon tout à fait différente.
08:58 Et ça, c'est quelque chose qui m'a...
08:59 J'ai toujours été...
09:00 Il y a un fond d'unanimisme en moi.
09:03 J'ai toujours aimé les canicules.
09:05 Pardon de le dire comme ça, brutalement.
09:08 Pourquoi ?
09:09 En tout cas, les coups de chaleur, c'est probablement...
09:11 Ça va être servi dans les années qui viennent.
09:13 Justement, oui, c'est une forme de réminiscence de 1976 où j'étais môme, malgré tout.
09:17 Je m'en souviens très bien de cette forme.
09:19 Dans ma famille et tout autour, pour une fois, on était d'accord sur une chose.
09:23 Il fait chaud.
09:24 Et ça, en France, c'est inestimable d'être d'accord.
09:30 Mais est-ce que vous trouviez que les gens étaient d'accord pendant le confinement ?
09:33 Alors, après, il y a eu plusieurs phases.
09:37 Au début du confinement, finalement, ça n'a pas tant rué que ça dans les brancards.
09:43 Il y avait une dernière manifestation début mars vers Montparnasse, la gare de Montparnasse,
09:48 des Gilets jaunes.
09:49 C'était la queue de comète des Gilets jaunes.
09:50 C'était la réforme des retraites.
09:53 Mais ça, c'était...
09:54 C'était déjà retombé.
09:56 Le dernier coup d'éclat des Gilets jaunes, c'était vraiment marqué.
09:59 Nous, les Gilets jaunes, on restera quoi qu'il se passe.
10:01 Et en fait, ils se sont arrêtés aussi.
10:03 Donc, il y a eu comme une forme de...
10:05 C'est pour ça que je voulais mettre un Gilet jaune dans mon roman.
10:08 Parce que même ce fond révolté-là, il a quand même cédé un peu à la peur.
10:16 Parce que la peur, elle était quand même omniprésente.
10:18 Alors, certainement entretenue et alimentée par tous ces médecins que l'on voyait, mais
10:24 qui eux-mêmes avaient peur.
10:25 Enfin, moi, j'ai parlé il n'y a pas longtemps avec un vétérinaire.
10:27 Alors, les vétérinaires, hélas, on ne les a pas vus à ce moment-là, alors qu'ils
10:30 ont été précieux.
10:31 Parce que les épidémies, ils cherchent ça au quotidien.
10:33 Mais eux-mêmes avaient très peur de ce coronavirus qui ressemblait un peu à la péritonite infectieuse
10:39 du chat, qui est un truc.
10:41 Enfin bon, voilà, à partir du moment où ils l'ont, 90% en meurent.
10:45 Donc, il y avait quand même des signaux un peu inquiétants.
10:49 Puis les Chinois ne disaient pas tout.
10:51 Enfin bon, cette peur-là, il ne faudrait pas l'oublier.
10:53 Donc, l'unanimisme était du côté de la peur, en tout cas pendant quelques semaines.
10:58 Ce qui a été moins le cas, en fait, par la suite.
11:01 Et d'ailleurs, dans votre roman, Serge Jancot, on voit bien toutes les dissensions que ce
11:05 confinement ou que cette épidémie, cette gestion politique du Covid peut générer.
11:09 Oui, en particulier.
11:10 Alors, moi, je me suis attaché à ça parce que c'est un peu mon...
11:15 C'est votre marotte ? Votre dada ?
11:18 Oui, mon dada, si on veut.
11:21 En tout cas, ça ressort d'un vécu personnel.
11:23 C'est cette fracture entre ville et campagne où j'ai jamais finalement complètement
11:27 choisi.
11:28 Je passe de l'un à l'autre et en même temps, je suis à chaque fois dans des univers très
11:32 différents et moi-même, je deviens très différent.
11:34 C'est comme deux logiciels.
11:35 Et là, j'estime que du côté des ruraux, on va dire, il y a peut-être une plus facile
11:43 acceptation dans la mesure où ce vocabulaire-là, comme je le disais, il est déjà acquis.
11:47 La peur de l'épidémie, elle est constante.
11:50 La grippe aviaire nous tourne autour d'année en année.
11:52 Ce n'est pas la seule.
11:54 Alors qu'en tant que citadin, tout ça me semble plus détaché.
11:58 On sait même des faits des idiophones.
12:00 Je ne sais pas en quelle année tout ça.
12:01 Quand j'étais môme, il y avait cette chanson de téléphone, parler dans l'idiophone, etc.
12:07 Ce qui voulait bien dire que ça faisait partie du mobilier commun.
12:12 Et il y a un moment, ça a disparu.
12:13 Peut-être à l'an 2000, je ne sais pas.
12:15 Attendez, pardonnez-moi, je n'ai pas non plus un idiophone.
12:18 C'est quoi ?
12:19 L'idiophone, c'était une vitre qu'il y avait au guichet de la Poste.
12:24 De la SMCF, de façon systématique.
12:27 Du métro, évidemment.
12:29 Je connais l'objet, mais je ne connais pas son nom.
12:32 L'idiophone, donc.
12:33 Il permettait de communiquer à travers cette vitre.
12:35 D'une façon hygiénique.
12:36 En se protégeant des microbes.
12:40 Vous parliez de ce choc entre ceux qui vivent à la campagne et ceux qui vivent en ville.
12:45 C'est ce qui se passe dans cette famille Fabrié qu'on retrouve, qu'on avait donc
12:48 découvert dans votre précédent roman "Nature humaine".
12:51 Et notamment le personnage d'Alexandre.
12:53 Si on suit un peu son histoire, c'est celle-ci.
12:56 Alexandre, c'est le fils de Jean et Angèle.
12:58 Une famille de paysans, d'agriculteurs dans le Lot.
13:01 Et c'est lui qui décide de reprendre la ferme familiale.
13:04 Alors que ses trois sœurs, elles, vont quitter la ruralité pour aller faire leur vie à
13:10 la ville.
13:11 Agathe, Vanessa et Caroline qui partent respectivement à Rodèze, Toulouse et Paris.
13:15 Et là, dans cette fratrie, il y a un gouffre qui se crée.
13:20 Il y a des histoires familiales, mais il y a aussi une incompréhension sur le mode
13:24 de vie.
13:25 Oui, déjà, je l'observe dans toutes les familles, finalement.
13:30 Cette forme de concorde qu'il y a à l'enfance.
13:33 On joue entre frères, sœurs, gamins, cousins, tout ça.
13:36 Et puis, on se met à distance.
13:38 On est en froid, on ne se parle plus, on se fâche.
13:42 Ça, c'est quelque chose qui, moi, m'intéresse.
13:46 J'en rajoute à ça le fossé nature humaine qui, on pourrait dire, le temps précédent,
13:53 parlait de cette queue de comète de l'exode rural.
13:55 C'est-à-dire, les trois sœurs, là, sont un peu les dernières à quitter la ferme
13:58 pour aller en ville, sachant que la ville, c'était quand même le territoire de promesses.
14:03 La ville associée au voyage, en fait, le fait de découvrir le monde, de partir comme
14:07 ça.
14:08 Alors que Jean et Angèle, les parents, sont un peu comme mes grands-parents, d'une certaine
14:11 manière, qui ont fait leur vie dans un périmètre, on pourrait dire, de 15 kilomètres carrés.
14:17 Quel était l'intérêt d'aller à Nevers ou à Caor ou voir la mer ?
14:24 Enfin, ça n'avait pas de sens.
14:26 Et ça, j'en suis...
14:28 Enfin, j'en viens de ça.
14:29 Ce n'est pas très loin pour moi.
14:31 Et je n'arrive pas à comprendre ce gap, ce fossé-là, très rapide, en 20, 30 ans,
14:39 qui nous a propulsés, nous, moi et mes cousins, mes frères, à partir comme ça, ailleurs,
14:46 en ville.
14:47 Et surtout à déconsidérer complètement ce qu'on laissait, c'est-à-dire ce qui restait,
14:53 ce qui restait paysan.
14:54 D'ailleurs, paysan, le terme était presque devenu péjoratif ou inusité.
14:58 Alors, ces personnages, pour en revenir au roman, vous y êtes très attaché.
15:04 Et ça, c'est quelque chose qui m'intéresse, en tout cas, dans votre façon d'écrire.
15:08 Qu'est-ce qu'ils ont, ces personnages de particuliers, pour que vous leur fassiez vivre
15:15 un second roman, une nouvelle épreuve aussi ?
15:17 Alors, il y a eu, évidemment, vous l'avez dit, l'exode rural, la sortie du monde paysan
15:22 dans le premier roman.
15:23 Et là, vous les mettez à rude épreuve en leur faisant vivre ce Covid.
15:28 Qu'est-ce que vous vouliez en faire ressortir ?
15:30 Moi, ce que je voulais, dès le départ, en faire ressortir, c'est les faire partir
15:34 20 ans avant l'an 2000 et les faire revenir 20 ans après.
15:38 Seulement, de fait, j'étais obligé de me lancer dans des hypothèses, une canicule
15:46 qui dure deux mois ou le retour de la peste au travers des rongeurs qui pullulent en ville
15:50 et à Paris en particulier, des choses comme ça.
15:53 Les ramener vers la ferme, vers le terrain originel.
15:57 Et finalement, la réalité m'a volé mon sujet, ou m'a proposé mon sujet, puisque
16:04 je l'ai vu se dérouler devant moi alors que j'avais commencé déjà à l'écrire.
16:08 Donc, à partir de là, je m'en suis tenu à consigner ce réel.
16:11 D'une certaine façon, comme ça me met plus à l'aise avec mon texte dans la nature
16:15 humaine, je reprenais des éléments comme ça, des faits historiques marquants, la
16:19 Tchernobyl, la chute du mur de Berlin, les deux doubles tempêtes d'avant l'an 2000,
16:27 la vache folle, enfin, qui de la même façon, la vache folle et le sida qui ont commencé
16:33 par des peurs très fortes, ça aussi on l'a oublié, c'est dommage.
16:38 Jusqu'à 13h30, les midis de culture, Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
16:48 Vous êtes content de votre vie à Paris ?
16:50 Oui, mais au début, c'est un peu dur quand même.
16:53 Quand il faut chercher des logements et tout le bazar.
16:57 Et puis les voyages et tout.
17:00 Mais par rapport au travail de la terre, est-ce plus ou moins fatigant ?
17:03 C'est bien plus convenable quand même que de passer toute une journée à la chaleur.
17:08 Dans les champs, il n'y a pratiquement pas d'arrêt.
17:11 On peut s'arrêter, mais le travail reste toujours pour le lendemain.
17:14 Mais pour une femme, la vie en ville est plus agréable qu'à la campagne.
17:17 Parce qu'à la campagne, il faut toujours aller dans les champs, même quand il y a
17:20 des gosses, tout ça, il faut laisser le travail dedans, il faut tout laisser.
17:22 Tandis qu'à la ville, ma foi, on s'occupe des gosses, de son travail, et puis on a plus
17:27 de liberté.
17:28 Si les personnes âgées allaient s'y habituer plus facilement, tandis que les jeunes, on
17:34 aime quand même avoir un peu de confort chez soi.
17:36 Alors à la campagne, ce n'était pas possible.
17:38 Au moins, avec ce qu'on fait maintenant, on sait ce qu'on gagne.
17:42 Et puis à la fin du mois, on voit si c'est un peu court, on dit qu'on peut se rattraper
17:46 sur le mois d'après en supprimant quelque chose.
17:48 Oui, qu'il grêle ou qu'il pleuve ou n'importe quoi, l'argent tombe à la fin du mois par
17:53 une main.
17:54 Oui, moi, je n'ai jamais regretté d'être partie.
17:55 Extrait de l'émission « Jeunes témoins de notre temps » de Jean Thévenot en 1964.
18:01 Serge Jeancourt diffusé sur Interjeunesse.
18:03 On y était, dans cet exode rural.
18:06 La vie semblait plus facile à Paris parce qu'il n'y avait pas la terre à travailler.
18:12 C'est aussi ce divorce entre l'homme et la nature que vous vouliez mettre en scène
18:18 dans ces deux romans ?
18:19 Oui, ce divorce insumé, ce divorce presque revendiqué.
18:23 De se détacher de la terre, c'était aussi une façon de s'estimer affranchi de ses
18:30 lois et des lois du vivant, même du monde animal.
18:33 Parce que la terre, ça vaut souvent de paire avec les animaux.
18:36 Soit on les élève, soit à l'époque, ils servaient d'instruments de travail.
18:40 C'est pour ça aussi que les conditions de travail, les agriculteurs, se sont fortement
18:46 améliorés par la mécanisation.
18:48 C'est à ce moment-là, les années 60.
18:49 On y est déjà dans les tracteurs qui, d'ailleurs, ne cessent de se moderniser.
18:53 Mais c'était quand même ce regard-là, à ce moment-là, sur un monde à oublier
18:59 ou un monde perdu.
19:00 Ou de la même façon, Raymond Depardon faisait des films magnifiques, mais c'était toujours
19:07 emprunt d'une forme de nostalgie.
19:09 En tout cas, ça relatait du passé.
19:12 Et jamais on ne considérait dans ces époques-là, la campagne, la paysannerie comme un monde
19:20 d'avenir.
19:21 Alors que là, ça s'est quand même sacrément inversé.
19:24 - Serge Joncourt, vous venez de parler de divorce assumé, revendiqué avec la nature
19:29 dans ces années-là, 60-50, 60-70.
19:32 Vous dites que là, ça a changé dans votre roman Chaleur humaine.
19:36 Le fait de vouloir ramener vos personnages à cause ou grâce au Covid à la campagne,
19:41 est-ce que c'était une manière de leur mettre sous les yeux cette perte, de les culpabiliser
19:48 d'avoir oublié la nature, d'avoir divorcé d'elle de manière aussi légère et inconsciente.
19:55 - Oui, un petit peu.
19:56 - Est-ce que vous vouliez régler des comptes d'une certaine manière avec ceux qui s'étaient
20:00 détournés de la campagne de cette manière-là ?
20:01 - Oui, quand même.
20:02 Même à titre personnel, autour de moi, pas dans mes proches.
20:04 Sans extrapoler plus que ça.
20:08 Après, tous mes proches ne lisent pas, donc je suis assez protégé.
20:11 J'ai cette chance.
20:12 Mais oui, il y a de ça quand même.
20:14 Parce que moi, je n'ai jamais revendiqué le fait de partir à un moment en ville et
20:20 de m'installer en ville comme une forme d'émancipation et de conquête d'une existence plus noble,
20:26 plus forte, plus intense.
20:28 Ce n'est pas le cas.
20:30 Et d'ailleurs, j'avais beaucoup de plaisir à faire revenir mes trois personnages, les
20:34 trois sœurs.
20:35 Qui sont en plus dans des univers citadins un peu différents.
20:39 Paris, Toulouse et Rodez, trois schémas de ville un peu différents.
20:44 Une fois à Rodez, on est quand même moins loin du monde agricole.
20:47 Et ça, c'était une délectation.
20:51 Je pourrais presque dire, même à titre d'observateur de l'actualité, de sentir des choses comme
20:57 ça, remonter des prises de conscience qui revenaient.
20:59 Vous parlez là du non-food, je crois.
21:03 Oui, dans la petite pastille sonore.
21:06 Sur le moment du Covid, où les gens se ruent sur le non-food, donc le papier hygiénique
21:10 par exemple.
21:11 Je n'avais jamais entendu cette expression, mais le non-food, c'est pas mal.
21:15 Mais en même temps, ça dit tout, non-food.
21:17 Parce que ça veut dire, il y a l'alimentaire.
21:19 On ne sait pas d'où ça vient.
21:21 C'est là, de toute façon, c'est toujours présent.
21:24 Et puis, il y a l'essentiel, le PQ.
21:27 Oui, c'était une vraie question.
21:28 D'ailleurs, moi, je n'ai jamais compris pourquoi les gens se ruaient là-dessus, sur
21:31 le papier toilette.
21:33 C'est un mystère que je n'ai pas résolu.
21:35 Alors, je crois que c'est parce que ça renvoie à des moments de la vie les plus
21:41 intimes pour nous tous.
21:43 De ces séquences quotidiennes, bi-quotidiennes, ça dépend du transit.
21:48 En tout cas, on est seul.
21:51 Et à tel point qu'on ne peut même pas demander d'intervenir.
21:56 Ou alors, c'est que vraiment, ça se passe très mal.
21:58 Donc, ça, il faut l'anticiper pour que ce fort-là de solitude, on soit autonome,
22:04 indemne et préservé de demander de l'aide.
22:07 C'est une très bonne explication.
22:09 Vous m'avez convaincu, Serge Jumcondo.
22:10 En tout cas, pour revenir à Chaleur humaine, vous vouliez quand même régler des comptes
22:18 à travers certains personnages.
22:20 Est-ce que vos personnages devaient se rendre compte que la nature, c'était génial ?
22:25 Qu'ils l'avaient abandonné ?
22:27 Qu'est-ce que vous vouliez qu'ils prennent comme type de conscience ?
22:30 De trois choses.
22:31 Que la nature est géniale, je ne sais pas.
22:33 Mais en tout cas, c'est essentiel.
22:34 Ça nous détermine.
22:35 Et d'une certaine façon, il est éleveur.
22:38 Mon personnage, ce n'est pas par hasard.
22:39 C'est parce que c'est aussi une façon de montrer que lui se vit.
22:43 C'est un mammifère en même titre que ses bêtes.
22:46 Et d'une certaine façon, en même titre que cette chauve-souris qui a un moment, je
22:49 ne sais pas où, au Laos, peut-être, à l'ouest de la Chine, contaminé.
22:54 Quelqu'un qui aura contaminé quelqu'un, etc.
22:57 Enfin bon, tout ça, je ne considère pas l'humain comme totalement affranchi et distancié
23:02 du monde animal.
23:03 Et pour le reste, eh bien, c'est justement pour revenir au non-food, c'est le fait de
23:08 se remettre en tête que pour avoir des pâtes, parce qu'il y a eu un problème de pâtes
23:11 aussi, il faut qu'il y ait du blé dur.
23:14 Et le blé, c'est ce qu'on voit quand on prend le train, ce qui pousse dans les champs.
23:18 Et le truc jaune, c'est le colza.
23:20 Ça, on l'avait oublié, je me souviens, dans les années 80, d'un sondage, je ne sais
23:24 plus où.
23:25 On avait demandé à des enfants, en matinée, de dessiner des poissons et il y en a plus
23:28 de la moitié qui avaient dessiné des rectangles.
23:31 - Les bâtons fendus ?
23:32 - Oui, fendus, surgelés.
23:34 Donc là, c'est comme une sorte de rappel à l'ordre.
23:39 Oui, je l'assume, de rappel à l'ordre.
23:42 - Ça, c'est le rôle de votre personnage, Alexandre, quand il veut absolument, et il
23:46 prend un malin plaisir, d'ailleurs, remettre ses sœurs dans le champ pour aller planter
23:50 les patates.
23:51 Il y a cette scène qui est très amusante puisqu'avec un peu de malice, il force les
23:58 parents à dire "oui, mettez-les dans les champs et mettez-leur les mains dans la terre".
24:02 - Oui, ça, c'est parce que je l'ai peut-être aussi un peu vécu au travers de mes défis
24:08 un peu comme ça, excessifs, exagérés, la façon de me mettre…
24:12 - Que vous avez fait subir aux autres ou qu'on vous a fait subir à vous ?
24:14 - Que je fais subir à mes personnages.
24:17 Mais en même temps, c'est assez humoristique.
24:21 Enfin, je veux dire, ce n'est pas violent.
24:22 - Non, je pense pas.
24:23 - Et c'est agrémenté de trois chiots qui sont aussi infermants, qui sont aussi des
24:27 personnages à part entière.
24:29 Mais enfin là, il n'empêche que ses sœurs, d'une certaine façon, se remettent en tête
24:32 d'où elles viennent.
24:33 Et ça, c'est pas mauvais.
24:34 - C'est aussi une façon de ne pas leur parler, à ses sœurs avec qui il est en froid
24:39 aussi de ne pas avoir de conversation, de revenir sur le passé aussi.
24:44 - C'est difficile parce qu'à ce moment-là, on l'a oublié, mais parler était dangereux.
24:50 Enfin, je veux dire, parler à quelqu'un d'autre, on n'avait pas encore eu l'idée
24:54 des masques.
24:55 Enfin, en tout cas, on n'en avait plus.
24:56 - On ne savait pas les mettre aussi.
24:58 - Voilà, donc on ne savait pas bien comment on ne savait pas les mettre.
25:00 Ça a été trop compliqué.
25:02 On n'avait pas la formation.
25:03 Et donc, se retrouver à plusieurs dans cette ferme, ça pose quand même un problème parce
25:08 que là, il était tout seul.
25:10 Enfin, à partir du moment où il arrive, en plus de la ville, il y avait cette suspicion-là
25:14 que moi, après, j'étais à la campagne et c'est vrai que je l'ai ressenti comme ça.
25:17 C'est-à-dire ceux qui viennent de la ville, qu'est-ce qui nous ramène ? Et là, ça
25:21 réveillait des vieilles peurs, des vieux fantasmes.
25:23 Et les plaques de voitures étaient observées d'une façon policière.
25:30 Donc, ils sont obligés de se parler malgré tout.
25:34 Mais il y en a deux qu'il faut préserver, peut-être.
25:36 C'est Angèle et Jean qui sont les parents, qui ont 80 ans.
25:39 Et ceux-là, on pressent bien quand même, qui sont peut-être un peu plus fragiles.
25:43 Donc, on ne mange pas avec eux ou en tout cas, on mange dehors.
25:45 On ne va pas les voir et on prend le temps de les protéger, effectivement.
25:49 - J'ai une question, Serge Encore, sur comment on peut, en fait, à la fois régler des comptes
25:54 ou en tout cas, ouvrir les yeux de ces personnages sans être dans une position morale ?
25:58 - Oui, dans une position morale en tant qu'auteur.
26:03 - Est-ce que vous avez l'impression que parfois, à travers vos personnages, vous allez être
26:07 donneur de leçons sur vous avez mal fait de quitter la campagne ? Vous nous avez laissé
26:12 tomber, vous êtes allé à la ville, vous êtes coupable ?
26:14 - Il y a un peu de ça dans le fait de les avoir laissé tomber pour de vrai.
26:19 - Est-ce que le côté moralisateur ne se sent pas forcément dans votre propos ? Il n'y
26:23 a pas de leçons en tant que telle ?
26:25 - Non, peut-être parce que j'ai atténué mes arrières-pensées et mon propos.
26:29 Et finalement, je me glisse plutôt dans la peau du personnage d'Alexandre, qui est quelqu'un
26:33 de plus noble que moi, plus fort très probablement, plus distancié.
26:37 Et surtout assez mutique, plutôt taiseux, donc pas du genre à donner des leçons aux
26:46 autres.
26:47 Mais par contre, le fait de leur infliger cette séquence de planter des pommes de terre
26:56 dans une terre lourde, qu'elles avaient oublié cette sensation-là.
26:59 - Un peu glaiseuse.
27:00 - Voilà, de marcher dans cette terre-là, de foutre les mains, d'avoir les ongles noirs.
27:04 Oui, c'est un peu moralisateur de ma part.
27:08 - Quand je vois un livre, on me demande ce que je fais.
27:13 Je regarde un livre, j'ai l'impression de gens qui font des grimaces.
27:16 Ils ne vont pas directement dans le sujet.
27:18 Ils tournent autour, ils s'avancent des chaises, ils font des petites grimaces, ils font des
27:23 prologues, mais ils ne vont pas directement au nerf, à l'émotion.
27:27 Ça n'y vont pas du tout.
27:28 Parce qu'ils ne sont pas à la mesure de l'époque, ni dans le temps de l'époque.
27:33 Le roman n'a plus la mission qu'il avait.
27:35 Il n'est plus un organe d'information du temps de Balzac.
27:40 On apprenait la vie d'un médecin de campagne dans Balzac, du temps de Flaubert, la vie
27:45 d'un adultère dans Bovary, etc.
27:47 Maintenant, nous sommes renseignés sur tous ces chapitres, énormément renseignés, et
27:53 par la presse, et par les tribunaux, et par la télévision, et par les enquêtes médico-sociales.
27:57 Oh, il y a des histoires.
27:59 Il y en a, il y en a, il y en a.
28:01 Avec les documents des photographies, oh mais il n'y a plus besoin de tout ça.
28:04 Je crois que le rôle documentaire, et même psychologique, du roman est terminé.
28:10 Voilà mon impression.
28:11 Vous l'avez reconnu, Serge Jancot ?
28:13 Oui, bien sûr.
28:14 Louis Ferdinand Selye.
28:15 Louis Ferdinand Selye.
28:16 Mais en fait, il y a comme un anachronisme, parce que ce qu'il ne pouvait pas savoir
28:21 à l'époque, c'est que cette documentation-là sur l'époque, sur le réel, elle devient
28:28 tellement abondante qu'on ne sait plus faire le tri.
28:32 C'est affolant et en même temps, c'est exaltant.
28:37 Mais faites une recherche sur le 17 mars 2020, vous allez tomber sur une somme de podcasts,
28:43 d'informations, de journaux, même de journaux de télé de 20 heures qu'on peut consulter
28:47 en entier.
28:48 C'est juste pas possible de s'en sortir là-dedans.
28:51 C'est un maquis indéchiffrable.
28:53 Donc il faut des romanciers à certains moments pour rassembler les choses.
28:57 Oui, c'est une mine d'or pour vous, pour un écrivain d'aller pouvoir se plonger dans
29:02 l'information presque infinie.
29:03 Oui, c'est-à-dire que ça se superpose à mes souvenirs personnels et aux notes que
29:06 j'avais pu prendre de façon individuelle, comme ça, comme une sorte de journal.
29:11 Et d'une certaine façon, valider, certifier que oui, effectivement, Édouard Philippe
29:17 est bien apparu avec Jérôme Salomon tel jour, en majesté, mais en même temps avec
29:23 des costumes noirs.
29:24 Jérôme Salomon était toujours en noir, une sorte de croque-mort qui se voulait rassurant
29:29 quand même et qui décryptait au jour le jour.
29:31 Et ça, le simple fait de revisionner une de ces séquences-là, du nombre de contaminations
29:36 quotidiennes et de ce schéma de la courbe qu'il fallait aplatir.
29:40 Tout ça, j'ai peur qu'on l'oublie.
29:44 Pourquoi j'ai peur qu'on l'oublie ? Peut-être pour une forme de précaution dans la mesure
29:48 où ça se repasse un jour.
29:49 Mais ça fait partie de notre histoire commune.
29:52 Ce n'est pas souvent qu'une émotion collective, pour le coup, concerne effectivement nous
29:57 tous, Français, mais en même temps Européens et Américains du Sud, Chinois, Américains
30:04 du Nord.
30:05 C'est quand même une expérience totalement nouvelle pour l'humanité.
30:08 - Si on revient sur ce que disait Louis-Ferdinand Sénin à propos des écrivains, des romanciers,
30:12 ça veut dire qu'aujourd'hui, ils n'ont pas été remplacés et qu'ils ont toujours
30:16 une utilité.
30:17 - Bien sûr.
30:18 C'est d'ailleurs pour ça qu'on continue à voir des livres, des livres physiques dans
30:23 les librairies, qui plus à physique, c'est-à-dire en papier.
30:27 Il y a une forme d'abondance de production littéraire dont certains se plaignent et
30:33 dont je me réjouis moins.
30:34 - Mais qu'est-ce qu'on attend du romancier aujourd'hui, selon vous ?
30:37 - Justement qu'il rassemble.
30:40 Après, ça dépend de chacun de sa focalisation.
30:47 Moi, tout ce que j'ai pu lire depuis quelques années sur l'inceste, évidemment, je ne
30:52 l'avais pas entendu avant.
30:53 On ne m'en avait pas parlé.
30:55 Ou alors, vaguement, on m'évoquait des choses, mais sans vouloir me le dire.
30:58 Mais si des romancières en particulier ne l'avaient pas fait depuis dix ans, là, j'en
31:04 ne saurais pas plus.
31:05 Ce n'est pas possible.
31:06 C'est lamentable.
31:07 Je suis ailleurs, je suis sur une sorte d'ambition de vouloir nous rassembler tous dans une expérience
31:14 commune et embrasser ce passage au nouveau millénaire.
31:19 C'est cette période-là qui m'intéresse.
31:21 Je la pressons un peu fondatrice.
31:24 C'est cette désillusion du nouveau millénaire qui nous amène vers nos vieilles peurs.
31:29 - L'écrivain, pour vous, Sergeoncourt, doit à la fois condenser, mais aussi trier.
31:35 C'est-à-dire sélectionner des choses qui sont marquantes et qui peuvent être noyées
31:40 dans le flot d'informations qu'on a.
31:43 - Oui, c'est pour ça que je tenais à avoir des personnages un peu différents, qu'ils
31:47 soient dans des écosystèmes, on va dire, différents.
31:50 - Soit comme une capture des positions actuelles.
31:55 - Disons que ça me permet des coups de projecteur au travers de Vanessa sur une Parisienne un
32:01 peu modeuse, qui travaille dans Internet, par rapport à son frère qui lui est resté
32:06 dans le même mode de vie que ses arrières-grands-parents.
32:09 Et puis jeter un regard sur la prof.
32:12 Je voulais effectivement un peu parler de son métier de prof, mais qui a été quand
32:14 même sacrément mise à l'épreuve à partir du confinement.
32:17 Ça, je ne l'avais pas décidé avant.
32:20 De même pour l'établissement, pour le restaurateur, l'ex-Gilets jaunes, qui a un restaurant et
32:27 qui s'est trouvé lui dans une situation complètement...
32:30 Enfin, ce qu'ont vécu les restaurateurs, c'est complètement fou de rester dans leur
32:33 outil de travail sans pouvoir s'en servir.
32:35 Bon, ben ça, peut-être que j'aurais pu me concentrer sur l'un.
32:40 Oui, j'aurais pu faire ça.
32:42 Mais voilà, c'est ce que disait Céline, peut-être.
32:44 Le fait d'avoir lu Balzac me permet, Zola d'ailleurs, d'élargir comme ça.
32:50 - Et de vouloir documenter d'une certaine manière.
32:51 - De vouloir avoir cette prétention de pouvoir embrasser tout ça.
32:54 C'est un peu prétentieux, de mon point de vue.
32:57 - Vous êtes un peu prétentieux de ça ?
32:59 - Ah oui, c'est vachement prétentieux de dire "écoutez, je vais essayer de rassembler
33:02 toute cette somme d'informations et de vécu sur la 2020, aussi bien pour moi, pour vous,
33:08 que pour la planète entière".
33:10 - Est-ce que l'histoire de cette famille Fabrier s'arrête à la publication de ce deuxième
33:15 volet "Chaleur humaine" ou est-ce que parce que dans ces personnages, il y a encore des
33:19 choses que vous voudriez faire évoluer, vous allez peut-être être tenté de les faire
33:23 vivre encore ?
33:24 - Je suis tenté.
33:28 J'ai commencé à écrire ça sous la forme de prémonition de la catastrophe.
33:32 Et donc, en fait, j'ai plus envie d'y penser parce que je le faisais presque d'une posture
33:38 un peu provocatrice au départ, quand j'ai commencé à écrire "Nature humaine".
33:42 Et au fur et à mesure que les années passent, j'ai le sentiment que ça met en place des
33:47 tas de dispositifs qui, possiblement, peuvent nous échapper.
33:50 Donc, si je me plongeais dans le troisième tome, ce ne serait pas référent pour nous,
33:55 mais en même temps, ce serait peut-être le repos moi.
33:57 - Vous êtes souvent en voyage, en vadrouille, si on peut dire.
34:02 Vous vivez entre Paris, le Lot.
34:06 Parfois, vous allez aussi dans la Nièvre.
34:08 On voit sur votre compte Instagram que vous êtes souvent dans un train.
34:11 C'est votre façon à vous de vous immerger dans le monde, de regarder comment vivent
34:18 nos concitoyens, ceux qui vivent à côté de nous, parfois ?
34:21 - Oui, parce que c'est assez facile.
34:24 Le simple fait d'être dans une gare, on est déjà dénaturé.
34:27 En tout cas pour moi, délesté de moi-même, finalement.
34:32 À me projeter vers un ailleurs pas trop loin.
34:35 Moi, je ne suis pas amateur d'écran voyage.
34:37 J'aime bien me dépayser à trois heures de TGV ou cinq heures d'intercités.
34:42 - Ça revient à la mode, ça aussi.
34:45 De ne pas prendre l'avion, de ne pas aller à l'autre bout du monde.
34:47 - Ça faisait partie des projets du monde d'après.
34:51 Le monde d'après, qu'on a aussi oublié.
34:54 Mais ne plus prendre l'avion.
34:56 J'ai vu les nouvelles statistiques, les carnets de commande d'Airbus.
35:00 Ça va très bien.
35:01 Sur les projections, je crois qu'on n'est pas prêt de s'arrêter de prendre l'avion.
35:06 Mais le train, déjà, ça me permet d'appréhender jusqu'à l'Europe, on va dire, au sens
35:11 plus large, ce qui est déjà un territoire de jeux et d'observations, je considère
35:15 infinie, mais ne serait-ce que le territoire français qui est quand même...
35:18 J'ai aussi, en tant que romancier, je me sens...
35:21 Le fait que je sois sur ce territoire-là, la France, ça ne me semble pas anodin parce
35:27 qu'il y a une multiplicité de terroirs et donc de cultures, de formes de toits, de
35:33 visions du monde.
35:34 Entre la Bretagne, le Var, l'Alsace et l'Aubrac, vous avez cinq climats différents, des terroirs
35:46 différents, des cultures, des parlais, des accents différents.
35:51 Ça, c'est infini.
35:52 La France, c'est infini.
35:53 - Et c'est ce décor qu'on retrouve dans de nombreux de vos romans et notamment ce dernier
35:58 qui vient de paraître aux éditions Alba Michel qui s'appelle "Chaleur humaine".
36:02 Serge Ancourt, avant de partir, vous devez faire un devoir, un choix musical.
36:06 Vous avez le choix entre la campagne ou la ville.
36:09 - Un choix musical ? La campagne, alors là, je suis curieux.
36:13 * Extrait de "La campagne" de Serge Ancourt *
36:29 - Bois-tu, je suis là de Paris Sortir ainsi toutes les nuits
36:36 Courir l'été, le soir aller danser Est-ce une vie cela en vérité ?
36:44 Lorsque le jazz nous fait refrain Souvent je rêve, tu sais bien
36:53 Je n'ai qu'un seul espoir Si tu veux le savoir
36:59 Mon rêve c'est d'avoir Une maison à la campagne
37:10 Dans un petit coin bien caché Bien entendu tu m'accompagnes
37:19 Pour m'hiberser et pour m'aimer Dans le midi ou en Bretagne
37:28 Il suffirait pour mon bonheur Dans un petit coin de campagne
37:39 Une chaumière avec ton coeur
37:47 * Extrait de "La campagne" de Serge Ancourt *

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