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[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare] En septembre 1913 dans le département de la Loire, Marcel Redureau, un adolescent de 15 ans, travaille à l’occasion des vendanges dans la ferme de Jean-Marie Mabit, un viticulteur de 39 ans. Ce jeune homme blond aux yeux bleus est un adolescent sans problème. Il travaille bien à l’école, il a une bonne conduite et on dit même de lui qu’il est peureux. Pourtant ce jour-là, Marcel Redureau va commettre sept crimes atroces. Alors qu’il travaille au pressoir avec Jean-Marie Mabit, celui-ci lui fait certaines remarques qui ne plaisent pas au jeune garçon. En colère contre les commentaires du propriétaire des lieux, Marcel se munit alors d’un couteau à raisin et égorge le père de famille. Des cris surgissent alors dans le bâtiment voisin, où loge la famille de Jean-Marie Mabit. Pour les faire taire, Marcel Redureau entre dans la maison et tue avec son arme la femme de Jean-Marie Redureau alors enceinte de sept mois, Marie Dugast la femme de chambre, la grand-mère et les trois enfants des Mabit. Quelles sont les raisons de ces crimes sordides ? À son arrestation, les services de police sont dans l’incompréhension. Comment expliquer un acte d’une telle barbarie ? Le jeune garçon souffre-t-il de démence ? Pierre Bellemare raconte “l’affaire Marcel Redureau” dans cet épisode du podcast “Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare”, issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
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00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives
00:09 d'Europe 1.
00:10 L'affaire célèbre que Jacques-Antoine évoque aujourd'hui devrait intéresser particulièrement
00:14 les parents de garçons qui vont entrer ou qui sont entrés dans l'adolescence.
00:18 Attention, loin de nous l'idée de leur présenter leurs enfants comme des monstres
00:23 en puissance, de jeunes animaux susceptibles de devenir dangereux d'une minute à l'autre.
00:29 Mais simplement, nous voulons montrer combien l'équilibre psychologique des adolescents
00:34 est fragile.
00:35 Voici donc l'affaire Reduro.
00:39 L'affaire se déroule à Landraux, commune de la Loire Inférieure, le 30 septembre
01:05 1913, à la ferme de Jean-Marie Mabie, un viticulteur de 39 ans.
01:13 Il est 10 heures du soir.
01:14 C'est la fin des vendanges.
01:17 Dans le cellier, distant de l'habitation principale d'une trentaine de mètres, travaille
01:23 depuis une heure et demie Jean-Marie Mabie, le patron, et un jeune domestique de 15 ans,
01:29 Marcel Reduro.
01:31 Un journal de l'époque, Le Temps, écrira à propos de Marcel Reduro, qui va être le
01:36 triste héros de cette affaire fantastique.
01:38 "Ce gamin est presque un enfant dont le développement physique ne serait pas complet.
01:43 Assis derrière une table, on ne le verrait pas, et debout, il est haut comme une botte."
01:49 Alors nous avons sous les yeux l'affiche anthropométrique de Marcel Reduro et l'affirmation
01:54 de ce journal nous paraît totalement dénuée de fondement, puisqu'il mesure 1,58 m, ce
01:59 qui en 1913 dépasse la moyenne des garçons de 16 ans, et il n'a encore que 15 ans et
02:05 4 mois.
02:06 Le même journal écrira aussi "La tête est grosse, avec des cheveux blonds dont les
02:11 mèches tombent sur un front bas et bombé, le profil avec un nez droit sur une bouche
02:17 largement fendue et fuyant."
02:19 A notre avis, pas un de ces détails ne répond à la réalité.
02:23 Le front n'est ni bas ni particulièrement bombé, et encore moins fuyant.
02:27 Au contraire, la tête et la face nous paraissent d'une conformation très régulière, et
02:31 si l'expression du visage est un peu inquiétante de face, cela tient tout simplement au fait
02:37 que Marcel Reduro, aveuglé par la lumière nécessaire à la prise de la photo, a froncé
02:41 les sourcils.
02:42 N'oublions pas que nous sommes en 1913, et on ne lésinait pas sur la lumière pour
02:48 faire des photos d'intérieur.
02:49 Enfin, nous ne voyons pas où le journal Le Temps a vu des oreilles énormes.
02:54 Elles ont, d'après l'affiche anthropométrique, une hauteur de 6,8 cm.
02:59 Elles sont absolument symétriques, bien proportionnées, bien ourlées, et ne se détachent pas du
03:04 crâne.
03:05 Bref, et c'est important de le signaler, ce garçon est physiquement tout à fait anodin.
03:11 Et c'est finalement le journal, le phare de la Loire, qui se rapproche le plus de la
03:16 vérité quand il en fera le portrait suivant.
03:18 Blond, très blond même, avec des yeux bleus, il est plutôt gentil garçon.
03:23 Il est loin d'avoir la face de brut qu'on s'accorde d'ordinaire à attribuer aux assassins.
03:27 Et pourtant, chers amis, ce jeune blondiné de 15 ans, aux yeux bleus, qui à 10 heures
03:34 du soir travaille dans le celli avec son patron, le cultivateur Jean-Marie Mabie, va dans quelques
03:39 instants tuer… cette personne.
03:42 Pas une de plus, mais pas une de moins.
03:45 Devant l'énormité du crime que ce garçon va commettre, nous nous devons de vous donner
03:53 encore quelques précisions.
03:54 D'autant que ce sont ces précisions justement qui rendent cette affaire réellement extraordinaire.
04:00 Et vous devez les écouter pour mieux comprendre et bien juger.
04:02 Il n'y a eu chez les parents de Marcel Redureau, ni chez leurs ancêtres, ni chez les collatéraux
04:09 des deux branches, aucune affection épileptique, vésanique ou convulsive, pas d'originaux,
04:16 pas d'individus bizarres ou d'alcooliques.
04:18 Le père et la mère sont bien pourtant de constitution robuste.
04:22 Ils n'ont subi aucune maladie grave ayant intéressé leur constitution physique ou
04:26 leur fonction cérébrale.
04:27 Ils ont eu 11 enfants, dont 10 sont vivants, 6 garçons, 4 filles.
04:32 L'aîné, une fille à 21 ans, et la plus jeune, 20 mois.
04:35 Le troisième, un garçon, est mort 4 jours après sa naissance.
04:38 L'inculpé est le cinquième dans l'ordre des naissances.
04:42 Les grossesses et les accouchements de la mère ont été normaux.
04:46 Aucun des enfants n'a eu de maladie grave, soit générale, soit intéressant le système
04:50 nerveux ou les fonctions cérébrales.
04:52 Ils sont tous robustes et n'ont jamais donné d'inquiétude relativement à leur santé.
04:56 À part quelques petites indispositions de l'enfance, Marcel Redureau n'a connu d'autres
05:01 maladies qu'une crise rhumatismale l'année dernière, à la même époque, alors qu'il
05:06 était en service chez son oncle.
05:07 Il fut pris de fièvres ou de douleurs dans les articulations, principalement les genoux,
05:12 qui pourtant n'en flairent point.
05:13 Il ne fut que 8 jours malade et se remit au travail 15 jours après le début de la maladie.
05:19 Les parents reconnaîtront qu'il est un peu nerveux, vif, espiègle, mais sans méchanceté.
05:26 Il est peureux dans le sens général du mot, le soir il redoute l'obscurité, il ne sait
05:32 pas s'il serait capable d'aller la nuit faire une commission loin de son domicile.
05:36 Si on lui en donnait l'ordre, il ne voudrait pas y aller.
05:40 La nuit crée en lui une impression vague, indéfinie, qui n'a rien de systématique.
05:45 Bref, ce n'est pas une phobie.
05:47 Il ne croit pas aux revenants, il n'aurait pas peur de passer près d'un cimetière,
05:50 il ne craint pas les sorciers, n'en connaît pas dans son pays.
05:53 Dans un mot, il est peureux, purement et simplement, d'une façon peut-être excessive pour un
05:57 garçon de son âge, mais si c'est là un indice de nervosité, ce n'est pas un signe
06:02 de dérèglement pathologique.
06:04 L'instituteur, bien placé pour apprécier le caractère d'un enfant qu'il a pu suivre
06:11 pendant 5 ou 6 années, estime que Marcel Reduro est d'une intelligence un peu au-dessus
06:15 de la moyenne, bon élève, rarement puni.
06:18 Pendant qu'il fréquentait l'école, il n'a donné lieu à aucune plainte, il avait
06:22 assez bon caractère, une bonne conduite et n'a donné lieu à aucune remarque défavorable
06:27 au point de vue de la probité et de la moralité.
06:29 Il a quitté l'école après avoir reçu son certificat d'études primaires.
06:33 En dehors de l'instituteur, personne n'a jamais eu à se plaindre de lui sous aucun
06:37 rapport, pas plus ses patrons que ses camarades ou les gens du pays.
06:41 Il n'a jamais manifesté de mauvais instincts, il n'est pas batailleur, ne s'est jamais
06:45 montré cruel envers les animaux.
06:46 D'une façon générale, tout le monde partage l'avis de l'instituteur avec cependant
06:50 une nuance légère, son oncle, qu'il a eu chez lui de 11 à 14 ans, n'a jamais eu
06:55 à s'en plaindre, mais le juge peu causant et avec un caractère sournois.
07:00 Un voisin qu'il a très bien connu estime qu'il a une bonne conduite, que c'est un
07:05 bon travailleur, mais qu'il a le caractère très renfermé et que souvent, quand on lui
07:09 adresse la parole, il ne répond pas.
07:10 Un autre fermier qu'il a eu à son service l'estimait très intelligent, mais lui trouve
07:16 un caractère sournois, très indépendant.
07:18 Donc beaucoup de gens, parmi ceux qui le connaissent, tout en ayant une opinion très
07:24 favorable sur ses tendances et sa moralité, l'estiment sournois et rancunier, ce que
07:28 encore une fois, ni l'instituteur, ni ses propres parents n'ont jamais remarqué.
07:33 Et pourtant, ce gentil blondinet de 15 ans va dans quelques minutes commettre un crime
07:42 inimaginable.
07:43 Ses fréquentations, ou tout ce qu'il y a de plus normal.
07:48 Lorsqu'il a du temps de libre, il rejoint des enfants de son âge, joue avec eux à
07:52 des jeux de leur âge.
07:53 Le dimanche, il joue aux cartes, mais les gains ou les pertes ne dépassent pas dix
07:57 sous.
07:58 Il ne va pas aux camarades.
07:59 Il ne s'est jamais enivré.
08:00 Il n'a encore jamais fréquenté les filles, n'a jamais eu de rapport sexuel.
08:05 Il est camarade avec Marie Dugas, une jeune domestique de 16 ans qui travaille comme lui
08:10 à la ferme, mais il n'éprouve pour elle aucun sentiment particulier et ne l'a jamais
08:14 courtisé.
08:15 Ses lectures ? Oh, mon Dieu ! Rien qu'ils retiennent l'attention, elles se bornent
08:20 à un journal régional et à l'almana.
08:22 Il faut dire que nous sommes en 1913 et les périodiques sont infiniment moins nombreux
08:27 et probablement plus inoffensifs qu'aujourd'hui.
08:29 Il n'a jamais lu de ces romans populaires dont la matière favorite se compose déjà
08:34 en 1913 d'histoires de crimes et d'assassinats.
08:36 Alors comment, comment ce jeune blondinet de 15 ans va-t-il être amené à commettre
08:43 un crime pareil ?
08:44 Bien entendu, nous avons recherché, comme tout le monde le fit à l'époque, dans
08:50 quelles conditions physiques se trouvait Marcel Reduro ce 30 septembre à 10 heures.
08:54 N'était-il pas surmené, fatigué, en état de moindre résistance organique et nerveuse
09:01 ? Après tout, le travail des vendanges est assez rude et il commençait à la ferme à
09:04 5 heures du matin pour ne finir qu'à 10 heures du soir sans autre repos que les moments
09:08 consacrés au repas.
09:09 Mais il résulte des enquêtes que les vendanges ont été faites en plusieurs périodes séparées
09:14 par des intervalles de repos de trois jours.
09:16 Aujourd'hui, elles ont duré toute la journée mais avant-hier c'était dimanche.
09:20 Il y a eu repos et hier les vendanges n'ont duré qu'une partie de la journée.
09:23 De la vie unanime, ces vendanges n'ont pas été particulièrement fatigantes et ce travail,
09:28 bien que pénible pour un adolescent de 15 ans, ne s'est pas déroulé dans des conditions
09:32 qui puissent produire un surmenage physique ou un véritable épuisement nerveux.
09:36 Soit ! Mais alors comment expliquer ce qui va se produire, là, dans ce cellier, dans
09:42 quelques secondes ? Ah, et la vapeur du vin dans les pressoirs, est-ce qu'elle n'exercerait
09:49 pas une action troublante ? Aucun médecin n'a observé d'excitation cérébrale pouvant
09:55 être attribuée au dégagement des vapeurs du vin.
09:58 En version antérieure, ce sont beaucoup plus des gaz stupéfiants que des vapeurs excitantes
10:03 qui se dégagent du mou en fermentation.
10:05 Ce sont surtout des gaz carboniques qui produiraient plutôt une asphyxie qu'une ivresse furieuse.
10:12 De plus, en ce qui concerne le jeune homme depuis le début des vendanges, il passe la
10:17 plus grande partie de ses journées au grand air dans les vignes et son travail aux pressoirs
10:20 ne l'occupe que quelques heures par jour.
10:22 D'ailleurs, maintenant qu'il va commettre son crime.
10:26 Il n'est dans le cellier que depuis à peine une heure et demie et il ne se sent ni troublé,
10:32 ni excité, ni ivre.
10:33 Pourtant, vous pensez sans doute comme nous, mais il lui faut bien une heure raison.
10:41 En fait, une dernière remarque.
10:44 Quels sont ses sentiments vis-à-vis de son patron, de la famille de celui-ci et des autres
10:49 personnes de la ferme ? Eh bien, il semble qu'il n'ait jamais eu à se plaindre d'eux
10:55 et qu'il ne nourrit ni rancune ni haine.
10:57 Mais alors ce n'est pas possible, il a bu.
11:00 Tout le monde sait que pendant les vendanges, on boit beaucoup.
11:03 N'a-t-il pas fait quelques excès inusités ? Non.
11:06 Non, non, non, paraît-il.
11:08 Non, non, non, non, non.
11:10 Il n'a pris du vin qu'au sort réglementaire des repas et en quantité normale.
11:14 Deux verres de vin rouge à chaque fois.
11:15 Et si l'on considère l'énorme travail qu'il a fourni après chaque repas, c'est
11:19 un fait que la dose peut paraître relativement faible.
11:21 En tout cas, c'est ce que pensent tous les gens qui ont travaillé avec lui ce jour-là.
11:24 Tout de même, avant le souper, il a bu avec son patron qui est actuellement au pied de
11:29 la cuve, prêt à faire tourner la barre du pressoir.
11:32 Deux coups de vin blanc bouché.
11:33 La bouteille est encore là sur un banc à laquelle il ne manque qu'un tiers du contenu.
11:37 Mais encore une fois, si on y réfléchit, tout ceci est absolument normal.
11:42 Compte tenu du rude travail qu'ils doivent accomplir, ce sont des paysans et nous sommes
11:47 en 1913.
11:48 D'ailleurs, Marcel Reduro se sent parfaitement normal.
11:52 Alors, un seul détail qui nous frappe dans le compte-rendu de l'affaire, chers amis.
12:00 Depuis les vendanges, le patron, Jean-Marie Mabie, parle fort et quelquefois son langage
12:07 devient particulièrement rude et il lui arrive de lancer aux gosses des remarques plus ou
12:12 moins injurieuses.
12:13 Au moment où Marcel Reduro est monté sur la plateforme du pressoir pour réparer la
12:18 vis, le patron veut le rudoyer à nouveau.
12:21 Comme Marcel ne parvient pas à exécuter assez vite le travail qu'il lui a demandé,
12:27 le patron d'en bas lui crie qu'il est un maladroit, un feignant et que depuis huit
12:32 jours il travaille comme un cochon.
12:34 Alors l'incroyable se produit.
12:39 Marcel Reduro, d'un bond, descend du pressoir, atterrit derrière son patron, s'armant d'un
12:44 pilon qui est à sa portée, une pièce de bois qui ressemble très exactement au massue
12:48 dont sont munis les statues des héros antiques, il frappe plusieurs coups sur la tête de
12:53 l'homme qui lâche la barre et tombe sur le sol.
12:56 Une extraordinaire tuerie vient de commencer.
13:01 Jean-Marie Maby, malgré ses 39 ans et sa robuste constitution, n'a pas esquissé un
13:15 seul geste de défense.
13:16 Ayant reçu par derrière, sur le crâne, les coups de pilon que lui porte Marcel Reduro,
13:21 il lâche la barre du pressoir, tombe à genoux sur le sol, bascule en arrière, les bras
13:26 étendus en croix.
13:27 Marcel Reduro, le blondiné de 15 ans aux yeux bleus, regarde un instant l'homme à
13:33 ses pieds, le cuir chevelu de sa victime a éclaté et saigne abondamment, toutefois
13:37 il n'y a pas eu fracture du crâne et l'homme gémit.
13:41 Alors Marcel Reduro saisit l'arme, l'arme qui va être l'un des éléments déterminants,
13:48 j'ose dire le criminel essentiel dans cette affaire.
13:51 Il s'agit d'un outil, un outil étrange, je ne sais pas s'il est encore utilisé
13:56 nos jours.
13:57 Rien de ce qui va suivre ne serait peut-être arrivé si Marcel Reduro n'avait eu sous
14:03 la main à ce moment-là une arme aussi effroyable.
14:07 C'est un couteau à pressoir ou couteau à vendanjou, ce que les viticulteurs de la
14:16 région appellent à l'époque un couteau à raisin.
14:19 Cet outil, proprement terrifiant, est à la fois une serpe, une hache, une francisque
14:28 et une faux.
14:29 Imaginez, fixée le long d'un manche en bois, une lame très longue, très large et
14:35 surtout très aiguisée.
14:36 Elle a une longueur de 65 cm, une largeur de 13, elle pèse 2,5 kg.
14:42 La lame déborde de l'extrémité du manche sur près de 20 cm et là se recourbe comme
14:47 une serpe.
14:48 C'est vraiment un formidable instrument de mort, même dans une main débile.
14:54 Donc Marcel Reduro, voyant son patron gémir à ses pieds, saisit le couteau à raisin
15:03 et lui emporte un coup à la gorge.
15:04 Il tranche d'un seul geste le larynx, l'esophage, les artères et les veines.
15:12 Tout est sectionné.
15:13 L'arme entame même la quatrième vertèbre cervicale et la tête ne tient plus au tronc
15:20 que par la peau du cou.
15:21 Oui, je vous prie chers amis d'excuser cette description mais elle est nécessaire puisque
15:26 c'est la base même de l'affaire Reduro.
15:30 Ce premier crime accompli, Marcel Reduro qui prétendra ne plus savoir très bien ce qu'il
15:36 fait, ce que nous sommes d'ailleurs tout à fait décidés à croire, saisit une lanterne
15:41 et sort du cellier pour commencer une randonnée tragique.
15:44 Il parcourt trente mètres dans la nuit pour gagner la maison d'habitation où il s'attend
15:50 à trouver tout le monde endormi.
15:51 Mais en arrivant à la cuisine qui est une pièce très vaste, il voit Mme Mabit rentant
15:57 enceinte de plus de huit mois et la jeune domestique assise autour d'une grande table
16:01 ronde se livrait à des travaux de couture éclairés par une bougie.
16:04 Une seconde, Marcel Reduro a l'intention de fuir mais la patronne qui l'a entendu
16:11 ouvrir la porte lui demande où est son mari.
16:13 Alors Marcel Reduro perd la tête.
16:17 La patronne va aller dans le cellier et trouver le cadavre de son mari.
16:20 Alors il ne répond rien.
16:23 Incapable d'articuler un son, il retourne au cellier et en revient avec le terrifiant
16:32 couteau à raisin.
16:33 Lorsqu'il entre dans la cuisine, les femmes n'ont pas le temps de se défendre.
16:38 Elles ne peuvent que crier lorsqu'il les frappe et elles tombent.
16:41 C'est le moins de désordre à l'endroit même où elles ont été frappées.
16:46 Alors je vous épargnerai les détails horribles mais je me dois d'en signaler un seul.
16:53 La fermière est étendue sur le dos, la tête près du foyer, les bras le long du corps,
17:00 les jambes un peu écartées, les jupons sont abaissés et pourtant Marcel Reduro les a
17:06 levés un instant, le temps de frapper la malheureuse qui est enceinte presque à terme
17:12 d'un seul coup de son arme entre les deux jambes.
17:15 Il sera incapable d'expliquer cette stupéfiante blessure.
17:20 Au pied de la fermière est étendue le corps de la jeune servante Marie Dugas.
17:28 Elle n'est blessée qu'à la tête et au cou mais les blessures sont tellement nombreuses
17:31 et horribles qu'on ne peut les décrire, aucun désordre dans ses vêtements.
17:35 La bougie s'est renversée, éteinte sur la table, les deux cadavres ont encore aux
17:40 doigts leur dé à coudre, ils sont au milieu d'une mare de sang qui s'étend à un mètre
17:44 autour.
17:45 Dans la cuisine, dans un petit lit, se trouve un petit garçon, le petit Pierre, il dort.
17:50 Il ne s'est pas réveillé.
17:52 Marcel Reduro n'y touche pas mais des chambres voisines s'élèvent des cris.
17:58 Alors toujours sa lanterne à la main, Reduro traverse le couloir et entre dans la pièce
18:03 où est couchée la grand-mère, la veuve Mabie qui a 79 ans.
18:06 La vieille, un chapelet à la main, s'apprête à se lever.
18:09 Il la frappe à la gorge, elle ne dit rien, elle n'a pas le temps.
18:13 Marcel Reduro passe ensuite dans l'autre chambre où les deux fillettes, Marie, 8 ans, Henriette,
18:18 7 ans, qui sont couchées l'une sur le côté droit, l'autre sur le côté gauche, dans
18:22 le même lit, face à face, poussent des cris d'effroi.
18:24 Il leur porte des coups de l'horrible couteau à raisin, toujours dirigés sur le cou.
18:31 Ne nous étendons pas sur les blessures, bien que du fait de l'étrange conformation de
18:36 larmes qui les provoque, elles présentent plusieurs étonnantes caractéristiques.
18:41 Comme Joseph, le petit enfant de deux ans qui dort dans la même chambre, se réveille,
18:47 Marcel Reduro le tue également.
18:48 C'est à ce moment seulement, hélas, que le manche du couteau à raisin se casse.
18:55 Sans son manche, il devient un outil totalement inoffensif.
19:00 Mais il est trop tard.
19:02 Quand Marcel Reduro sort de la maison pour aller reporter les débris de l'outil dans
19:08 le cellier près du pressoir, dans un souci d'ordre saugrenu qui prouve bien son état
19:13 d'égarement, il ne reste dans la ferme qu'un seul être vivant, le petit Pierre qui dort
19:20 toujours dans la cuisine.
19:21 Après avoir déposé le couteau et son manche brisé dans le cellier, Marcel Reduro monte
19:28 à sa chambre, s'assoit sur le lit.
19:30 Peu à peu, il reprend son sang froid, comprend la gravité du crime effarant qu'il vient
19:36 de commettre.
19:37 En quelques minutes, il vient de tuer sept personnes.
19:42 Est-ce du regret, du remord, de la peur ou les trois à la fois ? Au bout d'une heure,
19:50 il descend de sa chambre, parcourt cinquante mètres et entre lentement dans les temps
19:54 pour se suicider.
19:55 Mais lorsque l'eau lui arrive à la poitrine, le courage lui manque.
19:59 Alors il revient à sa chambre, il reste jusqu'au petit matin.
20:04 Puis il se rendra chez ses parents où il sera arrêté quelques heures plus tard.
20:10 Inutile de vous dire, chers amis, que cette affaire fait grand bruit.
20:16 Le crime paraît tellement inexplicable que le juge de paix du canton, d'accord avec
20:21 l'opinion publique, réclame un examen psychiatrique.
20:23 Devant les spécialistes, l'attitude de Marcel Reduro est celle d'un enfant intimidé.
20:28 Ils ont de la peine à lui faire lever les yeux.
20:31 Ils le parlent d'abord à voix basse et presque uniquement par monosyllabes.
20:37 Mais en insistant, ils obtiennent des réponses plus explicitées et ils répondent pertinemment
20:41 à toutes les questions qu'on lui pose.
20:43 Il est bien orienté dans le temps et l'espace, fait preuve dans ses paroles d'intelligence
20:50 et de bonnes connaissances primaires relativement à l'histoire, la géographie, la grammaire,
20:54 le calcul.
20:55 Toutes les réponses qu'il fait au sujet de sa vie passée, de ses patrons, de son
20:58 travail, de ses salaires sont exactes ou plausibles.
21:02 Pendant ses mois de prévention en infirmerie de la maison d'arrêt de Nantes, il participe
21:08 à la vie commune, se plie à la règle comme les autres détenus.
21:11 Le gardien-chef de la prison prétend que néanmoins, Marcel Reduro lui paraît dissimulé
21:15 et sournois.
21:16 Il se tiendrait sur ses gardes et répondrait tout juste aux questions qu'il lui pose.
21:21 Mais il dort bien, mange bien, n'a pas l'air effrayé de son affaire.
21:25 Le gardien-chef ne peut dire si l'accusé regrette son acte, mais il l'a vu pleurer
21:30 après une visite de son avocat.
21:32 En réalité, il lui arrive de pleurer beaucoup plus souvent.
21:36 Devant les psychiatres, quand ils évoquaient les souvenirs des victimes, devant sa mère
21:42 lorsqu'elle vient le visiter à propos d'un de ses frères qui vient de partir en Algérie
21:46 pour son service militaire, bref, sa sensibilité morale paraît intacte et il exprime au sujet
21:52 des actes qu'il a commis des regrets qui paraissent sincères.
21:55 Alors, quelle explication donne-t-il à son crime ?
22:02 La colère.
22:07 Oui, bien entendu, tout simplement la colère.
22:12 Son patron l'a mis dans une telle colère qu'il l'a tué.
22:16 Ensuite, il a perdu la tête et voulu faire disparaître tous les témoins.
22:21 La patronne, parce qu'elle allait découvrir son mari dans le cellier, la servante, parce
22:28 qu'elle était avec la patronne, la grand-mère, parce qu'elle s'est réveillée, les deux
22:33 fillettes et le bébé, parce qu'ils criaient.
22:34 Il n'a pas touché au petit Pierre, parce qu'il dormait et qu'il n'a rien dit.
22:43 Il est incapable d'expliquer la violence et la multiplicité des coups.
22:46 Il ne peut non plus expliquer pourquoi il a ouvert le ventre de la fermière qui était
22:50 d'enceinte.
22:51 Il se défend d'avoir eu la moindre pensée obscène ou sadique.
22:56 Cet acte, comme les autres, selon lui, ne relève que de la colère.
22:59 Dans ces conditions, les psychiatres, convenant qu'il n'était pas en état de démence,
23:06 qu'il a eu pleine conscience des faits accomplis et de leurs conséquences, ne constatant chez
23:10 lui aucune anomalie mentale ou psychique, le déclarent parfaitement responsable et
23:16 il compare devant le tribunal.
23:17 Pendant les débats, il se tient à fesser sur son banc la tête basse, la figure pleurarde,
23:23 dans l'attitude d'un enfant fautif qui s'attend à une correction sévère.
23:26 Selon la déposition d'un témoin qui déclare que Roduro lui aurait dit qu'il n'aimait
23:31 pas ses patrons, qu'ils étaient bons à tuer et que s'il n'y avait que lui, il
23:36 les tuerait tous, le gosse semble s'éveiller.
23:39 Outré et furieux, il prononce de formelles dénégations.
23:44 Il faut dire que cette déclaration du témoin paraît peu vraisemblable et l'avocat de
23:48 la défense présente des faits qui tendent à faire considérer ce témoin comme un mythomane.
23:52 Quand son oncle se présente à la barre, Marcel Roduro pleure.
23:58 Il pleure aussi pendant le réquisitoire et la plaidoirie et bien entendu il pleure longtemps
24:03 à chaudes larmes, de la façon d'un enfant, pendant les jours qui suivront sa condamnation.
24:08 Le maximum de la peine que comporte son âge, vingt ans de prison.
24:14 Mais bientôt de ses larmes séchées, on le voit peu à peu revenir à une mobilité
24:22 de sentiments, à l'insouciance de l'enfant que tout amuse, qui n'a rien fait rire et
24:28 qui subit tout entier les influences du monde extérieur.
24:31 Pourtant voici la lettre qu'il écrit à ses parents le lendemain de son procès.
24:37 Cette lettre constitue un document psychologique important.
24:42 Nous la reproduisons telle qu'elle, sans en changer un mot.
24:47 Inutile de vous dire qu'elle comporte des fautes d'orthographe et de ponctuation.
24:53 « Chers parents, je vous écris pour vous dire que le grand jour est passé, mais malheureusement
25:00 sans bon résultat et comme vous devez l'avoir déjà appris, je suis condamné à vingt
25:05 longues années d'emprisonnement dans une colonie pénitentiaire.
25:08 Et comme vous le voyez, chers parents, la mort viendra nous prendre avant de nous revoir.
25:13 Et c'est pour cela qu'il faut que vous veniez chercher mes effets, car ils seraient
25:18 perdus.
25:19 Et quand vous viendrez, venez le samedi et le mardi, parce que les autres jours c'est
25:22 défendu de voir les condamnés autrement que le mardi et le samedi.
25:25 Vous ne manquerez pas de me donner votre adresse quand vous aurez quitté le pays où nous
25:31 étions si bien avant ce maudit jour du 30 septembre où j'ai commis cet horrible forfait.
25:36 Je viens d'apprendre par mon avocat que papa est bien malade d'avoir quitté le pays.
25:42 J'espère qu'il va bientôt être guéri pour fuir ce pays de malheur qui était si
25:46 beau avant ce crime d'un si jeune misérable que je suis.
25:49 Je ne pense pas que je vais rester longtemps à Nantes quand je serai dans un autre endroit.
25:54 Je vous donnerai l'adresse afin que je puisse recevoir de vos nouvelles, car cela me serait
25:59 trop dur de ne pas recevoir.
26:00 Vous me rendrez réponse en me disant des nouvelles de mon cher père qui pleure son
26:04 enfant qui est condamné à ne jamais le revoir.
26:07 Je pense qu'il sera vite guéri et qu'il prenne courage.
26:11 Et vous me direz des nouvelles de grand-père qui doit être vieilli, votre fils qui songe
26:17 à ce qu'il a commis et qui pleure en pensant à un si horrible crime qui vous a mis dans
26:23 la douleur et la honte pour le restant de votre vie ainsi que celle de mes bons frères
26:26 et sœurs qui pleureront toujours à un si grand crime fait par leurs jeunes frères
26:31 prisonniers pour toujours.
26:32 Votre fils qui embrasse en pleurant ses bons parents qui sont à jamais et pour toujours
26:38 éloignés de lui, Marcel Roduro.
26:43 Notre conclusion, certes Marcel Roduro était un enfant normalement constitué tant sur
26:51 le plan physique que physiologique et psychiatrique.
26:54 Mais puisqu'il a accompli un geste totalement anormal, c'est qu'il a eu, au moins pour
27:00 le temps de son crime, un processus psychique anormal.
27:05 C'est la susceptibilité de Roduro qui s'est trouvée excessive à un moment donné.
27:15 Pourquoi ?
27:16 Parce que bien que cela ne soit pas apparu aux psychiatres, Roduro devait refouler un
27:23 sentiment sans doute inconscient de brimade, de frustration, d'injustice.
27:28 À ce moment de l'adolescence, les garçons sont tellement sensibles à ces blessures
27:34 qu'un rien ne peut les faire basculer dans une attitude de combativité et d'agressivité
27:39 exagérée.
27:40 Or, malgré tout ce qu'on a dit, les vendanges, c'est les vendanges.
27:44 Certes, il n'a pas bu exagérément, mais il a bu.
27:47 Certes, il n'était pas exagérément fatigué, mais il était fatigué.
27:51 Il n'était peut-être pas surexcité, mais il était excité.
27:55 Ceci s'ajoutant à cela, il était à la limite de son équilibre.
28:00 Si vous y ajoutez l'évidente exaspération, l'évidente fatigue, l'évidente excitation
28:07 du patron après quinze jours de vendange, et les gros mots et les injures, on peut commencer
28:12 à comprendre.
28:13 Qu'une injure de plus ait provoqué cette colère monstrueuse.
28:19 Tout simplement parce que Marcel Reduro vivait à ce moment-là l'instant critique de son
28:24 adolescence.
28:25 Cet instant qui peut se présenter à tout moment, qui généralement passe inaperçu
28:30 parce qu'il se passe bien et qu'on ne discerne donc que lorsqu'il est déjà trop tard.
28:37 Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives
29:02 d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
29:05 Réalisation et composition musicale, Julien Taro.
29:09 Production, Sébastien Guyot.
29:12 Direction artistique, Xavier Joli.
29:14 Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
29:20 Remerciements à Roselyne Belmar.
29:22 Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
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29:32 d'écoute préférée.