• il y a 11 mois
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.

[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare] À Caravaggio, petit bourg de la région de Milan, se trouve la grande bâtisse de Vittorio M. 
Dans son château vit sa nièce, la très belle Rita. C’est la fille de son frère, disparu en Afrique du Nord pendant la guerre. On dit que la mère de Rita, une jeune Turque, l'a laissée au soin de cet oncle avant de retourner vivre dans son pays. Mais alors que Rita n’a que seize ans, elle décide de fuir le domicile de Vittorio dans l’intention de vivre en France avec un jeune homme. En février 1952, le couple est arrêté à la frontière en possession de drogue. Bien que le tribunal juge Rita “irresponsable”, elle est conduite dans une maison de rééducation pour jeunes filles où elle passe deux ans avec un éducateur, Enzo. C’est ainsi que la jeune Rita se confie sur sa vie. Elle évoque la protection étouffante de Vittorio, les gestes déplacés de cet oncle envers sa mère, puis la disparition soudaine de sa maman. 
Au terme de ces deux années en maison de rééducation, Rita doit rentrer au domicile de son tuteur légal, Vittorio M.  Mais après quelque temps, les soupçons commencent à naître chez son éducateur : pourquoi Rita ne répond-t-elle plus à ses lettres ? Il décide alors de se rendre à Caravaggio mais Rita a disparu. Dans sa chambre, il ne reste qu’un tas de robes exposées comme dans un musée. Près d’une décharge, un corps est retrouvé. C’est celui de la mère de Rita. Vittorio est-il responsable de ce meurtre ? Qu’a-t-il fait de la jeune fille ? Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcription
00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11 Comme très souvent, l'affaire que nous allons vous raconter aujourd'hui commence d'une façon assez banale.
00:17 Mais si vous avez la gentillesse, le courage ou la curiosité de m'écouter jusqu'au bout,
00:23 vous verrez qu'elle mérite bien de figurer dans les dossiers extraordinaires.
00:27 Elle a au surplus cette affaire, malgré son côté macabre, un aspect poétique, surréaliste,
00:36 avec un arrière-plan freudien qui forme un cocktail assez piquant.
00:41 A Caravaggio, petit bourg de la région de Milan, il existe une grande bâtisse qu'on appelle le château.
00:48 Vient la famille Mestre, une famille très religieuse qui exploite depuis toute éternité un commerce de grains.
00:57 Le chef de famille est l'oncle Vittorio, un homme honnête, équitable et scrupuleux,
01:02 mais très fort physiquement, plein de vitalité et d'un caractère excessivement coléreux.
01:08 Il règne sur sa femme, une créature insipide et plutôt méchante,
01:12 sur son frère, Gaspardo, qui courbe les chines et lui rend compte, sous par sous, des résultats du commerce.
01:20 Il y a un troisième frère, disparu en Afrique du Nord pendant la guerre,
01:25 qui avait épousé une Turque, laquelle est retournée dans son pays,
01:30 en abandonnant sa fille Rita aux soins de l'oncle Vittorio.
01:35 Il semble que Rita, délurée et très jolie, ait voulu secouer l'étouffante atmosphère du soi-disant château de Caravaggio.
01:44 On a longtemps dit de Rita Mestre qu'elle tenait de sa mère un caractère bizarre,
01:48 mais comme vous allez le voir en écoutant cette surprenante affaire,
01:51 il n'est pas certain du tout que l'étrangeté de son comportement soit due à son ascendance maternelle.
01:58 Quoi qu'il en soit, elle fuit la famille Mestre en septembre 1951, à l'âge de 16 ans,
02:05 dans l'intention de vivre en France avec un certain Rinaldo Matesini, qui lui-même a 19 ans.
02:13 Rinaldo Matesini est reconduit à la frontière par la police française quelques jours plus tard,
02:18 quand Rita, qui doit avoir le diable au corps, elle réapparaît à l'aéroport de Milan au mois de février 1952,
02:24 pour y faire simplement escale venant de Karachi en direction d'Amsterdam.
02:31 Mais l'avion étant immobilisé pour la nuit par le brouillard,
02:34 comme les autres passagers, elle doit coucher dans un hôtel de la ville et pour cela remplir une fiche de police.
02:41 Il faut croire que les fiches de police sont quelques fois vérifiées.
02:44 Un policier lit « Rita Mestre, née le 27 juillet 1935 ».
02:49 Comme il y a un avis de recherche lancé par la famille Mestre, Rita est priée de rester à Milan.
02:55 Comble de l'horreur, elle porte un manteau de fourrure. Ce manteau pèse 15 kilos.
03:00 La doublure contient des sachets de hachis.
03:05 Mais Rita ayant 17 ans a agi sans aucun discernement, presque contrainte par un avocat parisien de 35 ans,
03:11 qui en a fait sa maîtresse et le tribunal pour enfants la considère donc comme irresponsable.
03:17 A la maison de rééducation pour jeunes filles, où elle va passer deux années, Enzo Campinoni,
03:22 l'un de ses éducateurs, s'intéresse particulièrement à elle. Peut-être ressent-il un tendre sentiment.
03:28 Rita, je vous le rappelle, est vraiment très bête.
03:31 Enzo Campinoni, l'éducateur, a 32 ans. C'est un homme grand, maigre, sportif.
03:36 Tout dans son visage, le nez mince en bec d'aigle, le menton volontaire, même le sourire de ses yeux clairs,
03:42 exprime, disent les rapports, une grande volonté et une grande générosité.
03:47 Ce n'est pas seulement en raison de cette affection particulière que ce brave garçon interroge longuement la jeune délinquante.
03:53 Au tribunal, on avait attribué son comportement à son caractère impulsif, emporté,
03:58 à son tempérament de feu, à son éducation privée d'autorité paternelle et maternelle,
04:02 à sa beauté qui, parit-il, lui rendait la vie trop facile.
04:05 Mais il croit de son devoir de chercher à en savoir plus.
04:09 Et Rita, le trouvant sans doute sympathique, se laisse aller à certaines confidences.
04:14 Elle raconte notamment un souvenir d'enfance susceptible de marquer toute une vie et d'expliquer son comportement.
04:21 Cela se passait pendant la guerre, en 1941.
04:26 Rita et sa mère, Jenanne, vivaient dans la sinistre maison de Vittorio a Caravaggio.
04:34 Les deux femmes étaient sans nouvelles du père depuis longtemps et ne savaient pas s'il avait été tué ou fait prisonnier par l'armée britannique du général Wawel.
04:43 Bien entendu, on ne parlait pas de cela devant Rita.
04:47 On lui disait que son père était au loin, qu'il faisait la guerre, qu'il fallait prier pour lui, ce qu'elle faisait tous les soirs et à la messe du dimanche matin.
04:53 Mais d'après Rita, l'attitude de Vittorio était trouble.
04:58 Il avait été le seul à approuver le mariage de son père avec une Turque.
05:02 Et maintenant, il les prenait toutes les deux, la mère et la fille, sous sa protection.
05:07 Sa protection de plus en plus étouffante avec les semaines qui passaient, puis les mois.
05:12 Un jour, fin 1942, Rita surprend sa mère en train de pleurer.
05:17 Ce n'est pas la première fois.
05:20 Elle est assise dans le fauteuil qui trône au milieu de la salle à manger de l'oncle Vittorio.
05:25 Au début, personne n'osait s'asseoir dans le fauteuil de l'oncle Vittorio.
05:30 Puis, à plusieurs reprises, il avait invité sa mère à s'y asseoir.
05:34 Et maintenant, c'était devenu le fauteuil de sa mère.
05:38 C'est la tombée du jour. La pièce est très obscure.
05:42 Rita entend le pas pesant de l'oncle Vittorio.
05:44 Elle se retourne. Il est dans l'ouverture de la porte.
05:48 Pour elle, un géant un peu terrifiant.
05:51 Sa mère lui demande, Rita, veux-tu me chercher un mouchoir ?
05:55 Elle sort, mais cette fois, elle a compris que sa mère veut qu'elle s'éloigne.
06:00 Dans le corridor, elle traîne.
06:02 Elle entend sa mère demander, vous avez des nouvelles ?
06:06 Et Vittorio répond, non.
06:10 Ma pauvre Jénane, cette fois, je crois que nous n'en aurons plus.
06:14 S'il était vivant, nous le saurions.
06:18 Rita reste pétrifiée dans le corridor.
06:21 Elle a compris qu'il parlait de son père.
06:24 Elle entend l'oncle Vittorio se déplacer dans la pièce, puis un silence.
06:30 Inquiète, elle retourne à la porte.
06:33 L'oncle Vittorio est passé derrière le fauteuil de sa mère qui pleure à chaudes larmes.
06:37 Il lui caresse les cheveux comme pour la consoler.
06:41 Mais Rita voit qu'il est tout près d'elle.
06:45 Sa joue effleure presque son visage.
06:48 Et elle entend sans bien comprendre des phrases dans le genre de
06:53 Allons ma petite enfant, il faut vous consoler.
06:56 Vous n'avez que 26 ans, je suis là.
06:59 Vous n'avez rien à craindre de la vie.
07:02 Vous savez l'affection que j'ai pour vous, etc. etc.
07:06 Rita voit le regard brillant de l'oncle Vittorio.
07:10 Elle a peur. Elle n'ose bouger.
07:13 Maintenant l'oncle Vittorio embrasse les cheveux de sa mère, puis il l'embrasse dans le cou.
07:18 Sa mère a un geste brusque.
07:20 Elle se retourne à moitié dans le fauteuil et l'oncle Vittorio, comme s'il devenait fou,
07:24 essaie de la retenir dans ses bras. Sa mère se débat et Rita crie.
07:29 La scène en est restée là.
07:32 Mais depuis ce jour, dans la maison, au volet toujours clos, l'atmosphère est devenue de plus en plus étouffante.
07:38 Sa mère évite de rester seule avec l'oncle Vittorio.
07:40 Celui-ci, pour acheter le silence de l'enfant, lui offre des jouets, des bonbons.
07:44 Mais la femme de Vittorio a senti la situation.
07:48 Avant, elle avait un visage triste et sans expression.
07:51 Maintenant, elle devient méchante.
07:53 Chaque fois qu'elle regarde Rita, elle l'accuse de tous les défauts,
07:56 mais c'est joué aux ordures et répète partout que sa mère est une orientale paresseuse,
08:01 juste bonne à entraîner les hommes dans la débauche.
08:04 Alors, un matin, elles se sont retrouvées, la mère et l'enfant, dans l'autobus
08:10 qui les conduit qu'à un cas à trente kilomètres de là, dans le village d'Armino,
08:15 où elles vont habiter, à l'écart du village, près d'une décharge publique.
08:21 Plus tard, l'enfant sera placé comme pensionnaire près de Bologne.
08:24 Elle ne reverra plus jamais sa mère.
08:26 L'oncle Vittorio prétendra qu'elle est repartie pour la Turquie,
08:30 sans même demander à revoir sa fille.
08:34 Voilà pourquoi, lorsque conformément aux spécifications du tribunal,
08:38 Rita doit être rendue à l'oncle Vittorio, son tuteur légal,
08:42 Enzo Campinoni croit bon de l'accompagner.
08:45 Il veut parler avec son oncle de l'avenir de l'enfant et régler avec lui
08:49 les détails d'une procédure qui lui permettrait d'exercer une certaine surveillance.
08:54 C'est ce jour-là, lorsqu'il se présente avec elle devant la sombre bâtisse de Caravaggio,
09:01 au moment où il tire sur la poignée et fait tinter la cloche,
09:05 au moment où l'oncle Vittorio le découvre à côté d'elle,
09:09 que s'ouvre ce dossier extraordinaire.
09:33 Donc, chers amis, la grille s'ouvre devant le sombre château de Caravaggio.
09:39 Enzo Campinoni ne s'explique pas l'étonnement, l'émotion du grand vieillard
09:44 en découvrant sa nièce Rita, qui a maintenant 19 ans.
09:47 Il ne comprend pas non plus sa colère en le voyant à côté d'elle.
09:51 L'oncle Vittorio, imposant, bourru, demande à Rita « Qui est-ce ? »
09:56 Enzo veut répondre « Je suis un des éducateurs de l'oncle Vittorio Latiron.
10:01 Qu'est-ce que vous venez faire ici ? » « Mais monsieur, j'accompagne votre nièce. »
10:05 « Bon, alors c'est fait, merci ! »
10:08 Et l'oncle Vittorio, prenant le bagage de sa nièce, la tire vers lui
10:12 et referme la grille au nez du malheureux Hébert lui.
10:17 Voilà donc le brave Enzo, relégué seul, devant la grille fermée.
10:22 Comme il n'a pour le moment aucun pouvoir légal, force lui de faire demi-tour.
10:27 Évidemment, l'éducateur va écrire, trois fois.
10:30 Les deux premières lettres restent sans réponse.
10:32 A la troisième, l'oncle Vittorio répond que sa nièce est partie sans tomber ni trompette,
10:37 probablement pour aller travailler en Allemagne.
10:40 Évidemment, ce serait bien dans la manière de Rita Maestre, mais
10:43 ce qui surprend l'éducateur, c'est qu'elle ne l'ait pas consultée,
10:46 ou du moins tenue au courant, par un simple petit mot,
10:49 car elle avait promis de le faire et elle semblait lui faire confiance.
10:52 Alors, il s'ouvre de son inquiétude au juge pour enfants,
10:56 qui a eu à connaître du cas de Rita,
10:58 et à la demande de ce dernier, la police entreprend de vérifier si Rita Maestre
11:02 a passé la frontière pour gagner l'Allemagne,
11:04 soit par la Suisse, par l'Autriche ou même par la France.
11:07 Bien qu'elle fasse l'objet d'une fiche dans les archives de la police,
11:10 on ne retrouve aucune trace.
11:12 Il ne semble pas non plus qu'elle ait quitté l'Italie, ni par avion, ni par bateau.
11:16 Mais cela ne prouve pas grand-chose, car les contrôles de police au poste frontière,
11:20 surtout les postes routiers, ne sont pas toujours très très stricts.
11:25 Alors, pendant près de trois mois, on l'a fait rechercher en Allemagne,
11:29 où se trouve un très grand nombre de travailleurs italiens, sans aucun succès d'ailleurs.
11:33 Peut-être Rita Maestre a-t-elle voulu retrouver en Turquie sa mère, Cenan Rifa.
11:39 Là encore, les recherches sont difficiles,
11:41 mais lorsqu'on parvient à retrouver la famille de Cenan, celle-ci tombe des nues.
11:46 Pour sa famille, Cenan, qui a épousé un Italien avant la guerre,
11:51 est partie vivre avec lui dans la région de Milan, elle a eu un enfant,
11:54 la guerre a interrompu toute possibilité de correspondre avec elle,
11:57 et depuis, ils n'en ont plus jamais entendu parler.
12:01 Sa famille turque, qui croyait que Cenan l'avait oubliée,
12:05 en apprenant que, selon les dires de la famille Maestre,
12:07 Cenan devrait avoir regagné la Turquie, s'émeut,
12:10 et l'ambassade de Turquie en Italie demande officiellement que des recherches soient entreprises.
12:15 La police italienne, est enfin saisie d'une demande en bonne et due forme,
12:19 peut convoquer officiellement les protagonistes de cette affaire.
12:22 Mais, les interrogatoires des trois membres de la famille Maestre n'apportent pas grand-chose.
12:27 La femme de Vittorio et le frère terrorisé se taisent.
12:31 En invitant Vittorio, ils répètent que Cenan est parti en Turquie,
12:34 et Rita, probablement en Allemagne.
12:36 Alors, le maire de Caravaggio, poussé par Enzo, l'éducateur,
12:42 décide d'interroger l'oncle Vittorio dans sa propre maison.
12:46 Accompagné d'Enzo et d'un carabinier, il va donc sonner à la grille du château.
12:51 [Musique]
13:00 C'est une vieille servante qui vient ouvrir au maire et à l'éducateur.
13:05 Du large que haute, tout de noir vêtue et dentée,
13:09 elle monte avec le perron et les fait asseoir dans le salon où trône un magnifique fauteuil de style.
13:16 Enzo se souvient du récit de Rita.
13:18 C'est sans doute ce fameux fauteuil où sa mère fut autorisée à s'asseoir,
13:22 le fauteuil de l'oncle Vittorio, aussi chargé de symboles qu'un trône.
13:27 Tout, dans l'obscur bâtisse, respire une propreté méticuleuse et un ennui morbide.
13:33 La sinistre madame Mestre, la bouche acerbe, aux yeux toujours à demi fermés, survient, atterrée.
13:40 Vittorio Mestre n'est pas là, elle l'a fait prévenir.
13:43 Ces messieurs, en attendant, veulent-ils un peu de café ?
13:46 On entend grincer la grille et le pas pesant de l'oncle Vittorio sur le perron.
13:52 Les trois hommes posent leur tasse de café et se lèvent.
13:55 Après un échange de propos peu amènes, le maire, pris d'une inspiration subite, demande à visiter la maison.
14:02 On devine l'affolement de madame Mestre et du frère Gaspardo,
14:05 mais l'oncle Vittorio, sombre, leur dit « c'est honteux, mais je ne peux pas l'empêcher »
14:10 et il ajoute pour sa femme « accompagne-les ».
14:14 Les trois hommes, sans maudire, faisant craquer le parquet ciré dans le silence,
14:18 visitent toutes les pièces de la maison et se retrouvent devant une porte fermée.
14:26 « C'est une chambre inoccupée » dit madame Mestre.
14:30 « Vous voulez voir ? »
14:32 « Si cela ne vous ennuie pas. »
14:36 Les trois hommes jettent un coup d'œil dans l'obscurité pour tout d'abord ne rien voir,
14:42 puis, en refermant la porte, le maire fait voler un voile blanc.
14:50 Grâce à la faible lumière qui passe entre les volets fermés, il a bel et bien vu.
14:55 Une robe de mariée.
14:59 Alors le carabinier ouvre les volets.
15:03 Il s'agit bien d'une robe de mariée sur un mannequin.
15:08 Et il y a d'autres robes. Partout.
15:12 Tout autour d'eux.
15:15 Sur d'autres mannequins.
15:17 Ou bien accrochées à des pantes manteaux.
15:19 Des robes, des robes, des sous-vêtements de femmes.
15:23 Beaucoup de vêtements sont démodés.
15:26 Ce sont des robes courtes qui datent de la guerre, avant le new look,
15:29 mais il y a aussi quelques vêtements de jeunes filles, plus à la mode.
15:34 Complètement tahuris et berlouis, stupéfaits.
15:38 Le maire se tourne vers la femme de Vittorio et demande
15:42 « Mais qu'est-ce que c'est que toutes ces robes ? »
15:46 Elle ne répond pas.
15:50 « Ce n'est pas à vous ? Mais alors à qui est-ce ? »
15:56 Enfin la femme de Vittorio hausse les épaules.
16:01 « C'est à lui qu'il faut demander ça, dit-elle. »
16:05 Dans le salon, Vittorio, maître impassible, sombre, les défis du regard.
16:10 Le maire lui demande « À qui sont toutes ces robes ? »
16:13 Vittorio fait un effort pour répondre et finalement ne dit rien.
16:18 Le maire est à la fois très étonné et en colère.
16:21 Il demande à la femme de Vittorio et au frère « Mais vous, parlez ! À qui sont ces robes ? »
16:28 Gaspardo et la femme de Vittorio se regardent, ils s'en parlent.
16:32 Ils semblent morts de peur.
16:35 « Nous ? » On ne peut rien dire.
16:39 Enfin Gaspardo s'adresse à son frère.
16:42 « Parle, Vittorio, parle ! »
16:45 L'oncle Vittorio regarde tout le monde, l'un après l'autre.
16:49 Il serre les dents.
16:51 Le front plissé, il réfléchit.
16:54 Enfin, on entend le son de sa voix, il dit simplement « Pourquoi ? »
17:01 Tout le monde regarde le maire.
17:03 Et le maire comprend qu'en effet, rien n'oblige Vittorio à parler.
17:07 Il a le droit d'avoir des robes, une collection de robes.
17:10 Heureusement, le maire se souvient qu'il a des questions à poser.
17:13 Il pose la première qui lui vient à l'esprit.
17:15 « Pourquoi votre belle-soeur, Jenan, est-elle retournée en Turquie sans emmener sa fille Rita ? »
17:21 Vittorio répond « C'était une mauvaise mère et une femme indigne.
17:25 Pendant la guerre, elle a trompé mon frère avant que sa disparition soit officielle.
17:29 Et je l'ai chassée. Mais nous avons voulu garder Rita. »
17:33 Évidemment, le maire demande comment il se fait que les deux femmes soient parties sans emmener leurs vêtements.
17:39 Ce à quoi Vittorio répond qu'il n'y avait aucune raison pour que Jenan emmène sa robe de mariée en Turquie
17:44 et que Rita est partie en colère et tellement précipitamment qu'elle n'a même pas emmené une brosse à dents.
17:50 Quand il lui demande à nouveau les raisons qui l'ont amené à constituer ce musée,
17:55 il s'enferme dans un silence méprisant en bougonnant simplement qu'il a le droit de faire ce qu'il veut avec les choses qui sont sous son toit.
18:04 C'est alors qu'Enzo, qui sans rien dire était retourné dans le musée, revient avec deux photos étonnantes.
18:11 L'une est une photo récente, l'autre une photo jaunie.
18:16 Sur la plus ancienne, on y voit une très jeune femme avec une coiffure très haute, une jupe courte et un grand sac en bandoulière,
18:25 des chaussures avec d'énormes semelles de bois à la mode de la dernière guerre.
18:29 Sur l'autre, la même jeune femme avec une sorte de robe hippie et les cheveux formant une énorme crinière frisottée.
18:37 La ressemblance entre les deux femmes est absolument saisissante et leur beauté est égale.
18:42 Mais les trois hommes ont compris l'une est Génane, la mère, l'autre Rita, la fille.
18:50 Le maire a pris les photos.
18:53 « Vous permettez que je les emmène ? » Vittorio accepte d'un signe de tête.
18:59 En partant, le maire dit « Nous nous reverrons, monsieur Maître. »
19:05 « C'est probable. » « Mais ce sera inutile, » conclut l'oncle Vittorio.
19:12 C'est Enzo qui, se souvenant du récit que Rita lui avait fait de sa vie avec sa mère dans une petite maison d'Armino, a l'idée d'y envoyer la police.
19:21 Celle-ci va donc procéder à une enquête dans ce village où elles ont en effet vécu près d'un an.
19:26 Mais personne à Armino n'a gardé de souvenir du départ de Génane pour la Turquie.
19:31 On sait seulement que l'oncle Vittorio est venu la voir deux ou trois fois dans sa voiture à gazogène et puis qu'un matin, les volets ne se sont pas ouverts.
19:40 Elle était partie.
19:42 Alors on fouille de fond en comble la triste maisonnette à l'écart du village, près de la décharge publique.
19:49 On sonde à tout hasard les terrains alentours et comme il fallait s'y atteindre,
19:54 on découvre dans la décharge, très endommagée mais encore identifiable, ce qui reste du squelette de la pauvre Génane Rifa.
20:07 L'examen fait apparaître qu'elle a été enterrée complètement nue.
20:11 Les vertèbres du cou sont déplacées et à moins que ce ne soit l'effet d'attassement du terrain probablement étranglée par des mains fort puissantes, sans doute celles de Vittorio.
20:21 Telle est du moins l'opinion de la police, bien qu'on ne puisse relever aucun autre indice,
20:25 ni sur le cadavre, ni dans la petite maison qui est alors habitée par un couple totalement étranger à la fête.
20:31 Et on n'en aura jamais aucune preuve.
20:34 En effet, le même jour, l'oncle Vittorio est retrouvé dans son musée.
20:44 Son corps se balance au milieu des mannequins en sous-vêtements et en robe de mariée.
20:51 Il s'est pendu.
20:54 Il ne laisse aucun papier pour expliquer son geste.
20:57 Ce n'est pas nécessaire.
20:58 Tout le monde a compris.
21:00 Vittorio se trouvait lui-même trop hypocrite, trop fou, trop horrible.
21:04 Désormais, en plus, il allait être publiquement un objet de honte, déshonoré.
21:08 Lui, Vittorio Mestre, l'homme du château.
21:12 Quant à Rita Mestre, nul ne sait ce qu'elle est devenue, ni si elle vit encore.
21:21 Deux détails pourtant donnent une indication sur ce qui peut lui être advenu.
21:26 Dans sa rage à retrouver sa protégée, Enzo est parvenu à reconstituer une partie des événements
21:31 qui se sont déroulés la nuit qui a suivi le retour de la jeune fille à Carabaggio.
21:35 Tout d'abord, au dire de son frère et de sa femme, l'oncle Vittorio avait été violemment ému
21:41 en voyant Rita, dont la ressemblance avec sa mère était tout simplement étonnante.
21:46 Et détail considérable, elle avait eu droit au fameux fauteuil.
21:51 Le dîner avait été sinistre car la jeune fille avait, sans attendre, notifié à l'oncle Vittorio
21:56 sa décision de repartir dès qu'elle le pourrait par n'importe quel moyen.
22:00 Après le dîner, l'oncle Vittorio lui aurait dit "Viens au salon, nous avons à parler".
22:06 Les deux meurtrières, la meurtrière de Rita et de Rita, et le meurtrier de Rita,
22:11 le frère Gaspardo et la servante, en tentant s'élever une violente dispute,
22:16 se sont prudemment enfermés dans leur chambre.
22:20 L'oncle Vittorio n'est pas venu rejoindre la couche de sa femme de toute la nuit,
22:24 mais cela paraît-il lui arriver souvent.
22:27 Au matin, l'oncle Vittorio est parti vers 5h30.
22:30 On l'a entendu sortir sa camionnette et il a crié à sa femme,
22:34 "Ce type ne pourra jamais découvrir le destinataire de ces sacs. A quoi bon ?
22:40 Personne ne cherche plus personne et le coupable, s'il y en a un, est mort."
22:48 Ce dossier extraordinaire a donc été définitivement refermé.
22:54 [Musique]
23:11 Vous venez d'écouter "Les récits extraordinaires de Pierre Belmar",
23:15 un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
23:20 Réalisation et composition musicale, Julien Taro.
23:24 Production, Sébastien Guyot.
23:27 Direction artistique, Xavier Joli.
23:30 Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
23:35 Remerciements à Roselyne Belmar.
23:38 Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
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