L'édito de Mathieu Bock-Côté : «Vers une justice politique en France ?»

  • l’année dernière
Dans son édito du 29/11/2023, Mathieu Bock-Côté revient sur le traitement judiciaire des émeutiers de Romans-sur-Isère.
Transcript
00:00 C'est un terme qu'on avait tendance à réserver
00:02 pour des pays lointains, avec des dictateurs lointains,
00:05 ou en nom improbable,
00:06 normalement d'ex-république soviétique oubliée, imprononçable.
00:10 Or là, ce qu'on voit dans cette séquence,
00:12 c'est que le mot prisonnier politique
00:14 semble retrouver une certaine pertinence.
00:16 On verra dans quelles circonstances,
00:17 il ne faut pas en abuser,
00:18 mais voyons si cette formule est la bonne.
00:20 Je donne les éléments de contexte.
00:22 On se retrouve à Lyon,
00:24 il y a des militants qui viennent de la mouvance identitaire,
00:27 des anciennes générations identitaires pour certains d'entre eux,
00:29 qui veulent manifester, qui veulent faire quelque chose
00:32 pour marquer publiquement leur révolte devant le sort de Thomas.
00:36 La manifestation est interdite,
00:38 ils se disent qu'il faut quand même faire quelque chose,
00:41 une action, donc ils ne veulent pas aller dans une action illégale,
00:44 la manifestation ce n'est pas possible, c'est réglé.
00:46 On va faire quelque chose qui sera, oui, illégal,
00:48 mais pacifique.
00:49 Ils sont conscients de l'illégalité du geste,
00:51 ça vaut la peine de le dire.
00:53 Et que font-ils?
00:53 Ils vont faire du... afficher des affiches,
00:57 coller des affiches pendant quelques deux heures environ,
01:00 et faire des tags, donc les affiches.
01:02 L'affiche c'est « justice pour Thomas »
01:04 et les tags c'est « Thomas, 16 ans, tué par des barbares »
01:07 et « Thomas tué car blanc », comme vous l'avez évoqué.
01:10 Donc ils font ça pendant deux heures environ,
01:12 pour marquer publiquement, l'espace public justement, de leur révolte.
01:16 Au bout de deux heures, je termine la narration des faits,
01:18 au bout de deux heures, les forces de l'ordre les interpellent
01:22 et là il y a un problème particulier.
01:24 Donc normalement, quand on se fait attraper pour taggage,
01:26 pour affichage sauvage, entre guillemets,
01:28 les policiers, qu'est-ce qu'ils font?
01:29 Les forces de l'ordre, ils confisquent en fait le matériel,
01:32 ils disent « rentrez chez vous, vous ne le faites plus »,
01:34 c'est presque le rituel.
01:35 Dans les circonstances, c'est pas ça du tout,
01:37 donc arrestation garde à vue pour plus de 20 heures.
01:40 Pour plus de 20 heures, donc les...
01:42 et ceux qui sont en garde à vue,
01:44 il va y avoir une perquisition, dis-je,
01:46 chez chacun d'entre eux,
01:47 et là je donne une histoire qui est celle de Chloé,
01:49 qui est une d'entre elles à qui j'ai pu parler aujourd'hui.
01:51 L'histoire nous sera racontée avec plus de détails factuels,
01:53 ce soir Amaury va en parler, ce soir à SoirInfo,
01:55 mais je reviens sur le fond des choses.
01:57 Donc, qu'est-ce qu'on trouve chez elles?
01:59 Notamment un drapeau français, apparemment c'est louche.
02:02 C'est des affiches de génération identitaire,
02:06 apparemment ça marquerait une appartenance
02:08 à cette mouvance de manière coupable.
02:10 Et aussi, c'est ce qu'elles racontent,
02:11 le détail reste à venir,
02:12 mais ils avaient des économies qui étaient à peu près 5000 euros
02:15 et ils sont pris pour l'instant,
02:16 parce qu'apparemment ils n'avaient pas le droit
02:18 d'avoir une telle somme chez eux, c'est ce qu'on leur dit,
02:20 donc ils doivent prendre un avocat
02:21 pour récupérer désormais leur argent.
02:23 Fin de l'histoire.
02:24 Parlant à la jeune fille,
02:26 elle me dit qu'elle semblait,
02:28 mais c'est son impression,
02:29 que les policiers semblaient presque navrer
02:31 de leur infliger un tel mauvais sort.
02:33 Fin de l'histoire.
02:34 Revenons sur l'essentiel,
02:36 quel est l'objet de la...
02:39 pas de la condamnation,
02:40 mais quel est l'objet de la querelle?
02:41 - Oui, du placement en garde à vue.
02:42 - Voilà, pourquoi en garde à vue?
02:44 Thomas, 16 ans, tué par des barbares.
02:47 C'est un tag.
02:48 Est-ce que ce tag en lui-même est faux?
02:51 Je serais curieux de savoir
02:53 quoi Thomas, 16 ans, tué par des gens civilisés.
02:55 Thomas, 16 ans, tué par des gens
02:57 particulièrement raffinés et délicats.
02:59 Je pense que la formule
03:00 "Thomas, 16 ans, tué par des barbares"
03:01 est une formule qui me semble adéquate.
03:03 Deuxièmement, Thomas tué car blanc.
03:06 Sachant ce que l'on sait,
03:08 et c'est même pas contesté,
03:09 ne l'oublions pas, votre procureur,
03:10 des témoignages sont nombreux,
03:12 la volonté de planter du blanc,
03:13 de tuer du blanc,
03:14 c'était dit en tant que tel.
03:16 Où est le problème?
03:18 On nous dira, j'y reviens,
03:19 que ça relève de la provocation à la haine raciale.
03:21 Mais moi, j'avais cru un peu bêtement
03:23 que la haine raciale,
03:25 c'était celle du type qui décide
03:26 de donner un coup de couteau à Thomas
03:27 et le tue parce que blanc.
03:29 Je ne savais pas que lorsque vous dénoncez
03:31 la raison pour laquelle on vous poignarde,
03:32 c'est vous qui êtes coupable de racisme.
03:34 J'ai dû manquer quelque chose
03:35 dans mes cours de logique.
03:37 Et finalement, justice pour Thomas,
03:39 réclamer justice pour Thomas,
03:41 c'est une phrase qui fait scandale.
03:43 Alors, je le reviens,
03:45 il y a deux motifs pour la garde à vue.
03:47 Dégradation de biens, d'accord, c'est vrai,
03:49 on n'a pas le droit de faire des tags
03:51 sans raison, sauvage dans l'espace public.
03:53 C'est pour ça d'ailleurs que tous ceux
03:54 qui font des tags à Paris
03:55 se font arrêter régulièrement.
03:56 Nous le savons et c'est pour ça
03:57 que Paris est si belle aujourd'hui
03:58 parce qu'on a arrêté tous ceux
03:59 qui faisaient des tags en toute circonstance.
04:00 - Et placés en garde à vue.
04:01 - Non mais c'est pour ça,
04:02 c'est pas le cas, je me suis trompé.
04:04 Et là, incitation à la haine.
04:06 Et là, où est l'incitation à la haine raciale
04:08 à travers cela?
04:09 C'est quand même la vraie question.
04:10 Et là, on est obligé de basculer
04:12 vers les événements récents
04:14 pour comprendre ce qu'il y a derrière
04:15 cette idée qu'il pourrait y avoir
04:16 de l'incitation à la haine raciale
04:17 derrière ça.
04:18 Rappelez-vous la circulaire
04:19 du ministère de l'Intérieur
04:20 il y a quelques mois,
04:22 où on trouvait, on a, on listait
04:24 une série de prétextes
04:25 pour justifier l'interdiction
04:26 d'événements et ainsi de suite.
04:28 Parmi ces prétextes,
04:29 ça avait été rapporté par Charlotte
04:30 sur ce plateau,
04:31 il y avait opéré un amalgame
04:33 entre immigration et islamisme
04:34 ou terrorisme ou délinquance
04:36 et il y avait aussi
04:37 instrumentalisation de faits divers
04:39 impliquant des personnes
04:40 d'origine étrangère
04:42 pour désigner les étrangers
04:43 à la vindicte.
04:44 Rappelez-vous.
04:45 Donc ça, autrement dit,
04:46 si vous voyez,
04:47 et là, c'est toute la question
04:48 du fait divers,
04:49 enfin, je vais faire un saut tout de suite,
04:50 vous allez voir pourquoi
04:51 je reviens sur le fait divers.
04:52 Madame la ministre de la Culture,
04:54 Rima Abdul-Malak,
04:55 lorsqu'elle décide d'attaquer
04:56 Cegnose, on s'en souvient,
04:57 qu'est-ce qu'elle rapproche
04:58 à Cegnose notamment?
04:59 Elle dit un traitement inconsidéré
05:01 et injustifié des faits divers
05:03 en leur donnant plus d'importance
05:04 qu'ils ne le méritaient.
05:06 Alors là, on voit fondamentalement,
05:08 du point de vue du régime,
05:09 l'interprétation du fait divers.
05:12 Est-ce que c'est un fait divers
05:13 ou pas un fait divers?
05:14 C'est autour de cette question
05:15 dont on parle depuis plusieurs jours.
05:17 C'est autour de cette question
05:18 que s'opère ce que j'appelle
05:19 le rappel à l'ordre narratif.
05:21 Le rappel à l'ordre narratif,
05:22 c'est-à-dire, vous n'aurez pas le droit
05:23 de voir autre chose qu'un fait divers
05:25 dans ce fait divers supposé.
05:27 Si vous y voyez autre chose,
05:29 soit vous faites le jeu
05:31 de l'extrême droite,
05:32 soit vous êtes vous-même d'extrême droite.
05:34 Donc, soit vous êtes un idiot,
05:35 soit vous êtes un salopard.
05:37 Ce qui est absolument fascinant.
05:38 Donc là, on comprend que cette idée,
05:40 la grille de lecture utilisée
05:42 pour comprendre un événement
05:43 comme celui de Krépol,
05:44 si vous n'avez pas la bonne grille de lecture,
05:46 ça peut vous valoir,
05:47 quelques mois plus tôt,
05:48 une menace de fermeture d'une chaîne
05:50 et ça peut vous valoir,
05:51 si vous êtes dans l'espace public,
05:52 on peut interdire un événement,
05:54 on peut décider d'assimiler à la haine raciale
05:57 le simple fait de nommer
05:58 que le fait divers était porteur
06:00 d'une charge de racisme anti-blanc.
06:01 Et là, on en arrive à la véritable censure
06:04 des derniers jours.
06:06 Est-il possible ou non
06:08 de nommer le racisme anti-blanc en France?
06:10 Est-il possible ou non de dire
06:12 que les Français,
06:13 on ne sait plus comment les nommer,
06:14 d'origine, historique,
06:15 je ne sais plus quel terme utiliser,
06:16 de souche, qu'importe,
06:17 sont la cible d'une haine particulière
06:20 qui n'engage certainement pas
06:21 tous les immigrants,
06:22 ça va de soi,
06:23 qui dirait cela serait un idiot,
06:24 mais qui est un racisme anti-blanc spécifique
06:27 dont tous font l'expérience
06:29 d'une manière ou de l'autre,
06:30 est-ce que si on le mentionne publiquement,
06:32 est-ce qu'on bascule déjà
06:33 dans une interprétation
06:34 qui peut être interprétée justement
06:36 comme un appel à la violence,
06:37 un appel à la haine raciale.
06:38 Je crois que c'est l'enjeu
06:39 des derniers moments.
06:40 - Alors, mais ce dont vous parlez ici,
06:42 Mathieu, n'est pas vraiment nouveau
06:43 puisque la tentation d'interdire juridiquement
06:46 certains courants de l'opposition
06:48 est visible depuis quelques mois.
06:49 - Absolument.
06:50 Je pense que ça, on y touche.
06:52 C'est la volonté d'interdire juridiquement
06:54 un courant politique.
06:55 C'est de cela dont on parle ici.
06:57 On pourrait faire la longue histoire.
06:59 C'était d'abord la disqualification morale
07:02 et symbolique
07:03 avec ce qu'on a appelé l'extrême droite
07:05 depuis 30 ans, 40 ans.
07:06 Imaginez si on avait écouté
07:07 tous les conseils de prudence
07:09 qui ont été donnés
07:10 par ceux qu'on a extrême-droitisés
07:12 depuis 30 ou 40 ans.
07:13 Croyez-vous que la France
07:14 serait dans un aussi mauvais état aujourd'hui?
07:16 C'est un problème.
07:17 Il faut quand même se le dire.
07:18 Depuis 30 ou 40 ans,
07:19 c'est autour de la question de l'immigration
07:20 que s'est noué le débat sur l'extrême droite.
07:22 Et je note qu'au début des années 80,
07:24 mais surtout 90,
07:25 parce que dans les années 90,
07:26 on voit par exemple Alain Juppé,
07:27 on en trouverait d'autres,
07:28 qui début 90 dit
07:29 « l'islam est incompatible avec la France ».
07:31 C'est lui qui le dit, c'est moi le jeu.
07:33 Eh bien, quelques semaines plus tard,
07:34 quelques mois plus tard,
07:35 il commence à dire toute autre chose.
07:37 Et aujourd'hui,
07:38 aujourd'hui, si vous affirmez ça publiquement,
07:40 vous risquez d'avoir
07:41 les autorités administratives
07:43 qui surveillent la communication
07:44 et tout ça sur le dos.
07:45 C'est quand même un enjeu.
07:46 Donc l'extension du domaine de l'interdit.
07:49 Mais la véritable interdiction
07:50 dont je parle, évidemment,
07:51 c'est la plus récente,
07:52 celle de la mouvance identitaire.
07:53 La dite mouvance identitaire,
07:55 l'acte inaugural, c'est la dissolution
07:57 de la génération identitaire.
07:58 Un mouvement beaucoup moins violent,
08:00 si je peux me permettre,
08:01 que les soulèvements de la Terre.
08:02 Mais les soulèvements de la Terre,
08:04 il ne fallait pas les abolir finalement,
08:05 il ne fallait pas les dissoudre.
08:06 Génération identitaire, il le fallait.
08:08 Et ensuite, tout, une forme de domino,
08:11 dissolution de la génération identitaire,
08:13 interdiction du colloque vénère,
08:14 j'en ai déjà parlé ici.
08:16 Je le redis parce que c'est fondamental.
08:18 On a interdit ce colloque
08:19 parce qu'on craignait
08:20 que des propos interdits ne s'y tiennent.
08:23 Je le décris comme ça,
08:24 j'ai l'impression d'être
08:25 dans un monde parallèle.
08:26 Les gendargos qui ont collé des affiches,
08:28 qui faisaient des slogans,
08:29 et eux aussi ont eu droit aux forces de l'ordre.
08:31 Les gens de Nemesis, tout récemment.
08:33 Donc la mouvance dite identitaire,
08:35 on cherche à la frapper d'interdictions juridiques.
08:38 Et comment le fait-on?
08:39 En l'assimilant à la fameuse ultra-droite,
08:41 dont Marion Maréchal s'est moquée aujourd'hui
08:43 en l'appelant la giga-droite.
08:44 Je trouve ça plutôt drôle.
08:45 Donc, elle ne veut pas dire
08:47 giga, méga, extra, ultra-droite.
08:49 Donc, quoi qu'il en soit,
08:50 elle l'a nommée ainsi.
08:51 Donc, on dit mouvance identitaire = ultra-droite = fascisme =
08:54 contre-révolution fasciste à la grandeur de la France =
08:57 la France est en danger aujourd'hui.
08:59 Et là, on arrive à la question centrale des derniers jours.
09:02 C'est le récit, le récit.
09:03 Tout le monde doit répéter que la France est menacée
09:05 par l'ultra-droite et l'extrême-droite.
09:07 Et qui ne le répète pas est complice
09:09 de cette insurrection raciste.
09:10 Et on voit comment le système médiatique,
09:12 dans sa force incroyable,
09:13 est capable d'imposer ce récit à tout le monde.
09:16 - Peut-on craindre, à la lumière de votre analyse,
09:18 que ceux que vous appelez les nouveaux prisonniers politiques
09:22 soient de plus en plus nombreux?
09:24 - Je le redoute et j'en suis même certain, pour deux raisons.
09:27 Plus le régime redoutera la prise de pouvoir
09:29 par ce qu'ils appellent l'extrême-droite,
09:31 plus, je dirais, la pénalisation du désaccord va être vivante.
09:34 Une bonne partie du régime a renoncé à convaincre.
09:36 Une bonne partie du régime veut désormais contraindre.
09:39 On n'espère plus convaincre les gens.
09:40 On veut tout simplement leur interdire de dire des choses.
09:43 Et plus, j'ajoute, et plus la crise de la diversité,
09:46 plus on va constater que la diversité heureuse
09:48 est en train de diversifier malheureusement,
09:50 plus on va imposer de force le récit de la diversité heureuse.
09:53 Mais ayons un portrait d'ensemble dans notre esprit.
09:56 On se demande de temps en temps, rappelez-vous,
09:58 si Marine Le Pen risque d'être inéligible à la présidentielle
10:01 pour des raisons administratives, d'assistants au Parlement européen,
10:04 et ainsi de suite.
10:05 Donc, inéligibilité possible de Marine Le Pen,
10:07 procès à répétition contre Éric Zemmour,
10:09 procès à répétition contre Valeurs actuelles,
10:11 menace contre des télévisions jugées coupables
10:13 de ne pas interpréter correctement les faits divers,
10:15 hier encore, M. Dupont-Moretti,
10:17 nazification du RN, frappe à répétition contre les identitaires.
10:20 Et je pourrais multiplier les exemples.
10:22 Je note qu'entre tous ces gens que je mentionne,
10:24 il n'y a pas nécessairement une convergence de points de vue,
10:27 une convergence d'idées, une convergence d'idéologie.
10:29 Je note simplement que le désaccord aujourd'hui,
10:31 on ne veut plus convaincre les gens qu'ils ont tort.
10:33 On juge que s'ils ont tort, ils méritent une punition juridique.
10:36 Et la punition juridique peut transformer certaines personnes
10:39 en prisonniers politiques demain.
10:41 Je le dis avec frayeur,
10:42 mais je ne crois pas le dire avec exagération.
10:44 ♪ ♪ ♪
10:48 [Musique]

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