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Dans son édito du 29/05/2024, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]

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Transcription
00:00 Votre chronique m'intéresse particulièrement parce que l'effondrement de la notion et du respect de la famille en France m'interpelle.
00:09 Alors lorsqu'on a entendu hier Sonia De Vilaire, certains se sont probablement dit mais c'est un propos excentrique, insensé.
00:16 D'où peut-elle sortir une telle idée ?
00:19 Or c'est une idée qui, lorsqu'on fait l'histoire des idées politiques, n'est pas si surprenante.
00:25 On considère le commun des mortels, c'est l'importance de la famille.
00:29 Le commun des mortels, c'est qu'il est accueilli par un père ou une mère dans la vie et que sans ça, il n'est pas grand chose.
00:35 Mais il y a toute une tradition philosophique, sociologique, idéologique, qui considère que la famille n'est pas un socle,
00:42 n'est pas une base, mais est un problème à résoudre, est un obstacle à faire sauter sur le chemin de l'émancipation individuelle.
00:50 Alors je dis la gauche, qu'on se comprenne bien, je ne peux pas dire toute la gauche dans son ensemble.
00:55 Il y a une certaine gauche à laquelle je ferai référence et qui, quoi qu'on en dise, ne cesse depuis plusieurs siècles maintenant
01:02 de faire le procès de la famille parce qu'elle y voit, j'y reviens, l'obstacle sur le chemin de la révolution.
01:08 Je prends tout de suite la peine de dire que mon propos n'est pas moral, je ne juge personne ici.
01:14 Je sais qu'il y a des familles compliquées. Dieu sait qu'il y a des familles compliquées.
01:17 Je sais que tout le monde n'est pas fait pour la vie de famille.
01:20 Je sais par ailleurs qu'il y a des familles toxiques. Par ailleurs, je sais que notre société ne s'intéresse qu'aux familles toxiques.
01:26 C'est comme si Édouard Louis avait tout dit sur la famille et le reste n'importait pas.
01:29 Je tiens à rappeler qu'il y a surtout beaucoup de familles heureuses.
01:32 Mais je prends la peine de faire toutes ces nuances avant d'entrer dans le cœur de mon sujet,
01:36 qui, comme je le dis, est politique, philosophique, sociologique, mais pas moral.
01:40 Alors, question de départ.
01:42 Qui accueille l'enfant qui naît dans une société?
01:46 À qui appartient l'enfant qui naît dans une société?
01:49 Traditionnellement, on disait à sa famille, naturellement.
01:52 Le père et la mère l'accueillent.
01:54 Ils auront la responsabilité immense de le conduire à l'âge adulte.
01:57 Et avant même de le conduire à l'âge adulte, de le conduire à la société.
02:00 Le conduire à l'école, qui va lui permettre de faire un autre bout de chemin.
02:04 Mais il y a toute une gauche, toute une philosophie, en fait, qui considère que lorsque l'enfant naît,
02:09 il n'appartient que de manière assez complexe à ses parents,
02:12 parce qu'en fait, il devrait appartenir à la société dans son ensemble.
02:16 Et l'objectif, j'y arriverai dans un instant, de la société,
02:20 c'est d'arracher le plus tôt possible l'enfant à sa famille,
02:23 pour le confier à la société dans son ensemble,
02:25 des gens que l'on dira plus compétents, plus qualifiés, pour l'élever, pour l'éduquer.
02:30 Vous connaissez, vous avez probablement entendu des noms dans votre vie,
02:33 comme John Locke, Jean-Jacques Rousseau, Thomas Hobbes,
02:37 et les grands auteurs de ce qu'on appelle le contrat social.
02:40 Quand on s'intéresse à la modernité, un point de départ philosophique, c'est le contrat social.
02:45 C'est l'idée que les êtres humains décident ensemble du type de société dans laquelle ils vont vivre.
02:49 On connaît tous ça par cœur, ces ouvrages-là.
02:52 Ce qui est intéressant, c'est de voir quel est l'être humain que les modernes mettent au cœur de la cité.
02:57 Est-ce que c'est le fils de quelqu'un, et est-ce que c'est le père d'un autre?
03:01 Quel est l'être humain des modernes?
03:03 Est-ce que c'est autrement dit un fils fier de son père, un fils fier de sa mère,
03:07 et qui deviendra lui-même un père et qui a le souci de transmettre?
03:11 Non.
03:12 La philosophie politique moderne nous fait apparaître une société comme si tout le monde avait déjà 25 ans.
03:18 Que des individus déjà constitués, des individus qui, on ne sait pas pourquoi, sont capables de se parler,
03:23 donc qui ont une langue en commun, on suppose,
03:25 des individus qui vont décider ensemble des conditions de la société dans laquelle ils vivront.
03:31 Mais ce ne sont pas des individus en famille, ce ne sont pas des individus en communauté,
03:36 ce sont des individus atomisés.
03:39 De ce point de vue, la société est ce qu'on appelle la philosophie du contrat social.
03:43 Et la vision de la société, pour ces gens-là, elle est artificielle.
03:47 On peut toujours redéfinir le contrat.
03:49 La société n'a rien de naturel.
03:50 Ça, c'est une rupture avec le grand maître de la philosophie politique occidentale,
03:54 c'est Aristote, qui voyait la société comme un fait naturel.
03:58 On pourrait dire la société comme une famille de familles.
04:01 Parce que quel est le problème de la famille?
04:03 Pourquoi on veut en finir avec elle?
04:05 Un enfant naît dans une famille, il naît avec des parents.
04:08 Et ces parents peuvent lui transmettre des préjugés, une culture, une vision du monde,
04:14 une sensibilité, des préférences.
04:17 Et il se trouve que dans nos sociétés, le pouvoir en place peut ne pas approuver,
04:22 peut ne pas approuver les valeurs, les références, les idées, la culture transmise dans la famille.
04:29 Il se trouve qu'il n'approuve pas l'identité qu'on trouve dans cette famille-là.
04:33 Et il considère dès lors que les parents éduquent très mal leurs enfants
04:37 parce que les parents ne reproduisent pas l'idéologie dominante au pouvoir,
04:41 qui est celle, je l'ai dit, de l'individu absolu.
04:45 Je dirais de manière un peu rapide que la gauche, au sens large, au sens philosophique,
04:49 aime l'individu, aime l'État, d'autant que l'État a la puissance pour déconstruire la famille,
04:56 les cultures, les traditions, les mœurs, pour libérer l'individu de toute chose.
05:00 Donc elle aime l'individu qui a besoin de l'État, elle aime l'État qui a besoin de l'individu,
05:03 mais elle n'aime pas ce qui est entre les deux, notamment la famille qu'elle accuse toujours de conservatisme.
05:09 Je donne un exemple qui nous ramène au 20e siècle.
05:12 Il y a une école en philosophie politique, en sociologie, qu'on appelle l'école de Francfort.
05:16 L'école de Francfort, des grands philosophes à Dorneau, à Bermasse, disent la chose suivante.
05:20 Au cœur du fascisme en Europe, au cœur des expériences totalitaires en Europe,
05:26 il y a la famille qui était un creuset autoritaire, un creuset conservateur.
05:31 La famille était porteuse de valeurs qui, laissées à elle-même et radicalisées, conduisaient au fascisme.
05:38 Dès lors que vous avez fait l'expérience du fascisme, qu'est-ce que vous vous dites?
05:41 Il faut en finir avec cette famille porteuse de toutes ces valeurs mauvaises
05:46 pour être capable de libérer l'individu et construire un monde nouveau.
05:51 Ça fait tout le travail dans la deuxième moitié du 20e siècle sur les pédagogies nouvelles,
05:57 toujours avec l'idée suivante, il faut une pédagogie non autoritaire
06:02 pour délivrer l'enfant mentalement de ses parents,
06:05 pour l'affranchir de ceux qui l'ont kidnappé à la naissance, les parents qui l'ont volé à la société.
06:10 Il faut déconstruire le plus tôt possible les préjugés qu'on lui prête.
06:15 Il faut, autrement dit, c'était dans le discours de la contre-culture,
06:19 dynamiter la famille pour permettre à l'individu d'émerger le plus rapidement comme étant tout puissant.
06:26 [Musique]
06:30 [SILENCE]

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