• il y a 2 ans
Une nouvelle guerre menace l'Arménie, comme l'annoncent clairement les inquiétants projets géopolitiques de l'Azerbaïdjan et de la Turquie, comme le prouve aussi leur pression permanente sur l'enclave chrétienne bimillénaire du Haut-Karabakh. La question n'est plus de savoir si cette guerre aura lieu, mais quand elle aura lieu. Prise en tenaille entre l'Azerbaïdjan et la Turquie, lâchée par la Russie au jeu ambigu, l'Arménie est seule, livrée à elle-même, victime collatérale du conflit en Ukraine. Les Arméniens se voient abandonnés à leur sort, comme le furent leurs ancêtres, lors du génocide perpétré par les Turcs en 1915, dans une indifférence quasi générale. Une catastrophe humanitaire sans précédent se prépare et, de nouveau, l'Occident regarde ailleurs, prêt au compromis avec l'Azerbaïdjan et la Turquie. Cette complaisance européenne ne fait qu'encourager leur implacable politique de puissance. Grand reporter familier du Caucase et spécialiste des questions militaires, Frédéric Pons présente son dernier ouvrage "L'Arménie peut-elle disparaitre ? - Un conflit oublié aux portes de l'Europe".

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00:09 La liberté a un prix.
00:11 [Générique]
00:37 Bonjour à tous. Bienvenue dans notre Zoom aujourd'hui en compagnie de Frédéric Ponce. Bonjour monsieur.
00:42 Bonjour Pierre.
00:43 Frédéric Ponce, grand reporter spécialiste des questions militaires.
00:47 Vous êtes d'ailleurs colonel de réserve au 8e RPIMA de Castres.
00:53 Vous publiez cet ouvrage chez Artej.
00:55 L'Arménie va-t-elle disparaître ? Un conflit oublié aux portes de l'Europe,
01:00 comme d'habitude à retrouver sur la boutique officielle de TV Liberté.
01:04 Alors, les tensions sont au plus haut depuis la reconquête éclair par l'Azerbaïdjan en septembre du Haut-Karabagh,
01:12 enclave séparatiste que Bakou et Erevan se sont disputées pendant plus de trois décennies.
01:19 Ces derniers temps, plus de 100 000 chrétiens ont fui pour rejoindre l'Arménie,
01:25 puisque rappelons que le Haut-Karabagh est une enclave chrétienne en Azerbaïdjan.
01:29 Quelles sont les dernières nouvelles que vous avez de ce conflit, Frédéric Ponce ?
01:34 Alors, ce qui se passe en ce moment dans le Haut-Karabagh est assez opaque,
01:38 puisque le Karabagh est interdit à la fois aux journalistes et à toute présence internationale.
01:45 On sait que les 9/10ème de la population arménienne, chrétienne du Karabagh sont partis vers la République d'Arménie.
01:54 Ils restent dans le Karabagh, là où il y avait jusqu'en septembre 120 000 habitants.
01:58 Il reste peut-être quelques milliers, on ne sait pas exactement, de personnes plutôt âgées,
02:03 des personnes handicapées et des gens extrêmement pauvres qui ne voulaient pas perdre les maigres biens qu'ils pouvaient avoir.
02:11 Et tout ça se passe dans une ambiance très dure pour les gens qui restent,
02:16 parce qu'on le sait, dès septembre, quand l'Azerbaïdjan envahit avec son armée ce territoire,
02:23 les lieux chrétiens ont été fermés, les lieux de culte, les cimetières ont été vandalisées et pillées.
02:29 Et se met en place, subrepticement, mais de façon très ordonnée et très annoncée finalement,
02:37 une politique de discrimination à l'égard des derniers habitants chrétiens,
02:41 avec un objectif de les faire partir tous vers la République d'Arménie
02:46 pour achever le processus d'épuration ethnique et religieuse de l'enclave du Haut-Karabagh.
02:51 Comment s'est déroulée militairement cette reconquête azérie du Haut-Karabagh ?
02:56 Alors l'Azerbaïdjan, au fil des années, de ces 15 dernières années,
03:01 grâce à son argent, à sa manne pétrolière et gazière, a pu reconstituer des forces, une armée moderne,
03:09 avec des matériels américains, israéliens, turcs, avec des entraînements extrêmement poussés.
03:17 On le sait, tout cela. Et les Arméniens le savaient, mais ils n'en ont pas tenu compte.
03:20 Lors de la première guerre du Karabagh qu'ils remportent en 1994,
03:24 les Arméniens conquièrent cette autonomie et le territoire.
03:28 Et dès cette époque-là, les Azerbaïdjani avaient dit "nous reprendrons le Karabagh,
03:33 ça prendra du temps, mais nous reprendrons".
03:35 Et il y a eu plusieurs séries d'accrochages, d'incidents plus ou moins importants.
03:41 Et en 2020, deuxième guerre du Karabagh, l'Azerbaïdjan reconquiert les deux tiers de ce territoire,
03:47 première exode de population. Là, on constate que l'armée azerbaïdjanaise
03:51 qui avait été battue en 1994 est une armée moderne très efficace.
03:55 Les Arméniens sont battus. Et en septembre dernier, l'armée azerbaïdjanaise repara l'offensive
04:02 sur des positions qui étaient très favorables, et récupère le dernier tiers
04:06 pour achever la reconquête totale du Haut-Karabagh.
04:10 Est-ce que ces populations arméniennes du Haut-Karabagh se sont battues ?
04:14 Est-ce qu'ils avaient des armes ? Est-ce qu'ils se sont opposés aux armées azériennes ?
04:18 Alors, ces populations du Haut-Karabagh se disent "Nous sommes le peuple de la montagne,
04:22 solide comme le roc de leur montagne". C'est vrai, beaucoup de gens courageux,
04:27 mais face au rouleau compresseur de l'Azerbaïdjan, ils n'avaient pas les armes,
04:31 ils n'avaient pas la défense antiaérienne, notamment contre les drones,
04:35 et malgré quelques actes de bravoure, de résistance, ils ont été balayés très vite,
04:39 d'autant plus que l'armée arménienne de la République d'Arménie est restée l'arme au pied,
04:44 ne s'est pas portée à leur secours. Et de la même façon, les forces russes
04:49 d'interposition, qui étaient là depuis 2020, sont restées l'arme au pied.
04:53 Cette force d'interposition a regardé passer l'armée azerbaïdjanaise
04:58 sans aller porter secours aux Arméniens. Et donc, les Arméniens du Haut-Karabagh
05:02 se sont retrouvés totalement isolés, incapables de résister,
05:06 et ils ont déposé les armes très très vite.
05:09 – Beaucoup ont fui pour rejoindre l'Arménie, il en reste tout de même
05:13 dans les montagnes du Haut-Karabagh. – Très peu, oui.
05:16 – Est-ce qu'on connaît le quotidien de ces populations arméniennes du Haut-Karabagh ?
05:20 – Ces gens-là sont en sursis, il est probable que, bon, il en restera toujours un peu,
05:26 mais il est probable qu'au fur et à mesure des semaines et des mois,
05:30 notamment les terribles mois d'hiver, là, qui ont déjà commencé,
05:33 ces gens-là, privés de tout, demanderont à partir,
05:36 ou d'eux-mêmes prendront la route de l'exode.
05:39 Les Azerbaïdjanais ne feront rien pour les garder,
05:42 et on sait déjà que l'Azerbaïdjan est en train de faire venir ou revenir
05:47 des Azerbaïdjanais qui avaient quitté cette enclave depuis 1994.
05:52 On dit aussi que l'Azerbaïdjan fait venir des Kurdes, des Arabes,
05:57 pour repeupler cette région de population musulmane,
06:01 pour la vider de toute la population chrétienne.
06:03 – Après le nettoyage ethnique, on repeuple.
06:05 – Oui, oui, mais ça c'est en cours, les maisons sont aujourd'hui,
06:09 les maisons arméniennes chrétiennes sont occupées aujourd'hui
06:12 par des nouveaux colons azerbaïdjanais, les terres sont reprises,
06:17 les troupeaux ont été saisis, et aux malheureux Arméniens
06:20 qui restent dans l'enclave, il ne reste quasiment plus rien,
06:23 puisque même leurs églises, maintenant,
06:25 commencent à être fermées les unes après les autres.
06:27 – Alors, il s'agit bien, selon le droit international,
06:31 ce territoire du Haut-Karabakh, il s'agit bien d'un territoire azéri.
06:35 – Mais oui, alors c'est tout le problème, en fait l'histoire,
06:38 pour aller très vite, remonte à 1921, quand Staline,
06:41 qui détestait les Arméniens, qui se méfiait des Arméniens,
06:44 décide de diviser pour régner, et il va enlever deux enclaves importantes,
06:48 deux territoires importants à l'Arménie, pour les donner à l'Azerbaïdjan.
06:52 Ce fameux Haut-Karabakh, donc une enclave de 11 000 km²,
06:56 à peu près, située en plein territoire de l'Azerbaïdjan,
06:59 c'était ingérable à terme, on le savait, mais ça a entretenu les tensions.
07:03 Et puis une autre enclave, qui s'appelle le Nakhichevan,
07:06 qui est adossée, coincée entre l'Arménie et l'Iran,
07:11 c'est une enclave à l'origine arménienne,
07:14 en 1921, elle est donnée à l'Azerbaïdjan,
07:17 un siècle plus tard, là, en ce moment,
07:19 il n'y a plus un Arménien chrétien dans cette enclave du Nakhichevan,
07:23 les cimetières arméniens ont été rasés,
07:26 toutes les églises sont fermées,
07:28 et en Arménie, comme dans le Haut-Karabakh,
07:31 les Arméniens disent "ce qui s'est passé au Nakhichevan
07:34 va se passer au Karabakh, dans quelques années,
07:37 il n'y aura plus une trace de présence chrétienne
07:40 dans cette enclave du Haut-Karabakh".
07:42 Et c'est exactement ce qu'avait annoncé,
07:44 c'est ça qui est fou, tout est écrit en fait,
07:46 c'est ce qu'avait annoncé le président, l'autocrate,
07:49 l'amaléif, et ses amis, dans un certain nombre de discours,
07:53 de messages, de livres publiés par des historiens azerbaïdjanais,
07:57 ils disent très clairement que l'Arménie n'a pas sa place dans le Caucase,
08:02 par un négationnisme assez incroyable sur le plan historique,
08:06 ils disent que les terres arméniennes d'aujourd'hui
08:10 ne sont pas arméniennes,
08:12 ils nient l'arménité de l'Arménie,
08:15 ils considèrent que des pans entiers du territoire de l'Arménie
08:18 sont azeris, et donc doivent revenir à l'Azerbaïdjan,
08:22 ils ont déjà préparé les noms de ces nouvelles régions
08:25 dont ils vont s'emparer peut-être dans quelques mois ou quelques années,
08:29 et par exemple la province sud de l'Arménie,
08:32 le Sionik, qui est la province la plus menacée,
08:35 ils l'ont déjà rebaptisé pour les azerbaïdjanais,
08:38 c'est le Zangezour, ça n'est pas une terre arménienne,
08:41 ce n'est pas le Sionik, c'est le Zangezour azeri,
08:44 où les azerbaïdjanais ont vocation à revenir et à s'installer.
08:48 – En Ukraine comme en Arménie, donc ces populations civiles
08:52 payent la folie des décisions territoriales prises par les soviétiques,
08:57 Lénine puis Staline.
08:59 – Oui, Lénine, Staline et l'Empire soviétique avait entretenu tout cela,
09:03 et elles paient, ces populations paient aussi,
09:07 le désir de puissance, l'impérialisme,
09:10 l'hubris des dirigeants actuels, notamment à la fois en Azerbaïdjan,
09:16 les Turcs d'Azerbaïdjan, puisqu'ils sont turcs,
09:19 et les Turcs de Turquie avec Erdogan, le président Erdogan,
09:23 qui soutient à 100% les projets de son camarade azerbaïdjanais.
09:27 – Le 21 novembre dernier, le président azeri,
09:30 Ilham Aliyev, a accusé la France de préparer le terrain
09:34 pour une nouvelle guerre dans le Caucase en armant l'Arménie.
09:39 Quelle est la politique réelle du Quaid d'Orsay en Arménie aujourd'hui ?
09:43 – Oui, il s'est donné beaucoup d'importance à la France.
09:45 Il y a un lien très fort entre la France et l'Arménie,
09:48 entre le peuple français et le peuple arménien.
09:50 Depuis très longtemps, il y a une très forte diaspora arménienne en France,
09:54 peut-être 600 000 Arméniens de différentes générations,
09:57 et donc il y a une réalité à travers ce lien,
10:00 à la fois historique, politique et culturel.
10:02 Le problème, c'est que toutes ces dernières années,
10:05 et pas seulement du temps d'Emmanuel Macron,
10:08 la France s'est un peu éloignée de l'Arménie.
10:10 Et au moment des crises les plus graves, en 2020 et en septembre dernier,
10:16 la France, Emmanuel Macron, ses ministres, ont fait de très beaux discours,
10:20 mais jamais suivi des faits.
10:22 – Comme au Liban.
10:23 – Et oui, et les Arméniens disaient, bon c'est très bien, merci la France,
10:26 mais que faites-vous ?
10:27 Moi j'y suis allé à plusieurs reprises, toutes ces dernières années,
10:31 et les Arméniens disent, mais pourquoi la France ne nous livre pas,
10:33 à nous Arméniens, quelques éléments d'équipement militaire dont nous avons besoin ?
10:38 Ils ne demandaient pas des avions, des chars, mais des équipements précis,
10:42 alors que vous livrez tant de choses à l'Ukraine.
10:45 Et bien les beaux discours de la France sont restés des discours,
10:50 et il y a des raisons, on parlera peut-être de l'Europe après,
10:53 sauf que ces dernières semaines, enfin, à travers le ministre des Armées,
10:57 M. Lecornu, la France a accepté de livrer quelques équipements.
11:01 Ce qui fait du bien aux Arméniens,
11:03 ce qui alarme de façon exagérée l'Azerbaïdjan,
11:06 mais les Arméniens disent, bon c'est bien, mais c'est trop peu et trop tard.
11:10 – Les principaux dirigeants de l'Union Européenne, Ursula von der Leyen en tête,
11:16 ont fait le choix de ménager l'Azerbaïdjan et de mettre de côté l'Arménie.
11:21 Comment vous l'expliquez ce choix géostratégiquement ?
11:24 – Alors je me permets de vous corriger gentiment,
11:26 Ursula von der Leyen n'est pas une dirigeante de l'Union Européenne,
11:30 elle est la présidente de la Commission Européenne.
11:32 Les vrais dirigeants de l'Union Européenne sont les chefs d'État.
11:34 – Oui, ce sont les chefs d'État.
11:35 – Non, non, mais il faut la remettre à sa place cette dame.
11:37 – Oui, oui, tu as raison.
11:38 – Eh bien c'est tout simple, en juillet 2022, Ursula von der Leyen est allée à Bakou,
11:44 la capitale de l'Azerbaïdjan,
11:46 à embrasser avec beaucoup de chaleur l'autocrate Ilham Aleyev,
11:50 pour signer un contrat d'exportation de gaz et de pétrole azerbaïdjanais vers l'Europe.
11:57 Tout simplement parce que l'Europe s'est mise en défaut,
12:00 avec les sanctions appliquées contre la Russie,
12:03 l'Europe s'est coupée ou veut se couper du gaz et du pétrole russe.
12:07 Donc il fallait une alternative pour chauffer nos foyers.
12:10 Et on est allé chercher le trésor de guerre de l'Azerbaïdjan,
12:16 c'est-à-dire son gaz et son pétrole, et ce faisant,
12:19 eh bien à ce moment-là, juillet 2022, on condamnait l'Arménie
12:25 à subir ce qu'elle a subi depuis.
12:27 On se condamnait, nous Européens, à accepter les conditions de l'Azerbaïdjan
12:31 et à baisser le regard devant l'autocrate,
12:34 qui s'est trouvé encouragé dans son projet de conquête territoriale
12:38 et encouragé pour ce qui va suivre aussi.
12:40 Et donc Emmanuel Macron et tous les autres dirigeants européens
12:43 sont finalement ligotés par cet accord sur l'énergie,
12:48 ligotés par les initiatives de Mme Ursula von der Leyen
12:53 et de la Commission européenne.
12:55 Et des Américains plus hauts.
12:57 Aux yeux de ses voisins turcs, azériens et plus lointains israéliens,
13:01 que représente l'Arménie sur la matière géostratégique ?
13:06 L'Arménie en soi est un petit petit pays, 29 000 km², 2,7 millions d'habitants.
13:12 C'est un pays qui n'a pas de ressources naturelles majeures,
13:16 sauf localement.
13:17 L'Azerbaïdjan est très intéressé par la conquête du Sionique,
13:21 la partie sud, parce qu'il y a beaucoup d'eau.
13:23 Il y a des mines aussi.
13:24 Mais au niveau régional plus élargi, l'Arménie pèse assez peu.
13:30 En revanche, la position géographique de l'Arménie
13:33 en fait un point de passage,
13:35 ou en ferait un point de passage très intéressant
13:38 pour les exportations de gaz et de pétrole de l'Azerbaïdjan
13:41 vers la Turquie et vers l'Europe.
13:43 A l'heure actuelle, les gazoducs et oléoducs
13:46 doivent faire un détour par la Géorgie, éviter l'Arménie.
13:49 Mais c'est annoncé dans les textes des Azerbaïdjanais.
13:53 Ils disent, conseillés par des compagnies pétrolières
13:57 anglo-saxonnes, anglaises et américaines,
13:59 qui ont bâti tous les schémas d'exportation du pétrole
14:02 et du gaz azéri.
14:03 Et donc, selon ces schémas,
14:05 il serait plus rapide et plus rentable
14:08 de passer par l'Arménie, par le sud de l'Arménie,
14:11 cette fameuse région du Sionique dont je parle.
14:14 Le président azerbaïdjanais a tous les plans sur la table.
14:17 Il sait que pour vendre plus de pétrole
14:20 et pour gagner plus d'argent,
14:21 il doit en finir avec ce caillou arménien
14:24 là qui est dans sa chaussure.
14:26 Et il doit s'emparer au minimum d'un corridor
14:29 pour faire passer ses oléoducs et gazoducs,
14:32 ou au mieux, parce qu'il sera encore plus gagnant,
14:35 s'emparer de la partie sud de l'Arménie,
14:38 où là, il pourra non seulement faire passer
14:41 ses oléoducs et ses gazoducs,
14:43 mais s'emparer des mines qui se trouvent en Arménie,
14:46 s'emparer des formidables réserves d'eau,
14:48 et l'eau est très importante,
14:49 et puis aussi, un autre aspect,
14:51 fermer la frontière avec l'Iran.
14:53 L'Iran a une frontière ouverte avec l'Arménie.
14:55 C'est le poumon économique pour l'Arménie.
14:58 Et si cette frontière est fermée,
15:00 les jours de l'Arménie seront comptés, très certainement.
15:03 – Et sur le fait que Israël, Tel Aviv,
15:06 aient pris fait et cause pour l'Azerbaïdjan,
15:08 comment vous l'expliquez ce choix ?
15:10 – Oui, Israël n'a pas un amour fou pour les Turcs chiites,
15:16 parce qu'ils sont chiites, de l'Azerbaïdjan,
15:19 mais Israël raisonne en fonction de ses intérêts.
15:22 L'intérêt d'Israël est double dans cette affaire.
15:25 D'abord, ils vendent des armes,
15:27 ce sont des affaires du business, du commerce,
15:30 ils vendent des armes, et l'Azerbaïdjan paie,
15:33 et paie très bien, et en retour,
15:35 ils obtiennent de l'énergie à faible coût,
15:38 l'énergie de l'Azerbaïdjan.
15:40 Donc ils sont gagnants sur ce plan-là.
15:42 Et puis il y a un autre aspect,
15:44 la plus géostratégique, plus militaire,
15:46 en prenant pied en Azerbaïdjan,
15:48 Israël prend pied au nord de l'Iran.
15:51 L'Iran est l'ennemi existentiel d'Israël.
15:53 Et donc en prenant pied au nord de l'Iran,
15:56 c'est-à-dire dans le sud de l'Azerbaïdjan,
15:59 eh bien, ils contournent cet ennemi,
16:01 ils créent un motif d'inquiétude,
16:04 et on sait qu'ils ont installé en Azerbaïdjan,
16:07 les Israéliens, des bases d'écoute
16:09 dirigées vers l'Iran.
16:11 On sait qu'il y a aussi, probablement,
16:13 le jour venu, des bases d'assaut,
16:15 un aéroport qui servira à peut-être
16:17 déployer des troupes américaines ou israéliennes,
16:20 si d'aventure une guerre se déclenchait
16:22 contre l'Iran.
16:23 Donc pour Israël, c'est gagnant sur le plan
16:25 des affaires, gagnant sur le plan stratégique.
16:28 – Vous avez intitulé votre ouvrage
16:30 "L'Arménie va-t-elle disparaître ?"
16:32 Est-ce que vous pensez qu'à moyen ou court terme,
16:36 l'Azerbaïdjan envisagerait une offensive en Arménie ?
16:41 – Alors, je pense, ce que je vois et ce que je lis,
16:44 l'Azerbaïdjan et l'Amalief,
16:47 tous les autres dirigeants, les diplomates azerbaïdjanais,
16:52 ont clairement dit que l'Arménie n'a pas sa place
16:55 et qu'il faudra réinstaller les Azeris
16:59 dans leur milieu naturel dans le Caucase,
17:01 c'est-à-dire aussi dans ce qui est l'Arménie aujourd'hui.
17:03 Donc ils annoncent de nouvelles conquêtes territoriales.
17:06 D'autre part, ils ont la puissance financière
17:08 grâce au pétrole et au gaz,
17:10 ils ont la puissance militaire avec des armements
17:13 qui font de l'armée azerbaïdjanaise
17:15 une des premières à l'est de la Turquie et jusqu'à la Chine,
17:21 c'est pratiquement l'armée azerbaïdjanaise
17:23 qui est la plus forte en ce moment.
17:25 Donc c'est important, ils ont tous les moyens,
17:27 ils ont un objectif politique,
17:29 après c'est une question d'opportunité.
17:31 – Personne ne viendra s'opposer à une offensive
17:35 dans la dite communauté internationale.
17:37 – Très difficile à dire, on pouvait penser
17:39 que la Russie, alliée traditionnelle de l'Arménie
17:41 jusqu'à ces derniers temps, allait peut-être jouer un rôle.
17:44 On a bien vu en septembre dernier que la Russie n'a pas bougé,
17:47 tout simplement parce que Vladimir Poutine
17:50 a besoin d'exporter lui aussi son pétrole et son gaz sous sanction.
17:54 Donc il utilise le réseau de l'Azerbaïdjan,
17:57 une partie du pétrole et du gaz
17:59 qui circulent dans les tuyaux de l'Azerbaïdjan vers l'Europe,
18:03 c'est du gaz et du pétrole russe,
18:05 c'est-à-dire nous Français, Européens,
18:07 nous consommons en ce moment du pétrole et du gaz russe.
18:09 On ne le dit pas mais c'est une réalité.
18:11 Donc il y a ça, il a besoin d'exporter Vladimir Poutine
18:15 et puis la guerre en Ukraine ne se passe pas aussi bien que prévu,
18:18 elle est plus coûteuse en armement, en finance et en effectif
18:23 et donc il ne peut pas risquer ou il ne pouvait pas risquer
18:26 d'ouvrir un second front dans le Caucase
18:30 face à l'Azerbaïdjan éventuellement,
18:32 mais qui dit Azerbaïdjan c'était aussi la Turquie.
18:34 Poutine a besoin de la Turquie pour différentes raisons
18:37 et donc il a lâché l'Arménie,
18:39 ce que les Arméniens n'ont pas bien vu venir malheureusement.
18:42 Pour le reste, l'Amérique, la communauté internationale,
18:45 je pense que l'Arménie pèsera très peu dans leur choix
18:49 puisqu'il y a des enjeux énergétiques très forts
18:52 et la Turquie exerce une sorte de chantage sur l'Europe
18:56 mais aussi sur l'Amérique puisque la Turquie fait partie de l'OTAN
19:00 et je ne vois pas bien aujourd'hui qui pourrait venir au secours de l'Arménie
19:04 en dehors des beaux discours.
19:06 Quelle responsabilité porte le Premier ministre arménien
19:10 Nicole Pachinian dans la situation actuelle de son pays ?
19:14 Quand il est élu en mai 2018, il représente un espoir
19:18 pour beaucoup d'Arméniens,
19:20 il a l'espoir d'en finir avec les vieilles habitudes
19:22 héritées de l'Union soviétique.
19:24 Il y avait un clan ou des clans pro-russes extrêmement forts.
19:28 Lui arrive et veut restaurer en quelque sorte l'indépendance de la classe politique.
19:32 Il annonce un virage libéral,
19:34 il annonce un rapprochement avec l'Occident
19:37 et une majorité d'Arméniens se rallient à lui.
19:41 Et puis les années ont passé, 2018-2023,
19:44 les Arméniens ont constaté que rien n'a vraiment changé.
19:48 Sauf Héraïva, vous expliquez dans votre ouvrage
19:50 que la capitale fait figure de ville occidentale,
19:54 mais que quand on sort, on se retrouve dans l'Union soviétique.
19:57 La capitale, oui, c'est une vitrine si vous voulez.
20:00 Alors il y a beaucoup de Russes en ce moment
20:02 qui font tourner aussi l'économie arménienne,
20:04 mais dès qu'on s'éloigne un peu,
20:06 on retourne dans une ambiance post-soviétique
20:08 où les choses n'ont pas vraiment changé.
20:10 L'appareil industriel et agricole est délabré en Arménie.
20:14 Et tout ça n'a pas bougé.
20:16 Les Arméniens disent "mais on a lâché la proie pour l'ombre".
20:19 C'est-à-dire que Pachinian, le Premier ministre,
20:21 a voulu se rapprocher de l'Occident.
20:23 Et donc ça a conduit à l'éloignement de Poutine et de la Russie
20:27 qui pouvaient encore soutenir peut-être l'Arménie.
20:29 Ça a provoqué la colère de Poutine.
20:32 Et puis l'armée arménienne n'est pas remontée en puissance sous Pachinian.
20:39 Les Arméniens lui reprochent ça.
20:41 Et ils ne comprennent pas pourquoi l'Arménie,
20:44 la République d'Arménie de M. Pachinian,
20:46 n'a pas soutenu davantage le Haut-Karabakh.
20:49 Y a-t-il eu un accord avec la Russie, avec l'Amérique
20:52 pour laisser faire l'Azerbaïdjan ?
20:54 Tout ça, ça va se décanter dans les mois qui viennent.
20:58 Mais Pachinian porte une part de responsabilité très claire
21:02 sur cette évolution assez néfaste pour la République d'Arménie.
21:06 – Politique libérale de Pachinian.
21:08 – Oui.
21:09 – Vous dites que l'Arménie pèse bien davantage que sa géographie.
21:13 Qu'est-ce qu'elle représente ? Qu'est-ce que représente ce pays ?
21:16 – Alors pour les spectateurs qui l'ont peut-être oublié,
21:19 l'Arménie est d'abord le premier État chrétien au monde,
21:23 baptisé en 301 avec Saint Grégoire l'Illuminateur.
21:27 C'est des années avant Clovis et des années avant la conversion aussi
21:31 de l'Empire romain au christianisme.
21:34 Donc c'est un État chrétien depuis cette époque-là.
21:38 Et quand je dis État chrétien, avec toute cette culture finalement
21:42 judéo-chrétienne, culture de liberté, de respect de l'homme,
21:45 respect de la femme, des habitudes de liberté qui sont exceptionnelles
21:51 dès qu'on va en Méditerranée orientale, en Orient et en Asie.
21:57 Ces valeurs judéo-chrétiennes sont très très rares.
22:02 Et donc l'Arménie est vraiment, quand on va là-bas, on s'en rend compte,
22:06 un bout d'Europe tombé dans le Caucase ou fiché dans le Caucase
22:09 depuis bien plus longtemps que beaucoup d'autres États.
22:14 L'Arménie est un peu un miroir de ce que nous sommes
22:17 avec cette ancienneté si particulière.
22:19 L'ancêtre de l'Europe.
22:21 L'ancêtre de l'Europe, ce serait beaucoup dire et ce serait faire injure
22:23 aux vrais ancêtres de l'Europe, mais il y a une réalité.
22:27 Et les Arméniens nous le rappellent souvent, qu'ils sont nos cousins,
22:30 peut-être pas nos frères, mais nos cousins.
22:32 Et que ce qui leur arrive à eux pourrait très bien nous arriver demain
22:36 face à quoi ? Face à cet impérialisme géopolitique,
22:40 mais aussi civilisationnel qu'affronte l'Arménie.
22:44 Depuis quelques années, avant ce n'était pas le cas,
22:46 mais depuis quelques années, dans les discours des Azerbaïdjanais,
22:49 on voit apparaître ce thème de la lutte du croissant contre la croix.
22:53 C'est assez nouveau, mais ça revient très souvent,
22:55 même dans les discours du président Aleïef,
22:57 qui n'est pas plus musulman que vous ou moi, mais ça revient.
23:01 Et il y a une guerre de conquête civilisationnelle,
23:04 appuyée par la Turquie, au détriment de l'Arménie.
23:08 Et l'Arménie nous dit "attention, attention, ce qui est en train de nous arriver,
23:12 demain ce sera peut-être l'Europe qui sera en première ligne".
23:15 Eux disent "nous sommes en première ligne".
23:17 Les chrétiens du Liban, à une époque, nous disaient cela.
23:19 Ils le disent encore, les chrétiens d'Irak et de Syrie.
23:22 "Nous sommes en première ligne, ce que nous vivons,
23:25 peut-être que c'est demain, ce sera votre avenir".
23:27 Donc aidez-nous aujourd'hui pour ne pas avoir à le regretter demain.
23:31 C'est le message de l'Arménie.
23:33 – Qu'est-ce que vous espérez comme dernière question dans ce conflit, Frédéric Ponce ?
23:38 – Moi ce que j'espère c'est que la France retrouve son rôle historique,
23:42 dégage une vraie politique à l'égard de, pas forcément du caucase,
23:47 mais à l'égard de ce pays qui est un peu de nous-mêmes,
23:50 et qu'on aille au-delà des mots et de la communication,
23:54 et qu'on se réengage un peu plus sur le plan culturel,
23:57 il y a une attente énorme, sur le plan politique,
24:00 et sur le plan militaire à l'égard de ce pays,
24:03 sans aller faire la guerre là-bas.
24:05 Mais si on ne montre pas sa force, on est faible dans ce genre de pays.
24:09 Et si on est faible, on est condamné à être bousculé, humilié.
24:13 On l'a vu en Orient, on l'a vu en Afrique, au Sahel ces derniers temps,
24:18 la France pèse de moins en moins,
24:21 parce qu'elle n'a pas le courage de ce qu'elle est, de son identité,
24:24 mais ça commence déjà chez nous, à l'intérieur de nos frontières malheureusement,
24:28 et elle se condamne à se replier, et à subir les coups,
24:33 sans pouvoir répondre, puisqu'elle a des doutes elle-même,
24:36 la France, mais l'Europe plus largement, sur sa véritable identité.
24:41 L'Arménie va-t-elle disparaître ?
24:43 Un conflit oublié aux portes de l'Europe,
24:45 à retrouver comme d'habitude sur la boutique de TVL.
24:48 Merci monsieur.
24:49 Merci Pierre, merci beaucoup.
24:51 [Musique]

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