Les amis de mes amis sont mes amis, mais s'ils étaient plus que ça ? La journaliste Alice Raybaud est notre invitée pour son essai qui souligne combien nos modes de vie restent imprégnés d’un imaginaire où l’amour est la seule voie de construction
Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
Category
😹
AmusantTranscription
00:00 La question de Maya aujourd'hui c'est "l'amitié est-elle sous-cotée ?"
00:04 Et c'est introduit par Camille Lelouch et Guy Bedos.
00:07 *musique*
00:11 Allô ma poule, ça va ?
00:13 Mais grave, depuis le temps qu'on s'est pas vues, franchement tu me manques trop !
00:15 T'as plein de trucs à me raconter, non ?
00:16 *rire*
00:18 Grave !
00:18 T'es trop ma number one !
00:20 T'es trop ma BBF !
00:21 T'es trop ma soeur d'amour !
00:23 Je n'aime pas flatter.
00:25 Je n'aime pas la démagogie, je n'aime pas la grimace de l'amitié.
00:29 Je n'aime pas le mensonge.
00:31 L'amitié est-elle sous-cotée ?
00:34 Allez, je vais être joueuse et proposer le pari inverse.
00:36 L'amitié est sur-cotée.
00:38 On pourrait même dire qu'il est devenu une injonction.
00:40 Si à 50 ans t'as pas 50 amis, t'as raté ta vie et tu rateras même ta fin de vie
00:43 puisque tu mourras seule, dévorée par tes chiens.
00:45 Tant de dramas !
00:46 Franchement, l'obligation amicale est une telle pression qu'aujourd'hui
00:49 elle finit dans ma to-do liste.
00:50 Poubelle, litière, déclaration de revenu, apéro des copines, lessive anniversaire de Nora.
00:54 Je vais vous faire un aveu, moi je vois tellement peu mes amis qu'il y en a 2-3 dont j'ai oublié le prénom.
00:58 Je rate les bons moments, les mauvais, je rate les mariages.
01:01 Je ne comprends pas pourquoi mes amis ne me larguent pas.
01:03 Alors évidemment, ce dilettantisme amical se paye.
01:05 Vous connaissez la fameuse question qui consiste à se demander
01:08 quel ami on appellerait à 4h du matin pour se débarrasser d'un cadavre ?
01:11 Et bien moi je choisirais ma mère dont je soupçonne qu'elle sache parfaitement se débarrasser des cadavres.
01:14 Mais c'est une autre histoire, pour vous donner une idée de la loose.
01:18 Mes meilleurs amis à moi, je ne suis pas leur meilleur amie à eux.
01:21 Et ça ne me rend même pas triste parce que ça correspond à mes choix de vie.
01:23 Mes grandes passions c'est l'amour, le sexe et le travail.
01:25 Pas forcément dans cet ordre.
01:27 Et donc mes amis les plus proches, c'est ceux avec qui j'ai pu brouiller toutes ces catégories.
01:31 Et puis je trouve qu'il faut réhabiliter les relations légères.
01:33 Les gens qu'on ne voit pas, ceux qu'on adore une fois tous les 6 mois,
01:35 ceux qu'on a laissé dans des endroits qu'on a quittés.
01:37 Parce que ces relations-là, c'est aussi celles qui permettent les retrouvailles.
01:40 Finalement la seule amitié sous-cotée, à mon avis, c'est l'amitié en pointillé.
01:43 Et pour te convaincre, Maïa, tu reçois la journaliste Alice Rébeau.
01:47 Oui, car quand même je suis capable de changer de ville.
01:49 C'était beaucoup de mauvaise foi, je l'admets.
01:51 Bonjour Alice Rébeau.
01:52 Bonjour Maïa.
01:53 Alors vous écrivez dans Le Monde sur la jeunesse.
01:55 Et vous publiez demain le livre "Nos puissantes amitiés" aux éditions La Découverte.
02:00 Donc je désamorce tout de suite mon édito.
02:02 Vous réfutez toute exigence de pression qui peserait sur l'amitié.
02:06 Oui, l'idée ce n'est pas de recréer de nouvelles injonctions.
02:08 Et surtout pas de multiplier les amis,
02:12 avoir cette bande d'amis immense, ni même une amitié fusionnelle.
02:15 Mais c'est plus d'ouvrir un petit peu le champ des possibles.
02:18 Et réinterroger, repenser la place de ce lien qui, c'est vrai,
02:25 dans nos sociétés est encore un peu considéré comme secondaire,
02:28 un petit peu sacrifiable sur l'autel du couple et de la famille.
02:33 C'est quoi la puissance de l'amitié ?
02:36 La puissance de l'amitié, je pense que c'est une forme de possibilité d'émancipation
02:43 dans ce lien qui n'est pas complètement corseté par des cadres très serrés,
02:48 tels que le sont notamment le couple, le couple conjugal,
02:52 dans lequel chaque changement personnel,
02:56 que ce soit un changement professionnel, un déménagement,
03:00 peut être considéré comme un vrai accro, une épreuve pour le couple.
03:03 Dans l'amitié, on a des canons qui sont un petit peu moins serrés,
03:06 un cadre qui peut se réinventer.
03:08 La possibilité aussi d'être un petit peu en marge,
03:11 donc de certaines logiques capitalistes, patriarcales,
03:15 et de réinventer à l'intérieur quelque chose aussi de l'ordre du soin,
03:19 qui je pense est extrêmement puissant et qui fait la puissance de ces amitiés.
03:23 Comment vous expliquez que l'amour ait un peu pris le pas sur l'amitié,
03:26 puisque ça n'a pas toujours été comme ça ?
03:27 C'est vrai qu'on n'a pas toujours eu une obsession pour l'amour romantique
03:32 aussi grande qu'aujourd'hui.
03:34 Qu'est-ce qui nous est arrivé ?
03:36 L'amour romantique aujourd'hui est un petit peu,
03:38 au-delà du fait qu'il organise un petit peu toute notre société,
03:40 il est considéré aussi comme une forme d'accomplissement de soi,
03:44 et notamment pour les femmes auxquelles on apprend que,
03:48 notamment sans hommes, elles sont incomplètes et perdues,
03:53 avec cette image de la vieille fille.
03:56 C'est une idée qui a été soutenue à partir de la fin du XIXe siècle,
04:02 notamment avec l'émergence de l'idéal du mariage d'amour,
04:07 qui en partie avait pour but de contenir les femmes à l'intérieur du foyer,
04:14 faire en sorte qu'elles ne se dispersent pas trop à l'extérieur,
04:17 à un moment justement où les femmes commençaient à prendre leur envol économique,
04:22 et pouvaient, par exemple dans le monde professionnel,
04:25 découvrir d'autres liens qui pourraient être parfois plus satisfaisants
04:28 que ce qu'elles connaissaient à la maison.
04:30 Quels liens vous faites justement entre l'amitié et le féminisme,
04:33 la sororité et la politique ?
04:35 La sororité et l'amitié, ce n'est pas exactement la même chose,
04:38 mais ce sont des choses qui peuvent se recouper à certains endroits.
04:42 En tout cas, je crois que...
04:44 C'est un outil politique l'amitié ?
04:46 Oui, parce que je pense que ce qui s'expérimente à l'intérieur de nos amitiés,
04:50 de l'ordre d'un amour entre femmes,
04:52 parfois par extension aussi d'un amour entre minorités,
04:55 ce qui s'y partage aussi d'une forme de force, de réassurance,
05:00 fait que l'amitié est une menace, d'une certaine manière, à l'ordre établi,
05:05 que c'est un lieu aussi extrêmement politique.
05:08 Et d'ailleurs, dans les nouvelles formes de lutte féministe
05:13 qu'on a vu émerger ces dernières années,
05:15 que ce soit par exemple les collèges féministes,
05:17 ou bien les groupes de parole,
05:19 qui remettent au centre la question du partage de l'intime,
05:23 et aussi les liens interpersonnels,
05:25 il y a cette force de l'amitié qui revient aussi en force.
05:28 Et dans ce cadre-là, les amitiés féministes
05:31 sont des espaces qui permettent de reprendre du terrain aussi,
05:36 de manière aussi littérale, concrète et figurée.
05:41 Mais il y a encore une méfiance autour de l'amitié entre femmes, non ?
05:44 La rivalité...
05:46 Oui, bah ça c'est sûr...
05:48 Je vais vous dire que là, nous, toutes les trois, on connaît bien ce problème !
05:52 C'est sûr que c'est partout,
05:54 ça revient constamment dans la fiction,
05:58 mais aussi dans tous les adages,
06:00 cette idée que les femmes, entre elles, seraient constamment toujours des rivales,
06:04 prêtes à toutes les mesquineries pour évincer leurs compétitrices,
06:08 de la course à la compétition,
06:10 pour l'attention masculine notamment.
06:14 Et ça, c'est vraiment un arcane fictionnel
06:19 qui revient constamment.
06:22 Et puis, il y a eu tout au long des siècles aussi,
06:27 pas mal de stratégies qui ont été mises en place
06:29 pour évincer un petit peu ces amitiés féminines
06:33 qui ont été à la fois effacées de l'histoire,
06:36 l'histoire de l'amitié féminine.
06:38 Si on a quelques traces de l'amitié masculine,
06:41 notamment durant des siècles où l'amitié était plus valorisée dans le monde social,
06:47 on a des grands duos, comme Achille et Patrocle,
06:52 des grands duos de philosophes, etc.
06:55 Je vous mets au défi de citer plus de 5 ou 6 tandems féminins,
07:00 franchement c'est assez compliqué.
07:01 On pense peut-être à Thelma et Louise, à Géraldine Macache et Laila Bekti,
07:06 mais franchement, à part ça, c'est assez pauvre.
07:09 Et de manière générale, même dans l'histoire,
07:12 dans la discipline historique,
07:14 l'amitié féminine se résume un petit peu à une page blanche,
07:18 notamment parce que l'histoire a été écrite par et pour les hommes
07:21 et qu'ils ont un petit peu évincé ces liens entre femmes.
07:25 On a aussi souvent dit que les femmes étaient biologiquement incapables d'amitié.
07:29 Ça a été écrit par des intellectuels,
07:34 jusqu'à très récemment dans la presse au XIXe siècle,
07:38 on écrivait encore ça noir sur blanc.
07:41 Ce qui était aussi des manières de décourager les femmes de se lier entre elles,
07:49 parce que d'une certaine manière, se lier entre femmes,
07:53 faire solidarité ensemble,
07:54 mais aussi se lier entre minorités de genre, entre minorités sexuelles,
07:58 c'est déjà quelque part faire contre-pouvoir
08:00 et c'est terrifiant pour le système patriarcal.
08:03 Et dans votre livre, vous racontez toutes les manières
08:05 dont on peut justement faire contre-pouvoir grâce à l'amitié,
08:08 y compris en cohabitant, y compris en créant des formes de parentalité.
08:12 Et pour découvrir tout ça, Alice Rebeau, il faudra lire votre livre en librairie,
08:17 dès demain, "Nos puissantes amitiés", aux éditions La Découverte.