• il y a 10 mois
À 9h05, le philosophe Gaspard Koenig et l'économiste Jean-Marc Daniel sont les débatteurs du jour. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-05-fevrier-2024-6363705

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Débat ce matin sur le droit à la paresse.
00:03 « Personne ne demande un droit à la paresse dans notre pays », a déclaré Gabriel Attal
00:09 dans son discours de politique générale.
00:11 Un discours où en revanche a été exaltée la valeur travail.
00:16 Le mot aura été cité 40 fois.
00:18 40 zéros.
00:20 Le score est sans appel, mais ça ne nous a pas empêché, ça ne vous a pas empêché,
00:25 pardon, Gaspard Koenig de publier dans les échos une tribune pour un droit à la paresse.
00:30 Et ça nous a donné envie d'organiser un débat avec vous Jean-Marc Daniel.
00:36 Je rappelle Gaspard Koenig que vous êtes écrivain, auteur de Humus aux éditions de
00:41 l'Observatoire et que Jean-Marc Daniel vous êtes économiste, professeur émérite à
00:46 l'ESCP Business School.
00:48 Bonjour à tous les deux et merci d'être là pour parler du droit à la paresse.
00:52 Y a-t-il un droit à la paresse ? Pour rappel, le droit à la paresse est un livre écrit
00:57 par Paul Lafargue en 1880 en réaction aux travaux de Marx.
01:00 Défenseur de la classe ouvrière, il exhortait les Français à cesser de considérer la
01:04 paresse comme un vilain défaut.
01:06 La thèse a été reprise récemment par Sandrine Rousseau.
01:09 D'ailleurs, Gabriel Attal la tacle implicitement sans le dire dans son discours de politique
01:14 générale quand il dit « personne ne demande un droit à la paresse ». Personne donc,
01:19 sauf Sandrine Rousseau et vous, et vous Gaspard Koenig.
01:22 Puisque vous avez fait une tribune dans les échos où vous encouragez d'abord le Premier
01:28 ministre à dormir davantage, il ne dormirait que 4h par nuit, et à ne pas balayer d'un
01:32 revers le demain ce droit à la paresse.
01:34 Pourquoi vous le demandez ? Pourquoi vous exigez un droit à la paresse ?
01:38 D'abord, je pense que c'est un droit que ce Premier ministre devrait exercer plus souvent
01:43 puisqu'il se vante de dormir 4h par nuit.
01:45 Et que Montaigne nous explique déjà dans ses essais que le propre d'un grand homme
01:49 d'Etat c'est précisément de savoir dormir, c'est-à-dire de savoir mettre à distance
01:53 les événements, de savoir être soi-même.
01:56 Et je pense que s'il dormait plus, peut-être qu'il aurait ensuite des propos plus créatifs.
02:01 Et de manière générale, il y a une injonction au travail aujourd'hui qui est tout à fait
02:06 étrange et déconnectée d'ailleurs de la réalité économique puisque la vérité
02:10 est qu'on travaille de moins en moins.
02:11 Keynes projetait qu'à notre époque on travaillerait 15h par semaine.
02:14 Aujourd'hui, l'INSEE nous dit que si on étale sur le temps de la vie active, c'est
02:18 à peu près… On y est !
02:21 On y est, voilà.
02:22 On y est.
02:23 Le temps travaillé dans l'année par les actifs ne cesse de diminuer de 2000h après
02:27 guerre à 1400h aujourd'hui.
02:29 Mais c'est comme si en fait, on ne savait pas s'approprier ce non-travail.
02:33 Et donc on s'invente constamment du travail.
02:35 Parce qu'on a peur du vide ?
02:37 Parce qu'on continue à culpabiliser en fait quand on ne travaille pas.
02:40 Et donc on crée des bullshit jobs, on crée des choses non-productives parce qu'on doit
02:45 avoir l'impression de travailler.
02:46 Les gens vous disent constamment "je suis sous l'eau", "je suis débordé",
02:50 comme si c'était bien, comme si c'était valorisé.
02:52 Il faut quand même rappeler que cette valeur travail est très récente dans l'histoire
02:55 humaine, elle date du début de l'industrialisation.
02:58 Que dans la Bible, dans le jardin d'Éden, que fait Adam ? Il ne travaille pas, il fait
03:03 de l'agroforesterie.
03:04 C'est-à-dire qu'il cueille, c'est ce que dit Dieu.
03:06 C'est d'ailleurs quand l'injonction du travail arrive que la terre devient infertile
03:10 et qu'il pousse les chardons et les épines.
03:12 Ce qui est quand même un très mauvais signe, y compris sur le plan agronomique.
03:15 - Donc arrêtons de travailler.
03:16 - Et Bertrand Russell, qui n'était quand même pas un logicien, un mathématicien,
03:20 qui n'est pas un hippie qui travaillait à Cambridge avant la Seconde Guerre mondiale,
03:25 a fait un très joli essai, un peu dans le style de la Fargue, expliquant qu'au-dessus
03:30 de 4 heures de travail, globalement, par jour, c'est de l'esclavage.
03:33 Et rejoignant ainsi l'anthropologie profonde.
03:37 Parce que que nous disent des gens comme Marshall Salins qui ont étudié l'économie de l'âge
03:41 de Pierre, c'est que l'humanité dans sa plus grande période, travaillait peu.
03:46 Travaillait quelques heures par jour.
03:48 - On va donner la parole à Jean-Marc Daniel.
03:50 - Qu'il reste tes ailes !
03:52 - Qu'il reste tes ailes !
03:53 Mais mon petit doigt me dit, je ne sais pas pourquoi, que le droit à la paresse, ce n'est
03:57 pas trop votre truc.
03:58 - Non, non, moi je suis plutôt pour le devoir du travail.
04:00 Alors, je vais répondre d'ailleurs d'abord sur la Bible.
04:03 Je rappelle que Saint Paul, qui fait partie de la Bible, dit que celui qui ne travaille
04:06 pas ne mange pas.
04:07 En latin, ça se dit que oui, non, non, laborad, non, non, duquette.
04:10 Et c'est dans les titres thessaloniciens.
04:12 Donc c'est dans la Bible aussi.
04:13 Montaigne pourquoi ? Mais Voltaire dit que grâce au travail, on écarte l'ennui, le
04:19 vice et le besoin.
04:20 Donc les philosophes avant le 19e siècle et la révolution industrielle, on avait déjà
04:23 répondu à Montaigne.
04:24 - Mathieu nul encore !
04:25 - Mathieu nul, Gaspard !
04:26 - Voltaire, c'est aussi bien que Montaigne pour moi.
04:28 Concernant la valeur travail de la révolution industrielle, je rappelle quand même que
04:30 sur le plan purement théorique, la valeur travail, l'expression chez les économistes
04:35 du 19e siècle, c'est simplement pour dire que c'est la quantité de travail qui va permettre
04:38 de déterminer la valeur d'un objet.
04:40 Ça ne veut pas dire qu'ils considèrent que le travail est une valeur en soi.
04:44 Ils considèrent que le travail est un moyen et c'est un moyen de s'enrichir.
04:47 C'est-à-dire que c'est par le travail qu'on s'enrichit.
04:49 Et donc le problème est un problème ancien parce que, dernier élément et dernière
04:54 citation, dans la constitution de ce pays, le préambule de la constitution qui a été
04:58 adopté, c'est le préambule de la quatrième république.
05:01 Il a été adopté par une majorité de gauche.
05:02 L'item 5, c'est chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi.
05:08 C'est-à-dire que la constitution, le pays sur le plan juridique, fait du travail un
05:14 devoir.
05:15 Alors, dernier élément, sur le plan strictement économique, le problème du pays en ce moment,
05:21 c'est que comme il vit au-dessus de ses moyens, il n'arrête pas de s'endetter.
05:24 Et donc le droit à la paresse implicite que nous vivons à l'heure actuelle parce que
05:28 nous ne travaillons pas assez, se traduit par le fait que nous sommes en train de ruiner
05:32 nos enfants.
05:33 Et donc la question…
05:34 Vous dites le droit à la paresse, c'est un droit à la misère.
05:35 C'est un droit à la misère de la génération future.
05:37 Parce que comme on refuse d'accepter les conséquences de ce droit à la paresse avec
05:41 une baisse de notre niveau de vie, on ponctionne le niveau de vie de nos enfants.
05:44 C'est un arbitrage individuel et pas un arbitrage collectif.
05:48 Parce que les propos que vous tenez sont valables dans un monde qui cherche une croissance indéfinie
05:54 et qui donc va toujours privilégier dans l'accroissement de la productivité, non
05:59 pas ensuite l'accroissement de temps libre, mais l'accroissement de confort matériel.
06:03 Or on peut parfaitement imaginer que cet arbitrage se fasse sur un plan individuel
06:08 et que les gens justement soient libres et ne soient pas incités par des mesures de
06:10 politique publique comme c'est le cas.
06:12 C'est ça au fond quelque chose de vraiment libéral.
06:14 À travailler ou à ne pas travailler, à faire cet arbitrage entre réduire ses besoins
06:19 ou les déterminer et ensuite ajuster son temps de travail productif à la satisfaction
06:27 de ses besoins.
06:28 C'est la logique de Henri David Thoreau.
06:29 Quand il va dans sa cabane et qu'il cultive son petit coin de jardin, il dit en fait
06:32 mes revenus sont plus importants que celui des gros fermiers parce que j'ai tellement
06:36 réduit mes besoins que au fond ma productivité est supérieure et mon revenu net à la fin
06:42 de l'année est supérieur.
06:43 Et ça c'est un arbitrage qu'aujourd'hui on est découragé de faire précisément parce
06:47 que le travail est devenu une forme d'injonction politique et on le voit très bien dans les
06:53 mesures qui sont prises sur aujourd'hui le RSA ou l'allocation chômage.
06:58 On pousse les gens à chercher du travail alors que si l'allocation chômage a un
07:02 sens c'est bien d'être un système assurantiel où on bénéficie de ce qu'on a cotisé
07:06 et où ensuite on est libre d'en chercher ou pas.
07:09 Et si le RSA a un sens c'est une allocation de solidarité qui doit permettre aux gens
07:14 justement de satisfaire leurs besoins de base sans contrepartie.
07:18 Et ce n'est pas dévaloriser le travail parce qu'ensuite ceux qui font le choix
07:22 du travail productif évidemment vont être émunérés en fonction.
07:26 Et je n'ai rien contre le fait que la hausse de la valeur ajoutée augmente la rémunération
07:32 individuelle mais je ne pense pas que ça devrait être un choix collectif.
07:34 La question individuelle est importante.
07:36 La question individuelle est importante mais dans le cas de l'assurance chômage, au
07:40 travers de l'assurance chômage pendant la période pendant laquelle on est au chômage,
07:43 on bénéficie des conséquences de la période où on était au travail.
07:46 C'est-à-dire que c'est parce qu'on a cotisé, parce qu'on a travaillé qu'on
07:48 a accès à cette assurance.
07:49 De même le RSA.
07:50 Le RSA existe parce qu'il y a des gens qui travaillent.
07:53 Et le véritable problème du pays à l'heure actuelle c'est qu'effectivement baisser
07:56 la durée du temps de travail, ça correspond à l'évolution de l'efficacité du travail.
08:00 On travaille beaucoup moins que sous Louis-Philippe.
08:01 On travaille deux fois moins que sous Louis-Philippe.
08:03 Mais néanmoins, il y a en face de ça un appel de la population qui d'abord a une
08:09 consommation qui est plus importante que sous Louis-Philippe.
08:10 Donc il faut produire davantage.
08:12 Non seulement il faut que les machines soient efficaces mais en plus il faut qu'elles
08:16 réagissent en termes de productivité et de production.
08:19 Il faut qu'on augmente la production parce qu'on consomme de plus en plus.
08:22 Et quand on demande aux gens quelles sont leurs angoisses, quelles sont leurs questions,
08:26 sur le plan strictement individuel, qu'est-ce qui arrive le plus en tête en ce moment ?
08:29 C'est le pouvoir d'achat.
08:30 Or le pouvoir d'achat, il ne peut se construire que sur le fait qu'il y a du travail.
08:34 Le pays à l'heure actuelle, quand il a un déficit extérieur de l'ampleur que
08:38 nous avons, le pays à l'heure actuelle ne fournit pas en production et donc en quantité
08:42 de travail l'équivalent du pouvoir d'achat qu'il espère obtenir.
08:45 Donc il faut absolument remettre le pays, non pas le remettre, c'est ce que disent
08:49 nos dirigeants, mais mettre le pays à davantage de travail pour essayer de satisfaire ses
08:53 vraies attentes.
08:54 Le choix individuel qui se traduit globalement quand on les additionne, tous ces choix individuels,
08:59 par le fait que les gens veulent du pouvoir d'achat.
09:01 - Ça c'est vrai Gaspard Kedjian.
09:03 - Mais qui les détermine ces vraies attentes ? Et pourquoi on le déterminerait à un
09:06 niveau collectif ?
09:07 - Pourquoi ils veulent consommer plus contrairement à Thoreau qui voulait réduire ses besoins ?
09:13 - Et ça c'est une question morale et je pense qu'ils veulent consommer plus parce
09:16 que justement on est dans un paradigme de l'injonction "il faut travailler plus, il
09:19 faut gagner plus, il faut consommer plus" et qu'on voit bien que toute la tendance
09:23 de la modernité, la prise en compte du vivant dans nos écosystèmes, la question de la
09:27 transition écologique nous poussent à faire des choix qui vont être des choix de vie
09:32 bonne, de vie heureuse, de vie probablement plus sombre, qui ne doivent pas être des
09:36 choix imposés évidemment, que chacun va pouvoir déterminer mais encore faut-il pour
09:39 cela que la politique publique ne les en décourage pas.
09:43 Et c'est pour ça que je plaide pour substituer au RSA un revenu universel, c'est-à-dire
09:49 un revenu inconditionnel, qui fait que l'État ne choisit pas à la place des gens quelle
09:53 est la vie bonne, est-ce que c'est le travail ou le non-travail, et qui laisse chacun aussi
09:58 déterminer sa propre notion du travail, y compris du travail non-productif.
10:01 Parce que là on a parlé du travail productif, mais il y a aussi toute une partie du travail
10:05 qui n'est pas aujourd'hui prise en compte dans le PIB, on peut penser aux tâches ménagères,
10:10 on peut penser à des choses plus satisfaisantes pour l'âme humaine, et travailler au sens
10:14 noble, ce n'est pas forcément produire ni faire de l'argent, c'est transformer le réel.
10:19 Le New York Times s'interrogeait il y a quelques mois au moment de la révolte contre la réforme
10:23 des retraites sur nous, sur les Français, avec ce titre, "Les Français ne seraient-ils
10:27 pas des faits néants ?" Vous vous dites "oui" et fiers de l'être.
10:30 Mais pas du tout, je ne pense pas que… D'ailleurs la paresse, le mot est un peu ambigu et la
10:35 Fargue le fait par provocation, il faut voir que la Fargue c'est le gendre de Marx, mais
10:39 ce n'est pas du tout un marxiste, c'est un anarchiste, donc il est quand même dans
10:42 une autre optique, et il est aussi dans l'optique que la mécanisation fait qu'on va pouvoir
10:46 se répartir les fruits de la machine.
10:48 Jean-Marc Daniel d'un mot ?
10:49 Oui, oui.
10:50 Non mais ça veut dire que ce n'est pas encourager la fainéantise de la paresse, c'est encourager
10:54 des formes d'activité non-productive.
10:56 Il faut quand même insister sur le fait que la Fargue, effectivement, dont le nom est
11:00 associé au droit à la paresse, était le gendre de Marx, il s'entendait mal avec son beau-père,
11:04 et ce qu'il met en avant tout le début du livre c'est que Marx est adhéré à créer
11:08 un organisme qui s'appelle l'Alliance Internationale des Travailleurs.
11:13 L'internationale c'est l'internationale des travailleurs, et donc c'est contre ça qu'il
11:16 réagit, mais c'est un aspect un peu, alors là vraiment individuel.
11:19 On a parlé de choix individuels, chez la Fargue c'est quand même un choix très très
11:23 individuel.
11:24 Merci à tous les deux, Gaspard Koenig, Jean-Marc Daniel d'avoir été à notre micro pour ce

Recommandations