Le Clown triste : La souffrance, maître mot de son enfance

  • il y a 7 mois
Lorsqu'on est enfant, il est important de se sentir aimé par ses parents. Mais lorsque l'on a connu que de la violence de leur part dès son plus jeune âge : comment s'en sortir ?
Et surtout, comment affronter la solitude ?

Aujourd'hui, le clown triste est venu nous parler de son histoire à visage couvert pour que ceux qui ont grandi comme lui, dans la violence, puisse s'identifier à son parcours.

Merci au Clown Triste pour sa confiance et pour témoignage poignant.

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Transcript
00:00 Une des familles d'accueil chez qui j'ai le plus souffert,
00:02 c'est une famille d'accueil qui me battait.
00:04 À ce moment-là, j'ai à peu près 7 ans
00:06 et là, mes souvenirs commencent à être précis au niveau de mon placement.
00:09 Le début de mon histoire a pour origine un climat familial violent.
00:13 Dans mes souvenirs les plus profonds,
00:15 j'ai mon père qui bat ma mère,
00:17 j'ai ma mère qui ne sait pas trop se débrouiller dans sa vie.
00:22 Elle a un mari violent, elle n'arrive pas à s'en sortir avec ses enfants.
00:26 Le frigo est vide.
00:29 Et les seuls moments où mon papa est là, c'est pour lui taper dessus.
00:32 À cet âge-là, je n'ai pas l'impression de savoir ce qu'est l'amour.
00:37 Par contre, je sais ce que c'est que la violence.
00:39 J'ai des souvenirs de mon père, la chemise arrachée, pleine de sang,
00:43 de ma mère hurlant, courant autour de la table pendant que mon père essaie de l'attraper.
00:47 J'ai le souvenir de mon père qui crache sur le sol et que ma mère qui nettoie.
00:52 Mon petit frère venait dans mes bras
00:54 et si une personne le prenait, il pouvait se mettre à pleurer.
00:58 On est petits, alors je ne sais pas quel âge j'ai,
01:00 mais je sais déjà que j'ai autour de 5-6 ans et je suis en train de me faire à manger moi-même
01:05 et de préparer le biberon de mon petit frère,
01:07 parce que ma maman, elle ne pouvait pas à ce moment-là,
01:09 parce que ma mère, elle était sous perfusion.
01:12 Je pense qu'à ce moment-là, elle était vraiment trop dépassée.
01:15 Ma relation avec ma maman, elle a toujours été très fusionnelle
01:18 dans le sens où j'ai toujours voulu protéger ma maman.
01:21 Quand j'étais petit et que mon père était violent envers ma mère,
01:24 je sais que je tentais de se séparer, de se séparer quand je le pouvais.
01:28 Voilà, moi j'ai toujours vu ma maman comme une maman blessée.
01:32 On n'a jamais su se dire qu'on s'aimait.
01:35 D'après ce que j'ai cru comprendre, j'ai été placé, la première fois j'avais 9 mois.
01:40 Ensuite, j'ai été placé une seconde fois, je devais avoir 2-3 ans.
01:48 Et c'était vraiment des placements assez courts.
01:50 Et ensuite, j'ai beaucoup plus été placé de mes 6 ans et demi, 7 ans,
01:55 jusqu'à ma majorité.
01:56 Donc j'ai connu 3-4 familles d'accueil.
01:59 Les placements où j'ai 9 mois de 3 ans, j'en ai aucun souvenir.
02:04 Je l'ai découvert moi-même en regardant mon dossier de placement.
02:08 J'étais un peu choqué de me dire que mon histoire, elle ne commençait pas
02:13 à l'âge de 6 ans, mon histoire commençait vraiment à l'âge de 9 mois.
02:16 J'ai été placé avec mon petit frère d'abord dans une famille d'accueil.
02:20 Je dois avoir 6 ans.
02:21 Ensuite, on revient chez ma mère.
02:22 Quand ma mère et mon père se sont séparés, la justice tranche et nous dit
02:28 qu'elle ne peut pas nous garder, qu'ils doivent nous protéger.
02:33 Je sais juste qu'on avait quitté la maison récipitamment,
02:37 tellement récipitamment que mon doudou est resté là-bas.
02:41 J'ai commencé à faire pipi au lit parce que je n'avais pas mon seul repère
02:47 avec le monde des enfants qui me sépare du monde des adultes.
02:50 La troisième, qui est l'avant-dernière, c'est une des familles d'accueil
02:54 chez qui j'ai le plus souffert.
02:55 C'est une famille d'accueil qui me battait.
02:57 À ce moment-là, j'ai à peu près 7 ans.
02:59 Et là, mes souvenirs commencent à être précis au niveau de mon placement.
03:02 Je rentre de l'école et il y a deux dames qui sont à la maison.
03:06 Il y a des sacs qui sont prêts et on me dit que à partir de ce soir,
03:10 je ne vais plus dormir à la maison.
03:13 Je ne serai plus avec ma maman.
03:14 À partir de ce moment-là, je suis placé tout le temps.
03:16 Jusqu'à mes 18 ans, il y a quelques fois où il y a des mesures de placement
03:21 en arrêt, mais qui sont très vite reprises.
03:24 J'arrive dans une petite maison de campagne.
03:27 La première fois que j'arrive dans cette famille d'accueil,
03:31 du coup, je suis avec mon petit frère qui, lui, m'accompagne.
03:34 En fait, je pense qu'à ce moment-là, on va être placés ensemble.
03:37 Et je me dis "yes, trop bien, j'ai mon petit frère avec moi".
03:40 En fait, ce n'est pas le cas.
03:41 Donc, les deux assistantes sociales nous disent qu'il n'y a pas de place
03:45 et qu'on va être séparés.
03:47 Je rencontre des personnes qui sont à peu près âgées.
03:48 Au premier abord, ils ont l'air sympathiques, un peu bourrus,
03:53 dans le sens où c'est la première fois que je vois des gens de campagne.
03:56 Je suis dans cette maison et il y a d'autres enfants.
03:57 Il y a une fille et un garçon.
03:58 Et je me dis "bon, ben, je n'ai pas mon petit frère,
04:01 mais au moins, il y a des enfants.
04:03 On va pouvoir s'amuser".
04:04 Je sais juste qu'il n'y a plus de violence à la maison.
04:09 Il n'y a plus d'alcool.
04:10 Parce que cette famille d'accueil-là, je découvre au fur et à mesure
04:13 qu'elle est violente, qu'elle est maltraitante, qu'elle me fait vivre un calvaire.
04:16 Moi, j'ai fait pipi au lit très, très tard, jusqu'à 13 ans.
04:20 Et quand j'étais dans cette famille d'accueil-là,
04:22 je faisais pipi au lit parce que je souffrais de terreur nocturne.
04:26 J'ai rêvé jusqu'à mes 12-13 ans que mon père tuait ma mère.
04:31 Et du coup, cette famille d'accueil me fait payer le prix cher de faire pipi au lit.
04:35 Donc, comme je mouille leur matelas, leur lit à chaque fois,
04:40 je me fais taper dessus.
04:41 Ils trouvent le moyen de me faire porter des couches en disant,
04:44 "Comme ça, au moins, tu ne mouilleras pas le matelas."
04:47 Et au fur et à mesure, je continue toujours à faire pipi au lit.
04:49 Et les couches, en fait, je me les prends dans le visage.
04:51 Elle me fait partir à l'école avec la couche pleine de pipi.
04:54 Cette famille d'accueil-là, elle me fait vivre des trucs du style
04:59 toute une après-midie entière, les mains sur la tête,
05:02 genoux au sol, contre un mur.
05:05 Et si j'avais le malheur de bouger, en fait, je me prenais dix fois plus.
05:08 Il n'y avait pas de protection.
05:10 Dans cette famille, j'avais plus l'impression que j'étais chez eux
05:14 et que je me faisais taper dessus.
05:16 Alors au début, je ne dis rien, en fait.
05:17 Comme je suis né dans un climat familial violent,
05:19 pour moi, me faire taper dessus, c'est quelque chose de normal.
05:22 C'est que je dois faire des bêtises.
05:24 Quand je comprends, en fait, qu'on ne peut pas me taper dessus au fur et à mesure
05:29 et que je prends des décisions, comme d'appeler le 119,
05:31 je dois avoir huit ans, huit ans et demi, neuf ans.
05:34 La première des phrases qu'on me dit, c'est,
05:37 "Alors bonhomme, tu es sûr que tu n'as pas fait une bêtise ?
05:40 Ta famille d'accueil ne va pas te taper dessus comme ça."
05:42 J'ai un adulte qui me dit, en fait, que c'est sûrement de ma faute.
05:46 Je pense à ce moment-là que c'est de ma faute.
05:49 Je ne dis rien.
05:50 Je me fais souvent taper dessus par cette famille d'accueil.
05:52 Des pincements, des claques, des coups de pied au cul,
05:56 des insultes, des insultes racistes.
05:58 Je commence à bouillonner, en fait.
06:01 Donc, j'ai un souvenir en vacances où, à un moment donné,
06:06 la gifle de trop m'a fait l'insulter et partir, en pleine journée,
06:12 dans un milieu que je ne connais pas, une ville que je ne connais pas,
06:15 et à marcher pendant, je ne sais pas, la moitié d'une journée.
06:19 Dans cette journée de fugue, cette première fugue d'enfant,
06:21 j'ai une voiture qui s'arrête et qui me ramène parce que,
06:25 d'après ce que j'ai cru comprendre, tous les gendarmes me cherchaient.
06:27 Et on m'a demandé pourquoi, en fait, j'avais fugué.
06:29 La seule chose que j'ai dit, c'est que je voulais retrouver ma maman.
06:32 Je me fais beaucoup taper dessus.
06:34 Je commence vraiment à le raconter un tout petit peu à ma maman.
06:38 Quand on voit l'aide sociale à l'enfance,
06:40 nous permet d'avoir des visites.
06:43 C'était des visites médiatisées.
06:44 Donc, il y avait toujours une assistante sociale avec nous.
06:46 Je ne peux plus mentir, dire que je suis tombé à vélo,
06:51 je suis tombé en skate, je suis tombé en roller,
06:53 je suis tombé d'un arbre, je me suis battu.
06:56 Enfin, moi, la violence est quelque chose qui me terrifie,
07:00 qui me terrorise.
07:01 Je commence à le dire à ma maman et elle me croit.
07:04 C'est la première qui met tout en œuvre
07:08 pour me faire sortir de cette famille d'accueil.
07:10 Et un jour, je suis à l'école et j'ai une assistante sociale qui vient me voir.
07:13 Je ne sais pas à ce moment-là que c'est une assistante sociale.
07:15 Je ne sais pas que c'est pour moi.
07:17 On va m'enlever de cette famille d'accueil chez qui j'ai vécu un calvaire.
07:20 J'arrive là-bas et on me dit "tu restes dans la voiture,
07:24 tu n'auras pas besoin de les voir, on te protège maintenant".
07:27 Mes sacs sont déjà prêts et on m'amène dans une autre famille d'accueil.
07:31 Enfin, merci.
07:32 Mais oui, j'avais un sentiment de soulagement.
07:34 Mais la prochaine, c'est quoi ? Qu'est-ce qui va se passer ?
07:36 Cette famille d'accueil-là, chez qui on m'a placé la dernière,
07:39 pour moi, le bonheur, c'est là-bas où je l'ai vécu.
07:42 J'avais une vraie éducation.
07:43 J'ai découvert aussi l'art.
07:46 Et c'est par l'art que j'ai appris dans cette famille d'accueil à m'ouvrir aux autres.
07:50 Cette famille d'accueil-là, c'est la dernière.
07:52 C'est chez qui j'ai le plus de souvenirs, chez qui j'ai le plus d'amour.
07:56 Je suis resté quatre ans là-bas et c'est par ma faute
07:58 que je suis parti de cette famille d'accueil.
08:00 C'est à cause de mon parcours de vie.
08:02 Parce que des fois, pour moi, c'est beaucoup trop lourd,
08:04 trop difficile que de vivre avec ce que j'ai vécu.
08:07 C'est mon parcours de vie, en fait, qui a fait que je suis borderline.
08:11 Et du coup, j'ai fait une vingtaine de tentatives de suicide
08:15 jusqu'à l'heure d'aujourd'hui, dans cette famille d'accueil-là,
08:17 où je suis resté quatre ans.
08:18 Je me souviens qu'elle me disait ça à chaque fois.
08:20 « Tu sais que t'es un bon petit bonhomme.
08:22 T'es intelligent, t'es beau, t'es… »
08:25 Et ça, jamais on me l'a dit, en fait.
08:27 Jamais on a rigolé à mes blagues.
08:28 Il y avait de la jalousie dans cette famille d'accueil
08:30 avec un des autres enfants, qui lui me tapait dessus.
08:33 À chaque fois, quand on allait jouer dehors,
08:35 à un moment donné, lui, en fait, il en profitait.
08:37 La seule vie, je pense, que j'ai vécue dans cette famille d'accueil,
08:40 c'était pas la famille d'accueil qui le faisait,
08:41 mais un des autres enfants.
08:43 Il avait peur, en fait, que je lui vole sa place, je pense.
08:46 Mais ma vie a été compliquée après 2001,
08:49 au niveau de l'école, surtout, parce que j'étais le petit rebeu.
08:53 Donc, à l'école, les enfants sont très méchants, entre eux.
08:58 J'ai souffert de me faire traiter de Saddam Hussein,
09:02 de Oussama Ben Laden, on me disait ça,
09:04 et moi, je comprenais pas.
09:05 En fait, chaque année, quand on est placé,
09:08 on va voir la juge une fois dans l'année.
09:10 Et en fait, dans ce rendez-vous,
09:11 on statue du placement pour l'année suivante.
09:14 Moi, à ce moment-là, j'ai 14 pis, je suis dans cette famille d'accueil,
09:16 je me sens très bien dans cette famille d'accueil,
09:20 tout va bien dans cette famille d'accueil,
09:21 je me sens épanoui et tout,
09:24 mais il manque quelque chose, en fait.
09:27 J'ai pas ma relation avec ma maman, mon papa.
09:30 J'en ai marre de me balader dans la rue
09:32 et de voir des enfants avec leurs parents.
09:33 En fait, je suis jaloux de voir des enfants
09:35 qui donnent la main avec leurs parents
09:37 et qui les appellent papa, maman.
09:39 J'ai jamais réellement connu l'amour familial, l'amour parental.
09:41 Je rêve, en fait, d'être chez ma maman.
09:44 Et la juge s'adresse à moi, "ça va ?",
09:47 enfin, "comment ça va ?",
09:49 "est-ce que tu as envie de dire quelque chose ?"
09:52 Et moi, je dis, moi, j'aimerais bien être chez ma maman
09:55 ou chez mon papa,
09:57 mais je veux être chez un membre de ma famille,
09:59 quand bien même mon père, c'était un tortionnaire.
10:01 Je me casse, juste, en fait.
10:02 J'ai 14 ans, je me barre, je dors dehors, je mange pas,
10:05 je découvre la drogue.
10:06 Donc j'ai 14 ans, je prends...
10:09 Je commence par un pétard, puis la cocaïne,
10:13 puis des azis, l'alcool aussi,
10:16 et je fuis parce que je veux plus être placé en famille d'accueil.
10:19 Et non pas parce que dans cette famille d'accueil,
10:20 chez qui je me sentais mal,
10:22 mais simplement parce que c'est pas ma famille,
10:25 c'est une famille d'accueil.
10:27 Sauf que moi, je veux ma vraie famille à ce moment-là.
10:29 On me retrouve, donc, c'est un ami de la famille
10:33 qui me ramène chez ma maman.
10:35 Ma maman, le lendemain, me ramène au commissariat,
10:38 et à ce moment-là, je trouve que c'est la plus grande détrahaison
10:40 puisque je la supplie en disant,
10:42 "maman, maman, maman, laisse-moi avec toi, s'il te plaît,
10:45 je te jure, je serai gentil."
10:47 Elle me dit, "non, je ne peux pas."
10:48 Et je repars de nouveau en fugue pendant plusieurs semaines.
10:51 Et là, c'est mon papa et des amis à mon papa
10:54 qui me retrouvent de nouveau cette fois-ci.
10:57 Et là, mon père me prend avec lui.
10:58 Je déchante très vite.
10:59 Le papa que j'ai connu quand j'étais enfant,
11:03 c'est toujours le même, en fait.
11:05 C'est le même mec qui est violent,
11:06 c'est le même mec qui me tape dessus.
11:09 Donc là, cette fois-ci, il me tape vraiment dessus
11:11 et il tape dur.
11:12 Je vais voir l'aide sociale à l'enfance
11:15 et je leur dis, "il faut me garder, il faut me reprendre,
11:18 il faut me reprendre, c'est compliqué."
11:19 Et à partir de ce moment-là, je ne fais que des foyers.
11:22 Je demande à être dans ma famille d'accueil,
11:24 chez qui j'avais été heureux,
11:26 mais en fait, ils ne veulent plus de moi.
11:27 C'était une famille qui est bien sous tout rapport.
11:32 Donc, avoir un enfant qui commence à fuguer,
11:34 qui commence à être compliqué,
11:36 je pense qu'ils n'avaient pas envie de gérer ça.
11:39 Ça leur faisait plus de mal qu'autre chose.
11:41 Ce que j'ai vécu en foyer, c'est un peu l'enfer.
11:43 Donc au début, c'est vraiment avec les jeunes où c'est compliqué.
11:46 Et en fait, ça se transforme au fur et à mesure
11:50 avec des éduques, en fait,
11:52 qui, eux, deviennent aussi forts.
11:54 Pour nous réveiller, en fait, l'éducateur ouvre la porte,
11:56 avance vers le lit et retourne le lit.
11:58 Le corps, la tête, la première au sol.
12:01 C'est dur, je me dis en fait, toute ma vie,
12:03 j'ai été voué à connaître que de la violence, en fait.
12:08 En fait, je veux juste être adulte,
12:09 je veux juste être majeur et avoir mon indépendance.
12:12 C'est une réflexion d'ado, parce qu'à 18 ans,
12:15 la seule chose que j'ai connue, c'est la rue.
12:17 C'est difficile de se construire quand on ne sait pas
12:19 ce que c'est réellement l'amour d'une mère, l'amour d'un père.
12:22 Par exemple, dans une de mes chansons, "Mama",
12:25 il y a un truc vraiment qui s'est passé.
12:28 Elle a fait semblant de ne pas me connaître.
12:29 Elle avait refait sa vie avec un mec, des nouveaux enfants et tout.
12:32 Et en fait, je vais la voir, ça faisait peut-être sept ans
12:35 que je ne l'avais pas vue.
12:36 Je la vois et je lui dis "Maman, ça va ?"
12:38 Et elle me regarde et me dit "Vous êtes qui ?"
12:40 Et à ce moment-là, je suis là en mode...
12:42 "Comment ça, vous êtes qui ?"
12:44 Et là, je dis son prénom.
12:45 Elle me dit "Non, non, mais vous vous trompez, c'est bizarre."
12:47 Et son copain, à ce moment-là, me regarde et me dit
12:50 "En plus, monsieur, vous sentez l'alcool et tout ?"
12:53 Le mec comprend qu'il se passe un truc, il se casse,
12:55 il dit "Je vous laisse vous démerder."
12:56 Et elle me regarde et elle me dit
12:58 "Laisse-moi tranquille, je suis en train de faire ma vie.
13:01 Tu es en train de tout gâcher."
13:03 Et là, je suis un peu en mode...
13:06 "Ah, ouais, vraiment ?"
13:09 Et là, il revient et elle me regarde.
13:11 Elle met ses lunettes et elle fait
13:13 "Oh, ma fille, excuse-moi avec les médicaments,
13:18 je t'ai pas reconnue."
13:19 Quand elle a fait semblant de ne pas me connaître,
13:21 moi j'avais l'impression qu'on m'avait effacé toute ma vie.
13:25 Ça veut dire que tout ce que j'ai vécu quand j'étais avec elle enfant,
13:28 et tout ce lien qu'on a eu toute ma vie,
13:31 quand elle m'a arraché de cette famille d'accueil
13:34 en me prévenant l'aseux, que je me faisais battre.
13:39 Mais là, je comprends que même si je suis son fils,
13:43 je suis plus son fils.
13:45 Que c'est pour elle, elle a refait sa vie
13:48 et qu'elle préfère nous oublier,
13:51 parce qu'on lui rappelle notre père.
13:53 Et à ce moment-là, je vois ça comme une trahison.
13:57 Enfin genre...
13:58 Ok, je suis le fils de mon père, mais je suis aussi ton fils.
14:01 J'ai 18 pis, j'ai passé toute ma vie pratiquement placé
14:06 en famille d'accueil, en foyer.
14:08 Tous mes potes, ils sont chez leurs parents.
14:12 Ils ont été toute leur vie chez leurs parents.
14:14 Ils viennent de passer le bac, ils vont rentrer à la fac,
14:18 en BTS ou autre.
14:19 Et moi, non, en fait, je rentre juste dans un CHRS.
14:22 Un CHRS, c'est un centre d'hébergement et de réinsertion sociale.
14:26 C'est un foyer pour SDF.
14:27 Et à partir de ce moment-là, je commence à péter les plombs,
14:30 à me dire "non, c'est terminé, en fait.
14:32 C'est terminé, cette vie de souffrance, c'est terminé.
14:35 On va se sortir de ça.
14:40 On va être plus fort que ça."
14:42 Je me bats avec la vie, je trouve un taf très très tard.
14:46 Donc en fait, ouais, moi je suis en colère en fait.
14:49 Je suis en colère et c'est aussi pour ça que je rappe.
14:52 Que je rappe et que je raconte ce que je raconte dans mes chansons.
14:55 Parce qu'en fait, on doit être en colère.
14:58 On doit être en colère, enfin surtout les enfants placés,
15:00 plus que les autres.
15:01 Parce que ceux qui sont dans leur famille, en fait,
15:04 chez qui ça se passe bien, tout va bien, tout va béner.
15:07 Par contre, tous les autres enfants laissés pour compte,
15:11 les anonymes, les invisibles,
15:13 ben eux en fait, ils doivent faire dix fois plus.
15:18 Et ils en auront dix fois moins.
15:19 C'est la Rappel Jams qui me donne envie d'écrire sur ma vie
15:23 parce que je trouve qu'elle le fait très bien.
15:26 Je trouve qu'elle le fait très bien et que ce qu'elle raconte,
15:28 j'arrive à le comprendre.
15:30 Je la prends un peu comme modèle dans mes premiers écrits.
15:34 Et au fur et à mesure, en fait, je ne lâche pas le rap.
15:36 Je passe mes après-midi à raper, je passe mes soirées à raper.
15:39 Le clown triste, c'est un rappeur qui est anonyme,
15:42 qui est sans visage, qui rappe son parcours de vie,
15:46 qui rappe l'ASE, l'aide sociale à l'enfance,
15:48 qui parle de sujets qui sont difficiles.
15:52 En fait, qui raconte sa vie.
15:54 J'ai choisi d'être masqué parce que deux raisons.
15:56 La première raison, c'est que ce que je raconte est fort et lourd
16:00 et je parle beaucoup de membres de ma famille.
16:03 Et quand bien même on a vécu des choses horribles,
16:07 je veux pouvoir les protéger.
16:08 Et deuxièmement, parce que ce que je raconte,
16:12 en fait, beaucoup de personnes, pas notamment que les enfants placés,
16:15 arrivent à se reconnaître là-dessus.
16:18 Donc, en fait, le fait de ne pas avoir de visage,
16:20 ça permet en fait à tout le monde d'être le clown triste.
16:25 Je considère que la musique,
16:27 on n'a pas besoin forcément de voir un visage ou de connaître un prénom,
16:33 mais que c'est le message qui est le plus important.
16:36 Si je devais, là tout de suite, par exemple,
16:38 je revoyais ma famille d'accueil maltraitante,
16:42 la première des choses que je leur dirais, c'est
16:44 j'espère qu'il fait chaud en enfer.
16:48 À partir du moment où j'ai quitté cette famille d'accueil,
16:50 jusqu'à, je ne sais pas, à peu près 20 ans, 21 ans,
16:53 je regardais, je ne sais pas, pratiquement chaque semaine,
16:56 les rubriques nécrologiques,
16:57 où je tapais leur nom sur Internet en espérant qu'ils meurent.
17:00 J'avais besoin de faire mon deuil de toute cette vie.
17:02 Et l'autre famille d'accueil,
17:06 chez qui j'ai vécu les plus beaux moments de bonheur de ma vie,
17:13 que je les aime,
17:15 qui me manque beaucoup.
17:17 Mais il n'y a pas que du pourri dans la protection de l'enfance.
17:20 Il y a aussi des familles d'accueil incroyables qui sont,
17:24 qui font du bon boulot.
17:25 Il y a aussi des éducateurs spécialisés qui font du bon boulot avec les enfants de l'ASE.
17:32 Il y a quand même des bonnes personnes.
17:34 Si j'avais un truc à dire à l'ASE et à l'État français,
17:39 c'est que c'est bien de protéger des enfants,
17:43 mais de les protéger correctement, c'est mieux.
17:46 Moi, je viens de dépasser la barre des 30 pis.
17:50 En fait, je n'ai aucun lien avec ma famille.
17:53 Je n'ai aucun lien avec mes frères.
17:54 Et ça, c'est de la faute de l'ASE.
17:57 C'est de la faute de l'État,
17:58 puisque on aurait dû rester ensemble généralement.
18:02 Les fratries, on les laisse ensemble pour garder le lien.
18:05 Et nous, on n'a pas été laissés ensemble.
18:06 Donc du coup, j'ai des frères,
18:10 mais je les vois comme des inconnus, en fait.
18:12 Je rêve d'une chose, c'est que les liens puissent être créés,
18:16 qu'on puisse rattraper toutes ces années perdues, arrachées.
18:20 Si j'avais un truc à dire aux enfants placés,
18:25 qui ont vécu la même chose que moi,
18:28 ou qui ont juste vécu des choses
18:30 qu'un enfant normal ne pourrait pas connaître,
18:33 déjà, t'es fort en fait.
18:35 T'es forte, parce que tout ce que tu vis, c'est super dur.
18:41 Et que t'es pas seul, c'est qu'on est une grande famille.
18:43 Ça se passe mal dans ta famille d'accueil ?
18:45 Parles-en.
18:45 Ça se passe mal au lycée, au collège, en primaire ?
18:49 Parles-en.
18:49 Ça se passe mal au foyer ?
18:51 Parles-en.
18:52 Ça se passe mal le week-end ou la journée,
18:54 quand tu vois tes parents et tout ?
18:56 Parles-en.
18:57 Je pense que je serai jamais guéri de mon histoire,
18:59 de ce que j'ai vécu, parce qu'en fait, c'est trop présent en moi,
19:03 et que je suis obligé de vivre avec.
19:06 Il y a des organisations comme Repair,
19:08 qui viennent en aide aux enfants placés, ex-enfants placés.
19:13 Et le mois de décembre est le pire mois de l'année,
19:16 parce que c'est le mois des fêtes, de la famille.
19:18 La violence, quand elle vient dans l'énervement, etc.,
19:22 elle est complètement inutile.
19:23 Il faut juste parfois, juste souffler.
19:25 Moi, je sais que quand, par exemple, je suis énervé ou autre,
19:31 et qu'il y a un truc, en fait, je demande à ce qu'on me laisse seul,
19:35 pour que je puisse me calmer dans mon coin.
19:38 Et quitte à ce que je me calme une demi-journée,
19:43 trois heures, trente minutes, en fait, le truc, c'est,
19:46 juste, j'ai besoin d'être seul avec moi-même,
19:48 pour reposer mon cerveau, reposer les tensions.
19:53 Essayer de comprendre pourquoi je suis en colère
19:58 et qu'est-ce que je peux faire pour désamorcer ça.
20:00 Toute la violence que je pouvais avoir envers les autres,
20:02 je me la renvoyais vers moi-même.
20:04 Alors, actuellement, je n'ai toujours pas de suivi psychologique,
20:07 j'en ai eu, vite fait, mais pareil, c'est quelque chose
20:11 qui est compliqué pour moi, qui est compliqué.
20:15 Je préfère écrire et guérir par moi-même, par l'écriture.
20:19 J'ai un projet qui s'appelle Déséquilibre,
20:21 qui raconte mon parcours de vie, qui raconte la violence familiale,
20:24 qui raconte la protection de l'enfance et plein d'autres choses.
20:27 Et c'est comme ça que je guéris, en faisant de la musique.

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