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Anne Fulda reçoit Guillaume Ancel pour son livre «Saint-Cyr, l’école de la Grande Muette» dans #HDLivres

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Transcription
00:00 -Bienvenue à l'heure des livres, Guillaume Ancel.
00:02 Vous êtes un ancien officier de l'armée de terre.
00:05 Vous travaillez en entreprise depuis quelques années.
00:08 Après plusieurs livres, vous avez déjà publié.
00:11 Vous venez de publier un nouveau livre,
00:13 "S'insire à l'école de la Grande Muette",
00:16 paru chez Flammarion.
00:17 Un livre qui est assez personnel,
00:20 tout en mêlant des idées sur certaines règles
00:24 qui règnent dans l'armée.
00:27 Déjà, vous commencez par expliquer comment et pourquoi
00:31 vous avez décidé de vous engager,
00:33 et pas n'importe où, à l'école spéciale Saint-Cyr,
00:36 alors qu'a priori, vous n'étiez pas issu d'un milieu
00:40 où l'armée était mise en avant.
00:43 Pourquoi ce choix ?
00:45 -C'était très étrange pour moi, qui venais d'un milieu industriel,
00:48 du textile, d'aller dans ce métier
00:51 où les gens ne cherchent pas à bien gagner leur vie,
00:54 et pourtant risquent leur vie.
00:55 Il y avait une forme de défi par rapport à ces entreprises
00:58 que je voyais vivre et passer de génération en génération.
01:02 Je voulais être confronté avec ce monde
01:06 dont, finalement, le métier est de protéger la société.
01:10 -Votre décision n'est pas appréciée par tout le monde.
01:14 Votre grand-mère l'accueille assez vertement.
01:17 Votre grand-père, lui, trouve ça bien.
01:19 Vous racontez aussi de l'intérieur.
01:21 Vous vous retrouvez à Couette-Quidans,
01:24 trois années d'apprentissage, des années difficiles.
01:27 Qu'est-ce qui vous a le plus marqué ?
01:29 Vous parlez de ce qu'on appelle le bahutage,
01:31 qu'on appelle plus souvent le bisutage.
01:33 C'est dur physiquement et moralement.
01:36 -Oui, le bahutage est dur, mais à Saint-Cy,
01:39 en tout cas à l'époque où j'y étais, il y a maintenant 40 ans,
01:42 il était très bien maîtrisé.
01:43 C'est-à-dire qu'on était emmenés par les instructeurs au bord du gouffre
01:47 sans que jamais on ne puisse y tomber.
01:49 C'était assez remarquable d'arriver à nous emmener comme ça, au limite.
01:52 Par contre, ce qui m'a le plus marqué à Saint-Cyr,
01:54 c'est surtout le courage de mes compagnons d'armes,
01:59 qui sont devenus les chefs militaires de l'armée française,
02:02 et en même temps le silence qu'on leur a inculqué,
02:05 puisque nous, on a été formés par la dernière génération
02:07 qui avait fait la guerre d'Algérie.
02:09 Je me souviens que c'est à cause de ça que je m'étais dit que moi,
02:12 je ne respecterais pas ce silence,
02:14 que je raconterais ce qu'on a fait, ces premiers témoignages intérieurs
02:17 sur Saint-Cyr en presque deux siècles.
02:19 - Vous avez rompu le silence aussi lorsque vous avez quitté l'armée.
02:22 Vous avez écrit des livres pour témoigner
02:24 de ce que vous aviez vu sur le terrain.
02:26 C'était déjà une première manière de rompre le silence.
02:29 Pourquoi cette tradition de la discrétion est-elle, à votre avis,
02:33 dommageable, regrettable ?
02:35 - Elle est, pour moi, très dommageable,
02:37 parce qu'elle ne permet pas d'avoir un lien entre la société
02:41 et une armée qui prétend la défendre.
02:44 Il faut qu'elle se parle.
02:45 Or, regardez, aujourd'hui, à cause de la guerre en Ukraine
02:48 et de la guerre au Proche-Orient, la société n'a jamais été aussi intéressée
02:51 par les problèmes militaires et de défense.
02:53 Moi, j'aimerais que les militaires leur parlent,
02:56 qu'il y ait plus de Michel Goya qui vienne débattre
03:00 et qu'au lieu de se taire, ils viennent expliquer
03:03 ce qui attend les Français, quels sont les investissements qu'ils devraient faire.
03:07 Or, aujourd'hui, mes camarades sont d'un extraordinaire courage physique,
03:11 mais on voit bien qu'ils s'interdisent totalement de venir débattre.
03:17 Et ça, c'est regrettable, parce que c'est l'antithèse, d'une part, de la démocratie
03:20 et surtout de l'intelligence collective.
03:22 - Alors, on est dans une société qui est assez bavarde,
03:25 où, finalement, des personnes qui interviennent peu,
03:30 on peut se dire que leur parole a plus de poids et est plus entendue.
03:34 Donc, en fait, il faudrait qu'il y ait un juste milieu,
03:36 c'est-à-dire qu'il y ait des interventions,
03:38 mais que les militaires ne deviennent pas bavards comme les autres.
03:42 - La question est que là, ils n'interviennent pas peu,
03:44 ils n'interviennent pas du tout.
03:46 - Je ne parle pas, attention, je ne fais aucune confusion avec le secret des opérations.
03:49 - Bien sûr.
03:50 - On ne demande pas au chef d'état-major des armées de venir expliquer ce qu'il va faire au Mali.
03:53 Non, pour moi, la question, c'est les militaires qui ont quitté le service,
03:57 qu'ils racontent comme le fait, par exemple, la société britannique,
04:00 où c'est une tradition, ils doivent raconter et publier sur leur expérience.
04:04 En fait, nous, cette culture du silence, elle a été imposée par Napoléon,
04:08 à Saint-Cyr, d'ailleurs, le fait qu'un officier est là pour exécuter,
04:12 alors qu'en réalité, il est responsable de tous les ordres qu'il va donner.
04:15 Et pour moi, ils ont des histoires d'hommes, d'engagement, de femmes,
04:19 parce que, heureusement, maintenant, les femmes rentrent enfin dans cette société militaire,
04:22 qui doivent permettre au reste de notre société de réfléchir à ce qu'est notre défense
04:27 et ce qu'on veut en faire à un moment où on se sent menacé
04:31 par des empires comme celui de la Russie, de Poutine.
04:34 - Dernière question.
04:35 À votre avis, quelles sont les valeurs ?
04:38 Que vous reste-t-il de ces années à Saint-Cyr qui ont été des années particulières ?
04:42 En quoi vous ont-elles marqué, vous, aujourd'hui ?
04:45 - Marqué forcément, et d'ailleurs, c'est pour ça que j'ai écrit sur Saint-Cyr,
04:49 marqué par l'engagement qu'on a et, en même temps,
04:53 par cette absence de débat qui fait que les choses les plus importantes,
04:58 on ne doit pas les conserver pour soi,
05:01 mais on doit les partager avec les autres pour être sûr qu'elles soient comprises.
05:05 - Mais c'est ça que vous a appris Saint-Cyr ?
05:07 Il n'y a pas des valeurs qui sont restées ancrées en vous ?
05:10 - Saint-Cyr a essayé de m'apprendre à me taire,
05:12 et je m'en suis échappé à mon grand plaisir
05:15 parce que je pense que, plus que jamais,
05:17 les Français ont besoin qu'ils puissent causer de ces sujets de sécurité
05:21 parce que ce sont leurs sujets,
05:23 et pas les sujets d'une armée qui se tait
05:25 et d'un pouvoir politique qui n'explique pas pourquoi il fait ça.
05:28 - Très bien.
05:29 Alors, en tout cas, je vous conseille de lire Saint-Cyr à l'école de la Grande Muette,
05:32 comme ça, vous en saurez plus sur ce que vous expliquez brillamment dans ce livre.
05:37 C'est paru chez Flammarion. Merci beaucoup, Guillaume Ancel.
05:39 - Merci.
05:41 [Musique]
05:45 [SILENCE]

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