Bertillon, l’homme qui a révolutionné la police scientifique 

  • il y a 7 mois
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.

Le 16 octobre 1902, au 157 rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris, a lieu le crime le plus important de toute l’histoire policière. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’assassinat de Joseph R. le domestique d’un dentiste, va permettre de révolutionner, à jamais, les méthodes policières du monde entier. Pourtant, rien n’était joué d’avance ! 
Alphonse Bertillon, l’officier de l’époque, est un homme triste, froid et sarcastique. Renvoyé plusieurs fois des meilleures écoles françaises et après quelques échecs professionnels, c’est finalement grâce à son père qu’il obtient le poste d’auxiliaire de la préfecture. À cette époque, la police n’a d’autre moyen que d’identifier les individus par leurs noms. Alphonse Bertillon décide alors de mettre un place un “classement anthropométrique”, qu’il nomme “le bertillonnage”. Une méthode qui permet de relever les mensurations des individus interpellés.  Depuis quelques années pourtant, un nouveau système d’identification semble faire de l’ombre au “bertillonnage”, celle des empreintes digitales. Lorsque Alphonse Bertillon se rend sur les lieux du crime, un détail lui saute aux yeux : des traces de doigts très apparentes sont présentes sur la vitre du battant du meuble de la pièce. Peut-être pourrait-il reproduire ces empreintes, les comparer avec celle qui figure sur ses fiches et retrouver le coupable parmi les récidivistes ? Mais parvenir à réaliser ce miracle, serait pour Alphonse Bertillon, reconnaître la supériorité de cette méthode à la sienne… Comment cet homme, décrit comme terriblement rancunier, va-t-il dénouer cette affaire ? Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcript
00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11 C'est l'une des moins connues et pourtant l'une des plus sensationnelles enquêtes que la police ait jamais menée.
00:18 Peut-être s'agit-il même de l'événement le plus important de toute l'histoire policière
00:23 et le dossier extraordinaire le plus extraordinaire sur le plan strictement policier que nous ayons traité dans cette émission.
00:31 Aussi, nous tenons tout de suite à donner une précision.
00:35 Le texte de Jacques-Antoine a été écrit à partir d'une mise au point faite en 1950 par le Dr Charles Sany,
00:42 professeur au Muséum d'histoire naturelle et directeur de l'identité judiciaire.
00:49 Il doit donc être considéré comme rigoureusement vrai sur le fond car bien entendu,
00:54 certains détails sans importance peuvent être erronés. Vous comprendrez pourquoi cette mise au point.
01:01 Un homme au visage pâle, maigre, triste et froid,
01:08 les mouvements lents, la voix sans timbre, souffre de troubles digestifs, d'insupportables crises de migraine et de saignement de nez.
01:17 Inaccessible et renfermé, il froisse son entourage.
01:21 Il est aussi taciturne, méfiant, sarcastique, terriblement rancunier, agaçant par son pédantisme excessif,
01:30 absolument insensible aux joies esthétiques de la vie, dépourvu de tout sens musical.
01:35 Pendant son service militaire, il compte les notes émises par la trompette pour distinguer la sonnerie du réveil de celle de l'appel.
01:42 Un de ses amis avoua plus tard qu'il avait un caractère particulièrement désagréable.
01:49 A trois reprises renvoyé des meilleures écoles françaises à cause de ses progrès insuffisants et d'une conduite inqualifiable.
01:56 Il a été congédié par une banque après trois semaines de stage seulement et n'a connu aucun succès en tant que précepteur en Angleterre.
02:02 Enfin, il n'a pu obtenir le poste d'auxiliaire de la préfecture que grâce aux relations de son père.
02:09 Pourtant cet homme va révolutionner les méthodes policières du monde entier.
02:15 Il s'appelle Alphonse Bertillon.
02:36 Les choses les plus simples ne sont pas toujours les plus anciennement connues.
02:40 C'est ainsi qu'il a fallu plusieurs millénaires pour que quelques savants observent que certaines dimensions du corps humain,
02:47 très variables d'un individu à l'autre, sont par contre constantes chez un même individu à partir d'un certain âge.
02:55 Et il a fallu encore plusieurs siècles pour tirer parti de cette observation.
03:00 Et oui, jusqu'au siècle dernier, on savait décrire un personnage en disant qu'il était grand ou petit,
03:07 qu'il avait les yeux bleus ou noirs, qu'il avait une petite ou une grosse tête, de petite ou de grande main.
03:14 Mais on ne s'était jamais avisé qu'à partir de l'âge adulte, tout cela pouvait être mesuré, noté,
03:20 et qu'il en résultait un signalement quasiment définitif.
03:25 Jusqu'alors, la police n'avait donc aucun moyen rationnel d'identifier une personne autrement que par son nom.
03:31 Et comme il était facile à cette époque de changer de nom, les malfaiteurs pouvaient s'en donner à cœur joie.
03:38 C'est alors que vers 1880, Alphonse Bertillon, devenu chef du service de l'identification à la préfecture de police,
03:45 pour l'habitude, chaque fois qu'un individu est arrêté, de noter son signalement sur une fiche,
03:50 en adoptant à côté du classement alphabétique, un classement anthropométrique (mesures osseuses, longueur et largeur de la tête, taille, envergure, etc.).
04:00 C'est, dès le début, une véritable révolution dans les méthodes policières, car Alphonse Bertillon arrive à reconnaître chaque mois parmi les gens,
04:09 ayant déjà subi des condamnations, 30 à 40 individus qui avaient réussi à changer de nom et se croyaient à l'abri.
04:15 Son système, qu'on appelle le «bertillonnage», se répand dans le monde entier.
04:21 Pourtant, le «bertillonnage» n'est pas la panacée universelle, car s'il permet à la police d'identifier un individu,
04:27 encore faut-il que celui-ci soit déjà entre ses mains pour comparer ses mensurations avec celles figurant sur ses fiches anthropométriques.
04:37 C'est alors que s'ouvre le dossier de l'affaire Schäffer.
04:43 Nous sommes le 17 octobre 1902. Vers 10h du matin, un homme bien mis, mais parallé et essoufflé, se présente au commissariat du quartier Saint-Honoré à Paris.
04:54 « On a tué Joseph, dit-il, au comble de l'affolement. »
04:58 Le policier, sans s'émouvoir des visages de son interlocuteur, « Qui êtes-vous ? »
05:02 « Je suis M. Allot, chirurgien dentiste. Mon cabinet est au 157 de la rue du Faubourg Saint-Honoré. »
05:07 « Bien, je vous écoute, dit posément le policier. »
05:10 « Eh bien voilà, il y a quelques instants, je suis entré dans mon appartement et j'ai trouvé Joseph, couché sur le dos, mort. »
05:16 « Procédons méthodiquement, s'il vous plaît. Qui est Joseph ? »
05:19 « C'est mon domestique. »
05:21 « Joseph, ça n'est pas un nom. Oh, pardon, il s'appelle Rebelle, Joseph Rebelle. »
05:26 « Comment savez-vous qu'il est mort ? »
05:28 « Il ne donne plus aucun signe de vie, il ne respire plus, son cœur ne bat plus. »
05:32 « Pourquoi pensez-vous que c'est un assassinat ? »
05:34 « Je crois que plusieurs meubles ont été fracturés. »
05:37 « On vous a volé ? »
05:39 « Je n'ai pas pris le temps de vérifier, mais je le pense. »
05:42 Le jour même, alerté par le commissaire de police, le juge d'instruction, M. Joliot, se rend sur les lieux du crime.
05:50 Il est accompagné du Dr. Soquet, médecin légiste, de M. Cochefer, chef des services de la sûreté,
05:55 et de M. Bertillon, chef du service de l'identité judiciaire.
06:00 Imaginez donc ces quatre messieurs très sérieux, en guêtre, par-dessus Egibus,
06:05 entrant dans le cabinet du dentiste qui les accompagne, des policiers en uniforme, veillent sur le palier.
06:11 Dans une petite pièce dite de la caissière, où se tient normalement une employée du dentiste,
06:15 le cadavre d'un homme de quarante ans environ, les moustaches en guidon de bicyclette, la bouche ouverte,
06:20 est assis sur le parquet, luisant de cire.
06:22 Il semble regarder les quatre enquêteurs, car, appuyé le dos contre une chaise, il fait face à l'embrasure de la porte.
06:30 Les jambes allongées, la chemise en partie sortie du pantalon, une serviette est nouée autour de son cou.
06:37 Le médecin se penche sur lui, les joues et le nez portent plusieurs petites égratignures,
06:42 probablement faites par les ongles de l'assassin, car il n'y a aucun doute, il s'agit d'un crime.
06:47 Et le médecin légiste, surpris, se penche encore un peu plus sur le cadavre, car il ne voit pas ses dents.
06:54 « Le malheureux m'avait demandé de lui faire un dentier, dit le chirurgien dentiste.
06:59 En effet, le dentier, déplacé, se trouve au fond de la bouche.
07:03 Il a été probablement étranglé, dit le médecin légiste.
07:07 Le procureur, qui entreprend la visite des lieux, découvre, dans la cuisine, les traces d'un repas,
07:13 mais pour une seule personne, car, bien que la table ait été débarrassée, la vaisselle sale ne comporte qu'une assiette et qu'une seule tasse.
07:19 Sur la table, on peut voir cependant une bouteille de rhum largement entamée et une boîte de cigares.
07:24 Dans l'ivier, un torchon taché de sang mêlé d'un liquide blanchâtre, peut-être de la salive.
07:30 Dans ce cas, il aurait pu servir à étouffer la victime et faire cesser ses plaintes.
07:34 Enfin, pendu à une patère, une blouse blanche maculée de sang. »
07:39 Alphonse Bertillon, sans talent le matériel photographique de l'époque, le pied en bois, l'énorme boîtier assoufflé, le jeu de plaques, etc.,
07:47 il commence à photographier le cadavre.
07:50 Pendant ce temps, le procureur passe dans le cabinet proprement déduit du dentiste,
07:54 constate au passage qu'un secrétaire et diverses vitrines ont été l'objet des fractions.
07:59 Soudain, le procureur montre au chirurgien dentiste des clés sur une cheminée.
08:04 À qui sont ces clés?
08:06 « Ce sont les clés des meubles, c'est le trousseau de Joseph. »
08:09 Est-il normal qu'elles soient là?
08:11 « Non, Joseph les portait toujours sur lui. »
08:14 C'est donc probablement le meurtrier qui les a abandonnées sur cette cheminée.
08:19 Dans ce cas, les effractions sont, du moins pour certains meubles, simulées.
08:23 Par contre, passant dans le grand salon, le procureur reste en arrêt.
08:27 Une vitrine à deux corps occupe le milieu d'un panneau.
08:31 Le bas du meuble est plein, mais le haut est fermé par une porte vitrée à deux bâtons.
08:35 Le procureur appelle alors Alphonse Bertillon,
08:38 et avec l'entrée de celui-ci dans le grand salon, la véritable affaire Schaeffer commence.
08:44 Alphonse Bertillon a en effet un coup au cœur en voyant ce meuble,
08:49 car la vitre du bâton droit est brisée,
08:53 et sur la portion de verre qui est restée en place,
08:57 on remarque des empreintes de doigts très apparentes.
09:02 Qu'en pensez-vous, M. Bertillon, demande le procureur?
09:06 « Là, chers amis, je dois vous invertir que ce dialogue est purement inventé,
09:11 mais vous allez comprendre bientôt que nous avons eu peu de risque de nous tromper.
09:15 Ces traces de doigts sont particulièrement nettes, n'est-ce pas, M. Bertillon ? » insiste le procureur.
09:21 « Oui, doit répondre M. Bertillon.
09:25 Mais il doit avoir le visage grave et soucieux, car les empreintes sont son obsession, son cauchemar.
09:33 Les empreintes sont son pire ennemi, la ruine de ses efforts.
09:38 En effet, dès 1880, des isolés ont tenté d'identifier les individus par leurs empreintes digitales.
09:43 En Argentine, en 1892, puis en 1893 à Paris et à Lyon,
09:47 des spécialistes ont insisté sur l'intérêt qu'il y aurait à utiliser le système des empreintes digitales
09:52 au lieu et place du Bertillonnage, puisqu'il est démontré que les empreintes digitales
09:57 ne se modifient jamais et qu'elles sont pourtant toutes différentes d'un individu à l'autre. »
10:03 Alphonse Bertillon, très autoritaire dogmatique, reste persuadé de la supériorité de sa méthode anthropométrique
10:09 face à la méthode digitale, on l'appelle « dactyloscopique », trop minutieuse.
10:14 Pourtant, il craint de voir sa méthode supplantée par la méthode des empreintes,
10:18 et c'est à contrecoeur qu'il a décidé en 1894 d'ajouter sur ses fiches anthropométriques
10:24 l'empreinte des quatre doigts de la main droite, puis en 1900 d'ajouter l'index de la main gauche.
10:29 Mais une fois encore à contrecoeur, sans aucune conviction, il n'y croit pas,
10:33 et d'ailleurs, il faut bien le reconnaître, jamais jusqu'alors on n'a réussi à identifier un coupable
10:39 avec ses empreintes digitales. Il faut comprendre aussi que jusqu'alors,
10:43 personne n'a imaginé qu'on puisse identifier un individu absent,
10:48 que ce soit avec l'anthropométrie ou avec les empreintes.
10:52 Je m'explique. L'anthropométrie judiciaire, le vertillonnage, permet d'identifier un individu
10:57 à condition qu'il soit déjà entre les mains de la police, ou du moins que la police puisse effectuer
11:01 ses mensurations et les comparer avec les pièces qu'elle possède déjà, mais c'est tout.
11:05 Le vertillonnage ne permet évidemment pas d'identifier un individu absent,
11:10 et personne n'a d'ailleurs jamais songé à identifier un individu absent grâce à ses empreintes.
11:15 Mais ce jour-là, dans le salon de ce dentiste, devant cette vitrine brisée,
11:19 devant ce qu'on appelait alors des marques de doigts, nombreuses, très nettes,
11:24 une évidence s'impose à Bertillon. Peut-être pourrait-il reproduire ses empreintes,
11:30 les comparer avec celles qui figurent sur ses fiches, et retrouver le coupable parmi les récidivistes.
11:36 Alors, on aurait réalisé l'impossible, retrouver un coupable qui se croit hors d'affaire,
11:43 qui croit sans doute n'avoir laissé derrière lui aucune preuve, aucun indice.
11:48 Seulement, s'il parvient à réaliser ce miracle, ce sera la fin du vertillonnage, sa chère invention,
11:56 car la preuve sera faite de la supériorité de la méthode dactyloscopique
12:01 et dès lors, l'inutilité de la méthode anthropométrique.
12:06 Que va donc faire Bertillon ? L'irascible, l'autoritaire et dogmatique Bertillon ?
12:13 [Musique]
12:21 Dès le lendemain de la découverte du crime, une enquête serrée est entreprise.
12:24 Bien entendu, on commence par interroger les voisins. Dans l'appartement du dessus, une domestique déclare
12:29 « Si j'ai remarqué quelque chose d'anormal, comment ? Hier après-midi, j'ai entendu en dessous des hommes qui parlaient très fort,
12:35 et puis des cris étouffés. » C'était vers quelle heure ?
12:39 « Ça a commencé vers 6 heures du soir, puis ça a duré longtemps, puisque je les entendais encore pendant que je servais, monsieur et madame. »
12:45 La maîtresse de maison confirme les affirmations de la domestique en y ajoutant une précision et une opinion.
12:51 « Les bruits ont dû cesser vers 8 heures, mais ils ne m'ont qu'à moitié surpris. »
12:56 Pourquoi ?
12:57 « Ce Joseph, le domestique de M. Allaud, était une personne assez bizarre. »
13:04 En quoi était-il bizarre ?
13:06 « Ben disons, il fréquentait des personnes qui avaient un genre. »
13:12 Ben, voyez-vous, vous précisez qu'il y a des genres.
13:17 « Et puisque vous voulez tout savoir, il ne fréquentait que des hommes. »
13:23 Quant aux voisins du dessous, ils ont été surtout frappés entre 6 heures et 8 heures du soir par des allées et venues intempestives.
13:29 « Ma femme et moi, dit le voisin du dessous, nous nous sommes même regardés un moment en nous demandant si ce bruit allait continuer.
13:34 Alors j'allais donner des coups de balai au plafond lorsque tout a cessé. »
13:38 Vous connaissiez ce Joseph, le domestique de M. Allaud ?
13:41 « Je l'ai entrevue assez rarement. Nous ne fréquentons pas le même escalier. »
13:45 Lui utilisait l'escalier de service.
13:47 « Oui, bien sûr. »
13:48 Rien ne vous choquait dans son attitude ?
13:51 « Il était toujours correctement habillé, très poli. »
13:54 N'avez-vous rien remarqué d'étrange dans son comportement ?
13:57 Dans ses fréquentations, par exemple ?
14:00 « Il était peut-être un peu précieux, c'est tout ce que je puis dire, car je ne m'intéresse pas au comportement des domestiques. »
14:06 Vous devriez plutôt interroger le concierge.
14:09 Pour le concierge, il ne fait aucun doute que Joseph, la victime, avait des mœurs inavouables.
14:15 De plus, le concierge affirme ne pas avoir quitté sa loge de toute l'après-midi, de sorte qu'il a contrôlé toutes les entrées et les sorties de l'immeuble.
14:21 Comme M. Allaud, le chirurgien dentiste, ne donnait pas ce jour-là de consultation, il n'a constaté l'entrée et la sortie d'aucun étranger.
14:28 Interrogés à nouveau, les voisins du dessus et du dessous sont d'accord pour affirmer n'avoir pas entendu la sonnette d'entrée de l'appartement du dentiste, à laquelle ils sont pourtant très accoutumés.
14:38 Il semblerait donc que l'assassin soit une personne fréquentant habituellement l'immeuble et ayant libre accès à l'appartement du chirurgien dentiste.
14:46 Ce dernier est interrogé sur les fréquentations de son domestique.
14:49 « Eh bien oui, quoi ! Joseph avait sans doute des mœurs particulières, mais cela ne nuisait en rien à son travail.
14:55 Il était sérieux, poli, méticuleux, je n'avais rien à lui reprocher, et sa façon de vivre ne me regardait pas.
15:01 Mais avez-vous remarqué quoi que ce soit d'inhabituel dans son comportement les derniers jours ? Non.
15:07 Avez-vous appris qu'il eût eu des fréquentations nouvelles ? »
15:12 « Peut-être. En effet, il y a quelques jours, Joseph a reçu un homme qu'il m'a présenté sous le nom de Georges, en me disant que c'était un parent.
15:22 C'était vrai ? Oh, probablement pas, mais pour chercher à savoir, car ce parent m'a-t-il semblé, et était de toute évidence, un péteraste invétéré.
15:33 Et pouvez-vous le décrire ? Certainement, car il est venu plusieurs fois.
15:37 Attendez, c'est un homme de taille plutôt avantageuse, cheveux châtain, visage assez rond, nez assez fort, la moustache en crocs, avec une barbe.
15:46 La dernière fois où je l'ai aperçu, il avait un costume prince de Galles, marle. Quel âge ? Je me demanderai environ vingt-huit ans.
15:56 Muis de ces renseignements précieux, les policiers parisiens se creusent les ménages, cherchent dans leurs souvenirs un barbu de grande taille, à la moustache en crocs, péteraste notoire, et s'appelant Georges.
16:08 On interroge les indicateurs, on effectue quelques rafles, tout cela sans succès.
16:12 C'est alors que reparaît Alphonse Bertillon, dans une scène qui devait rester à jamais mémorable dans toute l'histoire de la police criminelle.
16:22 Je vous rappelle, chers amis, que bien qu'elle possède un signalement assez précis du meurtrier Joseph, la police reste impuissante à le retrouver.
16:30 Le crime a eu lieu le 16 octobre 1902, entre 6h et 8h du soir. C'est le 24 octobre, donc une semaine jour pour jour après la découverte du cadavre, qu'Alphonse Bertillon demande à être reçu par le juge d'instruction.
16:46 Dès son entrée dans le bureau de ce dernier, Alphonse Bertillon, calme, silencieux et assez pâle, lui tend un rapport d'actilographie.
16:57 Ce rapport, à l'entrée de la préfecture de police, direction générale des recherches, service de l'identité judiciaire, vu et annexé par le commissaire de police du quartier, je l'ai sous les yeux.
17:09 Je vais vous en lire quelques extraits, car c'est un document unique, à plusieurs titres. Je lis.
17:17 Le 17 du courant, j'ai été chargé par M. Joliot, juge d'instruction, de photographier l'appartement situé au numéro 157 de la rue du Foumon-Saint-Honoré, où un crime avait été commis sur la personne d'un sieur rébelle domestique au service de M. Allaud, dentiste.
17:33 Au cours de cette opération, j'ai été amené à reprendre des empreintes de doigts assez apparentes sur un carreau d'une vitrine du salon de M. Allaud.
17:41 Les empreintes dont il s'agit pouvaient avoir été laissées soit par l'assassin présumé, soit par sa victime, soit enfin par une personne quelconque ayant pénétré dans le salon de M. Allaud.
17:52 Dans l'impossibilité matérielle de vérifier la dernière hypothèse, je n'avais à m'occuper que des deux premières, ce qui me permit tout d'abord de constater que les empreintes inconnues n'avaient aucune analogie avec celles de la victime.
18:05 Dès lors, les recherches se trouvaient limitées au répertoire anthropométrique. Effectuées avec le plus grand soin, elles ont fait découvrir.
18:15 Une fiche concernant un homme nommé Schaeffer Henri Léon, âgé de 24 ans, mesurait le 9 mars dernier alors qu'il était inculpé de vol et abus de confiance et dont les empreintes digitales concordent d'une manière frappante avec celles relevées sur le lieu du crime.
18:31 Afin d'en faciliter la comparaison, j'ai fait agrandir ces documents à une échelle supérieure de 4 fois la grandeur naturelle et le rapprochement des époeuvres apparaît alors avec la plus grande netteté.
18:43 Six joints, une reproduction des pièces mentionnées au présent rapport.
18:47 La chers amis, je m'interromps quelques instants pour vous commenter les pièces en question. Il s'agit d'abord d'une fiche anthropométrique où l'on voit en effet de profil et de face un homme barbu à la moustache en croc, le nommé Henri Léon Schaeffer.
19:00 La fiche comporte toutes sortes d'indications, la taille, en vergure, la hauteur du buste, toutes les mensurations de la tête, la longueur des pieds, des doigts, des bras, la couleur de l'iris, la dimension et la forme des yeux, son âge, 25 ans, son âge apparent, 28 ans, la couleur des cheveux, la barbe, de l'implantation de celle-ci, etc. etc.
19:15 Bref, ce que l'on appelle le bertillonnage.
19:18 Et sous cette fiche ont été ajoutées l'empreinte du pouce, de l'index, du médus et de l'annulaire droit.
19:23 Le dossier comporte en plus de la fiche des photos agrandies de ces mêmes empreintes comparées avec celles qu'Alphonse Bertillon a relevées sur la vitre de la vitrine du Grand Salon.
19:31 Les points de similitude entre ces empreintes sont soigneusement signalés par un petit trait numéroté et relevés dans la marge. Il y en a plusieurs pages.
19:40 Le rapport d'Alphonse Bertillon conclut « Il appare que les empreintes digitales photographiées par nous sur la vitre brisée dans un des salons de M. Allot correspondent exactement à celles que le pouce, l'index, le médus et l'annulaire de la main droite du nommé Schaeffer auraient pu occasionner.
19:56 La position respective des traces de doigts imprimées sur les deux faces opposées de cette vitre, savoir celle du pouce sur la face extérieure et celle de l'index, du médus et de l'annulaire sur la face intérieure de la vitrine fracturée, démontrent incontestablement que la position de ces empreintes a été faite après le bris de la susdite vitre. »
20:16 Signé le chef du service de l'identité judiciaire, Alphonse Bertillon.
20:22 Incident. Pour la première fois dans l'histoire de la police du monde entier, un homme prétend avoir identifié formellement un criminel grâce à ses empreintes digitales.
20:32 Si cet homme a raison, c'est la fin du système anthropométrique considéré jusqu'alors comme l'outil numéro un de la police.
20:39 Et l'auteur de cette tentative n'est autre que l'inventeur de ce système anthropométrique, le Bertillonnage, Alphonse Bertillon lui-même.
20:47 Vous verrez, chers amis, qu'il y a là une belle leçon d'honnêteté et de courage intellectuel.
20:53 Et surtout, surtout si cette aventure réussit.
20:57 Or, les photographies du dénommé Schaeffer sont reconnues par le mécanicien dentiste de M. Allot comme ressemblant fort au dénommé George et par les inspecteurs des mœurs comme étant le portrait d'un pédéraste fort connu de leur service.
21:10 Quelques jours plus tard, la saisie d'une lettre à la poste restante révèle la présence du dénommé Schaeffer à Marseille.
21:17 Il est sur le point d'être arrêté dans cette ville lorsqu'à bout de ressources, il vient lui-même se constituer prisonnier et tout avouer.
21:25 Inutile de vous dire, chers amis, que le retentissement de cette affaire fut très grand.
21:29 Un journal humoristique de l'époque, l'Assiette au beurre, lui consacre sa couverture où l'on voit un bertillon caricatural en redingote et chapeau haut de forme, moustache, barbe et binocle, examinant à la loupe des empreintes de doigts sur un mur couvert de graffitis avec ce commentaire « Un assassin laisse toujours des traces quelque part ».
21:50 Cette date du 14 octobre 1902 marque en effet l'abandon progressif du bertillonnage et l'introduction des empreintes digitales comme preuve majeure dans l'instruction criminelle.
22:05 [Musique]
22:24 Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
22:33 Réalisation et composition musicale, Julien Taro.
22:37 Production, Sébastien Guyot.
22:40 Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
22:45 Remerciements à Roselyne Belmar.
22:48 Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
22:53 Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.