Une affaire cousue de fil blanc

  • il y a 8 mois
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.

[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare] Le 9 septembre 1949, le vol 108 de la Compagnie aérienne “Canadian Pacific” explose en plein vol. Aucun passager ne ressort vivant de cette terrible tragédie. À bord, parmi les 23 passagers, la femme d’Albert Guay. Monsieur Guay est un homme grand et mince à l’allure timide et il est évidemment dévasté lorsque les enquêteurs lui annoncent le décès de son épouse. Pourtant, tout semble accabler ce père de famille. D’abord, ce dernier a souscrit une assurance, à son profit, sur la vie de sa femme quelques jours plus tôt. De plus, les témoignages l’accablent : l'hôtesse se souvient très bien de cet homme qui avait fortement incité son épouse à monter à bord de cet avion. Est-ce une coïncidence ? Quelques instants avant l’embarquement, une femme, Marguerite Pitre, dépose un colis dans les soutes de l’avion. C’est un carton lourd et fragile. L’expéditeur s'appelle Monsieur Bouchon et le destinataire se prénomme Alfred Plouf. Des noms bien trop grotesques pour avoir été inventés ! Alors les enquêteurs recherchent sérieusement ces deux hommes. C’est alors qu'à nouveau, un autre témoignage, rapporte que Monsieur Guay a récemment recherché des informations sur des dynamites… La police est perplexe. Si cet homme avait eu l’intention de piéger l’avion, il aurait forcément été plus discret. S’il avait fait livrer une bombe à bord, il n’aurait pas utilisé des noms aussi marquants ! Si c’était réellement lui le meurtrier, cette affaire ne serait-elle pas un peu trop cousue de fil blanc ? Les forces de l’ordre cherchent alors un autre coupable. Mais Albert Guay avait une maîtresse, avec laquelle il aurait bien aimé vivre… Tout cela est bien trop évident ! Il y a certainement une autre explication. Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10 Chers amis, comme cette histoire vous réserve une surprise, Jacques-Antoine vous demande de l'écouter jusqu'au bout.
00:18 La première scène se passe pendant l'été indien, à Québec, en 1949, dans cet hôtel étonnant qui surplombe la ville de ses murs rouges et de ses toits de bronze.
00:32 Dans l'immense hall sombre, devant le stand de la Canadienne Pacific Airways, un homme grand, mince, d'allure timide, aux cheveux bruns ondulés et au visage juvénile,
00:42 essaie de convaincre sa femme de ne pas décaler son voyage. Lucille, l'hôtesse de la compagnie, vêtue d'un élégant tailleur chocolat au lait,
00:51 orné d'une jonquille pour aller avec son petit chapeau, attend patiemment. Enfin, la femme cède et l'on achète le billet.
00:58 Quelques instants plus tard, l'homme et la femme se séparent, la femme pour rentrer chez elle, monsieur gai,
01:04 pour rejoindre une ravissante créature bien connue pour son sex-appeal, qui travaille au café Le Monte Carlo,
01:11 elle s'appelle Mariange Robitaille, et c'est sa maîtresse. Un mot sur l'homme. Oh et puis non.
01:19 Si je vous en dis tout de suite plus sur son compte, vous allez penser qu'il est le coupable dans ce dossier extraordinaire.
01:26 Vous ne trouvez pas que ce serait un peu cousu de fil blanc, un peu trop évident? Le coupable comme ça, dès le début de l'histoire?
01:34 Deux jours plus tard, un homme vêtu d'un costume bleu marine, chemise verte, cravate noire, tenant sa petite fille par la main,
01:41 accompagne sa femme à l'aéroport. L'homme et la femme s'embrassent, sans passion, puis la femme embrasse sa petite fille,
01:48 et, sans bagage, ne portant que son sac à main, se dirigent vers la salle d'embarquement.
01:53 Alors l'homme, tenant toujours sa petite fille par la main, fait quelques pas vers une machine distributrice d'assurance,
02:00 et il souscrit une police de 10 000 dollars sur l'avis de sa femme et à son bénéfice.
02:06 On peut voir son nom sur le papier que lui délivre la machine. Albert Gay.
02:12 Ha ha ha! Je vous vois venir, chers amis, vous pensez? L'avion va exploser, boum! Et c'est ce monsieur Gay le coupable!
02:21 Non mais, vous ne trouvez pas que ce serait un peu trop cousu de fil blanc? Un peu trop facile? Un peu trop évident?
02:26 Est-ce que cela mériterait de figurer dans les dossiers extraordinaires?
02:49 Pendant que monsieur Albert Gay souscrit une assurance de 10 000 dollars à son profit sur l'avis de sa femme qui va décoller de l'aéroport de Québec,
02:56 un taxi, qui fonceait sur l'autoroute, saute sur un K6. Dans ce taxi, une femme d'environ 40 ans habillée de noir,
03:03 à ses pieds, une grande boîte de cartons de 75 centimètres de haut sur 40 de large.
03:10 « Mais faites attention ! » dit-elle au chauffeur.
03:12 Le chauffeur ralentit sa course, se souvenant que la cliente lui a dit que son carton contenait des œufs.
03:18 Arrivé à l'aéroport, la dame, embarrassée par son colis, demande au chauffeur de taxi de l'aider.
03:24 C'est ainsi que monsieur Willie Lamonde, employé de la Canadienne Pacific Airways,
03:29 voit arriver la femme en noir, très excitée, portant son colis qu'elle pose sur la bascule.
03:34 L'employé constate que le colis fait 13 kilos. « C'est trop ! » dit-il.
03:40 La femme insiste. « Comme l'avion m'a décollé, l'employé appelle un convoyeur pour faire porter le colis vers l'appareil. »
03:45 La femme lui dit « Vous trouverez le nom du destinataire et de l'expéditeur sur la boîte. Tout est écrit. »
03:50 L'employé jette un coup d'œil et dit « Expéditeur Monsieur Ursule Bouchon, destinataire Monsieur Alfred Plouf. »
03:57 « Bien sûr ! » dit-elle. « Chers amis, vous pensez que ces noms sont bizarres ? »
04:03 « Ça existe les noms bizarres ! »
04:06 « Oui, Ursule Bouchon, Alfred Plouf. Et s'il fallait, trouvez-nous tous les colis qui portent des noms bizarres ! »
04:13 Le prix de l'expédition s'élève à 2,75 dollars.
04:18 Comme la femme, toujours aussi excitée, lui a remis un billet de 10 dollars et qu'ils n'ont pas de monnaie, ni les uns ni les autres,
04:24 il faut rappeler le chauffeur de taxi qui obligément change le billet.
04:28 « Ah, je sais ce que vous pensez, chers amis. Vous pensez ? Le colis, c'est une bombe ! »
04:34 « Oh, allons, voyons ! Vous ne trouvez pas que ce serait un peu trop cousu de fil blanc, un peu trop facile, un peu trop évident ? »
04:41 « D'ailleurs, si ce colis contenait une bombe, on aurait pris soin, je présume, de donner à l'expéditeur et au destinataire des noms passants plus inaperçus, pas Ursule Bouchon et Alfred Plouf ! »
04:54 Pourtant, la suite semblerait vous donner raison. En effet, 16 minutes après le décollage,
05:04 l'avion, un DC-3, après avoir traversé le Saint-Laurent, explose et s'écrase au lieu dit poétiquement « le sceau du cochon ».
05:16 M. Victor Duclos, fermier à Sceau du Cochon, est la première personne qui parvient sur les lieux de la catastrophe.
05:25 Il remarque que certains débris sont tombés très loin du débris principal de l'épave, presque un kilomètre.
05:33 Dans l'épave, ou ce qu'il en reste, il aperçoit des membres épars, des visages sanglants.
05:41 Il ramasse une chaussure fendue en plein milieu. Les vêtements sont brûlés, déchiquetés, au point qu'on les dirait mangés par de la vermine.
05:51 Au-dessus de tout cela, flotte une odeur que M. Duclos reconnaît bien car il l'a déjà utilisée, celle de la dynamite.
06:03 C'est aussi ce que reniflent aussitôt les premiers policiers, les sauveteurs et tous les experts qui vont venir sur les lieux.
06:10 On dénombre bientôt 23 cadavres, aucun rescapé.
06:14 Sans aucune difficulté, les enquêteurs établissent que la catastrophe a été provoquée par une explosion dans la soute à bagages.
06:21 Pendant ce temps, à l'aéroport, il s'appelle Lorette, les enquêteurs se plongent dans l'étude de la liste des passagers,
06:29 tandis que la compagnie reçoit les parents et amis de ces derniers qui accourent affolés à l'annonce du drame.
06:35 Ils sont bientôt une centaine qui assaillent les responsables. Ceux-ci, embarrassés, minute après minute, bribe par bribe, pour atténuer le choc, donnent quelques informations.
06:48 « Il y a des victimes, disent-ils. On ne sait pas encore combien. Il y a des morts. On n'a pas encore dénombré les cadavres.
06:57 On a compté 22 victimes. Mais on ne sait pas combien de vivants. On ne sait pas s'il y a des rescapés. Il n'y a pas de rescapés.
07:08 Mais avant de s'affoler, il faut connaître la liste des victimes. Certains passagers ont pu renoncer à partir au dernier moment, etc., etc.
07:16 Mais Albert Gay et sa fille, mêlées à la foule silencieuse, savent qu'il n'y a plus d'espoir, puisqu'ils ont vu Mme Gay marcher vers l'avion.
07:27 Alors la petite fille se met à crier dans les bras de son père, qui s'englotte. Leur douleur fait peine à voir. Il faut l'arriver d'un prêtre pour qu'il se calme un peu.
07:39 Tous les policiers disponibles à Québec sont maintenant sur l'affaire et l'on a vite fait d'établir que tous les bagages ont été amenés soit par les victimes elles-mêmes,
07:48 soit par un affrêteur très respectable, dont les envois sont réguliers et fréquents sur la ligne. Tous les bagages, sauf un.
07:56 La fameuse boîte en carton.
08:02 En écoutant les nouvelles de la radio, le chauffeur de taxi qui l'a transporté commence à douter qu'elle est réellement contenue des œufs.
08:10 Il se rend à la police et donne une description exacte de la dame en noir et l'adresse où il l'a chargée.
08:18 À l'adresse indiquée, carrefour extrêmement passant, personne ne connaît cette dame. Mais les policiers entreprennent d'interroger tous les gens du quartier.
08:27 De même, ils interrogent les parents et amis très proches des victimes. En tout premier lieu, Albert Guay.
08:33 Cela pour deux raisons évidentes. D'abord parce que sa femme morte d'hémorragie cérébrale à la suite de multiples fractures et la seule femme parmi les victimes dont le visage n'est pas méconnaissable,
08:43 elle a donc été identifiée la première. Ensuite, les policiers ont trouvé le double de la police d'assurance qu'Albert Guay a souscrit à l'aéroport.
08:52 Mais dans l'esprit des policiers, ce dernier détail plaiderait plutôt en sa faveur. Car c'est quand même cousu de fil blanc, non? C'est un peu trop facile pour la police, non? Un peu trop évident.
09:04 Toutefois, comme cette forme de crime à l'assurance serait la première du genre, car l'affaire se passe en 1949, Albert Guay, s'il est coupable,
09:12 croyait peut-être, en la souscrivant, que personne ne devinerait jamais la vérité. D'ailleurs, si l'avion s'était abattu dans l'estuaire du Saint-Laurent, personne, en effet, n'aurait jamais connu la vérité.
09:24 Et en tout cas, on n'aurait jamais pu le prouver.
09:35 Donc, les policiers vont interroger Albert Guay. Il trouve un homme effondré qui répond comme il peut aux questions qu'on lui pose.
09:43 Quand ils lui apprennent que sa femme et les 22 autres passagers ont été victimes d'un attentat, il palie et dit « c'est monstrueux ».
09:51 Il demande ce qu'il peut faire pour aider la police. Et là, s'il ne peut rien, rien qu'exhorter les policiers en les raccompagnant à la porte à creuser jusqu'au fond de cette affaire.
10:02 Bien entendu, on cherche à Québec M. Ursul Bouchon, qui serait l'expéditeur du colis, et à Bécomo M. Alfred Plouf, le destinataire.
10:11 Et on cherche, sérieusement, car justement, parce que ces noms sont bizarres, les policiers ont peine à croire qu'on les ait inventés pour les mettre sur un carton contenant une bombe, ce qui serait le plus sûr moyen de le se faire remarquer.
10:26 Pourtant, il faut se rendre à l'évidence, M. Ursul Bouchon et M. Alfred Plouf n'existent pas.
10:33 Les enquêteurs interrogent tous les employés de la Canadienne Pacific Yahweh qui ont vendu les billets pour le vol fatidique.
10:39 C'est ainsi qu'ils ont l'occasion d'entendre les témoignages de Lucille, l'hôtesse au petit tailleur chocolat au lait, qui a vendu un billet dans le hall de l'hôtel deux jours plus tôt.
10:50 Ah, elle se souvient très bien. Il y avait un homme et une femme. La femme voulait décaler son voyage et son mari l'a décidé à ne rien changer à ses projets.
10:59 Reconnaîtra-t-elle cette femme? Peut-être. On lui montre une photo? Oui, c'est elle. Elle, c'est Mme Gay. Et cet homme, c'est lui. Lui, c'est M. Gay.
11:17 Mettez-vous à la place des policiers, chers amis. Il se regarde incrédule. S'il avait eu l'intention de piéger l'avion, il n'aurait pas discuté avec sa femme devant la vendeuse du billet pour la pousser devant témoin à prendre un avion qui va exploser.
11:33 Tout de même, ils enquêtent sur la vie de M. Gay. Oh non, c'est pas vrai. Figurez-vous que son premier métier avant d'être joaillier, c'était ouvrier dans une fabrique de munitions.
11:47 Et sa vie privée? Voyons un peu sa vie privée. Et nouvelle incrédulité des policiers. De notoriété publique, le ménage Gay n'allait plus du tout. Il se disputait sans arrêt et M. Gay n'avait caché à personne son désir de quitter sa femme pour vivre avec la splendide créature qui travaille au Monte Carlo, Marie-Ange Robitaille.
12:08 Marie-Ange déclare aux policiers qu'il y a longtemps qu'elle n'aime plus Albert Gay. D'ailleurs, elle ne le voit plus. Depuis la dernière fois, elle ne lui a même pas téléphoné. Et c'était quand la dernière fois? Ben, hier.
12:21 Au demeurant, Albert Gay n'est pas fou ni idiot. Il a au contraire la réputation d'un homme très avisé dont les affaires marchent très bien. Comment admettre dans ces conditions qu'il ait pu se livrer à une entreprise aussi grossière?
12:33 D'ailleurs, à l'enterrement, sa peine paraît sincère et il émeut même les policiers qui, je n'ai pas besoin de vous le dire, scrutent discrètement tous les visages des parents et amis des victimes. Il a apporté une énorme couronne de fleurs qu'il place sur le cercueil de sa femme en disant, "Si c'est Dieu qui l'a voulu, je l'accepte."
12:53 Encore une fois, chers amis, mettez-vous à la place des policiers. Tout cela serait tellement cousu de fil blanc, tellement facile, tellement évident, qu'ils cherchent désespérément un autre coupable.
13:06 C'est ainsi qu'ils finissent par retrouver enfin la fameuse dame en noir. Hélas, lorsque les policiers arrivent chez elle, c'est pour voir une ambulance l'emmener à l'hôpital. Elle vient de tenter de s'empoisonner avec des sommes mi-faites. Il va donc falloir attendre 24 heures au moins avant de pouvoir l'interroger.
13:22 De toute façon, on sait déjà qu'elle s'appelle Madame Pitre, que c'est une ancienne restauratrice âgée de 42 ans, entremetteuse, criblée de dettes. Elle devait d'ailleurs de l'argent alberguer. On s'en aperçoit en fouillant ses papiers. Mais elle doit de l'argent à la moitié de Québec.
13:38 Tiens, elle connaît Marie-Ange Robitaille. Ah oui, mais maintenant qu'on l'a identifiée, on s'aperçoit qu'elle connaît tout Québec. Oh, disent les gens, c'est la mère Pitre. Oui, je la connais. C'est la femme qui, c'est la femme que.
13:51 Madame Pitre a un frère, et ce frère s'appelle Généreux. Décidément, c'est non. Un policier trouve alors une explication qui vaut ce qu'elle vaut au choix des deux noms sur le colis en carton. Pour des gens ayant des noms aussi bizarres, Madame Pitre, Monsieur Généreux, peut-être que finalement, les noms qui nous paraissent à nous bizarres leur semblent à eux normaux.
14:13 D'ailleurs, ce Monsieur Généreux va valoir un nouvel étonnement des policiers. D'abord, il est horlogé. Ensuite, il est infirme et se traîne péniblement dans le fond d'une échoppe sombre sur des béquilles. On ne peut pas avoir l'air plus louche que cet homme-là.
14:30 Lorsque les policiers entrent chez lui, ils le trouvent en grande conversation avec un client, Monsieur Ovid. Je vous affirme, chers amis, que nous n'inventons pas les noms, mais il faut comprendre que cela se passe au Canada français où les noms sont restés de vieux noms français, finalement assez différents des nôtres.
14:48 Or, Monsieur Ovid déclare avoir rencontré Monsieur Gay dans la boutique où il se trouve une quinzaine de jours auparavant. Monsieur Généreux lui aurait dit, en lui présentant un client, « Tenez, voici un homme à qui vous pouvez rendre service », et il a présenté les deux hommes l'un à l'autre sans omettre de signaler leur profession. Monsieur Gay, Jean Allier, Monsieur Ovid, expert chimiste de la police.
15:11 Que puis-je faire pour vous à demander Monsieur Ovid à Monsieur Gay? Je voudrais savoir, à demander Monsieur Gay à Monsieur Ovid le plus naturellement du monde, si une batterie de 6 volts est suffisante pour faire sauter une charge de dynamite et s'il faut un détonateur pour chaque bâton d'explosif.
15:27 Ah évidemment, chers amis, quand on a l'intention de faire sauter un avion, c'est un peu bizarre d'aller demander comme ça des renseignements au premier venu, mais ça devient totalement insensé quand le premier venu est expert chimiste de la police canadienne. Or, c'est comme tel que Monsieur Ovid a été présenté à Monsieur Gay.
15:46 Les policiers demandent quelle a été la suite de la conversation. Monsieur Gay m'a dit qu'il voulait dynamiter un lac pour prendre du boisson et pour faire sauter aussi des souches près d'une ferme. Je lui ai répondu que c'était un moyen dangereux et qu'il était beaucoup plus simple de jeter de la chaux au fond du lac, mais il préférait parler dynamite, ajoutant en rien « ça peut toujours servir ».
16:06 Une fois encore, le regard des policiers se croise. Ça a l'air d'une blague. On se moquerait d'eux, qu'on ne s'y prendrait pas autrement. En face des plus cousus de fil blanc, c'est cousu de cordes à puits, rouge.
16:20 Alors il cherche toujours un autre coupable possible. Mais rien à faire. Tout, toujours. Les ramène sur Albert Gay. Par exemple, ce dénommé Louis Caro, qui vient déclarer tout simplement au tribunal qu'Albert Gay lui aura offert un jour 30 livres pour empoisonner sa femme et 18 livres pour se taire. Vous avez refusé, oui.
16:41 D'ailleurs, Albert Gay n'avait pas d'argent sur lui. Lors d'un conseil de guerre de la police, deux tendances se font jour chez les policiers. Pour les uns, on ne peut pas ignorer les multiples présomptions qui accablent Albert Gay. Pour les autres, ces présomptions sont si nombreuses et les fautes si grossières de la part d'un homme intelligent qu'elles rendent justement sa culpabilité invraisemblable.
17:01 Alors, on décide d'attendre le réveil de Mme Pitre. Nous sommes l'après-midi du quatrième jour. Deux policiers entrent sur la pointe des pieds dans la chambre de Mme Pitre, qui vient de reprendre connaissance. « Surtout, ne la fatiguez pas », demande le médecin. Mme Pitre tourne vers les visiteurs des yeux lards et effrayés.
17:25 « Madame, excusez-nous de venir si vite à votre chevet, mais nous avons plusieurs questions à vous poser. La première, est-ce que le carton que vous avez porté à l'aéroport contenait des œufs? »
17:39 « Non. » « Que contenait-il? » « Je ne sais pas. » « Alors, pourquoi avez-vous dit que c'était des œufs? » « Parce que la personne qui m'avait demandé de porter ce paquet m'avait dit qu'il était très fragile. » « Et quelle était cette personne? »
17:59 « Albert Guay. » Une fois encore, les regards des policiers se croisent. « Et pourquoi avez-vous accepté de porter ce paquet? » « Parce que je lui devais de l'argent. » « Et pourquoi avez-vous tenté de vous suicider? »
18:17 « Avant-hier soir, Albert Guay est venu chez moi quand il a su qu'on allait m'identifier et il m'a dit « Prenez des sommifères et ouvrez le gaz ». » « Et vous avez pris les sommifères sans ouvrir le gaz. »
18:34 Le docteur intervint pour dire aux policiers que, raisonnablement, la visite était terminée et que s'ils voulaient en savoir plus, il faudrait qu'ils reviennent le lendemain. Les policiers s'en vont sans protester car ils n'ont guère besoin d'en savoir plus.
18:48 Le lendemain, cinq jours après le début de l'enquête, Albert Guay est inculpé d'homicide volontaire avec préméditation sur les 23 passagers de la Canadiane Pacific Airways.
19:02 On aurait pu l'inculper d'homicide volontaire avec préméditation, négligence et stupidité car l'instruction, comme l'enquête, ne posera aucun problème étant donné qu'il sera facilement établi que, trois semaines plus tôt, toujours sans savoir pourquoi, Mme Pitre avait acheté 4 kilos de dynamite pour Albert Guay,
19:21 étant donné que c'est Mme Pitre qui avait présenté Albert Guay à Marie-Ange Robitaille et qui leur prêtait son appartement lorsqu'ils désiraient se rencontrer, étant donné que c'est son frère généreux, l'horloger infirme, qui a fabriqué, avec un vieux réveil, le détonateur de la bombe, soi-disant sans savoir pourquoi.
19:39 Étant donné que, la veille de l'attentat, Albert Guay est venu chez l'horloger infirme pour constater qu'il fonctionnait bien et, l'horaire de la Canadiane Pacific Airways à la main, il a réglé ce mécanisme pour qu'il explose un quart d'heure après le décollage.
19:53 Pendant l'instruction, la foule venait crier sous les murs de la prison « Mais tuez-le, tuez-le ! » puis de là, se rendait au café Le Monte-Carlo pour admirer Marie-Ange Robitaille qui, moyennant finances, publiait des articles dans la presse accompagnés de sa photo en maillot de bain.
20:09 Albert Guay, lui, jouait aux cartes avec ses gardiens, décontracté, souriant chaque fois qu'il les battait et s'exclamant « J'ai encore gagné ! J'ai de la chance ! » A la chance, pourtant, finit par l'abandonner. Il avait trop tiré sur la corde. La corde s'est vengée. Elle l'a pendue.
20:31 [Musique]
20:49 Vous venez d'écouter Les Récits Extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio. Réalisation et composition musicale, Julien Taro. Production, Sébastien Guyot. Direction artistique, Xavier Joly. Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus. Remerciements à Roselyne Belmar.
21:15 Les Récits Extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1. Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.