SMART BOURSE - France : prévision de croissance ajustée

  • il y a 7 mois
Lundi 19 février 2024, SMART BOURSE reçoit Frederik Ducrozet (Responsable de la recherche macro, Pictet Wealth Management)

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00:00 *Musique*
00:10 C'est donc l'heure des révisions de projections économiques pour un certain nombre d'instituts, d'institutions et de gouvernements.
00:17 Le gouvernement français n'est pas en reste, il a donc révisé par la voix de Bruno Le Maire hier soir la prévision de croissance de 1,4 à 1% pour cette année 2024.
00:26 Frédéric Ducrozet est en visioconférence avec nous, responsable de la macroéconomie chez Piquet Wealth Management.
00:31 Bonjour et bienvenue Frédéric. Merci beaucoup d'être avec nous. Quelques commentaires sur ce chiffre et cet objectif de 1% pour la croissance française.
00:39 Est-ce que ça reste un objectif atteignable sous certaines hypothèses ou est-ce qu'il faut commencer à compter sur un facteur résiduel qu'on pourrait appeler la chance ?
00:50 C'est possible, il en faut toujours un petit peu lorsqu'on règle le policy mix et en l'occurrence le budget.
00:57 On peut s'estimer heureux d'abord si on atteint quelque chose de l'ordre de 1% ou en tout cas nettement positif en termes de croissance cette année.
01:05 L'Allemagne dans le même temps et la Bundesbank annoncent une récession qui sinon s'amplifie du moins persiste dans le temps et des défis plus structurels.
01:13 La France dans plein d'autres domaines fait plutôt bien ou mieux même que la moyenne européenne.
01:19 Il y a un excès d'épargne qui permet de protéger le consommateur contre le choc d'inflation ou des secondes vagues qu'on pourrait éventuellement imaginer.
01:26 Le marché du travail est plutôt dans l'ensemble dans des conditions tout à fait acceptables.
01:31 C'est le budget effectivement dans ce contexte-là qui m'inquiète peut-être un petit peu.
01:35 Mais en termes de croissance comptablement j'allais dire on commence l'année avec un acquis très faible à peine positif.
01:40 Donc il faut quand même y aller, aller la chercher cette croissance de 1% avec des rythmes trimestriels de croissance du PIB qui doivent être de l'ordre de 0,2-0,3% au minimum pour atteindre cet objectif.
01:50 Cette révision de l'objectif vous le dites en creux Frédéric implique une révision du policy mix, de la politique budgétaire en l'occurrence dans les mains de Bercy avec un programme de 10 milliards d'économies immédiates annoncées par Bruno Le Maire
02:03 qui toucheront les budgets de fonctionnement de l'État et quelques budgets de politique publique.
02:09 Frédéric, dans un contexte de ralentissement de la croissance est-ce que c'est de l'austérité ?
02:16 Est-ce que l'Europe est au bord peut-être de reprendre un peu le schéma de politique budgétaire qui a prévalu par exemple pendant la crise des dettes souveraines ?
02:25 La réponse courte c'est oui, en tout cas c'est une source d'inquiétude d'abord parce que ceux qui suivent l'Europe dans un souci d'efficacité de ce policy mix depuis plus de 10 ans maintenant
02:34 peuvent constater que le décrochage a eu lieu justement en 2010 avec une politique européenne d'austérité qui a été mise en place par tous les pays en même temps dans des mauvaises conditions
02:44 sans la stabilité financière qu'on a construite depuis, sans la crédibilité de la Banque Centrale Européenne à l'époque
02:51 et je pense vraiment que c'est le décrochage européen récent en tout cas qui date de ce moment-là.
02:55 Depuis on a systématiquement échoué à réformer les règles budgétaires en profondeur, elles sont toujours pro-cycliques,
03:01 on a toujours ce débat repoussé cette fois après les élections européennes de cette année
03:05 et quoi qu'on en dise, quelles que soient les propositions de la Commission européenne ou de certains pays, on est encore loin du compte.
03:11 Donc c'est une frustration parce que deuxième point peut-être plus important quand on se compare aux États-Unis,
03:15 pour moi c'est la raison principale, cette politique budgétaire qui explique les différences de performances économiques,
03:21 notamment depuis la pandémie cette fois, depuis une période plus récente.
03:24 Donc je ne peux pas dire qu'on désespère mais quand même il y a une frustration pour moi en tout cas grandissant du côté des économistes
03:30 qui encore une fois regardent ces performances, essayent de les analyser objectivement.
03:34 Alors oui on va trouver peut-être 5 ou 10 milliards en France à économiser par-dessus et non ce ne sera pas la fin du monde,
03:39 mais il y a quand même plus structurellement encore une fois fondamentalement un problème de stratégie et de coordination surtout
03:46 de ces politiques budgétaires entre pays et entre la politique budgétaire et monétaire
03:51 qui reste pour l'instant toujours ce point faible, originel, ce péché originel quelque part de la zone euro.
03:57 Dans l'exercice de la comparaison entre la zone euro et les États-Unis,
04:00 est-ce que vous faites un lien très direct entre la stratégie budgétaire, le policy mix américain
04:05 et la productivité ou les gains de productivité retrouvés aux États-Unis depuis plusieurs trimestres maintenant
04:12 quand ils continuent de stagner en zone euro ?
04:14 Ça a été le sujet d'un discours et d'une réflexion d'Isabelle Schnabel,
04:20 notamment membre du board de la Banque Centrale Européenne, qui constate ce que tous les économistes constatent.
04:24 La productivité horaire moyenne aux États-Unis est 6% supérieure à ce qu'elle avait atteint en 2019.
04:30 Elle n'a pas bougé ou quasiment pas quand on regarde l'ensemble des pays de la zone euro, Frédéric ?
04:36 Absolument. Dans un contexte d'inflation durablement plus élevé, un peu structurel là aussi,
04:43 c'est la productivité qui pourrait nous sauver ou qui pourrait ne pas nous sauver en l'occurrence en Europe.
04:48 Encore une fois, pour moi c'est la politique budgétaire qui explique, y compris ces différences de performance dans ces chiffres que vous citez.
04:55 Lorsqu'on regarde la productivité, vous savez qu'on peut la mesurer en termes de gains de production par heure, par employé.
05:03 Il y a des débats aussi sur ces mesures qui sont plus ou moins peut-être précises et pertinentes dans le contexte actuel.
05:10 Et en réalité, quand on regarde par heure travaillée, on s'aperçoit que les Américains travaillent davantage,
05:15 que la population dans l'ensemble accrue plus vite que la population européenne.
05:19 Donc il y a des chiffres qui ne sont pas forcément quelque part intrinsèquement inquiétants.
05:25 La tendance ne s'est pas écartée entre les États-Unis et l'Europe.
05:29 Pour moi, c'est vraiment… et puis par exemple, dernier cas de figure, les dépenses dans la recherche et le développement,
05:34 certes, ne sont pas au même niveau, mais ont eu plutôt tendance à même converger dans le secteur de la technologie notamment.
05:40 Donc in fine, pour moi, ce qui influence ces performances économiques, y compris la productivité, dans sa mesure à mon avis la plus pertinente,
05:48 ce sont les orientations budgétaires, l'efficacité bien sûr aussi de toutes dépenses publiques supplémentaires
05:55 dans des programmes comme l'Inflation Reduction Act ou autres aux États-Unis,
05:59 qui a priori continuent de pousser les performances économiques aux États-Unis davantage qu'en Europe.
06:06 Dans la stratégie de politique budgétaire, il y a évidemment politique, il y a des échéances électorales en Europe en juin, évidemment très importantes.
06:13 Il y aura peut-être un avant et un après. En tout cas, ce sera un moment important pour peut-être voir quelles sont les stratégies européennes
06:20 qui pourront être mises en place à l'issue de ces élections, Frédéric.
06:24 Vous évoquiez les débats sur les mesures de productivité. D'autres débats sur d'autres mesures font rage aujourd'hui,
06:31 notamment sur les mesures d'inflation aux États-Unis. Jérôme Powell, le patron de la Fed, nous a mis depuis plusieurs mois le nez
06:37 sur une mesure d'inflation de trois mois annualisé. C'est une mesure qui semble être suivie de très près aujourd'hui par les banquiers centraux américains.
06:46 Quand on prend cette mesure d'inflation CPI, trois mois annualisé, aux États-Unis, on s'aperçoit qu'elle a marqué un point bas en août dernier
06:54 et qu'elle n'arrête pas de progresser, de réaccélérer depuis, y compris jusqu'à la marque de janvier qui a été publiée la semaine dernière, Frédéric.
07:02 Est-ce que l'inflation américaine est en train de repartir à la hausse ?
07:05 Ponctuellement, oui, puisqu'à partir du moment où on focalise sur des mesures un peu moyennées sur quelques mois, trois ou six mois,
07:12 quand on a un, puis deux, puis trois chiffres au-dessus des attentes, effectivement, de facto, ces mesures-là remontent.
07:19 Alors l'idée de Powell était très simple. On est dans un nouvel environnement d'inflation plus volatile, plus élevé en moyenne.
07:26 Il nous faut plus de temps et plus de chiffres, plus de mois, pour être certain que cette tendance est sous contrôle.
07:33 On a eu décembre qui était à peu près encore en ligne, et puis janvier clairement au-dessus.
07:38 Maintenant, le bémol, et on cherche peut-être toujours des excuses dans ces cas-là, mais encore une fois,
07:43 s'il nous faut plus de distance et plus de temps pour vraiment évaluer cette tendance,
07:47 il faut aussi prendre en compte le fait que le mois de janvier est un mois complètement à part.
07:51 Et le mois où notamment plusieurs entreprises dans le secteur des services, où on peut penser à la restauration,
07:56 les coûts des menus des restaurants est un exemple typique qu'on apprend en cours d'économie.
08:03 C'est le mois où vous décidez souvent d'ajustements un peu plus importants, en l'occurrence plutôt à la hausse,
08:08 pour compenser tous les coûts de production plus élevés, de main-d'œuvre auxquels vous avez fait face depuis un an.
08:15 Et donc je pense qu'aux États-Unis en particulier, ça a pu jouer.
08:18 Vous avez des éléments également sur les coûts financiers, dans les prix à la production la semaine dernière.
08:23 Enfin, tout un tas de séries de bruits statistiques qu'il va falloir quand même digérer.
08:28 Et imaginons qu'en février, on ait au contraire une bonne nouvelle.
08:31 Dans l'occurrence sur trois mois, on sera peut-être encore dans les clous.
08:35 Dernier exemple, on a des pays comme la Suisse qui ont surpris énormément, mais à la baisse.
08:39 En zone euro, plutôt également à la baisse. En Suède, à la hausse ce matin.
08:42 Le mois de janvier, je mets vraiment des bémols.
08:46 Et toutes les précautions d'usage peuvent être quand même plus volatiles que d'habitude,
08:50 surtout depuis la pandémie, puisqu'on ajuste pour ces variations saisonnières,
08:54 sur des années qui ont été absolument exceptionnelles.
08:56 Bon, il y a de la volatilité dans l'inflation. Il y a une volatilité de la volatilité de l'inflation,
09:01 notamment sur ce mois de janvier, Frédéric, à vous entendre.
09:04 Du côté de la stratégie des politiques monétaires, le débat devient assez explicite.
09:09 Je pense qu'il est à peu près le même, peut-être, côté Fed et côté BC.
09:13 Entre ceux qui estiment que partir un peu plus tôt permettrait peut-être de baisser moins les taux,
09:20 plus graduellement en tout cas, et de maintenir peut-être un taux terminal à l'arrivée qui serait plus élevé.
09:26 Quand d'autres, qui sont d'ailleurs en Europe représentés par la frange la plus orthodoxe,
09:31 Schnabel, Nagel, estiment qu'il faut au contraire se retenir le plus longtemps possible
09:36 pour démarrer le plus tard possible, avec un risque peut-être de devoir aller plus fort
09:41 et plus loin dans la baisse des taux.
09:43 Vous l'avez très bien résumé, tous les termes du débat, et encore une fois,
09:47 quand on suit l'Europe depuis 2008, depuis 2010, les années trichèrent,
09:51 dans un contexte certes très différent, on peut être un peu inquiet d'une prudence peut-être exagérée
09:59 de certains membres de la BCE aujourd'hui, puisque si on commence trop tard,
10:02 effectivement, je pense que le risque est de devoir baisser les taux plus rapidement,
10:06 et surtout, il y a des délais de transmission de la politique monétaire.
10:09 On passe notre temps sur votre antenne et ailleurs à en débattre,
10:12 probablement malgré tout plus courts ces délais en zone euro qu'aux États-Unis.
10:16 Il s'agirait donc de ne pas se tromper et de ne pas faire une erreur de politique économique,
10:20 même modeste, au-dessus de cette situation déjà fragile.
10:24 Donc moi, c'est clairement à mon avis un débat qu'il va falloir ouvrir,
10:28 qui d'ailleurs est en train de tendre un tout petit peu les positions.
10:31 On a des membres de la BCE italiens, en l'occurrence, qui sont beaucoup plus actifs, proactifs,
10:36 et qui voudraient commencer tout de suite à baisser les taux au deuxième trimestre.
10:39 Donc le débat va s'ouvrir, et puis le débat va s'ouvrir dans un contexte,
10:42 pour la réunion du 7 mars de la BCE, de révision des prévisions de croissance et d'inflation à la baisse.
10:49 Un dernier, peut-être, élément, une cerise sur le gâteau pour les membres les plus doviches,
10:55 c'est que les prix de l'électricité ne cessent de baisser.
10:58 Les éléments plus exogènes qui vont venir dans ces prévisions vont là aussi pousser
11:03 ces projections de la BCE à la baisse.
11:06 Donc le débat va s'ouvrir, et il faudrait simplement essayer de ne pas rater le coche,
11:10 et pour ne pas rajouter ou maintenir cette politique monétaire clairement,
11:14 aujourd'hui, dure, en territoire de resserrement monétaire, trop longtemps.
11:19 J'entends parfois, et c'est vrai peut-être à l'aune de la grande histoire,
11:22 que le timing de la première baisse de taux a finalement peu d'importance,
11:26 et ce qui compte c'est l'ensemble de la séquence, mais oui, quand même,
11:29 le timing est important justement dans le déroulé futur de la séquence, Frédéric.
11:34 Absolument, et puis parce que d'ici le mois de juin, puisque nous on est depuis longtemps
11:37 sur cette idée de baisse de taux autour du mois de juin, en tout cas pour la Fed,
11:40 et peut-être que la BCE peut l'amorcer avant, mais ça semble peut-être moins probable
11:44 qu'il y a quelques semaines, et bien d'ici là, il y a énormément de chiffres qui vont arriver,
11:48 donc d'ici le mois de juin, si vous vous accrochez à une date,
11:51 parce que c'est la date à laquelle vous mettez à jour vos prévisions,
11:54 et parce qu'il faut absolument se prendre le temps, par exemple, sur les salaires,
11:57 pour obtenir plus d'informations, mais les salaires sont vraiment intrinsèquement
12:00 de nature backward-looking, donc je pense que là aussi c'est une erreur,
12:03 et bien vous prenez le risque de rater le coche, encore une fois,
12:06 de ces données sur le crédit, sur la croissance, qui menacent de tourner plus rapidement.
12:10 Maintenant aux États-Unis, le débat est un tout petit peu différent.
12:13 La Fed d'abord peut se permettre d'attendre, probablement, dans la mesure où la croissance
12:17 et le marché du travail sont toujours très solides, et deuxièmement, le vrai débat,
12:21 c'est effectivement l'ampleur des baisses de taux une fois qu'on a commencé.
12:24 Mais pourquoi ? Parce qu'on ne sait pas où on va s'arrêter, parce qu'on ne sait pas
12:27 et qu'on ne peut pas mesurer en temps réel ce niveau airstar, d'équilibre,
12:32 de l'économie, de la croissance, et donc des taux d'intérêt.
12:35 Et donc s'il faut tâtonner, s'il faut y aller par petits pas et être prudent,
12:39 je pense que ça fait du sens de commencer un peu plus tôt, à condition que vous soyez
12:43 effectivement persuadés que la politique monétaire est aujourd'hui en territoire
12:47 de durcissement et que ce n'est plus nécessaire.
12:49 Prochain rendez-vous donc pour la Banque Centrale Européenne, le 7 mars,
12:52 pour la réunion du Conseil des Gouverneurs.
12:54 Merci beaucoup Frédéric. Frédéric Ducrozet, responsable de la recherche macro
12:57 de Pictet Wealth Management, avec nous en visioconférence.

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