Louis Arène : "J'ai choisi cette pièce pour son panache et sa radicalité féministe"

  • il y a 7 mois
Transcript
00:00 *Jusqu'à 13h30, les midis d'Occultu, Nicolas Ervant*
00:06 *Musique*
00:10 Notre rencontre quotidienne, c'est une conversation avec notre invité jusqu'à 13h30.
00:16 Ce midi, il est metteur en scène et co-directeur d'une compagnie, le Moonstrom Théâtre,
00:21 dont la singularité fait parler à chaque pièce montée.
00:24 On l'aura l'occasion de lui demander de décrire son travail.
00:28 Il est pensionnaire de la comédie française durant 4 ans et jusqu'en 2016,
00:31 c'est à ses anciens camarades de la troupe qu'il fait appel pour mettre en scène
00:35 une pièce de Molière, une comédie en un acte,
00:38 le mariage forcé dont le caractère féministe très actuel
00:42 résonne depuis hier soir au théâtre du Rompont à Paris
00:45 et jusqu'au 1er mars. Louis Arène, bonjour.
00:47 - Bonjour. - Bienvenue dans les midis d'Occultu.
00:50 - Merci. - Alors la magie du théâtre, si j'ai tout bien compris,
00:53 Louis Arène, c'est de reprendre, de remettre à jour.
00:56 Et c'est donc le cas hier, avec une reprise de cette mise en scène
01:00 du mariage forcé dans une nouvelle salle.
01:03 Qu'est-ce que ça signifie pour vous en tant que metteur en scène ?
01:07 - Je crois que c'est même avant tout en tant que comédien
01:12 parce que j'ai le plaisir de retrouver cette bande d'acteurs et d'actrices
01:16 que j'aime beaucoup, que j'ai rencontré pendant mes années de pensionnariat
01:20 à la comédie française. Donc il y avait avant tout ce plaisir,
01:24 j'ai envie de dire, de la camaraderie.
01:27 Quand Éric Ruff m'a proposé de créer ce spectacle en 2022,
01:30 c'est une reprise, c'est un spectacle qu'on a créé au studio théâtre
01:33 dans une salle beaucoup plus petite.
01:35 Donc il y a cette particularité-là.
01:37 Pour les 400 ans de Molière et l'invitation du théâtre du Rompont,
01:43 on nous a proposé d'agrandir un peu le spectacle,
01:46 de passer à une salle un petit peu plus grande.
01:48 Donc le défi, c'était ça, c'est-à-dire le spectacle se crée
01:53 dans un univers assez carcéral, étouffant.
01:57 Et le défi, c'est de passer à une grande salle et de garder cette chose-là.
02:01 Mais avant tout, c'est un grand, grand plaisir de retrouver cette bande.
02:05 - Alors vous allez nous décrire effectivement le dispositif scénique dans un instant.
02:08 Mais donc reprendre une pièce, remettre à jour,
02:11 comme on remet à jour aussi le texte de Molière
02:14 et l'histoire originelle de cette comédie farce.
02:19 Comment vous la présentez-vous ?
02:20 - Oui, je crois qu'il y a ce plaisir de la farce.
02:24 C'est une pièce très courte en un acte très, très efficace
02:28 qui m'a séduit tout de suite à la lecture par sa drôlerie et sa radicalité.
02:32 C'est vraiment une ligne à partir de la première réplique.
02:34 Il y a un fil, une spirale infernale descendante qui se déroule.
02:38 Le cauchemar de Sganarelle,
02:40 qui pour résumer rapidement peut-être l'histoire pour nos chers auditeurs,
02:44 qui a jeté son dévolu, qui souhaite se marier.
02:47 Qui est un vieux bourgeois vaniteux, très sûr de lui
02:51 et qui a jeté son dévolu sur une jeune Dorimène,
02:54 évidemment beaucoup plus jeune que lui.
02:56 Il ne la connaît à peine, mais elle est très jolie et ça lui va très bien.
02:59 Et puis il la rencontre et là les choses basculent
03:01 parce qu'il va se rendre compte que pour Dorimène,
03:04 le mariage, ce n'est pas du tout passer d'une prison à une autre.
03:08 C'est justement fuir la prison de son père,
03:12 la prison de la famille,
03:14 et puis profiter de l'argent de son mari,
03:17 se faire des amis et plus que ça si possible,
03:20 dépenser de l'argent, être libre en fait.
03:22 Elle utilise le mariage,
03:24 qui est la cellule patriarcale par excellence,
03:26 comme un outil de libération.
03:28 Et ça c'est très fort pour l'époque.
03:30 C'est un retournement qui s'opère à cet endroit-là.
03:33 Et quand Sganarelle comprend cela,
03:35 il va commencer à douter de son entreprise,
03:37 de son envie de se marier.
03:38 Donc il va demander à des philosophes,
03:40 il va aller voir des voyantes,
03:41 il va consulter parce qu'il va avoir cette peur irrépressible,
03:45 presque irrationnelle d'être coquû,
03:48 d'être coquûfiée par cette femme.
03:50 Et alors ça c'est vraiment la chose infernale,
03:53 absolue à éviter.
03:54 Mais malgré tout,
03:56 il va être forcé à être marié par cette jeune fille
03:58 et par sa famille.
03:59 Il y a une espèce de mafia qui s'installe autour de lui
04:02 et il ne va absolument pas pouvoir échapper à ce mariage.
04:06 Enquête possède superlative et
04:08 fable, mythologie, histoire,
04:10 astronomie, médecine, astrologie, physiologie...
04:13 Je suis de retour dans un moment
04:15 qu'on ait bien soin du logique
04:17 et que tout aille comme il faut.
04:19 Seigneur Géronimo ?
04:21 Oh le beu-beu-beu-beu-beu-beu-beu...
04:23 Oh le beau mariage !
04:26 Oh le beau mariage !
04:30 Oui, je te soutiendrai ma vie, Fréjot,
04:34 que tu es un ignorant, ignorant d'ici,
04:36 ignorantifiant, ignorantifié.
04:38 Pas une épouse, un molle de train,
04:39 t'es trop tranquille !
04:41 Tranquille !
04:43 Oui, tranquille, je serai tranquille, oui ou non !
04:46 Votre mise en scène, Louis-Arren,
04:58 du "Mariage forcé" de Molière,
04:59 jusqu'au 1er mars,
05:00 donc au théâtre du Rompon,
05:01 avec la troupe de la comédie française
05:03 dont on a parlé tout à l'heure,
05:04 Judith Sicard, Sylvia Berger,
05:06 Christian Eck, Benjamin Lavergne,
05:08 et Gaël et Camille Lindy.
05:10 On y est, dans cette farce,
05:12 on est plongé, là, effectivement,
05:14 dans cet inversement des rôles.
05:16 Vous l'avez dit, Zganarelle,
05:17 personnage emblématique de Molière,
05:19 certes, il est présent dans cette pièce
05:22 de Jean-Baptiste Pauclin,
05:24 qui est donc l'emblème,
05:26 le symbole de ce patriarcat.
05:28 Il est au début fier de lui,
05:29 très orgueilleux,
05:31 dans la domination totale,
05:33 vis-à-vis de cette jeune femme
05:34 qu'il va épouser.
05:35 Il est très vieux,
05:36 il a 50 ans passé,
05:37 à l'époque de Molière.
05:38 - À l'époque, il est très, très vieux.
05:40 - Et ce renversement de trajectoire,
05:42 pour lui, c'est ça qui crée la comédie,
05:45 c'est ça qui crée ce renversement,
05:47 ce retournement qui crée la farce.
05:49 - Oui, c'est ça, parce que ça s'appuie
05:51 sur une tragédie,
05:52 sur une vérité qui est tragique.
05:55 C'est-à-dire que,
05:57 ça nous parle aujourd'hui,
05:58 mais à l'époque de Molière,
05:59 c'était très courant qu'on marie
06:01 des très jeunes filles
06:02 à des vieux barbons.
06:04 Mais quand c'est traité
06:05 souvent sous le thème de la comédie,
06:06 souvent, dans la comédie,
06:08 le mariage est annulé,
06:09 et la jeune fille se marie
06:10 avec le jeune homme.
06:11 - Et tout finit bien.
06:12 - Et tout finit bien.
06:13 Là, la force, c'est qu'ils vont se marier
06:16 et que le mariage va se faire,
06:17 mais sauf que c'est le mari
06:20 qui va se retrouver,
06:21 l'homme qui va se retrouver forcé.
06:24 Il y a ce renversement qui est opéré,
06:27 qui fait apparaître les dysfonctionnements
06:29 des rapports hommes-femmes,
06:30 du patriarcat, vous l'avez dit,
06:32 des normes hétérogenrées.
06:34 Et là, du coup, il y a un vrai plaisir,
06:37 on le disait, de farce,
06:39 à rentrer, à jouer de ces mécanismes-là,
06:41 qui est assez jouissif.
06:43 - Quand vous lisez cette pièce,
06:44 et que vous vous dites
06:45 "je vais peut-être la mettre en scène",
06:46 vous pensez immédiatement
06:48 à cette modernité ?
06:50 - Oui, en fait, j'ai eu de la chance
06:53 de tomber sur le mariage forcé,
06:54 parce que quand Éric Kruch m'a proposé
06:56 de choisir, il m'a laissé carte blanche,
06:59 à part quelques titres qui étaient déjà
07:01 réservés pour l'année Molière.
07:03 Et j'ai tout relu,
07:05 et bon, il y a les grands chefs-d'œuvre,
07:07 qui sont aussi des pièces de musée,
07:10 quelque part.
07:11 Moi, j'admire beaucoup Molière,
07:13 pour ce goût de la farce,
07:15 de l'humour, de l'irrévérence,
07:17 mais j'avais envie quand même
07:18 de trouver quelque chose
07:19 qui nous heurte encore,
07:20 qui nous parle aujourd'hui.
07:21 Et en relisant cette pièce,
07:22 j'ai trouvé qu'il y avait une charge
07:25 féministe, antipatriarcale avant l'heure,
07:29 qui était absolument magnifique,
07:31 et un panache en s'emparant
07:34 de ces thèmes-là.
07:35 Et puis, j'ai aussi réalisé qu'avec le...
07:38 On en parlera peut-être après,
07:40 mais qu'avec l'outil du masque,
07:42 qui est un petit peu notre spécificité,
07:44 enfin, ce sur quoi on travaille
07:45 avec Lionel Dingelser,
07:46 avec qui je dirige le Moonstrom Théâtre,
07:48 on pouvait réactiver encore plus
07:51 les thèmes de la pièce.
07:52 - Effectivement, ça rend ces personnages
07:54 totalement intemporels.
07:55 On va décrire, parce qu'on est à la radio
07:57 et effectivement, ce n'est pas évident
07:59 de se l'imaginer.
08:00 Mais d'abord, il y a un inversement
08:03 aussi des rôles parmi les comédiens
08:06 de la comédie française,
08:07 qui est que les hommes jouent des femmes
08:09 et que les femmes jouent des hommes.
08:10 - Oui.
08:11 Alors, ça, si vous voulez,
08:12 ce que je trouve formidable,
08:13 ce que je trouve vraiment génial
08:15 avec Molière,
08:16 c'est ce renversement premier
08:19 qui fait qu'en fait, on rit parce que
08:22 ce n'est pas comme ça que ça se passe
08:24 dans la réalité,
08:25 mais on reconnaît quand même
08:26 dans la réalité,
08:27 c'est la femme qui est forcée.
08:28 Mais le fait que là, ce soit l'homme,
08:31 on se décale un peu par rapport à la réalité,
08:36 mais on reconnaît quand même
08:37 des situations réelles qui existaient à l'époque
08:40 et qui sont malheureusement
08:41 encore présentes aujourd'hui.
08:43 Et ça permet le rire
08:45 et ça permet cette distance,
08:47 cette incongruité permet la réflexion.
08:49 Et c'est une chose qu'on a voulu un peu
08:52 tirer un peu sur toute la mise en scène.
08:56 On a inventé une sorte de dramaturgie
08:58 du renversement
08:59 qui est passé dans un premier temps par...
09:02 Le décor est censé être une place publique.
09:04 Les gens peuvent aller, venir,
09:06 entrer, sortir.
09:07 Et là, on a voulu s'inspirer du traiteau,
09:09 de la farce, du traiteau,
09:10 mais en faire un espace cloisonné, fermé,
09:12 impossible pour ce ganarel de sortir.
09:14 On a retourné les costumes,
09:15 on voit l'envers des costumes,
09:16 on voit comme ils sont faits,
09:17 on voit les faux corps,
09:19 on voit l'artisanat,
09:20 on voit que c'est du théâtre.
09:21 Et finalement, et presque,
09:23 et la cerise sur le gâteau,
09:25 c'est que, pas tous les rôles,
09:26 mais les rôles majeurs en tout cas,
09:28 les hommes sont joués par des femmes
09:30 et les femmes sont jouées par des hommes.
09:32 Et là, ça crée une tension
09:34 qui est extrêmement intéressante,
09:36 de manière sensible pour les spectateurs
09:38 sur le plateau,
09:39 parce qu'il y a des scènes assez dures dans la pièce.
09:42 Il y a des scènes d'agression sexuelle,
09:44 où la première rencontre entre ce ganarel et Dorimène,
09:48 il lui explique un peu le menu,
09:50 il lui explique comment ça va se passer avec lui.
09:52 Et en gros, qu'elle va être à sa disposition,
09:54 qu'il va faire de lui ce qu'il voudra,
09:55 qu'il pourra la tripoter comme elle le veut.
09:57 - Notamment à sa disposition sexuelle ?
09:58 - Évidemment, bien sûr.
10:00 Et donc, on le montre ça dans la scène.
10:05 Mais le fait que ce soit une femme,
10:10 Julie Sicard, qui joue le rôle du barbon,
10:12 et Christian Hey, qui joue Dorimène,
10:14 ça permet, Julie jouant un mâle alpha,
10:18 ça permet de tendre les thèmes,
10:20 ça permet d'aller assez loin.
10:21 Peut-être qu'on ne pourrait pas aller aussi loin
10:23 si on avait gardé cette distribution originale, classiquement.
10:30 Et voilà, ça crée des zones de friction
10:33 qui nous font penser,
10:34 qui nous font nous reconnaître parfois,
10:36 qui font aussi trouver de l'empathie,
10:38 parce que Julie, elle a énormément de sensibilité,
10:41 elle a une grande justesse dans le jeu,
10:44 donc elle donne beaucoup de profondeur au rôle de Sganarell.
10:46 Au début, il est antipathique, on ne peut pas le sentir.
10:48 Et puis, au fur et à mesure, on a de la tendresse pour lui.
10:52 Et là, ça devient intéressant théâtralement.
10:54 - Julie Sicard, donc, qui incarne Sganarell
10:57 et qui est sur scène durant tout cet acte,
11:00 cette heure que dure la pièce, Louis-Arenne,
11:03 dans une sorte de boîte blanche
11:06 qui fait partie de cette mise en scène.
11:08 Vous avez dû d'ailleurs agrandir, si je ne dis pas de bêtises,
11:10 pour s'adapter à cette nouvelle salle du théâtre du Rond-Point
11:13 et aux autres salles qui viennent.
11:15 Après, cette idée d'enfermement, de plan incliné aussi,
11:19 parce que les déplacements sont plus difficiles
11:23 pour les comédiens et les comédiennes.
11:25 Qu'est-ce que ça donne comme jeu ?
11:28 Quelle couleur ça donne au jeu de les mettre ?
11:31 Parce qu'on peut le dire, en tant que metteur en scène,
11:33 vous les mettez un peu en difficulté.
11:35 - C'est tout à fait ça.
11:36 Ça accidente le plateau,
11:38 le fait que le plateau de théâtre est un terrain pas miné,
11:43 mais en tout cas, on n'est jamais stable,
11:46 on n'est jamais en sécurité.
11:48 Ça permet encore une fois de créer de l'attention.
11:51 Cet espace fermé qui pourrait représenter
11:57 les angoisses, l'assurance dans laquelle se mûre ce ganarel,
12:05 cette vanité, ce mur de certitude,
12:09 va retrouver, dans lequel il s'est protégé, il s'est construit,
12:11 il va devenir une prison.
12:13 Il fallait qu'il soit instable aussi là-dedans,
12:16 qu'il ne puisse pas en sortir,
12:17 mais qu'il ne puisse jamais se poser non plus,
12:19 qu'il soit comme un rat en cage.
12:21 - Avec effectivement cette idée,
12:24 aussi parce qu'il faut le dire,
12:25 on parle de sujets très sérieux depuis le début de l'émission,
12:28 mais on rit beaucoup dans cette pièce.
12:31 Il y a effectivement aussi des costumes, des formes,
12:38 des décors, ils participent.
12:42 On n'est pas gêné, mais on se dit
12:44 qui sont ces personnages qui sont devant nous ?
12:47 Vous parliez de ces faux corps, par exemple.
12:49 Vous avez travaillé aussi sur les costumes
12:52 avec une costumière de la comédie française,
12:54 Colombe Laurieau-Prévot,
12:56 qui ont quel objectif ?
12:58 De nous dire qu'on pourrait être,
13:01 se trouver dans cette scène, dans cette situation,
13:03 on pourrait être à la place de ces personnages aussi ?
13:06 - Oui, on pourrait être,
13:08 ou en tout cas, on cherche à créer des endroits de connivence.
13:13 Le rire permet aussi de faire une certaine détente.
13:16 Il crée de l'empathie en fait.
13:18 On rit parce qu'il y a une forme d'empathie.
13:20 Et c'est plus qu'on se reconnaisse soi-même
13:24 dans ces mécanismes-là.
13:25 Parce qu'encore une fois, la justesse du jeu de Julie
13:29 et de tous les comédiens et les comédiennes
13:31 permet de nous reconnaître
13:33 et de ne pas faire de ce ganarel une personne qu'on tient à distance,
13:36 sur laquelle on va coller un Me Too.
13:38 Ça devient plus complexe que ça.
13:40 Et le fait que ce soit un espace mental qui n'est pas réaliste,
13:44 on est dans la tête de ce personnage,
13:46 on est dans notre propre tête.
13:48 Et ça permet de nous questionner sur nos propres rapports
13:51 à ces injonctions à la virilité,
13:53 notre propre rapport.
13:55 Pour moi, le théâtre, il nous convoque intimement.
13:59 Il doit nous convoquer intimement.
14:01 Il ne doit pas juste nous montrer des archétypes
14:03 et on en rit.
14:04 C'est pour ça que c'est sombre aussi.
14:06 C'est parce qu'on reconnaît nos parts d'incertitude,
14:09 notre inconscient,
14:11 comment fonctionne notre inconscient.
14:13 Et le plateau doit servir à mettre ça en exergue,
14:17 mettre sur un pied d'estale
14:19 toutes nos contradictions.
14:21 Donc j'espère que le rire et l'effroi,
14:24 qui sont toujours mêlés dans mon travail,
14:26 dans notre travail au Moonstrom,
14:28 le rire et l'effroi,
14:30 le basculement de l'un à l'autre sans cesse,
14:32 il doit servir à nous faire penser,
14:35 à nous faire nous reconnaître
14:37 ou peut-être avoir peur de nous-mêmes parfois.
14:39 - Vous nous avez parlé de l'autre dispositif
14:41 qui est fréquent et récurrent chez vous.
14:44 On va en parler bien sûr.
14:45 Ce sont ces masques.
14:47 Ce ne sont pas des masques auxquels on peut penser.
14:51 Ce sont des formes de casque, je dirais,
14:55 qui ne couvrent que le haut du visage.
14:59 Quelle est l'idée aussi derrière ce truc
15:03 de metteur en scène ?
15:05 Il y a une idée plus profonde derrière l'O.R.N. ?
15:07 - Alors le masque, il nous reste combien de temps ?
15:10 - On a jusqu'à 13h30.
15:12 - Le masque c'est vraiment avec Lionel Ligelzer,
15:16 avec qui on a créé la compagnie,
15:18 c'est vraiment le fer de lance de notre travail.
15:20 Jusqu'à présent en tout cas, j'espère qu'on le dépassera peut-être.
15:23 Mais pour nous c'est un puits sans fond.
15:26 On arrive à toujours chercher,
15:30 trouver une autre facette.
15:32 Avant tout c'est un outil dramaturgique pour nous.
15:34 Ça ne doit pas être quelque chose qu'on vient
15:36 plaquer de manière formelle.
15:38 - Et donc dans "Le mariage forcé" alors,
15:40 qu'est-ce que ça permet à ces personnages ?
15:43 - Vous me laissez répondre sur le masque ?
15:46 C'est l'objet théâtral par excellence, le masque.
15:50 On l'a retrouvé dans toutes les civilisations,
15:53 sur tous les continents, depuis l'aube de l'humanité.
15:55 Il a servi à communiquer avec les dieux,
15:57 il sert à la trance, il sert à la fête.
15:59 C'est un objet très très complexe,
16:01 qui nous permet de travailler à la fois sur le comique,
16:04 et à la fois sur quelque chose de beaucoup plus mystérieux,
16:06 sur la mort. C'est un visage figé,
16:08 c'est le visage de la mort.
16:09 Il permet de travailler sur des lignes de tension très très fortes.
16:12 Le rire et l'effroi, on l'a dit,
16:14 le kitsch et le sublime, le sacré et le profane.
16:17 C'est un objet polymorphe magnifique.
16:20 Traditionnellement, le masque,
16:22 il est, comme les auditeurs peut-être se le représentent,
16:26 c'est le masque de la comédia, de la comédia de l'art.
16:28 C'est des masques en cuir, c'est des masques expressifs,
16:30 avec des grenets, etc.
16:32 Moi je balaye ça, on a balayé ça,
16:35 et ce qui m'intéresse plus, c'est ce qu'il enlève, le masque.
16:38 Donc c'est des masques qui ne sont pas expressifs, en fait.
16:40 C'est des masques qui ont, si ce n'est une sorte d'effarement métaphysique face à la vie.
16:45 Et du coup, ce qui m'intéresse plus, c'est ce qu'on ne voit pas.
16:49 Ce qu'il enlève du visage de l'acteur.
16:52 Créer ce mystère sur le plateau.
16:54 Voilà, ce qu'on enlève souvent, une théâtralité qui efface, qui cache,
17:00 elle nous permet de penser.
17:02 Et là, le masque, pour en revenir précisément au "Mariage forcé",
17:09 il nous permet de jouer ce jeu sur l'inversion, on en a parlé,
17:12 l'inversion des sexes, l'inversion des genres.
17:14 Mais là, c'est vraiment le cœur de la pièce.
17:16 Donc il devient vraiment un outil dramaturgique
17:20 pour tendre les thèmes de la pièce et créer des retournements successifs
17:26 jusqu'à l'image finale,
17:29 qui nous permettent d'ouvrir les sens, je dirais.
17:33 En fait, ce concept de masque qui est dans la comédie à de l'art,
17:38 m'a particulièrement fasciné parce que j'ai trouvé justement
17:41 un rapport avec l'histoire de la créature,
17:43 du vécu de l'acteur sur les rôles précédents
17:46 qui se greffent à une nouvelle création.
17:49 Et les masques sont basés sur des types.
17:52 Et ces types supposent de la part du spectateur
17:56 un certain nombre de présupposés, en fait.
17:59 Le masque de la comédie à de l'art est souvent un demi-masque, en fait,
18:03 qui prend uniquement la partie supérieure,
18:06 qui donc laisse la voix libre,
18:08 mais aussi évidemment le corps et une partie du visage.
18:12 Sachant qu'intervenait aussi dans le concept du masque
18:16 un élément différent qui est celui de la caricature,
18:20 de l'expression exagérée,
18:22 qui est figée, pour ainsi dire, dans le masque.
18:25 - C'est ça, Louis Arrène, que vous nous expliquiez
18:27 sur ces masques de la comédie à de l'art
18:29 et dans la voix de l'essayiste et historien Christian Viviani.
18:32 C'était en 2016 sur France Culture.
18:35 C'est l'origine des masques, en tout cas dans le théâtre.
18:38 Vous vous dépassez tout cela, vous nous l'avez expliqué,
18:41 et vous transformez ce masque comme une seconde peau, en quelque sorte.
18:45 - Oui, à une certaine distance, on ne voit plus la différence
18:49 entre le masque et le visage.
18:52 Donc ça crée cette étrangeté.
18:55 Ça unit aussi les corps,
18:59 parce que, vous le disiez, c'est des masques qui recouvrent tout le crâne
19:02 et qui sont chauves.
19:05 - C'est quelle matière d'ailleurs ?
19:11 - C'est une matière qui sert à faire des prothèses orthopédiques,
19:14 qui travaille à la chaleur.
19:17 La particularité, c'est qu'elle a la même couleur que la peau,
19:20 elle brille comme la peau, donc il y a un effet de réalisme comme ça.
19:23 - Ce n'est pas le cuir ou le bois qu'on imagine
19:26 et qui font vraiment presque une barrière entre le comédien et le spectateur.
19:30 Là, véritablement, c'est une seconde peau, ça donne un effet très réaliste,
19:33 presque monstrueux.
19:36 - Oui, absolument, ce sont des créatures qui ne sont plus tout à fait humaines,
19:40 ce sont des postes humains.
19:43 Il s'est peut-être passé quelque chose pour que tout le monde ait cette drôle de tête.
19:46 Une sorte d'apocalypse peut-être.
19:49 Ce sont des petites poupées rigolotes, mais un peu effrayantes aussi.
19:53 Elles ont des joues roses, il y a quelque chose d'assez enfantin aussi.
19:56 Encore une fois, ça nous permet de travailler sur quelque chose,
20:00 sur des lignes de tension assez fortes.
20:03 - Comment vous faites pour diriger un comédien derrière un masque ?
20:06 Moi, je ne suis pas comédien, mais je me sens protégé derrière ce masque.
20:12 Je peux faire peut-être n'importe quoi, ne pas écouter le metteur en scène,
20:16 me laisser aller à modifier des choses, à ne pas être assez expressif puisqu'il y a ce masque.
20:22 - C'est toute la magie et la complexité du masque, c'est qu'en fait, le masque expose énormément.
20:27 Le masque, il révèle. On voit tout sous un masque.
20:30 On voit les faiblesses de l'acteur, on voit quand il essaye de faire,
20:35 on voit quand il n'est pas disponible.
20:37 Et au contraire, quand il se passe quelque chose, c'est un miroir.
20:39 C'est un miroir grossissant.
20:40 Et ça, c'est fascinant à voir en répétition.
20:43 Donc, il nécessite une forme d'abandon, une forme de confiance aussi dans l'objet
20:49 parce qu'on ne joue pas avec ce qu'on a l'habitude, avec nos expressions, avec le visage.
20:54 Donc, on est dans un premier temps, l'acteur, il est un peu démuni face à ça.
20:58 Et comme l'extrait que vous avez passé le disait, il y a le corps qui vient prendre le relais.
21:03 Donc, c'est un jeu qui devient très technique au fur et à mesure.
21:08 Il faut trouver le juste équilibre entre la sensibilité, la justesse et une grande technique,
21:15 avec une grande technicité parce qu'on doit jouer davantage avec le corps.
21:20 Et dans notre travail, on essaye d'affiner aussi cette chose-là,
21:24 de ne pas travailler sur une corporalité grossière, j'appelle ça du gros masque.
21:30 Le gros masque, moi je déteste ça.
21:33 La comédie Adèle Arthé, c'est vraiment...
21:35 J'essaie vraiment de faire autre chose, mais de trouver cette finesse-là dans le jeu.
21:41 On ne veut pas qu'il y ait un personnage qui serait effrayé par les masques, les clowns,
21:46 tous ces personnages qui parfois peuvent nous gêner, gêner certains spectateurs.
21:51 On n'est pas du tout...
21:52 - Ou une théâtralité un peu poussiéreuse aussi.
21:54 Là, je crois que la force du travail, c'est en utilisant cet outil ancestral,
21:59 on essaye de travailler sur une théâtralité très contemporaine quand même.
22:03 - Il paraît, Louis Horrens, que vous n'arrêtez pas de dire aux comédiens et aux comédiennes de la comédie française,
22:08 les yeux. - Grands yeux.
22:09 - Qu'est-ce qu'il y a dans les yeux qui passe plus avec ce masque ?
22:11 - Quand on porte un masque, c'est ce qui l'éveille, c'est ce qui le rend vivant.
22:16 Parce que la particularité aussi du travail, c'est que ça nécessite un jeu plus que la vie.
22:25 Les comédiens et les comédiennes en sortant d'une représentation, ils sont vidés.
22:30 Parce qu'on demande, c'est un jeu qui nécessite une intensité,
22:33 qui doit convoquer une vitalité de jeu extraordinaire.
22:37 Et là, on en vient aussi au cœur de notre recherche avec ce spectacle-là,
22:41 mais plus globalement avec le "Munstrum".
22:44 On cherche à faire du moment de la représentation un moment de vie extraordinaire,
22:50 un moment de vitalité qui doit nous sauver de l'amorosité et de l'apathie qui traversent notre société.
22:59 C'est en ça que pour moi, le théâtre est un art politique.
23:04 Le lieu du théâtre est un lieu du peuple, un lieu civique.
23:09 On a une nécessité urgente à l'heure d'aujourd'hui à faire que le théâtre...
23:16 Je crois que le théâtre peut encore nous sauver, j'ai cette utopie-là.
23:20 Et ce jeu-là est l'incarnation d'une vitalité qui nous est de plus en plus ôté au quotidien aujourd'hui.
23:28 - Ce masque qui traverse les spectacles de votre compagnie, le "Munstrum Théâtre" que vous avez créé avec Lionel Lindgelser.
23:36 Je parlais en début d'émission des créations originales, une singularité.
23:41 Qu'est-ce qu'au-delà de... et vous venez d'en dire un mot...
23:44 Effectivement, créer un moment de partage.
23:47 Ça veut dire que, par exemple, c'est comme si vous n'alliez pas au travail quand vous faites une pièce de théâtre.
23:52 C'est un partage qui va au-delà de chacun son rôle.
23:56 Le spectateur vient assister à un spectacle et le comédien, la comédienne vient jouer la comédie.
24:02 - Exactement, oui. Vous l'avez dit, pour moi, ce n'est pas un travail, je fais ce que je dois faire.
24:08 Et chercher à avoir une expérience vitale la plus intense possible.
24:15 Et dans le théâtre, c'est l'outil que j'ai trouvé le plus cohérent, le plus juste, le plus intéressant, le plus joyeux.
24:21 On n'a pas encore prononcé ce mot, le mot de joie, mais je crois que c'est un outil de plus, le théâtre.
24:28 Et le théâtre qu'on pratique au Moonstrom, un outil de plus pour faire grandir cette joie.
24:36 Quand je parlais de cette vitalité qui est mise à mal aujourd'hui,
24:42 c'est en rapport à cette joie que nous on guette à chaque instant dans le travail.
24:47 A chaque instant. L'acteur doit être dans une... ça ne veut pas dire...
24:52 C'est pas une sorte de... un bonnet heureux, ou travailler forcément sur des...
24:59 Voilà, on parlait de la farce, la pièce est une farce, mais il y a quelque chose de beaucoup plus complexe que ça.
25:03 Mais c'est travailler, c'est traverser ces complexités, ces horreurs aussi parfois, avec avant tout la flamme de la joie.
25:09 La joie, c'est l'une des émotions que vous souhaitez transmettre avec les pièces que vous mettez en scène Louis-Arren.
25:17 Mais ça veut dire aussi de la joie pour la troupe, c'est pas simplement que pour le spectateur ?
25:22 Oui, en fait c'est des vases communicants, c'est pour eux, ça c'est un vrai travail.
25:28 Il y a le spectacle, quand on travaille on a toujours en ligne de mire le spectacle, il faut qu'on fasse un bel objet.
25:33 Mais ce qui est tout aussi important c'est l'aventure humaine qu'on construit ensemble.
25:38 Ça aussi c'est politique, faire attention au rapport humain, faire attention à comment on traite ses camarades,
25:45 que les gens ne soient pas au service, que la technique soit au même niveau que les acteurs et que les actrices.
25:51 Avoir du plaisir à se retrouver chaque matin, c'est tellement important de mettre en place ce dispositif-là.
25:57 C'est tout aussi important que le spectacle et effectivement ça passe par le choix des personnes avec qui on travaille, comment on se parle.
26:05 Ce bien-être qui pourrait paraître évident dans un milieu théâtral, effectivement, on parle souvent de passion, d'engagement,
26:16 de choses qu'on fait avec ses tripes par exemple, il n'est pas si évident que ça ?
26:22 Vous avez eu des expériences vous ailleurs, dans d'autres moments, dans d'autres endroits, ou des témoignages de gens qui diraient que c'est difficile en fait comme métier ?
26:32 C'est parce que ce métier est très difficile, parce qu'il nous ronge, il nous prend du matin jusqu'au soir.
26:38 On le disait, ce n'est pas un travail, il n'y a pas de coupure entre "je vais au travail" et "je rentre chez moi".
26:42 C'est parce qu'il est si difficile et qu'il nous demande tellement et que parfois il nous torture aussi, parfois de manière positive,
26:49 que tant qu'à faire, il faut que ça se passe, qu'on le fasse avec des gens qu'on aime, qu'on le fasse de manière la plus sereine possible,
26:58 même si quelque part ce n'est jamais le cas, il faut arriver à faire que ce soit, à retourner les angoisses et que ce soit un jeu, je pense, le plus possible.
27:09 Qui peut raconter la histoire de l'ancien homme,
27:12 où l'absence de la taille,
27:14 rencontre l'espoir avec un espace,
27:17 le sommaire s'assassine de la haine du monde,
27:20 la nullité en mots et en clés.
27:23 Quelle ne sera pas la base d'un jas, mais de quoi ?
27:30 De l'arrivée, de l'être, de l'arrivée, de l'habitat de la mort.
27:36 De la longue route, du short stay, de la retour à la maison, de la voie à venir.
27:43 De l'empereur, des mains vides, de la voie de la tête sombre à travers les terres barrenes.
27:50 D'une flamme avec des vents sombres, qui s'éloigne, qui sort, qui sort.
27:57 De l'empereur, des mains vides, des mains sombres, qui s'éloigne, qui sort.
28:05 Quelle ne sera pas la base d'un jas ?
28:11 - Une archive comme on les aime, 1965 !
28:13 - Qui crépite, qui grésille !
28:15 - Qui crépite exactement !
28:16 Samuel Beckett qui lit deux extraits de Watts, le dernier roman qu'il a écrit en 1942.
28:22 Samuel Beckett, c'est un des chocs esthétiques de votre formation théâtrale
28:28 aux côtés d'Alain Françon au Conservatoire ?
28:31 - Oui, en parallèle justement des cours de masque avec Mario Gonzales,
28:37 où il y a une grande liberté, on s'amuse énormément, on joue des hommes, des femmes, des vieux, on improvise énormément.
28:43 - Parce qu'on ne l'a pas dit, le masque c'est l'une des disciplines du Conservatoire.
28:47 - Oui.
28:48 - Ça s'apprend au Conservatoire en tout cas.
28:50 - Oui, oui, oui, moi j'ai eu la chance, je pense que ce n'est plus tout à fait comme ça maintenant,
28:53 mais j'ai eu la chance sur mes trois années de conservatoire, il y avait une vraie réflexion sur l'apprentissage du masque.
28:58 Il y a un outil pédagogique absolument formidable.
29:03 C'est contestable, on a envie de la réinventer, mais un outil pédagogique formidable,
29:09 et donc une vraie formation sur trois ans parce qu'il y a une vraie technique qui doit être assimilée
29:13 avant de pouvoir mettre un masque et de construire un personnage, et ça c'est très agréable.
29:17 Et en parallèle de ça, j'ai découvert grâce à Dominique Valadier et Alain Françon,
29:21 des choses beaucoup moins réjouissantes comme Edouard Bond,
29:25 et puis d'autres toutes aussi très réjouissantes qui sont comme Béket,
29:29 moi qui m'a avant tout fait rire, j'ai travaillé une scène de fin de partie avec Françon,
29:34 d'ailleurs avec Benjamin Lavergne qui joue dans "Le mariage forcé", on a travaillé tous les deux fin de partie.
29:39 Et là, il y a un paysage nouveau qui s'est ouvert à moi sur la métaphysique sur un plateau.
29:45 Là, cette recherche de questionner, de pétrir de manière charnelle la métaphysique sur un plateau,
29:53 en nous faisant balancer l'angoisse, l'effroi au comique.
29:59 Donc ça, ça a été effectivement une grande révélation,
30:03 et puis qui est toujours un peu dans un coin de la tête le décor du "Mariage forcé",
30:07 et la fin de partie pourrait presque se jouer dans ce genre de décor.
30:12 - Ça vient d'où ce désir de scène chez vous ?
30:16 Est-ce que vous avez ce souvenir où vous vous êtes dit "je veux être sur une scène,
30:21 devant des gens, devant un public, et jouer quelque chose, dire quelque chose,
30:27 m'exprimer en tout cas de cette façon-là" ?
30:30 - Je crois que c'est avant tout un plaisir d'enfant, évidemment,
30:34 de faire quand je faisais des petits spectacles à ma famille,
30:38 de plus en plus insupportable parce que je prenais de plus en plus de place.
30:41 Et comme moi j'aimais de plus en plus ça, et que je voyais qu'il fallait mettre la table,
30:47 il fallait ranger sa chambre, il fallait faire autre chose que de faire n'importe quoi.
30:50 Ou bien réciter des poésies à l'école, ça je me souviens des grands plaisirs que j'ai eus.
30:56 Oui, c'est depuis tout petit. Après ce qui est intéressant dans le parcours,
30:59 c'est qu'au début il y a un plaisir presque égotique, narcissique,
31:03 à être regardé, à faire rire les gens.
31:05 Et puis après, au fur et à mesure, grâce à la découverte d'auteurs,
31:09 grâce à la découverte petit à petit des cours de théâtre,
31:13 rencontrer la parole des poètes, la parole des auteurs,
31:17 et là se rendre compte que du médium qu'on doit être,
31:21 que le délire égotique ça va à un moment, ça va peut-être pour se donner confiance en soi,
31:26 mais qu'il y a quelque chose de beaucoup plus jouissif et de beaucoup plus grand
31:29 qui est faire passer le poème.
31:32 C'est-à-dire d'abord on ose monter sur scène peut-être avec ce délire égotique que vous décriviez,
31:38 et ensuite on se dit voilà, comment on transmet quelque chose, comment on passe un message ?
31:43 À quoi ça sert en fait ? Que ça serve à quelque chose ?
31:46 Que ça sert à la poésie quoi, à transmettre un rapport au monde différent ?
31:53 Et vous aviez parlé d'ailleurs de la joie, l'une de ces émotions qui est au cœur de votre travail.
32:00 Quelles sont les autres émotions qui vous meuvent Louis-Arren ?
32:03 Est-ce que la joie, d'accord, mais vous racontez...
32:06 La joie si vous voulez, ce n'est pas être heureux.
32:08 La joie c'est quelque chose qui nous donne de la puissance,
32:12 c'est quelque chose qui rend notre expérience de la vie plus complexe,
32:17 qui nous donne la force d'aller dans la noirceur aussi.
32:21 Ce n'est pas juste être content, la joie pour moi.
32:25 C'est justement s'armer face à la difficulté de la vie,
32:29 s'armer pour pouvoir affronter la barbarie, la violence de notre époque.
32:34 Ça nous aide à regarder les ténèbres dans lesquelles on est aujourd'hui,
32:40 que l'on traverse collectivement.
32:43 C'est un pendant à ces ténèbres-là,
32:46 et je crois que comme notre théâtre doit regarder ces ténèbres en face,
32:51 il doit en parallèle s'armer avec cette joie-là,
32:55 c'est-à-dire il doit résister.
32:57 La joie résiste à cette barbarie environnante.
33:01 Donc c'est très complexe la joie.
33:04 La joie et la cruauté, vous êtes venu avec un texte.
33:07 Vous voulez nous dire un petit peu ?
33:09 - En pensant à l'émission et au travail,
33:12 je suis retombé sur le théâtre de la cruauté d'Antonin Artaud,
33:15 qui est quand même une bible pour moi,
33:19 et je pense pour les jeunes comédiens et comédiennes d'aujourd'hui.
33:22 Je voulais lui lire un petit passage.
33:24 - Louis Arène sur France Culture.
33:26 - Dans la période angoissante et catastrophique où nous vivons,
33:30 c'était il y a presque 100 ans qu'il écrivait ça,
33:32 nous ressentons le besoin urgent d'un théâtre
33:35 que les événements ne dépassent pas,
33:37 dont la résonance en nous soit profonde,
33:40 domine l'instabilité des temps.
33:42 La longue habitude des spectacles de distraction
33:45 nous a fait oublier l'idée d'un théâtre grave
33:48 qui, bousculant toutes nos représentations,
33:50 nous insuffle le magnétisme ardent des images
33:53 et agit finalement sur nous à l'instar d'une thérapeutique de l'âme
33:58 dont le passage ne laissera plus oublier.
34:02 Tout ce qui agit est une cruauté.
34:05 C'est sur cette idée d'action, poussée à bout et extrême,
34:08 que le théâtre doit se renouveler.
34:11 Pénétré de cette idée que la foule pense d'abord avec ses sens
34:15 et qu'il est absurde, comme dans le théâtre psychologique ordinaire,
34:18 de s'adresser d'abord à son entendement,
34:20 le théâtre de la cruauté se propose de recourir au spectacle de masse,
34:24 de rechercher dans l'agitation de masse importante
34:27 mais jetée l'une contre l'autre et convulsée
34:30 un peu de cette poésie qui est dans les fêtes et dans les foules,
34:34 les jours, aujourd'hui trop rares, où le peuple descend dans la rue.
34:38 Tout ce qui est dans l'amour, dans le crime, dans la guerre ou dans la folie,
34:43 il faut que le théâtre nous le rende s'il veut retrouver sa nécessité.
34:47 - Le théâtre et son double, donc, un extrait de ce livre écrit par Antonin Arthaud.
34:54 Louis-Arren, qu'est-ce qui vous motive encore dans les prochains mois,
34:59 dans les prochaines années ? Quel auteur vous inspire pour une prochaine mise en scène,
35:04 pour un nouveau partage de cette joie avec un public et avec des comédiens et comédiennes ?
35:12 - On touche tout de suite au haut du panier, c'est Shakespeare.
35:16 - Vous faites parler les choses à moitié ? Vous mettez en scène Macbeth, c'est ça ?
35:23 - Oui, c'est ça. - L'année prochaine ?
35:25 - Oui, exactement, dans un an. C'est exactement ce dont on parlait pour résumer.
35:29 C'est Macbeth qui est la pièce la plus sombre de Shakespeare, la plus terrible,
35:33 qui est pour moi un écho au temps que nous sommes en train de traverser
35:38 et qui doit, que l'on souhaite avec tous les membres du Moonstrom,
35:42 de faire de ce moment de théâtre un rituel pour justement affronter ces ténèbres-là collectivement,
35:49 nous donner de la force et nous rassurer pour nous dire que notre joie ne sera pas vaincue.
35:56 - Merci beaucoup Louis-Arren d'être venu dans les Midis de Culture.
36:00 Je rappelle que votre mise en scène du "Mariage forcé" de Molière,
36:03 c'est d'abord jusqu'au 1er mars au Théâtre du Rond-Point avec la troupe de la Comédie française,
36:08 que je vais reciter, Judith Sicard, Sylvia Berger, Christian Eck, Benjamin Lavergne et Gaël Camelindi.
36:14 Donc ça c'est pour Paris et puis ce sera en tournée ensuite le 20 et 21 mars au Théâtre de Colombes dans les Hautes-Seines
36:20 et puis du 4 au 14 avril prochain ce sera au Théâtre des Célestins à Lyon.
36:25 On vous met bien sûr toutes les dates sur le site de France Culture
36:29 et vous transportez la même boîte, la même scène dans tous ces théâtres, on est d'accord ?
36:32 - Oui, oui.
36:33 - On t'amène l'émission en musique comme tous les jours, on a sélectionné deux chansons.
36:37 Alors là c'est à vous de choisir, soit c'est une musique de film, soit c'est une musique de boîte,
36:41 puisqu'on parle de cette boîte. - De boîte, oui, de boîte de nuit.
36:45 - L'indice c'est une boîte, c'est une musique pour danser, alors c'est à vous de choisir.
36:49 - Aller, la boîte et la danse. - Alors la boîte.
36:51 [Musique]
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37:27 [Musique]
37:33 [Musique]
37:39 [Musique]
37:46 - Vous auriez pu danser sur la table du studio, Louère. - Ne me poussez pas trop.
37:50 - Merci d'être venue dans les Midi de Culture, une émission préparée par Aïssa Touaindoï,
37:54 Anaïs Hisbert, Cyril Marchand, Zora Vignier, Laura Dutèche-Pérez et Manon Delassalle.
37:59 Comme au théâtre, on remercie ceux qui sont derrière la vitre du studio.
38:02 L'émission est réalisée par Félice Yfogère et à la prise de son ce midi, c'est Melody S-Man.
38:08 Merci de nous avoir suivis à demain.

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