Neige Sinno, prix Femina 2023 : "Oser penser, c'était ma démarche"

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Transcription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis d'Occulture.
00:04 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoir.
00:08 Notre rencontre quotidienne, c'est une conversation à trois voix avec notre invitée.
00:13 Ce midi, elle est écrivaine enseignante et traductrice.
00:16 On la connaît surtout comme autrice, que l'on présente désormais comme la révélation
00:21 de cette rentrée littéraire.
00:22 Car son livre, publié en août dernier, a bousculé et permis d'ouvrir à nouveau
00:27 la discussion sur un sujet tabou dans notre société, l'inceste.
00:30 Triste Tigre a séduit les lecteurs et les lectrices.
00:33 Vendu à 80 000 exemplaires, il a été consacré par la critique et les prix littéraires,
00:38 celui du Monde, des Inoccupables et la semaine dernière, le célèbre prix Femina.
00:43 Bonjour Nech Sinaud.
00:44 Bonjour.
00:45 Bienvenue dans les midis de Culture.
00:46 Merci.
00:47 Vous vous interrogez, Nech Sinaud, dans votre texte sur les raisons pour lesquelles il fallait
00:53 ou non écrire ce livre.
00:55 Et vous avez tranché, puisqu'il est là, maintenant, entre nos mains et entre les mains
00:59 de très nombreux et très nombreuses lecteurs et lectrices, et qu'il est plébiscité.
01:03 Est-ce que vous vous attendiez à cette bonne réception et à ce plébiscite ?
01:07 Non, pas du tout.
01:08 Je ne m'y attendais pas du tout.
01:13 Mais, d'un autre côté, je pense que quand on écrit un livre comme ça, il y a quand
01:20 même l'idée, au fond de moi, j'aimerais qu'il existe.
01:26 Donc, non, ce n'était pas du tout prévu.
01:30 On n'a pas imprimé beaucoup d'exemplaires.
01:31 Moi, j'avais très peur que personne n'ait envie de lire ce livre.
01:35 Donc, c'est une totale surprise.
01:37 Et en même temps, j'ai quand même toujours cru à mon livre.
01:40 Ce n'est pas un livre que j'ai écrit en me disant « ça n'a pas d'importance ».
01:44 J'ai toujours cru et désiré au fond de moi qu'il ait un très fort impact.
01:48 Oui, parce que vous l'avez dit, Neshtino, vous aviez envie qu'il existe.
01:52 Mais un livre n'existe que si, effectivement, il est lu et si on en parle.
01:57 Et plus que de l'avoir lu, ça soulève tous ces débats aussi sur la lecture.
02:00 Qu'est-ce que ça veut dire d'avoir lu un livre ? Qu'est-ce qu'on a compris ?
02:03 Est-ce qu'on l'a bien lu ? Vous n'aviez pas peur aussi qu'il soit mal reçu, mal
02:07 compris, justement ?
02:08 Ça fait partie des choses que j'évoque dans mon texte.
02:11 Parce que qu'est-ce que ça veut dire mal comprendre ?
02:13 Ou mal lire ?
02:14 Ou mal lire ? Toutes les lectures sont valables.
02:17 À partir du moment où je prends la décision de publier ce texte, j'ai beau prendre toutes
02:23 les précautions que je veux…
02:24 Et les exposer d'ailleurs.
02:26 Oui, c'est ça.
02:27 La seule chose qui est entre mes mains, c'est ce que j'ai écrit.
02:30 Si je prends cette décision et je le laisse vivre, je dois considérer que toutes les
02:36 interprétations sont valables et qu'il faut même que j'en sois heureuse.
02:41 Et c'est ce que je dis un peu à la fin.
02:43 Puisque moi, j'ai pioché des idées chez tout le monde, puisque moi j'ai réfléchi
02:46 à travers des textes et des réflexions que les auteurs n'avaient pas imaginées que
02:51 quelqu'un allait faire à partir de leurs textes.
02:53 Les textes que je cite dans mon bouquin, je ne pense pas que Bernardo Achagay s'est
02:57 imaginé que quelqu'un allait se servir de l'image qu'il a dans son texte sur
03:03 le visible et l'invisible pour parler d'un sujet tel que l'inceste.
03:06 Et donc si moi je me permets de faire ça, je trouve ça normal que les autres fassent
03:11 la même chose.
03:12 Et je trouve ça beau.
03:13 Je trouve ça magnifique que des phrases que j'ai écrites puissent faire avancer
03:17 quelqu'un d'autre dans sa réflexion, dans sa pensée, dans la construction de
03:21 son imaginaire.
03:22 Vous l'avez dit, ce n'était pas facile de venir aussi voir les éditeurs avec un
03:27 tel thème, un sujet qui n'est pas le sujet le plus débattu dans la société.
03:33 On l'a entendu dans le journal.
03:35 Aujourd'hui, il est aussi au cœur de l'actualité, ce sujet, avec ce rapport rendu public par
03:39 cette commission, La Civise.
03:41 Est-ce que vous vous dites aussi que votre livre est une pierre à cet édifice qui
03:47 est, j'extrapole et vous me direz si c'est aussi un objectif que vous aviez, la prévention
03:54 et la protection de l'enfance ?
03:55 C'est un objectif a posteriori, on peut dire.
04:00 C'est-à-dire que moi avant tout, j'écris.
04:03 Et donc dans mon projet, en tout cas, quand j'ai conçu, déjà on écrit souvent, on
04:09 n'a pas de projet en fait.
04:10 On écrit, on écrit, on se rend compte de ce qu'on est en train de faire et il y a
04:13 un livre qui naît.
04:14 Et quand j'ai compris qu'il y avait un livre là, mon projet c'était de construire
04:19 le meilleur livre possible.
04:20 Je n'ai pas eu le projet, je vais écrire ce livre pour participer à quelque chose,
04:25 pour protéger, même pas ça.
04:26 En fait, l'intention et le départ de ma démarche, c'est ça.
04:31 Mais évidemment, puisque c'est un livre sur l'inceste et puisque dans ce livre,
04:35 j'essaie de comprendre pourquoi j'ai encore cette nécessité, 30 ans après de parler
04:42 de ça, la nécessité principale pour moi, c'est comment faire ?
04:47 Ou la nécessité la plus positive en tout cas, c'est un livre qui est écrit depuis
04:51 ma perspective d'aujourd'hui, d'adulte, qui assume une responsabilité citoyenne
04:58 et adulte.
04:59 Et mon désir, c'est d'essayer d'être un bon adulte protecteur, une bonne adulte
05:07 protectrice.
05:08 Et donc si mon livre peut servir à moi-même à déplier toutes ces choses-là et à aller
05:17 plus loin dans cette démarche, j'en suis très heureuse.
05:21 La protection et le participer à cette réflexion collective sur qu'est-ce qu'on va faire
05:28 pour que ces chiffres qui n'ont pas évolué depuis mon enfance et depuis avant se mettent
05:33 à changer.
05:34 Évidemment, c'est très important.
05:37 Ça n'a pas conditionné mon écriture, mais aujourd'hui que c'est possible, je
05:43 suis très fière.
05:44 Et j'ai voulu dans mon texte quand même reconnaître, je m'inscris complètement
05:47 dans Me Too, dans la démarche de la civise, dans toute cette prise de parole qui a lieu.
05:54 Et effectivement, dans cette perspective-là, je me sens participer à un élan.
06:00 Parce que ce n'est pas vraiment un édifice, ce n'est pas construit, ce n'est pas solide.
06:03 Il y a toujours des retours de bâton possibles, des retours de silence possibles.
06:09 Rien n'est gagné, mais je me sens part de ce magnifique élan qui a lieu en ce moment.
06:13 Lolita n'est pas une jeune fille perverse.
06:20 En réalité, Lolita est une fillette de 12 ans, tandis que M.
06:26 Humbert est un homme mûr.
06:28 Et c'est l'abîme entre son âge et celui de la fillette qui produit le vide, ce vertige,
06:38 l'attrait d'un danger mortel.
06:40 En second lieu, c'est l'imagination du triste satyre qui fait une créature magique
06:49 de cette petite écolière américaine, aussi banale et normale dans son genre que le poète
06:57 manqué Humbert et dans le sien.
07:00 En dehors du regard maniaque de M.
07:05 Humbert, il n'y a pas de nymphète.
07:08 Lolita, la nymphète, n'existe qu'à travers la hantise qui détruit Humbert.
07:15 Et voici un aspect essentiel d'un livre singulier qui a été faussé, c'est-à-dire une popularité
07:24 factice.
07:25 On entre dans votre livre Nesci-Nou avec cet extrait que l'on vient d'entendre, extrait
07:30 de l'écrivain américain russe Vladimir Nabokov, dans Apostrophes.
07:33 C'était en mai 1975.
07:35 Il revient sur ce personnage de Lolita que vous citez dans votre livre et il nous dit
07:42 qu'il y a une mauvaise interprétation de qui est cette Lolita.
07:47 C'était un des fils littéraires, en tout cas l'une des représentations littéraires
07:53 qui vous est venue dans la construction de votre récit et qui vous parlait sur la façon
07:58 avec laquelle vous vouliez raconter ces faits qui se sont passés.
08:02 Disons que ce qui me parlait surtout, c'est cet énorme malentendu qui n'est pas dans
08:11 le texte.
08:12 Mais en même temps, comme on disait tout à l'heure, il n'y a pas de mauvaise interprétation.
08:16 Qu'est-ce qu'elle nous dit cette interprétation ? Elle ne nous dit rien sur le texte.
08:21 Elle nous dit quelque chose sur la société dans laquelle ce texte a été reçu.
08:26 Et de retourner complètement le texte pour faire de Lolita une jeune fille séductrice
08:39 alors qu'elle est du début à la fin.
08:41 Comme il le dit là, si on lit le livre avec honnêteté, du début à la fin, on se rend
08:48 bien compte que la nymphette est une invention du ravisseur, du prédateur, de l'agresseur.
08:54 Il invente cette histoire d'amour et il fait d'elle un objet où elle n'a pas la parole
09:01 et il la transforme complètement.
09:03 Elle, elle est du début à la fin, une victime.
09:05 Elle ne consente jamais.
09:06 Elle n'a rien choisi.
09:08 Elle est dans une situation de vulnérabilité absolue puisqu'elle est seule avec lui, sa
09:14 mère décède, comme énormément de victimes de violences sexuelles dans l'enfance.
09:18 Il y a quelque chose qui fait qu'on se retrouve dans une situation de vulnérabilité où on
09:24 peut être dominé par un adulte.
09:26 Donc ce texte, oui, il m'intéresse en lui-même parce que c'est quand même un chef-d'œuvre
09:31 et que moi j'ai fait des études de littérature et que tous ces procédés qui sont employés,
09:36 je les trouve assez fabuleux, nous mettent dans la tête.
09:38 Et vous dites que c'est un texte provocateur parce qu'on est dans la tête de cet agresseur,
09:43 qu'on est dans les pensées de ce coupable, de ce prédateur, de ce pédophile.
09:47 Et ça c'est assez singulier.
09:50 Oui, et c'est très dérangeant.
09:51 D'ailleurs, parfois ce n'est pas forcément compris.
09:54 Moi, je me souviens avoir lu Lolita à 14-15 ans sur la couverture du livre de poche.
09:58 C'est la photo du film de Kubrick qui fait partie des mésinterprétations, ou en tout
10:03 cas d'une interprétation qui reflète l'époque de sa réception.
10:07 Et moi-même, je n'ai pas compris forcément cet écart entre la situation qui aurait été
10:15 objective et le fait d'avoir été dans la tête du bourreau, comme vous le décrivez
10:19 dans votre livre, Nagisino.
10:20 Il y a toujours un… Dans votre livre, vous prenez la précaution de nous l'indiquer.
10:24 Vous nous montrez les rouages de votre réflexion.
10:26 Un livre comme Lolita nous met face à nous-mêmes.
10:29 Et vous nous donnez plus de clés que Nabokov qui là a dû s'expliquer des années plus
10:34 tard sur son livre.
10:35 Ce qui est arrivé aussi, je pense qu'il voulait vraiment qu'on se mette dans la
10:39 tête de l'agresseur.
10:40 Et qu'est-ce qui se passe dans la tête de l'agresseur ? C'est mentionné dès
10:42 le début qu'elle a 12 ans.
10:43 Mais lui, il s'invente un système pour qu'on perde de vue, comme lui, que c'est
10:50 une enfant de 12 ans.
10:52 Que son consentement est absolument impossible.
10:55 Il fait en sorte que ça passe en un second plan.
11:01 Et c'est ça qui est très malaisant.
11:04 C'est que, comme c'est très bien écrit et que c'est un type attachant d'une
11:11 certaine façon ce Humbert Humbert, parce qu'il nous donne les clés de son monde
11:16 intérieur, il nous balade.
11:18 Et quand on se rend compte, et le texte fait en sorte qu'on s'en rende compte qu'il
11:22 nous balade.
11:23 Quand on se rend compte qu'on s'est fait balader, qu'on a été nous aussi pris
11:26 dans les raies de ce prédateur.
11:29 C'est là qu'il y a quelque chose de très violent dans la lecture.
11:32 Je pense que ça, ça représente, on le vit en tant que lecteur.
11:37 L'expérience de la lecture, c'est d'avoir été manipulé par ses droits.
11:40 On se sent un peu sale d'ailleurs.
11:42 Surtout quand on a eu l'impression de ne pas avoir été prévenu ou d'avoir été
11:49 assez attentif.
11:50 On s'en veut.
11:51 Oui, c'est vrai.
11:53 Il y a quelque chose d'humiliant et de très dérangeant à se laisser prendre dans ses
12:05 filets.
12:06 Surtout quand les scènes qui sont indéniables, non, la fin du premier, il y a deux grands
12:11 chapitres.
12:12 La fin du premier chapitre, c'est le passage à l'acte.
12:14 Quand il y a ce passage à l'acte, on est quand même bien obligé en tant que lecteur
12:17 de se dire "Ouh là là, mais où est-ce qu'on m'a emmené là ?".
12:21 Je pense qu'il a fallu cette violence pour Nabokov.
12:26 Il fallait qu'à un moment donné, il y ait ce retournement et où vraiment on se dise
12:31 "Ah mais en fait, ça c'est un viol".
12:34 Alors dans votre début de livre, dans ce premier chapitre où vous commencez par le
12:40 portrait de "Mon violeur", vous dites aussi qu'il ne faut pas se contenter simplement
12:44 de raconter le point de vue de la victime et qu'il faut vous aussi vous mettre dans
12:48 la tête du bourreau pour comprendre ce qui se passe dedans.
12:52 Et puis vous prenez toutes ces précautions et par la main, presque, le lecteur et la
12:57 lectrice pour avancer et nous expliquer les faits, ce qui s'est passé, ces violences
13:05 de votre beau-père de 24 ans, ces mensonges et la domination qu'il a exercée sur vous
13:11 et votre sœur.
13:13 Comment est-ce qu'on arrive justement à expliquer cette domination et expliquer que
13:20 le viol est un exercice de domination et de pouvoir sur des enfants ?
13:23 Alors ma démarche, ce n'est pas vraiment d'expliquer.
13:26 Si je mets l'agresseur là, au tout début, et qu'il est très très très présent,
13:32 c'est parce que je voulais, vraiment mon projet en tout cas, c'était de faire en
13:37 sorte que quelqu'un soit à l'intérieur de ma tête, que mon lecteur, ma lectrice
13:40 soit à l'intérieur de ma tête pendant le temps de la lecture.
13:43 Et à l'intérieur de ma tête, comme dans la tête de beaucoup de personnes qui ont
13:47 été victimes, l'agresseur a une très très grande place.
13:50 Et le questionnement de pourquoi il m'a fait ça, quelle a été sa logique, chercher
13:55 du sens dans cet événement absurde et aberrant qu'est la violence sexuelle subie dans
14:01 l'enfance, ça fait partie d'un cheminement de pensée.
14:05 Et donc j'ai voulu le mettre tout de suite, mais aussi pour le déconstruire, pour essayer
14:11 de, non pas le comprendre lui, mais comprendre pourquoi moi, et tant d'autres victimes,
14:19 on a l'obsession et la nécessité de questionner ça.
14:22 Et donc, pour revenir à votre question, après, effectivement, une des réponses possibles
14:31 que j'ai lues et que j'ai entendues dans des textes sur lesquels j'ai pu tomber,
14:39 c'est cette question de domination.
14:41 Et ça m'a parlé.
14:42 Et donc tout le livre est comme ça, l'exploration d'intuitions, l'exploration de choses
14:46 qui me semblent possibles.
14:47 Et je me pose la question, est-ce que c'est vraiment comme ça ? Et cette question de
14:53 la domination d'un puissant sur un vulnérable, elle me semble éclairer beaucoup beaucoup
14:59 de choses.
15:00 Parce que l'enfant, et on se rend compte en plus que les enfants qui sont dans des
15:08 situations de vulnérabilité sont plus abusés que les autres.
15:12 Donc l'enfant est quand même une personne dans la société qui est dans une place où
15:20 il n'est pas dans une position de domination.
15:22 Il peut, si on ne prend pas garde, être dominé.
15:26 Ce qui est très marquant aussi, c'est que, et vous le décrivez, vous vous posez évidemment
15:29 toutes ces questions.
15:30 D'ailleurs la question de la nymphette dont on parlait tout à l'heure, est-ce que j'avais
15:35 une apparence qui pouvait particulièrement l'attirer ? On passe par tous les états
15:42 de la culpabilité aussi.
15:43 Et puis ce qui m'a marqué, une stratégie de défense aussi que vous mettez en place,
15:47 notamment avec votre soeur, puisqu'il lui vous demande de l'appeler papa alors que ce
15:51 n'est pas votre père, c'est votre beau-père.
15:54 Et puis vous mettez en place des stratagèmes pour qu'il soit bien et puis pour que ses
15:59 viols n'arrivent pas.
16:00 Mais la difficulté, c'est que vous êtes une enfant à ce moment-là et qu'il n'y
16:04 a pas véritablement d'échappatoire.
16:06 En vérité, je pense que la violence qu'il m'a fait subir, ça fait partie des stratégies
16:12 pour qu'il soit bien.
16:13 C'est aussi courant, je l'ai entendu souvent dans des témoignages.
16:20 Un tyran, il fait régner la terreur.
16:27 Donc pour que sa terreur soit contrôlée, on fait tout ce qu'il veut.
16:30 Et donc je pense que puisque j'avais peur qu'il me tue, puisque j'avais peur qu'il
16:37 fasse du mal aux autres, après c'est des peurs qui ne sont pas conscientes.
16:40 Là c'est une analyse à postériorité.
16:42 Quand on est enfant, on ne formule pas évidemment toutes ces choses-là dans la tête.
16:46 Mais je pense qu'on sait qu'on est sous une très très grande menace et qu'on n'imagine
16:50 peut-être pas nécessairement une menace de mort.
16:52 Mais je pense que oui, en fait, je pense que c'est la violence sexuelle et c'est une
16:57 violence tellement profonde qu'il y a une menace comme ça très très grande.
17:00 Et du coup, on fait tout ce qu'il veut.
17:02 Vous parliez tout à l'heure, Nelsino, de déconstruire, de déconstruction.
17:08 On l'a vu avec Nabokov, on se met dans la tête du bourreau.
17:11 Vous vous avez essayé au contraire de vous dire qu'est-ce qui se passe dans ma tête ?
17:14 Pourquoi ce bourreau prend autant de place ?
17:17 Et c'est un des grands thèmes de votre livre.
17:21 Est-ce que la déconstruction a eu lieu ?
17:24 Est-ce que vous avez mis à nu cette obsession ?
17:27 Est-ce que ça a été détruit ?
17:29 Il y a des constructions, mais est-ce qu'il y a destruction ?
17:32 Alors, je l'indique dès le début du livre.
17:35 Je ne fais pas une promesse.
17:36 Vous allez tout comprendre à la fin de mon livre.
17:38 Je dis je ne comprends toujours pas.
17:39 Et c'est à la première page du livre.
17:42 Et je ne fais pas une promesse d'élucidation.
17:50 Je m'engage quand même dans cette quête qui n'aboutira pas.
17:58 Qui est donc une quête un peu mélancolique.
18:00 La tristesse du titre, c'est aussi la tristesse de ma démarche.
18:03 Vous le saviez déjà avant ?
18:04 Depuis le début, je sais, puisque c'est ma vie, c'est mon cerveau,
18:10 je sais que je ne vais pas arriver à élucider.
18:12 Ça fait partie, pour moi en tout cas, de la violence de ce traumatisme.
18:16 Une violence telle que je ne pourrais pas lui donner vraiment un sens.
18:22 Mais n'empêche que je peux avoir une quête qui est la plus honnête possible.
18:27 Je vais reprendre une phrase qui était dans un témoignage de La Civise.
18:31 Parce qu'elle m'a parlé en fait.
18:34 "Je cherche la lumière".
18:36 Et la personne qui disait ça dans ce témoignage qui était dans le deuxième rapport de La Civise,
18:41 je pense qu'elle disait ça par rapport à plein de choses.
18:44 Je cherche la clarté, je cherche à sortir de cette situation atroce et obscure.
18:52 Et pour moi, la lumière, puisque je suis quelqu'un qui écrit,
18:55 puisque j'ai des outils, je cherche à éclairer un peu,
18:59 par les outils que j'ai,
19:04 des choses qui sont dans l'ombre.
19:07 Et donc cette déconstruction, ça veut dire déconstruire dans le sens de déplier
19:12 des idées reçues, déplier des a priori, déplier des choses auxquelles on n'ose pas penser.
19:20 Oser penser, c'était ça ma démarche.
19:21 - Et puis montrer aussi que...
19:23 Vous dites d'ailleurs ça, vous exposez ça, Neshtino,
19:26 c'est-à-dire de dire "là je vais vous dire que je tente ça,
19:29 mais que ça peut ne pas marcher, mais je vais quand même le tenter".
19:32 C'est assez inédit d'un point de vue formel en fait,
19:35 c'est en ça que réside la littérature pour vous.
19:37 C'est-à-dire de vraiment montrer presque l'arrière-cuisine,
19:40 et c'est pas beau de le dire comme ça,
19:42 mais de montrer tout ce qui se passe dans nos têtes dans une construction d'un texte,
19:45 et de le mettre sur le devant de la scène et de dire "c'est ça le texte".
19:48 - Oui, alors chaque texte a sa forme,
19:51 et ce texte-là, pour plusieurs raisons,
19:54 je voulais qu'on voit toutes les coutures.
19:56 Parce que je voulais pas...
19:58 Alors la première raison je pense c'est que je voulais pas prendre en otage mon lecteur, ma lectrice.
20:03 Et donc en participant à un questionnement sur un texte en train de s'élaborer,
20:07 on voit comment cette pensée prend forme.
20:10 On se pose la question "quel est cet objet ?
20:13 Quelle est cette parole ?"
20:14 Et ça, ça faisait partie du dialogue que je voulais instaurer.
20:18 Et je pense aussi, a posteriori, que
20:22 ça c'est quelque chose qui me fait plaisir à moi.
20:25 Moi je suis quelqu'un qui...
20:26 - Un plaisir d'écriture en fait. - Oui, un plaisir d'écriture, un plaisir de construire.
20:30 Et puisqu'on est dans un truc tellement grave,
20:34 tellement dur, qui me coûte un effort,
20:38 qui demande du courage de la part du lecteur,
20:41 il me semble que de pouvoir avoir...
20:45 de superposer à
20:49 cette chose qui nous coûte,
20:52 qui est une douleur pour tous,
20:55 une joie de penser, une joie d'écrire,
20:59 un jeu, alors c'est pas vraiment un jeu non plus,
21:01 mais en tout cas ça m'importait que le lecteur et la lectrice posent la question avec moi.
21:04 Alors qu'est-ce qu'on est en train de lire ?
21:06 Qu'est-ce que c'est cet objet littéraire qu'on a là ?
21:08 Et ça c'est quelque chose de...
21:12 Je sais pas comment le dire, c'est pas vraiment plaisant,
21:14 mais en tout cas c'est plus léger que les idées qui sont exposées dans le texte.
21:19 La pulsion première c'est l'écriture.
21:22 Et c'est quelque chose que je trouve assez mystérieux.
21:26 Je ne sais pas pourquoi j'ai voulu écrire.
21:28 Je n'avais pas d'amour pour ni l'écriture ni la lecture.
21:33 Et cette première fois où j'ai écrit correspondait à un moment de peur.
21:37 Et j'aurais pu trouver une autre manière de faire,
21:41 mais l'écriture s'est imposée.
21:42 Ensuite, cette répétition-là, je la trouve toujours mystérieuse.
21:46 Qu'est-ce qui fait que moi ou d'autres,
21:49 on se tourne vers l'écriture quand les choses sont un peu étranges dans notre vie ?
21:56 C'est mystérieux et en même temps, ça soigne quand même, ça permet d'avancer.
22:01 - Neshino, l'autrice de Tristes Tigres, est avec nous dans les Midis de Culture.
22:05 Neshino, on vient d'entendre Gaël Fay sur sa raison de l'écriture,
22:10 ce qu'il recherche dans l'écriture, cette écriture qui soigne.
22:13 C'était sur France Inter en 2016.
22:17 On vient de parler de votre manière d'écrire, de tout mettre à plat,
22:21 de transparence avec le lecteur et la lectrice.
22:24 Vous le dites très clairement, la littérature ne m'a pas sauvé, je ne suis pas sauvé.
22:29 Alors qu'est-ce que vous recherchiez dans cette écriture aussi,
22:34 puisque ce n'est pas l'idée d'être sauvé ?
22:37 Et ça, vous le savez et vous le dites dès le début.
22:41 - Oui, alors cette phrase, elle ne vient pas pour critiquer
22:44 ou pour amoindrir les pouvoirs de la littérature.
22:52 Moi, puisque mon défi dans ce texte, c'est de confronter des choses complexes.
23:01 Cette idée, quand j'entends quelqu'un dire "la littérature m'a sauvé",
23:06 ça me fait envie, ça me fait rêver, ça me plaît en fait ce concept.
23:11 Je trouve ça fabuleux à la fin du livre de Laure Murat,
23:15 quand elle dit d'une certaine façon "Proust m'a sauvé".
23:19 Donc il y a des gens qui sont sauvés par la lecture.
23:21 Là, elle parle de la lecture de Proust.
23:23 Il y a des gens comme dans ce petit passage,
23:27 cette entrevue avec Gail Faille que vous citez,
23:32 il dit que l'écriture l'a sauvé.
23:34 Donc tout ça, c'est possible, tout ça, ça existe et c'est magnifique.
23:38 Mais des fois, des choses magnifiques peuvent se retourner contre nous.
23:44 Et moi, puisque je sais que je ne suis pas sauvée,
23:48 puisque je ne m'en suis pas sortie,
23:51 puisque j'ai rêvé de pouvoir prononcer cette phrase,
23:58 qu'elle soit vraie pour moi, en être fière et la revendiquer
24:02 et que de ne pas y accéder,
24:04 c'est quelque chose qui se transforme en une oppression.
24:07 Il fallait que je mette tout ça dans mon texte.
24:09 Je ne suis pas sauvée, je ne suis vraiment pas sauvée.
24:11 Et je pense qu'on est nombreux, on est nombreuses
24:16 et qu'il fallait que je le dise, ça.
24:18 Il fallait que je le dise.
24:21 Et je trouve ça magnifique que d'autres personnes se sentent soignées,
24:25 se sentent sauvées, qu'ils aient l'impression
24:28 et la certitude d'être passées à autre chose.
24:32 Voilà, moi je suis un peu résiliente.
24:37 Et aujourd'hui, le fait de pouvoir écrire,
24:39 c'est quand même, voilà, toutes ces choses-là font
24:41 que mon parcours, j'ai de la chance.
24:43 Mais je pense tout le temps à ceux qui ne sont pas résilients,
24:46 à ceux qui ne s'en sortent pas,
24:49 à ceux et celles qui pourraient être écrasées
24:54 par l'idée que d'autres s'en sortent et eux, ils ne s'en sortent pas.
24:57 Et je voulais un peu dans mon texte parler de ça.
25:00 Mais c'est d'ailleurs une des phrases,
25:02 ou une des choses qui a énormément marqué,
25:04 qui a contribué aussi au retentissement de votre livre,
25:07 "Natchez sinos", c'est l'idée que la littérature ne peut ne pas sauver.
25:11 Elle peut sauver, mais elle peut aussi ne pas sauver.
25:13 Ça se retrouve en fait, vous avez aussi parlé à des personnes
25:17 pour qui effectivement, qui se retrouvent dans cet échec.
25:20 C'est-à-dire que d'essayer d'écrire ou de lire, disons,
25:25 et que ça ne fasse rien, que ça n'ait aucun effet
25:28 consolatoire ou de réparation.
25:31 Est-ce que ce n'est pas aussi devenu,
25:33 et ce n'est pas du tout contre Gaël Faille,
25:34 est-ce qu'il dit ce que je veux dire,
25:36 une sorte de cliché qui voudrait dire que l'art vient penser les plaies ?
25:42 Pour certaines personnes, l'art pense leurs plaies.
25:46 Ce n'est pas pour critiquer l'art, c'est-à-dire ni la littérature.
25:52 La littérature est ce que je place de plus haut
25:53 et ce qui a été le plus important dans ma vie.
25:55 Aussi bien pour me construire, pour rêver, pour tout en fait.
26:01 Mais ni la littérature, ni l'amour, ni l'art, ni la thérapie,
26:08 rien ne peut venir à bout d'un traumatisme aussi grave.
26:15 C'est ça en tout cas qui a été mon expérience
26:17 et qui est apparemment l'expérience de beaucoup de gens
26:20 et qui est mise en valeur aujourd'hui aussi dans le rapport de la civile.
26:25 C'est-à-dire qu'il faut qu'on prenne la mesure de la gravité,
26:32 du fait que c'est une violence tellement extrême
26:35 qu'on est transformé pour beaucoup d'entre nous à tout jamais
26:39 en un fantôme de soi-même.
26:42 Et qu'on va passer, en tout cas moi c'est ce qui m'est arrivé,
26:47 j'essaye de dire ça parce que je ne veux pas représenter tout le monde
26:50 et je sais qu'il y a des gens à qui il est arrivé d'autres expériences.
26:55 Moi je me suis posé toute ma vie cette question,
26:58 qui est-ce que j'aurais pu être,
27:00 quelle vie j'aurais pu être s'il ne m'était pas arrivé ça ?
27:03 Et je sais que je vais me poser cette question éternellement.
27:08 Et ça c'est très très très présent dans les témoignages
27:11 qui ont été recueillis par la civile.
27:15 Et je pense qu'il faut qu'on arrive à prendre conscience de ça.
27:20 - Il y a beaucoup de doutes dans votre livre, vous le dites.
27:23 Et d'ailleurs vous dites que votre caractère aujourd'hui
27:26 il est aussi lié à ce que vous avez vécu
27:28 quand vous étiez enfant et adolescente.
27:32 Dans l'écriture ensuite,
27:35 il y a un rythme très important dans votre livre,
27:39 quelque chose d'un monologue, un peu un déferlement de pensée, d'idées.
27:44 Même si vous nous prenez effectivement par la main pour qu'on vous suive.
27:48 D'abord il y avait cette idée de ne pas perdre le lecteur et les lectrices,
27:52 de les garder du début à la fin.
27:55 Pas simplement pour qu'on lise votre livre du début à la fin,
27:57 mais pour qu'il soit là et qu'il vous suive
28:03 dans cette sensation profonde que quelqu'un nous parle
28:06 quand on lit votre livre.
28:08 - Oui, il y a deux choses.
28:10 Parce que d'un côté il y a effectivement un désir de...
28:13 Je voulais que le livre se lise vite.
28:15 Donc le rythme était très important pour moi
28:17 parce que je voulais qu'on me lise jusqu'au bout.
28:20 Parce que mon idée c'est d'explorer une complexité.
28:22 Donc pour explorer la complexité, il ne faut pas s'arrêter à une partie du livre.
28:26 - On ne peut pas s'arrêter en plein argument.
28:28 - Oui, ou surtout il y a des couches de pensées
28:33 qui se superposent les unes aux autres
28:35 et qui ne sont pas hiérarchisées.
28:37 Et ce n'est pas un raisonnement vraiment.
28:40 C'est une pensée.
28:45 Et une pensée, elle ne va pas d'un point à un point B.
28:48 C'est un magma.
28:50 Et j'ai essayé de faire en sorte que
28:53 on soit plongé dans ce magma. Mais d'un autre côté,
28:58 ce n'est pas nécessairement facile à suivre.
29:04 C'est assez différent d'un raisonnement.
29:07 Donc techniquement, dans la construction du texte,
29:11 j'ai fait en sorte...
29:14 J'ai fait mon possible pour qu'il y ait une fluidité,
29:19 pour qu'il y ait une envie de continuer.
29:20 Mais en même temps on est un peu perdu
29:22 et on ne sait pas vraiment ce qui vient en premier,
29:25 pourquoi il y a ça à ce moment-là.
29:26 C'est double un peu.
29:29 - Et pourquoi c'est dans cet ordre ?
29:30 Alors, est-ce que c'est parce que ça correspond à un flux de conscience ?
29:34 Ou parce qu'a posteriori, vous vous êtes dit, Neshtino,
29:39 ça n'a pas besoin d'ordre ?
29:41 Et tant pis, je m'en fiche de l'ordre.
29:43 - Non, c'est très construit.
29:44 C'est très construit, mais c'est construit
29:47 sur le modèle d'un flux de conscience.
29:49 J'ai essayé de...
29:52 C'est toujours une construction, je ne peux pas...
29:53 Un flux de conscience, si on essaie de représenter
29:56 ce qu'on pense pendant un quart d'heure,
29:57 c'est impossible en fait, c'est n'importe quoi.
30:00 Donc c'est l'idée d'imiter des processus
30:04 que j'observe à l'intérieur de ma conscience.
30:07 Mais évidemment, si on fait la liste des thèmes,
30:09 on va bien se rendre compte qu'il y a plusieurs thèmes
30:12 qui sont...
30:13 C'est comme un tissage en fait,
30:14 ils viennent et ils reviennent,
30:16 ils passent dessous et ensuite ils reviennent à la surface.
30:20 Donc c'est un texte très très très construit.
30:23 Et les questions qui sont posées au début
30:25 reviennent à la fin.
30:26 Des auteurs qui sont cités une première fois
30:28 pour m'opposer à eux,
30:29 sont cités une deuxième fois pour aller dans leur sens.
30:31 Tout ça est très construit.
30:33 - Donc c'était volontaire à la fois que le lecteur
30:37 soit accroché au texte,
30:38 et en même temps aussi de le perdre ?
30:40 - Oui, alors on ne sait jamais ce qu'on va faire sur un lecteur.
30:43 - Avec le risque de le perdre,
30:45 de se dire "bon ben là il ne va peut-être pas comprendre
30:47 pourquoi je laisse cette question en suspens
30:49 et que peut-être parce qu'il a regardé le sommaire
30:51 et qu'il parcourt,
30:52 se disent "ah ben pourquoi ça ressort à la fin ?"
30:55 Vous n'aviez pas peur justement,
30:56 comment vous avez réussi à tenir ensemble le fait
30:58 de tenir le lecteur et en même temps de dire
31:00 "mais je vais te perdre aussi" ?
31:03 - Alors c'est la première...
31:05 D'habitude j'écris de la fiction.
31:07 Donc quand on écrit de la fiction,
31:09 très très souvent,
31:10 on ne pense pas au lecteur.
31:12 En tout cas moi c'est mon cas,
31:14 on pense à son livre.
31:15 On ne pense pas du tout,
31:18 on ne se projette pas dans la réception,
31:22 pas dans l'écriture en tout cas.
31:24 Et en plus dans la fiction,
31:30 il y a un autre aspect.
31:32 En tant qu'auteur,
31:34 ce qui m'arrive souvent,
31:37 on écrit pour disparaître.
31:40 On est dans un espace un peu étrange,
31:47 qui a sûrement à voir avec l'inconscient,
31:50 où le soi qu'on est dans la vie,
31:52 il s'efface.
31:53 Et là c'est un texte de non-fiction.
31:55 Et donc sur plusieurs aspects,
31:57 c'est très différent.
31:58 Et sur le fait que,
31:59 puisque je l'ai conçu comme un dialogue,
32:01 j'ai inventé un possible lecteur,
32:04 une possible actrice.
32:06 En même temps,
32:07 ce n'est pas un lecteur réel,
32:08 puisqu'en plus de ça, je n'avais pas d'éditeur.
32:10 Je n'avais pas du tout l'idée
32:12 que j'en aurais des lecteurs réels.
32:13 Mais dans la construction du texte,
32:15 il y a le postulat d'une conscience,
32:19 qui va...
32:22 Alors ce n'est pas vraiment un dialogue,
32:24 puisque cette conscience,
32:25 elle ne peut pas répondre.
32:26 Mais en tout cas,
32:28 c'est une conversation,
32:30 je le lance comme une possible conversation.
32:33 Et un contrat de lecture,
32:36 qui fait qu'on va être à la fois perdus
32:38 et à la fois accompagnés.
32:40 - On est quand même très accompagnés,
32:42 puisque vous nous parlez.
32:44 Parfois, vous avez un ton
32:45 qui peut nous surprendre,
32:47 parce que vous êtes trop le.
32:48 Il y a de l'humour dans ces phrases
32:51 que vous nous adressez.
32:52 Si tu es arrivé jusque là,
32:54 c'est que tu as dû comprendre, etc.
32:56 Vous êtes très pédagogique,
32:57 très didactique aussi.
33:00 Parce que j'imagine que
33:01 dans cette idée aussi d'écriture,
33:03 il y a aussi l'idée de transmettre,
33:06 de donner des clés aussi,
33:12 peut-être, à ceux qui vont vous lire.
33:15 - Des clés ?
33:18 - Des clés de compréhension,
33:19 des clés de réaction,
33:21 des clés d'explication,
33:23 de donner des mots peut-être aussi.
33:25 - Des pistes ?
33:27 - Pour être très honnête,
33:28 je pense par exemple à votre fille,
33:30 parce que je sais que vous lui avez raconté
33:32 ce qui vous est arrivé.
33:34 Et je me dis, si on lit ce texte,
33:36 on peut peut-être aussi y trouver
33:38 des expressions, des termes,
33:41 des façons de présenter les choses.
33:43 - Oui, des pistes de réflexion, en tout cas.
33:45 Moi, je l'ai conçu comme ça.
33:50 - Même comme une boîte à outils, un peu ?
33:55 - Pas vraiment quand même,
33:56 parce qu'une boîte à outils,
33:57 ça serait plutôt des textes de chercheurs,
34:04 ou même le rapport de la civi,
34:06 même la synthèse, ça ne fait que 36 pages,
34:08 donc tout le monde peut lire.
34:10 C'est une magnifique boîte à outils
34:11 pour penser l'inceste.
34:13 Mon texte, c'est un petit peu moins clair,
34:18 je pense, parce que j'ai pas beaucoup d'armes.
34:22 Je me présente telle que je suis
34:25 comme un individu qui est dans un très grand dénuement
34:31 et qui n'a que sa culture, sa pensée,
34:34 les conversations qu'elle entend,
34:36 les émissions de radio qu'elle entend.
34:38 Je me suis présentée un peu
34:41 comme une conscience avec ses limites.
34:45 Donc, il y a des pistes de réflexion
34:50 qui envoient vers d'autres choses, je pense.
34:53 Mais il n'y a pas beaucoup d'outils
34:55 vraiment très concrets.
34:57 Ça peut créer une frustration
34:59 chez certains lecteurs qui cherchent des réponses.
35:02 Ce n'est pas ça qu'on va trouver dans mon texte,
35:05 ce ne sont pas des réponses.
35:07 En tout cas, je ne crois pas.
35:09 Mais mon idée, c'était d'avoir le courage
35:17 de mettre sur du papier des pensées impensables,
35:25 une histoire irracontable,
35:28 un échange presque impossible avec une autre conscience
35:32 et que la personne qui reçoit ça,
35:34 elle fasse la même chose.
35:36 Merci beaucoup Nechino d'être venu dans les médias de culture.
35:40 On s'approche de la fin de l'émission.
35:42 Je rappelle le titre de votre livre,
35:44 "Triste tigre", publié aux éditions POL
35:47 et consacré le 6 novembre dernier,
35:50 notamment par le Prix Féminin.
35:52 Merci beaucoup Nechino.
35:54 Et pour finir, nous avons choisi deux chansons.
35:56 On va pouvoir en écouter une des deux
35:58 en référence au titre de vos deux précédents livres,
36:01 "La vie des rats et le camion".
36:02 Alors, est-ce que vous préférez écouter une chanson sur les rats
36:04 ou une chanson sur les camions ?
36:06 Une chanson sur les rats.
36:09 Allez !
36:10 [Musique]
36:17 Il y a plein de rats autour de moi
36:20 Depuis que chez moi il y a du bois
36:24 Ils se rappellent pas mon tableau
36:27 Quand j'avais trois
36:30 Les filles roulent comme des pépites
36:35 Et tournent comme des satellites
36:39 Elles ne me voyaient même pas
36:42 Maintenant il n'y a que moi
36:44 Maintenant il n'y a que moi
36:47 Le pompier Ravi se frotte les mains
36:51 Quand il me voit le matin
36:55 Appelle monsieur, sans faire sérieux
36:59 Tête de rat
37:02 Il y a plein de rats autour du piano
37:06 Des rats et des racines et rats d'or
37:10 Des grands, des petits et des gros
37:13 Des méchants, des pavots comme des drapeaux
37:18 Il y a plein de rats autour du piano
37:22 Des rats, des souris, des plairaux
37:25 Et moi dans ce parment d'île
37:28 Je rêve de mon île comme un crocodile
37:33 Il y a plein de rats autour de moi
37:38 Depuis que chez moi il y a du mougar
37:42 Ils ne se rappellent pas mes nuits blanches
37:45 Ils chompent sur ma branche
37:48 Les filles roulent comme des pépites
37:53 Et dansent autour de ma barnique
37:56 Pascal Gannel, on ne connaissait pas avec Géraldine, ça s'appelle "Les rats"
38:00 C'était pour conclure cette émission, merci encore beaucoup Nelchino d'être venu dans les Midis de Culture
38:05 Une émission préparée par Esa Touendoy, Anaïs Hisbert, Cyril Marchand, Marie-Soisy Kfraboulez,
38:10 Zora Vignel, Laura Dutèche-Pérez et Manon Delassalle
38:13 C'est Nicolas Berger qui réalise cette émission comme tous les Midis
38:16 Et à la prise de son, Jean-Guylain Mej
38:18 A lundi Géraldine
38:19 A lundi Nicolas, bon week-end

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